Chapitre 9. Les hussards bleus de la Troisième République
p. 231-271
Texte intégral
1Le 4 septembre 1870, suite à la capitulation de Napoléon III encerclé à Sedan, l’Assemblée proclame à la fois la déchéance de l’empereur et la République. Sans état d’âme, « La Parfaite Union » entérine le changement. Dès le lendemain « Une triple batterie est tirée en l’honneur des hommes courageux qui ont proclamé la République, aux succès de leurs efforts, et aux frères de notre Loge aujourd’hui devant l’ennemi1 ». Car la guerre continue : le temple est converti en annexe de l’hôpital, et un médecin se met à la disposition de l’Atelier pour soigner les blessés qui y sont accueillis. Désorganisée, ayant perdu son haut commandement, l’armée française se bat sur plusieurs fronts isolés les uns des autres, comme celui des Vosges où l’on retrouve le F∴ Garibaldi et ses volontaires italiens. La Loge est toujours en contact avec lui, comme en témoigne cette lettre qui ne parviendra à Rennes qu’après l’armistice signé le 28 janvier :
République Française
Liberté Égalité Fraternité
QG du Commandement Général de l’Armée des Vosges
Dijon, le 10 janvier 1871
Mes TT∴ CC∴ FF∴. merci pour vos souhaits fraternels. En servant la sainte cause de la République Française je ne fais que mon devoir. Je suis votre dévoué.
Guiseppe Garibaldi2.
2Outre la cession de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine, le traité de Francfort qui met fin à la guerre exige le versement d’une énorme « indemnité de guerre » de 5 milliards de francs-or, conditionnant le départ des troupes d’occupation allemandes dans le Nord et l’Est de la France. « La Parfaite Union » répond sans tarder à l’appel patriotique lancé par un journal de Paris, et décide de participer à la souscription nationale ouverte pour la libération du territoire :
« Chaque membre actif de l’Atelier sera tenu de verser une somme mensuelle et permanente de 2 F au minimum. Cette somme sera, à partir du 29 février, remise au frère Trésorier qui l’inscrira sur une feuille spéciale de recouvrement et qui sera versée au journal L’Avenir avec la mention “Loge maçonnique de Rennes, versement mensuel”3. »
3Il faut attendre le début du mois de mai 1871 qui verra la fin de la Commune lors de la « semaine sanglante » du 21 au 28 pour trouver dans le livre d’architecture de « La Parfaite Union » une mention des événements du printemps parisien :
« Le vénérable donne lecture d’une délibération prise par les loges réunies à l’Orient de Bordeaux demandant la nomination de délégués chargés de mettre fin à la lutte engagée entre les troupes de Versailles et les gardes nationaux de Paris4. »
4Sans autre indication, on peut penser que, légitimistes comme toujours, les frères de Rennes soutiennent le gouvernement d’Adolphe Thiers contre la Commune. On voit mal d’ailleurs comment ces bourgeois rennais pourraient avoir une quelconque sympathie pour les révolutionnaires socialistes à l’origine du mouvement, quelles que soient les convergences entre les idéaux qui les animent et ceux de la Franc-Maçonnerie. L’indiscutable engagement de frères parisiens lors de l’insurrection ne rencontre que peu ou pas d’écho en province. Et la récupération ultérieure de l’événement par le Grand Orient de France, qui inscrira parmi ses icônes l’ostension des bannières maçonniques le 29 avril sur les barricades de la porte Maillot, pour séparer « Communards » et « Versaillais », mérite pour le moins d’être modulée5.
5Depuis 1865, l’article premier de la Constitution du Grand Orient de France, était rédigé ainsi :
« La Franc-Maçonnerie, institution essentiellement philanthropique, philosophique et progressive, a pour objet la recherche de la vérité, l’étude de la morale universelle, des sciences et des arts, et l’exercice de la bienfaisance.
Elle a pour principe l’existence de Dieu, l’immortalité de l’âme et la solidarité humaine. Elle regarde la liberté de conscience comme un droit propre à chaque homme et n’exclut personne pour ses croyances. Elle a pour devise : Liberté, Égalité, Fraternité. »
6La position internationale du Grand Orient de France est déjà délicate. En effet, il n’a jamais été officiellement reconnu par la Grande Loge Unie d’Angleterre – les liens existants entre la « La Parfaite Union » et les loges des îles anglo-normandes sont une exception – ni par la plupart des Grandes Loges des États-Unis. Il est en hostilité déclarée avec la Maçonnerie allemande, et lutte pour tenter d’imposer sa suprématie dans les hauts grades avec le Suprême Conseil de France, qui lui dispute également le contrôle des loges « bleues ». Cependant cette rédaction reste en phase avec celle des autres Obédiences, dont celle de la Grande Loge Unie d’Angleterre, qui du fait de son expansion coloniale, en particulier en Inde, a dû abandonner sa référence unique à la Bible afin de pouvoir accueillir des membres non-chrétiens ou non-juifs. Une initiative de « La Fraternité Progressive » de Villefranche-sur-Rhône va rendre définitive la rupture. Cette loge propose en effet au Convent de 1776 un vœu aussi bref que célèbre : « Supprimer, à l’article premier de la Constitution, les deux premiers termes du deuxième paragraphe. » Considérant que « la Franc-Maçonnerie n’a point à affirmer dans sa Constitution des doctrines ou des dogmes », la commission chargée de l’examiner, sous le présidence du pasteur Desmons, qui sera par la suite plusieurs fois président du Conseil de l’Ordre – la « Grande Maîtrise » ayant été supprimée – le renvoie à l’étude des Loges.
7À Rennes, c’est bien sûr Jouaust qui est chargé de rédiger le rapport de l’Atelier. L’original n’a pas été conservé, ayant été offert en 1920 au F∴ Adrien Juvanon, membre du Conseil de l’Ordre, à l’occasion d’une visite au cours de laquelle il avait rendu hommage à la mémoire de son prédécesseur. Fort heureusement, Juvanon le publia en 1926 dans un livre intitulé Vers la Lumière. On peut discuter l’opinion de Jouaust sur le caractère « essentiellement religieux et biblique » de la Franc-Maçonnerie des origines, absent dans la version originale de l’article premier « Concernant Dieu et la Religion » des Constitutions andersoniennes de 1723, comme dans celle de 1738. La nécessité de croire en un « Glorieux Architecte du Ciel et de la Terre » n’apparaît en fait qu’en 1815 dans le texte des Constitutions anglaises. Mais la pertinence de ses analyses sur les conséquences prévisibles de l’adoption d’un tel texte mérite d’être soulignée. Rappelant que les termes litigieux n’ont été introduits en France qu’en 1849, il écrit :
« C’est donc aux chefs du Grand Orient de cette époque que doit remonter la première responsabilité de cette malheureuse innovation, qui fit de la croyance en Dieu et en l’immortalité de l’âme le principe constitutif le plus essentiel de la Maçonnerie. Leur excuse, c’est qu’ils ne faisaient que traduire, dans une déclaration de principes, imprimée et publique, l’essence même des rituels encore aujourd’hui pratiqués universellement. »
8Il peut sembler partisan du statu quo lorsqu’il prévient :
« Il faut se dire que si chaque Groupe Maçonnique a le droit d’altérer la Maçonnerie à son gré, cette institution ne sera plus qu’un groupe de petites Églises, s’excommuniant réciproquement. Elle cessera d’être cette grande famille à laquelle nous devons tous appartenir à dater du jour de notre initiation. »
9Sa conclusion est toutefois dépourvue d’ambiguïté :
« Compris ou non compris, bien ou mal accueillis, il nous faut dire aux Maçonneries étrangères que toutes les institutions progressent ; que les mœurs changent ; que les habitudes sociales se dégagent chaque jour de certains liens qui les étreignaient autrefois ; que la vie religieuse est sortie du domaine de nos habitudes sociales, et est aujourd’hui autrement conçue et pratiquée qu’elle ne l’était par nos pères ; que l’on n’en impose plus les manifestations à un honnête homme sous peine de perdre toute considération dans le monde des honnêtes gens ; qu’il est donc temps que la Maçonnerie, trop attardée aux sentiers du passé, chemine enfin sur la route du progrès.
Nous allons soulever un tollé général dans tout le reste de la Maçonnerie étrangère, sans compter les attaques violentes du parti clérical, auxquelles nous allons être en butte. Notre seul espoir est que le temps cicatrisera la blessure que vont recevoir le Grand Orient et la Maçonnerie française. Pour toutes ces considérations, je suis d’avis que l’on supprime de l’article premier de la Constitution la déclaration que la Maçonnerie a pour principe l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme. »
10Il ne sera pas suivi par l’Atelier, car « La Parfaite Union » lui donne au contraire le mandat impératif de voter contre l’adoption du vœu au Convent de 1877. Il s’exécute, mais fait connaître son opinion personnelle avant le vote, en rejetant également une motion d’ajournement, « car ajourner serait montrer de la pusillanimité que rien ne justifie ». Trois ans plus tard, en sa qualité d’Orateur du Convent, Jouaust prononce le discours de clôture. Il n’a pas varié dans ses appréciations, et décrit ainsi l’évolution de la Franc-Maçonnerie française au cours du siècle :
« Après les désastres de 1814 et de 1815, l’idée maçonnique reparaît dans toute sa force au sein des Loges. Elles s’ouvrent aux esprits les plus généreux qui viennent ressusciter et transformer le travail maçonnique. Ils la posent à la tête du mouvement libéral, et la font entrer dans une voie qu’elle n’abandonnera plus, l’étude de toutes les grandes questions qui agitent le monde moderne, en un mot la recherche de la vérité. Et si je ne considère ici que la Maçonnerie du Grand Orient, c’est que celle-là seule a vraiment vécu par la force de l’idée, et que partout où l’esprit maçonnique s’est endormi dans les ombres du passé, il ne peut y avoir que décrépitude et servilité6. »
11Les divergences au sein de l’Atelier qui se sont manifestées au moment du Convent de 1877, et une tentative infructueuse d’établir une loge à Saint-Malo, entraînent dans les années qui suivent un certain fléchissement dans le travail maçonnique7, aggravé une fois de plus par la question immobilière. Les derniers courriers signés, avec peine, par le vénérable Louis Guillot, qui s’éteint à son poste en 1880, ont trait à la construction et à l’aménagement d’un nouveau Temple au 13, avenue du Mail d’Onges (actuellement avenue Aristide Briand), « dans un nouveau quartier de la ville, à quelques minutes seulement du centre, et à proximité de la gare », car le bail de location de l’immeuble précédent n’a pas été renouvelé. « La Parfaite Union » se retrouve de nouveau aux prises avec des problèmes financiers. La nouvelle loge, dotée d’un concierge, a certes été « élevée sur les plans de l’Atelier par le propriétaire du terrain », qui a consenti un bail de 30 ans, mais le loyer est passé de 800 F à 1 800 F par an8. La Loge se voit contrainte de demander au Grand Orient remise de tout ou partie de ses capitations, dans le même temps que les cotisations sont doublées, passant de 10 à 20 F par trimestre pour les membres résidents, et de 5 à 10 F pour ceux qui n’habitent pas Rennes, tandis que plusieurs frères font à la Loge une avance de 4 000 F, « sans intérêt, pour un temps illimité9 ». Ces questions matérielles ne sont pas sans influence sur la vitalité de l’Atelier : ainsi en 1886 le F∴ Lucien Lemainais, hospitalier, déplorant la maigreur des ressources dont il dispose, ne manque pas de déclarer : « Dans une ville comme Rennes, nous devrions être 200 maçons. Ce n’est que la question des cotisations qui empêche les profanes de demander l’initiation10. »
12Fidèle à sa tradition d’hospitalité, « La Parfaite Union » vient cependant en aide aux officiers espagnols francs-maçons réfugiés en France à la suite des guerres carlistes, et assignés à résidence à Rennes, qui la visitent régulièrement11. Mais si la situation internationale s’est stabilisée, les tensions politiques qui accompagnent les débuts de la Troisième République ne vont pas tarder à se répercuter dans le Temple, jusqu’à la crise de 1894 qui verra l’émergence d’un atelier dissident. Le consensus est toujours présent en 1883 pour saluer la mémoire du F∴ Gambetta. À cette occasion, l’Atelier adresse même une vive remontrance au Conseil de l’Ordre :
« La délégation envoyée par la R∴L∴ La Parfaite Union pour assister aux obsèques du F∴ Gambetta a rendu compte de son mandat. À l’unanimité l’Atelier a voté la motion suivante :
La R∴L∴ La Parfaite Union exprime au Grand Orient de France tous ses regrets que, à l’occasion du deuil national causé par la mort du F∴ Gambetta, le Conseil de l’Ordre n’ait pas pris dans la circonstance l’initiative de diriger la délégation maçonnique venue de tous les points de la France, et que jusqu’au dernier moment il n’ait pu donner aucun renseignement aux frères qui venaient les lui demander12. »
13C’est également à l’unanimité que la Loge se manifeste en juin 1885 à l’occasion de la mort de Victor Hugo :
« Le vénérable prie l’Atelier de se joindre à lui pour tirer une batterie de deuil pour rendre hommage à la mémoire de Victor Hugo, et sur sa proposition la Loge décide qu’une lettre de condoléances sera adressée en son nom à la famille du grand poète national que la France vient de perdre13. »
14Les vingt ateliers réunis à Nantes le mois précédent pour le Congrès des Loges de l’Ouest, et auquel participe « La Parfaite Union », avaient fait de même. Mais le discours d’introduction du frère Orateur porte sur un tout autre sujet :
« Nos trois vertus théologales, la liberté, l’égalité, la fraternité, ne triomphent qu’en apparence. Si on descend au fond des choses, on aperçoit vite l’armée noire. Les lois françaises commencent à peine à s’inspirer de nos principes. Nous ne sommes libres ni dans la famille ni dans la société profane. Les grands capitaux absorbent toutes les forces vives du pays. La gangrène sociale ne menace pas seulement les malades et les infirmes, ceux qu’une philosophie impitoyable condamne à la mort. La question sociale s’est posée, en 1848 et 1871, dans des crises aiguës. Deux fois, la révolution a été écrasée. Mais la bataille sociale, si le problème ne reçoit pas de solution (il n’est pas insoluble) renaîtra effrayante. Il est temps que la Franc-Maçonnerie entreprenne la lourde tâche qui lui incombe14. »
15Il ne sera pas suivi dans cette voie, et le Congrès préférera consacrer ses travaux à des questions moins brûlantes, telle que la simplification des rituels ou la nécessité des hauts grades. Mais dès le mois de décembre de nouvelles tensions sont perceptibles dans la loge rennaise, débutant sur un point symbolique :
« Le F∴ Chevallier renouvelle sa proposition tendant à changer l’acclamation “Vivat, Vivat, Semper Vivat” par la devise de la Maçonnerie “Liberté, Égalité, Fraternité”. Le F∴ Miégeville appuie cette proposition. Le frère Orateur pense que la Loge doit conserver l’acclamation qui a toujours retenti dans son Temple, et conclut que la Loge maintienne son ancienne acclamation. La Loge consultée rejette les conclusions du frère Orateur et adopte la proposition du F∴ Chevallier. En conséquence l’acclamation sera désormais : “Liberté – Égalité – Fraternité”15. »
16Le vœu n° 10 renvoyé à l’étude des Loges en 1886 demandait une étude sur le thème « Quels sont les devoirs des citoyens envers la République ? » Le vénérable Édouard Weil, commerçant, obtient le passage à l’ordre du jour, car « il ne faut pas appeler dans nos temples les questions politiques16 ». Position confortée par le Conseil de l’Ordre, qui « recommande expressément d’éviter dans les réunions maçonniques les débats irritants que peuvent y soulever les questions politiques17 », ce qui en lecture inverse indique que le problème se pose dans de nombreuses loges de l’Obédience. Les visées politiques du général Georges Boulanger, natif de Rennes, ministre de la guerre, qui cristallise sur son nom grâce à sa popularité et à son intransigeance patriotique tous les mécontentements engendrés par un gouvernement républicain qui peine à s’imposer, vont aggraver la situation. Persuadée d’être en présence d’un frère, « La Parfaite Union » envisage de le recevoir dans une tenue spéciale organisée en son honneur lors d’un déplacement qu’il doit effectuer à Rennes au mois de mai 1887. Détrompée par le Grand Orient sur l’appartenance maçonnique du « brav’général », elle ne donne pas suite. Dans le même temps, « La Clémente Amitié » de Paris dénonce dans un courrier qu’elle envoie à tous les ateliers les « menées dictatoriales » qu’elle suppose non sans raison chez ce militaire. Le F∴ Isidore Louveau*, qui vient pour la première fois d’être élu vénérable, obtient que l’Atelier « réserve son appréciation sur cette communication essentiellement politique18 »: le changement de ton est déjà sensible. Il est vrai que le nouveau vénérable est depuis 1871 le président rennais du « Comité républicain du drapeau tricolore ». En 1890, la Loge passe encore à l’ordre du jour sur une proposition de « La France Démocratique » à Nice, visant à encourager « la manifestation ouvrière du 1er mai prochain19 ». Mais le 19 juin 1891, le F∴ Imhoff, formule la double proposition suivante :
« 1° Envoyer tout d’abord nos ardentes félicitations à notre S∴ L∴ L’Encyclopédique de Toulouse pour sa courageuse campagne qu’elle entreprend à l’instant où les cléricaux effectuent leur mouvement tournant vers la République.
2° Considérant en outre que le cléricalisme qui plus que jamais relève audacieusement la tête, constitue un véritable danger politique et social, la Loge émet le vœu ci-après à fin d’être transmis au Conseil de l’Ordre avec planche explicative à l’appui :
– Suppression de la main-morte ecclésiastique
– Séparation des Églises et de l’État
– Épuration complète du personnel réactionnaire pullulant dans les administrations de l’État, des départements et des communes
– Invitation aux pouvoirs publics de n’admettre aux concours des fonctions dans les Administrations susdites que les élèves des écoles du Gouvernement. »
17« L’Encyclopédique » de Toulouse avait publié un rapport sur « Les congrégations religieuses en France, leur danger politique et social », et émis un vœu sur les mesures à prendre, semblables aux dispositions ci-dessus, qui sont adoptées « à l’unanimité et avec empressement par tous les membres présents20 ».
18Ce vote marque un tournant dans l’histoire de « La Parfaite Union » : la Loge ne cessera jamais par la suite d’être fidèle aux convictions républicaines et laïques qu’elle affirme ce jour-là. Elle s’engage résolument dans le combat politique, en donnant en décembre 1891 son « adhésion, sans aucune restriction », aux vœux présentés par « La Clémente Amitié » de Paris, et « La Parfaite Harmonie » de Toulouse, dont la teneur n’offre aucune ambiguïté. Le premier :
« Invite toutes les Loges de France à se prononcer contre la politique cléricale, et à suivre de très près les mouvements des cléricaux habitant leur Orient.
