Chapitre IV. La consécration du libre-échange : repenser la frontière
p. 97-124
Texte intégral
« Let the 5 000 mile border between Canada and the United States stand as a symbol for the future. Let it forever be not a point of division but a meeting place between our great and true friends. »
President Ronald Reagan.
1Sans changer radicalement la donne, les évolutions d’après-guerre ont plutôt contribué à la mise en place d’un terreau fertile pour les relations américano-canadiennes qui connaissent dans les douze dernières années du xxe siècle une mutation historique avec la signature de deux traités de libre-échange. La frontière fait ainsi l’objet d’une reconfiguration notable puisqu’elle va atteindre des sommets de défonctionnalisation et va s’ouvrir aux échanges comme jamais auparavant. Ce qui était, depuis plus de deux siècles, le résultat de forces « naturelles » devient une politique officielle, l’intégration économique étant désormais voulue plus que subie et, surtout, généralisée.
2Au-delà de la simple évolution des tendances, ce qui va vraiment donner l’impulsion au libre-échange, c’est l’arrivée au pouvoir, de part et d’autre de la frontière, de deux hommes qui vont porter sur leurs épaules l’initiative. En effet, après une décennie houleuse qui a vu s’intensifier les tensions entre le président américain, Richard Nixon, et le Premier ministre canadien, Pierre-Eliott Trudeau, les relations américano-canadiennes connaissent une période de détente. Grâce à la grande affinité idéologique néoconservatrice qui existe entre le Républicain, Ronald Reagan, et le Conservateur, Brian Mulroney, et l’amitié personnelle qui les unit, les deux pays vont s’aligner davantage pour transcender les barrières politiques qui les séparaient depuis plus de 150 ans et conclure un accord de libre-échange qui va renforcer les liens transfrontaliers.
De l’Accord de libre-échange à l’ALENA
L’Accord de libre-échange : vers un « nouveau partenariat1 »
3En pleine guerre froide alors qu’ils continuent à intégrer leur système de défense aérienne dans le Nord2, les deux pays décident de pousser leur partenariat plus loin et recommencent à parler de ce sujet, tant débattu, tant craint et tant rêvé, depuis près de 130 ans : le libre-échange. C’est le Canada qui commence à aborder le sujet en 1983, puis donne l’impulsion aux discussions lors du sommet Shamrock en mars 1985, afin de garantir son accès au marché américain et de contrer le protectionnisme croissant dont fait preuve le Congrès. Ce dernier s’apprête, en effet, à adopter un Omniubus Trade Act qui prévoit la mise en place de droits de douane aussi élevés que ceux instaurés pendant la Grande Dépression. Pour leur part, les États-Unis voient, dans un accord de libre-échange, l’occasion de réduire leur déficit commercial, qui, en constante augmentation, s’élève à 14,3 milliards en 1983 et à 23,3 milliards en 19863.
4Après 16 mois de négociations, débutées en mai 1986, sur fond de différends ponctuels4, les deux pays parviennent à trouver un terrain d’entente quelques heures avant l’expiration des pourparlers et signent un accord préliminaire. Ce dernier prévoit l’élimination des droits de douane sur le commerce des produits industriels et agricoles, pour une période de dix ans, la libéralisation des organismes canadiens de contrôle des investissements étrangers, le traitement national des entreprises américaines opérant au Canada ainsi qu’un accès bilatéral limité concernant les passations de marchés dans chacun des deux pays5.
5Cependant, cet accord est plutôt accueilli tièdement tant au Canada qu’aux États-Unis, tous deux n’étant que partiellement satisfaits des clauses négociées. Au Canada, comme toujours lorsqu’il s’agit de la frontière ou de la relation avec le voisin du sud, l’accord se retrouve même au cœur d’un véritable débat de fond auquel tout le monde prend part : en 1988, 90 % des Canadiens ont un avis sur l’accord, alors que le texte est en cours de ratification devant le Parlement canadien et le Congrès américain. Tout d’abord, toutes les industries ne soutiennent pas le libre-échange. Bénéficiant traditionnellement d’une protection importante, les compagnies textiles, par exemple, craignent de ne plus être compétitives sur le marché nord-américain, de même que les producteurs d’alcool, de bière, ainsi que l’industrie du meuble et les agriculteurs. En outre, sur la scène politique, le débat se polarise avec d’un côté, les nationalistes, dont les Libéraux se font les porte-voix, qui craignent que le libre-échange ne conduise à une harmonisation socio-politique entre les deux pays, et, de l’autre, les continentalistes, menés par les Conservateurs de Brian Mulroney, qui mettent en avant l’importance de la compétition et des forces du marché. Brandissant la menace du Congrès protectionniste, ces derniers soutiennent que le libre-échange est, au contraire, dans l’intérêt du pays et qu’il s’agit de la seule solution pour le Canada de se développer économiquement. Sans cela, le pays risquerait de stagner, faute de débouchés6.
6Finalement, l’accord est signé le 28 septembre 1988, mais le Sénat libéral refuse de l’entériner et déclenche des élections7 qui ont lieu au Canada le 21 novembre 1988 et qui deviennent un véritable référendum sur le libre-échange. La campagne électorale se transforme en une estrade au débat public sur l’accord qui voit s’affronter deux argumentaires de façon virulente. En fait, le débat dépasse le simple domaine économique et c’est toute une réflexion idéologique qui s’opère autour des valeurs canadiennes ainsi que de la relation du Canada avec son voisin du sud. Les détracteurs craignent que le libre-échange ne fasse davantage qu’effacer la frontière économique entre les deux pays. Ils ont peur que l’accord n’entraîne une restructuration profonde de la société canadienne, notamment à travers une refonte des programmes sociaux canadiens plus généreux, tels que les systèmes de santé, l’assurance chômage, la protection de l’environnement ou les conditions de travail, dans un souci de compétitivité économique. Le libre-échange viendrait donc menacer des politiques spécifiquement canadiennes, considérées comme les fondements de l’identité du pays8. Ses détracteurs dénoncent la possible américanisation qui pourrait s’opérer entre les deux pays, dont l’accord serait « l’instrument9 ». Ce qui est craint est donc beaucoup plus important que la simple élimination des barrières douanières, ce sont les implications identitaires et politiques qui pourraient mener vers une convergence entre les deux pays et ainsi voir la frontière politico-idéologique se brouiller. On aboutirait à ce qui est craint depuis 150 ans, à savoir à une annexion cachée.
7Finalement, après un débat houleux, c’est le camp des pro-libre-échange qui l’emporte. Face aux libéraux nationalistes de John Turner, les conservateurs de Mulroney gagnent un gouvernement majoritaire, en rassemblant 43 % des votes et l’Accord de libre-échange (ALE) Canada/États-Unis entre en vigueur en 198910.
8Avec cet accord, la frontière connaît donc la plus importante transformation de toute son histoire : la défonctionnalisation quasitotale de sa composante douanière. Alors que l’intégration économique était jusqu’à présent une sorte de fatalité dictée par les forces du marché, elle est désormais endossée comme politique officielle. De plus, après de longues années d’hésitations, c’est paradoxalement la peur du protectionnisme américain qui consacre le libre-échange. En d’autres termes, c’est comme solution à la fermeture de la frontière que son ouverture est proposée par le Canada pour s’assurer débouchés commerciaux et prospérité économique. Cependant, les débats que l’accord engendre montrent à quel point la frontière est fragile et l’équilibre entre ses différentes composantes entremêlées est précaires, pour le Canada – un équilibre difficile à trouver qui garantirait au pays à la fois prospérité économique et sécurité nationale sous le parapluie américain, mais aussi souveraineté politique, idéologique et culturelle à travers une distance suffisante instaurée par la frontière pour éviter que le Canada ne devienne 51e État américain.
9De leur côté, les États-Unis sont moins secoués par le débat autour du libre-échange, comme peut en témoigner la dissymétrie d’intérêt que suscite le sujet : en 1988, seuls 39 % des Américains interrogés, étant au courant qu’un tel accord était en cours de négociation. Comme toujours, si les États-Unis sont une priorité pour le Canada et attirent une couverture médiatique importante, l’inverse n’est pas vrai et le voisin du nord se trouve bien souvent en dehors du champ de vision de Washington, et encore plus du peuple américain11. L’ouverture du 49e parallèle au commerce est toutefois accueillie de façon globalement positive par l’administration Reagan. « Jalon historique » pour reprendre les mots du président lors de la signature de l’accord, le libre-échange est présenté comme un modèle à suivre et comme le symbole d’un continent où frontières et divisions sont abattues pour devenir au contraire des traits d’union12.
L’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA)
10À peine trois ans après la signature de l’Accord de libre-échange Canada/États-Unis, le Mexique fait savoir qu’il aimerait intégrer un accord similaire avec les États-Unis et le Canada. Ne voulant, toutefois, pas perdre les bénéfices de l’accord de 1988, le Canada accepte, à contre cœur, d’intégrer le Mexique et l’ALENA est signé en août 1992 par George H. Bush, Brian Mulroney et Carlos Salinas. Il entre en vigueur le 1er janvier 1994 et marque un important tournant dans l’histoire économique et géopolitique des trois pays.
11Bien que controverse il y ait, elle est moins vigoureuse au Canada – tout comme le soutien y est plus tiède – que lors des négociations de l’ALE, les Libéraux se ralliant notamment aux partisans du libre-échange13. Globalement, le libre-échange et, à travers lui la relation avec le voisin du sud, semble moins problématique que quatre ans auparavant, signe qu’un virage politique, idéologique et identitaire est en train de s’amorcer. Après plusieurs siècles d’une valse hésitante sur le sujet, cette acceptation de l’ALENA montre une certaine stabilisation de l’identité canadienne, les Canadiens acceptant en quelque sorte leur américanité14. L’ouverture de la frontière n’est plus aussi problématique qu’elle l’a été auparavant et la peur de l’assimilation contre laquelle le 49e parallèle représentait un garde-fou est surmontée.
12Aux États-Unis, cependant, la situation n’est pas aussi simple. En effet, si le premier accord est passé inaperçu, celui-ci soulève, au contraire, d’importants débats, notamment parce qu’il inclut le Mexique15. Tout d’abord, la situation est d’autant plus tendue que les négociations coïncident avec des élections. L’accord a en effet été signé, en 1993, par George H. Bush quelques mois avant la fin de son mandat et doit être ratifié sous Bill Clinton16. Pour faire taire les voix dissidentes qui craignent les conséquences négatives du libre-échange en matière d’immigration et de fonctionnalité de la frontière, ce dernier se voit dans l’obligation de transférer un tiers des agents de douane, d’immigration et de la patrouille frontalière de la frontière canadienne vers la frontière mexicaine et s’assure ainsi la ratification du traité par le Sénat17, le 20 novembre 1993. Et l’accord entre en vigueur quelques semaines plus tard, le 1er janvier 199418.
