Chapitre 7. Libéraux et réfugiés politiques sous la Restauration et la monarchie de Juillet
p. 175-206
Texte intégral
1Depuis la stabilisation de l’institution dans les années 1770, la pratique de la Franc-Maçonnerie suppose l’organisation de réunions généralement bimensuelles dans un lieu clos et gardé, le Temple, où se retrouve le groupe des frères composant la loge, qui ont dû passer par une procédure d’admission nécessitant enquêtes préalables et vote à bulletins secrets, avant de subir les épreuves rituelles d’initiation, et de prêter le serment de ne rien divulguer ni sur les activités internes de l’atelier, ni sur l’identité de ses membres. Le simple énoncé de ce cahier des charges indique assez l’incompatibilité structurelle existante, hier comme aujourd’hui, entre la Franc-Maçonnerie et un pouvoir despotique, sans même parler des dictatures brunes ou rouges pour lesquelles une telle forme d’association est tout simplement inconcevable. Sous l’Ancien Régime, la Franc-Maçonnerie s’abrite derrière des protecteurs puissants et haut titrés, auxquels l’administration royale se heurte régulièrement lorsqu’elle veut sévir. La liberté de s’assembler est bien sûr un des acquis de la Révolution, jusqu’à l’épisode de la Terreur qui met fin à toute forme de réunion privée. Sous le Directoire et le Consulat les frères se réunissent de nouveau sans contrainte, mais le Code pénal que promulgue Napoléon en 1810 contient un article 191 qui va peser sur le devenir de la Franc-Maçonnerie, comme d’ailleurs sur l’ensemble la vie associative en France, jusqu’à son abrogation et son remplacement par la célèbre loi de 1905 :
« Nulle association de plus de vingt personnes, dont le but sera de se réunir tous les jours ou à certains jours marqués pour s’occuper d’objets religieux, littéraires, politiques ou autres, ne pourra se former qu’avec l’agrément du gouvernement et sous les conditions qu’il plaira à l’autorité publique d’imposer à la société. »
2Comme un atelier maçonnique comporte généralement plus de vingt membres et qu’il se réunit périodiquement, il est donc directement visé par l’article précédent, même si l’imbrication politique et militaire de la Franc-Maçonnerie et des sphères du pouvoir sous le premier Empire est telle que la clause d’agrément gouvernemental reste plus théorique que réelle. Il n’en va plus de même lorsque les Bourbons remontent sur le trône : non seulement le gouvernement constitué en septembre 1815 se garde bien de changer quoique ce soit au texte ci-dessus, mais un de ses premiers actes est de demander à chaque préfet un rapport sur les activités associatives dans son département. Celui du sous-préfet de Rennes, remis le 17 octobre 1815 à son supérieur direct, le comte d’Allonville, préfet d’Ille-et-Vilaine, mérite d’être reproduit :
« Dans un temps de Révolution, à une époque où les esprits fermentent, dans un lieu où deux partis sont pour ainsi dire en présence, toute réunion publique, toute association de citoyens sous le titre de société littéraire est infiniment dangereuse. Elle peut devenir le foyer d’une entreprise contre le gouvernement, l’atelier d’une conspiration. A Rennes il y a trois sociétés de ce genre, l’une connue sous le nom de Société de l’Amitié et établie à l’angle sud-ouest de la place du Palais ; la Chambre littéraire établie rue de Bourbon, et celle des francs-maçons au Colombier.
La Société de l’Amitié ne peut être dangereuse, attendu qu’il est de notoriété publique que les deux tiers de ses membres sont fermement attachés à la cause du Roi. Mais il n’en est pas ainsi quant aux deux autres, qui a bien dire n’en font qu’une. Sur cent individus qui composent la Chambre littéraire, à peine pourrait-on en extraire une douzaine dont les opinions seraient favorables au Gouvernement. Dans le surplus il ne peut compter que des ennemis déclarés et fougueux. En effet il suffit de citer ses chefs : Richelot, sous-inspecteur des forêts ; Rouessard, ancien payeur de la Guerre ; Gaillard de Kerbertin fils, avocat ; Malherbe, l’un des présidents de la Cour ; Delaunay père, ancien procureur à la cour ; Delaunay fils, juge au tribunal de première instance ; Pontallié, directeur des Contributions ; Auger du Grand Bois, ex administrateur, etc., etc. Tous ces hommes sont des créatures du ci-devant ministre Defermont et ses agents secrets à Rennes. Rouessard a été un des moteurs de la Fédération bretonne, il a été revêtu du titre de vice-président. Presque tous les membres de la Chambre littéraire ou sont fédérés, ou ont des enfants dans cette Fédération. Rouessard est membre de la société des maçons ainsi que Richelot et beaucoup d’autres.
Cette Chambre jadis composée d’hommes recommandables par leurs lumières et leurs vertus ne fit-elle pas ombrage à Carrier et ses adhérents ? Eh bien pourquoi ne ferions-nous pas ce que l’on fit alors : on scella la Chambre après un inventaire plutôt inquisiteur que scrupuleux et l’on conduisit tous ses membres dans la prison de cette ville1. »
3Si on est quelque peu surpris de voir un sous-préfet de la Restauration prendre pour référence l’un des plus sanguinaires parmi tous les révolutionnaires, il n’en reste pas moins vrai que le protocole suggéré à l’autorité est particulièrement explicite. Ses renseignements concernant les accointances des personnes citées avec l’ex Fédération Bretonne2 sont exacts : il est vrai qu’il s’agit là d’une activité politique qui s’est manifestée publiquement. Dans l’effervescence qui a marqué les Cent-Jours, ce mouvement fédératif breton, dont l’intitulé fait référence à la précédente Fédération Bretonne de 1790 dirigée par Jean Victor Moreau*, s’est en effet voulu comme un soutien actif à un empire libéral contre la réaction bourbonienne. Le pacte signé à Rennes le 24 avril 1815 fédère « tous les bons français des cinq départements de la Bretagne, pour la défense de la patrie, de sa liberté, de ses constitutions et de l’Empereur ». Le mouvement s’est alors étendu vers la Normandie et les pays de Loire, mais a été évidemment stoppé net par la défaite de Waterloo le 18 juin. Par contre, comme souvent en pareil cas, les informations sur leurs activités maçonniques ne sont pas à jour : Malherbe et Auger du Grand Bois n’ont jamais été maçons ; Fidèle Marie Gaillard de Kerbertin*, l’un des commissaires rennais de cette Fédération, ne sera reçu à « La Parfaite Union » que cinq jours plus tard ; quant à Louis René Richelot, sous-inspecteur des Eaux et Forêts, Thomas Rouessart, payeur général, Jérôme Delaunay père, Louis Delaunay fils et François Pontallié, ils ont bien été membres de la loge durant tout l’Empire, mais ne la fréquentent plus depuis sa mise en sommeil en 1812. Mais d’autres parmi la douzaine de frères, également présents à l’époque impériale, qui sont alors précisément en train de s’activer pour allumer de nouveau les feux de l’Atelier, ou bien parmi ceux qui vont immédiatement s’y agréger, non seulement ont fait partie de cette Fédération Bretonne, mais ont de plus signé le serment de « haine au roi » reproduisant le serment civique imposé par le Directoire le 10 mars 1796 aux députés, aux fonctionnaires et aux prêtres pour débusquer les royalistes3. La suspicion d’activisme politique dont fait état le sous-préfet n’a donc rien d’infondé. Mais son zèle va se trouver considérablement ralenti par un détail qu’il ignore très probablement, c’est que le comte d’Allonville4 est lui-même, ou plus exactement a été, franc-maçon.
4Aussi est-ce sans la moindre inquiétude que le F∴ Guillaume Carré*, professeur à la faculté de Droit, déjà vénérable en 1810 et qui vient de reprendre le premier maillet de la nouvelle loge, prend contact avec l’autorité pour obtenir l’agrément nécessaire5 :
« Monsieur le Comte,
J’ai appris hier soir que les réunions des francs-maçons, dont j’ai l’honneur de présider la loge, vous avaient été dénoncées comme dangereuses ou inquiétantes ; qu’on avait aussi supposé que ceux qui les composent s’occupent d’autres objets que ceux de leur institution, et qu’enfin la police faisait des recherches à cet égard.
Mon assertion, que de tels soupçons prennent leur source dans la plus coupable calomnie, ne suffirait pas pour les débouter. Mais, Monsieur le Comte, aucun de mes amis ne se cache d’être maçon : j’ai à dessein convoqué la loge à dix heures du jour comme à onze et trois heures. Nous avons promis sous la foi du serment de ne nous occuper en aucune manière des affaires et des événements politiques. Cette promesse est écrite en tête de notre règlement. Nous avons eu deux banquets : la santé du Roi et de la famille royale a été portée par moi et répétée avec toute la franchise qui fait notre caractère. S’il est vrai, comme on me l’a dit, qu’on cherche à se procurer nos noms, je vous les donnerai sans omettre un seul. Si l’autorité veut connaître nos statuts et règlements particuliers je les lui communiquerai ; si elle désire être instruite du jour et de l’heure de nos réunions, je l’en préviendrai ; et avec vous, Monsieur le Comte, dans la justice et la loyauté duquel j’ai la plus entière confiance, j’aurai, si vous voulez bien me le permettre et m’en indiquer le moment, une conférence particulière à l’effet de concerter toutes mesures qui vous conviendraient pour que nos paisibles réunions ne soient point un sujet d’inquiétude ou un prétexte de calomnie6. »
5Et le vénérable communique en effet au préfet la liste de la vingtaine de frères composant pour lors l’Atelier, en indiquant au surplus que celui-ci n’entend pas dépasser un effectif de plus de trente membres. Il propose également de lui faire parvenir ou de brûler les archives de la loge concernant la période de « l’Usurpateur7 ». Il faut dire que, quelles que soient ses protestations de loyalisme, la composition du nouvel atelier peut effectivement légitimer des doutes sur son attachement à la monarchie en place. Le F∴ Carré, comme Louis Bernard*, ont été nommés conseillers à la Cour d’appel de Rennes durant les Cent-Jours, et Jean-Baptiste Binet substitut du procureur général : ils viennent tous les trois d’être révoqués par le nouveau pouvoir, et sont redevenus professeur de droit ou avocats. Jean Adam Faciot, second Surveillant, et Fidèle Marie Gaillard de Kerbertin*, également avocats, ont été effectivement tout comme Thomas Binet*, architecte et frère du précédent, les chevilles ouvrières de la Fédération Bretonne que l’on vient d’évoquer. Les trois fils de Jean Marie Rapatel, chirurgien et premier Surveillant, membres comme lui de l’Atelier durant tout l’Empire, ont été aussi pendant ce temps officiers d’État-major, tandis que Claude André Vuillaume*, Orateur de la loge, payeur général de la 13e division militaire, et Charles François Touzard, directeur dans cette même 13e division du service des lits militaires, étaient à Rennes deux piliers de l’intendance de l’armée impériale. À cette liste non exhaustive s’ajoutent de plus deux imprimeurs, profession éminemment suspecte en cette époque post-révolutionnaire : Alexandre de Kerpen et François Cousin-Danelle.
6Aussi quelques jours plus tard, suite à l’entrevue entre le vénérable et le préfet, la loge décide-t-elle de donner des gages non équivoques de son allégeance envers le nouveau régime :
« Le Vénérable a fait connaître à la R∴L∴ que les vues et les intentions de l’autorité étaient on ne peut plus favorables à l’institution et notamment à cette R∴L∴ […] Un membre a proposé, comme témoignage des principes que nous professons d’être fidèles au prince, obéissant aux lois, dévoués à la Patrie, que le buste de S. M. Louis le Désiré notre auguste monarque fut placé dans cet Atelier, et que l’inauguration en fut faite le jour de la célébration de la fête de l’Ordre à la Saint Jean d’hiver. La R∴L∴ a arrêté en même temps qu’il serait donné un avis officiel à M. le Préfet de cette cérémonie, et que les frères qui peuvent avoir des relations avec ce magistrat sont autorisés à lui témoigner tout le plaisir qu’éprouverait la famille maçonnique s’il pouvait assister à cette auguste solennité8. »
7Le préfet ne se déplacera pas, sans doute rassuré par cette manifestation éclatante de loyalisme, que vient de plus corroborer les statuts de la Loge dont le préambule précise :
« La R∴L∴ de La Parfaite Union fondée à l’Orient de Rennes et régulièrement constituée, est consacrée à l’amitié, à l’union et à la bienfaisance. Jaloux de donner l’exemple du plus saint respect pour la divinité, de la soumission la plus absolue au gouvernement et aux lois, elle déclare que la réunion des Maçons qui la composent n’a pour objet que de resserrer, de plus en plus, les liens que la morale et la société établissent entre les hommes et les citoyens ; de se prêter aide et assistance en tout ce qui est juste et légitime, et de s’éclairer réciproquement sur les devoirs que cette déclaration leur impose. Elle s’interdit, sous la foi du serment, toutes discussions et prohibe toutes propositions directes ou indirectes relatives aux matières religieuses ou politiques, pour s’occuper uniquement des travaux maçonniques, qui seront tenus selon les statuts et règlements généraux de l’ordre promulgués par le Grand Orient de France9. »
8La bienveillance maçonnique du préfet n’allait pas de soi, et les frères de Rennes ont à l’évidence bénéficié de circonstances favorables. La tolérance manifestée par le pouvoir à leur égard était révocable à tout moment, comme en témoigne les difficultés éprouvées quelques années plus tard par la loge de Saint-Servan. Ainsi M. de la Ville Gontier, qui a remplacé le comte d’Allonville, envoie en date du 15 mars 1824 la lettre suivante au ministre de l’Intérieur :
« Le 12 de ce mois deux membres de la loge maçonnique de Rennes vinrent me montrer une lettre de plusieurs frères de Saint-Servan qui se plaignaient que le 7 un commissaire de police, escorté de deux gendarmes, leur avaient signifié de la part de M. le Maire de Saint-Servan de se séparer et de se dissoudre sur le champ. Ils annonçaient qu’ils avaient obéi sans bruit, mais qu’ils avaient porté plainte au Grand Maître de l’Ordre. Les deux personnes qui m’apportaient cette nouvelle me demandaient s’il était question d’une mesure générale parce qu’en ce cas, disaient-ils, ils préféraient de beaucoup se réunir encore une fois pour ajourner indéfiniment leurs assemblées, avant d’en recevoir l’ordre auquel ils déféreraient sans doute, mais qui leur serait pénible10. »
9Les frères de Saint-Servan demandent par pétition au sous-préfet de Saint-Malo l’autorisation de se réunir à nouveau, qui est transmise au ministre avec avis défavorable : « D’après les renseignements que je me suis procuré, la loge de Saint-Servan ne se composant que de libéraux, votre Excellence jugera sans doute à propos de maintenir la décision de M. le Maire, préservatrice des dangers qui résulteraient peut-être d’une telle réunion, où ne pourrait pénétrer le regard de la police11. » En définitive le ministre s’en tiendra au texte de la loi : « La demande de se réunir à nouveau ne saurait être accueillie. Si néanmoins des réunions avaient lieu, vous aurez à examiner si elles comportent plus de vingt personnes. Dans l’affirmative vous en ordonnerez immédiatement la dissolution. Dans le cas contraire vous vous bornerez à une surveillance de précaution dont vous me ferez connaître le résultat12. »
10Pour sa part, « La Parfaite Union », durant toute la période de la Restauration et de la monarchie de Juillet, s’en tient strictement à la déclaration d’intentions contenue dans le préambule de son règlement intérieur. Il n’y a guère que dans les circonstances exceptionnelles qui rassemblent tout l’Atelier, comme la fête d’Ordre à la Saint Jean d’été ou à celle d’hiver, que l’on peut trouver éventuellement trace, dans les discours de circonstance prononcés à cette occasion, de l’ambiance politique sous-jacente à cette soumission affichée au pouvoir en place. Ainsi en est-il du compte-rendu des travaux du 27 décembre 1815, qui relate le détail de la cérémonie évoquée plus haut :
« Les travaux sont consacrés à l’inauguration du buste vénéré de S. M. Louis XVIII le Désiré et de son aïeul de glorieuse mémoire Henri IV universellement appelé le Grand. […] Parvenu auprès des bustes de S. M. et du bon roi Henri IV, le vénérable se saisit d’une couronne d’olivier et va la placer sur la tête vénérable du monarque chéri, et une pareille ceint le front radieux de l’immortel Henri IV. Cette double scène se place au bruit du cliquetis des glaives et de la batterie mystérieuse, et le couronnement est couvert d’un triple vivat émis avec un sentiment profond et réfléchi d’espérance pour l’avenir et de reconnaissance pour le présent envers des monarques dont on ne saurait assez chérir les vertus et honorer la mémoire. Le vénérable met les parfums dans les cassolettes qui lui sont réservées. Une odeur suave vient embaumer tous les frères et leur inspirer des sentiments plus religieux. Des nuages d’encens s’élèvent vers la Grand Architecte de l’Univers, et lui portent les vœux des maçons pour la conservation d’une tête si chère aux Français. »
11Mais l’autorité de tutelle ne peut manquer d’être frappée par le fait que pour accompagner le buste de Louis XVIII la loge a choisi de le jumeler avec celui d’Henri IV, ce qui n’a rien d’obligatoire, et que l’Orateur de l’Atelier souligne dans son propos, transmis in extenso au préfet avec le procès-verbal de la tenue, que « le souvenir du meilleur de nos rois vient raffermir nos sentiments et notre amour pour la personne sacrée de son petit-fils, notre confiance dans le présent et nos justes espérances dans l’avenir ». Et qu’il souhaite dans un futur proche « ce que nous promettent et des vertus éprouvées par de longs malheurs, et la sagesse qui donne et prépare ces institutions vraiment libérales qui doivent effacer jusqu’aux dernières nuances d’opinion et détruire tous les faux systèmes qui ont fait trop longtemps illusion aux âmes les plus pures et les plus vertueuses13 ». Si le reste du discours ne s’écarte pas de la stricte orthodoxie politique ou maçonnique, le propos est cependant clair : les frères veulent bien redevenir monarchistes, mais dans une monarchie libérale, en clair : constitutionnelle.
