1 Édouard est élève-officier du service de santé des armées à Strasbourg. L’École avait été installée à Strasbourg sur instruction de l’empereur en 1856. Voir L’École impériale du service de santé militaire de Strasbourg (1856-1870), Textes réunis à l’occasion du 150e anniversaire de la création de l’École Impériale du Service de Santé Militaire de Strasbourg (1856-2006) par Jean-Marie Le Minor, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2007, 486 p.
2 Tous les mots et membres de phrase soulignés le sont dans le manuscrit.
3 Jules utilise indifféremment les mots « hospice » et « hôpital » qui sont à l’origine un doublet, le premier terme populaire, le second savant, avec le même sens.
4 Antiseptique découvert en 1811 (de manière empirique, la notion d’antisepsie étant bien sûr inconnue à cette date) et très utilisé au XIXe siècle.
5 Ami de Jules dont il sera souvent question dans ces pages. Son fils était condisciple d’Édouard à Strasbourg, lequel Édouard ne semble pas avoir eu beaucoup de sympathie pour le fils Landais.
6 Eugène semble plus flexible, plus dilettante, que son frère, ami des plaisirs, moyennement persévérant (sa correspondance le prouve), aimable, apte aux relations sociales, mais aussi assez cyclothymique, comme on ne dit pas à l’époque (première occurrence, 1923).
7 Édouard est le cadet d’Eugène.
8 Employé au ministère des Finances, Eugène gagne environ 1 800 francs par an. C’est mieux que la plupart des salaires ouvriers parisiens, moins que ceux des travailleurs manuels les mieux payés (typographes, par exemple), c’est très insuffisant pour mener un mode de vie « bourgeois ». Voir l’ouvrage fondateur de Marguerite Perrot, Le Mode de vie des familles bourgeoises, 1873-1953, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1953, qui s’applique à une période un peu postérieure, mais de peu (dans sa première partie).
9 Le 21 avril 1867.
10 On verra que Jules adore les promenades, à pied ou en voiture (à cheval).
11 « Miss » en raison de sa froideur et de sa réserve (voir la lettre du 8 mars suivant), supposées être des « vertus » typiquement anglaises.
12 Puligny-Montrachet, commune productrice de vins célèbres.
13 Conseiller à la cour d’appel, Jules est souvent appelé, comme le veut son statut, à présider les assises d’un des trois départements du ressort (Côte-d’Or, Haute-Marne, Saône-et-Loire).
14 À titre d’exemple, et puisque Jules l’évoque en détails, on a placé en annexes le rôle complet de cette session et indiqué les verdicts (ADCO, 2 U 1327).
15 Les Rayé sont les cousins de Mulhouse.
16 Belle-mère de Rayé.
17 Berthe est depuis longtemps décidée à devenir religieuse au grand désespoir de son père et de ses frères, du très anticlérical Édouard en particulier. Jules a cru trouver une solution : ce « moratoire » d’un an permettra peut-être un changement d’attitude. Mais il ne se fait guère d’illusions, en quoi, on le verra, il a tout à fait raison.
18 Famille amie de Chaumont.
19 Les juges de paix, un par canton, avaient été créés par la loi des 16-24 août 1790, modifiée profondément par celle du 29 ventôse an IX. Leur rôle fut considérable en matière civile, pénale (pour les petites infractions), voire politique pendant une bonne partie du siècle. Jusqu’à la loi du 13 juillet 1905, aucun diplôme, aucune capacité n’étaient exigés, la liberté de nomination de la chancellerie étant plénière. La procédure était complexe : présentation (qui pouvait être divergente) par le président du tribunal concerné et le procureur, liste définitive établie par les chefs de la cour (premier président et procureur général), nomination par le ministre, le tout se mêlant d’interventions diverses à poids inégal : maires influents, parlementaires (de loin les plus importants), magistrats, comme ici Jules Lelorrain, simple conseiller à la cour de Dijon. Voir Jacques-Guy Petit (dir.), Une justice de proximité : la justice de paix (1790-1958), Paris, PUF, 2002. Sur l’organisation générale de la justice en 1867, voir les annexes.
20 Chef-lieu de canton de la Haute-Marne malgré sa faible population (guère plus de 500 habitants), célèbre dès le XIXe siècle par son église, exemple très rare de transition art carolingien-art roman, remarquée par Mérimée en 1843.
21 Le juge de paix en place.
22 Comme on le verra, il sera souvent question de la Haute-Marne et de Chaumont, sa préfecture, dans ces pages. Jules y fut président de tribunal de 1861 à 1865 et le département fait partie, avec la Côte-d’Or et la Saône-et-Loire, du ressort de la cour d’appel de Dijon. Notons une fois pour toutes que Jules met systématiquement des majuscules à « Président [de cour ou tribunal] », « Procureur », « Tribunal », etc. On se valorise comme on peut.
23 Cousines de Jules, résidant à Chaumont, souvent citées dans ces pages, toujours avec une certaine forme d’apitoiement, de sympathie mêlée de tristesse. Louise Hébert semble avoir vécu avec un ennui profond dans la préfecture de la Haute-Marne (voir la lettre du 15 septembre 1868).
24 La teinture d’arnica, préparée à partir d’une fleur (aster des montagnes), était utilisée contre les contusions et hématomes, au moins depuis le Moyen Âge. L’OMS ne lui donne guère aujourd’hui que l’efficacité d’un placebo.
25 « En termes d’ancienne chimie, saturne, le plomb ; sel de saturne, la combinaison de l’acide du vinaigre avec l’oxyde de plomb, quand cette combinaison est solide ; et, extrait de saturne, cette même combinaison, quand elle est à l’état de sirop » (Dictionnaire de l’Académie française, éd. de 1835).
26 Les propriétés, supposées ou réelles, anti-inflammatoires, antalgiques et antiseptiques du camphre sont utilisées depuis longtemps par la médecine traditionnelle chinoise. Célèbre médecin, homme politique socialiste, candidat malheureux à l’élection présidentielle de décembre 1848, François Raspail, en faisait un remède presque universel. Son fils, Émile, avait fondé en 1858 une société pour exploiter les découvertes de son père en cette matière.
27 Neveu-Lemaire, le procureur général étant Imgarde de Leffemberg. Sur ces magistrats, voir, respectivement, les lettres des 30 mai 1869 et 8 février 1870.
28 Président de chambre à la cour, supérieur hiérarchique direct de Jules Lelorrain – « légitimiste avancé » selon ses supérieurs (voir son dossier), mais entièrement dévoué à l’ordre et donc à l’empereur, et surtout très clérical, il fit à plusieurs reprises des dons significatifs aux Ursulines de Flavigny, le couvent où Berthe ira prendre le voile (ADCO, 1 V 416).
29 Le préfet étant à cette date le baron Louis Charles Jeanin. Le bal de la préfecture était un rendez-vous mondain et social important dans les villes moyennes telles que Dijon.
30 Conseiller à la cour, comme Jules. Les mariages entre magistrats ou « aspirants à la magistrature » sont plus une règle qu’une exception.
31 Le propriétaire de la très belle maison des Lelorrain, près de l’église Saint-Michel. Jules en reparlera à plusieurs reprises. Elle avait été construite dans la première moitié du XVIIe siècle pour Jacques de Requeleine, receveur des gabelles, et achetée en 1786 par Claude de Laloge, conseiller au parlement de Dijon (1727-1788), grand-oncle du propriétaire de 1867. La photo (actuelle) de cette maison figure en annexes.
32 Curieuse formule, mais explicable sous la plume d’un juriste. À cette date en effet (1867), le divorce, créé par la Révolution en 1792, maintenu dans le code civil de 1804, n’existe plus en France (il a été supprimé par la loi Bonald de 1816). La loi Naquet rétablira le divorce en 1884 mais sans pouvoir y inclure la séparation « par consentement mutuel » qui existait en 1792-1816, du fait des très vives oppositions d’une partie de l’opinion – catholique et/ou moralement conservatrice – et de ses représentants. Il faudra pour cela attendre 1975.
33 Cet énoncé d’une règle normative de comportement n’est pas sans intérêt. Est-ce à dire que nombre de bourgeois n’usaient pas de politesse avec leurs domestiques ? Poser la question, c’est y répondre.
34 La crainte permanente que Jules n’ait des relations sexuelles avec ses bonnes sera, tout au long de cette période, un souci constant et irréfragable d’Alix. Résultat : aucune ne reste longtemps dans la maison. Jules s’en défend absolument et, compte tenu de la sincérité globale des lettres à Édouard, sans doute peut-on le croire. Ou alors, il est très hypocrite (ou très prudent !). Par ailleurs, l’expression « Cette pauvre Alix », assez peu fréquente au départ, va devenir récurrente à compter du milieu de l’année 1868. L’état réel des relations dans le couple Lelorrain est difficile à apprécier exactement.
35 Fille de la « tante Germain » dont il est question ci-dessous, et donc cousine d’Émilie Camille Demay, la mère d’Eugène, Berthe et Édouard, première épouse très regrettée de Jules, morte en 1856, à 36 ans, de la tuberculose.
36 Tante d’Émilie Demay (sœur de son père) et donc grand-tante d’Eugène, Berthe et Édouard.
37 Victor Duruy (1811-1894), le grand ministre de l’Instruction publique de Napoléon III (1863-juillet 1869), créateur d’un enseignement féminin secondaire public et de l’École Pratique des Hautes Études, attentif au développement de l’enseignement primaire, qu’il aurait souhaité gratuit et obligatoire, etc. Il fut constamment la bête noire de la droite bonapartiste et surtout de l’Église (particulièrement du bouillant évêque d’Orléans, Dupanloup), mais soutenu par l’impératrice Eugénie, elle-même féministe (au sens de l’époque). La mise à la retraite de Petit témoigne de l’arbitraire complet qui est le lot des fonctionnaires civils au XIXe siècle, contrairement aux officiers de l’armée et aux magistrats du siège.
38 Peut-être Petit pense-t-il à un départ de Duruy, vu le nombre d’ennemis qu’avait celui-ci. Mais le ministre fut, jusqu’en 1869, constamment appuyé par l’empereur qui ne s’en sépara qu’à regret.
39 Adolphe Vuitry (1813-1885), un Bourguignon (né à Sens, la ville de Petit, justement), sous-secrétaire d’État aux Finances du 26 avril au 26 octobre 1851 dans le cabinet Léon Faucher. Il présida le Conseil d’État de septembre 1864 à juillet 1869. Beau-père d’Henri Germain, le fondateur du Crédit lyonnais, gouverneur de la Banque de France de 1863 à 1864, président du PLM ensuite, il fut un représentant typique de cette élite politico-économique située au cœur du système de pouvoir sous Napoléon III. Les liens d’origine géographique entre « notables montés à Paris » sont une composante essentielle de la mobilité et, plus généralement, des relations sociales. On reparlera de Vuitry dans ces pages : il fait partie du réseau extérieur que peut mettre en branle Jules Lelorrain, quand il le faut.
40 Pronostic erroné.
41 Le frère de Jules, Hippolyte, sa femme et ses enfants. Il en sera très souvent question dans ces pages. Voir en annexes les arbres généalogiques.
42 Le plus brillant des fils d’Hippolyte, ingénieur des Arts et Manufactures, c’est-à-dire « centralien » comme l’on dirait aujourd’hui, l’École centrale de Paris, fondée en 1829, se nommant en réalité École centrale des arts et manufactures.
