Conclusion
p. 317-324
Texte intégral
1Alors que, dans les années 1990, elle était en passe d’être gommée, ou de devenir un « souvenir du passé1 », la frontière américano-canadienne a connu un retour en force avec les attentats du 11 septembre 2001. À travers sa sécurisation avancée, elle a subi une refonctionnalisation sans précédent qui est venue s’insérer à contre-courant des tendances qui la structuraient depuis plusieurs décennies, et plus particulièrement de l’intégration économique dont elle faisait l’objet.
2Si la mise en place de la « frontière intelligente » avait pour but de concilier ces deux dynamiques – défonctionnalisation économique et refonctionnalisation sécuritaire – pour qu’elles cohabitent et fonctionnent de façon conjointe, l’entreprise n’a pas été une réussite concluante. Plutôt que de parvenir à articuler une frontière ouverte au commerce et aux personnes représentant un faible risque avec une frontière fermée aux terroristes, elle a davantage engendré de nombreux dysfonctionnements et des coûts additionnels qui ont mis à mal les liens transfrontaliers qui s’étaient noués depuis des siècles érodant par la même occasion les avantages de l’ALENA. De frontière « fertilisante », générant des activités, elle menace désormais de devenir une frontière davantage « stérilisante2 » qui, sans toutefois mettre fin à l’intégration économique à l’œuvre depuis deux siècles entre les deux pays, est cependant en train de la freiner quelque peu. Pour preuve, l’écart entre les échanges bilatéraux et les échanges interprovinciaux a diminué de façon notable au cours de la dernière décennie : alors qu’en 2000, le commerce Canada/États-Unis était plus du triple du commerce interprovincial – 588 milliards contre 182 milliards de dollars (CDN) – en 2009, le rapport passe à 1,5, chacun atteignant respectivement 456 milliards3 et 314,6 milliards4 de dollars (CDN) (cf. cartes 2 et 3). En faisant de la sécurité le prisme structurant auquel tous les autres domaines doivent être subordonnés, la frontière intelligente est donc venue bouleverser l’équilibre économique et géopolitique du continent nord-américain.
Cartes 2 et 3. – Commerce bilatéral et interprovinacial (2001 et 2011).
3Par ailleurs, alors que, par le biais du concept de frontière intelligente, les États-Unis souhaitaient mettre en avant une « nouvelle » frontière, là encore, le projet initial est en porte à faux avec les effets et le fonctionnement réels de la frontière. La prédominance qui a été accordée à la sécurité nous a en effet montré que nous nous situons dans une logique traditionnelle de frontière défensive, dans la lignée des frontières européennes du xixe siècle. Certes, une composante « moderne » lui a été accolée à travers l’utilisation de certaines technologies de pointe ainsi qu’à travers son volet de facilitation des flux, mais l’ensemble est sous-tendu par une logique avant tout stratégique.
4Si la frontière du futur n’est pas si novatrice que cela, c’est parce que ce n’est pas tant un nouveau type de frontière qui a été mis en place mais plutôt un remodelage du concept de frontière, à travers une reterritorialisation du système de sécurité frontalière. En adoptant l’approche par palier, Washington s’est adonné à une dilatation de la frontière – un peu à l’image des lignes de radars qui avaient été déployées pendant la guerre froide. Le double but étant, d’une part, de sécuriser le territoire à plusieurs niveaux et, surtout, d’autre part, de sécuriser les flux de l’intérieur. Et c’est dans ce cadre-là qu’intervient la frontière intelligente avec ses deux composantes de sécurité et de facilitation, ces deux rôles apparemment antithétiques mais présentés comme mutuellement non-exclusifs. La frontière intelligente a donc fait voler en éclats toutes les typologies traditionnelles, frontière ouverte/frontière fermée, frontière dynamisante/frontière paralysante, frontière lourde/frontière faible5. Elle est, en effet, toutes ces frontières à la fois, et plus encore. Et c’est en se construisant dans cet entre-deux ambivalent qu’elle est réellement originale, mais qu’elle porte peut-être aussi les raisons de son échec.
5Son échec est également à voir dans la myriade des forces qui la sous-tend. N’étant que la partie immergée de l’iceberg, la sécurisation de la frontière a servi d’écran de fumée à de nombreux desseins cachés. Du protectionnisme, en passant par le contrôle des individus sans oublier l’accumulation d’informations, la frontière intelligente a servi de prétexte séduisant et vendeur pour dissimuler des enjeux pas tout à fait officiellement assumés. Et c’est ce télescopage d’enjeux et de logiques qui a ajouté à ses dysfonctionnements. Objet rhétorique et outil de pouvoir, la frontière a été instrumentalisée à différents niveaux. Et cette instrumentalisation lui a fait connaître, depuis une décennie, des sommets de politisation, qui font écho, en creux, à la relative indifférence qui l’entourait auparavant, tout en constituant aussi la source de ses maux.
