Chapitre 8. Les contestataires du Second Empire
p. 207-229
Texte intégral
1L’abondance des archives de « La Parfaite Union » est si remarquable que leur absence dans des périodes charnières n’en est que d’autant plus frustrante pour le mémorialiste. La cause en est toujours la même, sans aucun lien avec les événements politiques : une mauvaise gestion financière aboutit à une suspension temporaire des tenues, faute de local. C’est ainsi que l’on ne sait rien sur la conduite ou les attitudes de la Loge durant la fin du premier Empire, la première Restauration et les Cent-Jours. On se souvient qu’en 1818 les frères avaient cru se mettre à l’abri d’un tel incident à l’aide d’un montage financier sophistiqué. Mais il n’en a rien été, et le 20 octobre 1847 l’Atelier se trouve ramené à la case départ :
« Le vénérable ouvre la discussion sur la question à l’ordre du jour relative à la position fâcheuse où se trouve l’Atelier par suite du mauvais état de ses finances, et sur les meilleurs moyens à prendre pour en sortir. Après discussion, la loge arrête que la résiliation du bail sera demandée à M. Jouin, propriétaire du local, pour la Saint-Jean 24 juin 1848, et charge le vénérable de traiter dans les meilleures conditions possibles1. »
2En conséquence, les travaux maçonniques s’interrompent à cette date du 20 octobre 1847, pour ne reprendre que le 7 février 1849. Il n’existe donc aucun texte émanant de la Loge sur la manière elle a éventuellement réagi à l’abdication de Louis-Philippe le 24 février 1848, à la proclamation de la seconde République le 4 mai, ou à l’élection présidentielle du 10 décembre, qui voit la victoire écrasante de Louis-Napoléon Bonaparte. On le regrette d’autant plus qu’à l’exception de Lamartine et de Ledru-Rollin, les principaux acteurs parisiens de cette révolution, comme François Arago, Louis Blanc, Adolphe Crémieux, Louis Garnier-Pagès, etc., sont francs-maçons, et le manifestent officiellement2. Mais il se trouve que le dernier des vénérables de « La Parfaite Union » avant cette période de léthargie, Jean Marie Lefas*, est imprimeur, et co-rédacteur avec Alphonse Marteville, lui aussi membre de l’Atelier, d’un journal local de nouvelles et d’annonces fondé en 1830, L’Auxiliaire Breton, paraissant quatre fois par semaine, et qui soutient fermement dans ses éditoriaux le gouvernement et la monarchie constitutionnelle. Sans bien sûr que l’on puisse amalgamer ce journal et la Loge, on va voir que les liens entre les deux sont suffisamment proches pour considérer que les prises de position du journal reflètent en quelque sorte celles de l’Atelier.
3C’est ainsi que quatre jours après l’abdication du roi, tout en regrettant le tour pris par les événements, Alphonse Marteville déclare : « Nous n’hésitons pas un instant à nous réunir franchement au gouvernement républicain qui porte le drapeau de 18303. » Mais à la fin de l’année, la candidature du prince Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République se voit vigoureusement combattue à Rennes par un « Comité des opinions libérales » dont la composition est éloquente. Outre, bien entendu, Lefas et Marteville, on y trouve en effet Thomas Binet, Louis Guillot, et Achille Boucault, précédents vénérables de « La Parfaite Union », ainsi que d’autres membres de la Loge, la plupart d’entre eux étant de surcroît officiers de la Garde Nationale. Ce Comité réuni le 7 décembre 1848 « adopte à l’unanimité et recommande comme candidat pour les fonctions de président de la République le général Eugène Cavaignac, chef actuel du pouvoir exécutif », et met à la disposition des électeurs un bulletin de vote imprimé à son nom, celui-ci n’étant pas à l’époque fourni par l’administration. La victoire du prince-président oblige le journal à se recentrer : le 1er juin 1849, il change son titre originel pour Le Conciliateur, avec pour mots d’ordre : « FORCE AU POUVOIR – TOLÉRANCE DES OPINIONS – CONCILIATION DES PARTIS ». Et c’est un autre frère de l’Atelier, Pierre Auguste Burnel, par ailleurs avoué à la Cour, qui définit la nouvelle ligne éditoriale, en des termes éminemment maçonniques :
« Notre titre indique la pensée principale qui dirigera notre conduite. Nous entrons dans la presse pour y apporter des paroles de concorde et d’union. Nous prenons les choses dans l’état où les événements nous ont placés, et nous disons : la République modérée, et le président que le pays a placé à sa tête, voilà le seul drapeau qu’un citoyen ami des lois doive arborer. »
4Le futur Napoléon III fait tout en effet pour rassurer les bourgeois provinciaux lecteurs majoritaires du journal, et Burnel ne se trompe pas dans les priorités qu’il met en avant dans la suite de son article :
« Voilà le seul terrain solide sur lequel les honnêtes gens peuvent, sans mentir à leur conscience, lutter contre l’ennemi commun, contre cette immense plaie du socialisme qui, semblable à la goutte d’huile, s’infiltre avec une effrayante rapidité dans toutes les veines du corps social. La guerre est désormais entre la République rouge et la République moderne, entre le drapeau de 1793 et le drapeau de 1789. »
5C’est ainsi que le coup d’État du 2 décembre 1851 est avalisé sans état d’âme :
« Le Parti conservateur, qui a toujours recommandé le respect des lois, est plus que personne en position de déplorer la nécessité à laquelle le Président a dû recourir. Mais de bonne foi, la main sur la conscience, est-il un seul homme de sens qui puisse méconnaître la nécessité d’une crise et, nous le disons avec satisfaction, qui ne doive se féliciter de la facilité avec laquelle elle a été franchie4 ? »
6Il ne reste plus qu’à entériner le nouveau gouvernement, ce dont le journal profite pour revenir à son titre initial, L’Auxiliaire Breton, le 10 mars 1852 : « Un nouveau gouvernement se présente. Il est aussi une transaction entre tous les systèmes prétendants. Nous l’aiderons, de notre faible concours, à consolider l’ordre qu’il a rétabli. »
7Mais durant toute cette période le sommeil de l’Atelier rennais ne semble cependant pas avoir été total, puisque l’on retrouve dans ses papiers plusieurs exemplaires d’une « Déclaration de principes de la Franc-Maçonnerie », signée par les membres parisiens du « Comité central maçonnique pour les élections nationales » du mois d’avril 1848 à l’Assemblée constituante5. Il s’agit avant tout de définir les « garanties à exiger des candidats », et les « principes fondamentaux » retenus, à savoir : « LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ – SOUVERAINETÉ DU PEUPLE » conduisent à la répudiation définitive de toute forme de monarchie : « Nous adoptons le gouvernement Républicain comme le seul capable d’appliquer à l’état social ces principes et les conséquences qui en dérivent. » Ce texte contient également les prémices de débats qui vont s’ouvrir dans le dernier quart du siècle. Tel celui sur l’éducation :
« L’intérêt général dominant l’intérêt particulier, l’État représentant le premier, est supérieur à la famille qui représente le second. La liberté d’éducation et d’enseignement a donc pour limite l’intérêt de l’État, et pour régulateur son autorité. On ne peut pas plus donner une éducation contraire à l’intérêt général, qu’on n’en peut donner une contraire à la morale universelle. On n’est pas plus libre de priver un enfant d’éducation que de le priver de pain. Si les parents ne peuvent pas payer l’enseignement primaire, c’est à l’État d’en faire les frais ; et si l’enfant se distingue, l’État doit le soutenir jusqu’à ce qu’il puisse utiliser l’aptitude qu’on lui a reconnue. »
8Ou sur la religion : « Toutes les religions doivent respecter la liberté, prêcher l’égalité et pratiquer la fraternité. Établir les devoirs de toutes, c’est établir les droits de chacune. » S’y trouve également un volet social jusqu’alors absent des préoccupations maçonniques. Partant du principe que « Le travail doit faire vivre le travailleur, et ne doit pas le tuer », les rédacteurs s’interrogent :
« Il faut à tout prix améliorer le sort des travailleurs. La solution de cette importante et difficile question est-elle dans l’association des travailleurs, dans celle du capital et de la main-d’œuvre, dans quelqu’un des autres systèmes proposés, ou dans une heureuse combinaison de ces idées diverses ? On cherche, attendons. »
9On vient de voir que les frères rennais, si l’on en juge par la ligne éditoriale exposée par Le Conciliateur, ne devaient pas être vraiment réceptifs à cet argumentaire. Bourgeois aisés, fondamentalement légitimistes, la seule trace d’activisme politique à mettre à leur actif a consisté comme on l’a rapporté à soutenir la candidature du général Eugène Cavaignac face à celle de Louis-Napoléon Bonaparte. Mais ils se rallient plus tard sans peine au système présidentiel, bientôt transformé en Empire. Il y a cependant des exceptions, comme celle du F∴ Louis Marétheux*, un négociant de Plouguenast : initié le 1er décembre 1851, il tente le lendemain de résister au coup d’État du prince-président. Le plébiscite du 21 décembre l’ayant ratifié, il prend comme Victor Hugo le chemin de l’exil, et devient typographe à Jersey6.
10Le F∴ Louis Guillot, chef de bureau à la mairie de Rennes, a déjà été élu vénérable en 1839. Or, à cette époque, le règlement général du Grand Orient précise qu’on ne peut être réélu plus de deux fois consécutives à cet office, et il quitte donc ce poste en 1841. Cette disposition ayant été abrogée, non seulement il reprend le premier maillet en 1849, mais il le garde ensuite jusqu’à sa mort en 1880. Pendant plus de trente années « La Parfaite Union » est donc dirigée par le même frère, dont tous s’accordent à reconnaître les mérites. Ainsi en 1858, la Loge unanime demande à l’Obédience de les reconnaître par une distinction appropriée :
« C’est à son énergique persévérance au milieu du découragement qui se manifesta dans notre Orient à diverses époques, c’est à son expérience maçonnique, à son caractère à la fois ferme et conciliant que nous devons, depuis dix ans, la prospérité toujours croissante de notre atelier7. »
11Il refuse que cette proposition soit transmise, demandant seulement que « les frères veuillent bien lui remettre la lettre qu’ils voulaient adresser au Grand Orient : il la gardera comme son plus beau titre maçonnique ». Ce qui n’empêche pas sa renommée et celle de l’Atelier de s’étendre. Ainsi en 1861 la revue « Le Droit Maçonnique » publie une ode en six strophes, dédiée au « Très Illustre Vénérable Guillot et à ses RR∴ FF∴ de l’Orient de Rennes », où le F∴ Campadelli, « ex-Lieutenant des volontaires italiens » – il a participé à la guerre franco-piémontaise de 1859 contre l’Autriche qui verra la réalisation de l’unité italienne après les victoires de Magenta et de Solférino – exalte les idéaux de justice et de liberté :
« Un tel penser fleurit à l’ORIENT DE RENNES.
