1 Jules est habitué à l’écriture de son fils mais même Eugène peine à déchiffrer celle de son frère.
2 Médecins et non juristes.
3 La scène peut faire sourire un familier du monde universitaire qui a parfois l’impression d’en avoir vécu de semblables… Sur le sujet précis de la thèse, voir la lettre du 29 janvier 1868.
4 Lettre au timbre du tribunal de Dijon, cabinet du président.
5 Le président Lelorrain ne pouvait évidemment imaginer le monde de 2012.
6 Cette lettre et la suivante sont marquées par le souci de Jules d’effectuer ou plutôt de faire effectuer à Édouard toutes les opérations nécessaires à l’entretien régulier de son réseau d’amis, de connaissances et bien sûr de parents. Comme pour un mariage, la soutenance de thèse d’Édouard implique l’envoi de la thèse, dans la limite des exemplaires disponibles, au premier cercle d’intimes et un peu au-delà si nécessaire et le comptage des félicitations envoyées par les mêmes. Il va de soi que peu d’entre eux auront la capacité – ou l’envie – de lire la thèse, ce qui n’a pas grande importance.
7 En dehors de Cassassa, et de Pinard (Semur), il s’agit d’amis de Chaumont.
8 Ernest, fils de Masson, président du tribunal de commerce de Dijon, et grand ami de Jules. Ernest était lui aussi passé par Semur-en-Auxois où il avait été juge au tribunal, six ans durant (1859-1865).
9 Le jeune frère de « miss » Églantine.
10 Le fils Carion est un ami d’Édouard, le père est tailleur.
11 D’une visite d’Hippolyte et de sa femme à Dijon.
12 Conseiller à la cour.
13 On a déjà vu que Jules redoutait le caractère ombrageux et peut-être imprévisible de Rayé.
14 Ce grand ouvrage ne sera jamais rédigé. Jules, très satisfait de la brillante réussite de son cadet, a sans doute pensé à une collaboration qui aurait mené à un travail fondateur et inédit. Le programme semblait en effet prometteur et alléchant. La vie, les occupations de l’un et de l’autre ne permettront pas sa réalisation. Mais, on l’a vu (lettre du 29 janvier 1868), Édouard ira jusqu’au doctorat en droit en 1882.
15 Tous les lettrés et hommes cultivés de France du XIXe siècle ont lu Montesquieu et sont familiers de cette notion des trois pouvoirs et de leur séparation. A fiortiori les magistrats tels Jules Lelorrain. On remarquera – et la négligence ou l’indifférence n’y sont pour rien – qu’il écrit bien « pouvoir judiciaire », « autorité administrative » et « autorité militaire ». Mais dans la réalité, tous les gouvernements français depuis 1789, de droite, de gauche, réactionnaires, conservateurs, progressistes, démocratiques, despotiques, ont soit traité avec mépris, soit brisé toute tentative de « gouvernement des juges », notamment à grands coups d’épurations sans parler de la surveillance quotidienne. Voir entre autres AFHJ, 1992 et 2000. Les magistrats eux-mêmes n’abordaient ce thème qu’avec prudence : voir la courte liste des discours de rentrée y consacrés (Farcy, 1998 – la liste est en annexes).
16 En effet : c’est toute la société française ou presque qui est ici passée en revue. On pourrait donner un catalogue entier de notes et de références qui allongerait indéfiniment notre propos.
17 Toujours Guillaume le Taciturne, une référence décidément pour Jules…
18 Il est possible que le départ d’Édouard pour l’Algérie, puis la guerre, aient brisé cet élan – une fois pour toutes. Mais on ne sait, à vrai dire, si le docteur Lelorrain était « partant » pour cette collaboration.
19 Au sens propre : ils ôtent toute force !
20 Il s’agit du (déjà) célèbre Jean-Henri Fabre (1823-1915). Professeur dans le second degré à Avignon, il avait été sollicité par Victor Duruy, peu de temps avant la date de cette lettre, pour donner des cours publics à Paris. Ils eurent lieu de 1868 à 1870 et furent très suivis. La chute du ministre (Duruy démissionna le 12 juillet 1869) entraîna une remise en cause de nombre d’aspects de sa politique. Les conservateurs et cléricaux s’en prirent à Fabre en l’accusant d’immoralité sous prétexte qu’il exposait avec précision dans ses cours les modes de reproduction sexuée des… végétaux devant un public constitué en partie de jeunes filles et les cours s’interrompirent en 1870. Voir Yves Cambefort, Jean-Henri Fabre, petite biographie d’un grand naturaliste, Paris, Delagrave, 2002 et Patrick Tort, Fabre, Le miroir aux insectes, Paris, Vuibert, 2002.
21 On ignore à quelles conférences précises Jules fait allusion mais ces quatre cas sont ceux d’intellectuels républicains ou en tout cas libéraux, Adolphe Crémieux (1796-1880 – voir la lettre du 3 octobre 1870), Philarète Chasles (1798-1873), homme de lettres, philologue, journaliste, Eugène Pelletan (1813-1884), ferme républicain, père de Camille, Jules Simon (1814-1896), républicain spiritualiste qui fit figure de « sage » parmi les fondateurs de la Troisième République. Simon parcourait en effet la France pour tenir des conférences nombreuses sur la liberté, la religion naturelle, les droits et devoirs de l’homme, etc.
22 Ah ? Parce qu’on part de très bas ? De fait, les progrès de la médecine, au milieu et à la fin du siècle, sont alors rapides et multiformes : découverte des microbes, antisepsie, anesthésie, vaccinations…
23 Jules Lelorrain développe ici un programme humaniste et encyclopédique, favorable à l’union de la science et des humanités, peut-être plus « XVIIIe siècle » qu’annonciateur du XXe. Y aurait-il là contradiction avec les accents de rage qui explosent lorsqu’il parle du malheureux Beau de Rochas ? Non, sans doute : il ne condamne nullement la science chez Beau mais la folle présomption de l’inventeur à « faire de l’argent » de manière déraisonnable. Gagner de l’argent résulte de l’exercice d’activités traditionnelles et identifiables, rôdées, acceptées. La science est affaire de patience et de désintéressement, comme la culture, non une machine à s’enrichir. On n’est pas très loin de la morale républicaine de l’école de Jules Ferry.
24 La santé de Paul avait toujours été fragile. Mais les premiers symptômes de la tuberculose sont apparus. Et si progrès de la médecine il y a par ailleurs, en ce domaine, aucun.
25 L’arsenic était utilisé dans nombre de pathologies, avec une efficacité fort variable et discutable.
26 Un fortifiant. Signe d’impuissance face à l’implacable maladie.
27 Les détails de cette soirée ratée nous sont ignorés.
28 Régionalisme : meurtri.
29 Personnage mal identifié. Un des cadres de l’école dont les relations avec Édouard furent médiocres ?
30 « Lui » = M. Donet.
31 Le climat du midi était réputé favorable aux tuberculeux. On sait qu’il n’en était rien. Dans Bel-Ami, Forestier part pour la Riviera, comme on disait à l’époque, et y meurt.
32 Voir la lettre du 16 novembre 1868.
33 On dirait aujourd’hui « à tout hasard ».
34 Le président Lelorrain s’exprime de manière un peu emberlificotée. Le Second Empire avait maintenu la tradition initiée par Napoléon Bonaparte du vote des militaires, supposé favorable au gouvernement, mais en l’entourant de précautions. Jusqu’en 1870, aucun régime n’avait pensé à les exclure de manière absolue du droit de vote, même si ce vote était conçu, parfois, de curieuse manière. Dans les plébiscites du Consulat, ils semblent avoir été comptés en bloc pour le « oui ». Sous la Restauration, le maréchal Gouvion-Saint-Cyr précisait que « Si les militaires sont libres de leur suffrage, ils ont aussi des obligations ; on ne peut servir à la fois le roi et l’opposition », ce qui était fort clair (voir, http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/suffrage_universel/suffrage-extension.asp). Mais, en tout état de cause, le suffrage censitaire faisait que peu d’officiers (ne parlons pas des sous-officiers et soldats) étaient concernés. Le suffrage universel institué en 1848 changeait la donne. Le Second Empire adopta une position médiane (article 14 du décret organique du 2 février 1852) : les militaires ne votaient pour les législatives, les cantonales, les municipales que s’ils se trouvaient dans leur commune d’origine, c’est-à-dire en congé ou en permission. En revanche, pour les plébiscites, acte fondamental de la démocratie césarienne, tous votaient, quelle que soit leur position. La Troisième République décida d’exclure complètement de la vie politique une armée qui s’était trop impliquée jusque-là dans les coups de force et révolutions et d’en faire « La Grande Muette ». La loi 27 juillet 1872 disposait (art. 1er) que « les hommes présents au corps ne prennent part à aucun vote ». Or, un militaire était réputé « présent au corps » même en permission ou congé. Seules la disponibilité ou la radiation des cadres lui rendaient le droit de vote. On sait comment Boulanger en usa, une fois mis à la retraite en 1888. Par ailleurs, les propos du père peuvent laisser supposer que le droit de vote était accordé à l’âge de 25 ans. Il n’en était évidemment rien : depuis 1848, le plancher de 21 ans a toujours été maintenu. Mais Jules, à plusieurs reprises, a tenu à souligner l’importance à ses yeux de la « grande majorité » des 25 ans (voir plus haut). D’ailleurs, effectivement, les députés au Corps législatif n’étaient éligibles qu’à 25 ans (décret organique du 21 février 1852, titre III, art. 26).