Déclare qu’il y a lieu pour tous les ateliers et pour tous les frères de redoubler de précaution à l’égard de ceux qui briguent un mandat électoral quel qu’il soit, de s’inquiéter de toutes les candidatures, de démasquer hardiment les faux républicains, de signaler à tout le monde les cléricaux, et d’user de toutes les forces de la Franc-Maçonnerie pour les faire échouer. »
19Quant au second, il réclame que les élus francs-maçons qui ne voteraient pas la loi de séparation des Églises et de l’État réclamée par les républicains – elle ne sera votée que quatorze ans plus tard – « soient exclus de la Franc-Maçonnerie et combattus dans toutes les élections, par tous les membres de l’Ordre ». « La Parfaite Union », quant à elle, se déclare :
« Profondément émue par les faits révoltants qui se passent en Bretagne, notamment dans l’Ille-et-Vilaine encore inféodé aux idées cléricales. On laisse aux Ignorantins et aux sœurs le droit d’enseigner dans les écoles publiques ; on laisse asseoir l’Église sur les genoux de la République et, à la longue, étouffer la seconde sous le poids de la première. Les cléricaux et les réactionnaires notoirement connus dans notre ville sont favorisés partout : dans l’Armée, dans la Marine, dans les administrations publiques où les cléricaux reçoivent de l’avancement et les meilleurs postes au détriment des républicains21. »
20Et il ne s’agit pas en l’occurrence d’affirmations polémiques, comme la Loge l’expérimente elle-même : son secrétaire, le F∴ Albert Imhoff, commis aux écritures à la maison centrale de Rennes, dont on a retranscrit plus haut les vœux qu’il a fait adopter par l’Atelier, fait l’objet d’une mutation-sanction à Fontevraud, avec rétrogradation de classe, pour s’être opposé à son directeur qui oblige les gardiens « à porter le dais, en grande tenue, le dimanche de la fête dite de Dieu et le dimanche suivant22 ». « La Parfaite Union » appuiera de tout son poids, sans succès, sa protestation, mais la lettre qu’elle envoie à cette occasion au Grand Orient témoigne de l’ambiance régnant alors à Rennes :
« C’est pour nous un devoir d’autant plus impérieux de protester contre une pareille mesure qu’il nous est impossible de ne pas y voir l’intention formelle de frapper la Loge de Rennes dans la personne de son vaillant et zélé secrétaire, un des fonctionnaires sur lesquels la Préfecture pouvait exercer facilement sa vengeance. Il nous apparaît clairement que c’est un premier pas dans la série des mesures que l’Administration, conduite ici par le député Le Hérissé, se propose de prendre contre la Franc-Maçonnerie. Celle-ci est accusée hautement d’avoir fêté publiquement le 14 juillet dans un banquet de 400 couverts, auquel n’assistait ni le préfet, ni la municipalité, ni le député boulangiste de Rennes. Le journal du préfet a violemment pris à partie notre vénérable pour y avoir porté un toast à la République impersonnelle, et a osé qualifier de banquet malheureux nos agapes républicaines23. »
21Le F∴ Imhoff n’est pas seul à avoir ainsi des problèmes avec sa hiérarchie. Ainsi le F∴ Louis Laffaysse, adjudant maître d’armes au 12e Hussards à Dinan, préfère un peu plus tard démissionner de l’Atelier, en précisant « qu’il sera libéré dans quatre ans, et qu’une fois libre, n’ayant plus rien à craindre de chefs intolérants, il reviendra partager les travaux24 ». Dès lors la lutte contre « l’armée noire » et ses tenants ne connaîtra plus de répit. En octobre 1892, plusieurs membres de l’Atelier font la proposition suivante :
« Tous les membres de l’Atelier seront tenus de déposer entre les mains du vénérable un testament profitant de la liberté accordée par la loi du 15 novembre 1887, où ils exprimeront leur volonté formelle d’être enterrés civilement sans l’assistance d’aucun ministre d’aucun culte. Ce testament devra contenir la désignation d’un membre de la Loge chargé de faire exécuter ces dernières volontés. Le dépôt de ce testament devra être effectué dans un délai de 15 jours. Toute admission nouvelle sera subordonnée à l’exécution de cette condition25. »
22Le frère Orateur s’oppose à la mise en discussion d’un tel texte, contraire aux principes mêmes de la Franc-Maçonnerie. Mais s’il obtient sans difficulté le passage à l’ordre du jour, il n’en est pas moins significatif. Tout comme en 1893 le vœu transmis par la Loge à Paris, « tendant à la suppression des messes dites du Saint-Esprit, célébrées à la rentrée des Cours et des Tribunaux », qui préfigure les débats futurs sur la laïcité :
« Nous devons combattre l’invasion du cléricalisme dans tous les actes de la vie civile. nous devons poursuivre l’abrogation de toute coutume qui pourrait faire croire qu’il existe encore en France une religion d’État, et constituer ainsi une atteinte à la liberté de conscience26. »
23En octobre de cette même année le F∴ Pierre Legros, avoué près la cour d’appel, prononce en loge une diatribe anti-cléricale, qui est « acclamée par tous les membres de l’Atelier », et dont il est décidé « qu’elle figurera en entier au registre des procès-verbaux ». La violence du ton indique assez l’état d’exaspération des frères devant les blocages institutionnels et administratifs :
« Au mépris des lois existantes, des moines, dits Récollets, se sont réinstallés faubourg de Redon. Sous l’œil indifférent des magistrats de la République, avec une effronterie inimaginable, ils osent parachever un immeuble qui pourrait facilement abriter cent habitants. Et dire qu’il y a à peine douze ans ces mêmes magistrats ont, à leur honneur, expurgé cette monocaille de notre territoire !
Pourquoi donc cette coupable tolérance ? Alors qu’on refuse aux travailleurs le droit à la grève, ces grévistes d’un autre genre, rebelles à tout travail, n’essayent même pas d’excuser leur paresse par les soit-disant bienfaits de la charité. Hors de France ces inutiles ! Et puisque personne n’en a cure, à nous, l’avant-garde des libertés sociales, de signaler cet état de choses à l’un de nos frères investi des fonctions législatives, pour que la loi et les décrets existants soient appliqués à cette monocaille qui menace à nouveau de nous envahir27. »
24Malgré sa netteté, une telle protestation ne suffit pas aux plus radicaux parmi les frères, qui à l’initiative du F∴ Léopold Radigois, imprimeur, fondent alors à Rennes une section locale de « La Libre Pensée28 ». Le Grand Orient de France, pour sa part, s’engage à fond dans la campagne des élections législatives, qui verra en fin de compte la victoire des républicains modérés en septembre. Par une circulaire confidentielle, dont il ne reste évidemment pas trace puisque « après lecture, cette circulaire est brûlée devant tous les membres de l’Atelier conformément aux instructions du Conseil de l’Ordre », il n’hésite pas à indiquer aux loges la ligne de conduite qu’elles doivent tenir lors de ce scrutin crucial. « La Parfaite Union » réagit immédiatement, et prend parti dans les deux arrondissements où elle est concernée, Fougères et Rennes :
« Le Vénérable donne lecture d’une planche de La Fidélité, Orient de Lille, nous priant de soutenir, dans l’arrondissement de Fougères, la candidature du F∴ de Montluc, conseiller à la Cour de Douai, qu’elle nous présente comme radical et franchement anticlérical. Le F∴ Regnouf fait observer que ce frère peut être radical à Lille, mais qu’il est réactionnaire à Fougères. Au nom de tous nos frères de Fougères, indignés par les déclarations du F∴ de Montluc, il nous rend compte d’une réunion publique organisée par ce frère, dans laquelle il a critiqué toutes les œuvres de la République, notamment le développement donné à l’instruction. L’Atelier décide que, pour éclairer la religion de nos frères de Lille, les journaux de Fougères publiant le compte rendu de cette réunion leur seront adressés29. »
25À Rennes, l’engagement de la Loge est encore plus total, puisque le vénérable Lucien Lemainais, négociant en métaux, n’hésite pas à inviter le candidat qu’elle a décidé de soutenir à venir s’exprimer dans le Temple en « tenue de comité », c’est-à-dire sans l’appareil maçonnique rituel. Ce sont les circonstances qui justifient aux yeux des frères une procédure aussi contraire aux traditions :
« Le F∴ Doret rappelle la grande importance qu’ont toujours les élections législatives pour le pays, puisque d’elles dépendent la bonne gestion de nos intérêts, et le développement du progrès politique, économique et social. Cette année, elles sont particulièrement importantes, car la réaction qui a essayé de renverser la République au 16 mai et qui, vaincue, a inventé cette machine de guerre qui devait l’anéantir : le boulangisme, la réaction n’a pas encore désarmé. Ses candidats sont même devenus plus dangereux, car ils ont pris pour nous combattre l’épithète républicaine et ils espèrent, grâce à cela, jeter le trouble dans le pays et profiter de l’équivoque qu’ils auront ainsi créée. Ces prétendus “ralliés” n’acceptent l’étiquette républicaine que pour entrer dans la maison, et détruire plus facilement les quelques lois démocratiques que nous avons eu tant de peine à obtenir. Nous assistons même à un spectacle étrange : nous voyons de prétendus républicains préférer ouvertement ces réactionnaires déguisés, et s’unir à eux contre les radicaux et contre les socialistes.
Ce spectacle n’est pas fait pour nous déplaire, et nous acceptons carrément la lutte sur ce terrain. Il se formera ainsi deux grands partis dans le pays : d’un côté les partisans des idées démocratiques (socialistes, radicaux et progressistes), de l’autre les partisans du statu quo ou du recul (opportunistes, cléricaux et réactionnaires de toute sorte). Pour nous, notre devoir est tout tracé : partisans résolus de la lutte à outrance contre le cléricalisme, et des réformes sociales qui doivent assurer à la classe des faibles et des déshérités un sort plus conforme au droit et à la justice, nous serons avec les premiers contre les seconds.
Le F∴ Doret examine ensuite les titres des candidats actuellement en présence dans la première circonscription de Rennes. Il démontre qu’un seul, le citoyen Maniez30 par son passé irréprochable et par son programme net et sans ambages, nous offre toutes les garanties que nous sommes en droit d’exiger de ceux qui sollicitent nos suffrages. Il demande que nous le proclamions notre candidat, que nous adressions un appel énergique à tous les frères de la 1re circonscription de Rennes, et qu’enfin nous apportions notre subside à son comité, dont les ressources restreintes ne peuvent lutter avec efficacité contre l’argent de ses adversaires. »
26Le candidat investi semble quelque peu surpris de l’appui ainsi apporté au « Comité ouvrier républicain socialiste » qui le soutient dans sa démarche :
« Il déclare d’abord que s’il n’est pas des nôtres, c’est que sa situation financière ne lui a jamais permis de faire partie de notre institution. Il avoue qu’il est très agréablement surpris de voir parmi nous des défenseurs aussi décidés des idées progressistes, alors que nos adversaires nous représentent comme des partisans égoïstes du régime opportuniste31. »
27Cette appréciation sur la Loge n’est pas dénuée de fondement, car en fait « La Parfaite Union » traverse alors une crise majeure. Tout a commencé au mois d’octobre précédent, lorsque les éléments radicaux de l’Atelier ont obtenu l’envoi d’un secours de 50 F aux mineurs grévistes de Carmaux soutenus par Jean Jaurès, ainsi que d’une adresse d’encouragement à ce dernier « dans sa résistance à la réaction et dans sa défense des principe républicains, en attendant une intervention plus énergique des pouvoirs publics32 ». La presse locale réagit : « Le F∴ Lemainais nous entretient des attaques que dirige contre nous le journal Le Petit Rennais, notamment dans un article paru le 14 octobre intitulé “Les Purs” », et propose de faire insérer dans cette feuille une lettre de rectification, pour dénoncer « l’attitude hostile que le journal prête à tort à la Loge vis-à-vis des mineurs de Carmaux33 ». Le journal publie effectivement cette lettre dans son numéro du 25 octobre, mais en l’assortissant d’appréciations malveillantes à l’égard du vénérable Louveau. Celuici demande à la tenue suivante que soit envoyée au journal une seconde lettre de mise au point. Il tient à ce que soit indiqué que les frères de « La Parfaite Union » :
« Tout en conservant chacun leur indépendance absolue sur la nuance républicaine qui leur semble préférable, se souviennent qu’il fut l’un de ceux qui contribuèrent le plus puissamment à l’organisation du parti républicain en Ille-et-Vilaine, et qu’ils estiment que par la sincérité de ses convictions et le désintéressement dont il a fait preuve, l’honorable M. Louveau n’a en aucun cas démérité des républicains, ni des modérés, ni des radicaux, ni des socialistes34. »
28Plusieurs frères s’opposent à cette rédaction, et demandent que soit mise aux voix une proposition hostile à l’envoi de la lettre, tout en renouvelant leur confiance à Louveau. Celui-ci, de même que Pierre Vallais, marchand de chaussures et 1er Surveillant, n’acceptent pas cet arrangement, démissionnent de leurs offices et quittent le Temple. Ils sont immédiatement remplacés, et Lemainais est réélu Vénérable :
« Par suite des élections faites au mois de décembre dernier, le personnel des Officiers de notre Loge fut complètement renouvelé. Ceux des frères partisans d’une orientation plus accentuée vers les idées de progrès et de justice l’emportèrent sur les partisans de l’immobilité et de la routine, et parvinrent à faire triompher, pour la première fois et à quelques voix de majorité, les candidats qu’ils avaient choisis.
L’échec de l’ancienne administration de la Loge lui fut d’autant plus sensible que la
lutte avait été des plus chaudes. Aussi, depuis cet échec, les anciens Officiers de notre Atelier et la plupart de leurs partisans ont-ils déserté nos colonnes, ce qui a presque provoqué une scission parmi nous35. »
29La scission sera consommée l’année suivante : bien qu’élu Vénérable en décembre, le F∴ Pierre Belletrud, docteur en médecine et directeur adjoint de l’asile d’aliénés de Saint-Méen, se voit immédiatement contesté par les partisans de Louveau. Avec lui Lucien Lemainais et son frère Gustave Lemainais, Léopold Radigois, Octave Doret, Pierre Legros et cinq autres membres quittent l’Atelier pour fonder une nouvelle loge plus conforme à leurs aspirations, sous le titre distinctif de « Libre Conscience ». On a vu qu’il s’agit de militants engagés, aussi le nouvel établissement prend-il forme rapidement : fondée le 17 janvier 1894, elle reçoit ses Constitutions du Grand Orient de France le 14 février, et trouve un local au 24, rue du Champ Dolent. Dûment autorisée par le 4e Bureau (Loges maçonniques) de la direction de la Sûreté Générale du ministère de l’Intérieur le 31 mars, elle est installée le 1er avril par un ancien membre du Conseil de l’Ordre, le F∴ Jeannot, d’Angers. Il faut croire que l’Obédience ne voit pas d’un mauvais œil les nouveaux venus, car dans son rapport le frère installateur ne manque pas de noter que « Le nouvel Atelier, dont la composition est bonne, me paraît appelé à se développer rapidement, et à devenir un excellent foyer d’activité maçonnique36. » Cependant, fait significatif quand on mesure l’importance à la fois symbolique et affective attachée dans tous les cas à la fondation d’une nouvelle loge, aucun autre franc-maçon rennais ou breton n’est présent lors de la cérémonie.
30On peut se demander quel aurait été le développement ultérieur de la Franc-Maçonnerie rennaise si « Libre Conscience » avait perduré. Mais des facteurs matériels et purement conjoncturels fragilisent immédiatement le nouvel Atelier, et malgré la détermination de ses fondateurs, cette création va être éphémère. Leur premier temple s’étant révélé inadapté, la Loge emménage en octobre dans un local plus approprié au 18, faubourg de Nantes, ce qui entraîne de nouveaux frais auxquels elle est incapable de faire face, sans parler du contentieux qui l’oppose sur le même sujet à « La Parfaite Union », elle-même en grande difficulté financière suite au départ des frères de « Libre Conscience ». Elle perd ensuite son Vénérable, le F∴ Belletrud, promu au Mans médecin-chef de l’asile d’aliénés de la ville. Le F∴ Octave Doret, officier d’administration et Secrétaire, est quant à lui nommé à Cherbourg, tandis que le F∴ François Mosserl, capitaine au 10e régiment d’artillerie, est muté à Grenoble. Enfin l’entreprise Lemainais est mise en liquidation judiciaire en avril 1896, ce qui entraîne la démission de deux des principaux instigateurs du nouvel atelier. Si bien qu’en juin le F∴ Pierre Legros ne peut que constater l’échec. Il renvoie au Grand Orient l’enveloppe non décachetée contenant les derniers mots de semestre, avec un commentaire désabusé :
« Notre malheureux atelier ne peut plus fonctionner. Depuis sa fondation, huit frères sur douze ont été appelés par leurs fonctions profanes en dehors de la ville. À Rennes le comité républicain qui s’inspire des principes politiques de nos frères Bourgeois, Mesureur, etc., aurait été bien aise d’avoir à côté de lui une loge qui lui aurait fourni ses conseils et ses appuis37. »
31Ces mêmes années voient la reconnaissance et la mise en place par l’Obédience d’une série de dispositions administratives réclamées depuis longtemps par « La Parfaite Union ». Ainsi l’appel à la générosité des autres loges, dont l’Atelier avait voulu régulariser les modalités en 1853, se retrouve vingt ans plus tard encadré à la fois par un imprimé du Grand Orient demandant des renseignements précis à l’appui d’une demande de secours, et par un bordereau à joindre aux fonds envoyés à Paris. « La Parfaite Union » utilise cette procédure au moins deux fois pour venir en aide à la femme et aux enfants de frères prématurément disparus. Elle alimente ponctuellement en retour cette caisse de secours mutuel, en votant plusieurs fois par an des « médailles » de 5 F à 150 F, selon l’état des finances du « tronc de bienfaisance ».
32En 1896, l’Obédience s’affranchit de la contrainte interdisant de travailler en Loge sur des sujets de société. Jusqu’alors, seules des « planches » sur des thèmes philosophiques, moraux, symboliques ou maçonniques étaient officiellement autorisées. Cette année-là, le Convent diffuse toute une série de questions pouvant faire l’objet d’un débat, et la variété des thèmes abordés ne manque pas de surprendre. On y trouve aussi bien la « Question du libre-échange », que la « Création d’un ministère du travail », l’« Amélioration du sort de la femme », la « Création d’institutions pour lutter contre le chômage des travailleurs », ou celle de « Caisses de prévoyance et de retraite », ou encore la « Législation sur le contrat et les règlements du travail », la « Participation aux bénéfices », « L’arbitrage dans les grèves », « La protection de l’enfance », « La propriété du sol », « La durée du service militaire », « Le meilleur système d’impôt », etc. Les choix de « La Parfaite Union » sont tout aussi éclectiques, puisqu’en 1901 on la voit traiter de « La représentation proportionnelle », mais aussi de « L’adoption du système métrique en Angleterre38 ».