Justice et vérité, vos clartés souveraines
Lui tracent un sillon dont il suit le chemin
Là sont des travailleurs d’une foi pure, active,
Hâtant de la raison la sève productive
D’où jaillit l’avenir de tout progrès humain8. »
12Pour le moment, après avoir renoué les liens avec Paris, la tâche la plus urgente de Louis Guillot est assurément de réinstaller la Loge dans un local approprié : c’est chose faite le 29 juillet 1851, date à laquelle la loge inaugure officiellement dans son nouveau Temple au n° 3, Levée de la Santé9. Elle en profite pour fêter le centenaire de sa création, qui n’avait pu se faire à bonne date en 1848. Mais elle ne restera pas longtemps à cette adresse : en 1860, elle se retrouve sous le coup d’un arrêté d’expropriation pour cause d’utilité publique, la municipalité ayant entrepris la rectification des berges de la Vilaine. Elle déménage alors au 83, rue de Nantes.
13On a mentionné précédemment la part plus qu’active prise non pas par la Franc-Maçonnerie du Grand Orient de France en tant que telle, mais par nombre de francs-maçons parisiens, dans la révolution de février 1848. Instruit par cette expérience le nouveau pouvoir en place, que l’on a pu qualifier de « République sans républicains », tout comme le second Empire qui s’installe officiellement le 2 décembre 1852, sont au départ extrêmement méfiants vis-à-vis de l’institution. C’est de justesse que la Franc-Maçonnerie se verra exclue du champ d’application de la loi du 28 juillet 1848 restreignant les activités des clubs politiques et des associations. Mais son activité reste une préoccupation pour les autorités, et l’Obédience ne manque pas de rappeler aux Ateliers les obligations auxquelles elle est elle-même soumise. L’ambiance rappelle celle de la seconde Restauration en 1815, et nombre d’Orients ont alors maille à partir avec les préfets, qui ne manquent pas de sanctionner immédiatement toute suspicion de débordement de la sphère maçonnique dans le domaine politique :
« Il est surtout des prescriptions réglementaires sur lesquelles nous appellerons particulièrement votre attention, parce qu’elles intéressent au plus haut degré votre existence régulière, comme Ateliers et même comme Maçons isolés : nous voulons parler de l’envoi de votre tableau annuel, et des nominations de vos présidents. Aujourd’hui plus que jamais, et alors que la Grand Orient peut être appelé à intervenir en faveurs d’Ateliers objets d’injustes soupçons, il faut qu’il puisse en garantir le personnel, et répondre de leurs membres, comme un père répond de ses enfants ; il faut qu’il connaisse les chefs placés à leur tête, afin qu’il puisse se rendre garant de leurs bonnes intentions ; il faut qu’il soit secondé dans sa marche administrative et protectrice, par ceux-là mêmes qui veulent avoir droit à cette protection10. »
14La nomination du prince Lucien Murat comme Grand-Maître le 26 février 1852 va calmer le jeu. Cousin de Napoléon III, il s’emploie dès sa première adresse aux Loges à redéfinir a minima les buts de la Franc-Maçonnerie :
« Que nos discussions restent toujours étrangères aux passions politiques ! Prêter l’oreille à tous les gémissements, de quelque part qu’ils se fassent entendre ; offrir une main secourable à toutes les infortunes, soulager toutes les misères, quelle qu’en soit la source, et en quelque lieu qu’on les rencontre ; en un mot, verser des bienfaits sur l’humanité tout entière, voilà notre mission !… Le développement de l’âme, la perfection de l’intelligence, voilà notre but ! Et, croyez-le bien, sortir de ces limites, ce serait rompre à jamais le lien de notre organisation… Charité, Fraternité, telle sera toujours notre devise11 ! »
15Il décide de surcroît une inspection générale des Loges, et « La Parfaite Union » reçoit à cet effet la visite du F∴ Leriche, qui est d’ailleurs très bien accueilli puisqu’il note dans son rapport d’inspection que « les membres ont tous été enchantés de la mesure prise par le Grand Orient de faire inspecter la Loge ». Ils n’ont d’ailleurs aucun motif de plainte à formuler, excepté sur un thème déjà rencontré à plusieurs reprises, celui du laxisme de la Franc-Maçonnerie parisienne : « Ils se plaignent surtout d’avoir dû chasser de leur Loge des membres qu’ils avaient affiliés, et qui avaient été reçus à Paris. » Il reste cependant un autre souci récurrent, celui de la solidarité maçonnique. Dûment autorisés, ils ont au printemps de 1853 poussé le « cri de détresse » auprès de toutes les loges de l’Obédience en faveur de la veuve et des enfants du F∴ Joseph Pinel, un maître menuisier brutalement disparu. Le résultat n’ayant pas été à la hauteur de leurs espérances, « La Parfaite Union », d’une manière très pragmatique, propose l’année suivante d’institutionnaliser le système. Elle demande donc au Grand Orient :
« De rendre obligatoire la réponse à tout cri de détresse jeté par un atelier de la correspondance, le priant en outre de fixer une médaille minimum exigible à partir d’une époque fixée par lui, et acquittée par chaque loge sur son tronc de bienfaisance pour venir en aide à tout frère tombé dans le malheur et dont la demande régulière aura été appuyée par une loge soumise à l’obédience du Grand Orient, et faisant partie de sa correspondance12. »
16L’idée est prise en considération par le Conseil du Grand Maître, qui envoie ultérieurement aux ateliers une circulaire les invitant à pratiquer un tel système13. Les frères de Rennes ont d’autre part passé sans encombre les derniers événements : « La Loge n’a pas eu de difficulté avec l’autorité civile ». Il est cependant piquant de constater que, tout envoyé d’un Grand-Maître totalement aux ordres qu’il soit, le F∴ Leriche lui-même, comme sans doute la loge, reste étroitement surveillé : « Néanmoins, mon arrivée étant connue, j’ai été suivi par un agent de la police qui ne m’a pas perdu de vue un seul instant, ainsi que cela a été certifié par plusieurs membres14. »
17C’est le 15 septembre 1856 que l’Atelier procède à l’initiation d’un frère dont l’activité va marquer la suite de son histoire : Achille Godefroy Jouaust*, jeune avocat d’une trentaine d’années d’origine parisienne, reçu docteur à la faculté de Droit de Rennes en 1851. Rapidement promu secrétaire, son premier travail va consister à faire la synthèse des travaux de « La Parfaite Union » sur plusieurs questions concernant la Franc-Maçonnerie, que l’Obédience venait de renvoyer à l’étude des Loges. La série d’inspections récemment conduite avait sans doute fait apparaître la nécessité d’une telle enquête, la première du genre. Le libellé des demandes est significatif des problèmes qui se posent à l’institution, et on y retrouve sans surprise plusieurs thèmes dont la Loge s’est déjà fait l’écho auprès de l’instance parisienne :
1. Quel est le degré d’instruction que doit posséder un maçon pour bien remplir ses devoirs, et quels sont ces devoirs ?
2. Quelles sont les meilleures mesures à prendre, quelles sont les prescriptions à décider, pour forcer les loges à n’accorder l’initiation qu’à des profanes méritants ?
3. Pourquoi le zèle et l’ardeur maçonnique cessent-ils de briller, et quels sont les meilleurs moyens à employer pour les réveiller ?
4. Quelles combinaisons à former, quelles mesures à prendre pour mettre nos finances dans un état tel que nous puissions secourir nos frères d’une manière efficace, indépendamment de l’assistance morale que nous leur donnons15 ?
18Sur le dernier point, qui lui tient particulièrement à cœur, « La Parfaite Union », en liaison avec « Nature et Philanthropie » de Lorient, propose un projet détaillé de création d’une « Caisse de Secours », qui préfigure, tant dans son financement que dans son fonctionnement, la « Commission Nationale de Solidarité Maçonnique » qui sera effectivement mise en place bien plus tard16. Poursuivant la réflexion commencée dans la période précédente avec Des Étangs*, elle propose d’autre part une mise à jour de la pratique maçonnique, évoquant ainsi aussi bien la nécessité d’une certaine extériorisation au niveau de l’Obédience pour combattre dans le public les idées reçues sur la Franc-Maçonnerie, qu’une simplification du rituel et la suppression des hauts grades. Par ailleurs, elle résume « en deux mots » un très long exposé sur « l’instruction nécessaire à un maçon : L’instruction primaire fortifiée par la lecture et la réflexion ». Ce qui lui permet, sur l’autre sujet crucial qui lui tient non moins à cœur, à savoir les procédures d’admission dans l’Ordre, de proposer ni plus ni moins qu’un examen d’entrée. On posera au profane impétrant cinq questions philosophiques, et il disposera d’un délai de quinze jours pour y répondre par « une solution sobrement motivée ». La suite est originale, en ce sens qu’elle subordonne la procédure à un accord de « L’Institut Dogmatique » que le prince Murat vient de créer à Paris :
« Article 8e : Si le scrutin est favorable, l’écrit contenant les réponses du profane sera signé par le Vénérable et le Secrétaire, scellé du sceau de la Loge et transmis à l’Institut Dogmatique de Paris.
Article 9e : Là, ces réponses seront examinées avec soin, et s’il résulte de cet examen que la Loge a été trop facile dans son appréciation, il en sera écrit au Vénérable avec avis fraternel d’user à l’avenir d’une rigueur salutaire.
Article 10e : Si, dans le cours d’une année maçonnique, une loge s’exposait à deux avertissements de l’Institut Dogmatique, le Grand Orient suspendrait pour six mois toute initiation dans cette loge, et on lui imposerait de ne procéder dans l’année suivante qu’à un nombre réduit d’initiations, par exemple la moitié de la moyenne des initiations calculée sur les cinq années précédentes.