13Plus qu’un simple accord de libre-échange, l’ALENA va plus loin que l’accord de 1989, tout en ayant un statut double. Si, selon la définition qu’en donne le GATT, il s’apparente davantage à une zone franche – « un groupe formé d’au moins deux territoires douaniers au sein desquels les droits de douane ainsi que d’autres mesures restrictives relatives au commerce de produits d’origine sont éliminés » – il comporte aussi des caractéristiques qui l’apparentent à une union douanière, voire à un marché commun, dans la mesure où il prévoit la libéralisation des échanges, une certaine « libre » circulation des personnes ainsi que celle des capitaux et il établit un mécanisme de règlement des disputes commerciales19. L’ALENA va donc plus loin qu’une simple suppression des droits de douane – qui passent tout de même de 25 % à 5 % entre 1975 et 199520. On assiste à une triple défonctionnalisation de la frontière qui « s’ouvre » de manière significative au commerce des marchandises et des services, aux capitaux et – mais à un degré moindre – aux personnes. Les effets sont aussi multiples que leur ampleur est significative.
14Tout d’abord, stimulé par ces deux accords de libre-échange, le commerce bilatéral prend un essor considérable. L’effet de l’ALE n’a pas eu un impact aussi substantiel que le Canada l’escomptait – le total du commerce des marchandises n’augmentant que de 184 à 222 milliards de dollars (CDN) entre 1988 et 199221. Ajouté à la perte de milliers d’emplois, lors de la récession de 1990, pouvant être attribuée à l’ALE, ce dernier ne s’avère pas être une panacée pour l’économie canadienne22. L’ALENA, au contraire, engendre, dès sa mise en place, une croissance exponentielle du commerce bilatéral de marchandises qui double entre 1993 et 2000 – passant ainsi de 264 à 588 milliards de dollars. Cette augmentation bénéficie d’autant plus au Canada que ses exportations vers les États-Unis sont presque multipliées par 2,5 entre 1992 et 2000 – de 150 à 359 milliards de dollars – alors que ses importations connaissent elles aussi une croissance, mais à une proportion moins importante, par deux – de 113 à 229 milliards de dollars (CDN) (figure 1)23. Les exportations vers le sud prennent donc une place considérable dans le commerce transfrontalier et deviennent le cœur de la prospérité canadienne, passant de 16 % du PIB en 1990 à presque 35 % en 200024. Et la balance commerciale devient excédentaire au profit du Canada25, à partir de 199426.
Figure 1. – L’ALENA et le commerce bilatéral.
Source : Statistique Canada, « Tableau 228-0003 – Importations et exportations de marchandises », [<http://www5.statcan.gc.ca/cansim/a26?lang=eng&retrLang=eng&id=2280080&tabMode=dataTable&p1=1&p2=50&srchLan=-1>], consulté le 30 juin 2017.
15Qui dit augmentation du commerce, dit, par conséquent, augmentation du trafic transfrontalier. Dans un souci de compétitivité et de productivité, les échanges commerciaux devant se faire le plus rapidement possible, l’intégration des moyens de transports, s’accroît, notamment les transports terrestres, qui constituent plus de 65 % des échanges. Parmi les vingt passages de frontière les plus fréquentés entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, douze sont américano-canadiens, parmi lesquels Detroit/Windsor, Buffalo/Niagara et Port Huron, respectivement en première, troisième et quatrième places et ils rassemblent, à eux trois, plus de 30 % des échanges inter-ALENA27. Ce ne sont donc pas seulement les fonctions de la frontière qui subissent des altérations suite à l’adoption de l’ALENA, mais c’est aussi le site même du 49e parallèle qui se trouve affecté par ce qui prend la forme d’une fréquentation croissante.
16Parallèlement, avec l’ALENA c’est aussi la fonction de régulation financière de la frontière qui connaît d’importantes mutations. Déjà très poreuse aux capitaux, la frontière s’ouvre encore davantage à ceux-ci à partir de 1994. Comme traditionnellement les entreprises américaines investissaient au Canada en y installant des filiales afin de contourner le mur protectionniste, on aurait pu penser que, une fois les obstacles liés à ce mur abattus, le schéma s’en serait trouvé altéré28. Cependant, cela n’est pas le cas. Si l’Accord de libre-échange a vu les IDE n’augmenter que de façon marginale entre 1988 et 1993, passant ainsi de 76 à 88 milliards de dollars pour les IDE américains vers le Canada et de 51 à 64 milliards pour les IDE canadiens vers les États-Unis, à partir de 1994, ils augmentent de façon exponentielle dans les deux sens. En effet, entre 1993 et 2000, les investissements américains doublent passant ainsi de 90 à 193 milliards de dollars. Sur la même période, les investissements canadiens vers le sud sont, quant à eux, multipliés par 2,5, augmentant de 67 à 177 milliards de dollars. Cependant, alors que la balance des capitaux était asymétrique en faveur des États-Unis, l’écart se réduit à partir de 1997 et les sorties de capitaux à destination des États-Unis rattrapent presque les entrées de capitaux en provenance de ce même pays (figure 2). Bien que d’autres facteurs doivent être pris en compte, et notamment le fait qu’à l’échelle globale, les investissements ont augmenté de façon importante sur la même période, les flux d’IDE entre le Canada et les États-Unis ont progressé beaucoup plus que les flux avec le reste du monde, signe de l’effet positif de l’ALENA sur les investissements étrangers, et plus particulièrement dans les secteurs déjà intégrés tels que l’automobile, la micro-informatique, la chimie et les produits pharmaceutiques qui ont vu leurs systèmes de production avancer vers davantage de rationalisation29. Favorisant les échanges et les investissements, l’ALENA engendre ainsi une intégration productive transfrontalière dont les firmes transnationales – américaines, mais aussi canadiennes – se font le vecteur en redistribuant leurs activités de façon stratégique de part et d’autre de la frontière afin de profiter, d’une part, de l’ouverture de celle-ci et, d’autre part, des avantages comparatifs qu’offre chaque pays30. Forte de cette double croissance des échanges commerciaux et des investissements étrangers, la production nord-américaine augmente, elle aussi, de façon sans-précédent, ce qui se traduit par une concentration territoriale des activités et des investissements productifs non loin de la frontière, notamment dans la « grande rue du Canada », le couloir Québec-Montréal-Ottawa-Toronto-London-Windsor31.
Figure 2. – L’ALENA et les investissements entre le Canada et les États-Unis (1987-2000).
Source : MAECI, « Table 376-0037 International investment position, *Archived* », annual (dollars x 1,000,000) [<http://www5.statcan.gc.ca/cansim/a26?lang=eng&retrLang=eng&id=3760037&tabMode=dataTable&p1=1&p2=50&srchLan=-1#customizeTab>], consulté le 30 juin 2017.
17Enfin, la dernière composante de la frontière que l’ALENA abaisse est la composante migratoire. En effet, dans l’optique d’un partenariat économique nord-américain, l’un des buts de l’accord est de faciliter les mobilités de travail ainsi que les migrations entre les trois pays. Cependant facilitation ne veut pas dire libre-circulation comme c’est le cas de l’autre côté de l’Atlantique, au sein de l’espace Schengen et, ce qui est mis en place, ressemble davantage à un système de migrations supranationales chapeauté par un cadre régulateur qui s’articule autour d’une série de nouveaux visas parmi lesquels le visa TN. Il s’agit surtout d’une facilitation ciblée pour les migrations temporaires d’une certaine catégorie de personnes : les cols blancs. Par ailleurs, si ce visa est disponible dans le cadre de l’ALENA à la fois aux Canadiens et aux Mexicains, il demande cependant des conditions beaucoup plus strictes pour ces derniers32. En établissant un système de visa professionnel l’ALENA pousse donc un peu plus loin la défonctionnalisation de la composante migratoire du 49e parallèle. De surcroît, il institutionnalise une tendance qui s’est développée depuis la Révolution américaine : un traitement préférentiel pour les Canadiens qui bénéficient d’une mobilité privilégiée contrairement à leurs homologues mexicains. Symbole de ce qui peut être considéré comme une relation spéciale qui unit les deux pays, cette défonctionnalisation plus avancée de la frontière canadienne illustre aussi la dimension périphérique que le 49e parallèle revêt dans la politique stratégico-militaire de Washington.
18Au final, avec l’ALENA, seule la composante politique se maintient. En effet, malgré les craintes et les critiques émises par ses détracteurs, l’ALENA n’est qu’un accord économique. Contrairement à l’Union Européenne, l’ALENA n’a aucune ambition politique et n’a pas la prétention de construire une quelconque entité supranationale. Hormis la structure de résolution des disputes commerciales, l’accord ne prévoit pas la mise en place d’autres organes institutionnels communs – exécutif, législatif ou judiciaire. Pour reprendre les mots de Daniel Drache, l’ALENA instaure davantage une « intégration négative » marquée par des interdits selon la doctrine du « thou shall not » et par un recul du rôle de l’État – qui doit diminuer les droits de douane et ne pas entraver les échanges – plutôt que par une véritable volonté politique imposant des règles positives. Par ailleurs, cet accord commercial n’a aucune visée sociale et ne prévoit, en aucun cas, dans son statut légal, une amélioration des services auprès des citoyens nord-américains qui permettrait d’aborder les problèmes sociaux liés à l’intégration économique. L’obstacle le plus important à une intégration politique et sociale plus avancée réside dans le fait que l’ALENA n’a rien de supranational et laisse quasiment intacte la souveraineté des trois pays. Si, dans le domaine économique, il limite le rôle des États, dans les autres domaines, l’État demeure souverain et les provisions juridiques de l’ALENA ne sont pas toujours contraignantes. Symbole de cela, les disputes commerciales qui ont lieu entre le Canada et les États-Unis, dont la plus fameuse, celle sur le bois d’œuvre, montrent bien que le Congrès américain défend, avant tout, ses intérêts et fait fi de certaines règles de l’ALENA, en imposant notamment de façon unilatérale des droits de douane punitifs aux producteurs de bois canadiens33.
19La différence principale qu’il y a entre l’ALENA et l’Union européenne (UE) – avec laquelle on est souvent tenté de le comparer – c’est que l’UE est avant tout une entreprise politique née de la volonté commune des pays européens de s’associer économiquement, avec la Communauté du charbon et de l’acier (CECA) puis la Politique agricole commune (PAC) et la Communauté économique européenne (CEE) et de faire de cette coopération économique un tremplin politique. En Amérique du Nord, la trajectoire est inverse. En effet, tout au long des xixe et xxe siècles, les économies du Canada et des États-Unis se sont associées de façon « naturelle » dans une intégration dictée par le marché – proximité géographique, choix des consommateurs, préférences des investisseurs et comportement des entreprises – et les politiques gouvernementales ne sont intervenues qu’a posteriori de façon réactive afin d’entériner et de faciliter un phénomène qui avait déjà lieu :
« Rather than seeking deeper integration, governments have only gradually accepted the need to facilitate it by addressing problems experienced by private traders and investors. The result is a much more piecemeal and less deliberate approach to rule making and institution building34. »
20Si, en Europe l’impulsion est venue d’en haut, des gouvernements, en Amérique du Nord elle est venue d’en bas et les gouvernements n’ont pris part au processus que dans un deuxième temps comme pour tenter de canaliser et d’encourager les « forces de l’intégration silencieuse35 ».