12Six mois plus tard, lors de la fête de la Saint Jean d’été, c’est l’apothéose. Non seulement la loge invite à nouveau le préfet à la cérémonie, mais elle tient à marquer publiquement son allégeance :
« La R∴L∴ arrête en outre que, voulant signaler d’une manière particulière sa part dans l’allégresse publique à l’occasion de l’illustre alliance d’un petit-fils de France S. A. R. Mgr le duc de Berri avec la princesse Caroline des Deux-Siciles, il y aura demain 19 une tenue extraordinaire, suivie d’un banquet de famille où les seules santés du Roi et des augustes époux seront portées, avec les témoignages et l’expression de dévouement et d’amour dont sont remplis tous les frères, et que l’extérieur du Temple sera pavoisé et illuminé14. »
13Dans le Temple, le souverain est toujours aussi religieusement fêté :
« À l’Orient le buste de S. M. élevé sur un socle triangulaire surmonté d’un dais magnifiquement orné de guirlandes de chêne, d’olivier et d’acacia et de draperies artistement disposées, présidait à cette brillante et nombreuse réunion de Maçons tous animés de la plus noble émulation en faveur de la bienfaisance et liés par cette devise invariable et chérie “Amour et fidélité au Roi”15. »
14Et dans le banquet qui suit en salle humide, même les chansons sont à sa gloire :
Buvons au père de famille
Disaient nos ancêtres joyeux.
Dans nos regards la gaieté brille,
Nous pensons comme nos aïeux.
Au Roi buvons ce premier verre,
Buvons à sa félicité ;
La santé qu’on porte à son père
Est bien la plus douce santé16.
15De plus les frères ne manquent pas de célébrer par une tenue extraordinaire et un « banquet de famille » le 25 août suivant la fête de Saint Louis17. La tonalité change à la fin de 1825, après que Charles X eut succédé à Louis XVIII et se soit fait couronner à Reims :
« Le Vénérable donne la parole au frère Orateur. Le plus profond silence règne aussitôt sur les colonnes, et chaque frère prête toute son attention du côté de l’Orateur qui debout et à l’ordre prononce d’une voix forte et persuasive un morceau d’architecture de sa composition, où il a développé avec beaucoup de brièveté, de justesse et d’énergie les avantages que procure la Maçonnerie au peuple maçon, par la pureté de ses doctrines, la solidité de ses principes et les charmes de ses réunions périodiques. S’il montre le charme de ces réunions, il signale le danger de la tiédeur, et la nécessité d’assister aux Tenues avec une grande exactitude, et comme le seul moyen de prévenir l’édifice de la chute dont il est incessamment menacé par les sinistres prédictions et les continuelles vociférations des ennemis des lumières et de la civilisation. »
16Le rappel de l’obligation d’assiduité contractée par chaque franc-maçon lors de son initiation, et des déplorables conséquences que peut avoir pour la collectivité la somme des petits manquements individuels, est certes pour n’importe quel frère Orateur dans n’importe quelle loge maçonnique, du XVIIIe siècle à nos jours, un passage obligé dans ce genre de discours. Mais qui sont donc ces « ennemis des lumières et de la civilisation » qui menacent la Franc-Maçonnerie dans le royaume de France par leurs « sinistres prédictions » et leurs « continuelles vociférations » ? On ne peut pas les nommer, mais il n’est pas interdit d’aller voir ce qui se passe ailleurs. Et c’est ainsi qu’au banquet qui suit, la première santé est tirée à la santé du Roi – c’est obligatoire. Mais à ce moment se place une entorse au rituel, inédite et unique dans les annales de l’Atelier :
« Après la première santé d’obligation, un frère de la colonne du Nord ayant réclamé et obtenu la parole, propose un triple vivat d’hommage, de respect et de reconnaissance en l’honneur de S. M. le roi des Pays-Bas et de son auguste fils. Il motive sa proposition sur la protection éclatante et efficace que cet auguste souverain accorde aux maçons de ses États, et généralement à tous les maçons. »
17Et pour faire bonne mesure, il est précisé « qu’un extrait de la présente planche sera adressé avec lettre explicative au Grand Orient du royaume des Pays-Bas siégeant à Bruxelles18 ». L’Atelier ne peut exprimer plus clairement les sentiments d’hostilité que lui inspire la politique du gouvernement en place, qu’en faisant référence à la bonne gouvernance d’un gouvernement étranger. On constatera un peu plus tard que c’est avec enthousiasme que la Loge va accueillir les événements de juillet 1830, auxquels plusieurs frères de l’Atelier prendront d’ailleurs une part active, tant à Rennes qu’à Paris.
18Tout autant qu’une certaine désaffection des frères, on a vu que c’est également une mauvaise gestion financière qui avait entraîné la mise en sommeil de « La Parfaite Union » en 1812, puisque la Loge dut vendre son mobilier pour payer son loyer. Ce genre d’incident n’a d’ailleurs rien d’original pour une loge maçonnique, quel que soit son Orient, et les frères de Rennes venaient seulement de faire pour la première fois connaissance avec un problème récurrent, puisqu’il va perdurer pratiquement jusqu’à l’édification du temple actuel au 24 de la rue Thiers. Pour une bonne compréhension, il convient de le détailler quelque peu. D’une part les contraintes de décors permanents pour les tenues d’obligation – et ils doivent être différents pour les trois premiers degrés d’une part, et pour les tenues du Chapitre au 18e grade d’autre part – nécessitent déjà deux salles, sinon trois si l’on veut un temple spécifique pour les tenues au grade de Maître, plus un parvis ou une antichambre, sans compter le cabinet de réflexion où doit passer tout profane avant son initiation. La sociabilité maçonnique s’est d’autre part appuyée de tout temps sur des « agapes » prises en commun à l’issue d’une réunion : d’où la nécessité d’une « salle humide » assortie d’une cuisine, et encore d’une ou deux salles annexes, office ou bureau pour l’administration de la loge et ses archives. Impossible de laisser un tel local vide la plupart du temps : on doit donc de surcroît envisager un logement pour le gardien, d’autant plus que la nécessité d’une certaine discrétion fait que l’on désire plutôt un immeuble à l’écart du centre de la ville. On observe que toutes ces conditions ne sont pas faciles à remplir. En conséquence, ou bien la loge est locataire d’un local qu’elle doit aménager pour le rendre propre à y tenir ses réunions, avec tous les aléas qu’une telle situation de dépendance comporte vis-à-vis du propriétaire, fut-il un des frères de l’Atelier ; ou bien elle en est propriétaire. Mais il faut alors trouver des fonds pour acheter ou construire, soit en empruntant, soit en constituant l’équivalent de ce que l’on appelle aujourd’hui une société civile immobilière, en plaçant des parts auprès des frères, ce qui peut poser problème en cas de départ, décès, ou démission. Il faut ensuite gérer aussi bien le quotidien que l’entretien à long terme de l’immeuble, ce qui ne va pas quelquefois sans à coups au sein d’une société ou le président et le trésorier, pour ne parler que des deux principaux concernés, sont soumis à réélection tous les ans.
19Instruits par le précédent de l’Empire, les frères rénovateurs décident de repartir sur d’autres bases, et de construire leur propre temple sur un terrain fourni par le F∴ Julien Arot, négociant. Ils lui empruntent par ailleurs 10 000 F, sur la base d’un « constitut », c’est-à-dire, selon Littré, d’une clause juridique selon laquelle « le possesseur d’un immeuble reconnaît qu’il n’y a aucun droit de propriété, et qu’il n’en a la jouissance qu’à titre précaire. » Autrement dit le temple achevé et leur dette payée ils ne paieront pas de loyer, mais le terrain et l’immeuble resteront la propriété du prêteur. Sous la direction du F∴ Thomas Binet*, architecte, les travaux sont rondement menés et le nouveau temple est solennellement inauguré le 5 février 1818 par le F∴ François Luczot, Vénérable, qui en guise de dépôt de fondation met en terre dans les parvis une boite en plomb contenant, outre un Code maçonnique, « un tableau de la R∴ L∴, celui des visiteurs du jour, un diplôme en blanc, le morceau d’architecture prononcé par lui-même, ainsi que ceux dont les frères Orateur et Secrétaire doivent gratifier l’Atelier19 ». Le devis initial a été à peu près respecté, et pour 10198,90F20 les frères de « La Parfaite Union » ont maintenant la jouissance d’une maison avec jardin comportant un temple avec 12 chaises dorées, 23 vieux fleurets, une chambre des hauts grades avec quatre bancs rouges, une chambre du milieu avec 6 bancs, une chambre de réflexion, une « caverne » avec une fontaine et un tableau, un local d’archives, une salle des pas perdus avec deux tableaux dont un pour les frères décédés, une salle des banquets avec 43 chaises, office, cuisine et latrines21. Plus tard, en même temps que l’on recrutera un gardien, seront aménagés une salle de billard et une salle de lecture ouvertes en dehors des tenues, pour se détendre et lire les journaux auxquels la loge est abonnée, donnant ainsi aux frères, qui commandent régulièrement à cet effet des tonneaux de « poudre forte » – du vin, en langage maçonnique – tous les agréments d’un « club » anglais.
20Afin de s’acquitter de leur dette, ils mettent en place le 9 juin 1817 une « Caisse d’amortissement, dont les fonds seront spécialement et uniquement consacrés à l’acquittement progressif du constitut de 10 000 F dû à M. Arot ». Les modalités sont précisément définies :
« Art. 3 : Le caissier recevra directement du trésorier au fur et à mesure de leurs rentrées les fonds ci-après destinés à alimenter la caisse d’amortissement, savoir :
1°) par an à dater du 24 juin 1817, la somme de 170 F prise sur les fonds de la loge
2°) la somme de 30 F pour chaque réception d’un nouveau sociétaire
3°) celle de 1 F pour chaque réception au 2e et 3e grade
4°) enfin celle de 12 F que le caissier recevra directement de chaque actionnaire.
Art. 4 : Dès que la caisse d’amortissement pourra réaliser 600 F ils seront comptés à M. Arot par le caissier, et les intérêts à payer en moins sur cet acompte seront versés par le trésorier de la société dans la caisse d’amortissement22. »
21Comme il y a 27 actionnaires qui doivent donc alimenter cette caisse à raison de 324 F par an, on constate qu’avec les 170 F pris sur les fonds propres de l’Atelier, il manque environ une centaine de francs si l’on veut arriver chaque année à rembourser une somme minimum de 600 F, et que l’on compte pour cela sur l’apport de nouveaux arrivants. La loge se lance donc dans une politique active de recrutement, qui n’est certainement pas exempte d’arrières pensées financières, en recevant – quelquefois en procédure d’urgence pour cause de départ imminent, c’est-à-dire que les grades d’apprenti, de compagnon et de maître leur sont conférés dans la même tenue ou dans des tenues successives – des militaires, des négociants, des médecins, des étudiants en droit ou de jeunes avocats – ces derniers sans doute amenés à la loge par le F∴ Carré. La plupart de ces frères quittent Rennes plus ou moins rapidement : quelques-uns ne figureront jamais sur le tableau de la loge, et on ne retrouve trace de leur réception que sur les livres d’architecture. En fait, sur près de soixante-dix initiations effectuées entre 1818 et 1824, seuls une douzaine de frères auront une activité maçonnique significative à « La Parfaite Union ». Mais ce prosélytisme intéressé permet également la reconstruction des loges disparues après la fin de l’Empire dans des Orients voisins. Ainsi, par délégation ou directement, l’atelier initie une douzaine de frères à Saint-Brieuc23, ce qui nécessite quelques ajustements :
« Nous nous sommes vus forcés de diminuer le prix des réceptions fixées par le R∴ Atelier de Rennes, en le réduisant à cinquante francs. Voici pourquoi : il y a partout des gâte-métiers, et par conséquent il a dû s’en trouver aussi à Saint-Brieuc. Quelques concurrents voulaient accaparer nos deux derniers néophytes, qu’on voulait recevoir ailleurs moyennant trente francs. Dans cette circonstance, nous n’avons pas cru devoir échapper l’occasion de procurer à la R∴L∴ de Rennes deux frères infiniment distingués, et une rentrée de fonds qui ne lui sera sans doute pas désagréable. En conséquence nous avons cru devoir diminuer le taux qui nous avait été fixé, et en le faisant pour les deux derniers, il nous fallait nécessairement agir de même pour les deux précédents. »
22C’est ainsi que les feux de « La Vertu Triomphante » sont rallumés dans le chef-lieu des Côtes-du-Nord le 16 septembre 182224. Quoi qu’il en soit, le système d’amortissement va parfaitement fonctionner, et le 21 juin 1824, soit donc six années plus tard, le trésorier peut annoncer que « grâce à l’exactitude de presque tous les frères à s’acquitter de leurs obligations, grâce aussi à l’harmonie et à l’ordre qu’ils ont mis dans leurs finances, la Loge obtient enfin son entière libération25 ». Le protocole financier initial a cependant dû être modifié, car la loge est de nouveau astreinte à payer un loyer.
23On verra plus loin que certains frères seront très actifs au moment de la Révolution de 1830, mais même alors la neutralité politique reste toujours, au moins formellement, une règle intangible. Un frère demande bien en 1831 « que la Loge s’occupe à l’avenir de traiter des questions morales et politiques comme le font les loges de la capitales et beaucoup d’autres ateliers français26 », mais il n’est pas suivi. L’Atelier est plus intéressé par les premières tentatives de réflexion sur le fait maçonnique, et d’harmonisation des rituels, comme en témoigne sa collaboration avec le F∴ Nicolas Charles Des Étangs*, président du Conseil philosophique des « Trinosophes » à Paris, et auteur de « La Maçonnerie rendue à ses vrais principes27 ». Encore faut-il qu’une telle brochure reste dans les limites étroites du respect du « secret » maçonnique. Nonobstant le nombre déjà considérable d’ouvrages déjà parus depuis le XVIIIe siècle sur le sujet, la loge proteste vigoureusement auprès du Grand Orient de France lorsqu’en 1841 le F∴ Ragon publie, avec l’aval du Grand Orateur de l’Obédience, son « Cours philosophique et interprétatif des initiations anciennes et modernes », où il rend public les mots, signes et attouchements des différents grades maçonniques28.