35 Elles auront effectivement lieu les 23-24 mai et 6-7 juin (chaque tour électoral s’étalant sur deux jours).
36 Édouard, toujours impécunieux, avait emprunté de l’argent à son ami Carion. Cette dette n’était toujours pas soldée en 1871 (voir la lettre du 6 avril).
37 Comme avoué plaidant. Jules est un magistrat de la République, nommé en mars 1848, quelques jours après la Révolution. Il a su habilement poursuivre sa carrière sous l’Empire, sans renoncer à ses convictions. Voir l’introduction générale.
38 Publié le 5 mars au Moniteur. Cette phrase semble indiquer que de nombreux magistrats continuaient à œuvrer discrètement pour l’abolition de ce décret, pensant sans doute que la faculté de juger se conservait indéfiniment quel que soit l’âge.
39 Belle déclaration d’amour paternel.
40 Où ils viennent de déménager.
41 Karl est encore, pour peu de temps, élève à l’École Centrale. Le « bureau » d’Hippolyte père se trouvait rue du Bouloi, dans le premier arrondissement (« premier » dans la nouvelle numérotation haussmannienne, datant de 1860) où il possédait (ou louait ? ou occupait pour des raisons de fonction ?) un appartement. Hippolyte, ancien notaire, travaillait pour le célèbre imprimeur et libraire Paul Dupont, créateur de l’imprimerie administrative en France. C’était une grosse entreprise (120 employés, 1 200 ouvriers). « Elle fournit à l’administration publique les cadres, modèles et formules prescrits par les arrêtés ministériels : aucun service public, et dans chaque service, aucun acte, depuis le cadre le plus simple jusqu’aux registres et aux états les plus compliqués, n’a été oublié. Elle a pourvu tous les besoins. Chacun de ses modèles imprimés, dont le nombre s’élève de 20 à 25 000, s’expédie sur tous les points de la France, et à des prix qui n’excèdent guère celui du papier blanc », Guide général ou Catalogue indicateur de Paris, indispensable aux Visiteurs et aux Exposants, Paris, 1867, p. 147. Hippolyte était de fait le numéro trois de l’entreprise, après Dupont et son associé Pierret (voir la lettre du 12 avril 1871). L’acte de mariage d’Édouard (état civil de Semur, 4 mai 1874), où il figure comme témoin du marié, lui donne la qualification un peu vague de « comptable », c’est-à-dire sans doute de responsable des finances de l’entreprise. Nous ne connaissons pas son salaire : il devait être au moins égal à celui de son frère Jules, sans doute supérieur. Remarquons que Karl, son fils, se voit proposer 5 000 francs par Cassassa, dont l’entreprise est bien plus petite, au bout de cinq ans de maison (voir lettre du 14 décembre 1869).
42 Cette contrainte, qui est celle de millions de gens au XXIe siècle, semble encore bien anormale à notre bourgeois de province. La ligne de Vincennes avait été ouverte en septembre 1859 entre la Bastille et la gare de La Varenne-Chennevières-sur-Marne. Le succès fut immédiat, tant auprès des promeneurs du nouveau bois de Vincennes que des « banlieusards » allant travailler à Paris (des abonnements furent très vite mis en place). En 1869, la ligne transporta 5 930 000 voyageurs avec une cadence de 32 trains par jour dans les deux sens. Le tronçon situé au-delà de Vincennes a servi à la fin du XXe siècle au tracé du RER A. La partie urbaine partant de la Bastille et qui surplombait la rue de plusieurs mètres, à la curieuse et intéressante opération de la « Promenade plantée ». Voir Didier Leroy, La ligne de Vincennes. Inoubliables panaches, Paris, La Vie du rail, 2006.
43 Entendez la vue de la layette.
44 Tout ce passage est évidemment assez peu aimable pour Alix. Quant à sa seconde femme, Mme Bissey, c’est comme si elle n’avait jamais existé. En tout cas dans sa correspondance avec Édouard, ce qui est au fond assez explicable.
45 Il est évident qu’Édouard avait beaucoup de mal à écrire à sa famille régulièrement : paresse, indifférence relative, difficultés à se raconter ? Quand il le faisait, il devait se débarrasser d’une forme de corvée en écrivant très vite – et de plus en plus vite. Jules se plaindra constamment (voir la suite) du caractère illisible de ses lettres. La fréquence de celles-ci augmentera après son installation en Algérie.
46 Il y avait à cette époque distribution de courrier le dimanche !
47 Le 16 mars, aux 2 et 4, place de la Sorbonne, 28 kg de picrate de potassium explosèrent chez M. Fontaine, fabricant de produits chimiques. Il y eut cinq morts et au moins douze blessés.
48 « Un si long déplacement » = de Paris à Dijon.
49 Sur Magnin, voir la lettre du 26 juin 1867.
50 Lombart fut effectivement le candidat de l’administration préfectorale, en pure perte.
51 Chez la famille de Rochas.
52 Faute de moyens d’exploration imagés, l’auscultation, mise au point par Laennec en 1816-1819 avec pour renfort l’invention du stéthoscope, demeurait un moyen majeur de diagnostic, des maladies pulmonaires en particulier.
53 Petit village de la Haute-Marne, à 5 km au nord de Chaumont.
54 Ironie répétée : il l’a déjà dit…
55 Le 27 mars.
56 On remarquera que tout ce mouvement judiciaire s’effectue soit sur place, soit au sein d’un espace géographique très restreint : de Semur à Langres, de Langres à Dijon, de Dijon à Semur… Tout cela est très classique dans la magistrature du XIXe siècle, corps de notables enracinés dans leur région et peu désireux d’en bouger. Dans les notices individuelles, à la question : « S’il désire de l’avancement ? », la réponse est souvent « Oui ». « Irait-il dans toute la France pour cela ? », Non… Voir également la lettre du 4 janvier 1870.
57 Le premier président de la cour de Dijon. Voir la lettre du 30 mai 1869. Le ressort « crie » sans doute mais ces cas de népotisme demeuraient fréquents. La révocation de son fils en septembre 1870 arrachera à Neveu-Lemaire de véritables cris de rage étalés sans vergogne dans sa correspondance administrative (voir lettre du 27 septembre 1870).
58 La Société de médecine de Paris, fondée en 1796 (2 germinal an IV) et héritière de l’ancienne Société royale fondée en 1735.
59 Les amis de Boinet, sans doute.
60 Les symptômes cliniques de la maladie ont été constatés en janvier. Ou bien il s’agit d’une forme de tuberculose tout à fait foudroyante, ou bien (ce qui est le plus probable) la maladie a longtemps cheminé sans manifestations très apparentes.
61 Payée par Jules !
62 Il s’agit bien sûr de sa première épouse, Camille.
63 Étrange formule : Jules veut-il dire que Paul ne sera plus vivant en juin ? Sans doute.
64 La statue de sept mètres de haut était alors toute récente : elle fut érigée en 1866 sur l’ordre de Napoléon III et réalisée par le sculpteur Aimé Millet.
65 On ne sait à quelle occasion le jeune Jacob a connu la fille du président du tribunal de Metz (bal ? rencontre chez des amis ?). Mais dans ce cas, les deux familles ne se connaissaient pas. D’où l’étonnante enquête de police privée à laquelle se livre volontiers Jules. Mais bien moins volontiers Édouard, comme on le verra ci-dessous.
66 La vitesse du courrier papier (sur le territoire français, en tout cas), n’a fait aucun progrès de 1869 à 2011…
67 Cette lettre vient directement à la suite d’une lettre de Berthe, très peu lisible, et Jules tient à ne jamais dépasser (par économie ?) une feuille recto-verso, soit quatre pages. Résultat : l’interlignage est diminué presque de moitié, ce qui la rend peu déchiffrable.
68 Édouard a visiblement été froissé par une réaction de Paul ou de sa famille relative aux soins et conseils dispensés.