21De plus, alors qu’en Europe une véritable structure politique formelle a été mise en place pour gérer des directives de façon verticale, par le biais d’une couche gouvernementale supplémentaire, le Canada et les États-Unis ont plutôt développé des accords informels de coopération relatifs, par exemple, au partage de l’information, à la réduction des coûts liés au commerce et à la mise en place d’arrangements de reconnaissance mutuelle, pour n’en citer que quelques-uns. La collaboration entre les deux pays est immense, mais elle ne bénéficie pas d’un cadre institutionnel solide et concret. Au contraire, une grande partie de ces initiatives et de ces actions a lieu en deçà du radar politique et elles ne sont pas coordonnées ou sujettes à une politique globale ou à des objectifs stratégiques36.
Figure 3. – Épaisseur des différentes fonctions de la frontière Canada/États-Unis (2000).
22Tout en restant un projet ambitieux, l’ALENA ne fait pas adopter à l’Amérique du Nord un virage à 180 degrés, mais seulement à 60 degrés. Il vient plutôt s’insérer dans la continuité des tendances qui s’épanouissaient déjà depuis plusieurs décennies en leur donnant un cadre économique tout de même assez lâche et en créant un espace nord-américain qui consacre le libre-échange à l’échelle continentale. Plutôt qu’un déclencheur, il s’agit plutôt d’un catalyseur. Levier politique et site de nombreuses fonctions de contrôle de l’État, la frontière se trouve, quant à elle, altérée de façon profonde par cet accord. Subissant une « subversion […] par l’économie37 », elle devient en effet celle par qui le libre-échange est possible à travers la défonctionnalisation de trois de ses composantes (figure 3). Si la situation économique et géopolitique du continent n’est pas reconfigurée de façon fondamentalement différente, reconfiguration il y a en termes d’ampleur des relations : qualitativement, la relation américano-canadienne reste ce qu’elle était, en évoluant vers davantage d’ouverture, mais quantitativement, elle prend un essor considérable, tant en ce qui concerne le commerce et les investissements que les flux transfrontaliers de personnes. À travers sa triple ouverture, la frontière vient consacrer un rapprochement sans-précédent entre le Canada et les États-Unis, tissant ainsi entre les deux pays un enchevêtrement de relations et de liens qui scellent leur destin dans une aventure économique commune.
Le renforcement de la frontière idéologique
23Dans le nouveau contexte post-ALENA, où le libre-échange est devenu une politique officielle, le Canada se retrouve en position précaire, face au raz de marée de l’hégémonie culturelle américaine qui s’impose sous couvert de libéralisation. Il est donc de plus en plus difficile pour le pays de protéger son identité grâce aux leviers économiques traditionnels38. Pour autant, malgré les craintes d’une harmonisation sociétale à laquelle aurait pu conduire l’ALENA, le libre-échange n’a pas gommé les différences de valeurs entre le Canada et les États-Unis. C’est ce que Michael Adams met en évidence, dans un ouvrage, dédié à l’étude des valeurs sociétales qui forgent l’identité nationale de chaque pays. Il démontre en effet que non seulement les valeurs qui structurent les deux pays sont diamétralement opposées, mais leurs différences se sont même renforcées dans la dernière décennie du xxe siècle. Les États-Unis mettent davantage l’accent sur la religion, la propriété privée, la fierté nationale, la responsabilité sociale, la famille, l’assimilation culturelle et, plus récemment, le consumérisme, le sexisme, le fatalisme, alors que le Canada embrasse davantage des valeurs d’adaptabilité, de religion à la carte, de flexibilité de l’identité du genre, de créativité personnelle, de rejet de l’ordre, etc.39. Les Américains sont passés, en une décennie, de valeurs regroupées autour d’un axe « authenticité et responsabilité » à des valeurs d’« exclusion et [d’]intensité » qui reflètent un certain conservatisme social. Les Canadiens, pour leur part, sont animés par des valeurs d’« idéalisme et [d’]autonomie40 » qui s’apparentent à un progressisme social. Par ailleurs, globalement, à l’exception de la Nouvelle Angleterre, les États américains les plus « progressistes » le sont moins que les provinces canadiennes les plus « conservatrices41 ».
24Au-delà de ces différences « internes », il existe également des « différences externes42 », qui façonnent les sociétés américaine et canadienne et renforcent la divergence entre les deux pays. Bien qu’ancrés dans traditions politiques similaires, le Canada et les États-Unis se distinguent sur plusieurs sujets tels que le contrôle des armes, le bilinguisme, les services de santé et la peine capitale43. Même sur la scène internationale, les politiques des deux pays suivent des chemins distincts dans les années 1990, du protocole de Kyoto que seul le Canada ratifie, à la Cour internationale de justice, non reconnue par les États-Unis44.
25Au final, l’ALENA n’a pas engendré de nivellement identitaire. Contrairement aux craintes souvent affichées, la frontière n’a pas été emportée par les forces assimilatrices et intégrationnistes du libre-échange et de l’hégémonie culturelle américaine. Au contraire, elle continue de séparer deux sociétés distinctes, ce que Michel Foucher appelle des « temps sociculturels », qui « s’exprime[nt] par des valeurs différentes, par des formes diverses de cohésion collective45 ». Malgré sa faiblesse ethnoculturelle et les diverses défonctionnalisations qu’elle a connue, la frontière sort du xxe siècle en voyant sa composante politico-idéologique renforcée.
État des lieux : la frontière à l’aube du xxie siècle
La frontière et les enjeux de l’intégration continentale
26Depuis sa création, la frontière est aux prises avec un jeu de forces complexe certaines la renforçant et lui faisant gagner une épaisseur particulière et d’autres, au contraire, la défonctionnalisant et allant presque jusqu’à nier son existence. Ce phénomène qui a pour effet sa défonctionnalisation est un phénomène d’intégration, qui, avec l’essor de la mondialisation et l’adoption des accords de libre-échange, prend une ampleur considérable dans la deuxième moitié du xxe siècle. Plusieurs facteurs contribuent à ce phénomène qui développe et renforce les liens entre les deux pays, comme le mettent en évidence Carroué et Collet.
27Tout d’abord, le rôle des métropoles mondiales et continentales est à la fois crucial et structurant. Centres économiques financiers, politiques, culturels et sociaux, elles polarisent et organisent les flux et les échanges au sein de leur pays respectif mais aussi de part et d’autre de la frontière, à l’échelle du continent. Par ces flux, elles contribuent à l’intégration de la frontière, mais également à l’insertion des deux pays dans l’économie mondiale46. De nombreuses métropoles, surtout du côté canadien, se situent à moins de 100 kilomètres de la frontière ce qui accentue ce phénomène : Vancouver (50 kilomètres), Winnipeg (113 kilomètres), Detroit (0 kilomètres), Toronto (129 kilomètres), Ottawa (92 kilomètres) et Montréal (66 kilomètres). Des métropoles mondiales, un peu plus éloignées comme New York (530 kilomètres), Seattle (180 kilomètres) ou Chicago (238 kilomètres) jouent un rôle similaire.
28Le deuxième facteur d’intégration est celui de la mobilité transfrontalière et plus particulièrement le tourisme. En 2000, les flux sont relativement équilibrés : on dénombre presque 44 millions d’Américains qui viennent visiter le Canada – 15 millions pour un séjour de plus d’une journée et 28 millions pour un séjour de moins de 24 heures – et plus de 42 millions de Canadiens qui visitent les États-Unis – respectivement 14 millions et 28 millions47. Cette mobilité revêt par ailleurs une composante économique, de nombreux Canadiens franchissant la frontière pour magasiner et ainsi profiter des différentiels de prix entre les deux pays. En effet, les achats transfrontaliers représentent 4 % de la consommation des ménages canadiens, les prix étant 10 à 20 % plus bas du côté américain48. La plupart des flux a lieu entre les provinces et les États frontaliers, mais il existe aussi une catégorie particulière de migrations longue distance de la part de certains Canadiens qui se réfugient, en hiver, dans des régions aux conditions climatiques plus clémentes. Ces snow birds jettent leur dévolu sur trois États en particulier : la Floride, la Californie et le Nevada. Aussi nombreux que diversifiés, ces flux ont donc mené à l’émergence d’un système touristique fortement intégré sur le plan continental49. Enfin, il existe également des flux de travailleurs que ce soient des navetteurs (comuters) qui traversent la frontière quotidiennement pour travailler dans l’autre pays à l’instar des infirmières de Windsor, profitant des salaires plus élevés qu’offrent les hôpitaux américains50, ou bien des travailleurs temporaires qui exécutent une mission à durée déterminée, la plupart du temps au sein d’entreprises transfrontalières51. Il s’agit donc d’un phénomène d’une ampleur certaine, qui vient conférer une autre dimension à la mobilité transfrontalière, resserrant ainsi des liens déjà nombreux52.
29Le troisième facteur d’intégration est celui des réseaux de transports et des flux logistiques. Il suffit de regarder une carte des axes de transport pour remarquer que le continent nord-américain est organisé de façon méridienne. Il s’articule autour de certains axes orientés nord-sud qui polarisent les flux et structurent les échanges. Le plus important est l’axe Québec/Windsor, la « Main Street », qui organise la structure transfrontalière du Saint Laurent et des Grands Lacs. L’autoroute 40/401 qui relie Québec, Montréal et Toronto puis retrouve l’Interstate 75 à Detroit pour ensuite descendre par Cincinnati, Atlanta et jusqu’à Miami, en Floride, traverse le continent du nord au sud. On peut aussi mentionner l’autoroute 15 qui part de Montréal et est connectée à la Interstate 87 allant jusqu’à New York, puis de là, se transforme en Interstate 95 qui relie les métropoles de la côte est : Baltimore, Washington, Richmond et Miami. À l’ouest, l’Interstate 5 relie Vancouver à Seattle puis Portland, San Francisco, Los Angeles, San Diego et Tijuana. Enfin, l’Interstate Highway 395 traverse le centre des États-Unis de la frontière canadienne à la frontière mexicaine. Tous ces axes de communication majeurs sont de « puissants couloirs de circulation » et offrent des axes de pénétration qui structurent les flux entre les deux pays mais également, pour certains d’entre eux, avec le Mexique. Le réseau autoroutier est donc central dans la façon dont il organise le territoire car il s’agit non seulement d’un facteur d’intégration mais aussi d’un facteur de continentalisation53. À partir de là, les flux – que ce soient les personnes ou les marchandises – dont ils sont un vecteur efficace, prennent un essor considérable et ajoutent à l’intégration de la frontière. En effet, 70 % du commerce bilatéral s’effectue par voie terrestre et 80 % des personnes qui entrent sur le territoire canadien le font également par voie terrestre54.
30Cette logique d’intégration nord-sud est renforcée par la faiblesse des liens est-ouest, au Canada. À titre d’exemple, en 2000, alors que le commerce bilatéral se chiffre à 588 milliards de dollars, le commerce interprovincial n’atteint pas un tiers de cette somme avec seulement 182 milliards de dollars (CDN)55. Les provinces canadiennes commercent davantage avec les États américains frontaliers et éloignés qu’entre elles (cf. carte 2). On rejoint sur ce point l’analyse que fait Frédéric Lasserre de l’économie canadienne dans laquelle il voit les régions canadiennes comme le « prolongement septentrional » des régions américaines voisines56. Du fait de l’éloignement et de la grandeur du territoire, il en va de même pour les métropoles canadiennes. C’est ce que Foucher met en évidence : « Dans de nombreux cas, les villes américaines sont plus proches que les pôles urbains de la province voisine57. »
Cartes 2 et 3. – Commerce bilatéral et interprovinacial (2001 et 2011).