Article 11e : Si, par impossible, les loges étaient assez oublieuses de leurs devoirs pour admettre des profanes dont elles n’auraient pas suffisamment constaté la moralité, la probité, l’honorabilité, le sommeil maçonnique devrait être prononcé contre elles en punition d’une telle faute. »
19Et d’ajouter en note à ce dernier article : « Déjà plusieurs fois l’on nous a signalé la facilité déplorable avec laquelle certaines loges de Paris avaient reçu des profanes qui profitaient d’un séjour de quelques heures à Paris pour s’y faire recevoir après avoir été refusés dans les loges à l’Orient de leur domicile. » On ne retrouve évidemment pas trace dans les cahiers d’architecture des incidents qui ont dû effectivement survenir à Rennes ou ailleurs pour justifier une telle constance dans cette revendication d’une forte sélection à l’entrée en loge. Mais une telle disposition de la part d’un atelier par ailleurs si soucieux de sa traditionnelle indépendance vis-à-vis de l’Obédience indique à l’évidence la réalité d’une telle dérive.
20Jouaust ne se contente pas d’être une plume élégante au service de l’Atelier. Il va rapidement s’imposer comme secrétaire ou orateur, et devient le représentant attitré de la Loge à l’extérieur, réalisant avec Louis Guillot, inamovible vénérable, un tandem redoutable tant le partage des tâches semble n’avoir jamais posé de question à ces deux frères. Dans un premier temps, en suivant bien entendu un cérémonial prescrit par Des Étangs, « La Parfaite Union » enregistre son premier « baptême maçonnique » :
« Cette tenue a pour objet de conférer le baptême et la première initiation maçonnique au lowton Gabriel Jouaust, fils de notre frère Jouaust, suivant la coutume des anciens maçons. Les travaux, que l’on a dépouillés autant que possible de tout caractère maçonnique, afin d’y admettre des parents, amis et femmes de nos frères, ouvrent par un seul coup de maillet.
Le temple est orné de draperies blanches et de fleurs. Une table également décorée de draperies blanches est placée près des marches de l’Orient au milieu du temple. Elle est couverte des fleurs, des étoiles, des vases et des mets qui doivent servir à la cérémonie : l’eau, le vin, le miel, le lait, les fruits et le pain17. »
21On ne peut ici qu’être frappé du décalage entre l’orthodoxie religieuse que l’on retrouve par ailleurs – croyance en Dieu et en l’immortalité de l’âme – ouvertement professée par l’Atelier, et le refus de tout exotérisme lié au catholicisme, tout en décalquant ses préceptes et sa pratique18. Dans le rapport déjà cité, Jouaust écrivait en effet, concernant les « devoirs philosophiques » liés à la Franc-Maçonnerie :
« Le premier de ces devoirs est une adoration profonde pour le Grand Architecte de l’Univers, devoir inscrit en tête de tous les codes maçonniques. Mais cette adoration doit être intelligente chez le maçon, et elle l’oblige à étudier les œuvres du Grand Architecte de l’Univers dans la mesure que comportent ses facultés intellectuelles. L’adoration du maçon doit donc être celle d’un homme instruit et réfléchi. »
22Ainsi le rite des « Sublimes Élus de la Vérité » demeure toujours vivace, et d’ailleurs quelque temps plus tard il complétera sa signature par le triangle flamboyant caractéristique du grade. Mais c’est une toute autre affaire qui va attirer l’attention de l’instance parisienne sur « La Parfaite Union » et son dynamique secrétaire. Dans sa circulaire du 9 mars 1851, le Grand Orient avait en effet demandé aux ateliers de dresser leur historique depuis leur fondation, « et de n’omettre aucune circonstance qui pourrait révéler quelques faits, soit en son honneur, soit à la gloire personnelle de ses membres en particuliers ». Reprenant à son compte cette directive, Jouaust entreprend donc une Histoire de La Parfaite Union à l’Orient de Rennes, et envoie en mars 1859 son manuscrit à Paris, afin d’obtenir l’imprimatur nécessaire. Le Conseil du Grand-Maître donne un avis favorable, sauf en ce qui concerne le compte rendu des démêlés de la Loge avec l’Obédience à propos de la nomination en 1826 du F∴ Dupin comme son délégué à Paris19. Il en demande la suppression, sous prétexte que la divulgation de cet incident montrerait que la direction de l’Ordre « n’a pas toujours été une et forte », ce qui n’est évidemment plus le cas « sous le puissant patronage de S. A. R. le prince Lucien Murat, notre Très Illustre Chef », grâce à l’autorité duquel « la Maçonnerie peut enfin se mouvoir sur des bases solides, inébranlables, et imposer le respect au monde profane20 ». Jouaust s’exécute, mais le livre ne sera jamais publié dans son intégralité par l’imprimeur officiel du Grand Orient, dont il lui avait été également signifié qu’il était le seul habilité pour ce type de publication. On ne retrouve de cet ouvrage qu’un article, consacré à La Maçonnerie à Rennes jusqu’en 1789, et publié dans la revue Le Monde Maçonnique de décembre 1859 – un « journal non autorisé par le Grand Maître » – dont un passage va derechef déclencher les foudres du Conseil, décidément très susceptible. Jouaust écrit en effet, à propos de « La Parfaite Union » et de « La Parfaite Amitié » :
« La ligne de conduite de ces deux Loges, dans leurs rapports avec le Grand-Orient, nous semble devoir être remarquée. Elles lui sont soumises avec l’intelligence et la dignité qui conviennent à de vrais Maçons. Ainsi, quand le Grand-Orient ordonna le renouvellement des Constitutions, il avait inséré dans ses nouvelles chartes que la loge était reconstituée “à charge par elle de se conformer aux règlements faits et à faire”.
L’orateur de La Parfaite Union, dans la tenue d’installation, et les commissaires des deux Loges, dans des réunions postérieures, firent et adressèrent au Grand-Orient leurs réserves sur l’acceptation des règlements à faire, pour lesquels ils se réservaient le droit d’examen. De même encore les deux Loges, en 1775, arrêtent de concert qu’elles n’enverront plus de métaux au Grand-Orient, qui ne leur a pas tenu sa promesse de rendre compte de l’emploi des deniers, jusqu’à ce que l’utilité et la nécessité de cet emploi leur aient été justifiées. »
23Il semble bien qu’il fasse ici référence à des documents disparus. En effet cette réserve sur les règlements « à faire » apparaît bien en 1775, mais c’est dans le procès-verbal d’installation de « L’Égalité ». La trace d’une quelconque rébellion monétaire ne se retrouve pas non plus cette année-là, ni d’ailleurs plus tard, dans les correspondances échangées avec le Grand Orient par l’une ou l’autre des loges de Rennes, qui ont par ailleurs reçu comme on l’a vu le mémoire détaillé des activités de l’Obédience pour 1774, incluant en particulier un compte rendu financier. Ceci étant le F∴ Pourcher, rapporteur de cette publication devant le Conseil, n’apprécie pas ce rappel historique :
« Dans un passage de son article, le F∴ Jouaust cite avec orgueil la résistance de son Atelier au Grand Orient de France, parce que celui-ci refusait de rendre compte de l’emploi des deniers maçonniques. C’est de l’histoire dira l’auteur, car cela se passait en 1775. Soit, mais je ne trouve pas opportun de venir faire savoir à ceux qui l’ignoraient qu’à une certaine époque le Grand Orient refusait de rendre des comptes21. »
24Comme sanction, il propose que Jouaust soit « rappelé au règlement », ce qui est adopté. Mais l’avocat ne l’entend pas de cette oreille :
« Mes habitudes judiciaires dans le monde profane ne me donnent pas le spectacle d’une procédure aussi sommaire que celle du Conseil du Grand Maître. Si l’on eut eu la bienveillance de me demander un mot d’explication, on se fut épargné à la fois une injustice, une inexactitude et une fausse manœuvre.
À part quelques coupures, pour abréger l’article et supprimer les détails qui n’avaient pas d’importance hors de la localité de Rennes, l’extrait de l’histoire de la loge de Rennes inséré par moi dans Le Monde Maçonnique est la reproduction textuelle du manuscrit soumis par moi au Grand Orient.
Tous les passages de cette histoire qui avaient été blâmés par le Grand Orient, et dont le Grand Orient me conseillait de remanier la rédaction, étaient relatifs à l’histoire de la Maçonnerie sous le premier Empire ou sous la Restauration, et l’article publié par moi ne concernait que la maçonnerie rennaise jusqu’en 1789. Donc je n’ai point ajouté de “réflexions qui en modifient plus ou moins le caractère”, et dont “la teneur n’a point été soumise à approbation”. Voilà pour l’inexactitude de la décision prise à mon égard.