43 Sur les Beau de Rochas, voir la lettre du 26 juin 1867.
44 Pas d’autre information sur cette personne.
45 Édouard lui-même bien entendu.
46 Masson-Naigeon, riche négociant, président du tribunal de commerce de Dijon, un des meilleurs amis de Jules Lelorrain. Père du magistrat Ernest Masson dont il sera souvent question.
47 Rappelons que, jusqu’à la loi du 25 novembre 1941, loi de Vichy validée à la Libération, les trois magistrats professionnels ne délibéraient pas avec les douze jurés, au grand dam du corps professionnel qui ne cessa de réclamer une réforme. À l’époque où Jules écrit ces lignes, le président disposait toutefois d’un puissant moyen d’intervention : l’article 336 du Code d’instruction criminelle prévoyait que, les débats clos, le président effectuait un « résumé » de ceux-ci, présentant les preuves pour ou contre la culpabilité de l’accusé. Ce « résumé » fut souvent accusé de manquer à l’impartialité : nombre de présidents énuméraient les « pour » et, en serrant les dents, quelques rares « contre ». Il fut donc supprimé par la loi du 19 juin 1881.
48 Curieuse assertion, contraire aux règles qui définissent la tentative, considérée comme le crime même, ce qui est d’ailleurs rappelé dans l’arrêt lui-même. Jules veut sans doute dire que le jury a considéré que l’accusée avait volontairement mis une dose de poison trop faible et n’avait pas l’intention de donner la mort. Mais alors, autre question : comment l’a-t-il su, comment a-t-il su ce que le jury avait établi ou non ? Les questions posées ne le permettaient pas et il ne délibérait pas avec le jury. A-t-il eu des confidences (en principe interdites) de la part d’un ou plusieurs membres de celui-ci ? Les rapports entre président et jury sont ici éclairés d’un jour assez cru.
49 « Il » : l’accusé bien sûr, pas le docteur…
50 Perrecy-les-Forges, village du Brionnais connu pour son église romane comportant des éléments carolingiens.
51 Une des sœurs d’Alix.
52 Favre-Gilly de son nom complet, notaire, frère de l’ancien président du tribunal de Bourg-en-Bresse dont il sera aussi question plus loin, fils de notaire lui-même. Les deux Favre sont les oncles d’Alix, les frères de sa défunte mère.
53 Jules partage, avec presque tous ses collègues, des préjugés contre le jury, coupable de prononcer trop d’acquittements « scandaleux ». Voir Elisabeth Claverie, « De la difficulté de faire un citoyen. Les acquittements scandaleux du jury dans la France provinciale du début du XIXe siècle », Études rurales, n os 95-96, 1984. Tout ce qu’on peut savoir à ce sujet montre que, contrairement à une idée aujourd’hui ressassée dans le débat public, les jurés « populaires » sont toujours plus laxistes, plus indulgents, que les magistrats professionnels. C’est bien pour cela qu’une loi de 1923 correctionnalisa l’avortement, les taux d’acquittement en cour d’assises ayant atteint près de 70 % et les circonstances atténuantes pour les seuls faits condamnés, près de 85 % (voir CGAJC pour les années précédant 1914).
54 Restriction d’époque. En fait, il n’a que 57 ans…
55 Saint-Léger-sur-Dheune, à une dizaine de kilomètres au sud de Chagny. Le village se trouvait sur la ligne Dijon-Montchanin (entre Le Creusot et Montceau-les-Mines), ouverte en 1861, et il fallait, à partir de là, prendre une voiture pour Autun.
56 Il n’y aura jamais de ligne directe Dijon-Autun. Aujourd’hui encore, la SNCF assure une correspondance par autocar à partir de Chagny. Quelques trains, assez rares, permettent une liaison ferroviaire un peu plus directe par Étang-sur-Arroux (ligne de Nevers). La ligne à voie unique Nevers-Montchanin par Luzy et Étang fut ouverte fin 1867 : au début de l’année, elle s’arrêtait encore à Cercy-la-Tour, dans la Nièvre. Il eût certes été plus simple pour Jules et Alix d’aller en train jusqu’à Étang, à 17 km d’Autun, mais ce ne sera possible que quelques mois plus tard. Mais c’est la réflexion générale de Jules qui est intéressante : selon lui, le service des diligences, voitures de poste, voitures de place, se dégraderait par rapport au début du siècle en raison de la concurrence des chemins de fer, et plus l’arrivée des chemins de fer serait imminente, plus la désorganisation serait rapide et forte. C’est possible et la remarque serait capitale au niveau de l’histoire des techniques. La tendance s’accentuera encore, sans doute après 1878, le plan Freycinet et l’explosion des chemins de fer de « troisième niveau » qui, vers 1914, desserviront presque tous les chefs-lieux de canton de France. Mais de nombreuses communes ne resteront accessibles, avant les années vingt et l’automobile, que par des voitures à chevaux de plus en plus rares et de moins en moins confortables. Sur les chemins de fer à l’époque, en général, voir François et Maguy Palau, Le rail en France : le Second Empire, 3 vol., notamment le tome 3, 1864-1870, Paris, F. et M. Palau, 2004.
57 31 km.
58 Saint-Léger-Couches, 6 km ; Couches-Autun, 25 km. Le témoignage humain est chose fragile et imprécise, aurait pu dire le président de la cour d’assises. Mais il y a une explication : le voyage a duré 5 h ½. On peut penser que les fantaisies du palefrenier ivre ont conduit à effectuer un trajet St Léger-Couches en presque deux heures et demie et qu’ensuite, dompté par les fortes injonctions de Jules Lelorrain, le conducteur a mené la voiture en trois heures de Couches à Autun (à 8 km/heure, c’est possible).
59 Le mariage civil a donc eu lieu un mardi et le mariage religieux un mercredi. Or, ce n’est pas un mariage « entre deux portes et deux témoins ». Il y a repas de noces, et même, apparemment, « retour de noces ». Cela serait tout à fait invraisemblable en ce début du XXIe siècle mais les mœurs ont, en ce domaine, beaucoup changé. Le statut du mariage comme institution a été en fait complètement bouleversé depuis deux siècles. Le mariage d’autrefois avait une fonction sociale importante dans toutes les classes du même nom ; son rôle en matière sexuelle et de reproduction de l’espèce est assez connu pour ne pas avoir à insister ; enfin, il constituait à tous points de vue un rite de passage aux fonctions incroyablement complexes (voir Arnold Van Gennep, Le Folklore français, Paris, 1943, rééd. Robert Laffont, 1998, t. 1, p. 333-557 et Jean-Claude Bologne, Histoire du mariage en Occident, Paris, Hachette, 2005). Sans avoir le moins du monde disparu, il a perdu une grande partie de tous ces offices, les second et troisième en particulier mais il a en revanche revêtu d’autres fonctions liées aux comportements individuels et familiaux, dans le cadre d’une société où les fêtes chômées, les jours fériés, les vacances, les déplacements et voyages ont pris un tout autre aspect, attaché aux loisirs. Et en tout cas, un mariage de ce type ne peut plus guère se dérouler un mercredi.
60 Jules, comme nombre de passages de ces lettres le prouvent, est aussi déiste qu’anticlérical.
61 Elle a dû estimer qu’Alix se mariait imprudemment avec un homme sans fortune cherchant à doter ses enfants (ce qui était parfaitement exact). Les relations s’amélioreront vite : il sera souvent question dans ces pages des Laizon, le mari étant dénommé sous le sobriquet, sans doute familial, de « père Zon ».
62 Jules Lelorrain n’est aucunement infatué de sa position de magistrat, et de magistrat d’un certain grade. Toute sa correspondance montre qu’il est très conscient de ce que la magistrature n’est pas le centre du monde. Il semble avoir eu assez peu l’esprit de corps. Mais la position qu’il occupe, comme magistrat, dans la France de 1867, lui semble hiérarchiquement élevée dans la société, sauf, hélas, d’un point de vue financier.
63 Autun-Perrecy, 49 km. Soit, avec une voiture de place « normale », un voyage de 6 à 7 heures. Jules aurait donc dû arriver vers 14/15 heures, comme on dirait aujourd’hui. Mais les incidents de route sont monnaie courante.
64 Jules Lelorrain est en vacances ou plus exactement en congé. Sur les vacances et congés des magistrats, voir la lettre du 22 juin 1868.
65 Haies vives, terme particulièrement utilisé dans le Nivernais et le Brionnais.
66 La ligne Le Creusot-Montceau-les-Mines-Paray-le-Monial (se dirigeant ensuite vers Digoin et Moulins) est en voie d’achèvement. Elle sera inaugurée le 15 septembre 1867, la station de Génelard se situant en effet à 4 km de Perrecy-les-Forges (une grosse demi-heure de voiture à cheval).
67 Mme Blondel et Mme Bouillin, épouse du « jeune notaire », sont deux des « nièces » d’Alix. Mme Blondel (Marie Caroline Noémie Mielle) est en fait la fille d’une cousine germaine d’Alix, cousine née Favre et épouse de Mielle, président du tribunal de Charolles. Son époux est Hippolyte Blondel dont il sera souvent question, lui-même magistrat. Jules ne fréquente pas que des magistrats, mais il en fréquente beaucoup… Ici, toutefois, il s’agit de relations apportées par Alix.
68 Selon Littré, « Commun des martyrs » est une formule de liturgie : « Le commun des martyrs, les martyrs pour lesquels l’Église prie en masse ». Mais « Supérieur au… » est une expression rare, même au XIXe siècle. On la trouve notamment sous la plume d’Erckmann-Chatrian (L’Oreille de la chouette, 1860) et de Victor Considérant (Discours prononcé à l’Hôtel de Ville, 1835). Elle semble signifier que « le commun des martyrs » étant une vaste foule indifférenciée, y être supérieur implique des capacités et qualités particulières voire exceptionnelles.
69 Il y avait donc eu un projet de mariage, vite avorté. Eugène n’était sans doute pas assez riche.
70 Épouse d’un industriel parisien dont il sera souvent question dans ces pages. Il deviendra le patron de Karl, neveu de Jules et cousin d’Édouard. Voir la lettre du 19 novembre 1869.
71 Lettre très inhabituellement courte et qui va être suivie de deux missives d’une longueur exceptionnelle, uniques même dans cette correspondance. Il n’y sera question ni des cousins d’Alix, ni des études d’Édouard, ni des projets de mariage ou des recherches d’une perception pour Eugène, ni de Napoléon III, mais de philosophie et de religion. On sent ici, à cent cinquante ans de distance ou presque, Jules tout à fait bouleversé. On peut deviner pourquoi, à la lecture des lettres suivantes. Édouard vient de faire une sorte de déclaration d’athéisme radical qu’il ne remettra guère en cause par la suite. Le déiste voltairien, républicain, qu’est Jules Lelorrain est remué jusqu’au fond de son être et il va très, très longuement répondre. La suite montrera que cette argumentation demeurera sans effet. Les raisonnements les plus construits ne prévalent jamais sur les convictions.
