Chapitre 2. La construction du temple
1771-1789
p. 31-66
Texte intégral
1Le premier document conservé de « La Parfaite Union » est une lettre du 17 août 1772 de Julien Pinczon du Sel des Monts*, par laquelle il accepte de louer à l’Atelier son jardin et sa maison « des rues basses » de la ville, moyennant un loyer de 300 livres par an1. Petit clin d’œil de l’Histoire assurément, car s’il y a bien une constante pour cette loge, c’est qu’elle aura très souvent des problèmes immobiliers, jusqu’à ce qu’elle s’installe rue Thiers en 1907. La personnalité de ce frère mérite d’être évoquée : initié l’année précédente, il est un bon représentant de cette nouvelle génération de francs-maçons qui trouvent ou retrouvent à ce moment le chemin des loges rennaises ou bretonnes. Il a en effet créé en 1742, dans son château des Monts, près du Sel de Bretagne, une manufacture d’indiennes, érigée en manufacture royale et transférée à Rennes en 1744. Trois ans plus tard, cette manufacture compte 20 métiers avec 300 ouvriers, et dix ans après 120 métiers dont 100 battants, et près de 900 ouvriers. Il a reçu en 1762 des États de Bretagne une gratification de 5 000 livres, au motif « qu’il a eu le courage de vaincre les préjugés de la noblesse, de se livrer au commerce et d’établir des manufactures ». Mais la Guerre de Sept Ans contre l’Angleterre (1756-1763), qui ferme les marchés à l’exportation pour lesquels il travaillait principalement, s’avère fatale à l’entreprise, qui cesse son activité en 1764. Il se trouve alors impliqué dans l’affaire La Chalotais, comme l’un des chefs du parti dit « du bastion », qui fait au gouverneur d’Aiguillon une opposition constante et irréductible. Il critique en particulier son administration dans un ouvrage de polémique violente, Réponse au grand mémoire du duc d’Aiguillon, où l’on examine son administration en Bretagne, depuis son entrée dans la province jusqu’à sa sortie, ce qui lui vaut d’être arrêté et incarcéré quelque temps à Angoulême. Fondateur de la « Société d’agriculture, de commerce et des arts de Bretagne », il est également l’auteur en 1756 de Considérations sur le commerce de Bretagne, et fera paraître en 1784 un Manuel à l’usage des laboureurs bretons, chez le libraire Nicolas Audran, membre comme lui de « La Parfaite Union ». Dans les années qui vont suivre, il ne sera pas le seul frère à se retrouver ainsi en conflit avec le pouvoir, ni à utiliser l’écrit pour dénoncer les blocages institutionnels dont souffre la province.
2À la date de cette première correspondance, on se trouve dans cette période de réorganisation de la Franc-Maçonnerie française qui débute le 16 juin 1771, huit jours après la mort du Grand Maître Louis de Bourbon-Condé, comte de Clermont, par l’élection à cet office de Louis Philippe d’Orléans, prince du sang, duc de Chartres, et celle du duc Anne de Montmorency-Luxembourg, pair et « premier baron chrétien » de France, comme administrateur général. Le futur Philippe-Égalité ne sera jamais qu’un grand maître nominal, mais Montmorency-Luxembourg a des idées très précises sur ce qu’il convient de faire pour redonner force et vigueur à la Franc-Maçonnerie du royaume. Le 27 décembre de cette même année, une nouvelle « Grande Loge » réconciliant les factions rivales qui se heurtaient depuis 1758 est donc installée, et une « commission des statuts » se met en place. La nouvelle administration de ce qui n’est encore que la « Grande Loge des Maîtres de l’Orient de France2 » se préoccupe alors de renouer ses liens avec les loges des provinces, tout en mettant en place le pivot central de la nouvelle organisation, à savoir la procédure d’élection annuelle du vénérable d’un atelier, qui abolit le système précédent, calqué sur les usages civils, où un « maître de loge » était titulaire à vie d’un office personnel qu’il pouvait acheter ou vendre, et dont il tirait bénéfice par la collation des grades3. On imagine les dérives potentielles d’un tel système, la rigueur réelle de certains « maîtres de loge » dans le recrutement et la pratique maçonnique n’empêchant pas d’autres d’initier à tout va, ou d’inventer des « degrés » propres à un rite particulier qu’ils se flattent seuls de pratiquer, le phénomène étant particulièrement marqué à Paris : « Le premier travail des représentants des Loges fut de détruire l’inamovibilité qui était entièrement contraire à la liberté et à l’égalité, ces bases fondamentales de notre Ordre, et qui avaient donné naissance aux abus les plus dangereux, surtout des abus pécuniaires4. » Mais « La Parfaite Union », comme « La Parfaite Amitié », qui ont chacune recommencé ou commencé leurs travaux en élisant leurs officiers, ne peuvent qu’approuver un tel programme. C’est ainsi que le 9 octobre 1772, « La Parfaite Union » est officiellement reconnue dans le nouveau régime :
« Établissons au gouvernement de ladite loge le cher frère Frignet pour Vénérable, le cher frère Garreau pour premier surveillant et le cher frère Legrand pour second surveillant, lesquels trois officiers feront ensemble et par voix de scrutin la nomination des autres officiers. Enjoignons à tous les frères de la dite loge de s’assembler tous les ans dans la quinzaine de la Saint Jean d’été pour procéder à la nomination ou prorogation des officiers et de suivre ou exécuter, faire suivre et exécuter les statuts et règlements de notre dite Grande Loge. Pour ladite loge prendre rang du vingt-quatre juin mil sept cent cinquante-huit, date de ses constitutions primitives5.»