31Les firmes transnationales jouent également un rôle majeur dans la continentalisation de l’économie nord-américaine. Ce sont de véritables acteurs de l’intégration économique. Tendance historiquement implantée depuis plus d’un siècle, elle prend un essor considérable, on l’a vu, avec les deux accords de libre-échange. Au début des années 2000, les investissements étrangers au Canada sont, de façon prédominante, américains (60 %)58 ce qui engendre un véritable « ancrage » du Canada aux États-Unis59.
32La dernière caractéristique de l’intégration continentale est l’intégration énergique et technique. Le Canada est, en effet, le premier fournisseur de pétrole et de gaz naturel des États-Unis. Pour faciliter ces échanges, un système transfrontalier d’oléoducs et de gazoducs relient les deux pays60. Il existe également une continuité entre les réseaux électriques, structurés autour de trois régions transfrontalières : le Western Electricity Coordinating Council (WECC) qui regroupe les États des montagnes Rocheuses, l’Alberta et la Colombie-Britannique, la Midwest Reliability Organization (MRO) qui comprend le centre des États-Unis, le Manitoba et la Saskatchewan et la Northeast Power Coordinating Council/Reliability First Corporation (NPSS/RFC) qui englobe les Grands Lacs, l’Ontario, le Québec ainsi que la Mégalopolis du nord-est. Il s’agit du réseau électrique le plus grand au monde et il est géré par la North American Electric Reliability Corporation (NERC) basée à Princeton61. Au sein de ce réseau intégré, le Canada joue un rôle central puisque c’est lui le plus important fournisseur d’électricité62 : le volume de ses exportations a été multiplié par 2,7 entre 1990 et 2000 – de 18 TWh à plus de 50 TWh63.
33Enfin, si l’ALENA ne prévoit aucune institution supranationale, il existe cependant un certain degré d’intégration politique, à travers certains organismes transnationaux, qui ont eu pour but d’institutionnaliser la relation bilatérale : tant dans le domaine de l’environnement avec l’International Boundary Commission, l’International Joint Commission et la Fisheries Commission que dans le domaine de la coopération militaire avec les lignes de radars et NORAD. En plaçant la gestion de certains versants de la frontière sous une égide bilatérale, les deux pays ont ainsi éliminé l’effet de « compression des souverainetés » que l’on retrouve à la frontière et ont, au contraire, fusionné leur souveraineté pour travailler conjointement sur certains dossiers. Localement, on trouve également de nombreux réseaux de coopération notamment à l’échelle des municipalités. On peut par exemple mentionner la Canada/United-States State Business Association qui, depuis sa création en 1989, cherche à promouvoir les liens entre les secteurs d’affaires à Detroit et à Windsor64 ou encore le Pacific Corridor Enterprise Council qui joue un rôle similaire dans l’ouest65. Cependant, quelle que soit leur action, leur rôle ne supplante pas celui du gouvernement et certaines politiques nationales peuvent même venir freiner leurs initiatives, comme ce sera le cas après le 11 septembre 2001. Aussi, contrairement aux craintes qui dominent depuis la mise en place de la Confédération, l’intégration économique n’a pas conduit à une intégration politique avancée ni à un engloutissement du Canada.
34Finalement, on assiste entre le Canada et les États-Unis à une intégration multiforme et de grande ampleur – intégration économique, logistique, migratoire et, de façon partielle, politique et culturelle, avec, localement, l’émergence d’une culture transfrontalière – mais surtout ambivalente. Ce jeu de relations est tel qu’il a tissé des liens nord-sud forts entre les deux pays, liens qui prévalent même, dans le cas du Canada, sur les liens est-ouest, conférant ainsi au territoire nord-américain une configuration géoéconomique qui transcende la frontière. La frontière hautement intégrée anime ainsi une logique de régionalisation, qui, débouche sur l’émergence et le développement de régions transfrontalières.
L’émergence de régions transfrontalières
35Définies par des « relations de voisinage et de proximité fonctionnelle66 », certaines régions américaines connaissent, avec leurs voisines canadiennes, une certaine continuité qui va à l’encontre de la logique de partition établie par la frontière67.
36Tout d’abord, à l’ouest, la Puget Sound Region – aussi appelée Cascadia – est un « dispositif régional de 1 500 kilomètres68 », qui s’étend le long de la plaine littorale, au bord de l’océan Pacifique et se structure autour d’un « système métropolitain bicéphale » – avec, d’une part, Seattle/Tacoma/Everet qui regroupent 3,3 millions d’habitants et Vancouver/Victoria, d’autre part, qui réunissent 2,3 millions de personnes. L’activité de la région s’organise autour de la valorisation des ressources naturelles – produits de la forêt, minerais et énergie – du tourisme ainsi que d’une industrie très dynamique – notamment l’aéronautique et l’armement ainsi que l’informatique et l’électronique69. La région est enfin régie par plusieurs structures de gouvernance transnationale chargées de s’occuper d’enjeux communs, à l’instar de la Pacific North West Economic Region (PNWER), en 199170, du British Columbia Washington Environmental Cooperation Council et du Pacific Enterprise Council71.
37La seconde région transfrontalière, historiquement plus ancienne, puisqu’elle fut le berceau de civilisation des populations autochtones avant de devenir celui de la puissance industrielle des États-Unis – et du Canada – est la région des Grands Lacs. Regroupant plus de 69 millions d’habitants et structurée autour d’un « système métropolitain polycéphale » composé de Duluth, Milwaukee, Chicago, Detroit, Cleveland, Buffalo et Toronto, elle constitue une véritable « méga-région transfrontalière72 ». Elle est marquée, par ailleurs, par une profonde intégration économique, industrielle, financière et urbaine73. Symbole de cette intégration transfrontalière, de nombreuses activités ont une production intégrée de part et d’autre du 49e parallèle. Plus de 120 entreprises canadiennes ont des succursales à Detroit et inversement. C’est tout particulièrement le cas de l’industrie automobile, l’une des activités phares de la région, qui emploie 17 000 personnes à Windsor74 et a mis en place avec une chaîne logistique qui transcende la frontière, les deux pays construisant des automobiles ensemble75. Le résultat de cette intégration industrielle est que la péninsule de l’Ontario est devenue, pour reprendre l’expression de Foucher, une véritable « annexe industrielle de la Manufacturing Belt », exerçant un attrait significatif comme en témoigne le fait que plus d’un tiers des villes moyennes du Canada se situent dans cette région dans les années 199076. Enfin, à la différence de la Puget Sound Region, la région des Grands Lacs dispose d’une structure de gouvernance binationale plus solide, à travers la Commission mixte internationale (Joint International Commission), à laquelle s’ajoute toute une série d’accords tels que le Great Lakes Water Quality Agreement (1973) et du Air Quality Agreement (1991) – qui viennent instaurer une véritable gestion conjointe des Grands Lacs en matière environnementale77.
38Dans ces « laboratoires de l’intégration78 », on retrouve les différents facteurs mentionnés au paragraphe précédent, à la différence que ces régions transfrontalières sont marquées par une forte polarisation des flux – commerciaux et individuels – qui instaurent des liens encore plus serrés de part et d’autre de la frontière. Cependant, tout comme à l’échelle nationale, ces régions connaissent une certaine faiblesse : l’intégration politique, qui, contrairement aux régions transfrontalières européennes79, n’ont qu’un système de gouvernance limité80.
39À la fois connexe et consécutif, un second phénomène est induit par la frontière : celui des villes-jumelles. Même s’il est moins important que du côté mexicain, on le retrouve en plusieurs endroits du 49e parallèle, le plus souvent au sein de ces régions transfrontalières. Défini comme des « réseaux urbains intégrés81 », il se manifeste autour de liens de proximité et de fonctionnalité aussi divers que variés que certaines villes ont tissés à travers la ligne internationale. L’exemple le plus parlant est celui du Detroit et Windsor qui, bien que séparées par une rivière se sont construites et développées de façon conjointe notamment autour de l’industrie automobile. En plus de partager des activités industrielles, il existe une continuité du bâti urbain entre les deux villes, d’importants flux de personnes ainsi qu’une culture transfrontalière qui unissent les deux villes de façon importante. Fait rare, à l’échelle mondiale, Windsor et Detroit partagent, en outre, un système de navette transfrontalière, gérée par Transit Windsor, qui achemine les personnes d’une ville à l’autre, par le tunnel transfrontalier se trouvant sous la rivière Detroit. On peut également mentionner Buffalo et Fort Erie qui, à une échelle moindre, entretiennent des relations tout aussi intimes. Passage central pour les échanges, le poste de frontière entre les deux villes est le deuxième point d’entrée le plus fréquenté le long du 49e parallèle et le troisième en Amérique du Nord.
40Plus à l’ouest, Portal City, dans le Dakota du Nord (131 habitants82) et North Portal dans la Saskatchewan (136 habitants83) sont deux villages construits de part et d’autre de la frontière, mais qui, au niveau du bâti, forment un ensemble « uni ». Si seule une route et la voie ferrée traversent la ligne internationale, les autres voies de communication ont la même orientation et, vu du ciel, on pourrait croire qu’il s’agit d’un seul et même village. Au total, ce sont 34 binômes urbains qui ponctuent la frontière (cf. carte 4). Certaines de ces communautés partagent même des services publics, comme leur réseau de distribution de l’eau84 ou leur service de lutte contre les incendies.
Cartes 4 et 5. – Les flux de personnes entre 2000 et 2011.
41Enfin, parmi ces villes-jumelles, la situation exceptionnelle de Stanstead au Québec (2995 habitants85) et Derby Line (776 habitants86) dans le Vermont, construites littéralement à cheval sur la frontière mérite d’être soulignée. Au fil des années, cette anomalie géographique a en effet donné naissance à d’importants liens transfrontaliers : une usine binationale a été construite sur la ligne internationale, les deux villes sont coactionnaires de l’entreprise de distribution de l’eau potable, l’International Water Company, les deux municipalités s’échangent les services de lutte contre les incendies et plusieurs immeubles sont construits à la fois au Canada et aux États-Unis. Pour symboliser l’amitié qui unit les deux pays, une bibliothèque municipale a été également construite à cheval sur la ligne internationale. Il existe même une rue, la rue CANUSA, qui court sur la frontière, les maisons la bordant au nord se trouvant au Canada et celles la bordant au sud se situant aux États-Unis. De nombreux habitants ont par ailleurs la double nationalité car, jusque dans les années 1970, l’hôpital le plus proche où les femmes se rendaient pour accoucher se trouvait à Newport, aux États-Unis87 (cf. illustrations Stanstead).