Et en lisant dans Le Monde Maçonnique des articles signés Ragon, Rébold, etc., pouvais-je m’imaginer qu’on encourait les censures du Grand Orient pour écrire dans le même recueil où des frères, bien mieux connus que moi dans la bibliographie maçonnique, publiaient eux-mêmes des articles22 ? »
25Sur ces entrefaites le chemin de fer est arrivé à Rennes, et son usage s’est intensifié. Les ateliers, au fur et à mesure qu’ils se voient reliés à la capitale, ne désignent plus des frères parisiens pour les représenter auprès du Grand Orient, mais préfèrent envoyer leurs propres délégués à l’assemblée annuelle. Cette révolution dans les transports n’échappe pas à Jouaust, qui fait adopter par l’Atelier au début de 1860 un vœu transmis au Conseil du Grand Maître à l’effet de réunir « un grand Congrès maçonnique universel de tous les rites et de tous les pays, pour obtenir l’unité des rituels, catéchismes, mots sacrés et de passe, signes et attouchements dans les trois premiers grades symboliques sur toute la surface du globe » :
« Tant que les communications internationales sont restées difficiles et peu fréquentes, l’on a pu ne pas sentir l’inconvénient de ces variations qui forment pour ainsi dire autant d’idiomes dans la langue maçonnique et la rendent inintelligible pour des adeptes de nationalités différentes. Mais aujourd’hui que la multiplicité journalière des relations entre les sujets des divers États des deux mondes rend plus utile que jamais l’unité de la formule maçonnique, il est du devoir de tous les maçons de travailler à la réalisation de cette unité23. »
26La proposition n’est pas suivie d’effet. Mais entre temps Jouaust a été désigné pour représenter la Loge à l’assemblée annuelle à Paris, et il a commencé à nouer des contacts qui vont se révéler précieux24. D’un point de vue maçonnique, l’année 1861 va en effet être fertile en événements. Tout commence au début d’avril, par une circulaire du Grand Orient annonçant l’envoi à l’ensemble des loges d’un buste du Grand Maître, au prix de 35 F automatiquement débité sur leur compte. Comme « La Triple Unité » de Fécamp, la loge de Rennes regimbe contre cet envoi non sollicité, et sa réaction est particulièrement sèche :
« La Loge, considérant que l’administration du Grand Orient n’avait pas le droit de procéder à la reproduction de ce buste, à la fixation du prix et à l’envoi à chaque loge sans avoir auparavant consulté les ateliers ;
Considérant que c’est par une rédaction complaisante et une interprétation très discutable que l’administration du Grand Orient s’est arrogée le droit d’obliger chaque loge à prendre un exemplaire de ce buste ;
Décide à l’unanimité qu’elle refuse cet envoi, et qu’elle fera connaître ce refus au Grand Orient25. »
27Un tel refus n’est que le révélateur d’un malaise qui touche à d’autres causes. Ce sont en fait les prises de position personnelles du prince Lucien Murat sur la question de l’unité italienne qui posent problème. Comme beaucoup d’autres ateliers, « La Parfaite Union » avait suivi avec passion l’épopée de Garibaldi en Sicile et dans le sud de l’Italie :
« La Loge, émue par les nouvelles favorables reçues de la Sicile, et inspirée par les sentiments de liberté auxquels elle fut toujours fidèle, tire une triple et chaleureuse batterie pleine d’enthousiasme en faveur du F∴ Garibaldi26. »
28Elle a sans doute de même applaudi à la campagne des forces piémontaises qui voit la naissance de l’Italie moderne sous l’égide de Victor-Emmanuel II, proclamé roi « par la grâce de Dieu et par la volonté de la Nation » le 14 mars. Mais depuis 1849 la souveraineté du pape à Rome se trouve garantie par une occupation militaire française, et si Napoléon III a bien le désir de retirer ses troupes dont la présence blesse le sentiment national italien, il ne peut le faire sans dresser contre lui les catholiques français, soutenus entre autres par le prince Murat, qui vote au Sénat « pour le maintien des troupes françaises dans l’occupation de Rome ». Or, son mandat de Grand Maître est cette année-là soumis à réélection lors de l’Assemblée des délégués ou des représentants de loges qui doit se tenir le 20 mai. Plusieurs vénérables d’ateliers parisiens et provinciaux – à Lyon, à Bordeaux, à Rouen – font savoir dans des articles parus dans des revues maçonniques ou dans des journaux à Bruxelles et à Turin – la censure impériale ne permettant pas une telle expression en France – qu’il n’est pas question de reconduire dans ses fonctions le prince Murat, « qui s’est déclaré itérativement pour un pouvoir qui fait mettre les Francs-Maçons aux galères, partout où son influence peut l’obtenir27 », et qu’en conséquence la candidature du prince Jérôme Napoléon, fils du roi Jérôme dont il a été question dans l’épisode de « L’Ordre du Christ », serait la bienvenue. Comme on le voit, il n’est pas question de sortir du cercle étroit de la famille impériale, mais devant cette fronde programmée le Conseil du Grand Maître décide le 14 mai de suspendre de leurs droits maçonniques, et de leurs fonctions de délégués, onze frères considérés comme susceptibles « de troubler la majesté de la prochaine Assemblée, en y apportant les passions qui les agitent », Jouaust étant particulièrement épinglé « pour son attitude de perpétuelle opposition dans les précédentes Assemblées », et pour avoir entraîné sa loge dans une « voie mauvaise28 ». Ce qui fait bondir l’Atelier, lequel répond immédiatement par une protestation imprimée, qu’il envoie bien entendu à toutes les loges de sa correspondance :
« La Loge ne peut accepter l’accusation de s’être laissée entraîner dans une voie quelconque, bonne ou mauvaise, par le F∴ Jouaust. Elle ne pense pas davantage que le F∴ Jouaust doive subir une peine maçonnique pour avoir, comme secrétaire de la Loge, annoncé au Grand-Orient que la Loge refusait à l’unanimité le buste du Grand-Maître, et qu’elle donnerait les motifs de son refus en temps et lieu et devant qui de droit. C’est pourquoi nous ne pouvons mieux faire, pour vous prouver la sincérité de ce que nous écrivons ici, que de renouveler au F∴ Jouaust le mandat que nous lui avons déjà conféré et de l’envoyer à l’Assemblée soumettre à ses pairs les réflexions fermes et respectueuses que nous suggère ce regrettable décret29. »
29Les autres loges incriminées font de même. La fronde des députés contre Le Grand Maître et son administration s’organise dès l’ouverture de l’Assemblée le 20 mai, au moment de la vérification des pouvoirs des délégués. Aussi le prince Murat en suspend-t-il les travaux le lendemain, ce qui n’empêche pas les frères de se réunir, et d’élire comme Grand Maître le prince Napoléon, qui, vu l’ambiance, préfère décliner immédiatement l’honneur qui lui est fait. Murat réplique en faisant fermer les portes de l’hôtel de la rue Cadet, et commence un bras de fer avec les loges contestataires, en fustigeant leurs initiatives :
« Comités, réunions de bureaux se déclarant en permanence, attendant et recevant de l’extérieur des mots d’ordre, refusant d’obéir aux invitations ou aux sommations du représentant particulier du Grand-Maître ; déclarant qu’ils étaient souverains chez eux, et ne reconnaissant aucune autorité supérieure à la leur… », « faisant pénétrer des huissiers au Grand Orient, dans les bureaux, et remettre sommation par ces officiers ministériels d’avoir à leur livrer l’entrée, à leur remettre les pièces, etc. »
30C’est effectivement une constante que l’on pourrait croire inscrite dans les gènes des Francs-Maçons du Grand Orient de France, lorsque survient un conflit semblable et qu’ils sont réunis en Assemblée générale – qu’elle s’appelle Assemblée Législative comme en 1861, ou Convent comme en 1995 – de se considérer comme les propriétaires du local, détenteurs à la fois du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif, et d’en tirer éventuellement toutes les conséquences. Par une série de décrets Murat proclame en conséquence l’Assemblée Législative dissoute, en convoque une autre pour le mois d’octobre, interdit aux Ateliers de se réunir jusqu’à nouvel ordre, et ajoute à la liste de proscription dont faisait déjà partie Jouaust vingt-quatre autres frères. Pour être sûr de leur bonne exécution, il n’hésite pas à faire contresigner ses ukases par le préfet de police de Paris :
« Nous, préfet de police du département de la Seine, vu les renseignements à nous parvenus ; considérant que l’élection d’un Grand-Maître de l’Ordre maçonnique donne lieu à une agitation de nature à compromettre la sûreté publique, arrêtons ce qui suit : Il est interdit à tout Franc-Maçon de se réunir pour procéder à l’élection d’un Grand-Maître avant la fin d’octobre prochain. »
31Dans toute son histoire, si l’on met à part la dissolution prononcée après la défaite de 1940 par le gouvernement de Vichy, c’est la seule fois où l’activité du Grand Orient de France est ainsi officiellement suspendue, l’extraordinaire venant en plus que ce soit à l’initiative de son propre Grand Maître. La situation devient inextricable le 29 septembre suivant lorsque Murat convoque les présidents et les délégués de tous les Ateliers à Paris pour le 14 octobre, en précisant que les travaux de cette Assemblée se borneraient à la seule élection du Grand Maître, ne se prolongeraient pas au-delà d’une seule séance, et qu’il fait savoir le lendemain par une autre circulaire qu’il renonce lui-même à toute candidature. Bien entendu les loges ne l’entendent pas ainsi. Dans un texte imprimé de huit pages, annexé à la tenue du 22 décembre 1861, les frères de « La Parfaite Union » livrent un « Exposé de la conduite de la loge de Rennes depuis le mois de mai 1861 », qui permet de suivre les événements :
« Malgré la teneur de ce décret, la loge était persuadée que les frères que l’Orient de Rennes envoyait à Paris ne regarderaient leur tâche comme accomplie par cette élection, tant que l’Assemblée générale de la Maçonnerie n’auront pas obtenu une éclatante réparation de toutes les mesures de violence, de tous les décrets offensants à l’aide desquels le Grand-Maître avait tenté de faire triompher sa candidature.
C’était là aussi, n’en doutons pas, l’esprit de l’immense majorité des Loges de l’Obédience ; et c’est peut-être en prévoyance de cette éventualité et des débats qu’elle pouvait soulever que le Pouvoir civil se décida, le 11 octobre 1861, à interdire la réunion de l’Assemblée pour cause de sûreté publique. »
32L’arrêté précédent est effectivement répercuté en province :
« Le vénérable donne lecture d’une lettre qui lui a été notifiée par le commissaire central de Rennes sur ordre de M. le préfet d’Ille-et-Vilaine, laquelle lettre notifie au vénérable un arrêté de M. le préfet de police de la Seine interdisant la réunion maçonnique pour l’élection d’un Grand Maître, et reportant au mois de mai 1862 l’époque de cette élection30. »
33Cette crise institutionnelle va entraîner une conséquence imprévue : la reconnaissance officielle de la Franc-Maçonnerie par le pouvoir légal. M. de Persigny, ministre de l’Intérieur, demande alors en effet aux préfets de recenser les associations philanthropiques, « afin de les autoriser sans délai, et à les admettre, ainsi que toutes les sociétés déjà reconnues, au partage des faveurs comme à la protection du Gouvernement ». Le Grand Orient de France se trouve concerné, tout comme les Conférences de Saint-Vincent-de-Paul, ou les Sociétés de Saint-François-Régis ou de Saint-François-de-Sales :
« Tous les journaux de France ont reproduit dans leur colonnes ce document important, le premier dans l’histoire de la Maçonnerie française, où l’on voit le gouvernement s’occuper ostensiblement de la Maçonnerie, et en faire une appréciation aussi juste qu’honorable. Que ce soit un bien ou un mal pour notre chère Institution que le pouvoir civil l’ait conviée à l’existence légale, c’est une grave question qu’il ne nous a pas été loisible de discuter en présence des termes formels de la circulaire ministérielle : le Pouvoir civil nous reconnaît comme Association philanthropique, et nous impose en même temps l’obligation de nous soumettre aux lois qui régissent en France le droit de réunion.