3Henri Frignet* est l’ingénieur du Roi en chef des Ponts et Chaussées en Bretagne. Il a été nommé à ce poste en 1770, après avoir occupé les mêmes fonctions en Franche-Comté6. Il est également architecte, et dirige à ce moment la construction du palais épiscopal de Rennes. Reconnu comme « un talent distingué dans le Génie et l’Architecture », il est tout aussi peu flexible que du Sel des Monts, et supporte très mal les ingérences politiques dans son domaine de compétence : « C’est aujourd’hui que j’apprends que l’on peut vendre une place d’ingénieur », écrit-il par exemple quelque temps plus tard à l’intendant de Bretagne, à propos d’un recrutement à Pontivy. Et tout comme du Sel des Monts dans le secteur agricole, il tente d’élever le niveau de compétence du corps local des ingénieurs en fondant un atelier d’élèves qui lui servent d’adjoints, et dont il assure ensuite la promotion.
4Le renouveau d’activité de la loge en 1771 coïncide également avec la fin des « affaires de Bretagne », évoquées dans le chapitre précédent. On se souvient que « par suite des circonstances des temps », « La Parfaite Union » avait suspendu ses travaux durant cette période, et qu’au moment où elle reprend ses activités, les clivages politiques entre les frères avaient amené la naissance à Rennes d’une deuxième loge décalquant son nom, « La Parfaite Amitié ». En dépit des protestations de la loge aînée, des Constitutions lui sont accordées, au même moment et dans les mêmes termes que pour « La Parfaite Union », « pour ladite loge prendre rang dudit jour vingt-sept décembre mil sept cent soixante-douze ». Elle est officiellement installée par le F∴ Bricard, vénérable de la loge « Les Cœurs Unis » à Nantes, le 12 avril 17737. À noter que sur ce document, qui « établit au gouvernement de la loge le cher frère Pussin pour vénérable, le cher frère Guérard pour premier surveillant, et le cher frère Berthelot pour second surveillant », le parchemin a été gratté et affaibli aux endroits nominatifs, et les noms rétablis ensuite « pour avoir son effet au respect de la R∴L∴ La Parfaite Amitié de Rennes », ce qui indique que le rédacteur avait dans un premier temps mélangé les noms et les Orients. Ce qui ne serait qu’anecdotique, si une telle erreur n’était pas significative de l’état de l’administration parisienne à ce moment : ainsi moins d’un an plus tard le baron de Toussainct, devenu entre temps secrétaire général de l’Obédience, se pose des questions sur l’état de la Franc-Maçonnerie à Rennes, en demandant à « La Parfaite Union » de lui indiquer en retour de son courrier « s’il est vrai qu’il existe à votre Orient une autre loge que la vôtre sous le titre distinctif de La Parfaite Amitié8 », qui pourtant, comme on vient de le voir, a été dûment constituée par l’Obédience.
5C’est que le Grand Orient de France, qui a officiellement pris ce titre le 7 avril 1773, après s’être d’abord dénommé « Grande Loge Nationale », peine dans un premier temps à trouver ses marques. Il ne sera doté d’une administration et d’une chancellerie dignes de ce nom qu’une fois installé dans l’ancien noviciat des jésuites de la rue du Pot-de-Fer9. Problème mineur au regard de la principale difficulté qu’il affronte à ce moment : dépossédés de leurs charges, la plupart des « maîtres de loge » parisiens, emmenés par Vincent Labady, « intéressé aux affaires du Roi », mais qui entend surtout continuer à se garantir les revenus qu’il tire de la franc-maçonnerie, ont fait sécession. Les années 1772-1773 bruissent continuellement du nom de ce personnage, très influent dans les hauts grades – c’est lui qui, par exemple, signe le 26 juillet 1772 la délibération du « Souverain Conseil des Empereurs d’Orient et d’Occident » proposant l’union de ce Souverain Conseil avec la Grande Loge de France. Secrétaire du département des Provinces dans l’équipe mise en place par Montmorency-Luxembourg, il attaque d’autre part sur sa gestion passée le F∴ Brest de la Chaussée, Grand Garde des Sceaux et Archives au temps du duc de Clermont. Pour sa défense, ce dernier rédige et publie un Mémoire Justificatif, d’où il s’ensuit un procès maçonnique entre lui et Labady, dont le texte du jugement est envoyé à toutes les loges le 13 août 1773. Brest de La Chaussée reçoit un avertissement, notamment pour avoir porté le débat sur la place publique : la publication de son Mémoire est à l’origine de la disposition réglementaire, toujours en vigueur de nos jours, qui interdit à un franc-maçon de publier quoique ce soit sur l’Ordre sans autorisation préalable :
« Et sera à ce sujet le Grand Orient de France invité de promulguer une loi portant défense de faire imprimer, sous quelque forme que ce puisse être, relativement à la Maçonnerie, sans approbation du Grand Orient, sous peine de radiation et d’exclusion perpétuelle de l’Ordre10.»