42Ces villes jumelles et ces régions transfrontalières témoignent de l’exceptionnelle défonctionnalisation stratégico-militaire dont la frontière jouit depuis le milieu du xixe siècle et des liens qui la transcendent. Interface dynamique, elle n’existe ponctuellement presque pas, comme l’illustrent les nombreuses infrastructures construites au fil des ans sur le site même de la frontière : que ce soit des maisons particulières, des barrages hydro-électriques à l’instar du Saint Lawrence Franklin Roosevelt Power Project, deux parcs transfrontaliers – le Peace Arch Park, près de Vancouver, et l’International Peace Garden, entre le Manitoba et le Dakota du Nord – ainsi que cinq aéroports.
Une frontière asymétrique
43Cependant, la frontière n’est pas animée par ces dynamiques sur toute sa longueur. Loin de subir de façon uniforme les effets de l’intégration continentale – augmentation des flux de personnes, essor des échanges commerciaux, développement des axes de transport – elle n’est sollicitée qu’en un nombre limité d’endroits qui concentrent à eux seuls la majorité des flux. On assiste en effet à un phénomène de polarisation qui anime le 49e parallèle en certains points nodaux, et ceux-ci acquièrent un rôle à la fois critique et central pour le versant physique de la relation entre le Canada et les États-Unis. Il s’agit d’une configuration commune pour certaines frontières dites « linéaires » : « La frontière et les espaces qu’elle détermine peuvent être à dominante longiligne. […] Les réseaux de voies de communication les coupent perpendiculairement, déterminant des sas de passage. » Deux conséquences ressortent de ce phénomène. Tout d’abord, la frontière n’est franchie qu’en un nombre limité de points, les flux étant « canalisés sur ces axes ». Ensuite, les échanges et l’impact économique de la frontière sont donc « limités par rapport à la longueur de la dyade », le reste de la zone frontalière connaissant un phénomène de « marginalisation », qui se manifeste par l’émergence de réseaux de transport qui courent parallèlement à celle-ci88. La frontière américano-canadienne correspond parfaitement à ce modèle de configuration géographique et l’intégration continentale a donné naissance à une organisation méridienne mais polarisée du continent nord-américain, comme en témoigne le réseau de transport. Le cas du Pont de l’Ambassadeur, entre Detroit et Windsor, offre un exemple concret de ce phénomène. Constituant l’un des passages frontaliers les plus fréquentés au monde, il voit traverser plus de 1 747 véhicules par heure à l’aube du 11 septembre89 et 11 millions par an90. En termes de flux commerciaux, les échanges dont il est le site représentent près du tiers du commerce bilatéral américano-canadien91 et équivaut à l’ensemble des exportations américaines vers le Japon et l’Union européenne confondus92. À côté de ces points hyper-fréquentés (cf. carte 1 du cahier en couleur), la frontière traverse des espaces vides – champs, forêts, montagne – qui ne connaissent pas l’impact positif de l’effet frontière et restent plutôt en marge de l’intégration continentale. Dans ces régions, au contraire, les réseaux de transports, courent, en parallèle de la frontière. Parfois même, il existe deux routes, une du côté canadien et une du côté américain qui, séparées par la frontière, se suivent sur des kilomètres, sans se couper. À titre d’exemple, à l’ouest de Fort Frances, dans l’Ontario, aucun pont ne franchit la frontière. Aussi les villes frontalières canadiennes et américaines se développent en se tournant le dos, sans aucun lien pour les unir93.
Carte 1. – Les 10 points de frontières les plus fréquentés en terme de volumes commerciaux en 2012 (en US dollars).
Rang |
Nom |
Total de commerce |
Exportations |
Importations |
Pourcentage du total |
1 |
Detroit/Windsor |
131 022 509 237 |
70 406 781 108 |
60 615 728 129 |
21,3 |
2 |
Buffalo/Niagara F. |
83 008 786 653 |
44 620 937 855 |
38 387 848 798 |
13,5 |
3 |
Port Huron/Sarnia |
81 089 685 953 |
40 297 628 024 |
40 792 057 929 |
13,2 |
4 |
Pembina/Emerson |
24 879 706 726 |
14 317 955 584 |
10 561 751 142 |
4,0 |
5 |
Champlain/Lacolle |
22 399 816 438 |
9 412 177 234 |
12 987 639 204 |
3,6 |
6 |
Blaine/Douglas |
20 225 272 427 |
12 904 524 130 |
7 320 748 297 |
3,3 |
7 |
Portal/North Portal |
17 966 418 765 |
12 381 031 452 |
5 585 387 313 |
2,9 |
8 |
Sweetgrass/Coutts |
17 944 722 956 |
9 963 750 416 |
7 980 972 540 |
2,9 |
9 |
Alexandria Bay |
13 758 804 580 |
6 511 768 178 |
7 247 036 402 |
2,2 |
10 |
Int. F./Fort France |
11 602 586 823 |
3 988 033 858 |
7 614 552 965 |
1,9 |
Total top 10 |
423 898 310 558 |
224 804 587 839 |
199 093 722 719 |
68,8 |
|
Total |
616 003 894 392 |
291 757 629 857 |
324 246 264 535 |
100,0 |
Source : Research and Innovative Technology Administration, [http://transborder.bts.gov/programs/international/transborder/TBDR_QuickSearch.html].
44Ensuite, ajoutée à cette dissymétrie le long de la dyade, la frontière induit également une dissymétrie nord-sud. Comme cela a été le cas depuis la mise en place en son tracé, il existe une disparité de développement – économique, démographique et social – entre les deux pays qu’elle sépare, le Canada ne grandissant que dans l’ombre hégémonique des États-Unis. Si les flux commerciaux ont cru de façon exponentielle grâce au libre-échange et ont tissé entre les deux pays des liens d’indépendance, il n’en demeure pas moins que cette dépendance est asymétrique – 40 % du PIB canadien dépend de ses échanges commerciaux avec son voisin du sud, alors que seulement 2,5 % du PIB américain dépend de ses échanges avec le Canada94. Par ailleurs, pour Claude Manzagol, spécialiste de l’économie canadienne, cette dernière s’est développée en tant que « projection de l’ombre économique des États-Unis », les entreprises américaines proches de la frontière investissant de l’autre côté de celle-ci, au Canada : Detroit investit à Windsor, Seattle à Vancouver et « la Manufacturing Belt s’est naturellement étendue à l’axe Saint Laurent/Grands Lacs95 ». De surcroît, malgré les différentes initiatives mises en place dans les dernières décennies, les contrôles étrangers, et principalement américains, de l’économie canadienne demeurent importants à la fin du xxe siècle. Leur moyenne est de 52,4 %, notamment dans certains secteurs tels que le pétrole et les produits du charbon (96,5 %), les transports (83 %) et l’industrie chimique (84 %)96. Par conséquent, l’économie canadienne est non seulement une « économie de succursale » mais également une « réplique miniature » de l’économie américaine97 : « Les filiales américaines ont reproduit au Canada le schéma de concurrence des États-Unis dans un marché neuf fois plus petits. Les entreprises [canadiennes, quant à elles] sont moins spécialisées et […] tronçonnées, cantonnées à une partie du processus de fabrication98. » Cela engendre donc un ancrage économique du Canada qui est à double tranchant : à la fois facteur de croissance économique mais également de vulnérabilité certaine et de danger potentiel en cas de crise économique ou géopolitique.
45L’asymétrie se manifeste, enfin, au niveau de la densité. Si 80 % de la population canadienne vit à moins de 200 kilomètres de la frontière, les régions frontalières, du côté américain, sont nettement moins peuplées. À titre d’exemple, dans les régions du sud du Québec que sont l’Estrie, le Bas Saint Laurent et la région de Chaudière-Appalaches, la densité oscille entre 8 et 12 habitants au kilomètre carré alors que dans le nord du Vermont, du New Hampshire et du Maine, elle est deux à dix fois moins importante – entre 0,4 et 4 habitants au kilomètre carré99.
46Ainsi, à l’aube du xxie siècle, la frontière américano-canadienne est hautement intégrée, résultat de sa multiple défonctionnalisation ainsi que des divers liens qui se tissent et la transcendent à différents niveaux. Cette intégration est aussi la conséquence du jeu qui existe entre les différentes composantes de la frontière qui interagissent et accentuent le phénomène. Néanmoins, si intégration il y a, elle n’est pas complète et tant au niveau idéologique que politique, des forces l’entravent et empêchent un effacement total du 49e parallèle. Loin de n’être qu’un « fait spatial », la frontière américano-canadienne est également un « fait social », un « marqueur d’identité100 » qui constituent son essence et lui confèrent toute sa réalité, malgré son degré important d’ouverture. Louis W. Pauly utilise une formule intéressante pour décrire toute l’ambivalence que revêt le jeu des composantes de la frontière à mi-chemin entre intégration et autonomie :
« By September 10, 2001, [the border] actually evoked an halfway point – […] somewhere between full union and symmetrical [sic] interdependence. The fence at the border marked a shifting line between economic, social and military integration and cultural and political autonomy101. »
47Après deux siècles d’existence, la frontière Canada/États-Unis est donc une institution tout aussi ambivalente qu’incomplète. À la fois trait d’union et ligne de démarcation entre le Canada et les États-Unis, elle est le résultat d’une évolution en dents de scie qui a vu ses différentes composantes tour à tour se fonctionnaliser et se défonctionnaliser, comme à la recherche d’un équilibre parfait entre ouverture et fermeture pour permettre au Canada d’exister sans toutefois se faire annexer par le géant américain. Il s’agit d’une limite ambivalente, en apparence imperceptible mais avec une réalité on ne peut plus solide. Cependant à la fois « coupure et couture102 », n’est-ce pas le propre de la frontière que d’être ambivalente, prise entre des fonctions et des dynamiques opposées ? Si l’équilibre atteint en cette fin de xxe siècle – aussi contradictoire qu’il soit – paraît résoudre une bonne fois pour toutes la question de la relation entre le Canada et les États-Unis – une proximité mise en contrôle pour ainsi dire – c’est sans compter sur les aléas de l’histoire qui en l’espace de quelques heures vont envoyer valser ce joli équilibre et faire subir à la frontière la deuxième plus importante transformation de son existence en moins de 15 ans.
Le contexte géopolitique de la frontière dans la période post-guerre froide
La menace terroriste mise à nue
48Avant même que les attentats du 11 septembre ne viennent bouleverser la situation internationale et, par là même, affecter les relations entre le Canada et les États-Unis, un nouveau contexte commence à émerger au cours de la dernière décennie du xxie siècle comme signe avant-coureur de ce qui se prépare à changer, de façon notable, la face du 49e parallèle.
49Dès 1990, la chute de l’URSS engendre une reconfiguration de l’équilibre géopolitique mondial, avec le passage d’un monde bipolaire à un monde unipolaire. Après 45 ans d’un conflit qui a vu s’affronter deux blocs – le bloc occidental et le bloc soviétique – définis selon des lignes tant économiques que politiques et militaires, la fin de la guerre froide voit sortir les États-Unis comme les uniques vainqueurs, les consacrant ainsi comme la seule superpuissance mondiale. Le rapport de force entre les pays s’en trouve ainsi modifié et l’équilibre lié au statu quo rendu nécessaire par le potentiel de destruction mutuelle de chaque puissance s’envole103.