33En 1897, ce sont les imprimés relatifs à l’instruction du dossier d’un profane, l’obligation prêtée au cours d’une initiation au premier degré, et la demande de diplôme au grade de maître, qui sont formalisés. Et la Loge ne manque pas d’alimenter le « fichier des refusés » qu’elle a contribué à créer. Sont récusés des profanes ne possédant pas « l’instruction indispensable pour comprendre et apprécier les vérités maçonniques », mais aussi ceux dont le caractère ne semble pas suffisamment trempé, passibles d’appréciations telles que « vulgaire fumiste », « peu sérieux, querelleur et léger », les alcooliques, ceux de « moralité douteuse », comme ce « tenancier d’un café-brasserie chantant qui frise la maison de tolérance », ou ceux dont la « mauvaise conduite » est patente. Certaines des raisons données pour refuser un profane ne manquent pas de saveur. On trouve ainsi un commis des Ponts et Chaussées qui « confesse assez ingénument que son but, en sollicitant l’initiation, était de se créer des relations dont l’influence pourrait lui être utile pour améliorer sa situation » ou un instituteur primaire, « ancien Ignorantin, véritable casuiste, qui a battu en retraite le jour de l’initiation ». Si l’étiquette « clérical et réactionnaire » ferme d’emblée la porte du Temple, il peut arriver que dans le domaine politique des erreurs d’appréciation soient commises. Ainsi le F∴ Albert Regnouf, préposé en chef à l’octroi de Fougères, refusé en 1891 comme « boulangiste et homme à double visage », sera néanmoins reçu l’année suivante, « l’enquête ayant été mal faite ».
34Le chapitre précédent a montré que la rigueur du « Code Maçonnique » ne cède rien sur tout ce qui touche à la « moralité ». L’initiation en 1860 du F∴ Auguste Géneslay, imprimeur à Laval, est à ce propos exemplaire :
« Un profane a été déposé dans la chambre de réflexion. Le frère Expert apporte au vénérable les réponses écrites faites par le profane aux questions qui lui ont été posées, et dont la quatrième est celle-ci : “Confesse ton vice dominant.” Après lecture des réponses, la Loge déclare que ces réponses sont suffisantes pour qu’il soit donné suite à l’initiation, sauf à provoquer des explications sur la réponse faite par le profane à la quatrième question.
En conséquence le profane est amené à la porte du temple. Il répond avec intelligence aux premières questions qui lui sont adressées, accomplit les deux premiers voyages symboliques, et subit avec courage les premières épreuves. Mais à ce moment le vénérable l’ayant interrogé sur la réponse faite par lui à la quatrième question, en le priant de préciser cette réponse, plusieurs frères de l’Orient de Laval apprennent à la Loge qu’ils ont entendu dire que le profane entretenait avec une jeune personne de cette ville des relations incompatibles avec sa position d’homme marié et de père de famille. Le profane ayant reconnu la vérité de ces reproches, le vénérable lui fait comprendre qu’il ne peut être donné aucune suite à l’initiation s’il ne s’engage pas à rompre immédiatement toute liaison avec cette personne, et il invite le profane à sanctionner cet engagement par un serment sans restriction ni réserve. Le profane s’y refuse ; il est reconduit dans la salle de réflexions, et la Loge délibère sur ce qu’elle doit faire. Plusieurs frères sont d’avis qu’il ne faut pas admettre le profane à l’initiation, même s’il revient sur son refus. La majorité opine pour que le F∴ Boutreux, qui le connaît intimement, quoiqu’il ignorât les faits reprochés au profane, se rende vers lui, accompagné de trois frères de l’Orient de Laval, et s’efforcent de lui faire comprendre la nécessité de l’engagement qu’on lui demande, au point de vue de la morale et des principes de la Franc-Maçonnerie, et de l’intérêt de sa famille. À la suite d’une conférence assez longue, les frères rentrent dans le temple accompagnés du profane, qui prête le serment qui lui a été demandé39. »
35Lors de la tenue suivante, le vénérable donne lecture d’un courrier du F∴ Géneslay, qui annonce « qu’il a accompli l’obligation qui lui avait été imposée et qu’il avait juré de remplir ». La Loge « accepte cette communication avec une vive satisfaction40 », et de fait il sera l’un des plus consciencieux ouvriers de l’Atelier pendant près de trente ans. De surcroît, il convient de le créditer d’un ouvrage insolite et unique : le premier « Grand Larousse Illustré ». Ayant pris sa retraite, l’ancien imprimeur ne semble pas en effet entièrement satisfait de ce monument d’érudition, qui, à l’inverse de « L’Encyclopédie » de Diderot, ne comporte aucune iconographie. Il s’emploie donc à le compléter, en y incorporant toutes sortes de documents, imprimés, illustrés ou autres, comme des daguerréotypes malheureusement aujourd’hui disparus. Il double ainsi l’édition initiale, qui passe de dix à vingt volumes. Les reliures sont refaites, et un index des ajouts incorporé à chaque tome. Une étude complète serait nécessaire pour rendre compte de la richesse de l’ouvrage, qui contient certainement des textes ou des images inédites, si l’on en juge par ceux concernant « La Parfaite Union », qu’il n’a pas manqué d’y ajouter. On y trouve en effet aussi bien l’« Exposé de la conduite de la Loge de Rennes depuis le mois de mai 1861 » dont on a rendu compte dans le chapitre précédent, ainsi que le seul exemplaire restant de la réédition magnifiquement illustrée et typographiée de 1862 du « Code Maçonnique » du F∴ Carré41. Mais également la « Lettre de la loge La Vérité de Marseille à Mgr Plantier, évêque de Nîmes, en réponse à la lettre de ce prélat, du 30 octobre 1861, à S. Exc. M. le ministre de l’instruction publique et des Cultes », dont « La Parfaite Union » avait décidé d’imprimer et de distribuer 1 000 exemplaires42. En fait, toute trace imprimée lui semble digne d’être conservée, qu’il s’agisse d’images de première communion, ou de ce menu de la fête solsticiale de la Saint-Jean d’hiver 1882, qui témoigne du solide appétit des frères de l’époque : « Potage purée, croûtons en tapioca/Saumon hollandaise/Filet de bœuf béarnaise/Poularde financière/Gigot à l’anglaise/Filets lièvre chasseur/Dinde farcie/Cuissot de chevreuil/Salades/Macaroni italienne/Haricots verts à l’anglaise/Plum pudding/Tarte aux abricots/Gâteau d’amandes/Dessert ». Il est regrettable que la carte des vins d’accompagnement ne soit pas précisée. Vraisemblablement légué à la Bibliothèque municipale de Laval, où il se trouve toujours, ce « Larousse-Geneslay » sera disponible en libre consultation des lecteurs au moins jusqu’en 1909, comme en témoigne un article du Fureteur Breton43.
36À la fin du siècle, le bras de fer engagé entre les républicains et leurs adversaires va se durcir sur deux enjeux majeurs : le contrôle de l’enseignement, et le contrôle de l’armée. L’article 15 de la Constitution du Grand Orient de France qui affirme que « Les Francs-Maçons s’interdisent tous débats sur les actes de l’autorité civile et toute intervention dans les luttes des partis politiques » est résolument passé aux oubliettes. Le Grand Orient, tout comme « La Parfaite Union » vont s’investir totalement dans le combat politique, et l’année 1895 marque incontestablement à cet égard un tournant. La Loge reçoit au mois de janvier une circulaire, dont l’origine n’est pas précisée, ayant pour titre « Vœux proposés à l’adoption de tous les Républicains ». Dans le domaine de l’enseignement, le problème fondamental est celui de la collation des grades. Aussi est-il proposé d’enlever aux Facultés :
« Le privilège de faire subir les épreuves du baccalauréat, pour donner aux lycées et collèges de plein exercice le droit de faire passer cet examen, non seulement aux élèves de l’Université, mais aussi aux élèves des institutions libres ou privées, laïques ou ecclésiastiques, chaque candidat pouvant d’ailleurs choisir son centre d’examen.
Les élèves des institutions ecclésiastiques seront tenus de suivre en qualité d’externe les classes d’un lycée ou d’un collège communal de plein exercice pendant toute la dernière année scolaire qui précédera l’examen (1re et 2e partie des baccalauréats classique et moderne). Il serait à souhaiter que le Parlement fit une réforme dans ce sens, car personne n’ignore que la plupart des hauts fonctionnaires des administrations civiles ou militaires sont inféodés au cléricalisme, et qu’il en est de même jusque dans les services de l’Instruction publique. Il serait donc parfaitement équitable que les fils de la noblesse ou de la haute bourgeoisie fussent traités comme les enfants du peuple, et qu’ils ne profitassent pas d’avantages qu’ils doivent plutôt à leur naissance qu’à leur mérite personnel. De cette façon on arriverait peu à peu à purger les diverses administrations de ces fonctionnaires hostiles à toute espèce de réforme, et visant au contraire à un mouvement en arrière44. »
37La Loge adhère immédiatement à ce projet, qu’elle reformule deux ans plus tard, en demandant :
« Que les grades universitaires soient conférés aux seuls élèves des établissements d’État, et que ces mêmes élèves puissent seuls être admis aux grandes écoles préparant aux carrières administratives, pédagogiques, judiciaires et militaires45. »
38Elle demande en même temps l’expulsion des Jésuites, et la laïcisation des écoles de filles46. À cette époque, l’état d’esprit de l’Atelier est parfaitement résumé par la conclusion de son compte rendu d’activité annuel : « Répandons la lumière à profusion jusqu’à en aveugler les disciples de l’éteignoir47. » Un peu plus tard, c’est un mémoire détaillé de neuf pages, sur les « subventions déguisées des municipalités cléricales aux écoles congréganistes, et les moyens d’y mettre empêchement48 » que la loge envoie à Paris, avec en exergue cette maxime : « Bien dire et bien penser ne sont rien SANS BIEN FAIRE. »
39En novembre 1895, le F∴ Léon Bourgeois est nommé président du Conseil, mais son ministère ne dure pas plus de six mois, du fait de l’obstruction du Sénat. La tendance radicale dont il est l’un des leaders se regroupe alors dans un « Comité d’action de l’Union pour la défense des droits du suffrage universel », qui ne semble pas très regardant sur les motivations réelles de ses adhérents, car l’un de ses membres est Le Hérissé49, député de Rennes, ce qui fait bondir l’Atelier :
« La Franc-Maçonnerie tout entière avait salué avec joie l’avènement du cabinet Bourgeois, parce qu’elle y entrevoyait le triomphe de ses aspirations. Les conditions dans lesquelles ce Cabinet quitte le pouvoir nous créent à tous des devoirs que d’ailleurs il s’empresse lui-même d’indiquer à tous dans un Manifeste destiné à un grand retentissement et portant pour titre “La Défense du Suffrage Universel”.
Mais notre situation particulière, à l’avant-garde de la démocratie et de la Franc-Maçonnerie bretonnes nous oblige à protester avec énergie contre la présence du député et candidat évincé à la mairie de Rennes sur la liste des 18 membres du Comité directeur installé à Paris.
C’est avec stupéfaction que nous voyons Le Hérissé, ancien aide de camp du général Boulanger, son valet le plus servile, l’insulteur de la Franc-Maçonnerie à la tribune de la Chambre, se poser en défenseur du suffrage universel à côté de Léon Bourgeois, Paul Doumer, Combes, Guyesse, Lockroy, Mesureur, etc.
Notre indignation redouble au lendemain de la période électorale pendant laquelle il n’a cessé de vilipender notre Institution dans son journal et dans ses discours, faisant en cela, selon ses habitudes, cause commune avec les cléricaux et l’administration locale. Cette ignoble palinodie, jouée depuis si longtemps par Le Hérissé, socialiste à Paris, gouvernemental à Rennes, ennemi déclaré des Francs-Maçons partout, doit être dévoilée50. »
40Mais les alliances électorales amènent parfois d’étranges regroupements, comme on peut le constater en 1898, lorsque Godefroy Cavaignac, ancien ministre de la Guerre dans le cabinet Bourgeois, et membre de la loge « Les Amis du Progrès » au Mans, républicain convaincu et respecté, vient à Rennes soutenir la candidature de René Le Hérissé aux élections législatives. Dans son journal Le Petit Rennais, dont il est le directeur, celui-ci ne cesse en effet d’attaquer les francs-maçons et les juifs51. L’amalgame s’explique : on est au commencement de l’affaire Dreyfus, qui débute dans le domaine public avec la publication le 13 janvier par L’Aurore du « J’accuse » d’Émile Zola. Dès le mois de novembre « La Parfaite Union » rejoint le camp des « dreyfusards », comme en témoigne la conférence faite en loge par le F∴ Jules Ledoux, professeur vétérinaire à l’École nationale d’agriculture, et futur vénérable de l’Atelier :
« Il retrace à grands traits l’historique de l’affaire en s’appuyant sur de nombreux documents. Il insiste particulièrement sur l’illégalité et la pression dont trop de preuves ont été données au cours des débats. Il fait ressortir le courage et la ténacité du lieutenant-colonel Picquart, et adresse un hommage au F∴ Brisson et à ceux qui ont eu le courage de prendre en main la défense des deux accusés52. »
41Comme la précédente, la mise en garde de « La Parfaite Union » sur les menées de Le Hérissé reste cependant sans effet :
« Nous avons la faveur de porter à votre connaissance que le député F∴ Cavaignac, ancien membre du cabinet Bourgeois, fait fausse route et mène une campagne qui nous est très préjudiciable en venant apporter son appui au boulangiste impénitent Le Hérissé, ennemi déclaré de la Franc-Maçonnerie, et l’allié de tous les réactionnaires de notre département.
Les duplicités du sieur Le Hérissé semblent lui avoir aliéné les anciens sentiments de la population ouvrière. Faut-il donc que la parole autorisée d’un ancien ministre franc-maçon essaye de venir raviver les chances de sa candidature si heureusement compromise53 ? »
42La situation devient particulièrement tendue au printemps de l’année 1899 :
« Vivant dans le pays le plus clérical de France, en butte aux injures des députés républicains ( ?) et de la presse locale, combattus et calomniés sans cesse, il n’est pas douteux que la grande majorité des frères de notre Atelier est résolument anticléricale, et déplore vivement l’inertie des pouvoirs publics. Je dirais plus, nous avons tous été, lors des dernières discussions sur l’enseignement, fâcheusement impressionnés en voyant les députés et les sénateurs désignés pour défendre l’enseignement libéral, renier leurs principes.
Je suis l’interprète de l’Atelier pour vous affirmer que nous souhaitons que la lutte recommence enfin contre les congrégations qui ruinent notre pays aussi bien moralement que pécuniairement. Nous soutiendrons de toutes nos forces les hommes de valeur et de courage qui en voudront prendre l’initiative.
Il est grand temps que les Républicains soient au pouvoir, et que l’administration cléricale et réactionnaire qui nous étouffe retombe enfin aux mains de gens honnêtes et animés de vrais principes républicains54. »
43Les élections législatives suivantes, au printemps 1902, sont perçues comme cruciales par tous les camps en présence. Dès le mois de décembre 1901, le Grand Orient met ses loges en ordre de bataille, en leur demandant de fournir des comptes rendus détaillés sur la situation politique dans les circonscriptions électorales de leur ressort. « La Parfaite Union » fournit des analyses précises sur la situation politique dans sept des huit circonscriptions de l’Ille-et-Vilaine, en regrettant qu’il soit « impossible d’obtenir quoi que ce soit en Côtes-du-Nord55 » – il n’y a pas à ce moment de loge du Grand Orient à Saint-Brieuc. Son plus grand regret vient de la réélection prévisible de René Le Hérissé, fortement implanté, soutenu par l’ancien maire Le Bastard, et qui s’est constitué une clientèle aussi bien parmi « les ouvriers de la gare, de l’arsenal et de la confection militaire, qui voient en lui un défenseur assuré contre les mesures administratives propres à diminuer le travail dans ces établissements », que parmi « les petits commerçants, dont il s’est dit le défenseur contre l’absorption des grands magasins », mais également parmi « les petits rentiers, petits propriétaires, employés, etc., que n’effraye pas la forme républicaine mais qui ont conservé un indéracinable fonds de cléricalisme » :
« En examinant ce qui existe déjà, il faut reconnaître qu’on ne peut rien faire. La Loge ne compte que peu de rennais, une trentaine environ, sur lesquels il y a au moins 20 fonctionnaires n’ayant aucune influence sur la masse des électeurs. La Ligue des Droits de l’Homme ne peut rien, l’esprit de la population lui étant franchement hostile. Il aurait fallu un comité, soutenu et renseigné de façon occulte par les deux sociétés, mais réunissant des noms sympathiques et constituant un solide fonds de combat. Nous ne l’avons pas et nous ne pouvons rien. »
44La situation est tout aussi défavorable dans la 2e circonscription de Rennes, essentiellement rurale, mais les analyses envoyées sur les circonscriptions malouines sont plus encourageantes. En fin de compte, ces élections verront la victoire indiscutable du « bloc des gauches », et le 6 juin le F∴ Émile Combes deviendra président du Conseil.