24Conformément à leurs statuts, une autre part de leur activité est consacrée à la « bienfaisance » : nombreuses sont les tenues où – après consultation de la commission des finances – il est fait mention de secours attribués à des nécessiteux. Généralement discrets, ils empruntent parfois des voies officielles, comme en février 1827 où « le F∴ de Kerpen, après avoir obtenu la parole, mû par des sentiments de commisération pour les infortunés qu’une saison trop rigoureuse accable de maux, demande qu’une somme de 300 F soit extraite de la caisse des pauvres et déposée aux mains de M. le Maire, pour être distribuée aux indigents, soit en combustibles, soit de toute autre manière, par les soins éclairés de cet administrateur29 ». M. de Lorgeril, maire de Rennes, remerciera lui-même par lettre la loge de son geste30. Elle réagit à l’actualité en faisant parvenir des secours aux victimes d’inondations ou de séismes, et répond de même aux sollicitations de l’Obédience, comme en mars 1826 où elle envoie également une somme de 300 F destinée aux Grecs insurgés contre la domination ottomane, ce qui lui vaut cette fois les remerciements de Chateaubriand, qui coordonne les secours :
« Le Vénérable donne lecture d’une lettre de M. de Chateaubriand lui-même, en date de Paris du 9e jour de ce mois, contenant l’accusé de réception de notre offrande et l’expression particulière des sentiments du noble pair en notre faveur et en celle des héroïques Hellènes dont la cause sacrée est devenue celle des gens de bien et de tous les pays de la Chrétienté31. »
25Cette philanthropie active finit par attirer l’attention de petits escrocs, qui ont remarqué qu’il suffisait de voyager de ville en ville avec pour passeport un diplôme maçonnique pour obtenir les subsides que l’obligation d’assistance fait un devoir d’accorder à un frère dans le besoin. Or, il n’est guère difficile d’obtenir un diplôme de Maître maçon, qui n’est plus décerné par l’Obédience à Paris, comme au XVIIIe siècle, mais par l’atelier du récipiendaire. La vérification du diplôme d’un visiteur obéit pourtant à des règles strictes : il doit être déposé sur l’autel du Vénérable avant le début de la tenue, et le frère Expert vérifie alors les sceaux, cachets et signatures qui y sont apposés. Cependant, pour un visiteur venant d’un Orient lointain, la seule preuve d’authenticité réside bien souvent dans la concordance entre la signature ne varietur du détenteur sur le document, et celle qui lui est demandé de faire sur un papier dans le parvis du temple. Ce qui permet de détecter des diplômes volés et des faux grossiers :
« Les deux diplômes sont déposés sur l’autel. Ils sont délivrés aux FF∴ Philippe et Pourvil. Ce dernier ne sachant pas écrire le ne varietur est représenté par une croix. Les diplômes ne portent pas en outre de nom de Loge, mais sont seulement datés d’Angers et signés du Vénérable et du Surveillant par interim. La R∴L∴ décide que ne les regardant pas comme réguliers, elle refuse l’entrée du Temple à ces individus32. »
26La vigilance de l’Atelier lui permet également de mettre à jour un trafic de diplômes prenant sa source dans une loge de Paris, ce qui lui vaut des félicitations officielles du Grand Orient de France dans le compte rendu de la fête d’ordre de l’Obédience de décembre 1825, qui rend public les sanctions prises, et ajoute à l’intention de toutes les loges : « Le Grand Orient est redevable de toutes les pièces de conviction à la surveillance et à la régularité de la R∴L∴ de La Parfaite Union à l’Orient de Rennes. Puissent tous les Ateliers imiter la loge de Rennes, et concourir avec nous à détruire l’irrégularité qui déshonore l’Ordre et avilit la Maçonnerie33. » Mais cette procédure est inefficace pour écarter certains maçons peu scrupuleux, qui assiègent les loges munis de diplômes authentiques. Le phénomène prend une telle proportion qu’il en devient un sujet sensible, comme en témoigne la réponse de « La Parfaite Union » à une lettre de « La Vraie Harmonie » de Poitiers, qui déplorait l’existence de « Maîtres mendiants » :
« La mendicité, véritable lèpre de la société, est le fléau de la Maçonnerie. La Maçonnerie doit consoler, aider et relever les malheureux, mais doit frapper d’anathème ces hommes fainéants, vrais parasites qui mendient de loge en loge, et dépouillent la caisse de la veuve et de l’orphelin pour entretenir la paresse. Par là ils perdent le titre honorable et sacré de franc-maçon, car le tablier qu’ils portent, symbole du travail, dit assez que la mendicité est repoussée de nos Temples34. »
27Il ne semble pas que la situation de la franc-maçonnerie parisienne se soit améliorée depuis l’Empire. Trente-cinq ans plus tard, les mêmes récriminations réapparaissent dans des termes presque identiques, au point qu’on peut se demander si la lettre virulente que « La Parfaite Union » adresse le 20 décembre 1842 au Grand Orient à Paris n’a pas été recopiée sur les lettres émanées de « L’Union » à Lorient en 1805 et 1807 :
« Deux ou trois villes de province partagent seules avec Paris le triste privilège de remplir la Maçonnerie de mendiants, mais Paris a encore l’avantage sur elles, car lui seul en fournit plus des trois-quarts. C’est une remarque faite depuis longtemps par tous les vénérables des départements, et dont les signataires de cette planche ont été à même de reconnaître l’exactitude dans les différentes fonctions qu’ils ont remplies, et à l’occasion desquelles ils ont été obligés d’examiner les diplômes des solliciteurs de secours.
Comment en serait-il autrement quand nous voyons un si grand nombre de loges de Paris faire de la Maçonnerie un véritable commerce, et la vendre à vil prix au premier venu, à des hommes qu’elles ne connaissent pas, et de la moralité et de la position desquels elle n’a pu s’assurer ? Si le candidat est un honnête homme, tant mieux : c’est le hasard qui l’a présenté tel, car on ne se donne pas la peine de demander des renseignements sur lui dans la ville où il a son domicile et où il est connu. Si c’est un homme taré, que l’inconduite et la débauche ont ruiné, tant pis : on a le peu d’argent dont on pouvait encore disposer, et c’est tout ce qu’on voulait.
La déplorable facilité avec laquelle l’initiation est accordée à Paris est tellement connue, même des profanes, que si l’un d’eux n’est pas admis dans nos loges de province, où s’il n’ose pas s’y faire présenter dans la crainte d’un refus, il annonce hautement qu’il ira se faire recevoir dans une des loges de la capitale. Et en effet il part, et revient quelques jours après avec le grade de Maître et quelquefois même le cordon de Rose-Croix. C’est ainsi que certaines loges de Paris ont avili la Maçonnerie, et que si vous n’y prenez pas garde elles causeront sa ruine totale35. »
28C’est pourquoi, tout en envoyant cependant une contribution pour le projet d’établissement d’une « Maison de secours maçonnique » que le Grand Orient se propose d’ériger à Paris pour remédier à cet état des choses, « La Parfaite Union » tient à se démarquer de la solution envisagée, et réitère ses griefs :
« L’établissement de la maison de secours, loin de diminuer le nombre de solliciteurs qui assiègent nos ateliers, en augmentera le nombre, tant que certaines loges de la capitale ne mettront pas plus de discrétion dans leurs réceptions, et n’apporteront pas un choix plus scrupuleux dans le choix de leurs candidats36. »
29Il faut dire que dans l’exercice de la fraternité maçonnique l’atelier pouvait à bon droit se prévaloir d’antécédents significatifs. Car l’histoire d’une loge provinciale peut amener à des détours imprévus sur des chemins transverses de l’Histoire, le lien maçonnique conduisant à des événements politiques aujourd’hui oubliés. Il en est ainsi pour les loges des « Élus de Sully » à Brest et de « La Parfaite Union » à Rennes, qui se retrouvent concernées par la guerre civile au Portugal en 1829, en accueillant dans leur sein des réfugiés de ce pays, avant que la révolution polonaise de 1830 ne conduise d’autres exilés sur les colonnes de l’atelier rennais. Outre l’aspect politique de ces affaires, auquel la tonalité libérale des ateliers ne pouvait qu’être sensible, ce fut alors, en particulier pour les frères de Rennes, une occasion de prendre conscience du caractère universel de la Franc-Maçonnerie, et, durant plusieurs années, un exercice pratique de solidarité.
30Si à Paris et dans les grands ports de commerce comme Le Havre, Nantes ou Bordeaux le cosmopolitisme maçonnique est alors courant, il n’en va évidemment pas de même pour une ville comme Rennes qui n’a que les liaisons routières du temps avec les autres villes bretonnes ou la capitale. On peut seulement noter un courant d’échange avec l’Angleterre et les îles anglo-normandes, via Saint-Malo, qui se traduit par exemple en 1820 par un courrier de la loge « Friendship N° 439 » de Guernesey, à propos de la régularité maçonnique d’un frère de cet atelier séjournant à Rennes37. Comme il n’y a plus à l’époque de loge maçonnique ni à Saint-Malo, ni à Saint-Servan, ni à Dinan, quelques sujets britanniques villégiaturant plus ou moins longtemps sur la côte s’affilient à « La Parfaite Union », ou sont reçus par l’Atelier. En ce temps où les relations entre la France et l’Angleterre sont rien moins que cordiales – le souvenir des guerres de l’Empire est vivace, et Napoléon n’est mort qu’en 1821 – on n’en est que plus surpris de trouver parmi eux plusieurs officiers38. Ces frères de la région malouine se retrouvent cependant de manière informelle, et prennent quelquefois eux-mêmes des initiatives qu’ils font ensuite avaliser par la loge de Rennes, telle l’initiation du beau-frère de l’un d’entre eux, capitaine au long cours pour la pêche à la morue sur les bancs de Terre-Neuve, pour qui « le titre de frère pourrait être d’une grande utilité et lui valoir quelquefois la permission de pêcher dans un endroit plus avantageux, étant obligé de faire la pêche avec les Anglais parmi lesquels il se trouve très souvent des Enfants de la Veuve ». Il n’est d’ailleurs pas le premier capitaine morutier à souhaiter pouvoir se réclamer sur zone de la fraternité maçonnique, ce qui peut se révéler fort utile en cas de fortune de mer, comme en témoigne quelques années plus tôt un autre frère de l’Atelier :
« Sur la demande du F∴ Jolivet la Loge arrête qu’il lui sera délivré un nouveau diplôme de maître, en remplacement de celui qu’il a perdu dans son naufrage. Ce frère plein de reconnaissance envers les frères Ange, Pitrel et Dubut, tous les trois capitaines au long cours, qui lui ont prodigué dans son malheur les secours les plus prompts et les plus désintéressés, apprend d’une voix émue à l’Atelier la conduite généreuse et toute maçonnique de ces chers frères, et l’Atelier, afin de les signaler à jamais à la reconnaissance de tous les maçons, arrête que les noms des frères Ange, Pitrel et Dubut, capitaines au long cours, seront inscrits sur la planche tracée des travaux de ce jour39. »
31C’est ainsi que le F∴ Mancel est initié le 1er avril 1841, et le F∴ Strusinski, un officier polonais réfugié qui s’est reconverti comme professeur de musique à Saint-Servan, en rend compte à sa loge-mère rennaise :
« C’est avec plaisir que je m’acquitte d’une douce obligation envers mes frères d’ici, de rendre compte à nos frères de Rennes de la communication du grade d’apprenti franc-maçon au profane Mancel, capitaine au long cours, le 1er jour du 2e mois de la V∴L∴ 5841. Nous nous sommes réunis dans une maison isolée en nombre de treize tous frères de divers ateliers de quatre nations – français, anglais, italiens, polonais – pour mieux faire voir au récipiendaire la fraternité qui existe entre les francs-maçons de tous les pays. Les trois voyages ont fait sur le profane un très bon effet. Il lui semblait qu’il avait changé d’appartement. Le cliquetis d’armes et la purification par les flammes lui semblaient de l’orage et des éclairs, et l’idée de se voir sombrer avec son navire augmentait son embarras. Après la saignée, le profane interrogé s’il ne se sent pas mal à son aise, a demandé qu’on lui mette un morceau d’éponge pour arrêter toute effusion de sang. Nous lui avons fait apprécier les chagrins et les tourments inséparables de la vie humaine en lui faisant avaler une bonne dose d’infusion d’absinthe, aussi en a-t-il craché près de cinq minutes, et si les pierres de sucre qu’on lui avaient présentées n’avaient pas calmé l’amertume, il me semble qu’il aurait fini par rendre tous ses chagrins sur la place et à en former un ruisseau40. »
32Il ajoute que « le néophyte est satisfait de son initiation », qui semble en effet avoir été conduite dans les règles, et qui prouve en tout cas une intégration maçonnique internationale dépassant les rigidités européennes d’alors. Les turbulences de la décennie précédente, que l’on va évoquer, ne sont sans doute pas étrangères à cet état d’esprit, mais une loge comme « Les Élus de Sully » pratiquait déjà bien avant celles-ci un prosélytisme maçonnique européen intensif. Bien qu’essentiellement déjà port de guerre, sa situation maritime faisait en effet de Brest une escale obligée d’avitaillement pour les navires effectuant des liaisons entre la péninsule ibérique et l’Angleterre ou l’Europe du Nord. Aussi le F∴ Thomas Loyer, négociant en ville et second Surveillant de l’Atelier, qui parle couramment le portugais, a déjà probablement lors de ses voyages noué des contacts avec des francs-maçons au Portugal ou à Madère. Si bien que lorsqu’en avril 1827 une escadre portugaise accompagnée de navires marchands fait escale dans le port, le F∴ João Feliciano Pereira, officier supérieur de la marine portugaise et membre de la loge « Constancia » à Madère prend immédiatement contact avec lui, pour proposer l’initiation de deux compatriotes, un autre officier de marine et un négociant. Quinze jours plus tard, « Les travaux sont ouverts au grade d’Apprenti, présidés à l’Orient par le frère Loyer Je, 1er Surveillant en exercice auquel le vénérable a laissé la direction des travaux dont le détail se passe en langue portugaise41 », et les deux apprentis en question sont reçus au grade de Compagnon puis à celui de Maître. Le même scénario va se reproduire lors des onze tenues, la plupart extraordinaires, qui suivent entre le 2 mai et le 28 juillet : scrutins d’admission – il fallait à l’époque obtenir trois scrutins successifs favorables – réception au grade d’apprenti, puis de compagnon et de maître sans respecter les délais réglementaires pour cause d’urgence, l’escadre pouvant appareiller d’un moment à l’autre. Si bien qu’en quatre mois ce ne sont pas moins de neuf frères portugais qui repartent de Brest avec des diplômes attestant leur qualité de Maître maçon. Ils se rappellent d’ailleurs au souvenir de leur logemère près d’un an plus tard, l’escadre étant alors au Brésil : « Le frère 1er Surveillant donne lecture d’une lettre adressée au R∴ At∴ par les frères portugais à l’Orient de Rio de Janeiro. Cette planche qui contient l’expression des sentiments les plus affectueux et les plus fraternels est saluée par le triple vivat le plus maçonnique, et le frère 1er Surveillant est chargé d’y répondre42. »
33C’est au même moment que le Portugal va basculer dans la guerre civile. Lorsqu’à la mort de son père João VI en 1826, Pedro IV devient roi du Portugal, un jeu de chaises musicales va en effet commencer sur les trônes de Portugal et du Brésil. Car étant déjà depuis 1822 empereur du Brésil sous le nom de Pedro Ier, il abdique sa couronne du Portugal en faveur de sa fille Maria (7 ans), après avoir octroyé une Charte au royaume et confié la régence à son frère Miguel. Mais en mars 1828 des professeurs de l’Université de Coïmbre, qui se rendaient à Lisbonne pour féliciter Don Miguel, sont assassinés par un groupe d’étudiants manipulés par une société secrète. Le régent répond par une sévère action répressive, se fait proclamer roi sous le nom de Miguel Ier le 23 juin 1828, et abolit la Charte. Il comptait sur l’approbation des puissances conservatrices de la Sainte Alliance, mais aussi bien la France de Charles X que l’Autriche de Metternich ou la Russie, qui ne tenaient nullement à l’ouverture d’un foyer d’agitation dans la péninsule ibérique, se montrent plus que réticentes. Quant au gouvernement britannique, pour qui depuis les guerres du Premier Empire le Portugal n’est ni plus ni moins qu’une sorte de protectorat, il est franchement hostile. Les libéraux de tout bords s’exilent alors en masse en Angleterre, où le marquis de Palmela organise la résistance à la royauté de Don Miguel. La jeune reine Doña Maria II est accueillie le 24 septembre 1828 par la cour de George IV comme la seule souveraine légitime du Portugal. Un mois plus tard un gouvernement en exil est constitué à Angra, capitale de l’île de Terceira, aux Açores, et Don Pedro, en tant que tuteur de sa fille, y installe une régence de trois membres en juin 1829.