6Toutefois, malgré ces changements, on ne peut pas dire que le 11 septembre ait réellement inauguré un virage à 180 degrés pour la frontière. Tout du moins, son rôle d’événement-pivot est à nuancer. D’une part, la frontière avait déjà commencé à emprunter un tournant dans les années 1990 et les fondations de l’édifice sécuritaire avaient déjà été esquissées – à travers des mesures déjà pensées, une attention suspicieuse envers le Canada déjà dans les esprits et des problèmes frontaliers – temps d’attente et engorgement – déjà présents. Le 11 septembre n’a fait que catalyser une frontière déjà en mutation. D’autre part, la logique du libre-échange n’a pas été fondamentalement remise en cause par les événements sur le World Trade Center et le Pentagone, elle a seulement été freinée. La Guerre contre le terrorisme a donc modifié l’équilibre des forces mais les dynamiques principales sont toujours les mêmes. En fait, si l’on se replace à l’échelle des relations américano-canadiennes, il n’y a jamais de rupture réelle ou de tournant majeur. Historiquement, la plupart des mutations qu’ont connues le partenariat bilatéral en général, et la frontière en particulier, se sont insérées dans la durée. Que ce soit la démilitarisation de la frontière, dans les années 1870, ou bien l’AutoPact de 1963, ou encore l’ALENA, aucun n’a altéré de façon significative les dynamiques continentales. Au contraire, tous ces événements sont davantage venus entériner des forces naturelles, déjà présentes et enracinées depuis plusieurs décennies. Et c’est ce qui s’est passé avec les attentats sur le World Trade Center et le Pentagone. Ils n’ont pas marqué un point de rupture structurant, mais ils ont juste catalysé des changements déjà présents.
7Finalement, en Amérique du Nord, tout se passe comme si les gouvernements intervenaient en suivant une logique qui vient du bas (bottom-up approach). Ils n’inaugurent pas de nouvelles tendances, ils ne font que les sanctionner a posteriori. Le partenariat américano-canadien évolue donc tranquillement, naturellement, pour ainsi dire, et les événements ou les décisions ne viennent se greffer sur ces tendances que pour les reconnaître officiellement, éventuellement les faciliter ou les ajuster, mais en aucun cas, pour leur donner naissance. Le seul jalon historique est peut-être la déclaration d’Ogdensburg. Il y a eu un avant et un après cet événement qui structure encore le partenariat bilatéral de façon profonde. Cependant, là encore, il a eu lieu dans un contexte particulier et favorable.
8La relation américano-canadienne n’évolue donc pas forcément de façon rapide et nette. Elle est parasitée par des dynamiques connexes, voire antagonistes, qui la pousse, de temps à autre, à réajuster sa course mais elle suit une trajectoire plutôt linéaire, la même depuis près de 150 ans. À travers cette stabilité, on peut donc voir dans le partenariat bilatéral un degré de spécificité. Certes, la sécurisation de la frontière est le symbole d’une érosion de la confiance qui a eu lieu entre les deux partenaires depuis le 11 septembre et qui a engendré une certaine marginalisation du Canada : pris dans le filet sécuritaire de Washington, Ottawa a vu sa position singulière non seulement banalisée mais le pays est également passé d’allié pacifique à un voisin potentiellement dangereux. Cependant, cette érosion semble être avant tout une parenthèse temporaire ou une composante qui ne remet pas en cause entièrement le partenariat bilatéral.
9Effectuer une lecture univoque serait donc réducteur. En effet, bien que beaucoup affirment que la relation américano-canadienne n’est pas spéciale, il faut tout de même reconnaître qu’elle véhicule une certaine particularité – premier partenariat commercial au monde, voisins partageant l’une des plus longues frontières de la planète, le Canada comme premier fournisseur en pétrole et en gaz. Et les attentats sur le World Trade Center et le Pentagone n’ont pas vraiment modifié son existence. Seule sa nature a changé. Alors que la « relation spéciale » s’articulait auparavant autour de nombreuses exemptions – en matière d’immigration, de mobilité transfrontalière et d’économie – garantissant ainsi aux Canadiens un accès privilégié au territoire américain, ces exemptions ont volé en éclat lorsque l’indifférence stratégique dont faisait l’objet le Canada a pris fin en 2001. Si le pays a vu en cela sa position rétrogradée, ces exemptions ont été remplacées par une composante essentielle, qui existait déjà mais qui s’est grandement renforcée : une coopération accrue, voire une intégration, en matière de sécurité frontalière et de défense. De Shiprider, en passant par les IBETs, sans oublier NORAD, le Canada bénéficie d’un degré de contrôle et de partage de pouvoir dans ces domaines que les États-Unis n’accordent pas à d’autres pays. On peut donc voir dans cette position unique dont bénéficie le Canada ainsi que dans cette coopération autour de laquelle la frontière intelligente, et à travers elle, la relation bilatérale, s’est construite depuis plus d’une décennie, une réelle spécificité.