6Labady se voit interdit de loge pour neuf mois. Si Brest de La Chaussée accepte immédiatement ce jugement, ce qui lui vaut d’être immédiatement « réintégré dans tous ses droits et prérogatives de maçon régulier », Labady n’en tient aucun compte : il garde le timbre, le sceau et les archives de ses anciennes fonctions, et les utilise pour correspondre avec les loges, en particulier avec « La Parfaite Union », dont il détourne de surcroît les courriers officiels venant de Paris11. Si bien que les relations entre « La Parfaite Union » et la nouvelle instance obédientielle vont débuter par un contentieux financier qui durera plus de deux ans. Au printemps de 1773, la loge a en effet demandé 36 certificats d’appartenance maçonnique pour ses membres, payé les droits correspondants, soit 64 livres, ainsi que sa contribution annuelle. Ne voyant rien venir en retour, l’atelier s’en inquiète au mois de juillet, et Frignet reçoit alors du baron de Toussainct ce courrier, qui rend parfaitement compte des problèmes auxquels le Grand Orient est confronté, et témoigne d’autre part de la part active que la loge a pris, par l’intermédiaire de son vénérable, dans les travaux qui ont abouti à la création de la nouvelle Obédience :
« Le schisme que le frère Labady a fait en méconnaissant les opérations de la Grande Loge Nationale m’a mis dans le cas de n’avoir plus avec lui aucune communication. L’envie de remplir votre intention m’a fait porter votre lettre à la Chambre d’administration pour y aviser aux moyens de vous satisfaire. Cette chambre a délibéré d’inviter le frère Labady à fournir les moyens de vous faire une réponse satisfaisante. Il a tardé à se rendre à cette invitation, enfin il a répondu particulièrement à notre président, qu’il avait effectivement reçu votre argent, que les trente-six certificats que vous lui aviez demandés partiraient incessamment, et que pour les trente-six livres de quotité annuelle de votre loge il les gardait pour se payer par ses mains de quelques menues avances.
La Chambre d’administration m’a chargé de vous répondre provisoirement et de vous prévenir que notre Ordre a pris absolument une nouvelle forme et une nouvelle consistance. Il y a quatre chapitres de statuts définitivement arrêtés, une nomination complète d’officiers et une circulaire. Ces immenses travaux au commencement desquels vous nous avez aidé de vos lumières viennent enfin de s’achever heureusement et j’espère que vous recevrez avec plaisir un exemplaire que je vous enverrai dans le courant de cette semaine. Vous n’y trouverez point le frère Labady au nombre des officiers. Nous aurions bien désiré qu’il fût en notre pouvoir d’empêcher l’envoi des trente-six certificats que vous avez demandés à ce frère, qui élève aujourd’hui autel contre autel, et s’attribue légèrement aussi ce qui ne lui est point destiné. Je le juge ainsi par le zèle que vous avez témoigné pendant votre séjour ici, et je suis persuadé que vous ne vous écarterez jamais des principes que vous avez contribué à poser, non plus que des chefs respectables que vous avez aidé à consolider sur le trône des maçons. Telle est l’idée que j’ai de vous, très vénérable frère12.»
7Labady a, en effet, expédié les certificats, mais le Grand Orient, qui les juge irréguliers, demande un peu plus tard qu’ils lui soient renvoyés. Sans doute pour se payer lui-même d’autres « menues avances », il n’a pas non plus reversé à la caisse de l’Obédience l’argent correspondant, et la loge ne veut pas payer deux fois13. À ce contentieux s’en rajoute un second, lié au fait que le Grand Orient, désirant repartir sur des bases indiscutables, a imposé à toutes les loges de renouveler leurs Constitutions, et qu’il n’entend bien ne délivrer de certificats qu’à des frères appartenant à des ateliers ayant satisfait à cette obligation. La procédure est contraignante puisque toute loge, pour se régulariser, doit :
« Prendre une délibération pour présenter au Grand Orient de France une requête à l’effet d’obtenir le renouvellement de ses constitutions primitives ;
Adresser au secrétaire Général du Grand Orient à Paris la dite requête avec :
– Les Constitutions primitives en original.
– Quatre expéditions du tableau de ses membres dans la forme du modèle ci-joint.
– Quatre expéditions du tableau des Loges avec lesquelles elle est en correspondance dans la forme du modèle ci-joint. Chaque loge doit avoir un député résidant à Paris chargé de ses pouvoirs, lesquels il doit communiquer au secrétaire général du Grand Orient de France pour les enregistrer14.»