34Les troupes fidèles à la jeune reine D. Maria II, sous le commandement du général comte de Saldanha43, tentent d’abord de rejoindre à la fin de l’année 1828 l’île de Terceira, mais les Anglais font donner le canon, confisquent les navires et les empêchent de débarquer. Il n’est pas aisé d’interpréter la politique de Palmerston, alors ministre des affaires étrangères, qui d’un côté soutient les prétentions légitimistes du gouvernement portugais en exil, et de l’autre le prive de ses moyens d’action. Toujours est-il que trois bâtiments anglais et un russe amènent alors les exilés à Brest le 29 janvier 182944 – on se demande également pourquoi à Brest ? – mais ici le comte de Saldanha est formel :
« Repoussé par le canon britannique de l’île de Terceira où je me rendais pour rejoindre mes camarades fidèles à la cause de la charte constitutionnelle du Portugal et de la reine D. Maria II, j’abordais à Brest au mois de janvier 1829 avec 640 soldats, officiers et employés civils. Accueilli avec la plus grande bienveillance par l’amiral Duperré, alors préfet maritime de ce port, je reçus de lui des rations et des secours pour tous mes compagnons d’infortune. Et M. Hyde de Neuville, à la même époque ministre de la Marine, après avoir approuvé la conduite de M. Duperré à notre égard, nous permit de débarquer. M’étant rendu dans le courant du même mois à Paris, j’obtins du ministère la distribution des 640 réfugiés portugais en trois dépôts, savoir un à Laval, un second à Mayenne et le troisième à Fougères. Le ministère accorda en même temps 3 F par jour à chaque officier et à chaque individu assimilé aux officiers, et 1 F à chaque soldat45. »
35Parmi les réfugiés débarqués, dont le quart environ sont des officiers ou de hauts fonctionnaires de l’administration portugaise, il y a au moins, outre le comte de Saldanha lui-même, une quinzaine de francs-maçons, certains étant possesseurs de hauts grades écossais. Ils prennent immédiatement contact avec la loge des « Élus de Sully », et en particulier avec le F∴ Loyer, comme en témoigne le compte rendu de la tenue du 18 février 1829 où il est dit que ce dernier « a remis à un frère portugais le secours que la loge lui avait accordé dans une précédente Tenue46 ». Et les procédures mises en place dix-huit mois plus tôt lors de l’escale des vaisseaux portugais recommencent à fonctionner avec la même efficacité : visite des frères réguliers, avec quelques ajustements dus aux circonstances : « Le vénérable expose qu’il se trouve dans la chambre des pas perdus plusieurs francs-maçons portugais, lesquels sont démunis de leurs diplômes et certificats, ayant été obligés de s’en défaire pour éviter les persécutions. Un frère leur compatriote ayant déjà visité assurant et affirmant sur sa parole maçonnique que ces frères sont tous maçons et ayant travaillé avec eux, l’entrée du Temple leur est donnée après avoir été tuilés47. » Se succèdent alors réceptions au grade d’apprenti, affiliations et régularisations, car les frères portugais ayant réalisé eux-mêmes des initiations dans une loge provisoire – dont le titre distinctif est malencontreusement transcrit « Résignation » par le frère secrétaire des « Amis de Sully » alors qu’il fallait entendre « Regerenação » et traduire « Régénération » ou « Renaissance » – ils demandent de plus à la loge brestoise de les régulariser : « Le vénérable fait circuler le sac des propositions, dans lequel il se trouve une planche d’architecture concernant les frères portugais qui désirent la régularisation et l’affiliation, on a procédé à ce travail48. » Tous les frères portugais régularisés ou récemment initiés sont de plus reçus au grade de compagnon puis de maître dès le lendemain ou les jours suivants.
36C’est ainsi que lorsqu’ils se mettent en route un peu plus tard pour rejoindre les dépôts que le gouvernement français leur a assignés49, une dizaine de nouveaux frères ont été agrégés au groupe initial. Si bien que lorsqu’ils passent par Rennes en mai 1829, les frères visiteurs sont tout aussi fraternellement accueillis à « La Parfaite Union » qu’ils l’avaient été aux « Élus de Sully », d’autant plus que les deux loges sont en correspondance : « Le vénérable exprime à ces frères au nom de l’Atelier le sentiment dont chacun de ses membres est pénétré. Il leur témoigne tout l’intérêt qu’ils excitent par leur position due à l’ardent amour qu’ils ont manifesté pour la liberté. Il dit combien sont vifs les vœux de la R∴L∴ pour le triomphe de la cause sacrée qu’ils défendent, et leur prompt retour dans leur patrie50. » Les autorités prévoyaient en effet que leur séjour sur le sol français ne dépasserait pas trois mois : certains d’entre eux y resteront près de quatre ans et demi.
37Car la situation se bloque rapidement. Constatant en fait que la durée du séjour des loyalistes portugais ne peut être évaluée, le gouvernement décide dans un premier temps de dissoudre les dépôts existants et de les disséminer sur tout le territoire51. Mais le marquis de Palmela, responsable à Londres du gouvernement portugais en exil, proteste contre cette mesure, et demande à ce que ses troupes puissent se regrouper à Ostende52. Le problème est qu’il ne dispose pas des ressources nécessaires pour financer l’opération, et qu’une partie des réfugiés reste bloquée à Saint-Malo ou dans les environs53. Ceux qui demeurent sont essentiellement des officiers et des magistrats, parfois accompagnés de leur famille, la plupart des sous-officiers ou des hommes de troupe ayant été embarqués en priorité54. Se pose alors le problème de la subsistance de ces exilés. Après quelques tergiversations, le gouvernement de Charles X décide de proroger, en les diminuant quelque peu, les subsides précédemment accordés55.
38Durant ce temps les frères portugais des dépôts de Fougères et de Laval ne sont pas restés maçonniquement inactifs. Toujours soucieux de régularité, ils ont demandé à la loge de Rennes les conditions à remplir pour les initiations qu’ils comptent effectuer : « Le F∴ Alves réfugié portugais habitant Laval demande que la R∴L∴ veuille bien accorder l’initiation à l’un de ses compagnons d’infortune, et lui faire connaître les conditions à remplir dans le cas où cette demande serait accueillie. La Loge arrête que le profane devra être présentés par trois maçons qui seront ses garants, et qu’il sera reçu sans payer d’autres rétributions que celles dues à la caisse de bienfaisance et le don au frère bienveillant56. » Si bien que fin octobre 1829, lorsque se dirigeant sur Saint-Malo ils repassent par Rennes, se succèdent durant cinq jours des tenues d’initiation, d’augmentation de salaire ou de régularisation, la loge provisoire « Regeneração » ayant pour sa part continué ses travaux à Fougères, et préalablement demandé à « La Parfaite Union » l’autorisation d’effectuer des initiations au premier grade57 :
« Les frères portugais sont accueillis par le vénérable avec des paroles pleines de force et respirant l’esprit de juste indépendance qui les anime. Elles félicitent nos frères victimes de leur dévouement à une cause légitime et constitutionnelle d’avoir courageusement persisté dans l’accomplissement du devoir du vrai maçon et du citoyen, qui fort de l’appui des lois se sacrifie à leur maintien et à leur intégrité.
Le vénérable donne lecture d’un certificat attestant que les maçons réguliers, membres de la R∴L∴ des Élus de Sully à l’Orient de Brest, se trouvant éloignés de plus de 25 lieues de toute loge régulière dépendant du Grand Orient, se sont assemblés sous la présidence du F∴ Rodrigues, S∴P∴R∴. Formés en Loge parfaite et provisoire ces frères, après avoir pris connaissance d’une planche traçée de la R∴L∴ de La Parfaite Union à l’Orient de Rennes, annonçant que la demande en initiation des profanes Gaspar Miller, commis aux vivres, Francisco de Mello Vaz Pinto, sous-lieutenant, Manoel Pedro d’Alcantara, également sous-lieutenant, a été prise en considération par cette R∴L∴, et que les scrutins de ces profanes sont revenus purs sur l’autel, décident que le grade d’apprenti leur sera communiqué sous la condition qu’ils se feront régularisés en Loge régulièrement constituée.
L’Atelier de La Parfaite Union, après avoir pris connaissance de cette pièce, arrête que, jaloux de donner aux frères portugais un témoignage de son amitié, il les admet à la régularisation, et que le certificat qui leur a été délivré sera déposé dans ses archives58. »
39Le lendemain les mêmes frères sont initiés au grade de compagnon, et le surlendemain au grade de maître :
« Le F∴ De Kerpen invite le F∴ Leonel Tavares Cabral à prendre le maillet de premier Surveillant, et le F∴ Xavier da Silva Pereira celui de second Surveillant. L’Atelier applaudit de voir ses Colonnes dirigées par ces deux dignes frères, et leur nom buriné sur le livre d’Architecture des Maîtres perpétuera dans nos archives un souvenir aussi doux que celui que l’Atelier éprouve en ce jour.
Le F∴ Maître des Cérémonies introduit les compagnons Manoel Pedro d’Alcantara, Francisco de Mello Vaz Pinto, Gaspar Miller et Manoel Antonio Fereira d’Aragao. Le premier seul subit les épreuves. Conduits à l’autel, le Vénérable leur confie le grade parfait de la maçonnerie bleue, et les proclame en s’applaudissant par trois fois de l’acquisition que vient de faire l’Atelier de nos frères portugais59. »
40Quelques-uns d’entre eux font alors partie du convoi pour Ostende. Mais il y a évidemment pléthore d’officiers pour cette expédition, et la plupart d’entre eux restent sur le sol breton. Ceux dont la résidence à été fixée à Hédé, petit bourg proche d’une vingtaine de kilomètres de Rennes, s’organisent immédiatement : « Les frères portugais cantonnés à Hédé annoncent qu’ils viennent de former un comité de sept membres chargé de vérifier les demandes qui pourraient être adressées au R∴ At∴ par des maçons ou des profanes portugais, afin de mettre la R∴L∴ dans la position de n’accorder son appui qu’à ceux qui le méritent60. » Ils sont toujours à ce moment dans l’attente d’un départ prochain, mais dans l’intervalle leur situation financière s’est dégradée, les subsides promis par le gouvernement français ne leur arrivant plus. « La Parfaite Union » décide alors d’inviter tous les frères portugais de Hédé à la fête solsticiale d’hiver, de supprimer le banquet d’ordre et d’en remettre le montant aux « frères portugais les plus malheureux ». En remerciement de l’accueil reçu, le F∴ capitaine José de Vasconcellos Bandeira de Lemos remet ce jour-là aux mains du Vénérable « une bannière offerte par ses frères aux ouvriers de La Parfaite Union, et forme le vœu que placée dans notre auguste Temple elle soit à jamais un gage de la fraternelle amitié qui unit les maçons réfugiés portugais à notre R∴ At∴61 ». La Loge avait déjà fourni auparavant des secours ponctuels à des frères portugais en difficulté passant par Rennes. Mais la somme provenant des inscriptions au banquet d’ordre se révélant insuffisante en face des besoins, elle ouvre de plus une souscription dont le montant leur est remis quelques jours plus tard au cours d’une tenue au grade de Maître :
« Le T∴R∴ s’adressant aux frères portugais leur fait connaître que dans sa Tenue d’hier la R∴L∴ lui a confié la douce mission d’être près d’eux l’organe de ses plus affectueux sentiments, et de leur annoncer qu’elle avait provisoirement affecté 300 F aux secours des frères qui auraient des besoins. Plusieurs frères portugais demandent au T∴R∴ la permission de s’expliquer dans leur langue, et prient le F∴ Leonel Tavares Cabral de vouloir bien être leur interprète. Le F∴ Leonel Tavares Cabral résume les avis en disant que tous ses frères compatriotes sont unanimes dans le sentiment de la plus vive reconnaissance envers la R∴L∴ pour cette nouvelle marque d’amitié qu’elle vient de leur donner, et que tous sont d’avis de recevoir la somme qui leur est affectée comme si elle était égale à tout l’or du Brésil ; que tous sont d’avis de considérer ces 300 F comme un fonds commun à eux tous, afin que celui qui à l’avenir se trouverait dans un besoin pressant puisse y puiser la somme qui lui serait nécessaire ; que ce désir est particulièrement déterminé par la certitude que M. le Préfet a reçu la semaine dernière l’ordre de faire payer deux francs par jour aux émigrés portugais, et qu’alors le sort de chacun devenant meilleur qu’il n’était hier, la mesure de prudence indiquée est indispensable afin que si cet état de choses venait à changer les frères portugais aient toujours une ressource assurée62. »
41La situation politique portugaise n’évolue guère au cours du premier semestre de l’année 1830. L’opposition au régime de D. Miguel s’organise cependant à partir de la régence installée aux Açores, que le F∴ major Francisco Xavier da Silva Pereira rejoint en février. La plupart des officiers supérieurs de l’état-major de la résistance loyaliste sont d’ailleurs également francs-maçons, comme le F∴ major João António Lopez de Andrade, que le comte de Saldanha appelle près de lui à Paris pour assurer son secrétariat personnel, la liaison avec les ministères et avec les différents dépôts provinciaux dans lesquels les réfugiés portugais ont entre temps été regroupés. Celui de Rennes est le plus important, si bien que pendant encore trois ans et demi – le dernier frère portugais ne quittera Rennes qu’en juillet 1833 – la loge de « La Parfaite Union » va travailler dans une ambiance souvent insolite. Il n’est pas rare en effet que lors des tenues d’obligation les frères portugais présents soient plus nombreux que les rennais, et qu’ils remplacent les officiers éventuellement absents. Il arrive même que l’Atelier, faute de place en salle humide, soit obligé de limiter le nombre de frères portugais visiteurs lors des banquets d’ordre, et d’organiser lors de l’hiver 1831 des « Tenues de famille » ouvertes aux seuls frères rennais, lorsqu’il doit faire appel à toutes les loges de l’Obédience pour venir en aide au F∴ Carré*, son vénérable en exercice, professeur de droit et jurisconsulte célèbre, que la faillite de son libraire a réduit à la misère, et pour lequel il lance le « signe de détresse » :
« Notre Vénérable en exercice, l’un des fondateurs de notre Temple dont il a été jusqu’à ce jour le plus solide appui, le T∴C∴ et T∴I∴ F∴ Carré, auteur d’un grand nombre d’ouvrages sur le droit, doyen des professeurs à la Faculté de droit de cette ville, décoré de la Légion d’honneur, est en ce moment dans la plus profonde misère. Une planche que nous recevons aujourd’hui de Paris, où il a été forcé de se rendre pour le règlement de ses affaires, nous apprend que ce digne et infortuné frère usé déjà par l’âge, par les veilles et par la douleur, éloigné de sa famille, se trouve présentement dénué de toute ressource, logé dans une chambre froide où sa vertu le soutient contre la rigueur de la saison et les humiliations croissantes de la pauvreté. Dans cette fatale situation, notre digne frère recueille ses forces pour couvrir, par les fruits de son travail, les dettes que sa délicatesse et un déplorable enchaînement de circonstances lui ont fait contracter. Épargnez à notre douleur le détail circonstancié de cette longue série d’infortunes ; qu’il vous suffise de savoir que notre digne et malheureux frère éprouve aujourd’hui les humiliations qu’au prix d’une délicatesse sans exemple il avait épargné à son père, en acquittant pour lui quatre-vingt mille francs de dettes que celui-ci lui avait léguées pour tout héritage. Joignez à cela la brèche énorme que la faillite de son libraire a faite à son humble fortune.