72 C’est une des très rares lettres qui ne commence pas par une dédicace vocative. Pas de « mon cher ami » ni de « mon cher Édouard ». On voit par là son importance. Outre sa longueur, elle est aussi tout à fait curieuse. Anéanti, on peut l’affirmer, par la profession de foi athéiste d’Édouard, Jules ne va pas compter ses efforts pour tenter de l’infléchir, en étant, au fond de lui-même, convaincu qu’en matière de foi et de croyance la dialectique (mot qu’il n’emploie pas) ne sert à rien ou presque. Il veut simplement (il le dira dans la lettre suivante) prendre date et laisser le temps faire son œuvre. La construction de cette lettre appelle quelques remarques : Jules nous dit ailleurs qu’écrire une lettre de quatre pages lui demandait une heure. Ici, il y en quinze. Donc, le simple travail matériel d’écriture doit représenter environ quatre heures. Quant au travail intellectuel, c’est une autre affaire. Il ne s’agit pas seulement de raconter des faits quotidiens mais d’effectuer des recherches sur des thèmes fort sérieux aux fins d’une démonstration. Cela aurait dû demander des jours, or Jules Lelorrain n’en a évidemment pas le temps. On verra donc ci-dessous comment il procède : en fait, il a sous la main deux ou trois ouvrages d’apologétique ou quelques anthologies littéraires et il en use sans beaucoup de finesse, parfois en choisissant des documents en fonction de leur proximité sur quelques pages des livres en question. S’il avait vécu à notre époque, on aurait dit qu’il faisait sans nuance aucune du « copier-coller ». Il serait vain de le lui reprocher : il n’est ni écrivain, ni philosophe, il a ses soucis, son métier, sa famille qui l’occupent assez, on le voit semaine après semaine. Il n’est pas question ici de juger, sauf pour souligner que parfois son raisonnement est très faible en logique, ce qui est somme toute assez naturel.
73 C’est une évidence.
74 Comme tous les croyants, quelle que soit leur croyance, y compris l’athéisme, Jules a tendance à pratiquer une forme de terrorisme intellectuel. L’opinion de « Tous les savants », toutes les « découvertes de la science moderne » prouveraient l’existence de Dieu et de l’âme…
75 Jules écrit « suggestion » mais il y a évidemment là une faute.
76 Le bas de la page est déchiré, il manque trois mots : « Tu as [ ?] ».
77 Contrairement à ce qu’on a parfois dit de lui aux XVIIIe et XIXe siècles, La Bruyère est un conservateur, en politique comme en religion. Il n’a rien d’un libertin, au sens du XVIIe siècle : ce n’est ni Bayle, ni Fontenelle, ni Cyrano de Bergerac (le vrai).
78 Parfait exemple de raisonnement circulaire, entièrement clos, qui interdit toute controverse.
79 Entre « trompeur » et « homme », dans l’original, une phrase coupée : « Quoiqu’on ne puisse pas parvenir à y répondre, il ne faut pas moins s’obstiner à y résister. » Toutes les coupures marquées ici et dans toutes les citations suivantes le sont par nous. Jules ne les fait pas ressortir.
80 Joseph Joubert (1754-1824), moraliste français, qui ne publia rien de son vivant. À sa mort, sa veuve confia à Chateaubriand, son ami, ses cahiers et sa correspondance. L’auteur des Martyrs fit paraître en 1838 à Paris un Recueil des pensées de M. Joubert, plusieurs fois augmenté par la suite.
81 Exactement, Titre XII, De la philosophie, de la métaphysique, des abstractions, de la logique, des systèmes, maxime XLVII, p. 325, dans Pensées, essais, maximes et correspondance de J. Joubert, recueillis et mis en ordre par M. Paul Raynal et précédés d’une notice sur sa vie, son caractère et ses travaux. Seconde édition revue et augmentée, tome premier, Paris, Librairie Veuve Le Normant, 1850. Jules donne parfois des références un peu incertaines, qui sont celles des compilateurs eux-mêmes parfois hâtifs auxquels il recourt (voir ci-dessous).
82 C’est évidemment une traduction. Une autre, sans doute plus claire : « Un jugement auquel tous donnent leur adhésion […] est nécessairement vrai. Il faut donc reconnaître qu’il y a des dieux », trad. Charles Appuhn, Paris, Garnier, 1935. L’affirmation de Cicéron est épistémologiquement insoutenable.
83 La culture scientifique de Jules n’est pas sans limites. Il connaît Cuvier mais ne cite ni Lamarck ni Darwin. Or, la première édition de ce dernier en France a été faite en 1862 (traduction et préface de Clémence Royer). S’agit-il d’omissions volontaires ? C’est très possible, vu le type de démonstration qu’il est en train d’administrer. Les « six mille ans » ne font pas pour autant de Jules un fondamentaliste chrétien, bien au contraire, même s’il semble conserver à la Genèse une certaine crédibilité. Il parle de l’âge du monde dans son organisation actuelle, pas depuis la Création. En fait, le chiffre se réfère bien davantage à Cuvier : « Je pense donc […] que s’il y a quelque chose de constaté en géologie, c’est que la surface de notre globe a été victime d’une grande et subite révolution, dont la date ne peut remonter beaucoup au-delà de cinq ou six mille ans [c’est nous qui soulignons] ; que cette révolution a enfoncé et fait disparaître les pays qu’habitaient auparavant les hommes et les espèces des animaux aujourd’hui les plus connus ; qu’elle a, au contraire, mis à sec le fond de la dernière mer, et en a formé les pays aujourd’hui habités ; que c’est depuis cette révolution que le petit nombre des individus épargnés par elle se sont répandus et propagés sur les terrains nouvellement mis à sec… » (Discours sur les révolutions du globe – Paris, 1822, rééd. 1881, p. 173.) La pensée de Jules Lelorrain semble donc très proche de l’école dominante fixiste, celle de Cuvier, et au contraire, comme chez nombre de bourgeois français éclairés de son temps, hostile à l’évolutionnisme, sans que la pratique religieuse y soit pour grand-chose. Le globe a subi de nombreuses mutations et à chaque fois un renouvellement complet – ce qui, pour Jules, implique lors de chaque cataclysme l’intervention volontaire d’un esprit supérieur. Notons la frilosité, classique, de cette classe moyenne instruite devant des avancées de la science peu favorables à la tranquillité d’esprit. Dès 1862, cinq ans avant cette lettre, le physicien anglais Lord Kelvin évaluait l’âge de la Terre à cent millions d’années, Darwin, lui, pensait à 300, l’un comme l’autre étant bien loin du compte.
84 Boubée, Nérée de son prénom, (1806-1862), professeur à l’université de Paris, géologue, naturaliste.
85 Il manque : « Platon, Newton, Locke, ont été frappés également de cette grande vérité. Ils étaient théistes dans le sens le plus rigoureux et le plus respectable. Des objections ! On nous en fait sans nombre : des ridicules ! On croit nous en donner en nous appelant cause-finaliers. Mais [des preuves]. »
86 « Satire » de 1772.
87 Julien-Joseph Virey (1775-1846), médecin et anthropologue français. Il était partisan d’un polygénisme « modéré », pensant qu’il y avait deux espèces humaines, la blanche et la « noire ». L’idée eut de l’avenir.
88 Comme la plupart des citations de cette lettre, celle-ci est de deuxième main. Jules l’a prise, non pas dans le Dictionnaire de Virey lui-même, mais dans Auguste Nicolas, magistrat, Études philosophiques sur le christianisme, Paris, Librairie de piété et d’éducation, 1re éd. 1845. Il utilise sans doute l’édition augmentée de 1865, alors très récente. La citation y est exactement la même (p. 103 dans cette 17e édition, 1865), y compris l’incise « dit un savant naturaliste », placée au même endroit. L’ouvrage de Nicolas avait l’imprimatur de l’archevêque de Bordeaux et était honoré d’une préface de Lacordaire. L’édition de 1865 comportait un appendice du géologue et naturaliste Joachim Barrande (1799-1883) qui tentait de lever les contradictions apparentes entre réalités géologiques, existence des fossiles et lettre de la révélation, de la Genèse en particulier. Sa position sera grosso modo celle adoptée ensuite par l’église catholique (mais pas par les sectes protestantes fondamentalistes) : les « jours » de la Genèse et les « temps » des patriarches relèvent d’une sorte de fiction poétique exprimant en termes fleuris et relatifs une réalité bien plus complexe, mais une réalité. À noter que Jules Lelorrain a puisé dans cet ouvrage, semble-t-il, outre les citations, nombre d’arguments utilisés dans sa lettre. Les extraits de Voltaire donnés ci-dessus comme ci-dessous en viennent directement (la coupure exacte, « Platon, etc. » signalée plus haut figure chez Nicolas, p. 103) comme bien d’autres fragments produits dans la lettre, on va le voir. Cela peut paraître étonnant : il faut croire que la déclaration d’athéisme d’Édouard l’a mortifié à un point extrême pour que lui, le spiritualiste plutôt anticlérical, soit allé emprunter des arguments dans l’ouvrage d’un collègue revêtu de toutes les bénédictions de l’Église.
89 Jules semble citer Platon directement. En fait, cette formule est prise chez Voltaire (ou plutôt chez Nicolas, p. 105, qui ne prend même pas la peine de dire qu’il la prend dans Voltaire). Source primaire : Éléments de la philosophie de Newton (1738), dédiés à Mme du Châtelet, Première partie, Métaphysique, chap. 1.
90 Dans le Dictionnaire philosophique (cité par Nicolas, p. 105).
91 La citation est encore tirée telle quelle des Études philosophiques d’Auguste Nicolas (p. 100).
92 Gaspard Monge (1746-1818), Joseph-Louis Lagrange (1736-1813), Pierre-Simon de Laplace (1747-1829), les trois plus grands mathématiciens de la fin du XVIIIe siècle et de l’ère napoléonienne. Sceptiques tous les trois, ils refusaient en tout cas de faire intervenir Dieu comme explication de quoi que ce soit dans le champ scientifique. Laplace aurait dit à Napoléon que si l’hypothèse-Dieu permettait de tout expliquer dans l’univers, elle n’était d’aucune utilité pour prédire quoi que ce soit et, à ce titre, sans intérêt pour la science. Jules se garde bien de faire ressortir de tels arguments.
93 Citation recomposée. Jusqu’à « arguments », il s’agit toujours de la page 209, à partir de « Tenez » de la page 220. En fait, la citation de Thiers n’est pas prise dans Thiers, ce qui aurait été facile à Jules Lelorrain, mais, avec les mêmes coupures, dans Auguste Nicolas, op. cit., p. 106, lequel cite, lui, les numéros de pages dans l’original – mais Jules, pressé, a omis « 220 ».
94 Jules Lelorrain ne donne ici aucune référence précise. Il est donc encore plus évident qu’il s’agit d’une citation de seconde main, pris soit dans Nicolas, op. cit., p. 107, soit, l’extrait étant exactement le même, dans La Raison du christianisme ou preuves de la vérité de la religion, tirée des écrits des plus grands hommes de la France, de l’Angleterre et de l’Allemagne, ouvrage publié par M. de Genoude, Paris, 1834-1835, t. 3, p. 363. L’ouvrage n’étant qu’une compilation d’écrits censés fournir des preuves, il est possible que plusieurs des autres citations faites par Jules viennent aussi de ce livre. Nous n’avons pas tout vérifié. Antoine Eugène Genoud (1792-1849) fut un représentant du légitimisme à tendances populaires et démocratiques sous la monarchie de Juillet. Directeur de la Gazette de France depuis 1827, il s’affirma partisan du suffrage universel. Veuf en 1835, il entra dans les ordres et se fit appeler « abbé de Genoude ».
95 Carl von Linné (1707-1778), le grand naturaliste suédois, père de la taxinomie moderne, était fixiste radical. Les espèces, pour lui, avaient été créées par Dieu à l’origine et n’avaient pas varié depuis.