8Il est toutefois précisé : « Vous abrégeriez beaucoup et vous accélériez infiniment l’obtention de votre renouvellement si vous en faisiez viser la requête par quelque loge voisine qui certifiât de la régularité de vos travaux, de la bonne conduite des membres de votre loge et de sa bonne composition. » « La Parfaite Union », comme « La Parfaite Amitié », vont satisfaire de bonne grâce à ces obligations, et rentrer ainsi dans le premier cercle encore restreint des loges reconnues par le Grand Orient de France. C’est que l’enjeu est double : d’une part, il s’agit pour un atelier d’être recensé de manière indiscutable sur le plan national, en augmentant éventuellement son prestige du fait de son ancienneté. Mais l’innovation que constitue cette demande d’un « tableau des membres » va connaître un succès auquel ses instigateurs n’avaient peut-être pas songé : les ateliers, ravis de pouvoir faire état d’une liste officielle sur laquelle figurent des personnalités marquantes de leur ville, vont la faire circuler. Non seulement ce « tableau » va être envoyé au Grand Orient à Paris, mais les loges « en correspondance » ne vont pas tarder à s’en faire un hommage mutuel, le nombre et la qualité des loges « sœurs » devenant un indicateur du rayonnement de l’atelier. C’est ainsi qu’en 1774 « La Parfaite Union » est en correspondance avec six loges bretonnes : « Saint Germain » et « Les Cœurs Unis » à Nantes, « La Parfaite Union » et « L’Heureuse Maçonne » à Quimper, « L’Étoile des Maçons » à Guingamp, « La Vertu Triomphante » à Saint-Brieuc et « La Triple Essence » à Saint-Malo. Trois ans plus tard se sont ajoutées à ces six loges vingt-deux autres, en Bretagne mais aussi à Agen, à Bordeaux, à Lyon, à La Rochelle, et deux des plus prestigieux ateliers de la capitale, « La Candeur », qui recrute presque exclusivement dans la haute noblesse, et « Les Amis Réunis » qui sous l’impulsion de Savalète de Langes, garde du trésor royal, et par ailleurs député de « La Parfaite Union » auprès du Grand Orient, fait d’ores et déjà figure de « loge de recherche » ayant pris la Franc-Maçonnerie en soi comme objet unique de ses travaux. La correspondance de ce dernier atelier prend d’ailleurs des formes très élaborées, comme en témoigne la lettre par laquelle il se rapproche de « La Parfaite Amitié » le 1er mars 1775 pour proposer d’établir un lien direct entre les deux ateliers. Le texte explicite précisément la nouvelle forme de relation qui est en train de s’établir entre les loges :
« Les soins indispensables de notre nouvelle fondation ne nous ont point encore permis de nous occuper de l’établissement de notre correspondance. Plusieurs loges nous ont fait la faveur de nous adresser à cet égard les offres les plus obligeantes, et nous avons tenté les premières démarches vis-à-vis de quelques-unes, mais nous n’avons encore fait aucun acte de part et d’autre qui puisse l’établir. La stabilité plus assurée de nos travaux nous met en état de songer efficacement à cette partie si essentielle des avantages de la maçonnerie, et nous serions charmés d’établir avec votre Respectable Loge un commerce mutuel de lumières et de secours. Si comme nous osons l’espérer, vous répondez à notre désir, nous nous empresserons de vous envoyer le tableau de notre composition, celui de nos officiers, et l’adresse directe de notre correspondance. Recevez en attendant la sincère assurance de nos sentiments fraternels et maçonniques. »
9Et cette lettre, écrite sur une feuille spécialement imprimée pour la « R∴L∴ Les Amis Réunis à l’Orient de Paris », est décorée de symboles maçonniques qui en font une véritable gravure. En tête l’invocation A∴L∴G∴D∴G∴A∴D∴L∴U∴ (« À La Gloire Du Grand Architecte De l’Univers »), et le motto « Notre Union Fait la Force », sous un temple dédié à la VÉRITÉ. Sur les côtés, représentation de deux statues-colonnes J∴ et B∴, intitulées Liberté et Égalité, la première avec une chaîne brisée et l’autre avec une équerre et un fil à plomb, et les injonctions « Silence » et « Prudence ». L’ensemble est décoré en bas de la feuille de 7 rubans de tissu de couleurs différentes accrochés en triangle : du centre vers l’extérieur : bleu, noir, rouge, vert, jaune, orange et blanc15.
10La sagacité du destinataire peut toujours s’exercer sur cette symbolique colorée, mais la lecture d’un tableau d’effectif permet de savoir dans chaque Orient qui est ou non franc-maçon, un renseignement essentiel par le contact personnel qu’il permet éventuellement de nouer16. C’est ainsi que « La Parfaite Union » et « La Parfaite Amitié » à Rennes, et « Les Cœurs Unis » à Nantes vont se fournir mutuellement des attestations de régularité maçonnique, la loge de Nantes ajoutant en plus ce commentaire, qui éclaire les circonstances de la naissance de « La Parfaite Amitié », et donne de plus un témoignage précieux sur l’ambiance du moment au sein de la maçonnerie rennaise :
« La R∴L∴ Les Cœurs Unis a arrêté d’attester au Grand Orient que dans ces deux loges se trouvent agrégés plusieurs de ses enfants ; que la loge La Parfaite Amitié est même présidée par un frère auquel elle a donné la première lumière dans l’Art royal ; qu’elle a été installée par des frères qu’elle avait députés à cet effet ; qu’ainsi elle peut certifier au Grand Orient que les qualités civiles et maçonniques des frères qui composent ces deux loges les rendent dignes de la faveur qu’elles sollicitent.