La R∴ L∴ qu’il préside depuis si longtemps informée de la position de son cher Vénérable et des mesures humiliantes que quelques-uns de ses créanciers sont dans l’intention de prendre à son égard s’est empressée de s’imposer à elle-même pour une somme de quatre mille francs, et de nommer une commission chargée de faire en son nom un appel à toutes les loges de France. A leur tête brille le Grand Orient dont La Parfaite Union se félicite d’avoir constamment mérité le bienveillant appui par son zèle maçonnique. C’est donc avec confiance que nous nous adressons à votre fraternelle amitié, et que nous implorons votre puissante intercession en faveur d’un des plus dignes enfant de la Veuve qui ait jamais fait le signe de détresse63. »
42Auparavant, l’atelier avait à chaque fois répondu positivement lorsqu’un tel appel au secours lui était ainsi parvenu, et il en arrive généralement plusieurs par an. Aussi tiendra-t-il une comptabilité exacte des dons reçus, et ne répondra par la suite à des demandes similaires qu’en faveur des loges de l’Obédience qui l’auront lui-même aidé. Ce qui ne l’empêche pas de continuer à soutenir les frères portugais exilés. À la fête solsticiale du 25 juin 1830, le F∴ Leonel Tavares Cabral résume leur état d’esprit :
« Les maçons portugais croyaient que leur reconnaissance envers vous ne pouvait plus s’accroître, parce que depuis longtemps vous avez épuisé à leur profit toutes les lois du code de la plus bienveillante amitié. Mais l’accueil dont vous nous honorez aujourd’hui nous prouve que vous savez nous ménager de nouveaux moyens pour semer chaque jour des fleurs sur nos infortunes. Nous avions espéré que le solstice éclairerait la liberté de notre patrie et qu’à cette époque les Temples lusitaniens retentiraient de nos acclamations. Le sort nous poursuit encore, mais nous supporterons toutes ces épreuves en vrais maçons, car la liberté est un bien trop précieux pour n’être pas achetée par tous les sacrifices. Les choix que fait la France, celui que cette cité vient de faire, nous garantissent encore des jours de paix et de bonheur. Dans l’intervalle votre amitié et votre bienveillance nous consoleront. »
43Lors de cette même tenue l’Atelier reçoit avec tous les honneurs maçonniques son ancien vénérable, le F∴ Louis Bernard*, avocat, qui vient d’être élu à la Chambre des députés dans la nouvelle majorité libérale, et qui répond ainsi aux félicitations de la loge :
« Mes frères bien-aimés, après les vives émotions que j’ai éprouvées dans les trois jours qui viennent de s’écouler, j’avais besoin d’impressions plus douces. Je les viens chercher au milieu de vous, de cette loge à laquelle je suis si fier et si heureux d’appartenir. L’urne électorale, en proclamant le nom d’un véritable élu du peuple, proclamait en même temps celui d’un franc-maçon, c’est à dire d’un enfant de la liberté et de la fraternité. Fils de La Parfaite Union, enfant adoptif de cette cité, vous comprenez mes frères quels sentiments m’animent en ce beau jour ! »
44Il est ici intéressant de noter que le F∴ Bernard se considère comme un « élu du peuple », alors que son élection relève du plus strict suffrage censitaire jamais mis en place pour une consultation électorale64. Les autres membres de la nouvelle majorité partagent pour la plupart son état d’esprit. Aussi cette nouvelle donne politique provoque dès le lendemain la publication par Charles X de quatre ordonnances restreignant les libertés individuelles, celles de la presse, modifiant la loi électorale et dissolvant la nouvelle assemblée. Paris se soulève immédiatement, et à la suite des « Trois Glorieuses » des 27-28-29 juillet 1830, Louis-Philippe 1er devient le 9 août « roi des Français ». La Loge s’empresse de célébrer par une « Fête de la Liberté » des événements si conformes à ses vœux :
« Le vénérable se lève et propose que le Drapeau National soit inauguré dans le temple. Il saisit cette occasion pour rappeler que lorsqu’il fut levé pour la première fois dans notre belle France, ces trois couleurs chéries furent regardées comme celles de la Maçonnerie. Sa proposition est accueillie avec enthousiasme et bientôt une députation de neuf membres se transporte dans le parvis. Elle rentre guidée par le Maître des Cérémonies. Le drapeau français est au milieu d’elle. Le Vénérable s’avance au-devant de la députation, et saisissant le Drapeau National il le présente aux acclamations de l’atelier. Ses paroles, pleines de la plus vive émotion, sont reçues avec enthousiasme. Trois batteries saluent nos couleurs libératrices, et elles sont arborées pour toujours à l’Orient. »
45L’ambiance dans la salle des banquets, « où flotte l’étendard national au milieu des drapeaux de notre atelier », est également très différente de celle qui prévalait auparavant :
« Aux accents joyeux se mêlent les santés toutes portées du fond du cœur, car il n’y en a plus d’obligation. Des cantiques maçonniques et profanes embellissent la fête et retentissent avec l’hymne des Marseillais. Mais un douloureux souvenir est aussi accordé aux victimes de Paris : les noms chers de Vanneau et Papu sont dans toutes les bouches, et le tribut de nos regrets est payé à leurs mânes généreuses65. »
46La décoration intérieure du temple est une fois de plus reprise : « Le vénérable propose à l’Atelier de faire remplacer les bustes de Louis XVIII et de Henri IV placés à l’Orient par ceux de Louis-Philippe Ier Roi des Français et de l’illustre général La Fayette, et de transporter les deux premiers au-dessus des deux surveillants. Cette proposition est accueillie avec enthousiasme66. » Mais cette fois l’enthousiasme n’est pas de convenance, et il semble bien que l’avènement d’une monarchie constitutionnelle comble les vœux de l’Atelier, si l’on en juge par la douzaine de frères actifs, ou anciens membres de l’Atelier, qui vont se retrouver immédiatement ou un peu plus tard dans l’administration municipale ou départementale, alors qu’on n’en trouve pratiquement aucun dans la période précédente, sans parler de la carrière politique que va alors commencer Gaillard de Kerbertin67. Et quelques années plus tard, ce sera un membre de l’Atelier, le F∴ Millardet*, architecte de la ville de Rennes, qui dessinera et élèvera la colonne commémorative à Vanneau et à Papu, ces deux étudiants rennais morts à Paris lors des journées de juillet 1830, que l’on peut toujours voir dans le jardin du Thabor68.
47Dès sa prise de fonction Guizot, ministre de l’Intérieur dans le nouveau gouvernement Laffite, a demandé un rapport sur la situation des réfugiés portugais en France69. Il suspend dans un premier temps la distribution des secours, qu’il rétablit à la demande du F∴ La Fayette, commandant de la Garde nationale, et homme-clé des derniers événements, mais selon le taux réduit fixé par le précédent ministère. Toujours appuyé par La Fayette70, le comte de Saldanha intervient alors, faisant le point de la situation et amenant dans le débat financier un argument nouveau auquel le gouvernement français sera sensible :
« Il ne reste maintenant en France que 188 des 640 portugais débarqués à Brest en 1829, auxquels je prendrais la liberté de proposer l’adjonction de 47 autres dispersés depuis Bayonne jusqu’à Paris, qui se trouvent dans le besoin d’être secourus par le gouvernement. Dans les circonstances actuelles tout me fait espérer que bientôt mes compatriotes et moi pourrons revoir notre patrie rendue à la liberté. En attendant, il est à propos de rappeler qu’il existe entre les mains du gouvernement français un fonds montant à plus de deux millions de francs dû au Portugal et provenant de l’indemnité accordée à ce pays par un des articles de la paix de Paris du mois de novembre 1815. Ce fonds offre donc une garantie pour tous les déboursés que la France a déjà faits ou pourrait faire pour l’entretien des réfugiés portugais, et certes quelque soit le gouvernement qui régisse le Portugal, il ne pourra jamais refuser de reconnaître que les secours ainsi déboursés doivent être déduits du montant de sa créance71. »
48Tous les réfugiés portugais continueront en effet dès lors à être soldés durant le reste de leur séjour en France, avec plus ou moins de régularité selon les contraintes budgétaires, ce qui ne manque pas quelquefois de poser problème, les indemnités accordées permettant au mieux de vivre avec économie, mais se trouvant insuffisantes en cas de charge de famille – un petit nombre d’émigrés sont arrivés avec femme et enfants, et d’autres naissent sur le sol français72 – ou bien de maladie, voire simplement d’un hiver rigoureux comme en 183173. Les frères António Barreto Pinto Feio ou Ricardo José Rodrigues França, qui commandent respectivement les dépôts de Rennes et de Saint-Servan, se voient également obligés de demander régulièrement des subsides supplémentaires pour faire face aux obligations administratives dont ils ont été chargés par les autorités. Rares sont ceux en effet qui peuvent subvenir à leurs besoins, comme le F∴ magistrat António Luis de Seabra, qui « trouve les moyens de pourvoir par son travail à sa subsistance personnelle et à celle de sa famille comme professeur de mnémotechnie », tandis qu’un autre magistrat, le F∴ José Francisco de Assis e Andrade, pourtant recommandé à Paris par la loge des « Trinosophes », ne peut obtenir en échange de ses talents de musicien amateur qu’une place de première clarinette dans la 5e Légion de la Garde Nationale, emploi honorable mais hélas non rétribué. La loge de Rennes continue donc pendant tout ce temps à aider financièrement les frères portugais, mais souvent aussi les autres réfugiés. On peut pratiquement suivre la vie au jour le jour de ces exilés au travers des nombreuses demandes de secours extraordinaire ou d’autorisations de déplacement adressées au ministère via les préfets des départements concernés74. Et toutes les histoires ne sont pas forcément tristes, témoin celle du F∴ Luís Joaquim de Sampaio, commissaire des guerres dans l’armée portugaise, qui débarque à Brest en janvier 1829, y fait la connaissance d’une jeune fille, qu’il s’empresse de rejoindre au mois d’août suivant en prétextant de son « état de santé75 » pour quitter le dépôt de Laval où il avait été affecté. Il épouse la demoiselle au début de l’année 1830 et lui fait bientôt un enfant. Le problème est qu’en dépit de ses demandes réitérées, le ministère, considérant qu’il s’agit là de charges qu’il s’est lui-même créé, ne veut admettre ni sa femme ni son fils aux bénéfices des subsides dont bénéficient les familles des autres réfugiés. Aussi n’hésite-t-il pas à écrire directement « au général et T∴C∴F∴ La Fayette », en datant sa lettre de « L’Orient de Brest, le 4e jour du 9e mois de l’an de la Vraie Lumière 5830 » : « Un mot de vous général et digne citoyen, ferait accueillir ma demande. C’est avec les plus vives instances que j’en sollicite la faveur, pour l’obtention de laquelle je n’offre que mon titre d’émigré portugais, mes besoins pressants et la bienfaisance, vertu chère des enfants de la Vraie Lumière dont je m’honore de faire partie, tout en vous comptant au nombre de ses sectateurs les plus zélés et les plus dignes76. » L’administration de Louis-Philippe restera aussi intraitable que celle de Charles X.
49La présence en nombre sur le sol français de réfugiés portugais, mais également espagnols, polonais et italiens n’est certainement pas étrangère à la décision du gouvernement de Louis-Philippe de créer la Légion Étrangère par ordonnance royale du 10 mars 1831. Les sous-lieutenants entrent immédiatement en ébullition, et avec trois autres officiers réfugiés à Saint-Servan le F∴ Manoel Pedro d’Alcântara fait immédiatement acte de candidature auprès du sous-préfet de Saint-Malo77. Mais comme il est précisé entre autre que « la durée de l’engagement sera de trois ans au moins et de cinq ans au plus », leurs supérieurs ne l’entendent évidemment pas de cette oreille et réfrènent immédiatement leurs ardeurs78. L’instauration d’une monarchie constitutionnelle en France a de plus créé un appel d’air, si bien que le 5 mai 1831, ce sont 111 réfugiés portugais supplémentaires qui débarquent à Brest, ce qui complique encore la situation, comme on peut en juger d’après cette pétition au ministre de l’Intérieur du 28 mai, signée pour tous les nouveaux arrivants par le F∴ José Vittorino Barreto Feio :
« Les émigrés portugais, que la force des circonstances avait conduits à Rio de Janeiro, où ils se trouvaient sans subsistance, à la première nouvelle des heureux succès de Juillet, ont pris la résolution de rejoindre leurs compatriotes en France, dans l’espérance que l’époque ne serait pas éloignée de pouvoir faire quelques services à leur chère et malheureuse patrie, et comptant sur la philanthropie et la générosité du gouvernement et de la nation française. Arrivés à cette rade, et la permission de descendre à terre leur ayant été accordée (bienfait dont ils ne s’oublieront jamais), trois propositions leur ont été faites par le commandement de cette place, savoir s’ils voulaient s’enrôler dans la Légion Étrangère, ou être conduits sur les frontières du Portugal, ou enfin rester en France sans aucun secours du gouvernement. Les émigrés qui, ayant sorti de leur patrie comme ceux qui échappent d’un incendie n’ont pas de quoi vivre dans ce pays, se trouvent dans le plus grand embarras. Parce que s’ils acceptent le premier parti, ils se mettent hors d’état de servir leur patrie, au moins pour le temps de leur engagement. S’ils préfèrent le second, ils iront à une mort certaine. Dans cette horrible position, toujours fidèles à notre devoir, nous embrassons avec plaisir et plein de reconnaissance la dernière proposition, persuadés qu’on n’adoptera pas envers nous une mesure différente de celle qu’on a adoptée à l’égard des autres émigrés, et que nous ne périrons pas de faim sur le sol sacré de la France79. »
50Et en effet le gouvernement français intègre bientôt les nouveaux venus dans les structures existantes. Parmi ceux qui sont affectés aux dépôts de Rennes ou de Saint-Servan, il y a bien entendu un certain nombre de francs-maçons, si bien que « La Parfaite Union » recommence à ce moment un nouveau cycle d’affiliations, de régularisations et d’initiations. Mais il n’y a pas qu’en France que la situation politique a changé. L’empereur D. Pedro Ier du Brésil – l’ex-roi D. Pedro IV du Portugal, si l’on préfère – a dû le 7 avril 1831, suite à une révolution libérale, abdiquer encore une fois en faveur de son fils D. Pedro II (5 ans). On ne peut ici que constater que le même personnage peut être successivement libéral au Portugal et absolutiste au Brésil, mais cette abdication lui redonne en même temps une complète liberté d’action. Cependant, il ne peut reprendre la couronne du Portugal, puisqu’il y a renoncé en faveur de sa fille. Il décide alors de revenir en Europe pour soutenir sa cause. La politique du gouvernement britannique étant toujours aussi opaque, il se rend compte qu’il ne peut pas compter sur l’aide de l’Angleterre pour favoriser une expédition de reconquête. Par contre le roi Louis-Philippe s’est déclaré prêt à lui fournir une aide politique et militaire. Aussi vient-t-il en France et en février 1832, et s’embarque à Belle-Île à l’insu des Anglais pour Terceira, où il reprend à son compte la régence qu’il exerce alors sous le nom de duc de Bragance. Après avoir réuni sur l’île de São Miguel une petite armée de 7 500 hommes, recrutés parmi les exilés aux Açores, en France, en Belgique et en Angleterre, il débarque à Mindelo près de Porto le 8 juillet 1832, mais se trouve rapidement arrêté par les troupes de D. Miguel. La situation ne se débloque qu’au printemps suivant, lorsqu’avec l’aide de l’Angleterre – qui semble enfin avoir choisi son camp – le marquis de Palmela réussit à former une flotte de 5 bateaux à vapeur. Sous le commandement de l’amiral Napier, avec des marins et des soldats anglais et belges, elle arrive dans l’estuaire du Douro le 1er juin 1833. Le 28 juin 1833, D. Pedro rentre dans Lisbonne, et D. Miguel est banni. D. Pedro restaure la Chartre de 1826, et meurt l’année suivante après avoir promulgué les réformes législatives, judiciaires et administratives inspirées par le F∴ Mousinho da Silveira80, un magistrat qui s’était réfugié à Paris. L’une des plus importantes est la suppression de tous les ordres religieux et la sécularisation de leurs biens, dont la vente permet de renflouer le Trésor. La reine D. Maria II monte alors sur le trône, à 15 ans81.