45On observe qu’au début du siècle l’effectif de la Loge est restreint, et son influence bien en deçà de ce que lui prêtent ses adversaires. En fait « La Parfaite Union » ne compte à ce moment qu’une cinquantaine de membres, effectivement dispersés dans toute l’Ille-et-Vilaine et même au-delà, puisque l’on peut dénombrer une dizaine de frères dans la région de Saint-Malo, une demi-douzaine à Fougères, et des isolés à Vitré, Dinan, Saint-Brieuc, Laval, Mayenne et Châteaubriant. Et pour ces derniers la révélation de leur appartenance maçonnique peut attirer de graves ennuis. C’est ainsi que le F∴ Caudron, chef de musique au 70e régiment d’infanterie à Fougères, renonce à fonder un atelier dans cette ville, bien que les frères y soient en nombre suffisant : « Les civils feraient faillite si les habitants de la ville savaient qu’ils sont affiliés à la Franc-Maçonnerie. Les officiers seraient mis en quarantaine par leurs camarades pour le même motif56. » L’intolérance peut même parfois prendre des formes extrêmes. C’est ainsi que le F∴ Firmin Montoux, directeur de l’École pratique d’agriculture de Grand-Jouan à Nozay, en Loire-Atlantique, écrit au secrétariat du Grand Orient de France :
« Parmi nos frères, y aurait-il un médecin qui se serait adressé à vous pour lui indiquer un endroit où il pourrait se créer une situation ? Dans l’affirmative je vous serais reconnaissant de bien vouloir lui indiquer la commune de Nozay, où il pourrait venir s’établir. Nous avons ici deux médecins, mais tous les deux sont réactionnaires, et réactionnaires à un tel point qu’ils ont refusé de soigner un de mes enfants, parce que je suis franc-maçon. Un autre de nos frères est dans le même cas, et comme moi il a femme et enfants57. »
46Dans le même temps, les relations entre la Franc-Maçonnerie et l’Armée sont devenues exécrables. L’époque du premier Empire, où les brillants uniformes des généraux et de leurs officiers d’État-major décoraient les colonnes de l’Atelier, n’est plus qu’un lointain souvenir. La situation s’est lentement dégradée, et si sous la Restauration et la Monarchie de Juillet on peut encore dénombrer une quarantaine de militaires parmi ses membres, il ne s’agit plus que d’officiers subalternes et de quelques sous-officiers. Ce nombre reste constant sous le second Empire, avec une proportion exactement inverse entre ces deux catégories : trente sous-officiers pour dix officiers. Entre 1872 et 1900, ils ne sont plus qu’une dizaine à apparaître, d’une façon souvent épisodique, comme pour une initiation, sur le livre d’architecture de l’Atelier. Et à l’exception notable du F∴ Édouard Thomasset, vice-amiral et Grand-Croix de la Légion d’honneur, affilié en 1849 et qui reste fidèle à la Loge jusqu’à sa mort, ce sont pratiquement tous des sous-officiers. Il faut dire qu’une décision ministérielle de 1889 interdit aux officiers de s’affilier à une loge maçonnique, tandis que prospèrent les « Cercles catholiques militaires ». Cette flagrante inégalité de traitement est dénoncée aussi bien par la loge « L’Humanité » de Nevers, qui édite une brochure sur ces Cercles, et dont « La Parfaite Union » décide « l’achat de 50 exemplaires et son insertion dans un journal de la localité58 », que par « Les Amis des Allobroges » à Paris, qui « revendique pour les officiers libres-penseurs un droit égal à celui reconnu aux militaires adhérents aux cercles catholiques59 », et demande en conséquence que la décision ministérielle de 1889 soit rapportée, vœu auquel se rallie bien sûr immédiatement l’Atelier, tout comme il demande « la suppression complète de toutes les manifestations du culte à bord des escadres et de tous les bâtiments de guerre de la République française60 ». Il est possible que le travail présenté en Loge en mars 1900 par le F∴ François Tiel, capitaine au 102e régiment de ligne à Mayenne, reçu l’année précédente, à « La Parfaite Union », sur « Le cléricalisme dans l’Armée », et transmis au Conseil de l’Ordre avec deux autres textes de cet officier portant sur « La réduction de la durée du service militaire » et « L’esprit de l’Armée », n’ait pas été sans influence sur les événements qui vont suivre. Le rapporteur du Conseil résume ainsi le premier envoi :
« Il s’agit d’une étude sur l’envahissement de l’armée par le cléricalisme. L’armée est une caste. Les républicains et les officiers sortis du rang sont condamnés à ne pas avoir l’avancement qu’ils méritent. Ce travail, documenté, écrit par un homme du métier, contient beaucoup de détails intéressants. »
47Il faut rappeler que le régime qui succède au second Empire après la défaite de 1870 n’est au départ qu’une République seulement nominale. Celle-ci est institutionnalisée le 30 janvier 1875 par le vote, à une voix de majorité, d’un amendement présenté par Henri Wallon, énonçant dans le texte de la nouvelle Constitution que « le Président de la République est élu par le Sénat et par la Chambre des députés réunis en Assemblée Nationale. Il est nommé pour sept ans ; il est rééligible ». Ce vote surprise d’une assemblée à majorité monarchiste, où la nature du régime est définie par la seule durée du mandat du chef de l’exécutif, vient de l’opposition irréductible entre légitimistes et orléanistes, entre les descendants de Louis XVI et ceux de Philippe-Égalité, qui n’ont pu s’entendre sur le nom du prétendant au trône. On a vu qu’en 1902, le gouvernement cette fois résolument républicain du « bloc des gauches », présidé par le F∴ Émile Combes, est arrivé au pouvoir. Mais son gouvernement va devoir démissionner le 18 janvier 1905, après avoir, en décembre précédent, fait voter la loi de séparation des Églises et de l’État, qui abroge le Concordat de 1801. Il tombe victime de ce que l’on appelle « l’affaire des fiches », une affaire où le Grand Orient de France est directement impliqué. Ne se contentant plus en effet de peser de tout son poids sur les consultations électorales, l’Obédience a en effet offert ses services au général André, ministre de la guerre chargé de républicaniser l’Armée, et a mis en place un système de renseignement sur les opinions politiques des officiers, qui s’appuie essentiellement sur les loges de province.
48Comment en est-on arrivé là ? Les monarchistes n’ont évidemment jamais admis la République, fruit de leur propre désunion. Mais celle-ci survit cependant à toutes les crises qui auraient pu l’emporter. Elle échappe aussi bien au général Boulanger en 1886 qu’au scandale lié au financement du canal de Panama six ans plus tard, tout en construisant du Maroc à l’Indochine en passant par l’Afrique noire et Madagascar, un empire colonial que l’on retrouvera en rose sur les atlas jusqu’au début des années 1960. Elle met progressivement en place entre 1881 et 1884, le F∴ Jules Ferry étant président du Conseil, une législation républicaine, et un État laïque, en votant les lois sur l’école, sur la laïcité de l’enseignement, des hôpitaux, des pompes funèbres, des cimetières, sur la liberté de réunion et de la presse, sur la liberté syndicale. Mais l’affaire Dreyfus va soudain ranimer les tensions, qui s’étaient calmées vers la fin du siècle. « Dreyfusards » et « antidreyfusards » s’accusent des plus graves forfaits : déni de justice, haine raciale, violation des droits de l’homme d’une part ; trahison, antipatriotisme, complot contre l’Armée d’autre part. L’Affaire, avec un A majuscule, provoque une recomposition du paysage politique : des républicains « modérés » rejoignent la gauche républicaine radicale et « révisionniste », c’est-à-dire partisans d’une révision du procès Dreyfus, tandis que les adversaires de la République – catholiques, monarchistes, nationalistes – se reconnaissent dans la mouvance des antidreyfusards. C’est ainsi qu’en février 1899, le F∴ Jules Méline, antidreyfusard et modéré, est battu à la présidence de la République par le radical Émile Loubet, et qu’en juin suivant le F∴ Charles Dupuy, modéré, est remplacé à la présidence du Conseil par Pierre Waldeck-Rousseau, également radical.
49L’affaire Dreyfus a révélé aux républicains le danger que représente pour eux la puissance des congrégations religieuses politiquement actives, comme les Assomptionnistes et leur journal La Croix. La célèbre « loi de 1901 » ne se contente pas d’organiser le droit d’association sur le modèle que nous connaissons encore de nos jours, elle restreint aussi par son article 13 le droit des congrégations, en les soumettant à une autorisation légale obligatoire. Les congrégations non autorisées sont alors dissoutes ou s’exilent, et leurs biens sont confisqués. Les expulsions des congrégations donnent lieu à des incidents qui préfigurent ceux des inventaires des biens des églises quatre ans plus tard, au moment de l’application de la loi de séparation des Églises et de l’État, et qui se traduisent par la mauvaise volonté de fonctionnaires, de magistrats ou bien de militaires, lorsque l’armée est appelée pour prêter main-forte – il n’existe pas à cette époque d’unités spécialisées dans le maintien de l’ordre. Combes entreprend alors une vigoureuse épuration de l’administration : les fonctionnaires récalcitrants sont révoqués, de nombreux magistrats sont poussés à la démission, que certains donnent d’ailleurs d’eux-mêmes pour ne pas avoir à appliquer des lois anticléricales qu’ils réprouvent. Reste le problème de l’Armée. La hiérarchie de ce que l’on nomme « la grande muette », formellement neutre politiquement puisque les militaires n’ont pas le droit de vote, témoigne d’une répugnance certaine vis-à-vis des institutions républicaines et d’un régime parlementaire qu’elle considère comme inefficace à l’intérieur, et pusillanime à l’extérieur. À l’époque, elle constitue de fait
« un corps autonome, quasi indépendant du pouvoir civil, ayant ses propres règles, se recrutant par cooptation et affectant vis-à-vis de la politique une indifférence confinant au mépris. Par le jeu des commissions de classement, composées exclusivement de militaires, les nominations aux hauts grades échappent au pouvoir civil, et ce d’autant plus que la tradition veut que les ministres de la Guerre soient généralement choisis parmi les généraux en activité61 ».
50C’est à cet état des choses que s’attaque le général André, nommé ministre de la Guerre en 1900. À soixante-deux ans, cet ancien polytechnicien, positiviste et librepenseur, mais non franc-maçon comme on l’écrit encore, veut démocratiser l’armée et favoriser la carrière d’officiers républicains. Pour ce faire, il prend donc un certain nombre de mesures significatives : obligation pour les saint-cyriens de servir un an dans les corps de troupe avant d’entrer à l’École ; suppression de la dot réglementaire pour les futures épouses d’officiers ; suppression des ordonnances et des équipages ; ouverture aux sous-officiers du grade de sous-lieutenant dans la limite d’un dixième des emplois disponibles. En ce qui concerne l’avancement des officiers, il ouvre deux registres, baptisés « Corinthe » et « Carthage »62, et note dans le premier les noms de ceux qu’il entend promouvoir, et dans le second ceux qui sont promis à la stagnation ou au blocage de leur carrière du fait de leurs opinions antirépublicaines. Mais il s’aperçoit très vite que lui-même, son entourage ou ses correspondants ne peuvent guère évaluer ainsi qu’environ 800 des 27 000 officiers que compte l’armée. C’est pourquoi, dans le courant de l’année 1901, il accepte l’offre que lui fait le F∴ Frédéric Desmons, vice-président du Sénat, mais également président du Conseil de l’Ordre du Grand Orient de France, autrement dit Grand Maître selon la terminologie actuelle, de demander aux vénérables des villes de garnison les renseignements souhaités. Une liaison opérationnelle est rapidement mise en place entre le F∴ capitaine Henri Mollin, appartenant au cabinet du ministre, et le F∴ Narcisse Vadecard, secrétaire général du Grand Orient. Le système fonctionne avec efficacité, et des lettres-type, des circulaires de caractère quasi officiel sont ainsi adressées par le Grand Orient aux vénérables concernés. En réponse, il reçoit des loges, entre septembre 1901 et octobre 1904, plusieurs milliers de fiches63, qui sont transmises au cabinet du ministre.
51À cette époque, la Bretagne ne compte que cinq loges du Grand Orient en activité. À Nantes, « Paix et Union et Mars et les Arts », qui ont fusionné au début de l’année 1901 ; à Saint-Nazaire, « Le Trait d’Union », fondée en 1887 ; à Lorient, « Nature et Philanthropie », qui date de 1838 ; à Brest, la loge « Les Amis de Sully », qui est revenue dans le giron du Grand Orient de France en 1900. En décembre 1903, une loge « Ernest Renan » a bien été installée à Tréguier, mais dans le plus grand secret ; elle s’unira en 1905 à la nouvelle loge « Science-Conscience », qui allumera alors ses feux à Saint-Brieuc. Les vénérables de Nantes et de Brest sont en conséquence mis à contribution, et c’est « La Parfaite Union » qui, à Rennes, est chargée du fichage des officiers supérieurs64 de l’état-major et des régiments en garnison en Ille-et-Vilaine et dans les Côtes-du-Nord à savoir : l’état-major du Xe Corps et le 41e d’infanterie à Rennes, le 47e à Saint-Malo-Saint-Servan, et le 70e à Vitré ; le 71e d’infanterie à Saint-Brieuc, ainsi que le 48e à Guingamp. Trois vénérables successifs de « La Parfaite Union » vont être concernés par la rédaction des 41 fiches qui vont émaner de l’atelier65. C’est d’abord en 1901 et 1902, Isidore Louveau*, professeur honoraire à l’École de médecine et de pharmacie de Rennes ; puis l’année suivante Jules Ledoux, professeur vétérinaire à l’École nationale d’agriculture de Rennes, et enfin en 1904 son successeur, Mars Abadie, professeur de génie rural à cette même école.
52La machine se grippe brusquement à l’automne 1904 lorsqu’une campagne de presse conduite par Le Figaro et Le Matin dénonce d’abord les procédés de délation utilisés au ministère de la Guerre, et que le 28 octobre le député nationaliste Jean Guyot de Villeneuve, interpellant le gouvernement, révèle à la tribune de la Chambre, documents originaux à l’appui, à la fois la correspondance échangée entre le secrétariat du Grand Orient de France et le cabinet du général André, et la teneur de plusieurs fiches. L’ensemble lui a été remis par le F∴ Jean-Baptiste Bidegain66, entré au siège du Grand Orient rue Cadet comme secrétaire adjoint du F∴ Vadecard en 1894. Il y a manifesté un réel zèle maçonnique, fondant par exemple en 1901 avec le F∴ Lucien Deslinières, théoricien du socialisme, l’atelier « L’Action Socialiste ». Sa trahison s’explique par des motifs idéologiques, car revenu à sa croyance première en la foi catholique, il veut détruire le Grand Orient, représentant pour lui « la synagogue de Satan ». Mais il ne peut révéler le nom de l’abbé Gabriel de Bessonies qui servit d’intermédiaire – ou de paravent, car un autre ecclésiastique est également cité, et l’affaire est loin d’être éclaircie – entre lui et Guyot de Villeneuve. Quoiqu’il en soit, Bidegain ne pouvait faire état de ses contacts, qui auraient permis aux républicains de dénoncer un « complot clérical ».
53Il n’y a pas pour le gouvernement d’échappatoire possible. La démission le 15 novembre du général André, et son remplacement par le F∴ Maurice Berteaux, n’arrête pas la publication dans la presse des fiches dérobées au siège de l’Obédience, et le F∴ Combes doit lui aussi démissionner. Il est remplacé par le F∴ Pierre Rouvier, qui, en échange de promesses d’abandon du système mis en place par le général André, et de réparation pour les officiers lésés, obtient de Guyot de Villeneuve qu’il cesse la publication des fiches. Le 4 novembre 1906, à l’issue d’un débat mouvementé sur l’affaire, le député nationaliste Gabriel Syveton gifle violemment le général André en pleine Chambre. Son immunité parlementaire est levée dès le lendemain, et des poursuites engagées, qui auraient dû le conduire devant une cour d’assises le 9 décembre s’il n’avait été retrouvé mort la veille à son domicile. Les circonstances de sa mort, suicide ou meurtre, n’ont jamais été exactement élucidées, mais doivent être recherchées dans son entourage. Trésorier et dirigeant de fait de la « Ligue de la Patrie française », contrepartie nationaliste de la « Ligue des Droits de l’homme », d’une part sa gestion était loin d’être irréprochable, et par ailleurs ses débordements sexuels dans le cadre familial allaient déboucher sur un scandale. Ce qui n’empêcha pas l’opposition nationaliste de fantasmer sur une mort où le poignard symbolique des Chevaliers Kadosch avait enfin un emploi tout trouvé.
54Ce n’est cependant pas à la fin de l’année 1904 que Rennes et « La Parfaite Union » sont touchées par cette affaire des fiches, mais un an et demi plus tard, lorsque Guyot de Villeneuve, constatant qu’en fait rien n’a changé au ministère de la Guerre – les préfets ou les sous-préfets ont seulement pris la suite des vénérables pour la rédaction des « fiches » – reprend la publication de son dossier, avec pour objectif de peser sur les résultats des élections législatives de l’été 1906. Les fiches émanant de « La Parfaite Union » vont être les premières de cette nouvelle série de révélations. Chacune d’elle porte une date et un numéro, ainsi que le nom du vénérable responsable, sinon de sa rédaction, du moins de sa transmission, et elles sont publiées les 10, 13 et 15 février 1906 dans L’Éclair67, « Journal de Paris, Quotidien, Politique, Littéraire, absolument Indépendant », soit donc plus d’un an après la démission du ministère Combes. Comme on va le voir, les passions ne se sont pas apaisées pour autant, et pour cause : l’affaire Dreyfus n’est pas encore terminée ; l’enseignement congréganiste a été totalement interdit en juillet 1904 : les écoles des congrégations religieuses, même celles des congrégations autorisées, sont alors fermées ; enfin la période des inventaires des biens des églises, conséquence de la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des églises et de l’État, bat son plein. Si l’on ajoute que Louveau est chevalier de la Légion d’honneur, qu’il a l’année précédente affirmé dans Le Figaro être étranger à la rédaction des fiches parvenues de Rennes68, alors que les documents publiés prouvent maintenant le contraire, et que Ledoux et Abadie sont officiers de réserve, on comprend que l’ensemble forme, tant au point de vue national que local, un cocktail assez explosif.
55Les fiches publiées à Paris sont reproduites littéralement le jour même dans les journaux rennais, Le Journal de Rennes, Le Nouvelliste de Bretagne et Ouest-Éclair. Dans leur rédaction, elles ne différent pas de celles qui ont été publiées précédemment. Les renseignements fournis sont parfois lapidaires : « Clérical », « Républicain », ou « Douteux », car certains officiers, restés prudents dans une ambiance partisane, sont difficiles à cerner et se retrouvent avec une appréciation vague : « Très réservé, opinions politiques peu nettes ». Parmi les fiches émanant de « La Parfaite Union », deux officiers seulement sont qualifiés de « républicains ». S’agissant des « cléricaux », les rédacteurs brossent des portraits impitoyablement acérés, qui ne s’arrêtent pas aux seules idées politiques, mais débordent sur le domaine privé, famille ou santé ; ou bien encore c’est l’attitude lors des événements récents qui est soigneusement notée. Quelques exemples :
« Rennes, 41e d’infanterie. Lieutenant-colonel Ducasse. – Clérical et réactionnaire. A une conception étroite de l’armée ; affiche son mépris pour le civil ; le prêtre et le noble seuls trouvent grâce auprès de lui. Critique violemment devant ses inférieurs les actes du gouvernement et par ses manifestations continuelles fait une véritable propagande antirépublicaine, ce qui ne l’empêche pas de changer le ton de la conversation lorsqu’il se trouve avec des républicains qui peuvent être influents » ; « Vitré, 70e d’infanterie. Mouton, commandant. – A proféré à plusieurs reprises des propos hostiles au gouvernement et aux officiers républicains. Caractère faux et sans volonté. A des sentiments nettement réactionnaires qu’il cache autant que possible dans le désir de monter en grade. S’est signalé pendant les expulsions des frères de Vitré par sa mauvaise volonté et son apathie. » ; « Saint-Brieuc, 71e d’infanterie. Lieutenant-colonel Notté. – Très nouvellement arrivé au 71e, souvent malade. Clérical. » ; ou encore, du même régiment : « M. de la Motte-Rouge, commandant. – Clérical. Vit parmi ses parents et amis qui assistent à toutes les processions du pays, même celle des Rogations. A envoyer dans un pays de socialistes, et au plus vite. »
56Ce sont trois autres fiches qui vont attirer à Mars Abadie des ennuis imprévus :
« Rennes, 41e d’infanterie. Brière, lieutenant-colonel. – Clérical et réactionnaire. ses deux fils sont élèves au collège ecclésiastique de Saint-Vincent, à Rennes, établissement bien connu dans la région comme foyer de réaction. Il a refusé de les retirer malgré les conseils pressants du général en chef. Homme froid et peu communicatif ; ne dévoile pas ses opinions au moins avec les gens qu’il ne connaît pas. Certains prétendent qu’il est mené par sa femme, instrument des Jésuites. » ; « Vitré, 70e d’infanterie. De Robert du Châtelet, lieutenant-colonel. – Sans caractère et sans énergie. Clérical et réactionnaire à fond. Absolument opposé aux idées républicaines. » ; « Saint-Brieuc, 71e d’infanterie. De Robien, commandant – Clérical de premier choix. Originaire de Saint-Brieuc où il habite parmi ses parents et amis, tous cléricaux militants. Très cassé ; à mettre à la retraite d’office. »
57Le lieutenant-colonel du Châtelet est le premier à réagir en envoyant dès le lendemain son témoin à Mars Abadie. Celui-ci lui assure – avec la plus parfaite bonne ou mauvaise foi, selon le point de vue auquel on se place – qu’il est « complètement étranger à la rédaction et à l’envoi au Grand Orient des fiches concernant les officiers publiées sous son nom69 ». En effet, ainsi qu’il l’explique dans une lettre adressée au Conseil de l’Ordre : « 1° – Les lettres du F∴ Vadecard étaient envoyées à M. Parfont et non à M. Abadie 2° – Je n’ai rédigé aucune fiche ne connaissant aucun des officiers : on peut du reste comparer les écritures. 3° – Je n’en ai renvoyé aucune, c’est le secrétaire de la loge qui faisait les expéditions. » Et il ajoute, le double langage n’étant évidemment pas de mise dans cette correspondance interne à l’Obédience : « Je me garderai bien d’en faire connaître les auteurs, je connais mon devoir là dessus et je défie qui que ce soit de les découvrir70. » Mars Abadie renvoie donc « le témoin du citoyen du Châtelet à Bidegain71 », et refuse de signer une déclaration invalidant les fiches, demandée par le lieutenant-colonel, qui l’aurait fait publier dans les journaux. Celui-ci, entre temps promu colonel et chef de corps d’un régiment stationné dans le Nord, ne lui enverra pas dire ce qu’il pense d’une telle argumentation, et lui écrira un peu plus tard : « Vous êtes bien un délateur et un délateur honteux, qui n’a même pas le courage d’avouer sa triste besogne. En attendant que je puisse vous le témoigner autrement, je vous envoie l’expression de mon plus profond mépris72. »
58Le commandant de Robien choisit une autre voie, et suivant une suggestion du Journal de Rennes du 14 février 1906, il envoie au vénérable une citation à comparaître sous huitaine devant le juge de paix pour :
« S’entendre condamner à payer la somme de cent mille francs à titre de dommagesintérêts, […] attendu qu’au cours du mois de mai 1904 M. Abadie a adressé au représentant de la Franc-Maçonnerie à Paris des renseignements en sachant que ces renseignements étaient destinés à être placés sous les yeux du ministre de la guerre ; attendu que la rédaction et l’expédition de ces renseignements, du reste faux, constituent une faute engageant la responsabilité de l’auteur73. »
59Il faut dire qu’il peut avoir de solides raisons de lui en vouloir, car la fiche rédigée sur lui semble avoir été suivie d’effet : il se trouve effectivement maintenant en retraite, sans être passé lieutenant-colonel après dix ans de grade, et sans avoir « été fait officier de la Légion d’honneur au moment de sa retraite, récompense suprême généralement accordée aux officiers supérieurs qui n’ont pas démérité74. » Il n’est pas seul dans ce cas. Si l’on en croit le même journal, un colonel fiché à Rennes a vu son avancement aux étoiles de général considérablement retardé, un autre piétine toujours, deux ont dû prendre leur retraite, atteints par la limite d’âge, et un dernier, directeur de l’arsenal de Rennes, limogé à Montauban six semaines après la rédaction de sa fiche, a demandé son admission à la retraite par anticipation75.