M. le Préfet d’Ille-et-Vilaine fit prendre, près du vénérable de la loge, les mêmes renseignements qui avaient été demandés aux associations religieuses, charitables, ou de secours mutuels du département. Et les réponses qu’il obtint du vénérable durent l’éclairer, s’il ne l’était déjà, sur le caractère de notre Institution, caractère essentiellement philosophique et philanthropique, bien différent des autres associations du département31. »
34Mais avant de cesser ses fonctions, le prince Murat a mis en place pour assurer l’intérim une « Commission des Grands Conservateurs de l’Ordre », contre l’avis de son propre Conseil, qui se désolidarise immédiatement de cette initiative. C’est pourquoi le 2 décembre 1861, en même temps qu’elle reçoit l’arrêté du préfet d’Ille-et-Vilaine qui l’autorise à se réunir, la Loge approuve à l’unanimité une circulaire du Conseil du Grand Maître, qui « déclare illégale la constitution des soi-disant Conservateurs de l’Ordre, revendique pour lui-même la direction des affaires, et demande aux Loges de l’Obédience de faire acte d’adhésion à sa conduite ».
35C’est également la première fois dans l’histoire du Grand Orient qu’une structure interne revendique ainsi une légitimité fondée sur l’approbation des Ateliers pour justifier le contrôle, en particulier le contrôle financier, qu’elle entend exercer sur les actes d’un exécutif défaillant. Certaines Loges continuant à soutenir Murat, on est alors au bord du schisme. Après huit mois de crise, la rupture sera évitée par un décret signé le 11 janvier 1862 par « Napoléon, par la grâce de Dieu et la volonté nationale, Empereur des Français » – sans que l’on sache vraiment pourquoi il intervient ainsi, ni qui a pu lui souffler l’idée – et qui indique avec une concision toute militaire que « Son Excellence le maréchal Magnan est nommé Grand-Maître du Grand-Orient de France ». Car le nouveau Grand Maître n’est pas franc-maçon, et n’a jamais à ce que l’on sache porté le moindre intérêt à l’institution. On doit donc pour commencer l’initier immédiatement, à voyages forcés, du premier au 33e grade. « La Parfaite Union » accueille avec circonspection ce coup de théâtre :
« La Loge manifeste d’unanimes regrets sur le mode de nomination que le pouvoir civil a cru devoir choisir pour terminer le conflit qui s’était élevé entre le Grand Maître et la majorité des Loges de l’Obédience, représentées par le Conseil élu du Grand Maître.
Forcée de s’incliner devant un fait accompli qui est une atteinte à l’indépendance maçonnique, elle pense qu’il serait encore plus nuisible à la Maçonnerie de résister à ce fait, ou d’entrer en sommeil, que de continuer ses travaux, même sous la direction d’un Grand Maître nommé par le chef de l’État. Et elle espère que le Conseil du Grand Maître protégera les intérêts moraux et matériels de l’Ordre, et guidera le nouveau Grand Maître dans les mesures qui sont les plus nécessaires pour réparer le mal causé par l’ancienne administration32. »
36Comme l’un des tout premiers actes du nouveau Grand Maître est d’annuler les décrets de suspension prononcés par son prédécesseur contre des loges ou contre des frères tels que Jouaust, l’Atelier ne tarde pas à lui faire officiellement allégeance :
« Aujourd’hui que nous vous voyons faire tout d’abord appel au Conseil élu du Grand Maître, notre seul représentant légal et régulier depuis le 30 octobre 1861, et notre seul guide depuis cette époque, nous vous apportons notre adhésion, et l’assurance que vous trouverez en nous de bons et loyaux maçons, sur le concours desquels vous pouvez compter en suivant la ligne de conduite qui a signalé vos débuts dans la Grande Maîtrise33. »
37Le premier travail de la nouvelle équipe qui se met en place autour du maréchal Magnan va être de redresser les finances de l’Obédience. Jouaust en fait partie : il a en effet été élu le 12 juin 1862 au premier « Conseil de l’Ordre » de 33 membres, qui remplace à cette date l’ancien « Conseil du Grand Maître », par 113 voix sur 149 votants, ce qui fait de lui le mieux élu parmi les nouveaux arrivants. Il y sera plusieurs fois réélu par la suite. L’effort financier demandé aux ateliers va être à la mesure de la situation qu’ils découvrent :
« Par suite des actes déplorables des hommes qui ont administré nos finances sous l’ancienne Grande Maîtrise, des billets de complaisance, des renouvellements ruineux, et l’émission de papiers de circulation, avaient masqué la véritable situation financière qui, à la retraite de ces individus, s’est traduite par des protêts, des jugements, des poursuites en saisie immobilière sur l’hôtel du Grand Orient34. »
38Le Convent de 1862 décide donc que chaque loge devra souscrire un emprunt obligatoire « équivalent pour chacune d’elle au quadruple de ses cotisations temporaires annuelles, réalisable en deux ans et par quart, et remboursable en dix ans et par dixième ». Moyennant quoi le passif est apuré, et depuis lors le Grand Orient de France est toujours resté dans cet hôtel de la rue Cadet acquis par le prince Murat, dont la gestion dans d’autres domaines sensibles comme la philanthropie est également loin d’avoir été irréprochable, si l’on en juge par d’autres récriminations :
« Désormais nous nous conformerons strictement aux règlements, persuadés par ailleurs que, sous la nouvelle administration, les fonds des souscriptions ne seront plus détournés de leur destination comme cela a eu lieu pour les souscriptions en faveur de M. de Lamartine, du Temple de Genève, des victimes de Syrie, des blessés d’Italie35 ! »
39Mais cette crise a également montré la nécessité de procéder à une redéfinition du mode de fonctionnement du Grand Orient de France. Aussi dès le mois d’avril 1862, une circulaire met en chantier une révision générale de la Constitution de 1854. La contribution de « La Parfaite Union » va être à la mesure de son implication dans les événements qui ont abouti à cette proposition. Elle commence par fixer un cadre général, où l’on reconnaît sans peine la plume de Jouaust, avant de reprendre une à une, dans un texte de 27 pages manuscrites, l’ensemble des dispositions envisagées :
« Une Constitution doit formuler les principes obligatoires de la Maçonnerie ; organiser au sein de l’Ordre un gouvernement régulier, et fixer les attributions de chacun des pouvoirs qui concourent à la direction générale. Une Constitution est complétée par un corps de règlements, où doivent trouver place tous les détails qui dérivent des principes formulés dans la Constitution, toutes les mesures d’ordre et de finance, toutes les dispositions spéciales aux divers ateliers. La Constitution ne doit renfermer que des principes et des définitions.
L’œuvre du Convent de 5854, envisagée à ce point de vue, présente à la fois des lacunes et des longueurs. Des définitions manquent ; des principes ne sont pas clairement exposés ; des dispositions de détail y occupent une place importante, au lieu d’être reléguées dans le texte des Règlements. Il est essentiel que ces imperfections disparaissent dans la révision projetée36. »
40Ce qui n’est pas le cas dans le projet soumis à l’examen des loges en 1864. Dans le préambule d’un imprimé de 42 pages où elle détaille ses observations, « La Parfaite Union » trouve que « tout, ou presque tout », est à changer, « à commencer par le 1er titre et le 1er article » :
« Ce titre, vous le savez, traite, en termes généraux, de l’Ordre Maçonnique et des maçons. Son principal but, facile à découvrir à la première lecture, est uniquement de mettre la Maçonnerie à l’abri des défiances de l’Église et de l’État. Eh bien, grâce à des définitions que nous ne pouvons pas nous empêcher de qualifier de fausses, d’obscures et d’emphatiques, le but recherché n’est que peu ou pas du tout atteint. Est-il bien juste de dire, entre autres choses, que “l’Ordre des Francs Maçons a pour objet la bienfaisance, l’étude de la morale universelle et la pratique de toutes les vertus” ? Est-il bien vrai qu’en s’interdisant le terrain brûlant de l’actualité dans les questions politiques et religieuses, le Maçonnerie renonce à toute théorie élevée et philosophique sur des matières qui ne sont que l’application à la vie contemporaine de telle ou telle opinion37 ?»
41Elle propose de changer le texte pour une rédaction très proche de celle qui est aujourd’hui en vigueur :
« Art. 1er : La Franc-Maçonnerie est une institution philosophique et philanthropique, qui a pour but le progrès moral et matériel de l’humanité, et pour moyens, l’association de tous les hommes libres, sans distinction sociale, politique ou religieuse.
Cette association, soumise aux lois du pays, est en outre régie par la présente Constitution, et par des statuts généraux et particuliers.
Les symboles et leur explication pour atteindre le but proposé, sont les seuls secrets de la Franc-Maçonnerie. »
42Elle reprend ainsi la plupart des dispositions prévues, en exposant sur la page en regard la Constitution prévue et son propre projet. Le problème de la représentation des hauts grades, qualifiés sans aucune précaution oratoire de « cinquième roue du carrosse, en faveur desquels militent seuls l’aiguillon d’une gloriole un peu surannée, et les nécessités, – graves et positives celles-là, – de notre situation pécuniaire », est également résolu d’une manière définitive : « les Loges seules seront représentées aux assemblées du Grand Orient », afin de faire cesser l’anomalie de la sur-représentation des ateliers pouvant déléguer en plus le représentant d’un Chapitre de Rose-Croix ou d’un Consistoire de Chevaliers Kadosch.