96 Citation extraite de Nicolas, op. cit., p. 108, y compris « s’écrie l’illustre Linné ».
97 Toujours extrait de Nicolas, p. 110.
98 Ou plus exactement, Nicolas, p. 110.
99 Nicolas, p. 111.
100 Nicolas p. 116, qui donne une référence approximative : Philosophias naturalis principia, ce dont se dispense même Jules Lelorrain. On voit qu’il écrit vite et ne se relit pas ; le texte imprimé porte en effet « en tous lieux ».
101 Nicolas, p. 118 de même que pour les deux citations suivantes. Nouvelles preuves d’une écriture hâtive : dans l’imprimé, « roi » est écrit avec une minuscule, « Loi » avec une majuscule, c’est la « Loi des esprits » et non « des êtres », etc.
102 À l’évidence, Jules se fatigue. Le texte de Nicolas porte bien, en effet, en référence « De la République », mais il s’agit de l’ouvrage du même titre, incomplètement conservé, de Cicéron (le nom de l’auteur, donné quelques lignes plus haut chez Nicolas, n’étant pas reproduit). Or, Jules a lu « République » et pensé sans délai « Platon ». Platon n’aurait évidemment jamais écrit « dans Rome » en mettant cette bourgade sur un pied d’égalité avec Athènes, si même il en a connu l’existence.
103 Louis (1692-1763), septième fils de Jean Racine, auteur d’un grand poème en six chants, La Religion, d’inspiration fortement janséniste. Les vers ci-dessus sont extraits du chant I (1742). La source directe de Jules Lelorrain paraît être Leçons françaises de littérature et de morale, par François Noël et Guislain de La Place, 1re éd., Paris, 1824, nombreuses éditions postérieures. Le texte figure par exemple p. 444 de l’édition de 1836. En effet, les citations de Lebrun et de Voltaire qui suivent non seulement viennent de la même source mais pratiquement de la même page…
104 Ponce-Denis Écouchard-Lebrun (1729-1807), un des bons poètes d’un siècle qui produisit de la poésie en surabondance, mais peu d’excellente (Voltaire compris). Sa longue vie fut marquée par une versatilité politique certaine : laudateur de plusieurs rois, il chanta la Révolution, puis Napoléon. L’un de ses meilleurs poèmes est la fameuse Ode sur le vaisseau Le Vengeur (1794). Les vers cités par Jules Lelorrain sont tirés des fragments d’un Poème de la Nature que l’auteur ne publia pas de son vivant et dont on ne connaît que des fragments.
105 Célèbre formule à laquelle répondra Bakounine : « Même si Dieu existait, il faudrait le supprimer. »
106 Source directe, Noël et La Place, p. 443, comme pour Lebrun. Référence de l’œuvre, (que ni Jules Lelorrain, ni sa source n’indiquent) : Épître 114, À l’auteur du Livre des trois imposteurs (1769).
107 Poème publié par la Revue des Deux mondes le 15 février 1838 et recueilli dans les Poésies nouvelles.
108 Pierre Cabanis (1757-1808), médecin, historien et philosophe de la médecine, beau-frère de Condorcet, fit partie du groupe de pensée habituellement nommé les « Idéologues » (Volney, Destutt de Tracy, Daunou). Il fut moins un matérialiste qu’un des ancêtres du positivisme, se refusant à faire intervenir la métaphysique dans le raisonnement scientifique.
109 François Broussais (1772-1838), l’un des grands fondateurs, avant même Claude Bernard, de la médecine méthodique et expérimentale.
110 Francis Bacon, bien entendu (1561-1626), l’un des précurseurs de la science moderne.
111 Souligné en double par Jules Lelorrain lui-même. À partir de « Je sens », ce n’est plus Cabanis mais Broussais qui parle. Mais Jules cite, non pas d’après la Revue française de 1838 ni même la Revue des Deux mondes de 1839 (p. 736 et suivantes) qui republie l’article « Quelques réflexions sur la profession de foi du Docteur Broussais » en citant Cabanis au passage, mais tout simplement, encore et toujours, d’après Auguste Nicolas (p. 122 et 123) à qui il reprend même la formule « effacé d’un trait de plume tous leurs écrits », sans mettre de guillemets, comme si elle était de lui. Sur le fond d’ailleurs, s’agissant de Broussais surtout – et même de Cabanis – la chose est loin d’être aussi simple. Voir Claude Nicolet, 1994, p. 118-119. L’édition originale du texte de Cabanis s’intitule exactement, Lettre posthume et inédite à M. F ***, sur les causes premières, avec des notes de F. Bérard, in-8°, Paris, 1824.
112 On est alors en pleine « crise du Luxembourg ». Désireux d’obtenir au moins une satisfaction territoriale au nord après ses échecs de 1866, Napoléon III négociait avec le roi des Pays-Bas, grand-duc de Luxembourg, la cession du territoire moyennant finances et après plébiscite des habitants. Mais le Luxembourg avait fait partie de la Confédération germanique et la capitale abritait toujours une garnison prussienne. Le 26 mars, le roi Guillaume III avait donné son accord à l’empereur mais, inquiet des développements de la situation, il avait ensuite subordonné celui-ci à un aval de la Prusse que Bismarck, considérant le Luxembourg comme un territoire allemand, était décidé à refuser. Quand Jules écrit cette lettre, la crise est à son paroxysme et la menace de guerre réelle.
113 Jules pense que la question du Luxembourg va se régler par un accord. Il a raison. Mais le plus intéressant est l’idée de l’inéluctabilité d’une guerre franco-allemande, et à brève échéance. Si cette opinion était largement partagée par une part importante de la bourgeoisie française, ce qui est probable, et tout aussi partagée en Allemagne, on comprend les dramatiques événements de juillet 1870.
114 Le chien des Lelorrain.
115 Dommage que Jules ne donne pas de références plus précises. Fait-il allusion à la célèbre affaire de « L’enfant sauvage de l’Aveyron » qui passionna le monde savant – et même au-delà – entre 1800 et 1802 ? Sans doute. « Victor » vivait apparemment seul dans les bois depuis des années et, après plusieurs incidents, fut « capturé » définitivement en 1800 puis envoyé à Paris à la demande de Lucien Bonaparte, ministre de l’Intérieur. Examiné par un aréopage de savants, il fut confié en 1801 au docteur Jean Itard, spécialiste des sourds-muets, qui le soigna et tenta, en vain, de lui apprendre à parler. La controverse portait essentiellement sur la question de savoir si on avait affaire à un parfait idiot ou si l’absence de socialisation dans l’enfance était la cause de son état. C’est ce que pensait Itard et c’est bien la position que défend Jules Lelorrain. Ce dernier ne connaissait pas les écrits du médecin, publiés longtemps après, mais l’affaire était restée célèbre. François Truffaut en tira un film en 1970, L’Enfant sauvage. Voir Jean Itard, Victor de l’Aveyron, précédé de Le docteur Itard entre l’énigme et l’échec par François Dagonet, Paris, Allia, 2009.
116 Si l’on comprend bien les arguments de Jules, il reconnaît lui-même que la socialisation précoce, configuration qui n’a rien d’immatériel, est une condition de l’acquisition des facultés proprement humaines et il en déduit aussitôt que cela implique l’existence de l’âme, parce qu’il refuse l’idée que le système nerveux soit une machine à enregistrer, analyser, tirer des conclusions, réparer ses erreurs. Le « cerveau », étant matière, est, à l’inverse de l’âme, incapable d’engendrer des « idées ». Le cerveau de l’enfant sauvage et celui de l’enfant socialisé devraient donc fonctionner exactement de la même manière, en l’absence d’âme, et on devrait avoir, ou deux idiots, ou deux individus éduqués.
117 John Locke (1632-1704), père du libéralisme, de l’État de droit, pensait qu’aucune idée ne préexistait à notre expérience du monde, donnée par nos sens. Ses idées furent radicalisées et systématisées par Étienne Bonnot de Condillac (1715-1780), avec le célèbre apologue de la statue (Traité des sensations, 1754). On connaît l’admiration de Voltaire pour Locke. Dans Micromegas (1752 – chap. VII, Conversations avec les hommes), il est le seul philosophe cité par les « mites » humaines qui retienne l’attention du géant de Sirius : « Un petit partisan de Locke était là tout auprès ; et quand on lui eut enfin adressé la parole : “Je ne sais pas, dit-il, comment je pense, mais je sais que je n’ai jamais pensé qu’à l’occasion de mes sens. Qu’il y ait des substances immatérielles et intelligentes, c’est de quoi je ne doute pas ; mais qu’il soit impossible à Dieu de communiquer la pensée à la matière, c’est de quoi je doute fort. Je révère la puissance éternelle ; il ne m’appartient pas de la borner : je n’affirme rien ; je me contente de croire qu’il y a plus de choses possibles qu’on ne pense.” L’animal de Sirius sourit : il ne trouva pas celui-là le moins sage ; et le nain de Saturne aurait embrassé le sectateur de Locke sans l’extrême disproportion. »
118 Si l’importance de la société dans la constitution des idées est bien marquée, Jules va ensuite en tirer la conclusion tout à fait arbitraire que les idées morales et sociales y ont fait l’objet d’un « dépôt » initial. De son point de vue, cette conclusion est logique dans la mesure où il refuse, consciemment ou inconsciemment, tout évolutionnisme, toute idée que les valeurs morales puissent être le résultat de millénaires de transformation progressive. Les idées morales seraient en conséquence la preuve de l’existence de Dieu, seule « preuve » admise par Kant. Cette façon de voir a été abondamment contestée dès le XIXe siècle aussi bien par les socialistes matérialistes que par des conservateurs agnostiques comme Taine et bien sûr par le « darwinisme social » initié par Herbert Spencer (1820-1903). Pour une relecture de ces questions à la lumière des neurosciences dont ni Jules ni Édouard Lelorrain ne pouvaient évidemment avoir connaissance, voir par exemple Robert Wright, L’animal moral. Psychologie évolutionniste et vie quotidienne, rééd. Paris, Gallimard, 2004 ou Matt Ridley, Génome – Autobiographie de l’espèce humaine en 23 chapitres, Paris, Robert Laffont, 2001.
119 Autre « preuve », celle de l’universalité de la croyance en Dieu, dont Cicéron aurait été un des premiers défenseurs. Serait-elle une réalité, elle est philosophiquement très faible et peut parfaitement se concilier avec un athéisme de principe (voir Pascal Boyer, Et l’homme créa les dieux. Comment expliquer la religion, Paris, Robert Laffont, 2001).
120 Henri St John, vicomte Bolingbroke (1678-1751), homme politique anglais, très versatile, plutôt francophile, négociateur du traité d’Utrecht (1713), adversaire des religions révélées et partisan du déisme, abondamment cité par Voltaire dans toute son œuvre (plus de mille occurrences dans l’ensemble, correspondance comprise, à peu près autant que Locke et Pascal, un peu moins que Descartes ou Platon mais beaucoup plus que Bacon et même qu’Aristote).
121 Argument d’autorité très classique fondé sur la sagesse des « anciens », un peu étonnant tout de même au XIXe siècle.
122 Gian Rinaldo Carli (1720-1795), écrivain, économiste et historien italien. Il occupa d’importantes fonctions dans le Milan des Habsbourg. Les Lettres sont une œuvre philosophique typique du XVIIIe siècle car il ne semble pas avoir mis les pieds en Amérique.
123 Giovanni Battista Ramusio (1485-1557), géographe vénitien de la Renaissance qui a laissé pour l’essentiel un ouvrage intitulé Delle Navigationi et Viaggi.