60Comme il « n’entend absolument rien aux questions de procédure », Mars Abadie prend immédiatement contact avec Paris. Le Grand Orient l’informe qu’il n’a pas lieu de se présenter à l’audience à laquelle il est cité, mais qu’il doit se préparer à une action en justice : « Existe-t-il à Rennes un avoué qui soit des nôtres ou considéré comme un républicain absolument sûr ? Je vous demande cela parce qu’il vous faudra constituer avoué. Pouvez-vous également compter sur le concours d’un avocat de Rennes76 ? » Ce qui, dans le contexte de l’époque, est rien moins qu’évident. Le 7 mars 1906, Mars Abadie écrit en effet à Paris :
« J’ai bien reçu votre planche du 4 courant et suivant vos indications j’ai fait défaut à la citation en conciliation devant le juge de paix et j’ai recherché un avocat et un avoué. Il m’a été impossible de trouver un avoué pour me représenter dans cette affaire ; l’avoué de la préfecture, poursuivant dans la liquidation des biens des congrégations dissoutes s’est même refusé à accueillir ma demande. Dans ces conditions, que j’attendais du reste, j’ai adressé une requête au Président du Tribunal civil qui en désignera un d’office77.
Mêmes difficultés pour le choix d’un avocat et après m’être concerté avec différents frères de notre Orient je vous demanderais d’envoyer un avocat parisien ayant déjà plaidé dans des procès analogues.
Il ne faut pas envisager ce procès à la lettre, en réalité c’est la Maçonnerie en Bretagne qui est visée et les journaux, les affiches, les propos de nos adversaires célèbrent déjà notre chute en termes violents. Il est donc nécessaire qu’un plaidoyer éloquent remette les choses à leur point et que le jugement obtenu sous mon nom soit une réparation s’étendant aux frères Louveau et Ledoux et aux autres maçons qui sont encore en butte aux calomnies cléricales78. »
61La publication par L’Éclair des fiches relatives aux officiers des régiments en garnison en Bretagne déchaîne en effet la presse locale, et il n’y a pas à Rennes de journal républicain qui puisse faire contrepoids. Mars Abadie et les autres frères connus, comme Louveau et Ledoux, sont donc bien seuls, et leur situation n’est pas plus enviable que, dans d’autres villes, celle des informateurs dont les noms ont été l’année précédente révélés au public en même temps que le contenu des fiches. Mars Abadie se voit en particulier dénoncé auprès de ses collègues de l’École d’agriculture de Rennes, « et sans doute des autres Écoles de Grignon et de Montpellier, ainsi qu’au ministère », et reçoit des courriers anonymes avec « des menaces d’assassinat, datant du jour de l’instance de Robien, et émanant d’un “ami du commandant casserolé”79 ». Ces menaces ou ces provocations en duel ne sont pas à prendre à la légère :
« Au fur et à mesure des publications de Guyot de Villeneuve, les officiers dénoncés s’empressaient d’envoyer leurs témoins à leur délateur. Et si, parmi ceux-ci, quelques-uns se cachèrent pour échapper au danger, la plupart acceptèrent la rencontre, ce qui était assurément courageux, le métier de négociant, d’avocat ou de notaire préparant moins naturellement au maniement des armes que l’état militaire. On se battit un peu partout en France80. »
62Aux appréciations au vitriol qui apparaissent sur les fiches publiées répondent des mises en cause non moins violentes :
« Les récentes publications des fiches de délation sur l’armée nous ont enfin révélé le nom de l’auteur de la fiche délatrice qui a compromis, sinon complètement brisé, la carrière de mon neveu, le colonel Brière, breveté d’état-major. Le malfaiteur est un nommé Mars Guillaume Robert Abadie investi, paraît-il, d’une fonction publique ; il serait ingénieur agronome, professeur de génie rural à l’École nationale d’agriculture de Rennes ! On se demande ce qu’un pareil gredin peut bien enseigner à ses élèves. L’homme qui a commis un semblable forfait est certainement capable de toutes les malpropretés. En attendant l’expiation, il traînera un nom déshonoré par la plus vile des infamies81. »
63Et l’intention qu’on prête à Mars Abadie d’allumer les feux d’une loge à Saint-Brieuc le Vendredi-saint déchaîne la presse locale82. Sa « philosophie » et son « optimisme de méridional », qu’il « exagère encore pour soutenir ses frères83 », lui permettent de garder la tête froide. Il doit ainsi faire face à des charivaris d’étudiants qui viennent la nuit frapper des casseroles sous ses fenêtres, et ne sort plus en ville que muni d’une solide cannegourdin. Malgré ses quatre-vingt-quatre ans, Louveau n’est pas non plus épargné par des chahuts musclés, qui le poursuivent même dans sa maison de Luitré, près de Fougères, où il tente de se réfugier : « Dans cette tourmente, j’ai vu ma maison assiégée, mes portes enfoncées, mes carreaux brisés, et la meute cléricale m’a causé des dommages qui se sont élevés à plus de 3 000 F84. » En tant qu’ancienne personnalité politique de la ville – il a été le chef de l’opposition dans le conseil municipal présidé par le maire Le Bastard, et c’est un ami intime de Waldeck-Rousseau – il est de plus visé dans le Journal de Rennes par une campagne de presse particulièrement intense, rappelant sa biographie et le brocardant sur son double jeu – il serait républicain à la ville et clérical à la campagne85.
64Quoi qu’il en soit, Mars Abadie et les autres francs-maçons incriminés tiennent cependant bon sous la pression. Il n’en avait pas été de même par exemple pour le F∴ Joseph Talvas, maire de Lorient et vénérable de la loge « Nature et Philanthropie », qui, mis en cause dans les mêmes conditions que Mars Abadie, s’était suicidé le 5 novembre 1904, la veille du jour de la parution dans le journal assomptionniste La Croix du Morbihan d’un article à la une et sur quatre colonnes intitulé « Quel maire de Lorient ! Pouah86 !» D’autres vénérables dont les noms apparaissent par la suite se rétracteront, comme le F∴ Corentin Le Meur, Vénérable des « Amis de Sully » à Brest, qui fait paraître dans La Dépêche de Brest du 6 avril 1906, la lettre suivante :
« Je soussigné Le Meur (Corentin), instituteur, demeurant rue de la Mairie, 55, à Brest, déclare : 1° Que je ne suis pas l’auteur des fiches parues sur le compte de MM. d’Astafort, Fouque et Bergeron, l’un lieutenant-colonel, chef d’état-major, les deux autres chefs de bataillon au 19e régiment d’infanterie de Brest ; 2° Que ma bonne foi a été surprise en transmettant ces fiches inexactes et calomnieuses, et qui sont tronquées ; 3° Que je regrette vivement cette erreur de ma part et m’en excuse près de ces trois officiers. »
65La position de Mars Abadie est juridiquement solide. Le Grand Orient lui fait parvenir des conclusions rédigées par le F∴ Bessières, avocat à Paris, qui sont déposées auprès du tribunal par Me Fleury, avoué, entre temps commis d’office – ce dernier défendra d’ailleurs parfaitement par la suite les intérêts de son peu banal client. Sommé de le faire, M. de Robien s’avère bien évidemment incapable de justifier la responsabilité personnelle de Mars Abadie dans la rédaction des fiches, et son instance se retourne contre lui :
« Attendu que le concluant ne peut penser que les vagues allégations de l’exploit introductif d’instance ont été inspirées à M. de Robien par la publication dans le journal “L’Éclair” reproduite dans d’autres journaux, d’un document apocryphe fourni par M. Guyot de Villeneuve, dans les conditions que l’on sait ; Qu’il est inadmissible que M. de Robien cherche à ramasser même un semblant de preuve dans de telles publications ; Qu’au surplus, s’il en était ainsi, le concluant n’éprouverait aucun embarras à déclarer qu’il est totalement étranger au renseignement publié par ces journaux et qu’il lui est attribué gratuitement ; Attendu que la demande de M. de Robien est donc dénuée de toute justification ; que son action est légère, téméraire et vexatoire87. »
66C’est au tour de Mars Abadie de lui réclamer 2 000 F de dommages-intérêts. M. de Robien n’insiste pas, et, le 29 mars, renonce à son action. Mais Mars Abadie, et tous les frères de Rennes avec lui, entendent continuer la sienne. Au Grand Orient qui lui demande au contraire d’arrêter l’instance, il répond : « Vous paraissez ignorer le caractère du Breton qui au point de vue chicanier est pire que le Normand : celui qui n’est pas condamné, à tort ; le prestige des francs-maçons est fortement engagé, et il nous sera pénible dans notre milieu de nous tirer de la situation88. » Cependant, en franc-maçon discipliné, il accepte la décision du Conseil de l’Ordre qui a décidé en cette affaire de jouer profil bas, et il retire donc également sa plainte reconventionnelle.
67L’affaire aurait pu en rester là si le Commandant de Robien, ne décidait, vu l’insuccès de sa démarche juridique, de provoquer lui aussi le vénérable en duel. Le lendemain de son désistement, il envoie donc deux témoins à Mars Abadie :
« J’ai reçu hier la visite de deux témoins de M. de Robien venant me demander réparation par les armes ! ! ! J’ai trouvé la démarche un peu intempestive et je les ai éconduits purement et simplement, les renvoyant à Bidegain et à Guyot pour des renseignements plus explicites. Qu’en pensez-vous ? Communiquez ce fait à Me Bessières, car c’est un indice d’une drôle de mentalité. Les gros sous ne pouvant tomber dans l’escarcelle du gentilhomme, celui-ci m’envoie des témoins… après sommations d’huissier en 100 000 de dommages-intérêts89 !!! »
68Cette rebuffade amène l’officier à écrire la lettre suivante, qu’il fait aussi évidemment publier dans la presse :
« Monsieur, j’ai d’abord pensé obtenir des tribunaux réparation pour la fiche injurieuse que vous avez établie à mon sujet. Vous avez fait défaut devant le juge de paix. Je me suis ravisé en vous envoyant deux de mes amis pour vous en demander raison. Vous refusez, en alléguant que vous ne me connaissez pas et que vous n’avez rédigé aucune fiche me concernant. Je dois donc renoncer à la voie ordinaire et je me contente de vous envoyer l’expression de tout mon mépris90. »
69Avec l’accord du Conseil de l’Ordre, qui lui fait parvenir un modèle de lettre, Mars Abadie utilise alors son droit de réponse légal. La comparaison des deux textes fait ressortir le décalage existant entre Paris et Rennes dans la perception de la situation. L’original proposait en effet :
« M. de Robien commet des oublis vraiment fâcheux pour lui. J’ai, dit-il, fait défaut devant M. le Juge de Paix : il oublie de dire que j’étais cité simplement en conciliation, et il oublie d’ajouter qu’il m’a assigné en dommages intérêts devant le tribunal, et que sur cette assignation, je me suis présenté. Il oublie, enfin, qu’il vient de me notifier son désistement de sa demande. Par ce désistement, il avoue qu’il n’a contre moi ni preuve, ni même un léger commencement de preuve. Et cependant, il essaie de couvrir sa retraite forcée par une manifestation tapageuse, oubliant encore que par l’envoi de papier timbré, on s’enlève le droit d’envoyer ensuite des témoins. Je répète que je n’ai ni écrit, ni inspiré, ni fourni de renseignements sur M. de Robien. Celui-ci le sait, il ne peut établir le contraire. Mais il préfère masquer son erreur par des injures. Il a tort, et je serais autorisé à lui retourner le mépris dont il m’accable. Je préfère, et c’est mon droit, ne pas m’occuper de lui plus longtemps91. »
70Si la lettre reproduite par Le Nouvelliste de Bretagne est conforme à peu près au modèle92, celle envoyée au Journal de Rennes est beaucoup plus musclée :
Rennes, le 24 avril 1906
Monsieur le Directeur,
Je me réjouis beaucoup de la lecture des articles que vous voulez bien me consacrer dans votre estimable journal ; j’admire surtout la richesse d’imagination de votre rédacteur qui peut si longuement écrire sur un sujet aussi modeste que moi.
Ses racontars burlesques et même les grossièretés venant de fort loin me laissent indifférent ; je n’ai point voulu y répondre de crainte d’interrompre sa verve. Aujourd’hui, il me semble charitable, pour vos lecteurs, de mettre au point quelques petits détails.
Dans un article intitulé « Épilogue » vous publiez une lettre de M. de Robien que vous agrémentez de considérations… erronées. Voici la vérité : M. le comte de Robien, plaçant sa confiance la plus absolue dans Bidegain, m’attribua la rédaction d’une « fiche » le concernant et m’invita (par ministère d’huissier) à comparaître devant le juge de paix pour m’entendre condamner à 100 000 francs de dommages-intérêts. Très honoré de cette marque de confiance vis-à-vis de ma bourse, mais ne connaissant pas M. de Robien, sa citation ne pouvait m’atteindre et je fis défaut. M. de Robien me poursuivit alors devant le Tribunal Civil, chose que vous et lui omettez de signaler ; sommé par mon avoué de produire les justifications de sa poursuite, il répondit par un désistement immédiat. Pour couvrir sa retraite, il m’envoya deux témoins que je ne pus qu’éconduire. Dans la lettre que vous avez publiée, M. de Robien oublie soigneusement de dire qu’il ne s’est « ravisé » qu’après avoir constaté l’impossibilité d’empocher les gros sous auxquels il avait d’abord songé.
Quant à l’« épilogue », c’était à moi de l’écrire en acceptant ou en refusant le désistement de M. de Robien et en le poursuivant à mon tour pour abus de citation : mais ne pouvant avoir de meilleure satisfaction que l’attitude même de M. de Robien, j’ai abandonné l’affaire à l’audience du 23 avril.
Les Francs-Maçons sont quand même de bons diables, Monsieur le Directeur : je vous prie, tout en vous présentant mes civilités, de continuer vos publications bouffonnes et vos ridicules insinuations : j’ai tant de dédain à votre service et nous avons tant envie de rire ! ! !
M. Abadie
Vénérable de la loge maçonnique la « Parfaite Union93 ».
71Avec ce texte, agrémenté par la rédaction du Journal de Rennes de remarques aigresdouces, on en reste là, du moins à Rennes. Guyot de Villeneuve continue quelques semaines la publication des fiches, mais les temps ont changé : « On l’accusa de rabâcher de vieilles histoires, de semer la haine à pleines mains, de n’agir que mû par de sordides intérêts électoraux94. » Or, les prémices de la confrontation franco-allemande sont déjà sensibles dans l’affaire de la colonisation du Maroc, revendiqué par les deux puissances. La conférence internationale d’Algésiras qui, suite au « coup de Tanger » du printemps 1905, se réunit au même moment en Espagne pour désamorcer le conflit reconnaît à la France un droit « spécial » au Maroc ; mais les questions coloniales, en Afrique du Nord et au Cameroun, continueront à alimenter la polémique entre les deux pays jusqu’à l’affrontement direct d’août 1914.
72La fin de l’affaire des fiches coïncide avec celle de l’affaire Dreyfus : le 12 juillet 1906, la Cour de cassation annule sans renvoi le deuxième jugement prononcé à Rennes en 1899. Les « dreyfusards » rennais célèbrent leur victoire lors d’une réunion rassemblant plus de 500 personnes, « sous la quintuple présidence d’un général de division, représentant le ministre de la Guerre ; du F∴ Victor Rault, préfet d’Ille-et-Vilaine ; de M. Janvier, maire de Rennes (maçonnisant à ce moment-là) ; de Victor Basch, de la Ligue des Droits de l’Homme, qui fêtait sa première victoire, et du F∴ Mars Abadie, Vénérable de La Parfaite Union, et en présence du tout Rennes républicain95 ». Avec la réhabilitation de Dreyfus, l’Armée va cesser d’être le lieu symbolique du combat franco-français, et les élections législatives de l’été 1906, dominées par la question de la Séparation, voient la défaite nette de l’opposition qui perd une soixantaine de sièges, et tout particulièrement des nationalistes, qui à eux seuls en perdent une trentaine : Guyot de Villeneuve lui-même est battu à Neuilly. La grande période de l’affrontement entre les extrémismes, dont l’affaire Dreyfus et l’épisode des fiches ont représenté les sommets, « va laisser la place à la lente et patiente construction du consensus républicain qui prouvera sa solidité durant la Première Guerre mondiale96 ».