10Là encore, une lecture univoque serait réductrice et la coopération est parasitée par des forces connexes que ce soient la défense de la souveraineté canadienne, l’unilatéralisme américain ou encore les tensions diplomatiques, ces trois forces ayant, elles aussi, connu un certain apogée depuis 2001. Intrinsèquement ambivalente, et c’est là sa seconde caractéristique, voire même son essence, la relation « spéciale » ne l’est pas entièrement. Malgré sa relation et les avantages dont il bénéficie, le Canada n’est pas à l’abri des aléas de Washington, que ce soit le protectionnisme, l’unilatéralisme, voire même l’oubli. Et ce sont ces forces qui peuvent engendrer des tensions diplomatiques, qui, elles-mêmes ajoutent à l’ambiguïté de la relation. Tout cela contribuant à l’érosion de la confiance. En raison du déséquilibre qui existe entre les deux pays, la gestion d’une relation avec la première puissance au monde, pose forcément de nombreux défis et la relation ne pourra jamais évoluer, de façon univoque, vers une seule direction. Ottawa doit reconnaître et accepter cette ambiguïté pour atténuer les effets négatifs de ces forces parasitaires.
11La relation américano-canadienne oscille donc entre différents extrêmes. Elle peut perdre de sa spécificité si ces forces corrosives prennent le dessus et engendrent des tensions comme celles qui ont émergé dans la dernière décennie. Au contraire, elle est « spéciale » et à son maximum lorsque les étoiles sont alignées et que ces forces ont une manifestation minime. C’est ce qui semble se passer depuis l’arrivée au pouvoir de Barack Obama.
12Cependant, on peut se demander si le Canada n’a finalement pas trouvé, à travers cette frontière ambivalente, ce qu’il a recherché tout au long de son histoire : s’octroyer un accès privilégié – à la fois économique, commercial et humain – aux États-Unis, tout en se ménageant une certaine distance – à la fois politique et culturelle – afin de ne pas être trop proche du géant américain, de peur que ce dernier ne l’engloutisse. Par sa refonctionnalisation, la frontière intelligente offre, en effet, au Canada cette distante proximité qu’il recherchait ce qu’il souhaitait depuis longtemps : une ligne internationale digne de ce nom, ouverte, mais pas trop, une ligne qui garantisse un partenariat économique lucratif, mais qui le protège également contre un éventuellement empiétement de sa souveraineté par les États-Unis ainsi que contre leurs assauts hégémoniques. En sécurisant la frontière, ces derniers entérinent donc celle qui, dix ans auparavant, aurait pu être oubliée et qui aurait pu passer inaperçue tellement on pouvait la franchir facilement, offrant, par la même occasion, un rempart contre les visées assimilationnistes que certains nationalistes canadiens pouvaient craindre. Lien et distance cohabitent donc à travers la frontière intelligente mais à quel prix ? La question qui se pose est de savoir si cette distante coexistence est tenable sur la longueur…
13À partir de là, on peut se demander si la frontière intelligente, à travers la refonctionnalisation de ses composantes stratégico-défensive, migratoire et, dans une certaine mesure, économique, ne vient pas sanctionner la divergence idéologico-politique qui s’était, on se souvient, renforcée dans les années 19906. En d’autres termes n’assistons-nous pas à la continuité de ce phénomène de divergence qui vient prendre une forme concrète au sein de la frontière ? Le fossé sociétal et politique qui s’est creusé à la fin du siècle dernier était tellement difficilement réconciliable qu’il a peut-être rendu impossible la mise en place d’un partenariat continental poussant l’intégration des deux pays à son paroxysme. Lorsque la situation ne posait aucun problème, cette divergence était acceptable, mais lorsque la crise induite par le 11 septembre survient et requière une réponse politique, les deux pays ayant des intérêts et des valeurs différents – d’un côté, sécurité et guerre contre le terrorisme pour les États-Unis et, de l’autre, économie, commerce et droits de la personne pour le Canada – plutôt que d’effacer la frontière, les États-Unis apportent une dimension sécuritaire supplémentaire à celle-ci et la renforcent. On peut donc voir la refonctionnalisation post-2001 de la frontière comme une évolution logique de ce mouvement de divergence, manifestant ainsi le fossé qui s’est creusé entre les deux pays.