69 Sur Vuitry, voir la lettre du 29 janvier 1867.
70 Le sens du mot n’est pas clair.
71 Toute la fin de cette lettre fait allusion à des amis et connaissances de Semur, certains déjà cités (Gauthier, ancien capitaine de gendarmerie, Jacotot, président du tribunal), d’autres plus obscurs, certains mal identifiables, mais qui, ajoutés aux autres, sont le témoignage de l’importance des relations que Jules avait noué dans cette petite ville (3 760 habitants en 1866).
72 Paul Loquin, pas Paul Lelorrain.
73 C’est en effet un très faible salaire, même pas celui d’un ouvrier sans qualifications à Semur.
74 Parent des Matry.
75 Exactement Lefébure de Saint-Maur. La famille compte plusieurs personnes de ce nom à Paris.
76 Type du médecin érudit et riche qui fait peu de médecine comme il existe des magistrats érudits moyennement attirés par l’exercice de la justice, des notaires érudits pour qui la gestion de leur étude n’est pas le souci dominant, etc., tous personnages fréquents dans la province française du XIXe siècle, aujourd’hui à peu près disparus (hélas ?).
77 Famille noble de la région de Semur.
78 Juge d’instruction au tribunal de Semur, curieux personnage, fort peu sympathique à ce qu’on en peut juger. Intelligent mais dominateur et, comme on ne disait pas en 1869, psychorigide, il conçut en 1871 une haine farouche à l’égard des Fénéon : il avait espéré devenir président du tribunal et la nomination à cette place du greffier, Albéric Fénéon, représenta pour lui un coup sans remède. Le 30 septembre 1872, il présida une séance de référé et écrivit ces incroyables lignes dans l’ordonnance qui renvoyait l’affaire : « Nous, Juge, pour cause d’empêchement de notre ancien greffier, nommé président par la délégation de Bordeaux, juge en matière de référé [etc.] » (dossier Alexandre, voir bibliographie). De nos jours, de tels mots dans une pièce judiciaire officielle auraient (sans doute…) entraîné une sanction disciplinaire. Il n’en fut rien à l’époque.
79 Sans doute Jules veut-il dire « raides ».
80 Il veut le croire. Il se trompe.
81 La mère de Jules Perrin, de Sens.
82 Arnay-le-Duc, à 30 km au nord-ouest de Beaune.
83 Sur le Périgourdin Pierre Magne (1806-1879), un des rouages majeurs du personnel politique du Second Empire, voir la lettre du 16 novembre 1867. Dans une note confidentielle (voir Robert, Bourloton et Cougny), Rouher avait signalé en 1868 sa tendance au « népotisme ». Il n’était pas seul dans ce cas. Mais ces puissants personnages ont évidemment à cette date autre chose à faire que de soutenir Eugène Lelorrain dans sa quête d’une perception.
84 On ne connaît pas la nature exacte de l’incident. Mais la grave maladie de Paul l’explique en partie.
85 On n’a pas d’autre précision sur cette « invention » là.
86 Joseph, dit François-Frédéric, Steenackers était né à Lisbonne en 1830. Installé en France avec sa famille en 1838, il avait étudié la sculpture à Rome et exposé au Salon à plusieurs reprises. Naturalisé français en 1866, il était conseiller général de la Haute-Marne depuis 1867, riche propriétaire, résidant dans son château d’Arc-en-Barrois, il fut élu contre Chauchard et siégea à la gauche du Corps législatif. Ami de Gambetta, il fut chargé de la télégraphie, où il manifesta beaucoup d’efficacité, pendant la guerre. Sa carrière se poursuivit sous la Troisième République. Les historiens lui doivent une précieuse Histoire du Gouvernement de la Défense nationale en province, 4 septembre 1870-8 février 1871, Paris, Charpentier, 1884-1885, en collaboration avec F. Le Goff, 3 vol., nourrie tant de son expérience personnelle que des nombreux documents qu’il avait été appelé à manipuler.
87 Sur Chauchard, voir la lettre du 26 juin 1867.
88 Dermatite spectaculaire et douloureuse, mais en général sans gravité, due à la réactivation du virus de la varicelle (comme on ne le savait pas en 1869 puisque l’existence des virus fut démontrée par Martinus Beijerinck en 1898). Il est curieux de voir que Jules Lelorrain, déjà âgé et cultivé, semble ignorer la nature de cette maladie.
89 Si cela ne fait pas de bien (et cela n’en fait aucun), cela ne peut sans doute pas faire de mal…
90 Bagnères-de-Luchon, dans le département de la Haute-Garonne, station thermale réputée ; Cauterets (Hautes-Pyrénées), station mondaine à son apogée.
91 C’est, chez lui, un leitmotiv de bourgeois urbain éclairé.
92 La constitution du 14 janvier 1852 limitait, volontairement, les sessions à trois mois par an (article 41), ce qui était très peu. L’empire n’était pas un régime parlementaire. Mais l’empereur ayant le droit de convoquer la Chambre librement (article 46), les sessions pouvaient durer plus longtemps. Ce fut, par nécessité, le cas de pratiquement toutes (voir Tulard, 1995, art. « Corps législatif »). La session de 1867 avait duré du 14 février au 24 juillet, celle de 1868 du 18 novembre 1867 [sic] au 28 juillet 1868 ; la session « ordinaire » de 1869, du 18 janvier au 26 avril. Ici, il s’agit de la courte session de « mise en place » du nouveau Corps. Elle eut lieu du 28 juin au 13 juillet et fut suivie d’une autre session extraordinaire, du 29 novembre au 27 décembre.
93 Magnin fut réélu le 24 mai 1869 par 23 531 voix sur 37 879 votants et 44 073 inscrits contre 14 281 à Lombart, candidat officiel.
94 Les magistrats de Dijon étaient très massivement favorables au candidat officiel, bien entendu.
95 Le premier président était Nicolas Eloi Gustave (prénom d’usage) Neveu-Lemaire, né en 1813, d’une famille bourguignonne originaire de Clamecy. Il fit une longue et brillante carrière de magistrat, fut procureur général à Nancy puis premier président à Dijon. Ses opinions bonapartistes et conservatrices étaient fort engagées. Avocat général à Bourges en 1850, il avait prononcé un discours de rentrée sur le thème, « Du respect de l’autorité ». En 1868, il présentait ainsi un candidat pour un poste de conseiller à la cour de Dijon : « C’est lui qui présidait naguère la chambre correctionnelle qui a condamné Le Progrès de Saône-et-Loire. Ses opinions politiques ne laissent rien à désirer. » Mais l’ensemble de la note de présentation, qu’on ne peut reproduire ici, est un monument de conservatisme moral, social et politique (citée par Farcy, 2007, p. 89). On conçoit que ses opinions l’aient beaucoup éloigné de Jules Lelorrain. La prudence de celui-ci est nécessaire mais elle signe son engagement libéral : on attendait du président du tribunal qu’il s’engageât en faveur du candidat officiel, ce qu’il se garda bien de faire. Braver, même de cette façon, un Neveu-Lemaire était assez courageux.
96 Depuis 1789 (ou 1790), donc. Le camp républicain devrait, selon Jules, être uni puisque ses différentes tendances ne sont séparées que par des « nuances ». C’est une vision un peu idyllique, sinon naïve. Mais nombre de républicains modérés pensaient de même, tel le « préfet de Gambetta », Ange Blaize de Maisonneuve, nommé en Ille-et-Vilaine en septembre 1870 (voir J.-F. Tanguy « Préfets et sous-préfets d’Ille-et-Vilaine face à la guerre de 1870-1871 », in Maurice Vaïsse [dir.], Les Préfets, leur rôle, leur action dans le domaine de la défense de 1 800 à nos jours, Paris/Bruxelles, LGDJ/Bruylant, 2001, p. 123-157).
97 Détournement d’une citation de Virgile (Eglogues), « Paulo majora canamus », « [Maintenant], chantons des choses plus importantes », ici « de moindre importance ».
98 Édouard est peu tolérant. On en a de multiples exemples, à tous points de vue.
99 Thiers fut élu à Paris le 24 mai par 15 909 voix sur 31 439 votants et 41 332 inscrits, contre 9 802 à Devinck, candidat officiel et 5 721 au comte d’Alton-Shée, radical, candidat du journal Le Réveil.
100 Accusé par les jeunes républicains de trop de complaisance et de modération à l’égard de l’empire, Favre n’obtint qu’un succès très mitigé. Il fut battu dans plusieurs départements et élu dans la seule 7e circonscription de la Seine, au second tour, avec 18 317 voix sur 33 444 votants et 43 182 inscrits, contre 14 780 à Rochefort (Henri de Rochefort-Luçay), le « marquis rouge », l’ancien directeur de La Lanterne.