51La plupart des Portugais présents à Rennes au début de l’année 1832 font partie de la flotte qui se constitue à Belle-Île et se dirige vers les Açores82, tandis qu’une deuxième expédition part de Nantes. Pour des raisons diverses – maladie, absence de place sur les vaisseaux, ou ordre supérieur de rester à Rennes comme pour le F∴ António Barreto Pinto Feio, commandant du dépôt, quelques-uns vont rester sur place jusqu’en juillet 1833, où ils sont embarqués pour le Portugal via Saint-Malo, Brest ou Boulogne. Le dernier militaire cité demande quitus au préfet83, et tous les frères portugais restants prennent congé de la Loge lors de la tenue du 5 juillet 1833 : « Le vénérable ayant demandé si quelque frère avait des observations à faire pour le bien général de l’Ordre ou de l’Atelier en particulier, un frère portugais prend la parole et fait ses adieux au nom de tous ses compatriotes à la R∴L∴ et à tous les frères en général84. » Au total, entre les années 1829 et 1833, ce sont plus d’une centaine de frères portugais qui participent aux travaux des loges de Brest et de Rennes, dont près de la moitié au moins reçus ou régularisés par ces deux loges. Ils participent également aux travaux du Chapitre « La Parfaite Union », qui les admet avec libéralité aux ordres du rite français, puisque près d’une vingtaine accéderont aux grades d’Élu, d’Écossais, de Chevalier d’Orient ou de Rose-Croix85. L’influence de ce contingent d’émigrés sur le devenir de la maçonnerie portugaise sera loin d’être négligeable, puisque l’on retrouve la trace de près d’un tiers d’entre eux dans les listes dressées par A. H. de Oliveira Marques dans son ouvrage de référence sur l’histoire de la Franc-Maçonnerie au Portugal86. Avec parmi eux quelques figures notables, comme Miguel António Dias Sientre, à l’époque étudiant à l’université de Coïmbre, reçu en loge provisoire et régularisé à « La Parfaite Union » en 1831, qui deviendra Grand Maître de la Maçonnerie Éclectique portugaise en 1853. D’autres poursuivront de brillantes carrières militaires ou civiles, comme António Luis de Seabra, déjà cité, également reçu à « La Parfaite Union » en 1831, qui sera successivement député, ministre de la Justice, président de la Chambre des députés, recteur de l’université de Coïmbre, et qui rédigera le Code civil portugais en 1867. Durant tout le temps de leur séjour en France, les frères portugais auront reçu des frères français un appui moral et matériel sans faille. Il n’est pour s’en convaincre que d’écouter les paroles que prononce le F∴ major de cavalerie Xavier da Silva Pereira lors de la tenue de « La Parfaite Union » du 1er novembre 1829, retranscrites in extenso sur le Livre d’Architecture de l’atelier. Au-delà d’une rhétorique un peu emphatique, leur sincérité en porte toujours aujourd’hui témoignage :
« Il paraît que dans la sagesse incompréhensible du Grand Architecte de l’Univers la nation portugaise a été destinée pour faire voir à tout le monde combien la Franc-Maçonnerie est respectable, combien elle est utile.
Le crime le plus honteux force un grand nombre de citoyens portugais à chercher loin de leur pays un asile où ils puissent se mettre à l’abri de la persécution, et attendre l’occasion d’employer leurs bras au service de la plus sacrée de toutes les causes. L’adversité, d’accord avec le criminel, poursuit partout la victime de la fidélité et du dévouement à la liberté. Mais voilà les adorateurs du vrai Dieu, voilà les propagateurs de la morale éternelle, qui accourent au-devant des malheureux et qui s’efforcent de les soutenir dans le courage, en leur apportant les consolations les plus touchantes et les plus généreuses ! Non seulement les Temples de la Lumière ouvrent leurs portes à ceux qui en connaissent déjà la route, mais l’entrée du sanctuaire est permise à plusieurs de ceux qui n’avaient pu encore y pénétrer. Nous y trouvons des frères qui nous reçoivent à bras ouverts, qui nous font voir leur cœur, qui montrent combien ils sont sensibles à nos maux, et qui font tout ce qu’ils peuvent pour en alléger le poids. Tandis que nous y sommes nous oublions nos peines, et nous en sortons étonnés de la nouvelle force que nous venons de puiser dans les baisers fraternels. Si quelqu’un se trouve particulièrement en butte aux coups du sort, il reçoit d’autres secours qui le mettent à même de braver encore les tribulations qui le frappent. Et pour que rien ne manque à la sainteté de la Maçonnerie, elle va cherchant jusque parmi les profanes les objets de sa charité. Outre les soulagements apportés à nos maux personnels, nous recevons des marques nullement équivoques de l’intérêt le plus vif pour notre chère patrie, pour ceux qui y souffrent, et pour le bonheur futur de notre Nation. Cet intérêt, réfléchi dans l’opinion publique, finira par porter ses fruits.
Nous remercions donc le Grand Architecte de l’Univers des épreuves qu’il lui plaît de nous faire subir, parce que, ainsi que nous les jugeons utiles à notre pays sous le rapport de l’expérience qui lui manquait, nous croyons voir également la plus victorieuse de toutes les réponses à ceux qui, par ignorance ou par haine de tout ce qui est bien, osent encore calomnier la plus noble de toutes les associations. Les souffrances de la Nation portugaise font voir combien il importe à l’humanité de lier les citoyens de tous pays par une chaîne qui puisse embrasser tout l’univers : la voilà dans la seule Maçonnerie.
Le langage que je viens de vous parler est celui de tous les frères portugais qui ont eu part à vos mystères. C’est le langage du cœur, et nos actions ne le démentiront jamais. Notre amitié, notre reconnaissance envers nos frères français iront toujours de pair avec notre amour pour la liberté. Comme l’adversité ne sera jamais assez forte pour nous faire transiger avec le despotisme, ainsi le sort ne pourra jamais vous rayer de notre souvenir. »
52Lors de la tenue du 31 janvier 1831, le vénérable faisait savoir aux frères assemblés que l’objet de la convocation du jour était l’ouverture d’une souscription :
« en faveur des frères portugais affiliés à ce Resp∴ At∴, et dont le gouvernement vient de réduire la subvention à 45 F par mois, en raison des lourdes charges qui pèsent en ce moment sur lui. Le frère Orateur profite de la circonstance pour proposer également une souscription au sein de la Loge au profit des braves polonais qui soutiennent en ce moment la cause de la liberté européenne contre la Russie. L’Atelier accueille cette proposition avec transport, et arrête que le produit de cette souscription sera adressé directement au comité directeur polonais établi à Paris, sous les auspices de l’illustre général La Fayette. »
53Les événements de juillet 1830 en France avaient eu en effet pour conséquence de stimuler un peu partout en Europe les partis libéraux ou nationaux tenus sous le boisseau depuis 1815. En Belgique d’abord, qui rejetant son statut de province hollandaise proclame son indépendance le 4 octobre. Bien que la France et l’Angleterre se mettent rapidement d’accord sur le principe de l’indépendance puis de la neutralité belge, et de la dévolution de la couronne de Belgique au prince Léopold de Saxe-Cobourg, une intervention militaire française est nécessaire en août 1831 pour venir à bout de la mauvaise volonté de Guillaume 1er d’Orange, décidé à maintenir les prétentions hollandaises. Intervention que le F∴ Maurice Gérard*, maréchal de France et commandant en chef des forces françaises, initié en 1801 à « La Parfaite Union », devra réitérer l’année suivante pour l’obliger à évacuer Anvers.
54Les Polonais furent moins heureux que les Belges. Leur situation de départ était sensiblement la même : les traités de 1815 avaient constitué un royaume de Pologne attribué personnellement au tsar Alexandre 1er, qui en avait fait une monarchie constitutionnelle avec une Diète votant les impôts et les lois, et une armée distincte de l’armée russe. Mais son successeur Nicolas 1er, n’admettant ni la monarchie de Juillet en France, ni son corollaire l’indépendance de la Belgique, décide en novembre 1830 d’intervenir militairement, et mobilise l’armée russe, mais aussi l’armée polonaise. Ce qui provoque une insurrection à Varsovie, et la proclamation par la Diète de l’indépendance de la Pologne, et de son union avec la Lituanie. Les Polonais prirent bien soin de faire savoir qu’ils s’insurgeaient contre le pouvoir russe non seulement pour revendiquer leur propre liberté, mais également pour la défense des libertés européennes : « Si dans cette lutte la liberté de la Pologne doit succomber, tout bon polonais emportera en mourant cette consolation que si le ciel ne lui a pas permis de sauver sa propre patrie, il a du moins par ce combat à mort mis à couvert pour un moment les libertés de l’Europe menacée87. » On peut imaginer le retentissement de telles paroles dans l’opinion publique française, et plus encore au sein des loges maçonniques, comme on vient de le voir avec l’exemple de « La Parfaite Union ». Mais le principe de réalité s’appliqua : sauf au prix d’une guerre européenne, aucune intervention armée n’était cette fois possible en faveur des Polonais, qui succombèrent en septembre 1831 après une résistance acharnée. Réunie à la Russie, la Pologne vaincue fut soumise à un régime de dictature militaire, et les officiers insurgés contraints de s’exiler pour éviter la Cour martiale.
55Certains d’entre eux se retrouvent à Rennes quelque temps plus tard. Et ce sont les derniers frères portugais qui, en quittant la France, vont amener sur les colonnes de « La Parfaite Union » les premiers frères de Pologne. La coïncidence pourrait paraître trop belle si elle n’était attestée par le compte rendu de la tenue du 6 mai 1833, à laquelle participent encore cinq frères portugais, et où l’on trouve une proposition d’initiation en faveur de Louis Bolinski et d’Alexandre Mozginski, respectivement lieutenant et sous-lieutenant au 16e régiment d’infanterie polonais. Ces deux officiers s’étaient en effet rendus à Belle-Île pour proposer leurs services aux forces de D. Pedro IV, comme en témoigne une lettre au ministre de l’Intérieur du dernier cité :
« Lorsque le sort des armes l’obligea à quitter sa patrie, il se retira en France, et pendant son séjour à Belle-Île-en-Mer en attendant l’embarquement pour le Portugal, afin de prendre part à l’expédition de Don Pedro, il recevait les secours que la générosité française offre à des étrangers malheureux. Mais son dessein ne s’est point réalisé. En attendant des nouvelles de ses parents, il n’a pas quitté le sol de France jusqu’au temps où l’affaire du Portugal s’est heureusement finie88. »
56Le frère secrétaire de l’atelier est immédiatement chargé d’écrire aux frères portugais qui se trouvent encore sur place pour obtenir tous les renseignements possibles sur ces deux profanes, qui sont effectivement reçus le 11 mai suivant.
57Cette deuxième vague d’émigrés politiques présente des caractéristiques tout à fait différentes de la précédente. Numériquement d’abord, puisqu’elle ne concerne qu’une quinzaine de réfugiés, et que chacun d’entre eux suit un parcours individualisé, même si des points communs peuvent être dégagés pour l’ensemble de ces officiers d’active ou volontaires de l’armée polonaise arrivés en France entre 1832 et 1839 : séjour à Rennes jusqu’au milieu des années 1840, intégration dans la société civile, dispersion géographique durant la décennie suivante avant le retour en Pologne de ceux qui ont survécu à 25 ans d’exil. Si dans un premier temps ils bénéficient en effet des subsides du gouvernement selon des procédures analogues à celles qui avaient été mises en place pour les réfugiés portugais, ils constatent très rapidement que la durée de leur exil est indéfinie, et qu’il leur faut donc trouver un emploi qui leur permette de vivre normalement dans leur pays d’accueil. C’est ainsi que le F∴ Louis Berent se reconvertit dès 1835 comme professeur de langue allemande au Collège royal de Rennes, avec 500 F d’appointements annuels, qui seront portés à 1 000 F après qu’il se soit rendu à Paris durant l’été 1842 « pour y passer comme les autres professeurs de langues vivantes un examen public, conformément aux ordres de M. le ministre de l’Instruction publique89 ». Le F∴ Auguste de Bourmeister Radoszkowski demande dans un premier temps à partir pour Montpellier pour y faire des études de médecine90, mais après s’être marié à Redon il y devient également professeur de langue allemande et de musique, et organiste91. Quant au F∴ Antoine Strusinski, dont on a transcrit plus haut une lettre, il est de même professeur de langue allemande et de musique à Saint-Servan, et vit lui aussi très bien de ces deux activités92. Un autre réfugié, le F∴ Vincent Skrypkunas devient commis aux écritures chez un armateur de Saint-Malo, où il se marie et voit naître deux fils93.
58Cependant c’est dans l’encadrement des travaux publics que la majorité de ces anciens officiers trouveront à s’employer en Bretagne. La France des années 1840 connaît en effet un développement économique sans précédent dont l’origine provient d’une politique ambitieuse de travaux publics. Le F∴ Gaillard de Kerbertin*, vénérable de « La Parfaite Union » en 1822, et de 1825 à 1827, a vu son engagement libéral durant la Restauration comme le soutien actif qu’il immédiatement accordé au gouvernement de Juillet se concrétiser par un poste de procureur général, puis de premier président de la Cour d’appel de Rennes, tandis qu’il est également élu député en octobre, en même temps que président du Conseil général d’Ille-et-Vilaine. Les opinions modérées qu’il défend à la Chambre lui valent lorsqu’il revient à Rennes d’être pris à partie par une frange radicale composée essentiellement d’étudiants, qui organisent le 14 juin 1832 devant son domicile des « charivaris » en chantant la Marseillaise avec sifflets et bruits divers, tout en criant « À bas les chouans, à bas les carlistes, à bas le juste milieu ! ». Ce dont le F∴ Hervé Couarde, commissaire central à Rennes, rend compte le lendemain au préfet :
« J’ai acquis au reste, M. le Préfet, la triste certitude que si M. Gaillard de Kerbertin avait paru à Rennes aussitôt après la publication sur l’hérédité de la pairie, opinion dans la rédaction de laquelle une phrase mal sonnante et mal interprétée avait été malheureusement introduite, un nombre plus considérable d’improbateurs se serait trouvé au charivari. C’eut été mal sans doute, mais c’est une vérité qui m’est démontrée et qui me coûte d’autant plus à reconnaître que des liens d’amitié m’unissent à M. Gaillard de Kerbertin depuis près de quinze années. Dans l’état, la misérable démonstration d’hier a été hautement blâmée, et la mystification de ses auteurs porte avec elle une peine morale plus cuisante que le jugement qui sera rendu d’eux94. »
59Il sera accueilli de même à son retour de Paris l’année suivante, comme d’autres députés un peu partout en France, et ce genre de manifestation aurait continué si une lettre comminatoire du ministre de l’Intérieur aux préfets ne leur avait enjoint de tout mettre en œuvre pour faire cesser ces désordres95. Ces manifestations de l’opposition n’empêchent pas Gaillard de Kerbertin de déployer une activité législative considérable, liée à sa formation juridique, en même temps qu’il s’active pour que la Bretagne soit dotée de nouvelles infrastructures. Il est ainsi à l’origine de l’adoption du principe de la construction du bassin à flot de Saint-Malo, et de la route de Rennes à Brest passant par le centre de la province. On peut penser que l’épisode des réfugiés portugais n’est pas étranger au fait qu’il revendique également à la Chambre des députés la protection hospitalière de la France, sous la double forme de « l’asile du malheur et du secours à l’indigence96 » pour les réfugiés politiques. Et il n’hésite pas à intervenir en faveur des frères polonais réfugiés à Rennes, soit pour obtenir un secours exceptionnel, soit pour faciliter leur reconversion. C’est ainsi que les frères Ludovic Binkovski de Sartory, Jacques Katuzynski, Antoine Konopacki, Jean Napoléon Musnicki de Janpol, Denis Piotrowski et Paul Stryjenski deviendront chefs d’atelier ou conducteurs des Ponts et Chaussées à Saint-Malo, Saint-Servan, Rennes ou La Guerche.