La Loge ne peut cependant dissimuler au Grand Orient qu’il subsiste entre les deux loges de Rennes une fermentation d’humeur, que le sujet de ces divisions ne parait avoir pris naissance que dans une sorte de rivalité répréhensible quand elle est outrée ; qu’il serait bon que le Grand Orient prit sur lui de les concilier. Peut-être se trouve-t-il dans la circonstance la plus avantageuse qu’on puisse désirer, pour opérer une si belle cure : la Maçonnerie y gagnerait beaucoup17.»
11Leurs dossiers respectifs étant complets, c’est dans la même séance du 21 octobre 1774 que le F∴ abbé Jossot, rapporteur, propose à la Chambre des Provinces d’accorder aux deux ateliers rennais le renouvellement demandé. Il clôt par ailleurs le contentieux précédent en demandant « qu’il soit délivré 42 certificats pour les 42 membres exprimés dans le tableau de La Parfaite Union ». Et comme l’octroi de ces nouvelles Constitutions doit être entériné par les loges au cours d’une tenue solennelle d’installation, il ajoute, suivant le conseil donné par la loge nantaise :
« J’ose représenter d’engager la R∴L∴ de La Parfaite Union à profiter de l’époque de son installation pour inviter la R∴L∴ La Parfaite Amitié de son Orient d’assister à sa cérémonie, ainsi que d’aller visiter la R∴L∴ La Parfaite Amitié afin de cimenter l’union fraternelle qui est si à désirer, surtout dans l’Art Royal. »
12« La Parfaite Union » profite également de la circonstance pour demander que soit son titre distinctif originel soit rétabli. En effet, les Constitutions en 1772 avaient été transcrites au nom de « La Nouvelle Union », une erreur qu’elle attribue à Labady :
« Veuillez bien nous vous prions observer de faire redonner à notre loge le titre de Parfaite Union qui lui appartient de toute mémoire d’homme et auquel dans le dernier renouvellement envoyé on avait dans l’expédition du Grand Orient de France substitué par erreur celui de Nouvelle Union18.»
13On peut se demander si l’Atelier n’est pas ici en train de réécrire quelque peu son histoire. En effet, dans la lettre de 1775 à son correspondant parisien que l’on a déjà évoquée au chapitre précédent, lorsque Michel Ange Bernard Mangourit du Champ Daguet raconte en incidence ses débuts dans l’Atelier, il précise que Julien Hervagault, lorsqu’il se présente à lui à son retour de Paris, lui propose alors de « fonder une loge19 ». Ce qui indique très clairement, comme on l’a vu, que « La Parfaite Union » avait bien cessé ses travaux, et que les deux frères désiraient repartir sur de nouvelles bases. Il est courant dans ce cas de changer le titre distinctif antérieur, et « La Nouvelle Union » est à l’évidence tout à fait approprié. Dans les années qui suivent, aussi bien l’en-tête des lettres, comme le sceau et le timbre, ont effectivement comme intitulé « La Nouvelle Union ». Et on ne trouve aucune trace d’une protestation quelconque contre cette dénomination avant le courrier ci-dessus. Une explication simple peut être avancée : « La Nouvelle Union » a compris l’intérêt de se réclamer d’un titre distinctif attestant son ancienneté dans l’Ordre. Bien que ce point soit évidemment contesté par des loges plus récentes, et que le règlement du Grand Orient n’y fasse aucunement référence, à l’antériorité maçonnique dans une ville ou une province est associée, outre le prestige, une sorte d’autorité morale. Quoi qu’il en soit « La Parfaite Union » peut toujours aujourd’hui présenter les Constitutions, signées par le duc de Montmorency-Luxembourg, qui lui ont été délivrées le 9 novembre 1774 :
« Sur la demande présentée le treizième jour du cinquième mois de l’an de la Vraie Lumière cinq mille sept cent soixante quatorze par les frères composant la loge de La Parfaite Union à l’Orient de Rennes, à l’effet d’obtenir le renouvellement des Constitutions pour leur Loge sous ledit titre. Vu la décision de la Chambre des Provinces du vingt unième Jour du huitième mois de la présente année nous avons reconstitué, et reconstituons à perpétuité par ces présentes à l’Orient de Rennes une Loge de St Jean sous le titre distinctif de La Parfaite Union, pour ladite Loge continuer à se livrer aux travaux de l’Art Royal, à la charge par elle de se conformer exactement aux statuts et règlements faits et à faire en notre Grand Orient, et être inscrite sur le tableau des Loges Régulières de France à la date du vingt quatrième jour du quatrième mois de l’an de la Vraie Lumière cinq mille sept cent cinquante huit, époque de ses constitutions primitives comme il paraît par les Constitutions accordées par la Grande Loge de France le neuvième jour du neuvième mois 5772. En foi de quoi nous lui avons délivré ces présentes, qui ont été expédiées au Grand Orient de France, scellées et timbrées des sceaux et timbre de l’Ordre, signées de nous et contresignées par notre Secrétaire général le neuvième jour du neuvième mois de l’an de la vraie lumière cinq mille sept cent soixante quatorze. »
14Autre innovation : le Grand Orient demande au vénérable d’une loge installée ou réinstallée de signer le jour de cette installation ou de cette réinstallation une « Obligation » ainsi conçue : « Je promets d’honneur en vrai Maçon d’être constamment et fidèlement attaché au Grand Orient de France, et de me conformer aux Statuts & Règlements faits et à faire par lui. » Cet engagement deviendra une pièce à fournir annuellement, ainsi que le tableau des officiers et celui de la loge, à partir de la Restauration. Mais pour le moment ceci ne va pas sans quelques difficultés dans de nombreux ateliers. Ainsi le chevalier de Lafont-Rüis, orateur de la loge militaire « La Famille Unie » du régiment de Condé-Infanterie en garnison à Lorient, renvoie-t-il à Paris le procès-verbal d’installation et l’obligation du vénérable avec la lettre suivante :
« J’ai la faveur de vous prévenir que nos frères de La Famille Unie de Condé, après une mûre délibération, ont cru devoir mettre une restriction à l’obligation qui leur a été adressée par le Grand Orient, que vous leur avez fait parvenir et qu’ils ont prononcée le jour de l’inauguration de leur loge. Ils ont jugé qu’ils ne pouvaient étendre leur engagement sur des règlements qui n’existent point, et dont par la suite ils n’ont aucune connaissance. Nous avons donc supprimé dans la dite obligation les mots “règlement à faire par lui”. Nous nous flattons que le Grand Orient ne blâmera point une conduite qui a été inspirée par cet esprit de sagesse et d’honneur qui doit toujours diriger les vrais francs-maçons20.»