101 Ancien ministre de la République de 1848, Louis Antoine Garnier-Pagès fut devancé au premier tour dans la Seine par François-Vincent Raspail, l’ancien « Quarante-huitard », le médecin socialiste, candidat malheureux contre Louis-Napoléon en décembre 1848. Mais Raspail fut également élu à Lyon et, au second tour, un certain nombre d’électeurs estimèrent inutile de le désigner deux fois. Garnier-Pagès passa avec 19 481 voix sur 34 652 votants et 45 723 inscrits contre 14 700 à Raspail.
102 Édouard de Lignères, comte d’Alton-Shée.
103 Du 7 au 12 juin 1869, de très violentes émeutes secouèrent Paris, prenant parfois l’aspect de guerre de rue (même s’il n’y eut aucun mort). La presse républicaine accusa la police de les avoir montées de toutes pièces, comme Jules s’en fait l’écho plus loin, dénonçant les agents provocateurs, les « manifestants en blouse blanche ». Il y en eut certainement, mais le mécontentement d’une partie du peuple de Paris était on ne peut plus réel. Sur toutes ces questions, Carrot, 1984.
104 Année de grandes émeutes à Lyon et à Paris, marquée dans la capitale par le fameux « Massacre de la rue Transnonain », immortalisé par Daumier (tous les habitants d’un immeuble, y compris les enfants au berceau, furent exterminés par les soldats).
105 Année de l’attentat de Fieschi contre Louis-Philippe (28 juillet) qui fit 18 morts, mais pas le roi qui en sortit indemne. De dures lois contre les associations républicaines en furent la conséquence. Le mot même de « républicain » fut interdit comme subversif.
106 Les émeutes républicaines des 11-15 juin 1849 (à Paris et à Lyon, notamment) et leur échec permirent au président Louis-Napoléon Bonaparte de rassembler autour de lui tous les « hommes d’ordre » et de faire grandir un peu plus son réseau d’appuis et de complices, ce qui le conduira deux ans plus tard au coup d’État. Il inventa, à la suite de ces journées, une fameuse formule : « Il est temps que les bons se rassurent et que les méchants tremblent. » La défaite de l’« Hydre rouge » fut un thème de propagande majeur (le thème majeur) justifiant a posteriori le « Coup » du 2 décembre.
107 Jules Lelorrain apprécie à leur juste valeur les méthodes policières du Second Empire. Les mouvements violents, provoqués par le pouvoir ou non, « effraient le bourgeois » et permettent à la répression de se déployer à grande échelle. C’est bien ce qui s’était passé en 1848-1849. Mais l’histoire des hommes est complexe. Des schèmes similaires ne débouchent pas forcément sur des conséquences identiques : la terrible répression de la Commune et la Semaine sanglante de mai 1871, bien pire que celle de juin 1848, n’amena nullement une dictature, mais, après une progression assez tortueuse, l’avènement définitif de la République.
108 Interprétation classique des foules révolutionnaires. C’est à peu près celle que reprendra Taine quelques années plus tard dans Les Origines de la France contemporaine, alors même que ses positions politiques, très à droite, sont éloignées de celles de Jules Lelorrain.
109 Jules est terrifié à l’idée de voir Édouard jugé pour violences à agents… Il a raison.
110 Charles Damet, principal clerc d’avoué, 26 ans, né à Charolles en 1843, comme Deresse lui-même en 1818. Ce dernier étant toute sa vie demeuré célibataire, il avait sans doute trouvé en Damet un fils spirituel. La « perte » peut être affective mais aussi concerner sa carrière future, l’un n’empêchant pas l’autre. Damet avait à peu près le même âge qu’Édouard. Ont-ils eu des relations d’enfance, de jeux, ou scolaires ? Sans doute. Le beau-père de Damet, François Salomon, est un des témoins signataires de l’acte de décès de Deresse (dossier Deresse et base de données Geneanet pour Damet).
111 Allusion obscure. Des obsèques ?
112 Léonce Perrin, fils de Jules et de Fanny, cousin issu de germain d’Édouard.
113 L’ancienne abbaye de Cîteaux, « Saint-Denis » des ducs de Bourgogne de la « première race » (XIe-XIVe siècles), ravagée de fond en comble sous la Révolution, devint en 1846 une colonie pénitentiaire pour enfants sous la direction du père Joseph Rey, de l’ordre des Frères de Saint-Joseph. Elle compta jusqu’à plus de 900 « pensionnaires » soumis à une discipline de fer. Le père Rey mourut en 1874 et, après leur installation définitive au pouvoir en 1877, les Républicains critiquèrent de plus en plus fortement cet établissement de type clérical. Finalement, il disparut en 1898 mais le déclin était amorcé depuis au moins dix ans. Voir Louis C. Michel, Colonie de Cîteaux, sa fondation, son développement et ses progrès, son état actuel, suivis d’une notice sur le système pénitentiaire appliqué spécialement aux jeunes détenus et sur les établissements destinés en France à les recevoir, Cîteaux, siège de la Colonie – Dijon, Manière, 1873, 320 p. Comme magistrat, Jules était sûrement intéressé par le problème de la délinquance juvénile. Mais son anticléricalisme (modéré) n’en faisait pas forcément un partisan du père Rey ni de ses fortes méthodes. L’expression qu’il utilise ici est d’ailleurs très neutre.
114 Malgré ses positions politiques assez claires aux yeux de ses supérieurs (voir lettre du 30 mai courant), Jules a reçu la Légion d’honneur !
115 Comme beaucoup de décorés, le décoré s’excuse presque d’être décoré. C’est un grand classique qui témoigne d’une gêne très explicable. Il est vrai que tous les régimes ont usé et abusé de la légion d’honneur comme instrument de gouvernement Dès 1814, on comptait 32 000 légionnaires, dont seulement 1 600 civils, pour 47 000 en 1848 et 75 000 en 1870. La Troisième République les réduisit d’abord fortement avant l’explosion des années 1914-1962. Le code de la légion d’honneur du 28 novembre 1962 fixe le nombre maximum de membres, tous grades confondus, à 125 000, soit, proportionnellement, aujourd’hui, autant qu’en 1869, ni plus ni moins. Voir Jean Tulard, François Monnier, Olivier Echappé (dir.), La Légion d’honneur. Deux siècles d’histoire. Actes du colloque du bicentenaire, Paris, Perrin, 2004, et Bruno Dumons et Gilles Pollet (dir.), La Fabrique de l’honneur. Les médailles et les décorations en France, XIXe-XXe siècles, Rennes, PUR, 2009.
116 Le mot était synonyme dans la première moitié du XIXe siècle de « désuet », « dépassé », par référence au grand style rococo complètement passé de mode et méprisé dès le règne de Louis XVI et encore plus avec la Révolution. Si on suit Jules, le mot n’était plus d’actualité en 1869. « Ramolli » serait donc un équivalent en argot actuel, de « ringard ». Le mot a changé de sens aujourd’hui, dérivant vers une acception mentale et physique (« gâteux »).
117 Admirer la nuance et le choix des termes.
118 Jules récuse toute idée de « démocratie directe » à l’athénienne encore défendue par certains sous la Révolution, puis par Victor Considérant, disciple de Fourier, dans les années 1830-1840, et d’autres. Dans les années 1870, les radicaux (on peut penser qu’Édouard Lelorrain partage leurs idées) comme Naquet, Clemenceau, reprocheront encore aux lois constitutionnelles de 1875 l’absence de possibilité d’intervention donnée au « Peuple » dans la formation des lois et dans les décisions fondamentales. L’historien Edgar Quinet est aussi sur cette ligne (La République. Conditions de la régénération de la France, Paris, 1872).
119 38 390 000 habitants exactement au milieu de l’année 1869 (source, Annuaire statistique, Statistique Générale de la France).
120 Le mot est un peu étrange. Mais Jules ne doit pas l’avoir inventé. Dans les années 1875-1885, les radicaux seront plutôt appelés « Intransigeants ».
121 Dans la légende républicaine, le coup d’État est le crime impardonnable (voir Victor Hugo, L’Expiation dans Les Châtiments : la retraite de Russie, Waterloo, Sainte-Hélène sont les châtiments du 18 Brumaire). En 1883, la grande épuration républicaine de la magistrature exclura de toute mesure d’indulgence les magistrats qui ont fait partie des trop fameuses « commissions mixtes » (un magistrat, un préfet, un général) chargées de la répression après le coup d’État du 2 décembre.