43« La Parfaite Union » se trouve également être à l’origine d’une disposition réglementaire bientôt adoptée, et qui sera par la suite copiée par toutes les autres Obédiences maçonniques : l’instauration d’un « fichier des refusés », que le développement récent de la Poste et du Télégraphe rend maintenant possible. Un incident banal la pousse à réagir :
« Un profane (acteur lyrique) du nom de Albert Séguin, né à Boulogne-sur-Mer le 12 mai 1832, s’est fait présenter à notre Loge. Grâce à des renseignements bien pris quoique difficiles à obtenir, la conduite immorale du profane dans diverses circonstances importantes a été connue, et l’a fait repousser. S’il se présente à une autre loge, ou plus complaisante, ou moins heureuse que la nôtre sur les renseignements à prendre, ce profane sera admis dans notre famille !… N’y aurait-il pas moyen que l’on centralisât au Grand Orient les renseignements concernant les profanes refusés, et que toute Loge, avant d’admettre un profane à l’initiation, fût astreinte à écrire à Paris pour savoir si le nom du candidat ne figure pas sur le registre tenu ad hoc au Grand Orient38 ? »
44Les progrès dans les télécommunications font évoluer la pratique maçonnique, de même que les développements des transports maritimes à vapeur et du chemin de fer donnent à la fraternité l’occasion de se manifester d’une façon plus tangible que par l’échange de tableaux de loges ou la désignation de garants d’amitiés. Les ateliers éprouvent le besoin de se réunir par secteurs géographiques, et d’une manière moins formelle que lors des assemblées annuelles à Paris. Le premier « Congrès des Loges de l’Ouest », à l’initiative des loges de l’actuelle région Poitou-Charentes, se réunit à la Pentecôte de 1845 à La Rochelle39. Il rassemblera progressivement les frères des Pays de Loire et de Bretagne : c’est ainsi que « La Parfaite Union » décide de participer en 1870 au Congrès organisé à Poitiers par « Les Amis Réunis ». Auparavant, le printemps 1865 avait vu l’inauguration de la ligne Paris-Brest, et « La Parfaite Union » ne manque pas à cette occasion de demander à l’Obédience l’autorisation de se joindre à la loge des « Élus de Sully » pour fêter l’événement – par suite d’une avanie faite à son vénérable lors de l’Assemblée générale de 1854, l’atelier brestois avait à cette époque quitté le giron du Grand Orient pour rejoindre le Suprême Conseil Écossais40. Et elle l’invite bien entendu à venir fêter, comme tous les autres Orients de Bretagne, et les maçons des îles anglo-normandes, avec lesquels elle entretient alors des liens étroits41, la prochaine fête solsticiale à Rennes. Cette manifestation marquera l’apogée de la Loge sous le Second Empire, rassemblant plus d’une centaine de frères et les vénérables des « Élus de Sully » à Brest, « Césarée » à Jersey, « Doyles Lodge N° 84 » à Guernesey, « Nature et Philanthropie » à Lorient, « La Bienfaisante » à Saint-Malo, « Mars et les Arts » et « Paix et Union » à Nantes, et « La Constance » à Laval ».
45C’est cette année-là que paraît, sans nom d’auteur, L’Histoire du Grand Orient de France42. Dans cet ouvrage où Jouaust revient systématiquement aux sources manuscrites ou imprimées – il n’hésite pas par exemple à en suspendre le tirage en demandant par dépêche télégraphique à Paris la communication d’un document important dont la présence dans les archives de l’Ordre vient de lui être signalée43 – son ambition originelle est de « refondre l’ouvrage de Thory sur la fondation de cet important gouvernement maçonnique ; en redresser les nombreuses erreurs ; continuer son récit jusqu’à nos jours. En un mot publier dans le format portatif d’une édition populaire un livre qui soit le vade-mecum de toute Loge française ». La parution concomitante de L’Histoire des Trois Grandes Loges du F∴ Emmanuel Rebold entraîne une polémique parfois acide entre les deux historiens, mais le livre est salué dans le Bulletin du Grand Orient comme « un travail complet d’une irréprochable exactitude, une histoire impartiale », tandis que la revue Le Monde Maçonnique le décrit comme « l’un des écrits les plus sérieux qui aient été publiés, jusqu’à ce jour, sur l’histoire de la Maçonnerie ».
46Cependant « La Parfaite Union » ne se préoccupe pas seulement de l’histoire du Grand Orient de France. L’examen de ses « livres d’architecture » montre au contraire une loge consciente aussi bien des problèmes de société – l’ensemble des frères présents signent par exemple une pétition contre la peine de mort, adressée au Sénat par la rédaction du journal La Croix44 – que des enjeux et des conflits de l’époque, même si l’exigence de stricte neutralité politique limite son expression. On ne s’étonne donc pas de retrouver dans cet atelier fondamentalement agnostique l’écho de préoccupations directement liées au problème de la liberté de conscience, dans un pays où le catholicisme est toujours religion d’État :
« Le F∴ Morhéry entretient ensuite la Loge de la position difficile des pères de famille qui envoient leurs enfants dans les lycées, où les règles suivies pour astreindre les élèves à l’accomplissement des devoirs religieux de la religion catholique se trouvent en désaccord avec les principes de la liberté de conscience, et blessent les sentiments de certains. Il ajoute qu’il se trouve dans cette situation délicate, et qu’au besoin il s’appuiera sur la Loge pour faire respecter les principes de la liberté de conscience. Le Vénérable lui assure qu’il peut compter sur notre intérêt et notre sympathie, et que nous désirons comme lui le triomphe des principes qu’il évoque45. »
47Ou encore :
« Le F∴ Lebreton, membre honoraire de notre Atelier, nous expose qu’il est dans la décision formelle de mourir et d’être enterré en dehors de tout rite religieux, et qu’il désire que trois frères désignés pour cette mission soient chargés de faire exécuter ses dernières volontés46. »
48En novembre 1865, Jouaust publie dans Le Monde Maçonnique un article intitulé « L’Excommunication » où il répond aux « remontrances respectueuses » que des maçons lyonnais viennent d’adresser publiquement au pape Pie IX, qui vient une fois de plus de condamner la Franc-Maçonnerie, dans un bref adressé à Mgr Darboy, archevêque de Paris, qui avait présidé aux funérailles du maréchal Magnan. Le F∴ Pierre Larousse n’a pas résisté, dans son Grand Dictionnaire du XIXesiècle, à reproduire dans l’article qu’il consacre à l’ecclésiastique fusillé par la Commune la volée de bois vert que le pape lui administre, et sa violente diatribe contre les sociétés maçonniques :
« Ces sectes d’impiété diverses de nom, liées pourtant entre elles par la complicité néfaste des plus cruels desseins, enflammées de la plus noire des haines contre notre sainte religion et le Saint-Siège apostolique, s’efforcent tant par des écrits pestilentiels distribués au loin et dans tous les sens que par des manœuvres perverses et toutes sortes d’artifices diaboliques, de corrompre partout les mœurs et l’esprit, de détruire toute idée d’honnêteté, de vérité et de justice, de répandre en tous lieux des opinions monstrueuses, de couver et de propager des vices abominable et des scélératesses inouïes ; d’ébranler l’empire de toute autorité légitime, de renverser, si cela était possible, l’Église catholique et toute société civile, et de chasser Dieu lui-même du ciel. »
49L’outrance de ce discours apparaît d’autant plus manifeste lorsqu’on le compare au Code Maçonnique du F∴ Carré*, Vénérable de « La Parfaite Union » sous la Restauration, et dont l’Atelier vient de décider la réimpression47. Mise à part la référence au Grand Architecte de l’Univers, on ne voit pas ce que le plus rigoriste des directeurs de conscience pourrait y trouver à redire :
« Adores la G∴ A∴ de l’Un∴ – Aimes ton prochain – Ne fais point de mal – Fais du bien – Laisse parler les hommes – Le vrai culte du G∴A∴ consiste dans les bonnes mœurs : fais donc le bien pour l’amour du bien lui-même – Tiens toujours ton âme assez pure pour paraître dignement devant le G∴A∴ de l’Un∴ qui est Dieu – Aime les bons, plains les faibles, fuis les méchants, mais ne hait personne – Parles sobrement avec les grands, prudemment avec tes égaux, doucement avec les petits, tendrement avec les pauvres – Ne flattes point ton frère, c’est une trahison ; si ton frère te flatte, crains qu’il ne te corrompe – Écoutes toujours la voix de ta conscience – Sois le père des pauvres, chaque soupir que ta dureté leur arrachera augmentera le nombre de malédictions qui tomberont sur ta tête – Respecte l’Étranger voyageur, aides sa personne sacrée pour toi – Évites les querelles, préviens les insultes, mets toujours la raison de ton côté – Respectes les femmes, n’abuse jamais de leur faiblesse, et meurs plutôt que de les déshonorer – Si le G∴ A∴ de l’Un∴ te donne un fils remercie-le, mais tremble sur le dépôt qu’il te confie. Sois pour cet enfant l’image de la divinité. Fais que jusqu’à 10 ans il te craigne, que jusqu’à 20 ans il t’aime, que jusqu’à la mort il te respecte – Jusqu’à 10 ans soit son maître, jusqu’à 20 ans soit son père, jusqu’à la mort soit son ami – Penses à lui donner de bons principes plutôt que de belles manières ; qu’il te doive une doctrine éclairée plutôt qu’une frivole élégance, fais le honnête homme plutôt qu’habile homme – Si tu rougis de ton état c’est orgueil, songes que ce n’est pas ta place qui t’honore ou te dégrade, mais bien la façon dont tu l’exerces – Lis et profites – Vois et imites – Réfléchis et travailles – Rapportes tout à l’utilité de tes FF∴, c’est travailler pour toi-même – Sois content partout, de tout et avec tout – Ne juges pas légèrement les actions des hommes ; ne blâmes point et loues encore moins : c’est au G∴ A∴ de l’Un∴ qui sonde les cœurs, à apprécier son ouvrage. »
50Dans l’article qu’il lui a consacré dans L’Encyclopédie de la Franc-Maçonnerie, Alain Berheim résume ainsi l’intervention de Jouaust dans le débat :
« Il leur rappelle les excommunications qui se sont succédées depuis 1738, et leur montre qu’en raison des expressions qu’il contient – “recherche de la vérité”, “morale universelle”, “liberté de conscience” – le premier article de la Constitution du Grand Orient de France est triplement critiquable aux yeux de l’Église romaine. Il conclut en constatant que “la papauté ayant des opinions directement contraires aux nôtres sur les mêmes questions”, il est complètement inutile de répondre à ses attaques48. »
51Jouaust fait également partie de la minorité qui au Convent de 1867 lance la première attaque contre la référence au « Grand Architecte de l’Univers », en demandant que cette mention soit supprimée de l’en-tête obligatoire des planches maçonniques. Cette proposition est repoussée par 180 voix contre 67, mais on ne s’étonne pas de voir les frères de « La Parfaite Union » appuyer unanimement deux ans plus tard la demande d’un Convent extraordinaire, en réponse à la convocation d’un Concile œcuménique à Rome par le même Pie IX :