50Par ailleurs, dans ce nouveau contexte, un nouveau type de menace apparaît. Alors que traditionnellement, les conflits se développaient dans un cadre où un État A déclarait la guerre à un État B, la menace n’émerge désormais plus au sein des structures étatiques mais en deçà de celles-ci. La disparition de l’Union soviétique met en outre un terme au schéma selon lequel l’URSS apportait son aide à des régimes du Tiers Monde et cela contribue à l’émergence du phénomène des États dits « faibles ». En l’absence de gouvernement national, c’est dans ce nouveau cadre que vont pouvoir s’épanouir des organisations terroristes telles qu’Al-Qaeda. Des pays comme la Somalie, l’Afghanistan ou la région frontalière du Pakistan offrent ainsi à ces organisations un terrain d’opération où elles peuvent trouver refuge et se développer à l’abri des regards et des comptes à rendre104.
51Le terrorisme devient donc l’ennemi du xxie siècle. Défini par Elinor Sloan comme suit, il modifie la donne géopolitique de façon significative :
« Terrorism can be defined as the use of violence by non-state entities against the institutions or citizens of states for political or ideological purposes, in a manner calculated to produce maximum shock and fear effect because of its apparently random and senseless character105. »
52S’il n’est pas un phénomène nouveau, il prend cependant une forme nouvelle à partir des années 1990. Désormais, ses objectifs sont beaucoup plus vagues, l’utilisation de la violence n’a pas de visée ouvertement politique et n’est pas liée non plus à l’auto-préservation. Il se déploie, avant tout, pour son propre chef tout en cherchant à faire le plus de victimes possibles, à l’aide d’armes de destruction massive et de nouvelles technologies106. On assiste donc à l’émergence d’une menace beaucoup plus volatile et insaisissable qui sort des sentiers battus des déclarations de guerre officielles et contre laquelle les moyens traditionnels de défense ne parviennent pas à se prémunir de façon adéquate. Ennemi invisible, il déterritorialise les conflits et marginalise le rôle d’obstacle que joue la géographie, n’importe quel pays, quelle que soit sa situation, pouvant devenir la cible d’une attaque107.
53Loin d’être ignorée, cette nouvelle menace est connue par les décideurs politiques, et notamment par Washington, qui, en 1998, confie à la United States Commission on National Security/21st Century, plus connue sous le nom de Commission Hart-Rudman, la tâche de redéfinir les objectifs de la politique de sécurité nationale américaine, dans le nouveau contexte post-guerre froide, défini par la mondialisation, l’interconnexion croissante entre les pays et la révolution de l’information. Publiés graduellement, au sein de plusieurs rapports échelonnés entre 1999 et 2001, les résultats de cette étude sont troublants.
54Dans la phase I du rapport, dédiée à la compréhension de l’évolution du monde au cours des 25 dernières années, la commission met en exergue la vulnérabilité des États-Unis. La première conclusion est d’ailleurs que le pays va devenir de plus en plus exposé à une attaque sur son territoire et que sa supériorité militaire ne suffira pas entièrement à le protéger108. Les auteurs soulignent également le fait que le pays va devenir de moins en moins sécuritaire, dans les années à venir, et qu’il va se retrouver confronté à de nouvelles menaces, différentes de celles qu’il connaissait par le passé, car beaucoup plus diffuses et difficiles à anticiper :
« [T]he most serious threat to our security may consist of unannounced attacks on American cities by sub-national groups using genetically engineered pathogens. Another may be a well-planned cyber-attack on the air traffic control system on the East Coast of the United States, as some 200 commercial aircraft are trying to land safely in a morning’s rain and fog. Other threats may inhere in assaults against an increasingly integrated and complex, but highly vulnerable, international economic infrastructure whose operation lies beyond the control of any single body109. »
55Une telle conclusion ne peut paraître que sinistrement clairvoyante au vue des événements qui allaient se dérouler au matin du 11 septembre 2001.
56Les auteurs attirent, en outre, l’attention sur les frontières, qui ont vu leur rôle changer avec l’essor de la mondialisation. Ces dernières devenant de plus en plus « poreuses », les États auront, par conséquence, de plus en plus de mal à contrôler ce qui les traverse – idées, personnes, marchandises – et elles peuvent ainsi devenir le vecteur de dangers potentiels110.
57Sans exclure la possibilité de conflits interétatiques, les auteurs signalent que leur fréquence va toutefois diminuer, au profit de conflits internes menés par des acteurs non-étatiques – groupes ou individus – qui vont gagner en influence, dans les 25 prochaines années. Ceux-ci disposeront de moyens de destruction qu’ils qualifient d’« alarmants111 ». Etant donné ce nouveau contexte géopolitique mondial, les auteurs mettent en garde vis-à-vis d’une forme de violence beaucoup plus insidieuse : « le terrorisme catastrophique » (catastrophic terrorism)112. Organisée en réseau, cette nouvelle forme « fatale » de terrorisme aura un impact de masse à l’échelle globale et, attisée par une certaine rancœur vis-à-vis de la culture et des valeurs occidentales, ainsi que de la façon arrogante et égocentrique dont les États-Unis exercent leur pouvoir, elle prendra pour cible les États-Unis au moyen d’armes de destruction massive, jadis réservées aux grandes puissances. Selon les auteurs, le pays doit supposer qu’il est vulnérable à une telle attaque sur son territoire113. Visionnaire ou intuitif, ce rapport met en exergue de façon détaillée certains des rouages du complexe mécanisme qui mènera aux attentats du 11 septembre 2001.
58Finalement, dans le rapport final, Road Map for National Security : Imperative for Change, la Commission émet une liste de recommandations en vue de mettre en place des changements organisationnels114 notamment en matière de sécurisation du territoire américain, afin d’éviter les prévisions faites et de répondre aux nouveaux défis de ce monde post-guerre froide115. Bien que soulevant des problèmes autant actuels qu’urgents pour les États-Unis, le rapport Hart-Rudman dont la publication se fait à cheval entre les présidences de Bill Clinton et George W. Bush est totalement enterré par la Maison-Blanche et aucune de ces recommandations n’est prise en compte, et encore moins, mise en place116.
Une frontière en début de mutation : les graines du changement
59Malgré tout, avant même le 11 septembre 2001, la frontière américano-canadienne commence à adopter un virage certain.
60Tout d’abord, dans le domaine politique, les deux voisins cherchent à mettre en place une gestion conjointe, plus coordonnée, moderne et flexible de leur frontière commune afin de faire face aux nouveaux défis de cette fin de millénaire. Aussi après avoir signé un accord un accord bilatéral sur la frontière (Accord on our Shared Border), en 1995117 – les deux pays créent, en 1999, le Canada/United-States Partnership (CUSP)118. Dans ce contexte ils mettent en place une série de nouvelles mesures et de nouvelles pratiques à l’instar du tri des véhicules dont la documentation est préparée pour réduire les temps d’attente à la frontière (Commercial Vehicle Processing Center)119 ou de la mise au point de techniques de détection avec, entre autres, un système à rayons gamma non-intrusifs (le Vehicle and Cargo Inspection System)120. Ils établissent, également des programmes utilisant des technologies modernes afin d’accélérer le passage d’individus pré-approuvés et constituant un faible risque et prévoient d’harmoniser leurs programmes au sein d’un programme commun, NEXUS, qui éviterait aux participants d’être obligés de s’inscrire à la fois au programme américain et à son équivalent canadien121. Le principe qui sous-tend ces initiatives est double : faciliter les flux, tout en maintenant l’intégrité et la sécurité du 49e parallèle. Mais la balance penche toutefois en faveur de la facilitation. Si l’objectif des deux pays est de lutter contre certains problèmes tels que la contrebande et le trafic de clandestins, la question terrorisme n’apparaît que de façon périphérique. Considéré comme un « plan ambitieux122 », cet accord innovant propose, pour la première fois, une stratégie globale et conjointe en matière de gestion frontalière. Il montre que, avant même le 11 septembre 2001, le Canada et les États-Unis commencent à réfléchir au sujet de leur frontière commune et à définir des principes particuliers – et des initiatives – qui serviront de base à la Déclaration sur la frontière intelligente, signée par le Canada et les États-Unis en décembre 2001, sans toutefois être articulés de façon à faire écho aux recommandations de la Commission Hart-Rudman.
61Le second changement qui a lieu au cours de la décennie concerne la perception de la frontière qui devient une source d’inquiétude certaine, en raison de son caractère non-défendu. La presse américaine commence à publier des articles pour mettre en lumière la menace potentielle que représente le 49e parallèle. Le plus parlant est celui du Seattle Times d’octobre 1999 qui ébranle les esprits en titrant : « Leaky Border Gets Leakier ». Le quotidien dresse en effet un portrait peu flatteur de la frontière canadienne qu’il décrit comme une passoire qui serait la porte d’entrée royale pour tout type de criminels, des cartels de drogue, en passant par les trafiquants d’enfants, et surtout, les terroristes. La journaliste fait également savoir que, selon les membres de la Border Patrol de la région de Blaine, dans l’État du Washington, seulement un tiers des personnes tentant d’entrer aux États-Unis de façon clandestine est arrêté. L’article se montre alarmant sur cette « frontière ouverte » qui, parce qu’elle traverse de vastes espaces, non-surveillés peut être exploitée par des terroristes pour rentrer sur le territoire américain123. On commence donc à voir s’esquisser, avant même le 11 septembre, les contours d’une rhétorique qui sera reprise de façon substantielle dans les médias américains ainsi que dans le discours politique : celle d’une frontière dépeinte comme un véritable talon d’Achille qui ne protège pas les États-Unis de façon adéquate sur leur limite septentrionale.
62Un tel article ne peut que paraître de mauvais augure a posteriori et attiser davantage la psychose lorsque deux mois plus tard, le 14 décembre 1999, un terroriste est arrêté à Port Angeles, sur la côte ouest, alors qu’il tente de s’introduire sur le territoire américain. Interpelé à sa descente d’un ferry en provenance de Victoria, en Colombie-Britannique, Ahmed Ressam, le fameux « Millenium Bomber », franchit la frontière américano-canadienne en voiture, avec, à son bord, une quantité impressionnante d’explosifs en vue de commettre un attentat à l’aéroport de Los Angeles, le soir du 31 décembre. Ce membre d’Al Qaeda d’origine algérienne vivait depuis cinq ans à Montréal en tant que réfugié politique, malgré le fait qu’un juge ait ordonné sa déportation pour avoir falsifié ses documents officiels. Les forces canadiennes n’ayant pas les moyens nécessaires de suivre les individus dont on a ordonné la déportation, il pouvait donc circuler librement dans le pays124.
63Ce fait divers vient donc renforcer la vision poreuse que véhicule la frontière américano-canadienne ainsi que le danger que représente le Canada, aux yeux des États-Unis. Mais l’émoi qu’il provoque n’est rien à côté de la psychose qui s’emparera de l’opinion publique lorsque le 11 septembre surviendra et on aura tôt fait d’établir un lien avec l’incident Ahmed Ressam pour gloser sur la porosité du 49e parallèle et la nécessité de le sécuriser.