122 Jules semble ici très proche des philosophes républicains néo-kantiens tels Charles Renouvier ou Jules Barni qui « font de l’éducation du suffrage universel la clé de voûte de leur système » (Claude Nicolet, 1994, p. 156.) Mais il y a aussi dans cette pensée positiviste du magistrat une confiance un peu romantique, presque hugolienne, dans « l’ordre des choses » : le bon gouvernement viendra inévitablement avec les progrès de l’humanité. Or, Barni comme Renouvier estimaient que, certes, le suffrage universel ne pouvait qu’avoir raison mais si, et seulement si, il était éclairé par l’éducation, ce qui n’est évidemment pas le cas de celui pratiqué sous Napoléon III (voir d’ailleurs la méfiance de Jules avant les élections de 1869 et son mépris du vote des campagnards incultes. Notre magistrat, ici assez optimiste, se contredit un peu, ce qui est assez commun quand on parle ou écrit beaucoup). « Le suffrage universel appelle l’instruction universelle » (Jules Barni, Manuel républicain, Paris, 1872, p. 15).
123 Le premier poste d’Édouard se situera en Algérie.
124 Commune de Saône-et-Loire à 8 km au nord de Charolles. C’est la résidence des Laizon, sœur et beau-frère d’Alix, le « père Zon » comme l’appelle Jules.
125 Étrange formule : 5 heures pour faire 8 kilomètres ! En voiture à cheval ? Avec de très vieux chevaux ? À pied ? Au pas de sénateur et même de sénateur fatigué ? En herborisant au passage et en contemplant le paysage ? Peut-être. Ou alors « ici » signifie-t-il « Dijon », ce qui n’a aucun sens puisque Jules et Alix seront à Baron ? On n’a pas de solution.
126 On va voir que ces détails sont en effet d’une méticulosité un peu étonnante. Techniquement, les rassembler n’est pas difficile, simplement un peu long : il suffisait de consulter l’Indicateur des chemins de fer, fondé par Napoléon Chaix en 1846, œuvre poursuivie après sa mort (1865) par ses descendants. La précision des indications s’explique toutefois par le trajet, assez compliqué, et surtout, dans cette société du Second Empire, on ne peut rien corriger par téléphone et difficilement par télégramme (beaucoup trop coûteux). Le courrier demande donc, dans de tels cas, la plus grande exactitude. Édouard ne pourra prévenir d’aucun retard ni changement de programme de dernière minute.
127 Le train s’arrête au célèbre nœud ferroviaire de Laroche-Migennes. Bussy-en-Othe est à 5 km au nord de Migennes.
128 À 15 km au sud de Beaune.
129 Entre Le Creusot et Montceau-les-Mines.
130 À 4 km au sud de Perrecy-les-Forges sur la ligne Le Creusot-Montchanin-Moulins par Génelard et Paray-le-Monial. De 1940 à 1944, Génelard se trouvait exactement sur la « Ligne de démarcation ». Rappelons que ce trajet complexe s’effectue uniquement pour Édouard sur des chemins de fer parfois à voie unique, mais des voies à écartement « normal », des chemins de fer « lourds ». Les chemins de fer départementaux à voie étroite, parfois posées sur le bord même des routes et qui irrigueront toutes les campagnes françaises ne verront le jour que vingt ans plus tard environ.
131 À 4 km au sud de Génelard.
132 C’est-à-dire passer la journée à Bussy.
133 Au total, si Édouard ne s’arrêtait pas pour voir Lefebvre-Devaux à Laroche, il pourrait tout de même faire Paris-Baron dans la journée, après avoir passé près de 13 heures en chemin de fer et 14 h 30 en tout en transports. Aujourd’hui, un train partant de Paris-Gare de Lyon à 14 h 27 arrive à Génelard à 18 h 41 (un peu plus de quatre heures de voyage). Reste à aller de Génelard à Baron et il n’y a pas, de nos jours, apparemment, de ligne de bus. Si l’on n’a pas d’automobile et si personne ne vient vous chercher, on peut appeler un taxi (il y en a, sur place ou aux environs). Comptons cinq heures de trajet, si les trains n’ont pas de retard. On a donc, en un siècle et demi, divisé par trois le temps nécessaire sur des distances de ce type, mais la rupture n’est pas radicale. Le trajet peut s’effectuer dans la journée en 1869 comme en 2011. La vraie révolution s’est faite avant, ou plutôt pendant le Second Empire avec l’irruption des chemins de fer. Au XVIIIe siècle, il fallait un temps infiniment plus long pour aller de Paris à Baron : en 1760, quatre jours de Paris à Chalon par une des meilleures liaisons routières d’Europe (Paris-Lyon) plus le parcours aléatoire et chaotique de Chalon à Baron, soit cinq jours au mieux (voir Paul Charbon, Au temps des malles-poste et des diligences. Histoire des transports publics et de poste du XVIIe au XIXe siècle, Strasbourg, Jean-Pierre Gyss, 1979).
134 Il arrive à Jules d’énoncer des évidences.
135 C’est un traitement très honorable. Un chef de bureau à la préfecture d’Ille-et-Vilaine (Le Bihan, 2008), gagne moins, à cette date, un chef de division à peine plus. C’est nettement plus qu’un juge de paix débutant dans un canton rural (1 800 francs jusqu’en 1905).
136 Ce « pauvre » Eugène ? Il n’est pas vraiment à plaindre. Mais sa recherche d’une perception tourne à l’obsession, sans doute.
137 Autrement dit, c’est à Eugène et à ses relations de trouver le poste adéquat, pour le solliciter ensuite. Rappelons que nulle part, sauf dans l’armée, n’existe alors dans la fonction publique de système de tableau d’avancement. Même pas – surtout pas – dans la magistrature.
138 Chef-lieu de canton à 22 km au sud-est de Chaumont. Ne pas confondre avec Nogent-sur-Seine ou Nogent-sur-Marne. Ce Nogent-là est le pays de la célèbre coutellerie de Nogent.
139 Bourgade à mi-chemin (11 km dans chaque sens) entre Chaumont et Nogent. La « station » est un mot plus couramment utilisé en 1869 que « gare » qui va s’imposer par la suite. Foulain est située sur la ligne ferroviaire Chaumont-Langres-Dijon.
140 Jules est décidément un indicateur des chemins de fer et diligences vivant.
141 Jules n’en veut évidemment pas au percepteur de Nogent, apparemment très malade, mais, s’il venait à mourir, il n’en aurait guère de chagrin. Après tout, il ne le connaît pas et le malheur des uns… Sa stratégie familiale prime sur toute autre considération. Dans un environnement global où les créations de poste dans la fonction publique sont rarissimes, une « vacance » est une occasion à ne pas laisser passer. Il y a même plus souvent des suppressions que des créations. En Ille-et-Vilaine, le nombre de percepteurs passe de 126 sous Louis-Philippe à 53 à la veille de la Grande Guerre (Le Bihan, 2008).
142 On cherche à marier Édouard. Ce ne sera fait qu’en 1874. Apparemment, la beauté féminine fait partie de ses critères de sélection.
143 Sans rapport avec la commune de Longperrier en Seine-et-Marne. Il s’agit d’un lieu-dit sur celle de Grandvaux, à 2,5 km au nord de Baron, lieu où se trouve la principale résidence des Blondel.
144 Citation approximative de Boileau (Le Lutrin, chant premier) « Reprenez vos esprits et souvenez-vous bien/Qu’un dîner réchauffé ne valut jamais rien. » L’allusion de Jules ne nous dit rien de cette affaire de famille. Apparemment, Blondel aurait donné un premier grand dîner dont les Laizon auraient été exclus, ce dont ceux-ci se seraient froissés.
145 On soulignera ce point essentiel des relations sociales dans la bourgeoisie de province.
146 Jules distingue les amis et relations proches des connaissances plus lointaines : pour ces dernières, une carte suffit. De plus, à l’évidence, les mondanités ne sont pas le fort d’Édouard : « Être sûr de ne pas les trouver » constitue un argument décisif pour le pousser à déposer sa carte. Si, en plus, il lui fallait engager la conversation…
147 Son stage au Val-de-Grâce achevé, Édouard est envoyé comme premier poste, et comme Jules et lui-même le pressentaient, en Algérie. Est-ce là une forme de sanction pour un esprit rebelle ? Ses supérieurs et amis en seront persuadés longtemps (voir en annexes son éloge funèbre).