« Les soussignés considérant que dans les circonstances présentes, en face du Concile œcuménique qui va s’ouvrir, il importe à la Franc-Maçonnerie d’affirmer solennellement les grands principes du droit humain universel qui sont sa base et sa gloire ;
Invitent le Très Illustre Grand-Maître et le Conseil de l’Ordre à convoquer, le 8 décembre prochain, un Convent extraordinaire des délégués des Ateliers de l’Obédience, de ceux des autres rites et des Orients étrangers, pour élaborer un manifeste qui soit l’expression de cette affirmation49. »
52La conscience du rôle central de l’instruction primaire dans le développement de la laïcité s’exprime dès 1867 au travers d’une souscription annuelle à « L’œuvre de développement de l’Instruction primaire », et deux ans plus tard à la « Ligue de l’Enseignement » du F∴ Jean Macé. De plus, la Loge soutient directement l’école municipale de la ville :
« Le F∴ Pontallié rend compte de ses démarches et de la réponse qui a été faite à ses ouvertures près des professeurs pour favoriser l’enseignement laïque dans notre Orient. Le Directeur de l’école dite de la Halle aux Toiles a fait connaître que les fournitures nécessaires à chaque élève constituaient une dépense moyenne et annuelle de 10 F. Il donne lecture d’une liste de 10 élèves présentée par le directeur. Cette liste est examinée, approuvée et votée par la Loge. Une famille du quartier où est située la Loge réclame notre concours pour faire entrer ses trois enfants à l’école de la Halle aux Toiles. Cette demande est accordée sous la réserve de la fixation ultérieure, par la Loge, de la somme à consacrer à cette œuvre ainsi qu’à l’admission d’un plus grand nombre d’élèves. »
53En février 1870, la Loge adressera de même une lettre de félicitations au F∴ Keratry50, qui a proposé à la Chambre des Députés l’expulsion des Jésuites de France. Les événements de la politique étrangère franchissent également la porte du Temple, si les protagonistes sont des francs-maçons notoires dont l’action conforte la tonalité résolument libérale de l’Atelier. Elle accompagne ainsi Garibaldi dans la suite de son épopée, et pleure la mort d’Abraham Lincoln :
« Le F∴ Jouaust propose à la Loge de tirer une triple et chaleureuse batterie en témoignage d’affection et de sympathie au F∴ Garibaldi prisonnier et blessé. Il dit que cette proposition est étrangère à la politique, et qu’il lui semble que la Loge qui, il y a deux ans, accompagnait le F∴ Garibaldi de ses vœux lorsqu’il descendait en Sicile, ne peut refuser de compatir à la douleur morale et physique qu’éprouve aujourd’hui cet illustre et généreux frère51. »
« Sur la proposition du F∴ Jouaust, la Loge pour manifester les sentiments de tristesse que lui inspire la mort funeste du F∴ Abraham Lincoln, président des États-Unis, tire une batterie de deuil en l’honneur de cet illustre frère52. »
54Elle ne se contente pas d’ailleurs de cet hommage symbolique, mais fait parvenir à un comité parisien qui s’occupe de l’amélioration du sort des esclaves Noirs affranchis par la victoire des armées nordistes la somme non négligeable de 633 F :
« Le F∴ Jouaust expose que l’Amérique ne peut suffire aux besoins de ces nouveaux citoyens, au nombre de quatre millions et demi, qu’un comité établi à Paris pour leur venir en aide sollicite l’appui moral et matériel de tous les hommes de bonne volonté pour coopérer à cette tâche, d’ailleurs véritablement maçonnique53. »
55L’unité italienne réalisée, la partition des États-Unis conjurée, c’est un autre problème qui surgit alors en Europe, celui de l’unité allemande sous l’égide de la Prusse dirigée par Bismarck. Elle va se faire par la force de l’armée prussienne, aux dépens des deux puissances qui pouvaient y mettre obstacle, l’Autriche et la France, et aux dépens du droit des peuples. En 1866, la victoire de Sadowa sur l’Autriche aboutit à la formation de la Confédération de l’Allemagne du Nord, réveillant le vieil antagonisme franco-allemand. Dès ce moment la guerre paraît inévitable : dans un effort pathétique face aux enjeux politiques, des francs-maçons des deux pays vont tenter de la conjurer. En 1866, Jouaust a été nommé membre correspondant de « L’Union des Francs-Maçons Allemands », qui tient l’année suivante à Worms un congrès où elle présente un projet de Constitution Universelle « pour tous les pouvoirs maçonniques » :
« Ce projet m’a été adressé avec un manifeste destiné à expliquer aux Grands Orients et aux Grandes Loges le but du travail de nos frères de l’Union allemande. C’est par mon intermédiaire que l’Union allemande désire que son manifeste et son projet de Constitution universelle parviennent au Grand Orient de France. Je me suis senti très honoré de cette mission, et dès que j’ai eu le temps nécessaire pour traduire les documents allemands qui me sont parvenus, je me suis mis en mesure de vous présenter l’œuvre sérieuse méditée par l’élite de la maçonnerie allemande54. »
56Il envoie donc à Paris, en demandant son insertion dans le Bulletin du Grand Orient, sa traduction du « Manifest an alle Grosslogen des Erdenrund » (Manifeste à toutes les Grandes Loges de l’Univers), qui reprend une thématique aussi constante qu’utopique au sein de la Franc-Maçonnerie :
« Il nous paraît superflu de vous faire remarquer combien il serait désirable et avantageux pour notre institution comme pour l’humanité que toutes les Grandes Loges se tendissent la main, afin de convoquer des congrès maçonniques internationaux, d’où émaneraient des comités administratifs dirigeant l’association entière (Grande Loge Universelle).
Quelque hardie que paraisse une semblable idée, sa réalisation n’est plus une utopie, depuis que les moyens de communication se sont multipliés de toute part, depuis que les peuples se sont rapprochés, et que grâce aux Expositions universelles, une telle pensée s’est en quelque sorte incarnée. Ce qui a été possible pour les intérêts matériels doit être également atteint lorsqu’il s’agit des intérêts moraux et matériels de l’humanité. »
57Il se heurte à une fin de non-recevoir qui n’a rien de surprenante, l’Obédience étant alors présidée par le général Émile Mellinet, élu Grand Maître en 1865 suite à la mort du maréchal Magnan. L’heure n’est pas à ce genre de rapprochements :
« Ce manifeste contient certainement, dans quelques unes de ses parties, des dispositions d’une application générale. Mais il faut bien reconnaître aussi que dans toute l’économie du projet il y a tendance à un nivellement universel que les grands corps maçonniques, dans chaque État particulier, pourraient considérer comme une atteinte portée à leur indépendance. Or nous avons à nous montrer soucieux de la liberté des Grands Orients étrangers comme de notre liberté propre ; à tenir compte de leur susceptibilité ; et à respecter chez eux comme chez nous le sentiment national.
Le Bulletin, par cela même qu’il est un organe officiel, ne saurait donc sans inconvénient se faire l’écho des aspirations de l’Assemblée maçonnique de Worms et leur donner l’appui de sa notoriété sinon de son autorité55. »
58La guerre franco-prussienne de 1870 va surprendre l’Atelier en plein travail. Le 18 juillet, au début de la Tenue, le Vénérable annonce le départ « subit et inexpliqué » du F∴ Jean-Baptiste Thirion, maréchal des logis au 7e régiment d’artillerie, parti la veille en laissant une lettre dans laquelle il demande à la Loge « de garder de lui un bon souvenir, et de veiller sur sa jeune fille ». Un planton vient peu de temps après rechercher les frères Auguste Pierrart et Armand Duquesnoy, l’un adjudant et l’autre maréchal des logis-chef dans le même régiment : « rappelés par leur service, ils sont obligés de couvrir le Temple ». En fait la guerre a été déclarée le 17 juillet, mais sera notifiée seulement le 19, et les mouvements de troupes ont déjà commencé. Le F∴ Thirion a été ainsi envoyé à Belfort : il sera promu sous-lieutenant au mois d’octobre, et participera au célèbre siège qui prendra fin le 29 janvier suivant. Les militaires de « La Parfaite Union » seront dispersés avec la déroute de l’armée française, mais ne cesseront pas d’écrire à leur Atelier : ainsi le F∴ Pierrart se retrouvera plus tard interné en Suisse avec l’armée de Bourbaki, deux autres prisonniers de guerre en Allemagne, et un troisième replié à Vendôme avec l’armée de la Loire. Le F∴ Nicolas Deloisy, sergent-major au 8e bataillon de chasseurs à pied au début de la guerre, commande l’année suivante un bataillon de mobiles d’Ille-et-Vilaine, et meurt après l’armistice au camp de Conlie dans la Sarthe.
59Les hostilités commencent le 2 août. La veille, le Vénérable Louis Guillot avait encore donné lecture en loge d’une planche circulaire des « Enfants de Gergovie » à Clermont-Ferrand, « demandant que la Maçonnerie française propose à toutes les Loges d’Allemagne de resserrer plus que jamais notre Chaîne d’Union, en leur envoyant un baiser fraternel ». La revendication de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine suite à la défaite va définitivement couper les ponts entre les Maçonneries des deux pays. Dès novembre 1870, le Grand Orient réagit à l’agression allemande :
« Une circulaire du Grand-Maître nous expose que la Maçonnerie a dû frapper de sa réprobation les frères Guillaume, roi de Prusse, et son fils le Prince royal, et les déclarer indignes d’appartenir à la grande famille maçonnique. Le Grand-Maître propose de réunir un Convent à l’Orient de Bordeaux pour proclamer leur indignité56. »
60La portée symbolique d’une telle condamnation ne doit pas être sous-estimée, pas plus que l’attitude de la loge de Strasbourg qui se dissoudra, « préférant le sommeil à l’obéissance à la Grand Maîtrise prussienne57 ». Elle sera confortée l’année suivante par une initiative de « La Philosophie Cosmopolite » de Nice, suite au traité de Francfort qui entérinait l’annexion :
« Le Vénérable donne lecture d’une planche de La Philosophie Cosmopolite à l’Orient de Nice, déclarant qu’à la fin de chaque Tenue il sera tiré une batterie de deuil comme marque de sympathie en faveur de nos frères d’Alsace et de Lorraine. La Loge, sur les conclusions du frère Orateur, décide que cette batterie sera tirée à cet effet à chacune de nos réunions58. »
61Comme les autres loges françaises, « La Parfaite Union » terminera ainsi chacune de ses tenues jusqu’en août 1914. Et le Congrès régional des Loges de l’Ouest, comme les autres congrès régionaux réunis annuellement, ajoutera aux batteries rituelles une triple batterie supplémentaire avec l’acclamation : « France – Alsace – Lorraine ».