⁂
64Ainsi, à l’aube du xxie siècle, la frontière Canada/États-Unis est au centre de dynamiques aussi complexes que contradictoires. En un siècle, elle s’est renforcée là où elle était faible – au niveau de ses composantes culturelle, idéologique et politique – et s’est défonctionnalisée là où elle était forte – au niveau de ses composantes économique et douanière125. Si le libre-échange a engendré sa défonctionnalisation avancée, il en a aussi fait l’une des frontières les plus actives au monde autour de laquelle s’est nouée une véritable relation d’interdépendance entre les deux pays. Sur ses 8 891 kilomètres, plus de 300 000 personnes et quelque 40 000 containers commerciaux la traversent chaque jour. Le commerce transfrontalier est évalué quotidiennement à 1,91 milliard de dollars – ce qui correspond à 82 % des exportations canadiennes et 71 % de ses importations126. Pour les États-Unis, le Canada représente, pour leur part, le marché d’exportation de 23 % de leurs marchandises127.
65Cependant, aussi ouverte et défonctionnalisée soit-elle, elle commence à susciter craintes et inquiétudes. Avec la chute de l’URSS et l’émergence d’une nouvelle menace terroriste, les regards se tournent justement sur sa défonctionnalisation et sur son caractère exceptionnellement non-défendu. Si rien de concret n’a encore été mis en place pour faire face à ce qui apparaît de plus en plus comme une vulnérabilité, il n’en demeure pas moins que le vent du changement commence à souffler. Dans certains esprits, sa mutation se prépare et c’est une véritable tempête qui va balayer la frontière au lendemain du 11 septembre 2001. Il suffira d’un événement ponctuel et dévastateur pour que les craintes et les prévisions ne deviennent réalité et pour que les recommandations et les projets ne prennent forment au sein d’une politique de sécurité intérieure qui va recalibrer la relation américano-canadienne et voir la frontière atteindre des sommets de sécurisation sur un versant qui avait jusque-là été ignoré.
66Analysant la frontière Canada/États-Unis au lendemain de l’ALENA, Christian Pradeau remarque en 1994 :
« Nombre de frontières sont ouvertes et, à la limite, presque défonctionnalisées : la frontière entre les États-Unis et le Canada est dans ce cas et le sera de plus en plus avec l’instauration du marché commun entre les deux pays. Les contrôles frontaliers deviennent sommaires, le passage se fait pratiquement sans interruption, les formalités pour les marchandises se faisant au départ et à l’arrivée128. »
67Alors qu’on aurait pu croire, moins de dix ans plus tôt, que le 49e parallèle allait se diriger vers davantage d’ouverture et de défonctionnalisation, le 11 septembre va inaugurer une trajectoire inverse et, a posteriori, les prévisions de Pradeau sonneront bien faux, véhiculant un arrière-goût amer, comme celui d’un bonheur perdu qu’on tentera sans cesse de recouvrer une décennie plus tard.
Notes de bas de page
1 Thompson J. et Randall S., Canada and the United States: Ambivalent Allies, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2008, p. 276.
2 Ils réaffirment notamment, en mars 1985, leur engagement vis-à-vis des Defense Development and Production Sharing Agreements, continuent à réduire les droits de douane sur les produits militaires et renouvellent NORAD en 1986, pour une période de 6 ans (ibid., p. 265-266, p. 276).
3 Ibid., p. 271.
4 Le Canada souhaite par exemple continuer à pouvoir protéger ses industries culturelles et conserver les provisions de l’Autopact alors que certains États américains la Rust Belt considèrent qu’il n’a fonctionné qu’au profit du Canada (ibid., p. 272-273).
5 Ibid., p. 273-276.
6 Ibid., p. 273-276.
7 Francis R. D. et al., Journeys: A History of Canada, Toronto, Thomson Nelson, 2006, p. 578.
8 Quanquin H., « Le Libre Échange avec les États-Unis, producteur d’américanités canadiennes », in M. Azuelos et al. (éd.), Intégration dans les Amériques, 10 ans d’Alena, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2004, p. 326.
9 Ibid., p. 326-327.
10 Thompson J. et Randall S., op. cit., p. 276.
11 Ibid., p. 274-276.
12 Reagan R., « Remarks on Signing the United States-Canada Free-Trade Agreement Implementation Act of 1988 », 1988, [<http://www.reagan.utexas.edu/archives/speeches/1988/092888c.htm>], consulté le 10 juillet 2011.
13 Condon B. J. et Sinha T., Drawing Lines In Sand and Snow: Border Security And North American Integration, Armonk, New York, M. E. Sharpe, 2003, p. 9-11.
14 Ibid., p. 238.
15 Azuelos M., « Les Économistes et le débat sur l’ALENA aux États-Unis depuis le début des années 1990 », in M. Azuelos (éd.), op. cit., p. 119.
16 Lors, de la campagne, de 1993, le camp démocrate avait d’abord hésité, avant d’embrasser l’accord, en le vendant, lors de la campagne de 1993, comme un « puissant instrument pour créer des emplois et des emplois bien payés aux États-Unis » (ibid., p. 123).
17 Sands C., Toward a New Frontier: Improving the U.S.-Canadian Border, Brookings, Metropolitan Policy Program, 2009, p. 8.
18 « U.S. Senate Roll Call Votes 103rd Congress – 1st Session », Washington DC, United States Senate, [<http://www.senate.gov/legislative/LIS/roll_call_lists/roll_call_vote_cfm.cfm?congress=103&session=1&vote=00395>], consulté le 21 juin 2013.
19 Wilkinson B., « Libre-échange », L’Encyclopédie canadienne, 2009, [<http://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/libre-echange/>], consulté le 30 juin 2017.
20 Lambert-Racine M. et al., « Une Évaluation de l’impact des politiques de l’administration Bush sur les exportations canadiennes dans le contexte de l’Accord de libre-échange nord-américain », Revue Lisa, vol. VIII, n° 1, 2010, p. 175.
21 « Tableau 228-0003 – Importations et exportations de marchandises, par groupes principaux et par marches pour tous les pays », Ottawa, Statistique Canada, [<http://www5.statcan.gc.ca/cansim/a26?lang=eng&retrLang=eng&id=2280080&tabMode=dataTable&p1=1&p2=50&srchLan=-1>], consulté le 30 juin 2017.
22 Thompson J. et Randall S., op. cit., p. 280.
23 Statistiques Canada, op. cit.
24 Lambert-Racine M. et al., op. cit., p. 168-194.
25 Il faut cependant nuancer la situation, car l’ALENA n’est pas le seul responsable de cette croissance. Même s’il a joué un rôle déterminant, à partir de 1997, la faiblesse du dollar canadien rend les industries canadiennes hautement compétitives, ce qui stimule aussi les exportations (cf. Thompson J. et Randall S., op. cit., p. 286).
26 Burfisher M. E. et al., « The Impact of NAFTA on the United States », Journal of Economic Perspectives, vol. 15, n° 1, 2001, p. 132.
27 Condon B. J. et Sinha T., op. cit., p. 43.
28 Curtis J. M. et al., « L’ALÉNA : déjà dix ans – rapport préliminaire », Ottawa, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, 2006, p. 22, [<http://www.international.gc.ca/economist-economiste/analysis-analyse/research-recherche/10_pre.aspx?lang=fra>], consulté le 13 juillet 2011.
29 Hufbauer G. et al., « Rapport d’étape sur l’ALENA », in M. Azuelos et al. (éd.), op. cit., p. 151-152.
30 Coste J. H., « Les Entreprises américaines, acteurs d’intégration », in M. Azuelos et al. (éd.), op. cit., p. 189.
31 Ibid., p. 190.
32 En effet, afin de l’obtenir, les Mexicains doivent se procurer un visa de non-immigrant, une approbation préalable de la part de leur employeur, un certificat délivré par le Ministère du travail, une preuve de citoyenneté ainsi qu’une preuve d’embauche. Il est par ailleurs beaucoup plus cher pour les Mexicain et limité à 5 500 visas par an. Il est moins onéreux et son nombre illimité pour les Canadiens. Aussi, ce visa TN est-il plus attrayant que n’importe quel autre visa pour les ressortissants canadiens qui, en 1999, sont plus de 67 000 – contre seulement 1 200 Mexicains – à l’utiliser (cf. Condon B. J. et Sinha T., op. cit., p. 89-95).
33 Drache D., op. cit., p. 70-78.
34 Policy Implications of a Canada-US Customs Union, Ottawa, Policy Initiative Research – The Centre for Trade Policy and Law, 2005, p. 8.
35 Ibid., p. 9.
36 Ibid.
37 Pradeau C., Jeux et enjeux des frontières, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 1994, p. 235.
38 La protection de l’industrie culturelle canadienne conduit à deux importants conflits commerciaux dans les années 1990, autour de Sports Illustrated et des chaînes de télévision diffusant de la musique country (pour plus d’informations cf. Thompson J. et Randall S., op. cit., p. 288-289).
39 Adams M., Fire and ice: the United States, Canada and the myth of converging values, Toronto, Penguin Canada, 2003, p. 73 et p. 173-176.
40 Ibid.
41 Ibid., p. 81-88.
42 Ibid., p. 49.
43 Ibid., p. 49.
44 Laxer J., The Border: Canada, the U.S. and Dispatches from the 49th Parallel, Toronto, Doubleday Canada, cop, 2003, p. 42.
45 Foucher M., Fronts et Frontières, Paris, Fayard, 1991, p. 36.
46 Carroué L. et Collet D., op. cit., p. 184.
47 « Table 427-00011 – Number of International Travellers Entering or Returning to Canada, by Type of Transport (Annual) », Ottawa, Statistics Canada, [<http://www5.statcan.gc.ca/cansim/a26?lang=eng&retrLang=eng&id=4270001&tabMode=dataTable&p1=1&p2=50&srchLan=-1>], consulté le 30 juin 2017.
48 Carroué L. et Collet D., op. cit., p. 190.
49 Ibid., p. 187.
50 Laxer J., op. cit., p. 304.
51 Dyment D., Doing the Continental – A New Canadian American Relationship, Toronto, Dundurn Press, 2010, p. 125.
52 À ces flux temporaires viennent aussi s’ajouter les migrations définitives qui avaient, au xixe siècle constitué un phénomène d’une ampleur considérable. Entre 1991 et 1994, seuls 7 100 Américains choisissent de s’installer aux États-Unis. En 1997, une étude d’Industrie Canada met en évidence le fait que les États-Unis sont devenus la résidence de 1 866 managers, 916 ingénieurs, 500 infirmières et plus de 400 médecins, caractérisant ainsi un phénomène de « brain drain » (cf. Drache D., op. cit., p. 44-45).
53 Le réseau ferroviaire, lui aussi organisé de façon méridienne, contribue à l’intégration entre les deux pays.
54 Fraser S., « Chapitre 5 : Citoyenneté et Immigration, L’Application de la Loi et le Contrôle », Rapport de la Vérificatrice générale du Canada, Ottawa, Bureau de la Vérificatrice générale du Canada, 2003, p. 5.
55 « Table 386-0002 – Interprovincial and International Trade Flows at Producer Prices, *Terminated* », Statistics Canada, [<http://www5.statcan.gc.ca/cansim/a26?lang=eng&retrLang=eng&id=3860002&tabMode=dataTable&p1=1&p2=50&srchLan=-1>], consulté le 30 juin 2017.