73Il ne faut pas juger d’un temps avec les mesures d’un autre, et toute appréciation sur cette « Affaire des fiches » à Rennes suppose au moins un essai de mise en perspective. Dans les journaux bretons cités pour la période considérée – dont aucun, rappelons-le, n’est républicain – la place occupée par les faits relatés ici reste marginale par rapport au scandale de 1904. L’information est surtout accaparée par les inventaires des biens des églises, qui jour après jour, semaine après semaine, se déroulent partout en Bretagne selon un scénario quasiment immuable. À titre d’exemple, voici le récit des événements à Roscoff :
« De violents incidents ont eu lieu ; on les prévoyait. L’administration avait fait venir de Morlaix une compagnie d’infanterie et trois brigades de gendarmerie qui ont cerné l’église dès sept heures du matin. Des bagarres ont eu lieu, même avant l’arrivée de M. Monnot, receveur d’enregistrement. La foule a voulu arriver à l’église en forçant le cordon de troupes. Le commissaire de police a dû faire les sommations, et les gendarmes ont mis sabre au clair pour charger les manifestants. M. D’Herbois, maire, et Quement, adjoint, ont protesté. Quand le receveur d’enregistrement s’est présenté à trois heures à la principale porte de l’église, il a été reçu par M. l’abbé Morvan, entouré des membres du conseil de fabrique, qui ont lu une énergique protestation et dit qu’ils ne céderaient qu’à la force. Le commissaire a alors fait faire de nouvelles sommations inutilement et fait venir le crocheteur amené de Morlaix, mais le malheureux n’a jamais pu ouvrir la porte. M. le recteur a alors ouvert la porte de la sacristie, d’où les gendarmes ont dû arracher une à une les femmes qui y étaient en prière. M. Monnot, assisté de deux cantonniers comme témoins, a alors pu faire l’inventaire, tandis que les femmes, nombreuses dans le choeur, chantaient des cantiques. Au cours des violents incidents de la journée, cinq arrestations ont été opérées, et deux gendarmes ont été blessés. Les troupes et les gendarmes qui cernaient l’église ont quitté Roscoff à cinq heures par train spécial. Un groupe de contre-manifestants à chanté l’Internationale97. »
74S’ensuivent plus tard, le procès et le jugement des manifestants arrêtés, parmi lesquels on trouve souvent le curé, ce qui donne lieu à de nouveaux troubles. Et aussi, dans certains cas, la comparution devant un conseil de guerre, pour refus d’obéissance, d’officiers qui n’ont pas voulu commander leur troupe lors des réquisitions effectuées par l’autorité, ce qui réalimente la polémique sur la loyauté de l’Armée vis-à-vis du gouvernement. Plusieurs, d’ailleurs, démissionnent plutôt que d’y être contraints, de même que des agents des contributions. Il ne semble d’ailleurs pas qu’à l’occasion de ces inventaires la Franc-Maçonnerie soit directement prise à partie, sauf cas exceptionnel comme à Nancy, où le temple de la loge « Saint Jean de Jérusalem », proche de la cathédrale, est mis à sac. Et le Journal de Rennes serait visiblement heureux si cet exemple était suivi, comme on peut en juger d’après le début d’un article : « La loge Saint Jean de Jérusalem a été entièrement mise à sac. Voici quelques détails sur cette manifestation qui est peut-être une des premières du genre98. »
75Mais il n’y a pas que les inventaires : la tension sociale, avivée par la catastrophe de Courrières, le 10 mars 1906 – la plus grande catastrophe minière jamais advenue en France, avec 1060 morts – est très forte dans le monde du travail : en mars et avril 1906, Le Nouvelliste de Bretagne tient journellement en première page une rubrique intitulée « La révolution sociale ». Les troubles liés aux grèves peuvent prendre des formes extrêmement violentes, comme on peut en juger par ce « chapeau » du 19 avril 1906 de la rubrique en question : « A Liévin. – Maisons saccagées. – Un tué. – Nombreux blessés. – Usine assiégée. – Le préfet prisonnier. – Les renforts. – Barricades. – Scènes sanglantes. – Batailles acharnées », ou bien encore par l’incendie du château de Fressenville, dans la Somme, par des métallurgistes qui s’en prennent à la demeure de leur patron, après le renvoi du fondateur de leur syndicat99. Les républicains ne sont pas plus socialistes que les nationalistes, et utiliser à leur propos les étiquettes « droite » ou « gauche » dans leurs acceptions actuelles n’a aucun sens. Par ailleurs, la politique internationale et ses implications possibles sur la paix sont suivies de très près, tout comme les actes du gouvernement, ou le débat politique à la Chambre des députés, qui bénéficient de comptes rendus extensifs. Les centres d’intérêts journalistiques sont également totalement différents de ceux des médias contemporains : ainsi dans le même temps une confrontation sportive internationale à Athènes, dénommée « Jeux olympiques », bien qu’il ne s’agisse pas d’une olympiade, l’annonce de deux médailles d’or, en tennis double et au revolver d’ordonnance à 20 mètres, et d’une médaille d’argent au fusil de guerre à 300 mètres – l’énoncé des deux dernières disciplines se passe de commentaire –, tiennent dans le journal la seule place nécessaire à l’annonce de l’information, en précisant seulement que le médaillé, « M. le capitaine de Boigne, du 10e d’artillerie, est un des membres les plus actifs et les plus brillants de notre belle société de tir la Duguesclin100 ».
76Avec un tel arrière-plan, on peut tenter de comprendre l’attitude du gouvernement radical de Waldeck-Rousseau d’abord, puis ensuite celui du « bloc des gauches » du F∴ Émile Combes, et la volonté des francs-maçons d’appuyer de toutes leurs forces une politique qu’ils inspirent. Décidés à laïciser l’État de manière irréversible, ils veulent s’appuyer dans l’exercice du pouvoir sur des instruments fiables, et casser en conséquence la collusion de l’Armée avec l’Église, plus précisément la liaison entre certains éléments de l’État-major avec la hiérarchie et la presse catholique – ce que l’on appelle alors « l’alliance du sabre et du goupillon », qui s’est clairement manifestée lors de l’affaire Dreyfus. Doit-on pour autant suspecter l’ensemble du corps des officiers de manquer de loyalisme à l’égard du gouvernement ? Le putsch nationaliste totalement avorté de Paul Déroulède en février 1899, dernière séquelle du boulangisme, prouve à l’évidence le contraire. Doit-on également se fier à une équation trop simple, à savoir, pour un officier, catholique = clérical = antirépublicain ? C’est oublier que la force d’une tradition, voire la pression sociale dans un certain milieu, n’entraîne pas nécessairement l’adhésion à des thèses politiques. Enfin le fait d’aller ou non à la messe, puisque tel est le critère le plus souvent retenu, n’a rien à voir avec la compétence professionnelle, et subordonner l’avancement à de tels critères, dans le cadre d’une armée que l’on entraîne en vue d’un conflit déjà prévisible, paraît aujourd’hui d’autant plus infondé que les renseignements fournis par les loges du Grand Orient de France sur les opinions politiques des officiers n’offrent à l’évidence, du fait de l’engagement politique et philosophique des frères rédacteurs, aucune garantie d’exactitude, et moins encore d’impartialité. Rares en effet sont les vénérables qui, comme Ledoux à Rennes, indiquent qu’ils ont pris la peine de contrôler les informations qu’ils transmettent, comme en témoigne sa lettre du 2 septembre 1903 au Grand Orient, parue dans L’Éclair en même temps que les fiches : « Ci-joint les renseignements que vous m’avez demandés ; je regrette de n’avoir pu vous les donner plus tôt, mais je tenais à les prendre moi-même et à les contrôler pour être certain de leur exactitude absolue. Dans une ville comme Rennes ce n’est pas toujours facile101. » Il n’en alla pas autrement pour les préfets qui, à la suite du vote du Parlement du 28 octobre 1904, furent chargés par les gouvernements suivants d’établir des « fiches » de nature analogue à celles fournies par le Grand Orient de France. Le système perdura en fait jusqu’à ce que le F∴ Alexandre Millerand supprime, dès son entrée en fonction au ministère de la Guerre le 25 janvier 1912, la surveillance spéciale des officiers supérieurs, et dès lors les cadres de l’armée ne furent plus jugés que sur leurs seuls mérites professionnels.
77Il n’existe pas d’étude objective qui permettrait de juger de l’incidence de « l’affaire des fiches » sur l’état d’esprit et les qualités opérationnelles d’une armée qui, huit ans plus tard, allait être confrontée au premier conflit mondial. Selon que l’auteur d’un article ou d’un livre est favorable ou hostile aux républicains ou aux francs-maçons, les conclusions sont diamétralement opposées. On se contentera donc de noter que les commissions d’avancement qui, avant le ministère Waldeck-Rousseau, décidaient de l’avenir des officiers, n’étaient pas systématiquement antirépublicaines, puisque le général André était parvenu au grade de général de division, même si sa carrière semble avoir effectivement souffert de ses opinions politiques publiquement affichées. Et que si certaines des fiches, comme on l’a vu, ont été suivies d’effet, d’autres n’ont visiblement eu aucune conséquence : le lieutenantcolonel du Châtelet, le premier à provoquer Mars Abadie en duel, dont la fiche particulièrement virulente rédigée en 1904 aurait dû lui valoir une descente aux enfers immédiate, a été promu colonel et commande en 1906 un régiment à la frontière – un commandement de prestige particulièrement recherché à l’époque. Pour le reste, il est difficile de se faire une opinion, et de choisir par exemple entre Daniel Ligou, qui affirme : « Le résultat fut bon. Des officiers de premier plan comme Joffre102, Gallieni, Sarrail, furent poussés au premier plan et l’esprit de l’armée cessa de causer des inquiétudes aux dirigeants républicains103 » ; et François Vindé qui soutient au contraire : « Ces folies se payèrent chèrement au cours des premiers mois de la guerre de 1914. Près de la moitié des officiers supérieurs pourvus d’un poste de haute responsabilité durent alors être limogés par Joffre pour incompétence104. » On remarque toutefois qu’il en est souvent ainsi dans n’importe quelle armée au début d’un conflit, lorsqu’il s’agit de passer de la théorie de la guerre à la pratique, et qu’en 1939-1940, sans « affaire des fiches » préalable, les résultats de l’armée française furent encore moins convaincants.
78Reste à évaluer l’affaire d’un point de vue maçonnique. L’implication de la francmaçonnerie du Grand Orient de France dans le gouvernement est si forte dans les années en question qu’il vaudrait mieux parler d’interaction105. Au début de la Troisième République l’appartenance maçonnique s’interprète comme la preuve d’un comportement moral et philosophique adéquat à l’esprit républicain, et facilite de plus une carrière politique. Aussi le nombre de hauts dignitaires du régime qui ont été simultanément francs-maçons est tel qu’il serait probablement plus court de dresser la liste de ceux qui ne l’ont pas été : il suffit pour s’en convaincre de reprendre dans le texte qui précède la liste des personnalités républicaines dont la qualité maçonnique a été en même temps signalée. Mais il est indiscutable que l’origine de l’affaire des fiches doit être recherchée du côté du Grand Orient de France. C’est en effet de son propre chef que l’Obédience met en place en 1894 la structure qui servira plus tard rue Cadet de support logistique à la recension des fiches, le Convent autorisant cette année-là le recrutement du F∴ Vadécart comme chef de secrétariat, et du F∴ Bidegain comme sous-chef. Le discours du F∴ Dequaire-Grobel, lors du banquet de clôture, est dépourvu d’ambiguïté : « Les groupes républicains se connaissent mal de circonscription à circonscription, de département à département, c’est à la Maçonnerie à leur servir de trait d’union et d’agence très fidèle de renseignements106. » L’espoir de l’arrivée au pouvoir des radicaux avec leur programme de laïcisation met à l’ordre du jour du Convent de 1901 une « période d’action républicaine », et plusieurs vœux sont adoptés, dont un demandant « que le gouvernement protège efficacement les officiers républicains et ne nomme aux emplois supérieurs que des hommes dont le loyalisme à la démocratie est éprouvé107 ». Ce qui explique que le système des fiches s’est mis en place et soit monté en puissance sans aucune réticence de la part des vénérables sollicités : trois seulement refuseront de fournir les renseignements demandés. En ce qui concerne les francs-maçons rennais, il suffit pour prendre la mesure des faits, de rappeler que Louveau et Ledoux étaient, quatre ans plus tôt, parmi les fondateurs de la section locale de la Ligue des Droits de l’Homme, dont le F∴ François Leray, instituteur, est à ce moment l’un des principaux animateurs108.
79Si les loges connurent une période de flottement au début de l’affaire, qui se concrétisa par la demande d’un Convent extraordinaire pour le début de 1905, que « La Parfaite Union » rejeta109 et que l’exécutif refusa, les rangs furent rapidement resserrés derrière le F∴ Louis Lafferre, président du Conseil de l’Ordre, qui obtint du Convent le 18 septembre 1805, à l’unanimité moins trois voix, l’approbation de sa conduite et des félicitations pour son action. Député de l’Hérault, il défendra tout aussi vigoureusement en décembre devant la Chambre l’action conjointe du Grand Orient et du ministère de la Guerre. Chez les francs-maçons, il n’y eut en fait que quelques protestations isolées, dont parmi les politiques celles d’Alexandre Millerand et de Paul Doumer, tous deux futurs présidents de la République, qui furent exclus de leurs loges respectives « L’Amitié » et « La Libre Pensée » pour avoir pris parti contre le ministère Combes.
80L’affaire serait donc entendue : à la limite de la mémoire et de l’histoire, resterait le seul constat de l’indignation d’officiers blessés dans leur conscience et dans leur patriotisme d’une part, et de l’autre la sincérité de francs-maçons désireux d’œuvrer le plus efficacement possible à la mise en place d’un État républicain et laïque. Mais alors, comment juger la manœuvre du Conseil de l’Ordre qui, pour arrêter la deuxième vague de publication des fiches par Guyot de Villeneuve dans L’Éclair, celles précisément qui mirent en cause « La Parfaite Union », « constitua un certain nombre de fausses fiches où, à côté des renseignements véridiques, il fit figurer des indications fantaisistes et diffamatoires sur les mœurs et le caractère de l’officier fiché, auquel ce document était ensuite adressé, accompagné de ces quelques mots : “Cette fiche sera publiée prochainement”110 » ? Le stratagème réussit, car sensible entre autres choses à l’émoi des officiers concernés, le député nationaliste, lui-même ancien officier d’active, renonça à sa campagne de presse. On peut applaudir une grande habileté. Mais également considérer qu’en Franc-Maçonnerie, moins encore qu’ailleurs, la fin ne justifie pas tous les moyens.
81Le Grand Orient fut d’ailleurs victime le premier de cette « affaire des fiches », au travers de frères qui, un peu partout en France, virent leurs noms associés par les journaux à leur rédaction ou à leur transmission, ou d’autres dont l’appartenance maçonnique fut publiquement révélée. Ainsi dénoncés, nombre de ceux-ci furent en effet l’objet de mesures de rétorsions qui lésèrent gravement leurs intérêts matériels, à tel point que l’Obédience se vit contrainte au début de 1905 de faire un appel spécial à la solidarité des loges pour leur allouer une indemnité de réparation. « La Parfaite Union » et son vénérable s’empressent de répondre à l’invitation :
« J’ai la faveur de vous faire connaître la décision prise par notre Atelier en réponse à la circulaire n° 2 relative à un appel à la solidarité maçonnique.
1°) La Loge admet le principe d’une réparation pécuniaire aux frères victimes de la publication des fiches.
2°) Émet le vœu que la Caisse centrale seule assure ce service, d’abord par ses ressources, puis par un impôt prélevé sur tous les membres de Loges111. »
82La Loge pouvait à ce moment ne pas se sentir directement concernée, les fiches émanant de Rennes n’ayant pas encore été publiées. Mais dans la même semaine elle reçoit un appel au secours des frères de Fougères, demandant une intervention auprès du ministre de la Guerre, car un médecin militaire a réussi à se procurer la liste des francsmaçons de la ville, et la fait circuler. Il s’agit en majorité de commerçants – un marchand de vins et spiritueux en gros, deux boulangers, deux patronniers en chaussures – et leur situation devient rapidement « intenable » en face d’une menace de boycott organisée par Le Journal de Fougères :
« Le Journal de Fougères, sans nous désigner ouvertement, mais au moyen d’insinuations calomnieuses, excite les gens de son parti à nous boycotter. Les curés de leur côté ne manquent jamais une occasion pour défendre à leurs ouailles de venir acheter chez nous. Ils nous donnent pour convaincre leurs fidèles tous les noms dont ils ont coutume de se servir quand ils parlent des Francs-Maçons112. »
83Quelques semaines plus tard, c’est Mars Abadie lui-même qui voit son avancement délibérément retardé par les bureaux du ministère de l’Agriculture. Il faut dire que son prosélytisme a été si efficace qu’il pourrait aussi bien ouvrir une loge à l’École nationale d’agriculture où il enseigne, car dans cet établissement 17 fonctionnaires sur 23 sont membres de « La Parfaite Union » :
« Cette situation n’est pas inconnue du Ministère, et c’est ainsi que l’on récompense les républicains qui osent en Bretagne montrer leurs opinions et lutter. Les titres de dreyfusards, de francs-maçons, de fondateurs de l’Université populaire, de la Ligue des Droits de l’Homme, du Comité radical et radical-socialiste, les conférences, les articles de journaux, etc. nous constituent des fiches des plus efficaces113. »
84Les francs-maçons ne sont pas seulement victimes de dénonciations ou d’inerties administratives. On en arrive au détournement de correspondance. C’est ainsi qu’une intervention anodine en faveur du lieutenant Delmas, en service au 70e régiment de ligne à Vitré, qui désire être muté dans une autre garnison pour s’éloigner de la ville, où son frère est prêtre, voit la réponse standard faite à ce genre de demande par le secrétariat du Grand Orient publiée en fac-similé par Le Nouvelliste de Bretagne, qui laisse cependant en blanc « tant que l’on ne nous obligera pas à les imprimer, le nom de l’officier en cause et celui du régiment auquel il appartient114 ». Or, cette lettre, dont on retrouve l’original dans les archives de la rue Cadet, n’est jamais parvenue à l’Atelier : « Elle a dû être, soit détournée par le service de la Poste, à Rennes probablement, soit enlevée de la boîte placée à la porte de notre local, dans laquelle sont glissées toutes nos correspondances115. »
85Dans le même temps la guerre scolaire continue de faire rage. C’est ainsi que Firmin Férard, inspecteur primaire à Laval, est nommément mis en cause par Le Courrier du Maine :
« Les écoles publiques, où les catholiques sont le plus souvent réduits à envoyer leurs enfants, sont donc dirigées par un frère trois-points116, embrigadé dans cette bande qui s’efforce “d’extirper la lèpre dévorante du catholicisme” et dont les dirigeants n’ont pas hésité, pour arriver à leurs fins, à instaurer le système des fiches. On connaît d’ailleurs l’indéfectible hostilité du F∴ Férard pour les écoles libres et l’enseignement chrétien117. »
86Tandis que l’autre bord s’insurge contre les obstacles administratifs à la laïcisation, comme en témoigne cette adresse au Conseil de l’Ordre, signée par tous les frères présents à la fête solsticiale du 29 janvier 1911 :
« Par arrêté ministériel, en date d’août 1909, a été créée à Saint-Malo (I. -et-V.), une école maternelle. Par arrêté préfectoral en date du 6 septembre 1909, deux institutrices ont été appelées à cette école. Celle-ci ne pourra ouvrir que lorsqu’un décret, pris en Conseil d’État, permettra aux religieuses de la Congrégation des Filles de la Charité de Saint Vincent de Paul d’abandonner, en conséquence d’un transfert d’affectation, l’immeuble sis place Duguay-Trouin à Saint-Malo, où doit être installée l’école maternelle.