124 Louis Armand de Lom d’Arce, dit baron de la Hontan (1666-1715), contrairement aux précédents, eut une longue expérience américaine. Il servit en Nouvelle-France comme officier dès l’âge de dix-sept ans et y resta dix ans. De retour en France, il publia à partir de 1703, des Lettres, les Dialogues avec un Sauvage, des Mémoires et les Voyages dont parle Jules Lelorrain (1704). Les Dialogues sont en fait une œuvre violemment antichrétienne. Mais Jules ne les a sûrement pas lus et, de toute manière, il défend le déisme, pas l’Église catholique pour laquelle il a peu de sympathie. Qu’on soit chrétien, musulman ou hindouiste n’a pas d’importance : il faut croire en Dieu.
125 José de Acosta (1539-1600), jésuite espagnol, auteur notamment de Histoire naturelle et morale des Indes (Historia natural y moral de las Indias), Séville, 1590 et de De la nature du Nouveau-Monde (1589).
126 Œuvre mal identifiée. Elle est citée par Lamennais dans son Essai sur l’indifférence en matière de religion. L’ouvrage de Lamennais (1re éd. du premier volume, 1817) est une source directe ou indirecte pour l’ensemble de ces trois paragraphes (note 15 pour Carli et la suite, notes 4 à 8 pour les œuvres citées de Salmon à Dapper, note 11 pour le Voyage à Surinam, toutes p. 308 de l’édition de 1839, t. 1), à moins que ce ne soit aussi et surtout le cas de l’œuvre de Nicolas, op. cit. qui semble parfois recopier servilement Lamennais (p. 179 du t. 1, 17e éd., 1865).
127 Voyage du chevalier des Marchais en Guinée, îles voisines et à Cayenne, fait en 1725, 1726 et 1727, contenant une description très exacte et très étendue de ces pays et du commerce qui s’y fait, par le R. P. Labat, de l’ordre des frères prêcheurs, Paris, 1730.
128 Issiny était un comptoir négrier du golfe de Guinée, aujourd’hui Assinie, à 80 km à l’est d’Abidjan. Un fort français y fut occupé de 1684 à 1705 puis abandonné faute de rentabilité. Aniaba, le fils du roi local, fut emmené en France, présenté à Louis XIV, baptisé et devint même officier dans l’armée royale avant de revenir en Afrique (Paul Roussier, L’Établissement d’Issigny, 1687-1702 : voyages de Ducasse, Tibierge et d’Amon à la côte de Guinée publiées pour la première fois et suivies de la Relation du voyage du royaume d’Issigny du P. Godefroy Loyer, Paris, Larose, 1935).
129 Il n’existe pas d’auteur nommé « Pilgrin » mais des récits de voyages de Samuel Purchas (1575-1626), les Pilgrims, dont le premier fut publié en 1613. Cette mention indique que Jules Lelorrain recopie plutôt Nicolas que Lamennais, en tout cas dans la majorité des cas. Le premier note en effet, p. 179 de l’édition de 1865, t. 1, l’existence d’un mystérieux « Pilgrin », alors que Lamennais a bien cité Purchas, Pilgrims. Auguste Nicolas, ancien magistrat, est parfois aussi rapide et incertain dans son travail d’érudition que Jules Lelorrain.
130 Édition originale en Hollande, 1668, première édition française, 1686. Mais Dapper était, comme Purchas, un géographe de cabinet, non un voyageur.
131 Le capitaine Stedman participa à l’écrasement d’une révolte d’esclaves au Surinam hollandais (1772-1777).
132 Autre argument classique et très ancien que l’on retrouve aujourd’hui sous le costume du « dessein intelligent » (intelligent design) très en vogue dans certains milieux créationnistes américains mais qui n’a vraiment rien de neuf.
133 Édouard adopte une position matérialiste très en vogue au XIXe siècle mais en l’espèce, il a tort. La recherche scientifique est parfaitement compatible avec la croyance en Dieu de même qu’elle peut tout à fait s’en passer.
134 Le thermalisme, forme de médecine très ancienne, vient de faire en Europe une renaissance foudroyante depuis vingt ans. La famille impériale a puissamment contribué au développement des stations françaises (Plombières dans les Vosges, Eugénie-les-Bains en Gascogne, etc.) Il va encore accélérer sa marche en avant après 1870. Les eaux des stations les plus réputées, pour les affections qu’on n’appelle pas encore otorhinolaryngologiques, étaient celles de Luchon, Ax-les-Thermes et surtout les eaux sulfureuses de Cauterets. Voir Jérôme Penez, Histoire du thermalisme en France au XIXe siècle. Eau, médecine et loisirs, préface d’André Gueslin, Paris, Economica, 2004.
135 On voit que d’astucieux commerçants ont commencé à vendre à distance les eaux des stations thermales, alors même qu’une bonne partie du corps médical niait l’efficacité de ce type de consommation.
136 Félix Fénéon et Amédée Vialay, deux proches amis d’Eugène et d’Édouard. Il en sera souvent question dans ces pages.
137 Il passera de 5 à 6 000 francs par an. Voir la lettre du 29 janvier 1868. L’hésitation n’est pas feinte. L’idéal pour ce juriste de 57 ans, idéal inaccessible pour l’heure, aurait été une nomination directe comme président de chambre à la cour. Président du tribunal constitue un poste comportant bien plus de soucis administratifs et de gestion. Refuser un avancement peut nous paraître un comportement assez étonnant, mais dans la société du XIXe siècle, ce n’est pas une attitude rare. Jules en signale plusieurs cas. Ainsi aurait-il pu noter celui du fils de son ami Masson, Ernest, magistrat brillant, riche, un peu fantasque, qui ne dépassa pas – parce qu’il ne le voulait point – le grade de conseiller à la cour de Dijon (voir son dossier). Un magistrat qui a de la fortune – Jules n’en a aucune – peut parfaitement préférer une vie calme et sans ambition, sans querelles et sans heurts, à une carrière « brillante ». Réussir n’est en aucun cas un impératif commun de la bourgeoisie du siècle.
138 La Légion d’honneur, bien sûr.
139 La conférence de Londres, ouverte le 7 mai, avait abouti à un traité européen le 11, signé par toutes les puissances. La France renonçait au Luxembourg que la garnison prussienne évacuait. Le pays, dont le roi de Hollande restait grand-duc (la séparation dynastique n’aura lieu qu’en 1890, pour des raisons de droit successoral) était déclaré neutre – sous garantie internationale. Le compromis était plus humiliant pour la France que pour la Prusse.
140 L’Exposition universelle de 1867.
141 Voilà encore cette idée d’une guerre inéluctable avec nostalgie des « frontières naturelles » (le Rhin) conquises par la Révolution, idées sans doute largement partagées dans tous les partis (rappelons que Jules Lelorrain est un opposant) – aussi absurde que soit philosophiquement cette notion de frontière « naturelle ». Les illusions de Jules sur le renouveau militaire français, elles aussi assez répandues, font pareillement partie des facteurs de guerre.
142 On ne sait de quelle accusation précise parle Jules. Randon, ministre de la Guerre, venait de quitter ses fonctions à la suite d’un désaccord avec Napoléon III sur l’état de l’armée française, et notamment sur la question des réserves, pour être remplacé par Niel. Il avait été un des rares chefs militaires à conseiller en 1866 à Napoléon III, au moment de Sadowa, une démonstration armée – que redoutaient Bismarck et l’état-major prussien.
143 Conseils de prudence d’un magistrat qui sait à quel point ses collègues les plus zélés à servir la politique répressive du régime peuvent aller au-devant des souhaits de celui-ci. Pourtant, le décret organique du 17 février 1852 qui fonda le statut de la presse sous l’empire autoritaire ne concernait en principe que les imprimés, non les nouvelles orales. Mais prudence est mère de sûreté, surtout dans une dictature ou un régime très autoritaire comme l’était encore le Second Empire en 1867 : « La publication ou la reproduction de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers, sera punie d’une amende de cinquante à mille francs. Si la publication ou reproduction est faite de mauvaise foi, ou si elle est de nature à troubler la paix publique, la peine sera d’un mois à un an d’emprisonnement et d’une amende de cinq cents à mille francs. Le maximum de la peine sera appliqué si la publication ou reproduction est tout à la fois de nature à troubler la paix publique et faite de mauvaise foi. » (Décret du 17 février 1852, art. 15, Bulletin des Lois, CDXC, no 3651.)
144 Dans le contexte patriotique exacerbé par les événements de 1866 et 1867 et par les revendications déjà explicites de certains milieux nationalistes allemands sur l’Alsace, les étudiants de Strasbourg adressèrent en mai 1867 aux « étudiants allemands » une fière proclamation qui s’attira bien entendu d’immédiates répliques allemandes. Voir AN, F 17/4399. Jules semble trouver cette démarche provocatrice et inopportune.
145 Ami d’Édouard, officier de chasseur à pied au 4e bataillon. La famille Joly, de Metz, doit avoir eu des liens anciens avec les Lelorrain.
146 Fille d’Hippolyte, cousine germaine d’Édouard, elle a épousé Auguste Maître le 20 mars 1866.
147 Coutume très répandue au XIXe siècle, entièrement disparue. Le prénom initial n’est pas le prénom usuel.
148 Comme plus tard Gabrielle, femme d’Eugène. Voir la lettre du 8 février 1870.
149 Comme la plupart des magistrats, Jules bénéficie de longues vacances. Voir pour plus de détails la lettre du 22 juin 1868.
150 Alix et Berthe.
151 Alise Sainte-Reine. Depuis 1861, Napoléon III y faisait effectuer des fouilles pour conforter la thèse qu’il s’agissait de l’antique Alésia.
152 Semur-en-Auxois, où Jules a été président de tribunal, où il conserve un grand nombre de relations et d’amis et qui est la ville la plus chère à son cœur.
153 Voir ci-dessous la lettre du 7 juin.
154 Les Matry sont des amis de Semur, souvent cités dans ces pages. Philibert François Matry, juge de paix dans cette ville était, selon le procureur de Semur de 1855 « à la tête du parti républicain » en 1848 avant de faire « retour aux idées de modération dont ils [Matry et Fénéon – voir la lettre du 7 juin, ci-dessous] paraissent aujourd’hui animés » (Lettre du procureur au procureur général de Dijon, 16 avril 1855, dossier Lelorrain). Le juge de paix Matry a dix-sept ans de plus que Jules Lelorrain mais il a un frère plus jeune, Edme Henri, avocat à Dijon, qui est le père de Marie Matry (sur cette dernière, voir la lettre du 28 juin 1870) et qui est aussi un ami de Jules.
155 Le bourg en contrebas d’Alise, lui-même sur la voie ferrée Paris-Dijon.
156 Du matin.
157 Le « Bussy » abondamment cité dans ces pages, sépulture des parents de Jules, est Bussyen-Othe (Yonne), près de Migennes et Joigny, pas Bussy-le-Grand (Côte-d’Or) où se trouve le célèbre château de Bussy-Rabutin. Mais Bussy-le-Grand est quand même très proche de Flavigny et d’Alise-Sainte-Reine, autres lieux favoris de la géographie « lorrainesque ».
158 Jules Perrin (1815-1889) était le cousin germain d’Émilie Camille Demay, première femme de Jules Lelorrain et mère de ses trois enfants, sa mère et le père d’Émilie étant sœur et frère. Fanny Delbet était son épouse.