56 Lasserre J. C., cité par M. Foucher, op. cit., p. 416.
57 Ibid.
58 « Investissements directs étrangers au Canada – en millions de dollars – Tableau CANSIM 376-0051 », Ottawa, Statistique Canada, 2011.
59 Carroué L. et Collet D., op. cit., p. 179.
60 En 2003, le Canada exporte quotidiennement plus de 1,6 million de barils vers les États-Unis, ces derniers important 15 % de leurs besoins en gaz naturel auprès de leur voisin du nord (cf. Dyment D., op. cit., p. 77).
61 « North American Electricity Grid », The Green Library. Site : The North American Power [<https://electricity.ca/learn/electricity-today/north-american-power-grid/>], consulté le 30 juin 2017.
62 Carroué L. et Collet D., op. cit., p. 160.
63 « Canada’s Electricity Industry », Canadian Electricity Association, 2012, p. 16, [<http://www.electricity.ca/media/Electricity101/Electricity101.pdf>], consulté le 17 mai 2013 (erreur en 2017).
64 Brunet-Jailly E., « Globalization, Integration, and Cross-border Relations in the Metropolitan Area of Detroit (USA) and Windsor (Canada) », International Journal of Economic Development, vol. 2, n° 3, Ottawa, Policy Research Initiative, 2000, p. 389.
65 Dupeyron B., « Cascadia Revisited from European Case Studies: the Socio-Political Space of Cross-Border Networks », Canadian Political Science Review, vol. 2, n° 2, juin 2008, p. 89.
66 Carroué L. et Collet D., op. cit., p. 190.
67 Comme pour l’intégration continentale, Carroué et Collet mettent en évidence plusieurs caractéristiques qui définissent ces régions transfrontalières : les mobilités internes – hommes, capitaux et information – l’intégration des systèmes productifs et logistiques, l’existence de réseaux de transports intégrés et la mise en place de stratégies transfrontalières communes d’aménagement du territoire régional (ibid.).
68 Ibid.
69 Ibid., p. 191.
70 Regroupant l’État de Washington, l’Oregon, l’Idaho, le Montana et l’Alaska du côté des États-Unis et la Colombie-Britannique, l’Alberta, le Yukon, la Saskatchewan et les Territoires du Nord Ouest du côté du Canada, elle recouvre plus que la région transfrontalière elle-même (« Pacific North West Economic Region – PNWER History », PNWER Website, [<http://www.pnwer.org/background--history.html>], consulté le 30 juin 2017. Elle regroupe les législateurs des États américains et des provinces canadiennes de l’ouest ainsi que les gouverneurs et Premiers ministres et est chargée de domaines tels que la technologie environnementale, le tourisme, ou les télécommunications (Carroué L. et Collet D., op. cit., p. 191).
71 Ces deux structures sont des organisations de coopération transnationale et transgouvernementale (cf. Brunet-Jailly E., « Cascadia in Comparative Perspectives: Canada-US Relations and the Emergence of Cross-Border Regions », op. cit., p. 113).
72 Carroué L. et Collet D., p. 191.
73 Selon un modèle mis au point par Frankel qui évalue le degré d’intégration d’une région dans un pays tiers ou un groupe de pays, l’Ontario est beaucoup plus intégré à l’économie américaine (ratio de 1,3) que l’Irlande au sein de l’Union européenne (ratio de 1,8) (cité dans Brunet-Jailly E., « Cascadia in Comparative Perspectives: Canada-US Relations and the Emergence of Cross-Border Regions », op. cit., p. 110).
74 Brunet-Jailly E., « Globalization, Integration, and Cross-Border Relations in the Metropolitan Area of Detroit (USA) and Windsor (Canada) », op. cit., p. 388.
75 Andrea D. J. et al., « The Canada–U.S. Border: An Automotive Case Study », Ann Arbor, Michigan, Center for Automotive Research, Altarum Institute, 2002, p. 3.
76 Foucher M., op. cit., p. 416.
77 Cette gouvernance de l’eau contraste avec les conflits hydro-géopolitiques qui enveniment les relations américano-mexicaines, le long de la frontière sud.
78 Ibid., p. 191.
79 La deuxième différence avec les régions transfrontalières européennes réside dans le fait que l’approche nord-américaine vient du bas (« bottom-up approach »), les initiatives provenant le plus souvent du secteur privé, des think tanks ou des forces économiques, alors qu’en Europe il s’agit davantage d’une logique qui vient du haut (« top-down »), gérée par les institutions européennes (cf. Dupeyron B., op. cit., p. 93).
80 Ibid., p. 87.
81 Carroué L. et Collet D., op. cit., p. 190.
82 « Table DP-1. Profile of General Demographic Characteristics : 2000 – Geographic area : Portal City, North Dakota », Washington DC, US Census Bureau, [<http://censtats.census.gov/data/ND/1603863740.pdf>], consulté le 4 juin 2013 (erreur en 2017).
83 « 2001 Census – Community Profile – North Portal », Ottawa, Statistics Canada, [<http://www12.statcan.ca/english/profil01/CP01/Details/Page.cfm?Lang=E&Geo1=CSD&Code1=4701018&Geo2=PR&Code2=24&Data=Count&SearchText=Stanstead&SearchType=Begins&SearchPR=01&B1=All>], consulté le 4 juin 2013.
84 Cinq binômes urbains sont dans cette situation : Vancouver et Point Roberts, Coutts et Sweet Grass, Gretna et Neche, Stanstead et Derby Line ainsi que St. Stephen et Calais (cf. Dyment D., op. cit., p. 91).
85 « 2001 Census – Community Profile – Standstead », Ottawa, Statistics Canada, [<http://www12.statcan.ca/english/profil01/CP01/Details/Page.cfm?Lang=E&Geo1=CSD&Code1=2445008&Geo2=PR&Code2=24&Data=Count&SearchText=Stanstead&SearchType=Begins&SearchPR=01&B1=All&Custom=>], consulté le 21 mai 2013.
86 « Table DP-1. Profile of General Demographic Characteristics : 2000 – Geographic area: Derby Line village, Vermont », Washington DC, US Census Bureau, [<http://censtats.census.gov/data/VT/1605017500.pdf>], consulté le 21 mai 2013 (erreur en 2017).
87 Entretien avec P. Dutil, maire de la Ville de Stanstead, Québec, le 3 octobre 2011.
88 Pradeau C., op. cit., p. 161.
89 Cost of Border Delays to Ontario, Toronto, Ontario Chamber of Commerce, 2004, p. 10.
90 Hands Across the border : Working Together at our Shared Border and Abroad to Ensure Safety, Security and Efficiency, Ottawa, Ontario, Standing Committee on Citizenship and Immigration, 2001, p. 24.
91 « Border changes praised in Windsor », CBC, [<http://www.cbc.ca/news/canada/ottawa/story/2011/12/07/wdr-border-changes.html>], consulté le 2 mai 2013.
92 Sands C., op. cit., p. 16.
93 Il en va de même dans le Maine, sur certaines sections où le support de la frontière est une rivière.
94 Andreas P. et al., The Rebordering of North America: Integration and Exclusion in a New Security Context. New York, Routledge, 2003, p. 12.
95 Mazangol C., « Le libre-échange aux États-Unis : les perspectives de l’industrie canadienne », P. George (éd.), La Gégographie du Canada, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 1986, p. 154.
96 Ibid., p. 151.
97 Ibid., p. 151-152.
98 Comme beaucoup d’entreprises sont des filiales américaines, ce déséquilibre de l’intégration économique engendre une certaine faiblesse de l’économie canadienne. En plus d’être dépendante, elle est bridée, le contenu d’innovation technologique de ces filiales étant limité, tout comme leurs objectifs. En effet, leur cible est de fournir le marché canadien et, en aucun cas, de concurrencer la maison-mère. Enfin, ce schéma rend l’industrie canadienne beaucoup moins productive que son équivalente américaine, la première n’atteignant que 70 % de la seconde (ibid.).
99 Lasserre F. et al., op. cit.
100 Ces termes sont empruntés à Piermay J. L., « La Frontière et ses ressources : regards croisés », in A. Benoît et al. (éd.), Le Territoire est mort : vive les territoires ! : une refabrication au nom du développement, Montpellier, IRD Éditions, 2005, p. 206.
101 Pauly L., « Canada in a New North America », in P. Andreas et al. (ed.), op. cit., p. 96.
102 Pradeau C., op. cit., p. 5.
103 Sloan E. C., Security and Defence in the Terrorist Era: Canada and North America, Montreal, McGill-Queen’s University Press, 2005, p. 31.
104 Ibid., p. 21.
105 Ibid., p. 13.
106 Ibid., p. 16.
107 Ibid., p. 9.
108 Hart G. et Rudman W., « New World Coming : American Security in the 21st Century, Major Themes and Implications – the Phase I Report on the Emerging Global Security Environment for the First Quarter of the 21st Century », Washington, United States Commission on National Security/21st Century, 1999, p. 4.
109 Ibid., p. 8.
110 Ibid., p. 18.
111 Ibid., p. 47.
112 Ibid.
113 Ibid., p. 48.
114 Ils recommandent notamment la mise au point d’une stratégie complète en matière de sécurité intérieure et la réorganisation de l’appareil étatique.
115 Ibid., p. 12-13.
116 Alden E., The Closing of the American Border, New York City, Harper and Collins, 2008, p. 34.
117 Canada-United States Accord on Our Shared Border, Ottawa, Government of Canada, 2000, p. 3.
118 Ibid., p. 4.
119 Ibid., p. 9.
120 Les deux pays travaillent également sur un projet de simplification de la documentation, le In-Transit Highway Simplification Project. Mis en place à l’échelle nationale en mai 1999, cette mesure réduit le nombre d’étapes et d’arrêts aux postes de douane pour les transporteurs de quatre à deux (cf. ibid., p. 15-18).
121 Il s’agit des programmes CANPASS Highway et son équivalent américain PORTPASS Dedicated Commuter Lanes. Des programmes similaires CANPASS Private Boats et PORTPASS Private Boat pour les points de frontière maritimes ainsi que CANPASS Airport et INSPASS, pour les points aériens sont également mis au point. Quant au programme NEXUS, il est en cours de développement et doit être lancé à Sarnia, Ontario/Port Huron, Michigan à l’automne 2000 (ibid., p. 22-27).
122 Ibid., p. 33.
123 Cette année-là, d’autres articles seront publiés dans la même veine pour venir attiser les inquiétudes de l’opinion publique américaine. (cf. Gilmore S., « Leaky Border Gets Leakier », The Seattle Times, 8 octobre 1999).
124 Hristoulas A., « Trading Places », in P. Andreas et al. (ed.), op. cit., p. 31.
125 En 2000, les droits de douanes canadiens ne sont plus que de 2,5 % (Lambert-Racine M. et al., op. cit., p. 175).
126 Clarkson S., op. cit., p. 68-69.
127 Toward a Secure and Trade Efficient Border, Ottawa, Ontario, Standing Committee on Foreign Affairs and International Trade, 2001, p. 2.
128 Pradeau C., op. cit., p. 106.
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