148 Il s’agit du célèbre Dictionnaire géographique et administratif de la France et de ses colonies d’Adolphe Joanne (1813-1881), fondateur par ailleurs des Itinéraires et Guides les plus célèbres d’Europe, contemporains de la naissance d’un certain tourisme de masse (masse certes encore très relative mais rompant quand même avec le tourisme aristocratique du XVIIIe siècle). Au départ, la Bibliothèque des Chemins de fer avait été créée par Joanne – un Dijonnais – chez Hachette en 1853. Elle fut remplacée en 1860 par l’Itinéraire général de la France, collection bientôt désignée, avant d’en prendre le nom officiel, comme les « Guides Joanne », dirigés par Paul (1847-1922), fils d’Adolphe, après la mort de ce dernier, puis renommés en 1919, Guides Bleus. Le Dictionnaire et les Guides, régulièrement mis à jour l’un comme les autres, sont deux ensembles différents.
149 On retrouve, porté ici à un point culminant, l’esprit méticuleux, parfois même un peu maniaque, de Jules quand il s’agit de sa famille. Savoir au moindre détail près quel itinéraire va suivre Édouard en France ou bien à quoi ressemble le territoire où on l’envoie rassure sans doute un caractère très inquiet – en même temps qu’un homme très attaché à ses enfants.
150 Conseils médicaux ! Voir la suite.
151 Dans les maisons bourgeoises, au XIXe siècle, la cuisine, pièce laissée, pour l’essentiel, aux mains des seuls domestiques, se trouvait le plus souvent au sous-sol.
152 Composé de nitrocellulose dissoute dans un mélange d’éther et d’alcool, inventé par Louis Ménard en 1846, utilisé tant dans l’armement comme composant des explosifs qu’en médecine comme pansement.
153 Pommade à base de cire et d’huile, utilisé en dermatologie au XIXe siècle et dit « saturné » quand il contenait des sels de plomb, censés le rendre plus efficace !
154 Remède traditionnel à l’efficacité aujourd’hui fort discutée.
155 Jules s’en tire à bon compte. Le risque d’infection grave, évidemment mal connu en 1869, était très réel.
156 Ces annexes sont bien de l’écriture de Jules et figurent dans le corps de la lettre à la suite du texte principal. On n’a évidemment pas indexé la totalité des noms propres cités ici.
157 Jules cite comme source principale le Dictionnaire géographique de Joanne. Mais il a aussi sûrement lu divers ouvrages de géographie, d’exploration, de voyages et peut-être quelques « guides » touristiques qui dès le départ ont couvert quelques destinations exotiques, au premier chef l’Égypte et l’Algérie. Mais, en 1870, il n’y avait pas de guide Joanne général pour l’Algérie. Cependant, Joanne et Hachette, son éditeur, avaient des concurrents, entre autres, le Nouveau guide général du voyageur en Algérie, publié chez Garnier en 1865 par Achille Fillias.
158 Plante herbacée des steppes qui fournit un papier de grande qualité.
159 Autre plante fibreuse qui peut servir à fabriquer de l’amadou.
160 Autre variété de pistachiers.
161 Ou pistachier de l’Atlas.
162 Le pistachier térébinthe fournit à la fois un bois très dur utilisable en ébénisterie et une résine naturelle très employée (avant l’ère des synthétiques), la térébenthine.
163 La grande famine de 1867-1868 avait enlevé entre 300 000 (chiffre minimum) et 600 000 personnes, peut-être, dans la population musulmane d’Algérie, soit entre 11 % et 22 % du total d’avant la catastrophe (2,7 millions d’habitants). Dans l’Algérie de 2011 (35 millions d’individus), cela correspondrait à une famine provoquant entre 4 et 8 millions de morts… Cela ferait sans doute quelques gros titres dans la presse mondiale. Or, la France de Napoléon III manifesta, opinion comme gouvernement, une grande indifférence, comme d’ailleurs la Grande-Bretagne face aux famines indiennes – ou irlandaises ! –, même si quelques bonnes volontés tentèrent des actions au fond dérisoires. On touche là une différence majeure entre les attitudes et mentalités du XIXe siècle et celles du XXe siècle finissant ou du XXIe commençant. Remarquons que Jules Lelorrain ne prend même pas la peine d’ajouter un adjectif comme « épouvantable » ou « atroce » à « famine ». Cependant, sa remarque soulignée sur la population européenne pourrait être interprétée comme la reconnaissance d’une scandaleuse inégalité. À la suite de la famine, une mission dirigée par le député Le Hon (voir la lettre du 28 mars 1870) aboutit à la conclusion que la politique du « Royaume arabe » initiée par Napoléon III était un échec complet et que l’avenir de l’Algérie reposait désormais sur la liberté totale de la colonisation. Voir C. A. Julien, 1979 et Tulard, 1995, article « Algérie ».
164 Inutile d’expliquer pourquoi Jules souligne ces mots.
165 Le djebel Khar ou Montagne des Lions.
166 Karguentah.
167 Une fois Édouard installé en Algérie, la correspondance va se faire plus systématique, dans les deux sens. L’éloignement, autant symbolique que physique, les pousse à une compensation épistolaire au moins aussi affective qu’informative.
168 Les « bureaux arabes », créés en 1844, avaient pour but de développer les contacts avec la population indigène, percevoir les impôts, rendre la justice, etc. Sous autorité militaire, ils comportaient souvent, outre le personnel administratif, un médecin. En butte à l’hostilité des colons, ils furent peu à peu abandonnés après 1870.
169 Visiblement, Édouard espère revenir très vite en métropole. Son moral, comme la suite le montre, est au départ assez bas.
170 Jules se fait quelques illusions sur l’équipement de l’Algérie en 1869. Seul fonctionnait à cette date le tronçon Alger-Blida. La ligne complète Alger-Oran, gérée par le PLM, ne sera ouverte qu’en mai 1871.
171 Patron, dont le nom a déjà souvent été cité, d’une importante fabrique de machines établie à Paris. « Vous avez encore décidé l’impression d’un rapport de M. Schultz sur un nouveau cylindre en caoutchouc destiné à remplacer les cylindres employés actuellement pour essorer, foularder et apprêter les tissus, et qui est fabriqué par la maison F. Cassassa de Paris. Le rapporteur a exprimé un avis favorable relativement à l’économie et à la bonté du travail de ces cylindres. », Bulletin de la Société industrielle de Mulhouse, t. XL, 1870. Karl était ingénieur des Arts et Manufactures. Jules orthographie Cassassa tantôt avec un seul « s » en seconde syllabe, tantôt deux. On a uniformisé l’orthographe sur la seconde version.
172 Si l’on comprend bien, pour ses enfants, Jules préfère une carrière tranquille dans leur région d’origine (il les verrait bien, il l’a dit, installés à Joigny comme médecin et percepteur), à l’image de l’idéal des notaires, magistrats et médecins qu’il connaît. Mais pour son neveu Karl, ingénieur, homme de l’avenir, il ne s’effraierait pas, au contraire, de le voir partir en Angleterre, en Allemagne voire aux États-Unis. Peut-on parler de souplesse d’esprit ou de souci de classement des hommes selon leurs types de vie ? Notons que pour lui, un bon diplôme doit signifier une activité rémunératrice. D’où le mépris envers le malheureux, bien que génial, Beau de Rochas.
173 Expression fautive. Les monts de Tessala ne sont pas une ville.
174 Il veut dire moins 5 et moins 7, sinon le « même » ne s’expliquerait pas.
175 Lettre manquante.
176 On remarquera la prudence et l’ambiguïté de Jules Lelorrain. L’Algérie est-elle, oui ou non, « la France » ? Il réserve sa réponse et, à notre avis, elle serait plutôt négative. La situation de l’Algérie est à cette date encore fort incertaine (pour autant qu’elle n’ait jamais été certaine entre 1830 et 1962). Huit ans auparavant, Napoléon III avait écrit la fameuse lettre du 1er novembre 1861 dans laquelle il indiquait au gouverneur général Pélissier que « Notre possession d’Afrique n’est pas une colonie ordinaire mais un royaume arabe ». Le 22 avril 1863, l’empereur promulguait un sénatus-consulte qui déterminait le régime de la propriété foncière en Algérie. En principe, il avait pour but d’arrêter les spoliations de terres au préjudice des tribus. En réalité, les colons obtinrent toutes sortes de dérogations qui rendirent les décrets impériaux inopérants. Toutefois, le ton arabophile des déclarations impériales continua à mécontenter la population européenne qui salua avec joie la chute de l’Empire, pensant obtenir de la République une nouvelle politique entièrement favorable.
177 Sidi-Bel-Abbès fut créée par ordonnance royale en 1847 sur l’emplacement d’une zaouïa (complexe religieux) bâtie sur le tombeau du saint de ce nom et qui serait mort vers 1780. On sait que l’islam maghrébin pratiquait le culte des saints de façon importante – culte formellement condamné par l’islam radical de type wahhabite ou autre. Sidi-Bel-Abbès fut construite sur un plan orthogonal dans une enceinte quadrangulaire percée de quatre portes. La ville fut par excellence le quartier général de la Légion étrangère en Algérie. En dehors de la garnison, elle avait 431 habitants en 1848 et 5259 en 1859 dont 2 046 Espagnols, peut-être 8 000 à la date où Édouard y fut envoyé en garnison. Le « cachet » de la ville, pure création coloniale, ne devait évidemment rien, s’il existait, à l’architecture arabe. L’empereur avait visité la ville en 1865.