15Quant à Mangourit, non seulement il raye les cinq mots qui fâchent sur l’obligation qu’il signe en tant que vénérable lors de l’installation de sa loge « L’Égalité », mais indique sèchement en une ligne qu’agir autrement serait « déroger aux privilèges maçonniques » et au plus précieux d’entre eux, « La Liberté ».
16C’est que la naissance de ce nouvel atelier à Rennes résulte d’une affaire qui n’aurait qu’une valeur anecdotique, si elle n’était révélatrice d’un problème qui va perdurer plus d’un siècle, jusqu’à ce que des moyens modernes de communication permettent rapidement de le résoudre, à savoir : comment reconnaître la qualité maçonnique d’un frère visiteur ? Au printemps de 1775 René Drouin, un jeune docteur en droit, vient s’installer comme avocat à Rennes. Initié l’année précédente à la loge « Saint-Louis » à Paris, il raconte son histoire :
« Quand j’arrivai à Rennes, on m’annonça comme frère maçon, mais parce que je n’étais pas muni du certificat nécessaire pour se procurer l’entrée des loges, je ne la sollicitais pas. La longueur des délais qui s’écoulèrent entre mon arrivée à Rennes, et le certificat que vous avez eu la bonté de m’envoyer avec l’acte d’enregistrement sur le contre scel, jointe à ce que j’avais fait le voyage avec le père Babault, un carme reconnu pour frère, donna lieu d’imaginer que j’avais appris les secrets pendant la route. Je ne m’occupai point de détruire ces propos injurieux, mais dénués de toute vraisemblance. Je me contentai de m’abstenir de toute communication particulière avec les frères21.»
17Le 8 avril il se présente à « La Parfaite Union » :
« La veille j’en prévins le maître des cérémonies, qui sur le soupçon dont je vous ai déjà parlé, m’annonça beaucoup de difficultés, et même qu’il faudrait vérifier les signatures article par article en les confrontant à celles des constitutions qu’ils ont nouvellement obtenues. Quel qu’injurieux que fut pour moi ce procédé, à cause des soupçons contraires et désavantageux à ma probité qu’on avait formés, je ne murmurai point. Mais au contraire, pour faciliter son opération, je le lui remis dès le matin du samedi. Il ne put disconvenir de sa vérité. Le soir je me rendis à la loge, muni de ce même certificat qui fût de nouveau produit à l’assemblée, et encore examiné par ses membres. L’examen fait, on m’envoya tuiler par le maître des cérémonies. Je peux vous assurer que je le fus très scrupuleusement, tant sur les différents points de ma réception, que sur les signes, marches, paroles et attouchements. Je répondis de son aveu pertinemment à toutes les questions, et sur son rapport je fus introduit en loge. Je m’y présentai à l’ordre, mais comme je n’avais jamais visité, j’omis la marche. »
18Comme avant d’entrer il a de plus indiqué au F∴ Grand Expert Yves Sevezan de Villeneuve, procureur au Parlement de Bretagne, qu’il a présenté la semaine précédente son certificat au vénérable « Monsieur Hervagault », au lieu de lui donner son titre de « Frère », les soupçons se confirment dans l’esprit du « tuileur » : Drouin est un profane qui cherche à s’introduire frauduleusement dans le temple. Le ton monte entre les deux hommes. Sevezan exige que la tenue soit suspendue. Pour calmer le jeu, Hervagault demande que Drouin recommence son entrée, mais cette fois-ci au grade de Maître. Les choses ne s’arrangent pas, car le F∴ Expert prétend alors que Drouin n’a fait que « six petits pas au lieu de sept », et s’il peut néanmoins assister à la suite de la tenue, aucune conciliation ne s’avère possible entre les deux protagonistes de cet incident, dont on pourrait sourire s’il n’était remonté jusqu’à Paris.