14Finalement, la question est de savoir dans quelle direction le partenariat peut désormais évoluer. Depuis plus de deux siècles, la hantise d’une annexion par le géant américain n’a pas disparu. Lorsque certains auteurs réfléchissent sur l’avenir du Canada, ils le voient voler éclats, soit en raison de forces nationalistes centrifuges venant du Québec et de l’Alberta, soit en raison d’une continentalisation plus aboutie du partenariat américano-canadien7. Dans les deux cas, la question de la frontière serait résolue une bonne fois pour toutes. Si ces scénarios « catastrophes » paraissent tout de même quelque peu exagérés, il n’en demeure pas moins que la recherche devra s’intéresser au chemin qu’est en train de prendre le 49e parallèle, s’il va continuer à se renforcer ou si l’intégration continentale va reprendre le dessus.
15En 2011, sur les bases de l’accord d’Ogdensburg, le Canada et les États-Unis signent l’accord « Par-delà la frontière » pour résoudre le manque de flexibilité que connaît le 49e parallèle depuis 10 ans. Si de nombreux commentateurs attendaient un accord de grande ampleur, à l’image de l’ALENA, qui allait changer la donne de façon significative – certains anticipaient même la mise en place d’un périmètre de sécurité – l’accord n’est finalement qu’une série de mesures incrémentales qui vise à éliminer les dysfonctionnements que connaît la frontière. Prévoyant l’extension de certains programmes contenus dans l’accord de 2001 et suivant les mêmes principes, ce nouveau texte s’apparente davantage à une frontière intelligente 2.0. qui, avec pour maîtres mots intégration, harmonisation et dilatation de la frontière, se donne pour objectifs de gagner en efficacité, de mutualiser les ressources et d’intercepter les menaces avant qu’elles n’atteignent le continent8. Accord juridiquement non contraignant, l’accord « Par-delà la frontière » montre toutefois un effort des partenaires nord-américains afin d’améliorer le fonctionnement du 49e parallèle et de redonner un souffle nouveau à l’intégration des deux pays. Ne concernant pour l’instant que certains programmes bien spécifiques, l’intégration pourrait très bien prendre de l’élan et englober, d’ici quelques années, des domaines plus larges, voire des politiques de plus grande ampleur.
16Parallèlement, avec Stephen Harper, on assiste à l’essor d’un Canada beaucoup plus américanisé. Il partage, avec le voisin du sud, des idées beaucoup plus conservatrices sur le rôle de l’Etat, la gestion budgétaire et l’importance de l’économie que ses prédécesseurs libéraux. Par ailleurs, le centre de gravité politique, démographique et économique du Canada commence à se déplacer vers l’ouest. Traditionnellement structuré autour du Québec et de l’Ontario le pays voit le rôle de l’Alberta, cette province canadienne riche en pétrole et idéologiquement proche des valeurs américaines, prendre de plus en plus d’importance. Cette double affinité politique avec les États-Unis peut donc conduire les deux pays sur des chemins de nouveau convergents. Si l’annexion territoriale n’est pas à l’ordre du jour, est-ce qu’une annexion idéologico-politique rampante ne pourrait pas donner lieu à un partenariat plus approfondi ? Dans ce cadre-là, l’idée d’une union douanière, pourrait séduire davantage. En 2011, un sénateur canadien, Hugh Segal, propose d’ailleurs la création d’une « communauté nord-américaine », qui pousserait l’ALENA un peu plus loin. Structuré autour de trois piliers – le développement des marchés et l’abattement des barrières au commerce, un engagement, à l’échelle du continent, pour le développement économique et social ainsi qu’une coopération accrue en matière environnementale, sociale et militaire – ce projet ajouterait une composante sociale ainsi qu’une structure de gouvernance forte, en plus de la dimension purement commerciale qui régit l’ALENA. Le tout serait chapeauté par une assemblée nord-américaine, un peu à l’image de ce qu’était le Parlement européen à ses origines9.