178 Jules suppose bien : la « bourgeoisie » ne saurait se composer à cette date que de quelques négociants pas tous français, des fonctionnaires et des officiers de la garnison dont on ne saurait jurer qu’ils étaient tous « bourgeois ». Mais peut-être est-ce une formule rhétorique. Il sait bien qu’elle n’existe pas.
179 Confirmation de ce qu’on avançait plus haut.
180 C’est-à-dire pour les avoir au moindre prix, et faire ainsi des économies…
181 Jules ne pouvait pas se douter que la barbe deviendrait un siècle et demi plus tard le signe de ralliement des islamistes fondamentalistes.
182 Formule pessimiste que Jules va préciser et expliquer ci-dessous.
183 Pour « spahi ». Dans ce contexte, soldat auxiliaire indigène.
184 On sait que le voltairien Jules Lelorrain n’a qu’une estime limitée pour le christianisme. A fortiori pour l’islam.
185 L’idée que les Arabes pourraient disparaître d’Algérie est en fait assez commune à l’époque et on trouve même nombre d’auteurs qui pensent qu’il faudrait un peu aider la nature. Ainsi, le docteur Bodichon, dans un pamphlet rédigé vers 1844, Vade-mecum de la politique française, peut écrire : « Les tribus insurgées sont [= étaient] à la solde de la France, elles passent à l’ennemi avec armes et bagages, elles sont un régiment qui trahit son drapeau et assassine ses officiers. C’est une révolte militaire, d’autant plus grave qu’elle a été pardonnée plusieurs fois et qu’elle s’est répétée. Les tribus sont assassins [sic] : elles tuent pour piller, sans déclaration préalable, par conspiration et guet-apens. La France a commis une faute grave contre l’humanité, en ne les punissant pas. Elle a maintenu les habitudes des révoltes et d’assassinats sur la personne des colons, et des soldats isolés. La mort des insurgés sur le champ de bataille n’atteint qu’un petit nombre de coupables. Il faut une exécution sommaire des chefs, la suppression du nom de la tribu. Les femmes, les enfants, remis à la disposition de l’autorité et traités comme mineurs : tous les biens confisqués, les hommes transportés » (rééd. de 1883, Alger, p. 20). Ces idées n’avaient rien de la manie d’un isolé obsessionnel mais étaient assez répandues, même (surtout ?) dans les milieux républicains.
186 Il est bien difficile de prévoir l’avenir, qu’on soit astrologue, homme d’État ou magistrat…
187 Le « racisme » de Jules Lelorrain, comme celui de nombre d’esprits « avancés » de son époque, attitude très courante, voire universelle dans la société européenne de 1870, n’a donc rien de biologique. Nous sommes très loin du nazisme ou de l’apartheid sud-africain.
Ce qui rend les Arables inaptes à la civilisation, ce sont leurs mœurs, c’est leur religion. Qu’on en fasse des Français et le problème sera réglé.
188 Jules s’agace évidemment des récriminations d’Édouard qui a un bon métier, aucune charge de famille, la vie devant lui alors qu’Eugène est accablé de préoccupations autrement plus matérielles.
189 C’est le thème classique, initié par Michelet, repris souvent en filigrane chez Maupassant et encore très en vogue au XXe siècle, de la « misère en habit noir », celle des fonctionnaires, au ministère ou ailleurs. De fait, 1 810 francs à Paris pour une famille en 1869, ce n’est pas la fortune. Cela ne permet pas du tout de vivre « bourgeoisement ». On dira : mais que fait Jules des revenus de Gabrielle dont il nous a tant parlé ? En fait, il est probable que depuis les premiers mois de sa grossesse, a fortiori depuis qu’elle est mère, elle a cessé toute activité professionnelle. Or, un couple d’ouvriers où la femme fournit un revenu d’appoint – cas fréquent – gagne pratiquement autant et n’a pas les mêmes exigences sociales. D’où la recherche désespérée d’une perception rémunératrice par Eugène. Attention toutefois : devenir percepteur changerait la vie d’Eugène mai tout dépend de la perception et les chiffres cités plus bas par Jules ne doivent pas faire illusion. Dans l’arrondissement de Vitré en 1858, quatre perceptions sur onze rapportaient moins de 2000 francs par an et une seule (La Guerche) dépassait 4 000 francs (Le Bihan, 2008). Ce qu’il faut à Eugène, c’est une « bonne » perception.
190 Un cancer.
191 Noter comment l’argument moral est aux yeux de Jules moins décisif que les considérations pratiques.
192 Étienne Laizon, le neveu d’Alice.
193 Y a-t-il de l’ironie dans ce propos de Jules à l’encontre de sa femme ? On pourrait le croire.
194 Rochefort s’était exilé pour échapper à une condamnation. Un siège de député étant devenu vacant dans la Seine, il revint pour s’y présenter, fut aussitôt arrêté puis relâché, le gouvernement ne voulant pas en faire un martyr. Le 22 novembre, il fut élu député de la Seine en même temps qu’Arago, Crémieux et Glais-Bizoin, véritable plébiscite de la capitale contre le régime. Bien loin de l’apaiser, son élection le galvanisa. Le 19 décembre, il fondait le journal La Marseillaise, nouvelle arme acérée contre l’Empire.
195 Jules est ici mauvais analyste. Mais il est vrai que, jusqu’au bout, Napoléon III restera imprévisible. Moins d’un mois plus tard, le 27 décembre, il demandera à Émile Ollivier de former « un cabinet homogène représentant fidèlement la majorité du Corps législatif », premier embryon d’un empire parlementaire que la guerre folle de 1870 enterrera.
196 En 1852, l’Empire, alors plus qu’autoritaire, avait décidé que les débats du Corps législatif ne pourraient être communiqués au public que sous la forme d’une synthèse approuvée par le gouvernement et publiée au Moniteur. Un décret du 2 février 1861 permit la publication in extenso des débats par la presse, mais sans commentaires. Il passa toutefois à l’époque pour une manifestation de libéralisme et une preuve de l’évolution du régime.
197 La diphtérie, redoutable maladie infectieuse, demeurait une forte cause de mortalité : entre 3 et 4 000 morts par an, surtout chez les enfants, jusqu’à la Première Guerre Mondiale au moins. Mais certaines années, des épidémies pouvaient amener des totaux bien supérieurs : ainsi, plus de 13 000 morts en 1893. Un vaccin fut mis au point en 1925 mais c’est seulement à la fin des années quarante que la mortalité s’effondra. Les médecins de l’époque appelaient plutôt « croup » la forme infantile de la maladie, « angine couenneuse » la forme adulte – mais le diagnostic ne permettait pas toujours de la distinguer d’autres pathologies respiratoires –, diphtérie étant le terme générique. Dans une littérature surabondante, entre mille exemples : Du croup, de la diphtérie et de l’angine couenneuse par le docteur Comte-Lagauterie, Ribérac, 1870 ; Docteur A. Teste, Du Brome contre la diphtérie, croup, angine couenneuse, maligne, gangreneuse, etc., Paris, 1879.
198 Il ne s’agit sans doute pas d’une charge contre les notaires en général de la part du magistrat Jules Lelorrain. D’ailleurs, son frère Hippolyte exerça cette profession. Mais il veut dire que, compte tenu du caractère d’Amédée Vialay, la charge de notaire ne peut qu’accentuer ses mauvaises dispositions.
199 Jules ne veut sans doute pas trop déranger le jeune ménage mais il hésite à descendre chez les parents de Paul, pour des raisons évidentes.
200 Remarquons qu’il ne s’est pas déplacé pour le décès de son neveu Paul, alors même que ses liens avec la famille sont constants et étroits, mais huit jours plus tard, il bondit à l’annonce de la mort du percepteur de Nogent – et personne n’y voit rien d’anormal. Le coût des déplacements impose des priorités.
201 Jean-Baptiste, comte et maréchal Vaillant (1790-1872), ministre de la Guerre (1854-1859), grand maréchal du Palais, ministre de la Maison de l’empereur depuis 1860, chargé en outre, depuis 1863, des Beaux-arts [sic], était né à Dijon et, depuis 1857, il présidait le conseil général de la Côte-d’Or. Sa maison natale, sur laquelle figure aujourd’hui une plaque, était à deux pas de l’hôtel de Laloge. C’est donc un compatriote, un « pays » à qui le président du tribunal de Dijon vient, légitimement, demander de l’appui pour son fils.