19René Drouin se plaint en effet à son vénérable des mauvaises manières dont il a été victime, et du peu de cas que les frères rennais semblent faire des certificats délivrés par le Grand Orient. Une plainte est déposée en bonne et due forme, et l’Obédience demande officiellement des explications à la loge22. Le F∴ Sevezan répond par un long mémoire23 dans lequel il justifie sa conduite et ses interventions, et les arguments qu’il développe méritent eux aussi d’être pris en considération :
« Le frère tuileur est pénétré et instruit des statuts et Règlements de la Maçonnerie et sait qu’on ne connaît un Maçon qu’aux signes, attouchements et paroles. Trois choses que sa place l’oblige plus particulièrement que tous les autres frères de savoir, puisque l’ouverture et la sûreté de la loge lui sont confiées pour la rendre inaccessible aux profanes qui seraient assez téméraires pour oser s’y présenter. Il sait de plus qu’un certificat n’est qu’ostensible, et que celui qui le présente doit connaître les devoirs y attachés. »
« Il n’est que trop public qu’il y a nombre de catéchismes, répandus parmi les profanes, qui instruisent d’une partie de la maçonnerie bleue, au moyen desquels ils savent les signes, paroles et attouchements des apprentis, compagnons et maîtres. A l’appui de cette première connaissance ils sont dans le cas de tromper pour un instant, surtout lorsqu’ils ont pu se procurer par quelque moyen un certificat. Ainsi il est absolument nécessaire que l’on recoure à d’autres voies pour les reconnaître, et voici celles dont nous faisons usage dans notre respectable loge. On interroge le visiteur sur la forme des loges, sur la situation des frères en loge, sur les offices des loges, sur les différents orients, & ca, & ca. S’ils ne satisfont point aux demandes, cela conduit à un plus scrupuleux examen de leurs certificats. »
20La mésaventure de Drouin vient de son peu de pratique maçonnique, et sans doute du fait que sa loge mère parisienne est probablement moins rigoureuse que « La Parfaite Union » dans l’application des principes définis par Sevezan. Ils n’étaient pas inutiles, si l’on en juge par un incident similaire arrivé dans une loge proche :
« Deux frères du même nom de baptême étaient au service. L’un était Maçon, l’autre ne l’était pas. Le Maçon meurt. Son frère se saisit des cahiers et certificats du défunt, étudie et se présente en loge à l’Orient de Nantes. On le tuile. Il répond. On lui demande son certificat, il le montre. Il donne sa signature assez semblable à celle du certificat. Cependant chacun disait : nous ne le connaissions point pour Maçon avant qu’il quittât pour l’armée. On s’avise de le tuiler sur la forme de la loge, comment y étaient assis les frères et les officiers. Il tergiverse et ne satisfait pas. On arrête de lui donner l’entrée parce que les frères seront armés de glaives, et feindront de fondre sur lui au moment où il entrera, lui disant que sa trahison est découverte et qu’il va en éprouver le châtiment. Tout s’exécute. Il se jette à genoux, avoue qu’il est coupable et demande grâce. Et à être reçu. Ce qui se fit sur le champ. »
21C’est effectivement une manière radicale de régler une telle situation. Car outre d’éventuelles indiscrétions familiales, il est un fait que les rituels maçonniques sont depuis longtemps divulgués, et tout un chacun peut très facilement prendre connaissance du « mot sacré », comme du « mot de passe » de l’apprenti, du compagnon ou du maître24. À cet état des choses, le Grand Orient va apporter une réponse originale, en instituant le « mot de semestre », c’est-à-dire un mot de passe valable pour six mois. Une circulaire d’octobre 1777 précise les conditions de son application :
« Une longue et douloureuse expérience nous a convaincu de l’insuffisance des moyens employés par toutes les Loges Régulières pour écarter de leurs travaux des Maçons peu dignes de les partager. Gémissant d’un abus si contraire à la régularité de notre Ordre, nous n’avons cru pouvoir y remédier qu’en priant le Sérénissime Grand Maître de donner tous les six mois un mot qui, n’étant communiqué qu’à des maçons réguliers, puisse les faire reconnaître des loges qu’ils iront désormais visiter.
Nous vous faisons observer, Très Chers Frères, que tous les membres composant alors notre grand Orient et le Sérénissime Grand Maître lui-même ayant prêté leur obligation de ne donner qu’en Loge le mot que nous vous faisons passer, vous ne pouvez le recevoir et le communiquer qu’aux mêmes conditions. Nous avons encore la faveur de vous faire observer que ce mot doit se prononcer en Loge à voix basse, qu’il doit circuler d’un frère à un autre pour revenir au Vénérable, et que le frère tuileur ne pourra le recevoir qu’à l’entrée du Temple par les visiteurs qui se présenteront pour être introduits. Nous vous prions enfin d’observer que ce mot ne peut être communiqué hors de la Loge à aucun Maçon quelconque, fut-il même un des membres de l’Atelier. Cette précaution nous a paru nécessaire pour juger de l’exactitude de nos Frères aux travaux de leurs loges. »
22Comme le « tableau de loge », ce « mot de semestre » va connaître un succès qui ne s’est jamais démenti, puisqu’il a été et qu’il est toujours en usage dans toutes les Obédiences maçonniques, et que les conditions de sa réception et de sa transmission sont restées exactement les mêmes. Mais l’affaire précédente va entraîner pour l’Atelier une conséquence imprévue : l’émergence d’une troisième loge à Rennes. Mécontent de la manière dont il a été traité, René Drouin va en effet s’allier avec Mangourit, pour l’aider à fonder et, grâce à ses appuis parisiens, faire reconnaître « L’Égalité » par le Grand Orient25. Comme un chapitre entier est consacré plus loin à cette loge et à son fondateur, on mentionne seulement ici la circonstance première de son émergence.