159 Cousin germain d’Émilie. Son épouse est Gabrielle, née Poncelet.
160 L’un des fils Perrin.
161 Stricto sensu, l’expression semble indiquer que les « demoiselles » ne vivent plus chez leurs parents. Et pour cause… Isaure Anaïs Jennie Lydie Matry était née le 17 janvier 1830 et elle avait donc 37 ans. Elle était la cadette de deux sœurs aînées, Aurélie Elisabeth, née le 15 août 1825 et Cécile Victoire Elisabeth, née le 18 juin 1828, toutes à Semur (état-civil de la commune). Jules ne dit pas si les trois sœurs vivaient encore ensemble et célibataires en 1867 mais l’expression implique que c’était le cas de deux d’entre elles au moins.
162 Marie Matry, fille de l’avocat, frère du juge de paix, et donc cousine des « Demoiselles ». Née en 1844 à Dijon, elle était beaucoup plus jeune que Lydie, la plus jeune de ses cousines – et l’amie de Berthe, guère plus âgée qu’elle.
163 Le frère du « gros Amédée » comme Jules appelle souvent ce dernier pour lequel il éprouve un mépris plus condescendant que méchant.
164 C’est-à-dire d’acheter une étude de notaire.
165 Réplique aux lettres allemandes qui elles-mêmes répliquaient… (voir lettre précédente), mais cette fois signée par les étudiants de l’École de santé militaire et non plus seulement par les « civils ». Jules a-t-il changé d’avis ? Il avait estimé déplacée la lettre initiale. Peut-être pense-t-il que le ton des adresses « prussiennes » était inadmissible mais il est au fond très satisfait qu’Édouard, il va le dire, ne se soit pas compromis.
166 Apparemment, Édouard l’a détrompé dans sa dernière lettre.
167 Gevrey-Chambertin bien entendu.
168 Tout le monde ? Le monde que Jules trouve intéressant à fréquenter, cela va de soi. Mais on voit bien là le succès extraordinaire de l’« Exposition » (voir plus loin).
169 Voir la lettre du 26 mai ci-dessus.
170 La foire ou fête de la Bague est une vieille tradition de Semur qui remonte au XVIe siècle et a persisté jusqu’à nos jours. Elle comportait au début une course à pied, remplacée en 1639 par une course de chevaux, la plus ancienne de France, et constituant plus précisément « La Bague ». « C’est par souci économique qu’en 1639 fut décidé d’ajouter à la traditionnelle course des Chausses, une course à cheval. En date du 16 juin, une délibération montre que l’essai est concluant et mérite d’être renouvelé [avec] “pour le prix de la course ordinaire le lendemain de la Pentecoste […] une escharpe de taffetas blanc, qui sera donnée en place publique au premier cavalier, et une paire de gants pour le second, pour à l’advenir rendre l’apport de la dite foire plus considérable”. Ainsi commence modestement la plus ancienne course à cheval de France. En 1651 on ajoute le prix d’une bague en or “jusqu’à la valeur de 15 livres” […] L’année suivante, on donne l’ordre des prix de la course à cheval : une bague en or, une écharpe et des gants. Dorénavant nous pouvons parler de Course de la Bague. » (Dossier de presse sur le site de la ville de Semur, www.ville-semur-en-auxois.fr.)
171 « Notre excellent cousin », de Joigny, comme il l’écrit un peu plus loin, cousin sans doute assez éloigné (l’arrière grand-père de Jules, Jean-Baptiste, né en 1725 à Poix-Terron dans les Ardennes, avait épousé une demoiselle Lefebvre). En tout cas, Lefebvre est un cousin fortuné…
172 Quant Jules écrit « ton oncle » sans autre précision, il s’agit de son frère parisien, Hippolyte.
173 Alexandre II de Russie, Guillaume Ier de Prusse – avec Bismarck – étaient effectivement en visite à l’exposition en même temps que Jules Lelorrain. Le 7 juin, jour où la famille Lelorrain les aperçut, ils dînèrent ensemble, avec Napoléon III au Café Anglais, chez le fameux Adolphe Dugléré, souper qui demeura sous le nom, un peu abusif, de « Dîner des trois empereurs » (Guillaume ne l’était pas… encore) et qui dura huit heures. Pour le tsar, cette fête rachetait un peu la dure journée de la veille : l’avocat républicain Charles Floquet l’avait interpellé avec un « Vive la Pologne, monsieur ! » tandis que l’après-midi, le patriote polonais Antoni Berezowski tentait de le tuer et n’échouait que de justesse (son arme avait explosé). Le tsar conçut de cette journée une certaine animosité contre la France qui explique en partie son attitude très neutre en 1870. Animosité renforcée du fait que Berezowski ait été ensuite condamné aux travaux forcés, mais pas à mort. Rappelons que le soulèvement polonais de 1863 avait été durement écrasé après un an de lutte.
174 Félix Fénéon, fils d’un avocat et vieil ami de Jules, est lui-même l’ami d’enfance d’Eugène et Édouard. Il est l’homonyme du célèbre critique anarchiste, né, lui, en 1861, rédacteur en chef de la Revue Blanche, ami de Signac, Seurat, Pissarro, Luce et Mirbeau. Mais le Félix célèbre, bien que né à Turin, était lui-même originaire du Charolais. Le nom de Fénéon était très fréquent en Saône-et-Loire, typique même de ce département, et plus précisément encore du Charolais et du Brionnais, le pays d’Alix. Félix était aussi le frère d’Albéric Fénéon, greffier puis plus tard président du tribunal de Semur. Les sentiments républicains de la famille Fénéon sont restés constants, même si, pour survivre – socialement bien sûr ! – ils ont dû les dissimuler sous l’Empire.
175 On a déjà parlé de ces questions et on les reverra à nouveau en débat.
176 « Nous verrons par la suite ».
177 François de Lespérut (1813-1873), né à Paris, député de la Haute-Marne depuis 1849, orléaniste rallié à l’Empire mais resté très indépendant. En 1867-1869, il est de tous les combats des libéraux qui réclament des réformes profondes du régime. Toutefois, la sollicitation de son appui par Jules Lelorrain semble montrer qu’il avait une certaine influence auprès de plusieurs ministres.
178 Jean-Baptiste Chauchard (1808-1877), ancien orléaniste rallié à l’empire, né à Langres, constamment réélu député de la Haute-Marne jusqu’en 1869 où il sera battu par Steenackers. Il appartenait à la majorité mais prenait quelquefois des positions (prudemment) indépendantes.
179 Il n’existe aucun député nommé « Pommier » sous le Second Empire. S’agit-il de Charles Paulmier (1811-1887), député du Calvados ? On ne voit pas qui d’autre ce pourrait être. Que vient-il faire parmi ces Bourguignons et Haut-Marnais ? La réponse ne peut résider que dans le séjour de Jules à Pont-Audemer (Eure) comme procureur de la République entre avril 1849 et février 1851. Il a dû nouer durant ce séjour normand quelques amitiés, comme il le faisait partout, et savait les réactiver à l’occasion !
180 Henri Rolle (1829-1903), né à Besançon, député de la Côte-d’Or depuis 1863, parent de Charlemagne de Maupas, appartenait clairement à la majorité. Il avait été élu en 1863 comme candidat officiel.
181 Pierre Joseph Magnin (1824-1910), né à Dijon, élu en 1863 dans la Côte-d’Or à l’occasion d’une partielle, réélu en 1869 sera ministre dans le Gouvernement de la Défense nationale en 1871 (voir plus loin). Il appartient à la gauche et a les sympathies de Jules et d’Édouard, ce qui ne veut pas dire qu’il soit le plus efficace dans l’affaire de la perception recherchée par Eugène. Fermement républicain, il demeurera toujours un modéré, et sera en 1901 un des principaux fondateurs de l’Alliance Républicaine Démocratique, le parti de Poincaré et de Barthou. Son fils Maurice (1861-1939), gouverneur de la Banque de France (1881-1891), conseiller à la Cour des comptes, constituera avec sa sœur Jeanne, érudite et historienne d’art, une riche collection de tableaux, objets et meubles qu’ils légueront à la ville de Dijon et qui constituent aujourd’hui le musée Magnin.
182 L’intérêt est d’avoir le maximum d’appuis de tous les partis, y compris de ceux dont on ne partage pas les idées. Cela a-t-il vraiment changé ?
183 En réalité, Le testament de César Girodot, comédie en trois actes d’Adolphe Belot et Edmond Villetard, créée à l’Odéon en 1859 et constamment reprise au XIXe siècle (mais plus guère de nos jours). Proust la cite dans Du côté de chez Swann (p. 104 dans l’édition de 1919, Paris, Gallimard).
184 Jules évoque très souvent dans ces pages madame de Rochas, et presque toujours sur le même ton : affectueux pour la femme, plein de commisération pour le mari. Cette attitude traduit-elle un conservatisme foncier (au sens global) de Jules, même s’il fait preuve, en matière politique, d’idées républicaines (modérées) ? Alphonse Eugène Beau, dit (par lui même) de Rochas (1815-1893) fut un des grands savants et ingénieurs français et même européens du XIXe siècle, réalisateur du premier câble télégraphique sous-marin (Calais-Douvres) posé en 1850, inventeur du « plan-carnet » de Paris (ancêtre des guides urbains), et surtout concepteur du cycle du moteur à quatre temps, le cycle de Beau de Rochas (1862) qui inspira les travaux de l’Allemand Otto, d’Étienne Lenoir puis les premières automobiles « à pétrole », notamment celles de Daimler (1884-1886). On ne peut pas dire qu’il se fût agi d’une innovation modeste… Mais pour Jules, ces recherches ne peuvent déboucher sur une réussite matérielle personnelle et c’est bien là la question. Est-il plus sûr d’être notaire, percepteur, magistrat, médecin ? Peut-être, mais, comme on le verra, notre épistolier fait preuve d’idées plus larges concernant son neveu Karl, ingénieur centralien. Il aurait même souhaité le voir partir à l’étranger (lettre du 19 novembre 1869). En fait, ce que reproche Jules à Beau de Rochas, c’est de ne pas asseoir solidement la position financière de sa famille, alors même qu’il l’aurait pu facilement (il était encore en 1860 ingénieur de la Compagnie des chemins de fer du Midi) et de rêver d’une fortune miraculeuse, légèreté impardonnable. Il est de fait que Beau, qui ne pensa pas à protéger ses brevets et mourut pauvre, constituait sans doute le type même du savant naïf.
185 Le père d’Elisabeth Beau de Rochas, ancien négociant en vin du boulevard du Temple.
186 Sur Morin et son épouse, cousine de Jules, voir la lettre du 5 avril 1870.
187 L’épouse d’Hippolyte.
188 Notaire. Étude à Chaumont.
189 Une « importance locale » ? L’autorité « restreinte » ? Les appréciations condescendantes, sans être pour autant une forme de mépris, entendons-nous, du conseiller Jules Lelorrain sur les juges de paix seraient presque caricaturales si elles n’étaient pas au contraire très caractéristiques de son corps et de son milieu. Imagine-t-il alors qu’il deviendra lui-même juge de paix (à Paris, il est vrai) ?
190 Sur Henri et la famille Cavaniol, amis des Lelorrain résidant à Chaumont, voir la lettre du 8 janvier 1868.
191 Le paiement des rentes d’États se faisait évidemment en numéraire et non pas par virement bancaire ! D’où la longueur de l’opération (les « rentiers d’État » étant fort nombreux).