Notes de bas de page
1 AR 113/1/1320. Les comptes rendus des tenues entre le 28 décembre 1844 et le 29 juillet 1851, date de l’inauguration du nouveau Temple, sont résumés au début de ce volume.
2 Ainsi, en tant que membres du gouvernement provisoire, Crémieux, Garnier-Pagès et Marrast reçoivent, revêtus de leur cordon de Maître, une délégation maçonnique des loges de Paris venue féliciter le nouveau pouvoir. À ce propos on peut noter que la « campagne des Banquets », qui débute le 9 juillet 1847 suite à l’interdiction des réunions politiques par le gouvernement, et qui aboutira à la chute de Louis-Philippe, n’a pas eu d’écho à Rennes, ce qui donne une bonne indication sur l’état d’esprit politique de la ville.
3 L’Auxiliaire Breton, 26 février 1848.
4 Le Conciliateur, 7 décembre 1851.
5 AR, documents divers. Le texte intégral de cette déclaration est reproduit par Pierre Chevallier dans son Histoire de la Franc-Maçonnerie française, tome 2, p. 324-326. Il se réfère à une publication antérieure ainsi qu’à un recueil factice de la Bibliothèque nationale. Il est intéressant de constater que cette initiative parisienne a été connue en province. Les exemplaires présents dans les « archives russes » de La Parfaite Union semblent d’ailleurs être les derniers originaux existants.
6 Il revient en France en 1859 : « Le Vénérable adresse des paroles de bon accueil et de fraternité au T∴C∴F∴ Marétheux, enfant de la Loge, qui avait été exilé par suite de faits politiques, et qui profite aujourd’hui de l’amnistie pour revoir son pays et ses frères en Maçonnerie. », AR 113/1/1321, 9 octobre 1859.
7 AR 130/1/1321, 26 décembre 1858.
8 AR, documents divers.
9 Une autre adresse donne « Levée des Incurables, n° 4 ».
10 Circulaire du 9 mars 1851.
11 AR, documents divers.
12 FM2 775, 23 juillet 1854.
13 L’Obédience recevant en moyenne 24 demandes de ce type par an, propose aux 300 ateliers de pratiquer une contribution annuelle de 6 F par membre actif pour les satisfaire. Mais il ne s’agit encore que d’une proposition, non d’une obligation.
14 FM2 775, 6 septembre 1852.
15 « Rapport sur les travaux de la Loge de La Parfaite Union, à l’O∴ de Rennes, en réponse aux questions posées par le T∴I∴G∴M∴ dans son décret du 14 août 1856. » Sur l’ensemble des rapports renvoyés à Paris, quatorze recevront de la part du Conseil du Grand Maître une « mention honorable », dont le rapport de La Parfaite Union.
16 Article 1er du projet : « Il est établi au Grand Orient de France, sous sa surveillance ainsi que sous la surveillance de toute députation de loge nommée à cet effet, un comité chargé d’administrer le fonds de Secours maçonnique. »
17 FM2 775, 15 décembre 1858.
18 Ainsi qu’en témoigne le compte-rendu de la cérémonie, dont la séquence démarque pas à pas celle d’un baptême chrétien : « Le Vénérable consulte alors l’Atelier, et lui demande d’accorder au lowton la faveur de la première initiation. L’assentiment étant unanime, le Vénérable fait donner l’entrée du Temple au cortège, qui s’avance au son d’une marche religieuse. L’enfant, porté par deux frères, est assis sur un brancard drapé d’une étoffe blanche semée d’étoiles d’argent, et frangée de même. il est vêtu de blanc, et porte sur la tête une couronne de roses blanches. À côté de lui sont le frère Jouaust son père, et les frères Guillot et Louveau ses parrains, portant l’un la règle, l’autre le compas, ornés de fleurs et de rubans.
Le Vénérable interroge les parrains sur leurs intentions en présentant l’enfant à la loge, leur trace le tableau des obligations que leur imposeront désormais leurs fonctions, et leur fait promettre de les remplir. Le Vénérable fait approcher l’enfant de l’autel, lui adresse une allocution philosophique à laquelle les parrains répondent au nom de l’enfant. Il lui répand de l’eau sur les mains, lui présente du pain et des fruits, lui ôte et lui remet la couronne, le prend entre ses bras et le montre à l’assemblée, pour que les frères le bénissent et jurent de l’aimer et de la protéger. » (AR 113/1/1321, 13 septembre 1858).
19 Philippe Dupin, avocat à Paris, désigné en 1826 comme le représentant de La Parfaite Union auprès du Grand Orient, se voit récusé par l’Obédience comme porteur de hauts grades délivrés par le Suprême Conseil Écossais concurrent. La Loge maintenant son choix, le contentieux durera jusqu’en 1830.
20 Idem, lettre retranscrite dans le compte-rendu de la tenue de fête solsticiale du 10 juillet 1859.
21 FM2 775, 23 janvier 1860.
22 Id., 27 mars 1860.
23 AR 113/1/1321, 8 janvier 1860.
24 C’est ainsi qu’il est nommé en mars 1862 membre affilié libre de La Fraternité des Peuples, l’une des loges les plus influentes de Paris.
25 Id., 15 avril 1861.
26 Id., 4 juin 1860.
27 Luc Pierre Riche-Gardon, éditorial du Journal des Initiés, mars-avril 1861.
28 Rapport préliminaire au décret du 14 mars 1861 par le F∴ Rexès, représentant particulier du Grand-Maître.
29 AR 113/1/1321, 17 mai 1861, Imprimé joint au CR de la Tenue : « Protestation de la Loge de Rennes contre le décret du G∴M∴ du 14 mai 1861 ».
30 AR 113/1/1321, 21 octobre 1861.
31 En fait le maire de Rennes répondit au questionnaire concernant les associations de la ville, mais ne fit pas mention de la Loge. Le Vénérable Guillot fut alors convoqué au commissariat central. Le procès-verbal de la tenue du 4 novembre 1861 donne en annexe, « comme curiosités pour l’avenir : 1°) Le questionnaire adressé à M. le Maire de Rennes 2°) La liste des associations signalées par cet administrateur à M. le Préfet ». Sont recensées 23 associations, dont 12 sociétés de secours mutuel – ouvriers menuisiers, couvreurs, maçons, charpentiers, tailleurs de pierre, cordonniers, tanneurs, tailleurs d’habits et médecins –, les autres étant des associations caritatives catholiques, dont « L’Œuvre des Pauvres Honteux ».
32 AR 113/1/1321, 20 janvier 1862.
33 Id., 27 janvier 1862.
34 FM2 775, Circulaire du 23 juillet 1862, adressée à tous les membres de La Parfaite Union, avec copie au Grand Orient.
35 FM2 775, 19 février 1862.
36 FM2 775, « Projet de révision de la Constitution maçonnique de 5854, sur l’Organisation des Pouvoirs, présenté au G∴O∴D∴F∴ par la R∴L∴ de La Parfaite Union, Orient de Rennes ».
37 FM1 92 bis.
38 FM2 775, 19 février 1862. Cette disposition entrera en vigueur le 1er janvier 1868. Toujours en usage, ce « fichier des refusés », maintenant informatisé, a vu en 1993 sa durée de vie ramenée à dix ans, pour satisfaire aux recommandations de la Commission Nationale Informatique et Libertés.
39 Yvon Chené, « Petite histoire des Congrès de la région Ouest », in Le Guide des Loges de l’Ouest, 2e édition 6003.
40 Id., 6 avril 1865.
41 Le 17 janvier 1870, le Vénérable Louis Guillot sera nommé membre honoraire ad vitam des sept loges de Jersey (AR 113/1/1322).
42 Histoire du Grand Orient de France : Rennes, Brisard, libraire, et Paris, Teissier, libraire, 1865. Réédité en 1989 : Paris, Éditions Télètes, avec un avant-propos et des notes par Alain Bernheim.
43 Il s’agit du « Tableau général de tous les Vén∴ Maîtres de Loges tant de Paris que de la province régulièrement constituées par la Grande Loge de France sous les auspices du R∴ Grand Maître de l’Ordre S. A. S Louis de Bourbon, comte de Clermont, prince du sang et de son substitut général le R∴ F∴ Chaillon de Joinville, le 1er janvier 1765 », FM2 775, 30 septembre 1864. La pièce lui sera envoyée le jour même, et il la retournera cinq jours plus tard.
44 AR/113/1/1321, 7 mars 1864.
45 Id., 4 juillet 1858.
46 AR 113/1/1322, 21 septembre 1868.
47 AR 113/1/1321, 7 juillet 1862.
48 Encyclopédie de la Franc-Maçonnerie, sous la direction d’Eric Saunier, Le Livre de Poche, 2000, p. 455-456.
49 FM2 775, 15 septembre 1869. La mesure fut repoussée par la majorité des Loges. Seuls quelques maçons se rendirent à Naples, à titre individuel, pour assister à l’Anti-Concile.
50 Émile de Kératry, ancien militaire, élu député du Finistère en 1869. Membre actif du Tiers Parti, il vote la guerre à la Prusse. Nommé général de division par Gambetta, il quitte Paris en ballon en 1870 pour organiser l’armée de Bretagne au camp de Conlie. Préfet de Haute-Garonne, puis des Bouches-du Rhône en 1871, il s’oppose sévèrement au parti républicain et démissionne en août 1872.
51 AR 113/1/1321, 1er septembre 1862.
52 Id., 15 mai 1865.
53 AR 113/1/1322, 11 janvier 1866.
54 FM2 775, 27 août 1867.
55 Id., brouillon de réponse du Grand Orient au F∴ Jouaust.
56 AR 113/1/1322, 21 novembre 1870.
57 Id., 4 novembre 1872.
58 Id., 7 août 1871.
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