60Ils sont tout autant intégrés à la vie de la loge qu’ils le sont dans la société civile. Affiliés ou pour la plupart reçus à « La Parfaite Union » entre 1833 et 1842, plus de la moitié fréquentent également les ateliers de hauts grades, où ils atteindront des degrés élevés : Rose-Croix pour quatre d’entre eux, un le 30e et un le 32e. Ils sont même si bien intégrés à l’Atelier qu’ils sont parfois la cause de tensions internes, comme en témoigne la lettre de démission du 12 juin 1843 du F∴ Joseph Wolski, suite à un scrutin d’admission conflictuel – une cause classique de dissensions dans une loge maçonnique – lettre dont la liberté de ton toute militaire est aussi intéressante que les indications implicites qu’elle donne sur les sentiments des frères polonais émigrés :
« Je vois que la non-admission Catrou à la loge a attiré votre mécontentement contre mes compatriotes qui en font partie, et principalement contre moi. Je ne veux point chercher les motifs des autres, quant à moi je l’avoue c’est le manque de caractère et des qualités nécessaires pour faire partie de notre confrérie qui m’ont engagé à voter contre. Telle est mon opinion et elle doit être libre, non seulement parce qu’elle était émise dans l’enceinte de la loge, mais encore parce que moi polonais, c’est en la défendant avec mon sang que j’ai pu apprécier la valeur de cette liberté. Les vingt-sept blessures dont je suis couvert et dont six sont ouvertes sont là pour attester ce que j’ai fait pour la liberté. Et c’est la liberté de cette opinion qui au lieu du mérite m’a attiré votre mépris. Si vous avez compris ce que je viens de vous dire vous saurez sans doute ce que le Polonais a fait pour vous. Et vous… ? Vous comprendrez aussi que ne voulant pas vous être désagréable, c’est avec regret que je suis forcé de vous demander ma démission. En vous quittant, je n’emporte aucun souvenir, car vous ne m’avez pas donné ni lumière ni grade. Et moi de ma part je vous rappellerais que vous avez trois frères dans la loge, trois français pas polonais, qui sans moi n’auraient peut-être jamais pensé à se faire maçons97. »
61Il convient de préciser qu’infirme par suite de ses blessures, le F∴ Wolski est le seul à n’avoir pas retrouvé un emploi civil, ce qui peut expliquer son humeur98. Il décédera d’ailleurs à Rennes neuf mois plus tard. La plupart des autres frères polonais de « La Parfaite Union » quittent Rennes à cette époque, pour suivre les affectations imposées par le service des Ponts et Chaussées ou rejoindre les sites des grands travaux de la région. On les retrouve essentiellement à Saint-Malo et à Saint-Servan, si bien que leurs liens avec l’Atelier se distendent. En 1850, ils ne sont plus que deux à fréquenter la loge rennaise. Ils ne vont pas tarder à retourner en Pologne, restée depuis 1830 un protectorat russe :
« Le soussigné Musnicki (Jean, Ernest, Napoléon), natif de Poniesviez, gouvernement de Vilna (Lituanie), réfugié en France à la suite de la révolution de 1830, désire après 25 ans d’exil profiter de l’amnistie accordée par l’empereur de Russie, et adresser à l’ambassade russe à Paris une demande tendant à obtenir l’autorisation de rentrer dans sa patrie.
Il vient vous prier de lui faire délivrer, pour être joint à sa demande, un certificat constatant qu’il habite Rennes sans interruption depuis 1835, qu’il est employé dans l’administration des Ponts et Chaussées depuis 1838, et que depuis qu’il habite Rennes il s’est tenu étranger à toute question politique, et qu’enfin tant sous le rapport de sa conduite privée que sous le rapport de sa vie publique il est digne de profiter des avantages de l’amnistie accordée par le gouvernement russe99. »
62Le dernier point évoqué dans cette lettre est d’ailleurs une constante pour tous les émigrés portugais ou polonais dont il a été question, et de nombreux courriers adressés par les maires, les sous-préfets ou les préfets aux diverses autorités dont ils dépendent, peuvent être résumés par ce passage d’une lettre du maire de Rennes au préfet d’Ille-et-Vilaine : « La conduite des réfugiés est irréprochable. Il n’est parvenu au bureau de police aucune plainte contre eux. On doit au contraire leur rendre cette justice que dans leur position malheureuse ils donnent l’exemple d’une résignation courageuse et savent se concilier l’estime et le respect des habitants100. » Pour ceux des exilés qui fréquentèrent en plus la Loge de Rennes, la Franc-Maçonnerie se révéla dans les deux cas, conformément à la tradition andersonienne du Centre de l’Union, une source continue de réconfort moral, et pour les frères polonais un puissant vecteur d’intégration sociale. Et lorsqu’il quitte Rennes le 7 juin 1858, le F∴ Musnicki remercie les frères de la loge de Rennes avec des accents semblables à ceux des frères portugais quelques années auparavant :
« Le F∴ Musnicki, d’une voix troublée par une vive émotion, annonce à l’Atelier qu’il va rentrer en Pologne. Il se réjouit de l’accueil sympathique que la Maçonnerie française et surtout notre Loge ont fait à lui et à ses compatriotes. Il nous exprime que ce n’est pas sans regret qu’il quitte une terre où il a reçu asile pendant 25 ans, et qui lui était devenue bien chère. Il nous assure enfin que jamais le souvenir de la France et de la Maçonnerie française ne sortira de son cœur101. »
Notes de bas de page
1 ADIV 4M 253, 17 octobre 1815.
2 Sur la Fédération Bretonne, voir l’article de Pierre Cardin, « Un magistrat et un homme politique rennais, Fidèle Marie Gaillard de Kerbertin », in Bulletin et Mémoires de la Société archéologique du département d’Ille-et-Vilaine, tome XCIX, 1996, p. 8-13.
3 À Rennes, sur les 450 adhérents au pacte fédératif, une cinquantaine a juré haine à la royauté, dont parmi les francs-maçons actifs ou anciens : François André de la Verdrée, Constant Boutin, Fidèle Gaillard de Kerbertin, Jean Lafosse, Esprit Milet, Louis Richelot, Thomas Rouessart et François Roulin. Ont également fait partie de cette Fédération Bretonne, outre ceux déjà cités : Julien Amiral, Louis Bernard, Thomas Binet (commissaire à Rennes comme de Kerbertin), Maurice Boulanger, Nicolas Boullemer, Jean Pierre Brisou, Antoine Chalot, Julien Couannier, François Cousin-Danelle, Jacques Dardel, René Laumailler, Jean Marie Laurent, Charles Luczot, Jean Pierre Manpon, Pierre Martin-Lagrée, Paul Pierre de Baucé, François Pointeau, Hyacinthe Porteu, Auguste Réculou, Jean Ristorini, François Roulin, Charles Tousard et Fidèle Troyiard. Certains continueront d’ailleurs à entretenir l’agitation libérale jusqu’en 1816, au point de se voir exilés plusieurs mois loin de Rennes : Jean Lafosse à Marseille, Esprit Milet à Montpellier, et Thomas Rouessart à Limoges. Voir à ce sujet la thèse de Pascal Burguin, Une ville et ses élites : Rennes (1815-1914), Économie, Société, Identité, Rennes, 2003.
4 Louis D’Allonville, 1774-1845. Issu d’une famille noble originaire des environs de Chartres, très dévouée à la monarchie, il émigre puis rentre en France sous le Directoire, et participe à l’expédition d’Égypte. Nommé préfet de la Creuse sous la première Restauration, il est en 1815 préfet d’Ille-et-Vilaine, avant d’être nommé plus tard conseiller d’État.
5 Il a déjà écrit le 18 novembre 1815 au Grand Orient à Paris pour signaler la reprise des travaux, envoyer un acompte sur le « don gratuit », et désigner le F∴ Le Prieur, commissionnaire de roulage, membre de la loge mais également Rose-Croix et membre de la loge « Anacréon » à Paris, comme son représentant dans la capitale.
6 Aux Archives départementales d’Ille-et-Vilaine le dossier « G. T. 1 », contenant l’original de cette lettre datée du 1er décembre 1815, et d’autres documents concernant La Parfaite Union, a été égaré. Mais ils ont été reproduits in extenso par G. de la Vieuxville dans un article de la Revue des Études Historiques de 1924, La Loge de Rennes en 1815, p. 189-196.
7 « […] Les archives de la loge étaient en désordre. Ces jours dernier je les ai fouillées, et j’ai mis à part tout ce qui concernait l’Usurpateur, j’allais en faire un autodafé lorsque j’ai songé que je vous fournirais une plus sûre garantie en vous faisant passer le paquet si vous l’exigez. » : G. de la Vieuxville, art. cité, p. 192.
8 AR 113/1/315, 12 décembre 1815.
9 FM2 368 : Cahier de 24 pages manuscrites : « Statuts et règlements particuliers de la R∴L∴ de St Jean de Jérusalem, sous le titre distinctif de La Parfaite Union à l’Or∴ de Rennes. », envoyé pour visa au Grand Orient le 2 avril 1827.
10 AN F7 6696. Le réquisitoire était conçu en ces termes : « Le Maire de Saint-Servan requiert M. le Commissaire de police et MM. les gendarmes de se transporter au lieu de la cité où il doit y avoir un rassemblement d’hommes dits francs-maçons, de leur demander le motif de leur rassemblement et de quel ordre ils se rassemblent dans cette ville. En cas de refus, d’exhiber de suite l’ordre. Il est ordonné à M. le Commissaire de police ainsi qu’à MM. les gendarmes de dissoudre sur le champ ladite assemblée. »
11 Idem, Rennes, 27 août 1824. Le préfet motive ainsi sa décision : « Il est à remarquer d’ailleurs que des 16 signataires de la pétition, 5 seulement sont domiciliés à Saint-Servan, et que les 11 autres habitent Saint-Malo, où il existe déjà une loge. Pourquoi donc ne désirent-ils pas plutôt se réunir à Saint-Malo qu’à Saint-Servan où une loge proprement dite est encore à créer, puisque celle qui s’y était établie n’est même pas reconnue par celui qu’ils appellent le Grand Orient ? Cette préférence n’engage-t-elle pas à croire qu’ils redoutent la surveillance trop directe de l’autorité ? »
12 Id., Paris, 8 septembre 1824.
13 La totalité du discours est reproduite dans l’article de G. de la Vieuxville, p. 193-196.
14 AR 113/1/1315, 18 juin 1816.
15 FM2 368, 24 juin 1816.
16 AR 113/1/1315, 19 juin 1816.
17 AR 113/1/1315, 25 août 1816. Il en sera de même l’année suivante.
18 AR 113/1/1315, 27 décembre 1825. De nos jours, la première santé d’obligation est tirée en l’honneur de la République française, et de son président.
19 AR 113/1/1314.
20 FM2 369, Comptabilité, 11 mars 1819 : « Bordereau des pièces qui en cas d’expertise devront être produites pour constater les sommes payées par la Société dite de La Parfaite Union pour la démolition des vieux bâtiments, la construction des nouveaux, les ouvrages à l’intérieur et les travaux faits au jardin. »
21 FM2 369, Inventaires, 29 juin 1918.
22 AR 113/1/1314, 16 juillet 1817 ; et FM2 369, Comptabilité : « Registre pour servir à constater les recettes et les dépenses relatives à l’amortissement du constitut de 10 000 F dû à M. Arot par les sociétaires de La Parfaite Union signataires des actes les 9 et 11 juin 1817. »
23 FM2 369, 4 mars 1820, lettre du F∴ Mauruc, trésorier de la 2e Légion des Côtes-du-Nord, au F∴ Touzard, secrétaire de « La Parfaite Union ». Ont été ainsi initiés Delpeuck, géomètre de 1re classe ; Henry, lieutenant de grenadiers de la 1re Légion des Côtes-du-Nord ; Legros et Duchaussoy, major et adjudant-major dans ce même corps ; Joseph Boullé, négociant ; Jean-Marie Dubois de la Villerabel et Augustin Launay-Le Provost, avocats ; Hubert Eslin et Jacques Monnier, capitaine et lieutenant à la 2e Légion des Côtes-du-Nord ; Landrot, oculiste.
24 Quelques années plus tard, La Parfaite Union accordera de même son parrainage à la loge Nature et Philanthropie fondée à Lorient à l’initiative de son ancien vénérable François Luczot.
25 AR 113/1/1317.
26 AR 113/1/1318, 16 mai 1831.
27 Le véritable lien des Peuples, ou la Maçonnerie rendue à ses vrais principes, « fait par un Européen », 1825. Ancien « vainqueur de la Bastille », comme Mangourit, volontaire en 1792, puis commissaire dans les territoires occupés à Liège et en Allemagne, Nicolas Charles Des Étangs rentre ensuite à la Direction générale de l’Imprimerie et de la Librairie où il reste jusqu’en 1835. L’Atelier est rentré en contact avec lui par l’intermédiaire du F∴ Philippe Dupin, avocat à Paris, et Vénérable des Trinosophes, qu’elle désigne en 1827 comme son représentant dans la capitale. Mais celui-ci a reçu les grades de 31, 32 et 33e dans le Suprême Conseil du Rite Écossais, au lieu de les recevoir dans le Grand Collège des Rites qui vient d’être créé au sein du Grand Orient. D’où refus par l’Obédience de reconnaître le F∴ Dupin comme député de La Parfaite Union, et maintien par la Loge de sa décision antérieure, qui suspend de plus quelque temps ses relations avec Paris.
Des Étangs s’attache à donner à la Franc-Maçonnerie une assise morale et philosophique dégagée de toute religiosité. Dans le même esprit, il rédige également, en liaison avec plusieurs ateliers dont La Parfaite Union, des cahiers de rituels pour les différents grades, que les loges intéressées peuvent recopier gratuitement sous condition de se livrer à une « action de bienfaisance ».
Est-ce à cette collaboration que l’on doit l’apparition concomitante dans la loge Triple Union et Amitié, à Voiron (Isère), d’un rite spécifique, dit « Rite de Rennes » qu’elle pratique encore aujourd’hui, mais qui ne présente en fait que des différences mineures avec un rituel français « classique » ? En l’absence de tout document établissant une liaison entre les deux ateliers, il est impossible de conclure. Tout au plus peut-on remarquer que c’est également à cette époque que François Luczot se trouve en poste à Digne, et qu’il pourrait très bien avoir servi d’intermédiaire.
28 FM2 368, 6 décembre 1841.
29 AR 113/1/1317, 11 février 1827.
30 FM2 369, lettre de M. de Lorgeril du 22 février 1827.
31 AR 113/1/1317, 17 avril 1826.
32 AR 113/1/1318, 26 juin 1830.
33 AR 113/1/1317, 27 décembre 1825. Voir le dossier FM2 368, 15 janvier 1825.
34 AR 113/1/1319, 1er juillet 1841.
35 FM2 368, 20 décembre 1842.
36 Id. Cette « Maison de secours maçonnique » ne sera en fait jamais réalisée.
37 FM2 369, 2 octobre 1820.
38 Edward Boys, propriétaire, reçu le 24 décembre 1830 ; William Parker, officier le la Marine royale et George Payne, major aux armées, reçus en 1828 ; Hindemarch, capitaine de frégate, reçu le 6 avril 1829 ; Henry Clinton Martin, capitaine d’artillerie, affilié le 2 avril 1832 ; Henry Jacks Walker, capitaine de dragons, reçu le 6 avril 1835 ; George Bruce, propriétaire, affilié le 6 mai 1839 ; Geary, médecin, reçu le 27 décembre 1839 ; John Kingston, avocat, reçu le 27 décembre 1845.