192 Ami d’Édouard. Le père est tailleur à Dijon.
193 Jules a quelquefois tendance à mettre des « z » à la place des « s ».
194 Des relations, plus que des amis, de la région de Semur. Gaston était le gendre du vieux père Laignelet (88 ans, voir la lettre du 27 février 1868). Le « gros Louis », son petit fils, comme l’appelle ailleurs Jules qui n’a aucune estime pour lui, tente l’expérience de la colonisation en Algérie.
195 Jules Lelorrain a parfois tendance à écrire comme le guide Joanne.
196 Voir en annexes une photo de l’hôtel de Laloge qui, au moins extérieurement, a peu changé depuis. L’escalier et le jardin sont visibles.
197 Président du tribunal de commerce.
198 Edme Victor Saverot (1817-1880). Voir son dossier.
199 Daniel Charles Darricau (1808-1868), sorti de Saint-Cyr en 1827, avait fait ensuite une carrière dans l’intendance militaire. Carrière rapide : intendant en 1850, conseiller d’État en 1852, intendant général en 1856, directeur de la comptabilité générale du ministère de la Guerre en 1862. C’est à ce titre qu’il avait répondu à Maurice Richard au Corps législatif.
200 Maurice Richard (1832-1888), fils d’un avocat très aisé, juriste, fut élu député de l’opposition libérale en 1863. Très proche d’Émile Ollivier, son ami, il ne se crut pas obligé d’adopter toutes ses positions. Mais, deux ans et demi après cette lettre, en janvier 1870, il accepta d’entrer dans le cabinet constitué par Ollivier, avec le titre, tout à fait nouveau, de ministre des Beaux-Arts. Il fut assez habile pour élargir des responsabilités au départ limitées (les musées étaient restés directement rattachés à l’empereur), et devint, en mai, ministre des Lettres, Sciences et Beaux-Arts, en quelque sorte ministre de la Culture, un siècle avant André Malraux. Mais, comme à son ami Ollivier, la chute de l’empire lui fut fatale et la carrière politique de ce jeune homme d’avenir s’arrêta net et pour toujours.
201 Édouard a été fort irrité, et sans doute tous ses camarades avec lui, par les arguments de Maurice Richard qui aboutissaient à faire des officiers sortis de l’École des médecins de seconde catégorie…
202 Le phénomène de fuite des médecins militaires vers le privé fut constant au XIXe siècle et se poursuivit au XXe. Maurice Richard, tout en attaquant vivement le système d’examens de l’École de Strasbourg, attirait l’attention du gouvernement sur la faiblesse des traitements : un docteur une fois affecté atteignait rapidement le grade d’aide-major de première classe mais pouvait ensuite y demeurer de très longues années, le grade étant assimilé à lieutenant, soit une solde de 2 000 francs plus 350 d’indemnité de logement. Ce salaire fort modeste, 151 majors de 35 à 40 ans, soit la moitié de l’effectif de cette tranche d’âge le touchaient encore, sans plus (Le Moniteur universel, 17 juillet 1867). Le désir de quitter l’armée n’a donc guère besoin d’explications superflues.
203 Ces considérations peuvent sembler étranges à un lecteur du XXIe siècle. Mais en fait, l’organisation des études de médecine par Bonaparte avait bien établi le principe d’une vérification des connaissances à la fin du cycle complet d’études, procédure qui peut nous apparaître fort étonnante et qui n’est plus utilisée ni en France, ni ailleurs, quel que soit le type d’études. Elle ne s’appliquait d’ailleurs qu’aux études de médecine. Les raisons étaient celles qu’énonce Jules dans ce paragraphe. La loi du 19 ventôse an XI (10 mars 1803) portait en son article 6 : « Ces examens seront au nombre de cinq, savoir : – Le premier sur l’anatomie et la physiologie ; – Le deuxième sur la pathologie et la nosologie, – Le troisième, sur la matière médicale, la chimie et la pharmacie ; – Le quatrième sur l’hygiène et la médecine légale ; – Le cinquième, sur la clinique interne ou externe, suivant le titre de docteur en médecine ou de docteur en chirurgie que l’aspirant voudra acquérir… » Et l’article 8 poursuivait : « Les étudiants ne pourront se présenter aux examens des écoles qu’après avoir suivi, pendant quatre années, l’une ou l’autre d’entre elles… » L’École de santé militaire avait, la première, dérogé à cet étrange système.
204 Sur le contexte général de cette controverse, voir Charles Coury, L’enseignement de la médecine en France, des origines à nos jours, Paris, ESF, 1968, Jacques Léonard, La vie quotidienne du médecin de province au XIXe siècle, Paris, Hachette, 1977, ainsi qu’Olivier Faure, Histoire sociale de la médecine, Paris, Anthropos, Économica, 1994.
205 On remarque à plusieurs reprises la sévérité de la discipline à l’École. Édouard est majeur, il a 23 ans, est plus âgé que la plupart des sous-lieutenants sortant de Saint-Cyr, mais a besoin d’une autorisation de son père pour se déplacer.
206 Le dépit est ici manifeste, l’acrimonie violente. C’est évidemment la pingrerie d’Alix qui est en cause – plaie permanente dans leurs relations.
207 Tout ce développement sur le travail des femmes, vu par Jules, est du plus haut intérêt.
208 La première de La Vie parisienne d’Offenbach eut lieu le 31 octobre 1866.
209 La Grande duchesse de Gerolstein, du même Offenbach, fut écrite spécialement pour l’Exposition universelle. La première eut lieu le 12 avril 1867.
210 Julien Henri Chevreau (1823-1903), préfet du Rhône depuis 1864, sénateur depuis 1865, était très proche de l’Impératrice et familier du couple impérial. Il succéda à Haussmann comme préfet de la Seine en janvier 1870 et fut le dernier à quitter les Tuileries le 4 septembre après avoir vérifié qu’Eugénie et son fils étaient en sûreté. Son frère cadet, Léon (1827-1910) fut davantage un homme de choc du régime. Il figura (à 24 ans !), parmi les artisans du coup d’État, devint préfet de l’Oise à compter de 1860 (à 33 ans !) et fut un opposant majeur et violent à la Troisième République, finissant sa carrière politique dans le mouvement boulangiste. L’appui de Julien Chevreau, ou des frères Chevreau, n’aurait rien eu de négligeable s’il avait été réel. La suite permet d’en douter.
211 Eugène Rouher (1814-1884), né à Riom dans une famille d’avoués et de notaires, venu de l’orléanisme, fut un des piliers majeurs du Second Empire. Il fut ministre de l’Agriculture, du Commerce et des Travaux publics de 1855 à 1863, puis ministre d’État de 1863 à juillet 1869 (quasi premier ministre sans le titre, « vice-empereur sans responsabilité » selon une formule célèbre et un calembour d’époque évoquait même le « rouhernement » impérial), enfin président du Sénat jusqu’à la chute du régime. Très brillant orateur, juriste éminent, il fut toujours partisan de l’empire autoritaire et tenta de freiner les réformes libérales, mais d’autres bonapartistes historiques (Maupas, Persigny) ont souligné, tout en reconnaissant son brio intellectuel, ses vues courtes, sans perspective, sans vrai projet.
212 Ernest Demay, né en 1833, cousin germain de la défunte Émilie, (jeune) avocat à la Cour de cassation. Mais ce n’est pas un intime, contrairement à d’autres membres de la « tribu » Demay.
213 Lenormant de Villeneuve de son nom complet, avec un « t », mais Jules écrit « Lenormand », graphie plus courante (voir son dossier).
214 Le cousin Bésanger réside à Versailles.
215 Directeur de l’école communale de Joigny. L’école était avant 1848 sous l’autorité des Frères des écoles chrétiennes. Laïcisée en 1848, elle fit l’objet d’une offensive des Frères en 1852 qui entendaient la récupérer. Le conseil municipal rejeta la demande à une très courte majorité et Joubert en demeura le directeur. Voir de nombreux détails sur le site de l’Association Culturelle et d’Études de Joigny, http://www.acejoigny.com/histoire/cours_fleury.htm.
216 « Mon ancien confrère » : comme avoué, pas comme magistrat. Jules avait été avoué plaidant à Joigny jusqu’en mars 1848. Pierre Alexandre Couturat, né en 1813 – il avait donc trois ans de moins que Jules – fut nommé maire par décret impérial en mars 1858. Il fut un édile municipal efficace, dévoué au régime jusqu’en 1870, évidemment révoqué au lendemain du 4 septembre. Jules est « heureux » de le revoir pour parler du passé mais la pointe d’ironie est évidente sous l’énoncé des titres de Couturat.
217 Oncle d’Émilie Camille Demay (frère de sa mère).
218 Joubert a-t-il une fortune personnelle ou bien est-il particulièrement généreux et serviable, ou encore a-t-il vraiment une affection très profonde pour les frères Lelorrain, ou de tout cela un peu ?
219 Voir son dossier.
220 François Bénigne Henry Beaune (né en 1833 à Dijon), substitut du procureur général à la cour depuis octobre 1866. Voir son dossier.
221 Tout ce qui suit est du plus grand intérêt car l’analyse de Jules Lelorrain, est faite avant la bataille décisive de Mentana (3 novembre) alors que Garibaldi vient de prendre, la veille, Monterotondo dans les États pontificaux et attend une insurrection du peuple romain, qui ne se produira pas. C’est justement pour cela qu’il tentera alors le coup de force pur, brisé à Mentana. Ce que n’a pas prévu Jules, c’est que la France, justement, n’hésitera pas à réintroduire ses troupes avec célérité pour arrêter net le héros du Risorgimento (« Les chassepots ont fait merveille » – voir la lettre du 14 décembre 1869). L’attitude de Victor-Emmanuel est moins simple que ne l’estime Jules. Il se gardera certes d’envisager une guerre, invraisemblable, avec la France et désavouera Garibaldi. Mais si Giuseppe avait marché triomphalement sur une Rome dont le peuple se serait soulevé, le roi d’Italie n’aurait pu demeurer indifférent. La France aussi aurait été mise devant le fait accompli. Il n’en sera rien.
222 L’intervention n’amènera en effet aucun conflit franco-italien, que personne n’envisageait, mais une réoccupation de Rome dont on ne sait jusqu’à quand elle aurait duré si la guerre de 1870 n’avait réglé la question. Réoccupation catastrophique pour la France qui aurait pu, dans le cas contraire, compter l’Italie comme alliée.
223 Il s’agit de la convention du 15 septembre 1864. La France s’engageait à retirer ses troupes de Rome dans un délai de deux ans, le temps pour le pape d’organiser une armée de volontaires. En échange, le jeune royaume d’Italie s’engageait à ne pas tenter d’invasion, et à empêcher toute attaque contre le territoire romain.
224 C’est-à-dire en s’abstenant de soutenir Garibaldi. Mais sans lui barrer la route non plus.
225 L’incorporation de Rome à l’Italie est inévitable, mais peut-être à long terme, pense Jules. Il a tout à fait raison. En l’absence de la guerre franco-allemande, elle aurait pris quelques années de plus mais le résultat final eût été le même.
226 Un des plus anciens et vénérables archevêchés de France : Paris, jusqu’alors simple évêché, suffragant de Sens, ne fut élevé à ce rang qu’en 1622.
227 La perception qu’il abandonnerait et qu’Eugène pourrait occuper, bien entendu.
228 Mieux vaut une perception moyenne dans le pays de ses ancêtres qu’une grosse n’importe où. La mobilité n’est pas une valeur centrale dans le monde des Lelorrain, de leurs parents et amis.