Considérant :
1°) Que deux institutrices laïques sont nommées depuis seize mois.
2°) Qu’une ville ouvrière de l’importance de Saint-Malo ne possède pas d’école maternelle.
3°) Qu’il n’existe qu’une garderie privée congréganiste, qui refuse d’accepter les petits dont les frères ou les sœurs fréquentent les écoles laïques.
4°) Que de ce fait beaucoup de mères de famille ne peuvent se rendre à leur travail, ou se voient obligées de confier leurs jeunes enfants aux aînés, qui devraient être en classe, ou de retirer ceux-ci des écoles laïques.
5°) Que le recrutement des écoles laïques s’en ressent, puisque les enfants sortant de la garderie congréganiste sont conduits dans les écoles libres.
6°) Que cet état de choses produit les effets les plus déplorables au point de vue éducatif et moral, aussi bien qu’au point de vue républicain et laïque.
7°) Considérant enfin que, depuis de longs mois, le dossier permettant la signature de ce décret séjourne dans les bureaux du Ministère de l’Intérieur ou du Conseil d’État. Péniblement émus de voir cette situation s’éterniser, les républicains du département d’Ille-et-Vilaine demandent que ce décret soit rendu incessamment.
87La tonalité impérative du texte s’explique par les changements politiques intervenus entre temps à Rennes. Faisant taire leurs discordes, les républicains se sont en effet entendus aux élections municipales de 1908 pour présenter, face à la « Liste républicaine » du maire libéral sortant Eugène Pinault, une « Liste d’entente des comités républicains » regroupant le comité socialiste présidé par Charles Bougot*, le comité radical-socialiste de Charles Laurent*, et le comité d’union républicaine de Jean Janvier. Dans son livre Quelques Souvenirs, ce dernier résume ainsi la situation :
« L’hôtel de ville était entre les mains d’une municipalité de droite, sans valeur et sans autorité ; le conseil municipal n’était qu’une assemblée de marguilliers dont la principale pensée était de s’opposer à l’œuvre de laïcité et à tout progrès social. Il importait dans l’intérêt de la ville de ramener à l’hôtel de ville une municipalité inspirée de sentiments démocratiques et républicains118. »
88Né en 1859, élevé à la dure dans une famille de Fougères, orphelin à dix ans, ouvrier plâtrier, compagnon du Tour de France, Jean Janvier a gravi tous les échelons de la hiérarchie à la force du poignet. Devenu en 1884 entrepreneur du bâtiment, il contribue à créer la Fédération syndicale du patronat qu’il préside jusqu’en 1906. Également respecté par ses pairs et par les ouvriers, sa réussite dans la médiation dans plusieurs conflits sociaux lui donne une notoriété dont il profite pour se lancer dans l’arène politique. Il ne fallait pas moins qu’une telle personnalité pour faire taire les dissensions entre le député René Le Hérissé, dont on a vu avec quelle vigueur « La Parfaite Union » avait combattu la candidature, et les frères Charles Bougot*, Honoré Commeureuc*, Wilfried Guillaume*, Charles Laurent*, Henri Leray* et Oscar Leroux*, qui vont à partir de ce moment, et pour de nombreuses années, siéger avec lui à la municipalité. Par son action énergique et sa gestion exemplaire, Jean Janvier va littéralement propulser la ville de Rennes dans le XXe siècle, aussi bien dans le domaine de l’urbanisme que dans celui des avancées sociales. En particulier sa conduite des affaires de la ville durant la guerre de 1914-1918 sera telle qu’elle sera partout citée en exemple, et qu’elle lui vaudra, seule distinction de cet ordre accordée après l’armistice à un maire de France, la cravate de commandeur de la Légion d’Honneur.
89C’est ainsi qu’au début de l’année 1911 Le F∴ Debierre, membre du Conseil de l’Ordre, venu présider la fête solsticiale du 25 janvier, ne peut cacher sa surprise : « Le préfet, le maire, les adjoints n’ont pas craint de dîner en compagnie de francs-maçons connus. Je ne m’attendais pas à ce phénomène en plein pays breton119. » De fait, l’effectif de la Loge a plus que doublé en dix ans, et atteint alors 120 frères, dont plus du tiers sont instituteurs, les « hussards noirs » de la République revêtant sans hésiter le tablier bleu de Maître maçon. Ce qui a permis à « La Parfaite Union » d’apurer ses dettes, et, pour la première fois de son histoire, de se retrouver dans ses propres murs. Ce qui n’a pas été sans mal. Le bail trentenaire de l’avenue du Mail d’Onges arrivant à échéance, les frères décident en effet de fonder une société civile ayant pour objet « l’achat d’un immeuble destiné à la construction d’un temple maçonnique ». Première difficulté :
« Comme nous nous proposons soit d’acheter par acomptes, soit d’emprunter sur l’immeuble pour obtenir les fonds nécessaires à sa modification, nous sommes dans la nécessité de faire appel aux offices d’un notaire. Il a été impossible de trouver à Rennes un notaire voulant se charger de nos affaires, en commençant par recevoir les dits statuts pour les étudier et les recevoir dans ses minutes120. »
90Ils demandent donc au Grand Orient « de bien vouloir faire remettre ces statuts à un notaire parisien, qui aura les idées plus larges que les tabellions de Bretagne ». Ils finissent par trouver un immeuble pouvant convenir :
« Il nous a fallu de longues et pénibles recherches pour trouver un nouveau local. Après de multiples tentatives dont l’échec fut toujours dû à la nature même de notre association, nous avons pu enfin traiter pour l’acquisition d’un immeuble susceptible d’être aménagé en local maçonnique, sis 24 rue Thiers, moyennant une rente viagère annuelle sur deux têtes (58 et 62 ans) de 1 850 F. »
91Mais, au bout de leurs ressources, ils se voient contraints de demander l’aide financière de l’Obédience :
« La Loge a fait un effort suprême. Les membres paient 40 F de cotisation annuelle, sans déduction des frais accessoires (capitation, propagande, solidarité, banquets, etc.) Ils ont souscrit pour 4 155 F d’obligations. Il a fallu, néanmoins, emprunter 1 000 F à un profane, que nous devons prochainement rembourser.
Tous les comptes des fournisseurs et des entrepreneurs ont été soldés à présentation. Nous avons tenu à cacher notre misère et à laisser croire à la puissance de la Franc-Maçonnerie. Mais actuellement, nous ne pouvons plus rien demander aux frères de la Loge, et cependant nous sommes dans l’obligation de régler les sommes dues à des tiers.
Il serait regrettable que tous nos efforts fussent stériles, et que la mise en sommeil d’un atelier si prospère fut le couronnement d’une carrière de plus d’un siècle et demi. Nous espérons que notre appel sera entendu. Nous sollicitons une subvention de 2 000 F, répartie au besoin sur deux exercices. C’est le seul moyen que nous avons d’assurer la vie de notre Atelier et peut-être, par contre-coup, l’avenir de la Maçonnerie en Bretagne121. »
92Le Grand Orient accède à cette demande. Moyennant quoi, « La Parfaite Union » se trouve enfin dans un Temple lui appartenant. En passant par une porte cochère suivie d’une cour étroite, les frères peuvent se réunir dans un ancien atelier de réparation de voitures, avec des murs en planches et un toit si fatigué que la traditionnelle formule d’alerte « Il pleut dans le Temple ! » est cette fois à prendre au sens littéral. La première guerre mondiale manque de ruiner le projet. 70 frères sur 110 sont mobilisés : la Loge est totalement désorganisée, les cotisations ne rentrent plus, le service de la rente viagère qui conditionne sa survie immobilière est menacé. Pour sortir de ce mauvais pas, un « Comité de guerre » de trois membres prend la direction de l’Atelier pendant la durée des hostilités et, « pour que la Loge fasse bonne figure pendant la guerre », met le local à la disposition de la municipalité, qui y installe une école de filles. Les frères restés à Rennes ne s’y réunissent plus que le premier dimanche du mois. Le retour de la paix permet de stabiliser la situation financière de l’Atelier à partir de 1920.
93Ce n’est qu’en 1930 que sera entreprise la construction de l’immeuble actuel, terminé en 1932, suite à la libéralité du F∴ Servan Hervichon, ancien juge de paix à Plougenast, qui fit de la Loge son légataire universel. Grâce aux 240 000 F de ce legs, l’ancienne baraque fut démolie, et le nouveau Temple inauguré le 10 juillet par le F∴ Arthur Groussier, président du Conseil de l’Ordre. Il possède plusieurs singularités, à commencer par sa façade, véritable signal destiné à affirmer publiquement la présence de la Franc-Maçonnerie dans la ville. Outre un sphinx en ronde-bosse au-dessus de la porte, le fronton est en effet décoré d’une mosaïque d’Isidore Odorico représentant un ibis égyptianisant aux ailes déployées, et il est indiqué en clair et en alphabet maçonnique, qu’il s’agit de la « LOGE MAÇONNIQUE PARFAITE UNION ». La « salle humide » du rez-de-chaussée comporte d’autre part une petite scène de théâtre, décorée des masques classiques de la Comédie et de la Tragédie. Et contrairement à la tradition, qui proscrit à l’intérieur d’un temple maçonnique toute décoration autre que rituelle, ses murs s’ornent de six très grands tableaux de Maurice Renault, professeur à l’École des Beaux-Arts. Réalisés en 1937 et 1938, de facture classique, ils illustrent des thèmes empruntés au symbolisme maçonnique, et forment aujourd’hui avec le bâtiment lui-même un ensemble patrimonial reconnu.
94La destruction quasi totale en 1940 par les frères eux-mêmes, pour des raisons de sécurité, de tous les documents concernant « La Parfaite Union » durant l’entre-deux guerres ne permet plus de suivre l’évolution de l’Atelier durant cette période charnière comme précédemment. On ne s’étonne cependant pas de voir en 1920 la Loge protester énergiquement contre la reprise des relations diplomatiques entre la France et le Vatican. Sa figure marquante est à ce moment Oscar Leroux*, un ancien élève de Mars Abadie à l’École Nationale d’Agriculture, qui préside aux destinées de la Loge de 1919 à 1929. C’est en même temps une des personnalités les plus populaires de la vie politique locale. Figure de proue du parti radical-socialiste, élu pour la première fois comme on l’a vu en 1908 au conseil municipal présidé par Jean Janvier, il y occupe à 34 ans le poste de premier adjoint. Il sera constamment réélu jusqu’en 1935, avant d’être à nouveau élu en 1945, où il sera second adjoint dans la première municipalité d’après-guerre dirigée par Yves Milon. Durant tous ses mandats à la mairie de Rennes, il est en charge de tout ce qui concerne l’enseignement, et de toutes les commissions municipales concernant le para-scolaire : Caisse des écoles, cantines, etc. Mais son action ne va pas se cantonner dans ce seul domaine. Dans le petit livre qu’ils lui ont consacré, Jeanne Le Corvaisier et Jean-Paul Rocher la résument ainsi :
« Dans le premier quart du XXe siècle, Rennes est une ville ouvrière, le chômage et la misère sont des réalités quotidiennes. La tuberculose fait au moins 100 000 morts par an en France, et ce n’est pas un hasard si ce fléau cause des ravages principalement dans une enfance chétive, sous-alimentée et ignorante. Les remèdes d’Oscar Leroux sont simples, mais efficaces : sortir les enfants de leur taudis, leur donner une bonne nourriture, leur faire pratiquer du sport, les faire bénéficier du grand air de la campagne ou de la mer, mais, plus que tout, les instruire pour en faire des citoyens122. »
95Dès 1919, il envoie ainsi 250 jeunes colons passer un mois à la mer, près de Saint-Servan, dans une propriété louée par la Ville. Mais un tel séjour maritime se révèle contre indiqué pour certains enfants. Il obtient alors l’année suivante de F∴ Alexis Rey, industriel et maire de Montreuil-sur-Ille, que celui-ci fasse don du château du Carrefour à La Bouexière, situé dans les bois à 17 kilomètres de Rennes, entre Mi-Fôret et Liffré, à la Société des Colonies de vacances des Écoles publiques de Rennes. Immédiatement aménagé, celui-ci accueille dès la première année 55 fillettes. En juillet 1931, c’est un projet d’une tout autre ampleur qui se concrétise. Toujours grâce à l’action d’Oscar Leroux et à la générosité d’Alexis Rey, un « preventorium » tout neuf est inauguré sur les terres du domaine. Doté d’un régime d’internat, il scolarise tout au long de l’année une centaine d’enfants, garçons et filles, dont la santé nécessite un suivi médical constant. Il fonctionnera jusqu’à la fin des années soixante. Les antibiotiques et la vaccination par le BCG étant venus à bout de l’endémie de la tuberculose, il sera alors reconverti en « Centre médical Rey-Leroux ». Poursuivant les buts que s’étaient fixés ses créateurs, il continue depuis lors à accueillir dans ses murs des enfants malades ou des adultes handicapés physiques.
96Une telle activité militante ne crée pas que des amis à Oscar Leroux. Ses démêlés avec le journal L’Ouest-Éclair et son principal rédacteur, l’abbé Trochu, adversaire déclaré des républicains du « Cartel des Gauches », vont alimenter la chronique locale. Dès l’automne 1921, une campagne de presse « perfide et jésuite123 » le présente comme un « planqué » – il n’a pas fait la guerre, ayant été réformé pour raisons médicales. Le seul journal de gauche existant à Rennes, Les Nouvelles Rennaises, remet les choses au point, sans en avoir préalablement référé à l’intéressé, dans un article virulent signé par son directeur :
« M. Leroux est resté à Rennes où il a été sans doute l’homme qui, pendant la guerre, a fait le plus de bien. Il a excité et centralisé la bienfaisance à Rennes. Grâce à lui et par lui, des milliers et des milliers de combattants, de prisonniers et de réfugiés ont reçu du linge, de l’argent, des colis, le nécessaire et le superflu, ce qui soutient et qui va au cœur. L’Ouest-Éclair qui jusqu’ici n’attaquait que les combattants, élargit sa tâche et s’en prend à leurs bienfaiteurs124. »
97C’est surtout, à la veille des élections municipales de 1925, des accusations de concussion. En tant que président de la Société anonyme coopérative d’habitations à bon marché « Ma Maison125 », L’Ouest-Éclair prétend qu’il aurait couvert de véritables escroqueries – plans et devis faux, propriétaires simulés – et qu’il aurait fait construire sa propre maison avec l’argent de cette Société coopérative. Ce qui n’empêche pas la gauche de gagner les élections, et Oscar Leroux de retrouver sa place d’adjoint dans la municipalité présidée par Carle Bahon126. Mais le journal persiste dans ses insinuations. Oscar Leroux porte plainte contre ses calomniateurs, et au mois de juin suivant le tribunal correctionnel de Rennes rend le jugement suivant :
« Déclare Rallier en qualité de gérant de L’Ouest-Éclair, et l’abbé Trochu, comme auteurs d’articles, coupables le premier comme auteur principal, le second comme complice des délits de diffamation et injures publiques, et statuant sur la demande de la partie civile, condamne Rallier et l’abbé Trochu solidairement à payer à Oscar Leroux la somme de cinq mille francs à titre de dommages et intérêts. »
98L’horizon ne va pas tarder à s’assombrir, et la querelle permanente qui continue dans les années trente entre L’Ouest-Eclair et « La Parfaite Union » se trouve bientôt dépassée par des enjeux politiques internationaux autrement plus importants. On note d’ailleurs à la fin de la décennie un changement dans l’attitude du journal, qui rend compte d’une manière particulièrement élogieuse en janvier 1937 de l’action sociale d’Oscar Leroux, à l’occasion d’une conférence qu’il prononce à la Société d’Instruction Publique de Rennes sur le thème qui lui est cher : « Vers une enfance plus robuste, plus saine et plus gaie. »
99Quelques rares documents permettent de préciser l’état d’esprit des frères de l’époque. Ainsi en réponse à la question « A », « Bases d’une organisation rationnelle de la Paix », soumise à l’étude des Loges pour le Convent de 1939, qui n’aura pas lieu en raison de la déclaration de guerre, ils ne manquent pas de déclarer : « Les Francs-Maçons ne séparent pas leur confiance dans la raison et leur confiance dans la paix, c’est pourquoi ils sont résolument pacifistes. » Mais cette déclaration de principe, au moment ou Hitler entreprend de dépecer la Tchécoslovaquie après avoir annexé l’Autriche, est assortie de plusieurs bémols. D’une part ils constatent :
« La triste nécessité de répondre à la politique d’armement des états totalitaires par une autre politique d’armement, afin de les empêcher de remanier à leur gré, au mépris de toute justice, la carte du monde. La raison ne peut rien directement contre la force, mais elle devient toute puissante quand la force défensive paralyse la force agressive. Cette méthode n’est point sans périls, mais nous n’avons pas le choix, elle est la seule possible127. »
100Les circonstances les contraignent donc à être « très circonspects ». C’est pourquoi :
« Après avoir rassemblé une volumineuse documentation, et consacré des tenues entières à étudier la question de la Paix, ils constatent, avec la plus grande peine, que les événements actuels rendent, momentanément tout au moins, tous les efforts pacifistes inopérants.
Considérant qu’il est très difficile de trouver une solution réellement pratique et logiquement applicable à une question aussi vaste que celle qui est posée ;
Considérant qu’il est inutile de rééditer des lieux communs ou des formules purement théoriques ;
Ils décident de ne pas pousser l’étude de cette question au delà des échanges de vues qui ont eu lieu dans différentes tenues, et de ne pas rédiger de rapport. »
101Ils continueront cependant jusqu’au bout à tenter d’œuvrer pour la paix. Dans le « Logenmaterial aus Rennes128 » saisi rue Thiers par les autorités allemandes dans les premiers jours de l’Occupation, on retrouve en effet plusieurs imprimés témoignant de l’engagement pacifiste et international de membres de l’Atelier, comme cette feuille de « Justice, organe bimestriel de la fédération de la Seine-Inférieure de la Ligue des Droits de l’Homme et du Citoyen », qui, en mars 1939, réclame la tenue d’une conférence internationale ; ou cette dépêche du « Rassemblement international pour la Paix », dont le siège est à Genève, annonçant une « Journée internationale de la Paix » le 2 juillet à Paris ; ou encore en date du 7 juin, un bulletin de l’« Agence Internationale d’Information », fondée par « Paix et Démocratie ».
102La guerre déclarée le 2 septembre 1939 prend fin provisoirement avec l’armistice signé le 22 juin 1940, qui consacre la défaite des armées franco-anglaises. Dès que la nouvelle de l’enfoncement du front a été confirmée, Mars Abadie a procédé au déménagement du Temple, emportant chez lui ou confiant à d’autres frères les grandes toiles de Maurice Renault, les portraits des anciens Vénérables, et tout le matériel symbolique utilisé dans les rituels. Car les Allemands ne perdent pas de temps. Le 20 juin, l’immeuble est mis sous scellé par un officier de l’Abwehr, et Mars Abadie doit subir plusieurs interrogatoires dont il se sort par des réponses dilatoires. Le 3 septembre, la Loge est mise sous séquestre par ordonnance du Tribunal civil de Rennes, et les quelques meubles restants vendus aux enchères à la fin du mois. Le local est alors réquisitionné par la Wehrmacht, qui installe au premier étage un magasin de chaussures et d’habillement, mais utilise également l’aménagement scénique de la salle du rez-de-chaussée pour y organiser des concerts de musique de chambre.