17L’autre option serait un rééquilibrage loin des États-Unis et, dans ce domaine-là, Stephen Harper a déjà initié le mouvement en multipliant les accords de libre-échange avec le reste du monde, ou même en développant une politique avec l’Arctique. L’idée de se désolidariser de cet ancrage au sud quasimonopolisant, qui, comme toute relation de dépendance est source d’autant de bénéfices que de problèmes, n’est donc pas obsolète. Même la Chine tente de détacher le Canada de son voisin du sud. C’est la thèse que défend un universitaire d’Harvard, Niall Ferguson. Selon lui, la concurrence et les frictions qui ont lieu entre les États-Unis et la Chine vont aller crescendo dans les décennies à venir et cette dernière va tenter d’exploiter les éventuelles tensions qui risquent d’émerger entre le Canada et son voisin afin de s’assurer une mainmise sur les ressources naturelles du Canada10.
18Quoi qu’il en soit, le Canada a le choix des armes et la frontière demeure un outil de souveraineté important selon le chemin que le pays décide de suivre. La gommer ou s’en éloigner, telle est la question. À moins que, fidèle à lui-même, il ne décide d’opter pour une solution intermédiaire.
19Finalement, comme depuis 230 ans, les forces qui sous-tendent le partenariat bilatéral sont empreintes d’ambivalence et le tiraillent dans des directions opposées. Et cette ambivalence ne trouve pas de meilleure manifestation – pour le meilleur, ou pour le pire – qu’à travers la frontière. Peut-être cette ambivalence est-elle la meilleure solution. Le Canada l’a compris, les États-Unis ne peuvent pas être un allié sur lequel compter à 100 %. En gardant ses différentes options ouvertes, à travers une « union libre » qui lui permette d’aller voir ailleurs, le pays peut ainsi multiplier les bénéfices et récolter des avantages sur tous les fronts.
20Loin des scénarios les plus fantasques, la frontière américano-canadienne n’est pas prête de céder. Au contraire, elle offre au partenariat bilatéral un terrain de jeu qui lui permet d’évoluer dans son ambivalence intrinsèque. En jouant avec ses composantes, les deux pays peuvent ainsi régler les paramètres de leur relation et choisir leur degré de proximité ou de distance. Cependant, parce qu’elle cristallise des enjeux non seulement de premier ordre mais également nombreux, la frontière peut très vite se révéler une bombe à retardement qui peut venir enflammer les rapports bilatéraux si le jeu est poussé trop loin et la gestion trop politisée. Si les bonnes frontières font les bons voisins, les États-Unis et le Canada sont encore à la recherche d’un équilibre optimal qui leur permettrait de stabiliser leur partenariat. Une « bonne frontière » qui combinerait les intérêts de chacun, articulerait au mieux les préoccupations sécuritaires et les enjeux économiques, une frontière qui permettrait aux individus de vivre pacifiquement, tout en étant libres de leurs mouvements, une frontière qui garantirait aux deux pays leur indépendance mais scellerait également leur amitié indéfectible. Eldorado mythique, une frontière parfaite que les deux voisins nord-américains ne sont pas prêts de trouver.
Notes de bas de page
1 Pradeau C., Jeux et enjeux des frontières, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 1994, p. 235.
2 Cette terminologie est empruntée à C. Pradeau (Jeux et enjeux des frontières, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 1994, p. 227).
3 « Tableau 228-0003 – Importations et exportations de marchandises, par groupes principaux et par marches pour tous les pays », Ottawa, Statistique Canada [<http://www5.statcan.gc.ca/cansim/a26?>], consulté le 30 juin 2017.
4 Les derniers chiffres disponibles sont ceux de 2009 pour le commerce interprovincial. Avec la crise économique, l’année 2009 connaît un creux notable. Toutefois, même si on compare avec les années précédentes ou suivantes, l’écart entre le commerce interprovincial et le commerce bilatéral s’est grandement réduit « Table 386-0003 – Provincial Input-Output Tables », Ottawa, Statistique Canada, [<http://www5.statcan.gc.ca/cansim/pick-choisir?lang=eng&p2=33&id=3860003>], consulté le 9 septembre 2013.
5 Ces typologies sont empruntées à Pradeau C., op. cit.
6 En termes de valeurs sociétales et de politiques, les deux pays avaient emprunté des voies différentes, comme nous l’avons souligné au chapitre iv de la première partie.
7 Griffith R. (dir.), « Canada in 2020 – Twenty Leading Voices Imagine Canada’s Future », Toronto, Key Porter Books, 2008, p. 40 et Dyment D., Doing the Continental – A New Canadian American Relationship, Toronto, Dundurn Press, 2010, p. 105.
8 « Perimeter Security and Economic Competitiveness – Action Plan », Ottawa, Government of Canada, 2011.
9 Kennedy M., « Senator Proposes Continent-Wide Assembly », National Post, 11 février 2011.
10 Cobb C., « China aims to sour US-Canada relations », National Post, 12 novembre 2011.
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