229 Curieuse expression, qui semble équivalente de « à tout hasard » ou mieux, « en tout état de cause ».
230 C’est évidemment une différence majeure avec les processus économiques actuels au niveau individuel et familial. Les banques ne prêtent d’argent ni aux particuliers, ni aux artisans et commerçants, ni même aux petites entreprises. Ce n’est pas leur métier. Ce qui implique un immense réseau de prêts entre particuliers, réalisés souvent par l’intermédiaire des notaires, et très sous-estimé dans notre vision du XIXe siècle. On a vu dans l’introduction que, toute sa vie, Jules a souffert de la situation dont il décrit justement les dangers.
231 De confiance quand même : en cas de malversation, le bailleur risque de perdre tout ou partie de son capital.
232 En robe de magistrat, s’entend. Les « portraits » sont évidemment des photographies, pas des peintures à l’huile ni même des dessins.
233 Rouher avait abandonné le ministère des Finances qu’il cumulait depuis le 20 janvier avec le ministère d’État, non pour des raisons politiques à cette date, mais parce que la charge était beaucoup trop lourde, même pour lui.
234 Pierre Magne (1806-1879), plusieurs fois ministre (notamment, déjà, des Finances de 1855 à 1860), sénateur, conseiller d’État, venu de l’orléanisme, fut un des plus brillants serviteurs du Second Empire.
235 Personnage mal identifié. Il y a des Donet à Rouvray (Côte-d’Or). L’homme possède, apparemment, de l’influence auprès de Vuitry.
236 Voir la lettre du 29 janvier 1867.
237 Jules écrit trop vite comme le prouve le style, ici un peu relâché. « Il » désigne sans doute le procureur général, Imgarde de Leffemberg. Les deux hauts magistrats sont aussi peu républicains l’un que l’autre mais Neveu-Lemaire est autoritaire, népotiste, violent envers ses ennemis, Leffemberg, juriste très éminent, froid, distant, méprisant et peu enclin à la familiarité ou même aux relations faciles et directes.
238 Expression très confuse. Ont-ils dîné chez Mérandon ou chez Pugeaut ? Jules n’est pas clair.
239 De son nom exact, Compagnie parisienne d’éclairage et de chauffage par le gaz.
240 C’est en effet un salaire modeste. À Paris, vers cette époque, le salaire ouvrier moyen est d’environ 5 francs par jour, ce qui donnerait environ 1 500 francs par an, compte tenu des jours non travaillés « normaux ». Mais ce chiffre est valable pour un ouvrier ne connaissant jamais de chômage saisonnier, cas de figure presque inconnu. Or, Alfred Vialay, employé à la Compagnie du gaz, ne se trouvera jamais dans cette situation et il peut espérer progresser. D’ailleurs, Eugène Lelorrain, avec environ 1 800 francs, n’est guère mieux loti. Ce n’est pas pour le plaisir ou pour s’occuper que Jules, son père, consacre des efforts intenses à lui trouver une perception… Rappelons enfin que les ouvriers parisiens sont bien mieux payés que leurs camarades de province. Voir Georges Duveau, La vie ouvrière en France sous le Second Empire, Paris, Gallimard, 1946.
241 Il s’agit bien du célèbre Eugène Belgrand (1810-1878), directeur des Eaux et Égouts de Paris, l’un des plus importants (le plus important ?) collaborateurs d’Haussmann. Les Parisiens lui sont redevables des travaux titanesques les alimentant en eau potable et évacuant les eaux usées. Mais comme son collègue Jean Charles Adolphe Alphand (1817-1891), lui aussi hydrologue, urbaniste, créateur des bois de Boulogne et Vincennes, Belgrand fut également en charge du gaz, les deux réseaux (eau et gaz) étant intimement liés, sans être exactement, comme le dit Jules par approximation, ingénieur de la compagnie. Bien que né dans l’Aube, à Ervy, Belgrand fut très lié au « pays » de Jules, de ses parents et de ses amis : son premier poste d’ingénieur titulaire fut celui des arrondissements de Semur et Châtillon-sur-Seine en 1836, avant son départ pour Avallon en 1845. D’où ses liens avec les Vialay. Voir Notice sur la vie et les travaux de M. E. Belgrand par L. Lalanne, Directeur général des Ponts et Chaussées de 1re classe en retraite, Membre de l’Institut, Paris, Dunod, 1881.
242 Il l’est. Le Robert donne une première occurrence pour 1801.
243 Fondé en 1815 (pendant les Cent-Jours) par Fouché, le Constitutionnel ne reflète pas forcément ici les opinions d’Édouard. Jules veut simplement dire qu’on le trouve dans tous les cafés et que sa lecture n’est pas compromettante. Longtemps organe libéral, plutôt anticlérical, opposé aux Bourbons, il devint à partir de 1848 un journal très bonapartiste et favorable au régime. Jules veut peut-être dire aussi que la fonction de sous-main est la meilleure qu’on puisse lui trouver. Il fut toutefois un moment important de l’histoire de la presse française, publiant en feuilleton, sous la monarchie de Juillet, Eugène Sue, George Sand, Balzac, Dumas, etc. Mais en 1867, son déclin était amorcé. Voir Claude Bellanger (dir.), Histoire générale de la presse française, t. 2, De 1815 à 1871, Paris, PUF, 1969.
244 Allusion (conscience ou inconsciente) à la célèbre formule de Guillaume le Taciturne (1533-1584) après une défaite face aux Espagnols, lors de la guerre d’indépendance des Pays-Bas : « Je n’ai jamais eu besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. »
245 Nous sommes en 1867 : une photographie demeure un objet rare, à haute valeur symbolique et affective, relativement coûteux par ailleurs, même si le Second Empire se marque par une diffusion extraordinaire de la photo de masse. Le célèbre Disderi, véritable inventeur de celle-ci, demandait, vers 1860, vingt francs pour douze photos. Mais vingt francs, cela représentait en 1867 quatre jours de travail pour Eugène. Ce n’est pas tout à fait rien. Voir Gisèle Freund, Photographie et société, Paris, Le Seuil, 1974.
246 Jules envisage sans doute des événements professionnels imprévus concernant Eugène ou, aussi vraisemblablement, des accidents politiques majeurs. On a vu qu’il croit à une guerre imminente. En cela, il a raison : elle sera simplement un peu plus tardive qu’il ne l’a pensé en 1867.
247 On a vu dans l’introduction que Jules possède quelques créances, de recouvrement très incertain.
248 Bel exemple d’auto-persuasion. On se demande si Jules croit lui-même à ce qu’il écrit. L’hypothèse la plus forte est que non.
249 Le refus total de la mobilité est décidément un trait essentiel de la mentalité « bourgeoise » de l’époque, et pas seulement de celle des magistrats. Jules avait été nommé à St Pons (Hérault).
250 Toutes les thèses de doctorat, en médecine comme ailleurs, étaient obligatoirement imprimées, ce qui représentait une des charges les plus considérables du cursus d’un étudiant. Celle d’Édouard compte 70 pages.
251 La prééminence de la référence régionale dans les réseaux de sociabilité et d’influence est évidente et n’a rien de spécifique au cas des Lelorrain.
252 Jules doit être troublé : le destinataire est évidemment Édouard.
253 Un jeudi ! Voir la lettre du 8 mars 1867.
254 La thèse d’Édouard sera soutenue à la fin de l’année et imprimée en décembre sous le titre : De la responsabilité du médecin devant les tribunaux, Strasbourg, 28 décembre 1868. Médecin militaire à partir de 1869, Édouard n’en était pas moins licencié en droit, bon sang ne sachant mentir. Il avait soutenu une « thèse de licence », comme cela se faisait à l’époque, écrite en latin et publiée en 1866 sous le titre : De Causis quibus interrumpitur vel in quibus sistit praescriptio (Des causes qui interrompent ou qui suspendent le cours de la prescription), par E. Lelorrain, de Joigny, Chaumont, C. Cavaniol, 1866. Il alla plus loin encore et devint par la suite docteur en droit de la faculté de Lyon avec une thèse intitulée De l’aliéné au point de vue de la responsabilité pénale, soutenue à Lyon en 1882, publiée à Vienne (Isère, et non pas Vienne, Autriche comme l’indique assez drôlement la notice du catalogue du SUDOC…).
255 Sur cette loi et son contexte, voir la lettre du 29 janvier 1868.
256 Apparemment, elles pouvaient se faire avant le début de l’année nouvelle !
257 Orthographe inexacte de Jules : le conseiller se nomme Lorenchet de Montjamont (Henri). Voir son dossier.
258 Il sera effectivement nommé président de chambre, mais en mars 1869 seulement.
259 Lorenchet était depuis longtemps victime de coliques néphrétiques et, semble-t-il, assez dépressif, comme l’on dirait aujourd’hui.
260 Il va falloir en réalité attendre avril 1868.
261 La présidence du tribunal de Chaumont (1861-1865) est décidément un mauvais souvenir pour Jules. C’était certes un petit tribunal mais où, selon ses dires en tout cas, il faisait seul ou presque seul tout le travail.
262 Il veut dire qu’il aurait en quelque sorte validé le parcours : conseiller à la cour, président du tribunal, président de chambre.
263 La ruse de Jules (voir la lettre du 10 janvier 1867) n’aura servi à rien, comme c’était prévisible.
264 Pour le « genre de vie », l’interrogation est compréhensible. Mais le climat de Flavigny-sur-Ozerain est-il vraiment différent de celui de Dijon ? Un peu plus continental, sans doute, que dans le pays de la Côte, plus froid l’hiver, mais vraiment de peu. Les interrogations de Jules montrent en fait son angoisse vis-à-vis de la décision de sa fille, dont il sait bien qu’elle est irrévocable.
265 Il se fait toujours des illusions, qu’il réitérera dans plusieurs lettres. La « vocation » de Berthe est définitive.
266 Le côté « intéressé » des couvents de femmes est une réalité, non un fantasme d’anti-cléricaux. En 1835, les sœurs de la Providence de Flavigny (ce n’est pas la congrégation de Berthe mais cela importe peu) sollicitèrent un secours financier de la reine Marie-Amélie pour acheter et réparer la maison qu’elles louaient. Selon la procédure prévue, le préfet sollicita, par le sous-préfet de Semur, l’avis du maire de Flavigny qui répondit le 16 avril de manière complètement négative. La congrégation est riche, disait-il, et « chaque novice qui entre dans cet établissement doit apporter une somme déterminée que je ne crois pas être en dessous de 4 000 francs [dix ans de salaire d’un ouvrier agricole de la Côte-d’Or de l’époque !]. Le placement sera fait de suite au nom de la communauté, soit en acquisitions d’immeubles, soit en obligations. », ADCO, 1 V 413.
267 En fait, Eugène se mariera le 4 juin 1868. Jules a donc battu en retraite à plusieurs reprises : on n’a pas attendu d’avoir une perception (initialement, la condition était rédhibitoire), on n’a pas attendu le mois d’août… En droit, Eugène ayant plus de 25 ans, le « consentement » de son père n’était pas obligatoire. Mais le refus entraînait malgré tout des contraintes de forme assez lourdes, prévues par les articles 151, 152 et 153 du code civil (voir la lettre du 16 novembre 1868). Et de toute façon, il était hors de question pour Eugène et Jules de se fâcher.
268 Le français d’Alix n’est pas tout à fait celui de son époux…