103Le 13 août 1940, le gouvernement de Vichy promulgue une loi portant dissolution des « sociétés secrètes », qui vise essentiellement la Franc-Maçonnerie. Cette loi est complétée le 11 août de l’année suivante par un décret signé par Philippe Pétain, maréchal de France et chef de l’État, dont il convient de rappeler la teneur :
« Art. 1 : Les noms des anciens dignitaires des sociétés secrètes dissoutes seront publiés au Journal Officiel.
Art. 2 : L’exercice des fonctions publiques est interdit à tous les anciens dignitaires.
Art. 3 : Les fonctionnaires atteints par ces dispositions seront démissionnaires d’office, sous réserve des droits à pension. »
104Il suffisait donc d’avoir été officier dans une loge maçonnique pour se retrouver du jour au lendemain privé d’emploi et de ressources. Comme des milliers d’autres Francs-Maçons agents de l’État ou des collectivités publiques, Oscar Leroux, devenu entre temps titulaire à l’École nationale d’agriculture de la chaire de Génie rural précédemment occupée par Mars Abadie, fut touché par cette mesure. Ce qui ne l’empêcha pas de continuer à s’occuper activement des enfants de La Bouexière, mais explique également son engagement ultérieur dans la Résistance, comme celui de bien d’autres frères.
Notes de bas de page
1 AR 113/1/1322, 5 septembre 1870. Elle change également l’en-tête de ses lettres, en rajoutant les mentions manuscrites « République Française » et « Liberté-Égalité-Fraternité » au dessus et en dessous de la formule A∴L∴G∴D∴G∴A∴D∴L∴U∴.
2 Idem, 20 février 1871.
3 Id., 26 février 1872. Cependant les conditions dans lesquelles cette souscription a été ouverte vont rapidement être une cause de frictions : « Tout en louant la décision première de la Loge, le F∴ Groult désapprouve en principe cette souscription, qui pèse seulement sur les cœurs généreux, puisque les dons sont volontaires. Les avares, les égoïstes et les gens riches se sont abstenus. Le F∴ Louveau répond que cette souscription a précisément servi à faire ressortir l’égoïsme et le peu de patriotisme des partis qui se sont abstenus. La Loge conclut à la cessation de la souscription. » (30 juin 1872).
4 Id., 1er mai 1871.
5 Cf. Encyclopédie de la Franc-Maçonnerie, op. cit., article « Commune de Paris », par André Combes : « Les loges de province sont restées majoritairement “conciliatrices”, mais le Grand Maître Babaud-Larivière, ami de Thiers, condamnera en 1872 les maçons qui se sont compromis avec l’insurrection, sans que pour autant la moindre sanction soit prise à leur égard. » Dès le 29 mai 1871, les membres du Conseil de l’Ordre présents à Paris avaient par lettre circulaire reproduite dans le Bulletin officiel du Grand Orient condamné sans équivoque « les manifestations auxquelles s’est livré un groupe de Francs-Maçons, ou soit disant tels, recrutés pour la plupart on ne sait où, et dont la majeure partie, nous sommes heureux de le constater, n’appartenait pas à l’Obédience du Grand Orient de France ».
6 Comme les deux précédentes, cette citation a été reprise de l’avant-propos détaillé qu’Alain Bernheim a consacré à Jouaust dans la réédition de 1989 de L’Histoire du Grand Orient de France.
7 Archives de La Parfaite Union au Grand Orient de France (GODF) : Compte rendu semestriel du 15 janvier 1877 : « Il est navrant de constater au livre d’architecture que cinq ou six de nos travaux n’ont pu avoir lieu faute d’un nombre suffisant de membres pour les ouvrir. »
8 Id., 9 septembre 1878.
9 Id., 9 juillet 1879.
10 Livre d’architecture 1884-1891, Archives d’Ille-et-Vilaine 92 J (ADIV) : 15 mars 1886.
11 ADIV, 19 janvier 1885 : « Une souscription va être ouverte d’ici quelques jours au profit des officiers espagnols internés. Le Vénérable propose à l’Atelier de voter une somme de 100 F prise sur le tronc de bienfaisance. L’Atelier décide que le trésor de la Loge fournira une somme de 100 F, et qu’une autre somme de 50 F sera prélevée sur le tronc de bienfaisance. » Ces officiers espagnols resteront à Rennes jusqu’en juin 1888, et en partant le F∴ colonel Vega ne manquera pas de remercier la Loge pour « les marques de sympathie données aux malheureux espagnols durant leur séjour ».
12 GODF, 15 janvier 1883.
13 ADIV, 1er juin 1885.
14 GODF, 20 juillet 1885 : Compte rendu des travaux du Congrès maçonnique des Loges de l’Ouest.
15 ADIV, 27 décembre 1885.
16 Id., 20 août 1886.
17 Id., 16 juin 1888.
18 Id., 5 novembre 1888.
19 Id., 21 avril 1890.
20 Id., 19 juin 1891.
21 GODF, 22 décembre 1891.
22 Id., 21 mai 1892, note du F∴ Imhoff au F∴ Gouverneur, chef du secrétariat du Grand Orient.
23 Id., 31 juillet 1892. Dans son rapport d’inspection du 27 juin, le F∴ Albert Pétrot, membre du Conseil de l’Ordre, confirme que la Loge est en butte à « l’hostilité du préfet, M. Leroux, qui soutient les boulangistes, et de M. Lebastard, maire de Rennes ».
24 AR, 113/1/1323, 6 juin 1894.
25 GODF, 20 janvier 1893.
26 Id., 20 janvier 1893.
27 AR, 113/1/1323, 18 octobre 1893. Le décret contre les congrégations non autorisées auquel il est fait référence est daté du 29 mars 1879.
28 Id., 5 juillet 1893.
29 Id., 30 juillet 1893. Se présentant comme « indépendant », de Montluc est considéré par le sous-préfet comme « progressiste », et présenté par la presse comme cherchant à capter les dernières voix boulangistes – un « hurluberlu » selon le Journal de Fougères. Édouard Pontallié, maire de Saint-Aubin du Cormier, sera finalement élu au premier tour avec 9 321 voix, de Montluc en troisième position n’en obtenant que 1 039. (ADIV 3M 324).
30 Jules Maniez, ajusteur, né vers 1841, créateur du premier groupe socialiste à Rennes en 1876, premier secrétaire de la Chambre syndicale ouvrière de Rennes en 1877, se présente aux élections municipales de 1881, dont la liste conduite par Edgard Le Bastard emporte les 32 sièges sans difficulté, mais où il rassemble néanmoins 10 % des voix. Aux élections suivantes de 1884, Le Bastard fait alliance avec les socialistes en leur offrant 8 places sur sa liste, et Maniez rentre alors au conseil municipal. Il se présente aux élections législatives de 1893, au cours de laquelle il fait une campagne sans concession, excluant d’avance tout désistement en faveur de Le Hérissé en cas de second tour. Celui-ci sera élu dès le premier tour avec 6 543 voix, Maniez arrivant en troisième position avec 2 060 voix. Socialiste non inféodé, déclarant par exemple en 1897 : « Nous sommes indépendants, partisans des réformes économiques, mais nous n’appartenons à aucune école socialiste », on peut comprendre que sa candidature ait pu séduire la loge de Rennes. Cf. Claude Geslin, Le syndicalisme ouvrier en Bretagne jusqu’à la première guerre mondiale, Espace-Écrits, 1990.
31 Id., 10 août 1893.
32 Id., 7 octobre 1892.
33 Id., 21 octobre 1892.
34 Id., 4 novembre 1892.
35 GODF, 25 avril 1893.
36 Rés. FM2 105, 1er avril 1894.
37 Id., 14 juin 1896. Pour la petite histoire, les mots de semestre étaient : « Agriculture – Abondance ». La mise en sommeil définitive interviendra le 25 novembre 1896, avec le renvoi au Grand Orient des archives de l’Atelier.
38 GODF, 2 juillet 1906.
39 AR 113/1/1321, 8 juillet 1860.
40 Id., 6 août 1860.
41 Ce Code sera également réimprimé en 1876 par l’Imprimerie Rennaise L. Caillot, mais sous la forme d’un simple document imprimé : BN, FM Imp. 1338.
42 AR 113/1/1321, 22 décembre 1861. Dans cette réponse, la loge La Vérité de Marseille « proteste énergiquement contre des insinuations et des accusations vraiment inqualifiables », que l’évêque « avait semées à pleines mains » dans sa lettre pastorale, « et contre un langage acerbe et violent qui sera désavoué, non seulement par les esprits réfléchis et impartiaux, mais encore par les cœurs sincèrement chrétiens ». Il s’agit d’un épisode de plus dans l’opposition violente qui se développe à ce moment entre l’Église et la Franc-Maçonnerie : voir l’article de novembre 1865 de Jouaust dans Le Monde Maçonnique, dont il a été rendu compte.
43 Le Fureteur Breton, n° 21, Février-Mars 1909. L’article signé Ch. R. reproduit le « Code Maçonnique de Julien Carré ».
44 AR 113/1/1323, 16 janvier 1895.
45 GODF, 18 mars 1897.
46 Id., 3 août 1897.
47 Id., fin 1897.
48 Id., 24 juillet 1901.
49 Riche propriétaire, maire d’Antrain, René Le Hérissé (1857-1922), est élu député d’Ille-et-Vilaine en 1886, et sera constamment réélu jusqu’en 1913, date à laquelle il devient sénateur. Personnage ambigu, il siège avec la gauche radicale, mais devient un des principaux lieutenants du général Boulanger. Républicain convaincu, anticlérical (il vote la loi de Séparation), il fut aussi un antidreyfusard irréductible.
50 AR 113/1/1323, 20 mai 1896.
51 Par exemple, dans Le Petit Rennais du 21 février 1898 : « Les principes de vérité, de liberté et de progrès sont seuls éternels. La cause de la République finira par triompher. Le balai nous débarrassera de nos adversaires : juifs, opportunistes et franc-maçons. » On pourrait multiplier les citations de ce style.
52 AR 113/1/1323, 16 novembre 1898.
53 GODF, 30 mars 1898.
54 Id., 24 juin 1899.
55 Id., 5 février 1902.
56 Id., 10 janvier 1904.
57 Id., 28 août 1905.
58 AR/113/1/1323, 5 février 1892.
59 Id., 4 octobre 1893.
60 GODF, 5 février 1902.
61 Serge Bernstein, « Les Francs-Maçons, La République et l’Armée », L’Histoire, N° 131, mars 1990, p. 23.
62 Références classiques : « Non licet omnibus adire Corinthum » (Tout le monde ne peut pas aller à Corinthe), proverbe grec latinisé ; et « Delenda Carthago » (Il faut détruire Carthage), de Caton l’Ancien.
63 Pour des raisons de temps et de personnel, le chiffre de 18 188 fiches indiqué plus tard par Bidegain n’est pas crédible.
64 Les fiches demandées par le ministère ne visent que les officiers supérieurs, au grade de commandant, de lieutenant-colonel, de colonel ou de général. Les officiers subalternes ne sont pas concernés : il était prévu d’examiner leur cas plus tard.
65 Elles recensent 38 officiers, 3 fiches concernant les mêmes à deux ans d’écart.
66 Jean-Baptiste Bidegain (1870-1926). Ancien élève des frères des Écoles chrétiennes, il perd la foi aux environs de sa vingtième année. Il a été initié en 1893 à la loge Le Travail et Vrais Amis Fidèles, dépendant de la Grande Loge Symbolique Écossaise, à laquelle appartient Oswald Wirth. Après avoir publié par la suite plusieurs livres antimaçonniques, il tombe dans l’oubli. Il se suicide au cyanure en 1926 avec sa femme, dans la papeterie qu’il tient alors à Neuilly.
67 Dans son numéro du 9 février 1906, L’Éclair annonçait la reprise de la publication des fiches pour son numéro du lendemain, en précisant que « la publication du dossier continuera sans interruption le mardi, le jeudi et le samedi de chaque semaine ».
68 Le Figaro, 29 novembre 1904.
69 GODF, Vitré, 17 février 1906. Lettre du Lt-Cel du Châtelet à M. Abadie.
70 GODF, Rennes, 1er mars 1906. Lettre de M. Abadie au GODF. « M. Parfont » est le nom pour adresse de La Parfaite Union à Rennes.
71 GODF, Rennes, 5 avril 1906. Lettre de M. Abadie au F∴ Bouley, vice-président du Conseil de l’Ordre.
72 GODF, Avesnes, 3 avril 1906. Lettre du Cel du Châtelet à M. Abadie.
73 GODF, Rennes, 1er mars 1906. Lettre de M. Abadie au Conseil de l’Ordre.
74 Journal de Rennes, 3 avril 1906.
75 Journal de Rennes, 14 février 1906.
76 GODF, Paris, 3 mars 1906. Brouillon de réponse rédigé par le F∴ Petit.
77 GODF, Rennes, 15 avril 1905.
78 GODF, Rennes, 7 mars 1906. Lettre de M. Abadie au GODF.
79 GODG, Rennes, 3 avril 1906. Lettre de M. Abadie au F∴ Bouley. Dans la langue familière de l’époque, « casserole » est synonyme de « dénonciation ».
80 François Vindé, L’affaire des fiches, Éditions Universitaires, 1989, p. 149-150.
81 GODF, Ajaccio, 24 février 1906. Lettre du Lt-Cel J. Campi à la rédaction du journal Le Prolétaire Insulaire, parue le lendemain. Lettre également reproduite dans le Journal de Rennes du 5 mars 1906.
82 Journal de Rennes, « Encore le V∴ Abadie », 12 avril 1906. En fait la loge Science-Conscience a été installée à Saint-Brieuc l’année précédente, le 2 avril 1905.
83 GODF, Rennes, 5 avril 1906. Lettre de M. Abadie au F∴ Bouley.
84 GODF, 21 novembre 1910 : lettre de Louveau au Secrétariat général du GODF.
85 Cf. Journal de Rennes, 14 février 1906 : « Un mouchard » et « La fiche du F. Louveau » ; 19 février 1906 : « Bon voyage ! » ; 20 février 1906 : « M. Louveau » ; 22 février 1906 : « Heureuse famille » ; 13 mars 1906 : « Le délateur Louveau » ; 27 mars 1906 : « Il est parti ! ! ! » (reproduisant un article paru dans le Journal de Fougères).
86 Yannic Rome, 250 ans de Franc-Maçonnerie en Bretagne, LIV’Éditions, Le Faouet 1997, p. 293.
87 GODF, 26 mars 1906.
88 GODF, Rennes, 5 avril 1906. Lettre de M. Abadie au F∴ Bouley.
89 GODF, Rennes, 31 mars 1906. Lettre de M. Abadie au F∴ Bouley.
90 Journal de Rennes, « Épilogue », 2 avril 1906.
91 GODF, 4 avril 1906.
92 Le Nouvelliste de Bretagne, 25 avril 1906.
93 Journal de Rennes, 25 avril 1906.
94 François Vindé, op. cit., p. 184.
95 Robert Brégeon, Historique de la R∴ L∴ de La Parfaite Union, Rennes, imprimerie Marc Rigault, 1951.
96 Serge Berstein, art. cité, p. 26.
97 Journal de Rennes, 13 février 1906.
98 Journal de Rennes, « Pillage de la Loge maçonnique de Nancy », 16 mars 1906.
99 Journal de Rennes, « La Jacquerie », 7 avril 1906.
100 Journal de Rennes, « Un brillant succès pour Rennes », 25 avril 1906.
101 L’Éclair, 13 février 1906.
102 Joseph Joffre (1852-1931), était avant 1914 membre de la loge Alsace-Lorraine à Paris.
103 Daniel Ligou, Dictionnaire de la Franc-Maçonnerie, PUF, Paris, 1987, art. « Fiches (Affaires des) ».
104 F. Vindé, op. cit., p. 6.
105 En 1904, le Conseil de l’Ordre du GODF ne compte pas moins de 8 parlementaires : les FF∴ Dubief, Girod, Lafferre, Massé, Meslier, Rabier, Réveillard et Tasé.
106 P. Chevallier, Histoire de la Franc-Maçonnerie Française, Fayard, Paris, 1975, t. 3, p. 90.
107 F. Vindé, op. cit., p. 42.
108 Voir à ce sujet André Hélard, L’Honneur d’une ville, la naissance de la section rennaise de la Ligue des Droits de l’Homme, Éditions Apogée, Rennes, 2001.
109 GODF, 24 février 1905.
110 F. Vindé, op. cit., p. 184. Le livre de François Vindé s’appuie sur les archives personnelles de Jean Guyot de Villeneuve. Les documents utilisés sont indiscutables, et les analyses pertinentes. On peut seulement regretter l’optique univoque de l’auteur, plus soucieux d’argumenter une thèse partisane que d’écrire un livre d’histoire.
111 GODF, 24 février 1905.
112 Id., 18 février 1905.
113 Id., 12 avril 1905.
114 Le Nouvelliste de Bretagne, 28 janvier 1909 : « La Franc-Maçonnerie et l’Armée : un document ».
115 GODF, 29 janvier 1909 : lettre de M. Abadie au GODF.
116 Il s’agit bien entendu d’un F∴ !
117 Le Courrier du Maine, 30 janvier 1910.
118 Jean Janvier, Quelques Souvenirs, édités par Jean-Yves Andrieux et Catherine Laurent, Presses Universitaires de Rennes, 2000, p. 263.
119 GODF, 25 janvier 1911. Jean Janvier n’a jamais été franc-maçon, mais son frère aîné, Pierre, a été reçu à La Parfaite Union en 1909.
120 Id., 15 avril 1905.
121 Id., 9 février 1909.
122 Jeanne LeCorvaisier et Jean-Paul Rocher, Oscar Leroux, Un humaniste dans la ville, Imprimerie Marc Rigault, Rennes, 1999.
123 GODF, 11 octobre 1921, lettre d’Oscar Leroux au F∴ Ariès.
124 J. Le Corvaisier et J.-P. Rocher, op. cit.
125 « Cette société fut l’une des premières constituée à Rennes pour s’occuper du logement social. En 1913, le Bureau de bienfaisance acquiert en effet dix actions de “Ma Maison”, et autant de la Société rennaise de crédit immobilier, crée l’année précédente avec pour objectif de consentir, aux ouvriers ayant déjà économisé le cinquième de la somme nécessaire à la construction d’une petite maison, le prêt hypothécaire permettant de financer le reste de l’opération. La société rennaise comprenait un capital de 150 000 F, divisé en trois cents actions de 500 F. La moitié en fut souscrit par la Caisse d’épargne de Rennes, la ville achetant, de son côté, trente de ces actions. » : note de Jean-Yves Andrieux et Catherine Laurent, in Quelques Souvenirs, de Jean Janvier, PUR, 2000, p. 287.
126 Carle Bahon (1874-1944), conseiller municipal à partir de 1908 dans la municipalité dirigée par Jean Janvier, maire de Rennes de 1925 à 1929.
127 AR, papiers divers.
128 Id.
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