39 AR 113/1/1317, 18 novembre 1825.
40 FM2 369, 8 avril 1841.
41 Livre d’architecture des Amis de Sully, 25 avril 1827. Archives de l’Atelier.
42 Id., 7 mai 1828.
43 João Carlos Domingos Vincente Francisco de Saldanha, né à Lisbonne le 17 novembre 1790, † à Londres le 21 novembre 1876. Député (1826), pair du Royaume (1835), sénateur (1838), ministre et président du Conseil à plusieurs reprises. Reçu en 1808 ; Grand-Maître de la Maçonnerie du Sud en 1828.
44 AN F7/12119, rapport interne au ministre de l’intérieur, 2 août 1830.
45 AN F7/12119, lettres du Cte de Saldanha au duc de Broglie, ministre de l’Instruction publique et des Cultes ; au baron Louis, ministre des Finances ; au comte Molé, secrétaire d’État au département des Affaires étrangères (lettres renvoyées par leurs destinataires au ministre de l’Intérieur), 25 octobre 1830.
46 On peut noter que, comme le F∴ João Feliciano Pereira en 1827, le F∴ João Pedro Lecor Buys est membre de la loge Constancia à Madère.
47 Tenue du 25 avril 1829.
48 Tenue du 27 avril 1829.
49 Durant tout leur séjour en France, les réfugiés portugais resteront en unités constituées, sous le commandement de leurs chefs : « Ces étrangers ne sauraient être assimilés à des militaires en voyage ni à des prisonniers de guerre. Vous comprendrez parfaitement leur position particulière vis-à-vis de l’État, et vous agirez en conséquence dans vos rapports avec les principaux d’entre eux. Ils partiront de Brest sous la conduite de leurs propres officiers, dont les plus élevés en grade veilleront au maintien de l’ordre dans le dépôt de Fougères. » (Lettre 10 avril 1829 du ministre de l’Intérieur au préfet d’Ille-et-Vilaine, ADIV 4M 430.)
50 Tenue du 11 mai 1829, Livre d’architecture de La Parfaite Union 1828-1835, Archives russes du G∴O∴D∴F∴ : AR 113/1/1318.
51 Lettre du ministre de l’Intérieur au préfet d’Ille-et-Vilaine, 1er octobre 1829, ADIV 4M 430 : « Monsieur le Préfet, le Roi a décidé le 27 septembre dernier que le dépôt des réfugiés portugais actuellement établi dans le département d’Ille-et-Vilaine serait dissous. Sa Majesté a ordonné en même temps ce ces étrangers seraient disséminés en divers points du Royaume. […] Conformément aux intentions bienfaisantes du Roi, les secours seront continués aux réfugiés jusqu’au 1er janvier prochain. A cette époque, l’autorité locale chargée de leur surveillance concourra de tous ses moyens à leur procurer du travail selon le genre de métier auquel ils seront propres et ils pourvoiront ainsi à leur subsistance. […] Récapitulation : le dépôt de Fougères est composé de 44 officiers et de 237 soldats. Les 44 officiers sont disséminés dans 18 villes de 15 départements. Les 237 soldats sont disséminés dans 67 villes de 19 départements. »
52 Id., 7 octobre 1829 : « M. le marquis de Palmela ayant été informé officiellement des dispositions prescrites par le Roi pour la dissolution des dépôts des réfugiés portugais, a réclamé du gouvernement la faculté de faire sortir de France ces étrangers. Il a demandé en conséquence que les officiers et les soldats composant les dépôts fussent dirigés par petits détachements sur Saint-Malo, pour y être embarqués à leurs frais. »
53 Id., 28 novembre 1829 : « M. le Préfet, j’ai reçu votre lettre du 22 de ce mois relative aux réfugiés portugais qui n’ont pu être encore transportés hors du territoire du Royaume. Je reconnais tous les embarras qu’entraîne la présence de ces étrangers qui, depuis la dissolution des dépôts, se trouvent logés chez les habitants des bourgs de Dol et de Hédé. Mais il ne dépend pas du gouvernement de les faire partir sans délai. M. le marquis de Palmela a annoncé que ses moyens ne lui permettaient pas de leur procurer des transports, et il a sollicité la continuation des secours qui leur ont été accordés jusqu’à présent pendant le séjour qu’ils feront encore en France. »
54 Id., 5 décembre 1829 : « Il résulte des renseignements que M. le ministre des Affaires Étrangères vient de m’adresser au sujet des 188 réfugiés portugais qui sont encore dans votre département que ces étrangers, tous officiers et magistrats, et parmi lesquels on compte même des femmes et des enfants, ne doivent pas être transférés à Ostende, où d’ailleurs leurs chefs n’ont pu faire aucune disposition pour les recevoir, attendu que le gouvernement des Pays-Bas paraît avoir exprimé l’intention de ne pas admettre un plus grand nombre que ceux qui s’y trouvent déjà. Ils demandent en conséquence, suivant ce qu’a fait connaître M. le marquis de Palmela, la faculté de rester en France. »
55 Id., 7 janvier 1830 : « Vous m’avez informé que la plupart de ces étrangers étaient sans ressources. Le gouvernement du Roi étant toujours disposé à accorder des secours à ceux qui en auraient véritablement besoin, je vous autorise, soit qu’ils partent, soit qu’ils restent dans votre département, à leur faire payer, sur les fonds que j’ai mis à votre disposition, un subside de 2 francs par jour pour chaque officier, et de 1 F par jour pour chaque sous-officier, soldat ou particulier. »
56 Tenue du 15 juin 1829, AR 113/1/1318.
57 Tenue du 17 août 1829, AR 113/1/1318.
58 Tenue du 22 octobre 1829, AR 113/1/1318.
59 BN, FM3 457. Livre d’architecture au grade de Maître de La Parfaite Union, tenues du 22 et du 23 octobre 1829.
60 Tenue du 1er novembre 1829, AR 113/1/1318.
61 Tenue du 28 décembre 1829, AR 113/1/1318.
62 FM3 457, Tenue du 19 janvier 1830.
63 FM2 368, 3 décembre 1831.
64 Le cens électoral était de 300 F, et celui d’éligibilité de 1 000 F. Il y avait environ 150 électeurs à Rennes, et un peu plus de 80 000 pour l’ensemble de la France, soit 1 % du pays réel.
65 AR 113/1/1318, 16 juillet 1830.
66 AR 113/1/1318, 11 novembre 1830.
67 Font partie du Conseil municipal en 1830 ou 1831 : François Aubry, Thomas Binet, Guillaume Carré, Louis Le Prieur, Joseph Méret, Jean-Marie Rapatel ; en 1834 : Julien Arot, Louis Bertrand, Marie Peignon ; en 1837 : Achille Boucault, François Guibert, Jean-Pierre Manpon. Déjà député, Fidèle Gaillard de Kerbertin est élu président du Conseil général en 1831, où siègent également à partir de 1833 par René Laumailler et Antoine Mangin d’Ouins. Il s’agit de bourgeois bien installés, comme l’indique l’état de leur fortune après décès : de 20 000 francs-or (Peignon) à 730 000 F (Le Prieur).
68 Vanneau, originaire de Vannes, était élève de l’École polytechnique ; Papu était né à Rennes. La colonne du Thabor est le pendant rennais de la colonne érigée dans le même temps place de la Bastille à Paris.
69 Rapport interne au ministre de l’Intérieur, 2 août 1830, AN F7/12119.
70 Id., lettre autographe de La Fayette à Guizot, 22 août 1830.
71 Id., 22 août 1830, Lettre du comte de Saldanha à Guizot, ministre de l’Intérieur.
72 Le F∴ capitaine de cavalerie Albino Pimenta Mouraô de Aguiar a ainsi un enfant qui naît à Rennes le 10 septembre 1831.
73 Les troupes portugaises qui avaient été dirigées sur Ostende étaient prises en charge par le gouvernement portugais en exil, mais celui-ci ne pouvait faire face à ses obligations. Aussi certains émigrés voudraient bien revenir en France, témoin cette lettre de Bruges datée du 27 décembre 1830, du colonel pair du Portugal le comte de Cunha et de Joaquim António Nunes de Oliveira, au préfet d’Ille-et-Vilaine : « La cause de notre émigration est si connue de tous les hommes à bons principes que nous croyons oisif d’entrer dans des explications à ce sujet. Mais notre situation actuelle devient si pénible, à cause d’un arriéré de douze mois du subside que notre gouvernement nous a assigné, et de l’embarras qu’il souffre pour remplir ses engagements, que sans doute nous serions victimes de la plus affreuse misère sans le généreux secours de votre honorable gouvernement et de l’étendue qu’il vient de lui donner. Car nous savons que dans le dépôt établi dans votre ville pour les émigrés portugais ont été admis tous ceux de nos compatriotes qui vous ont adressé leur demande autant personnellement que par la voie de quelqu’un de leurs amis. Ainsi nous vous prions de bien vouloir nous y admettre aussi, puisque nous sommes dans la détresse. » (ADIV 4M431). Le comte da Cunha comme Joaquim António Nunes de Oliveira sont également tous deux francs-maçons, selon A. H. de Oliveira Marques.
74 AN, série F7/12112-12119. On trouve des réfugiés portugais non seulement en Ille-et-Vilaine, dans le Finistère, en Mayenne et à Paris, mais également dans des départements frontaliers où ils arrivent par voie de terre ou de mer : Nord, Basses-Pyrénées, Seine-Inférieure, Gironde, Hérault.
75 Tenue du 17 août 1829, AR 113/1/1318. À son passage par Rennes, il reçoit de la Loge un prêt de 40 F.
76 AN F7/12114, lettre du 4 novembre 1830 au général La Fayette, et renvoyée par ce dernier à Guizot. Luis Joaquim de Sampaio aura un second enfant de sa femme Émilie Salusse en février 1833. Six mois plus tard, il manquera dans le port de Brest le départ de la corvette « La Créole » qui devait le ramener au Portugal avec sa famille, ce qui crée une nouvelle situation inextricable, le ministère refusant de payer deux fois le prix de son passage.
77 Lettre du 17 mars 1831 de José António Pereira d’Eça, capitaine d’infanterie ; Manoel Pedro de Alcântara, sous-lieutenant de cavalerie, Antonio José dos Santos Pereira, sous-lieutenant d’infanterie, José Borges Pavoa, sous-lieutenant de voltigeurs, ADIV 4M 431.
78 Lettre du 27 mars 1831 du colonel José Julio de Carvalho au préfet d’Ille-et-Vilaine, ADIV 4M431 : « L’existence d’une régence à Terceira, gouvernant au nom de D. Maria II, reconnue de droit Reine du Portugal par toutes les nations, et à laquelle les émigrés sont soumis ; nos lois qui défendent d’accepter le service d’une nation étrangère sans le consentement du gouvernement sous peine de renoncer à la qualité de citoyens portugais que nous estimons beaucoup ; et enfin le souvenir de notre malheureuse patrie […] » (font que pour le moment les réfugiés portugais ne peuvent pas accepter l’offre du gouvernement français de s’engager dans la Légion Étrangère.)
79 AN F7/12119.
80 José Xavier Mousinho da Silveira, né le 12 juillet 1780 à Castelo de Lide, † à Lisbonne le 4 avril 1849.
81 Pour plus de détails, se reporter au livre de Jean-François Labourdette, Histoire du Portugal, Paris, Fayard, 2000, pp. 516-522, auquel ce résumé a largement emprunté.
82 25 janvier 1832, minute de la lettre du préfet au ministre de l’Intérieur, ADIV 4M 431 : « Un envoyé de la reine Dona Maria, venant de Paris, s’est présenté devant moi il y a quelques jours comme chargé de diriger sur Belle-Île-en-Mer (Morbihan) les Portugais de bonne volonté qui désirent faire partie de l’expédition destinée pour le Portugal. Cet envoyé m’a annoncé en même temps que le ministre devait m’écrire en conséquence. Quoique je n’aie reçu aucune instruction, j’ai cru devoir faciliter le départ de ceux de ces étrangers qui ont déclaré renoncer à la date de ce jour aux subsides que le gouvernement français leur accorde. Une centaine s’étant présentés, je leur ai fait délivrer des passeports gratuits pour Belle-Île-en-Mer. »
83 15 juin 1833, lettre au préfet, ADIV 4M432 : « Je ne puis résister au désir de vous prier de vouloir bien me délivrer avant mon départ un certificat de gestion comme commandant de dépôt. Je crois avoir fait tout ce qui dépendait de moi pour administrer mes compatriotes d’une manière équitable et conforme aux instructions du gouvernement français. »
84 AR 113/1/1318.
85 AR 113/1/1308, Livre d’architecture du Chapitre La Parfaite Union. On peut y dénombrer parmi les frères portugais 6 Élus, 5 Écossais, 2 Chevaliers d’Orient et 6 Rose-Croix.
86 A. H. deOliveiraMarques, História da Maçonaria em Portugal, Presença, Lisboa, 1989.
87 Manifeste de la Diète polonaise, décembre 1830.
88 ADIV 4M427, 7 août 1833.
89 ADIV 4M426, 20 juillet 1842.
90 ADIV 4M426, 2 août 1840.
91 ADIV 4M428, 29 juin 1850, lettre du sous-préfet de Redon au préfet d’Ille-et-Vilaine : « Ce polonais habite Redon depuis le 1er mai 1740. Il y a épousé il y a cinq ou six ans une demoiselle de Redon. Il est professeur de musique et de langue allemande au collège de Redon, et professeur aussi à la pension de La Retraite de cette ville. Ses moyens de fortune sont ceux que lui procurent les leçons qu’il donne, le chiffre peut s’élever à 3 ou 4 000 F par an. Pendant son séjour dans le pays la conduite de cet étranger a toujours été irréprochable, et je parle ici de la conduite privée comme de la conduite publique. »
92 ADIV 4M426, 16 octobre 1850, lettre du ministre de l’intérieur au préfet d’Ille-et-Vilaine : « J’ai décidé qu’il y avait lieu de rayer des contrôles à partir du 1er novembre prochain, comme pouvant de passer de l’assistance du gouvernement, le Sr Antoine Strusinski, dont la mise et les habitudes décèlent l’aisance, et qui fréquente les concerts et les bals par souscription. »
93 ADIV 4M429, 3 novembre 1851, lettre du sous-préfet au préfet d’Ille-et-Vilaine : « Le Sr Skypkunas est teneur de livres chez un des principaux négociants de Saint-Malo, et demeure dans cette ville depuis le mois d’août 1833. La position de fortune de M. Skypkunas est bonne. Ses appointements s’élèvent à 1 500 F par an et sa femme exerce une industrie assez lucrative. »
94 ADIV, 1M116.
95 Id., 22 juin 1833, lettre circulaire du Cte d’Argoud, ministre de l’Intérieur, aux préfets : « Monsieur le Préfet, je viens d’être informé que des excitations, parties de Paris, ont pour objet de faire organiser dans les départements, à l’époque du retour de MM. les députés, des scènes de désordre, dont le scandale est grave, quoique déguisé sous le nom vulgaire de charivari. C’est une atteinte à l’indépendance des Chambres, à la liberté de voter et des opinions, au respect des personnes, et à la tranquillité publique. Tout nous fait un devoir de repousser, par des moyens efficaces, ces tentatives de troubles. »
96 Le Moniteur du 5 mars 1834 (séance du 4).
97 FM2 369.
98 ADIV 4M429, 19 janvier 1842, lettre au ministre de l’Intérieur : « Soldat depuis l’âge de 16 ans, je ne pouvais me procurer tous les moyens dont tant de mes compatriotes tirent le fruit de leur exil. Officier en 1823, la Révolution m’a trouvé avec le grade de lieutenant, chef d’escadron de son époque. C’est avec ce grade que je suis arrivé en France. Plusieurs blessures dont une à la cuisse droite qui s’est ouverte depuis trois ans ne me permettent pas non seulement de me livrer à aucun travail actif, mais encore me force à passer au lit la moitié de mon temps. »
99 ADIV 4M428, 6 décembre 1856, lettre au préfet d’Ille-et-Vilaine.
100 ADIV 4M426, 17 décembre 1836.
101 AR 113/1/1321.
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