202 Sur Magne et Vuitry, voir plus haut.
203 L’indifférence apparente d’Édouard est un peu étonnante. Aucune considération financière ni professionnelle ne la justifie. Mais Jules se garde bien d’être sévère : avec Édouard, cela ne sert à rien.
204 Le fusil « à tabatière », ainsi appelé parce qu’il se chargeait par une culasse mobile située sur le côté du fusil et s’ouvrant comme une tabatière, était, dans sa version de guerre, le fusil habituel de l’armée française avant 1866, date à laquelle les troupes de ligne reçurent le Chassepot, arme à tir beaucoup plus rapide qui brisa, en 1867, l’élan des Garibaldiens sur Rome à la bataille de Mentana (3 novembre). Le général de Failly eut à ce propos une formule qui, se voulant laudative, était plutôt malheureuse : « Les Chassepots ont fait merveille. » Le fusil à baguette, encore plus ancien, se chargeait par le canon et était, forcément, bien plus lent. Pour Jules, cela suffirait amplement comme arme de distraction pour Édouard : il ne saurait avoir d’autre fonction. De fait, si l’on gagne, par exemple 2 400 francs par an, 12 francs les cent cartouches constituent une dépense fort élevée.
205 Configuration très classique. Il n’est pas sûr qu’elle soit tellement différente (en France) dans la deuxième décennie du XXIe siècle.
206 Il y a quand même, en 1869, des lettres qui arrivent en retard…
207 Voir la lettre du 7 janvier 1868.
208 Pour le climat ? Parce que c’est le département de la famille d’Alix avec laquelle les relations sont devenues fréquentes et plutôt bonnes ?
209 Gabriel, dit Ernest, Légouvé (1807-1903), écrivain, dramaturge, critique, académicien français depuis 1855, spécialiste de l’histoire des femmes et partisan (modéré) de l’extension de leurs droits ainsi que d’une pédagogie moderne, active et sportive (ce qui ne l’empêcha pas, à 92 ans, de militer dans le camp antidreyfusard). De quel livre s’agit-il ? La Femme en France au XIXe siècle (1864) ? Messieurs les enfants (1868) ?
210 Journal satirique de François Polo, La Lune fut fondée en 1865 avec pour principal dessinateur André Gill. Interdit en 1868, le journal subit une éclipse et reparut donc dès 1868 sous ce nouveau titre, jusqu’en 1876. Comme il fut victime à de nombreuses reprises de la censure, Gill inventa un horrible personnage de mégère à lunettes, armée de grands ciseaux, « Anastasie » qui fut la personnification de l’institution liberticide, abondamment croquée bien plus tard par le Canard enchaîné. C’est L’Éclipse qui publia en 1872 l’ouvrage de Jules Claretie (voir bibliographie) sur la « Révolution » de 1870-1871, vraie mine de documents plus qu’analyse savante.
211 Titre imprécis.
212 Apparemment, on ne trouve pas de meubles de bon goût, ou bien pas au prix voulu par les cousins Perrin, à Sens. Il faut donc venir à Paris, une journée seulement. Tout un symbole de la vie en France au XIXe siècle !
213 Un des fils Perrin.
214 Curieuse topographie. Il n’y a évidemment pas d’avenue de Neuilly à Neuilly. Jules « le potard » est à Neuilly, tout simplement, dans ce qui constitue la première couronne (comme on ne dit pas encore) depuis les annexions haussmanniennes de 1860.
215 Content de 600 francs par an mais logé, nourri. Dans une société où il n’y a ni impôt sur le revenu, ni cotisations sociales, ce sont 600 francs pour s’habiller, se distraire et faire quelques économies. Jules Perrin est préparateur en pharmacie. À peu près à la même époque (1860), Xavier-Édouard Lejeune entre au magasin de nouveautés « Le Coin de rue » pour 300 francs seulement, logé, nourri, avec cependant une guelte en sus. Le logement et la nourriture sont comptés 600 francs et il estimait son revenu global à 1 200 francs, exactement comme Jules le potard, donc (Xavier-Édouard Lejeune, Calicot, Enquête de Michel et Philippe Lejeune, Paris, Arthaud-Montalba, 1984, p. 183).
216 Décidément, Jules sait « aplanir les angles » et valoriser les relations humaines d’un fils qui, à l’état naturel, semble avoir été souvent un peu négligent et assez « rugueux »…
217 L’enthousiasme de Jules est patent : c’est une des rares fois où il omet l’adresse vocative habituelle et entame la lettre sur le fait lui-même…
218 Pratique très ancienne, le cautionnement fut modernisé par un arrêt du Conseil du 17 février 1779, puis, après la Révolution, redéfini par la loi du 2 septembre 1807. Un très grand nombre de fonctionnaires, en général comptables publics, y étaient astreints, et pas seulement les percepteurs. Son but était évident : garantir les usagers du service contre les fautes ou détournements du fonctionnaire. Les règles du cautionnement des percepteurs avaient été précisées par la loi du 8 août 1847 (article 13) et, comme l’indique Jules Lelorrain, il était égal à trois années de produit estimé de la perception, et entièrement versé en numéraire, sauf rarissimes exceptions. Il produisait certes 3 % d’intérêts par an et le total, intérêt et principal, était reversé au comptable à sa sortie de charge, mais cela représentait souvent une lourde charge pour les intéressés (nombreux) qui ne venaient pas d’une famille ayant beaucoup de « bien ». Dans le cas de Charolles, il fallait disposer de 13 000 francs en numéraire et pas de l’équivalent en terres, ni même rentes ou titres. D’où les difficultés dont parle Jules un peu plus loin – avec les solutions possibles.
219 Eugène Ier Schneider, bien entendu (1805-1875), le maître de forges, le « marchand de canons », le seigneur du Creusot, constamment réélu député sous le Second Empire, président du Corps législatif depuis 1867, premier président de la Société Générale fondée en 1864… Il est évident que le ministre n’aurait rien eu à lui refuser en Saône-et-Loire.
220 De toute manière, ce n’est pas un revenu négligeable, comparé aux 1 800 francs que touchait Eugène au ministère, ni même au salaire de Jules. En tant que président du tribunal de Dijon, tribunal de 4 e classe, celui-ci gagne, on l’a vu, 6 000 francs par an, mais il a 59 ans, est en fin de carrière et occupe un grade déjà élevé dans la magistrature. Eugène n’a que 28 ans ! Encore les traitements des magistrats ont-ils été sensiblement augmentés par le décret du 2 octobre 1862.
221 3 300 habitants à cette date.
222 Petite commune au nord de Charolles. Voir la lettre du 1 er octobre 1869.
223 Jules ayant dans le Charolais, comme on l’a vu, de nombreux parents, fût-ce par alliance, et amis. Les parents et amis d’Alix sont particulièrement redoutés : voir ci-dessous !
224 On a déjà vu la différence que fait Alix entre Eugène et Édouard, pour des raisons qui nous échappent un peu.
225 Pour son propriétaire à Paris. Eugène n’a évidemment pas d’économies, compte tenu de son petit salaire.
226 « Pour donner aux comptables et officiers ministériels peu aisés la possibilité de se procurer, à titre de prêt, les sommes nécessaires pour constituer leurs cautionnements, les lois des 25 nivôse et 6 ventôse an XIII et les décrets des 28 août 1808 et 22 décembre 1812 concèdent aux bailleurs de fond un privilège de second ordre, c’est-à-dire que l’État seul peut toucher aux fonds de cautionnement et dans les cas prévus par la loi », Maurice Block, 1877, t. 1, p. 358. Le prêteur était ainsi à peu près complètement garanti et sûr de récupérer ses fonds. Trouver un bailleur de fonds était donc la meilleure solution et le cautionnement ne présentait pas de difficultés insurmontables pour qui disposait d’un certain réseau social. Ce qui était le cas de Jules.
227 C’est-à-dire la caution personnelle de Jules Lelorrain !
228 Les relations de Jules et d’Alix sont décidément assez complexes…
229 Pourquoi Bar-le-Duc ? On n’a pas de précision. Certes, Jules a habité, très jeune, Metz et son père est né à Charleville. Mais il n’y a pas en France d’armuriers compétents uniquement à Bar-le-Duc…
230 À chargement par la bouche. Mais à deux coups (pour la chasse, c’est un point important) et moins coûteux d’usage comme l’a déjà expliqué Jules.
231 Plusieurs degrés en dessous de zéro !
232 Les légionnaires ne sont donc jamais malades ? Ou peu sensibles aux petits bobos ?