23Le Règlement de la Grande Loge arrêté le 14 août 1771 indique dans deux de ses articles les obligations financières des loges, et les sanctions encourues en cas de non-paiement. Il est ainsi prévu un droit de 120 livres pour obtenir des Constitutions – mais les ateliers qui en étaient déjà pourvus bénéficiaient d’un tarif réduit de six livres –, que chaque loge verse annuellement une capitation annuelle de 3 livres, plus 24 sols pour chaque membre actif, et 3 livres à la réception de chaque nouvel apprenti. Cela pouvait suffire aux besoins financiers restreints de la nouvelle Obédience. La formule définitivement retenue trois ans plus tard est plus originale. La taxation au nombre de frères est abandonnée, de même que la capitation annuelle obligatoire : les loges sont « invitées » à les remplacer par un « don gratuit » dont le montant est laissé à leur appréciation. Les droits pour l’octroi de Constitutions et la délivrance de certificats sont maintenus, mais le Grand Orient doit tirer une part de ses ressources de la cotisation annuelle que s’engagent à payer, en contrepartie de l’honneur qui leur est fait, les 23 officiers et les 22 experts élus pour trois ans parmi les « Maître de Loges » parisiens, et qui forment l’organe directif de l’Obédience26. Cette formule fonctionne effectivement quelque temps sans problème. Mais ce que le Grand Orient n’a pas prévu, c’est son propre succès. En une douzaine d’années le nombre de loges reconnaissant son autorité s’accroît d’une façon telle que les Chambres administratives et le Secrétariat sont débordés, tant par les multiples contestations administratives ou judiciaires qu’ils doivent régler, que par l’afflux toujours croissant de demandes de certificats émanant des frères :
« Dans l’origine de la formation du Grand Orient le nombre de Loges était très peu considérable, un seul secrétaire a longtemps suffi. Mais bientôt le nombre des Loges s’est accru considérablement, la correspondance s’est étendue : les affaires se sont multipliées au point que trois commis au secrétariat sous un chef intelligent ne peuvent plus suffire. Tous les frais se sont accrus en même proportion27.»
24Il est possible de suivre la progression en volume de cette correspondance. Depuis le 1er janvier 1775, toutes les lettres envoyées rue du Pot de Fer sont en effet enregistrées avec leur date d’arrivée, et un numéro d’ordre. Et l’on assiste effectivement à une croissance exponentielle du courrier arrivant à l’Obédience, et donc des réponses à produire. La première lettre ainsi traitée en provenance de « La Parfaite Union », datée du 14 avril 1775, porte le numéro 302 ; la dernière, du 5 mai 1791, le numéro 16278. La comparaison des dates et des numéros d’ordre permet de mesurer la progression : on passe de 600 à 700 lettres par an dans les deux premières années, à un millier dès 1779, 1 200 vers 1785, et plus de 1 500 entre 1787 et 1789. Le corollaire est bien sûr un allongement des délais de réponse, ce que les loges ne manquent pas de souligner :
« Il faut être de vrais maçons pour ne pas se plaindre dans une telle position. Nous ne nous plaignons point ; nous savons que plus les ressorts sont tendus, moins les mouvements sont actifs ; que plus les opérations sont multipliées, plus le résultat en est difficile, et que de là vient sans doute la lenteur de la correspondance dans l’expédition des affaires. Mais nous savons aussi que cette lenteur peut devenir d’autant plus dangereuse pour le Grand Orient qu’elle refroidit insensiblement le zèle et l’activité des Loges auquel il doit son existence28.»
25Le Grand Orient se voit donc contraint de réviser sa politique budgétaire, et par un arrêté du 16 mars 1781, réitéré l’année suivante, décide que « 1 : Les Loges contribueront dorénavant par une cotisation permanente à l’entretien du Grand Orient. 2 : Cette cotisation sera répartie entre les membres de chaque Loge, et que chacun d’eux contribuera de 3 livres par année ». Mais certaines loges n’entendent absolument pas se laisser ainsi imposer par Paris une contribution qu’elles n’ont pas elles-mêmes déterminée – c’est là le point important –, et protestent dans des termes qui reflètent le débat en cours au même moment à propos des finances du royaume29. « La Parfaite Amitié » exprime ainsi son désaccord :
« Nous pourrions demander ici si vous avez valablement pu arrêter que les Loges contribueraient dorénavant par une cotisation permanente à l’entretien du Grand Orient, après avoir formellement arrêté et solennellement déclaré par votre délibération du 12 août 1774, qui fut universellement applaudie “qu’il était au-dessous de vous de presser des secours des Loges ; que rien ne convenait mieux à votre dignité que d’assurer la dépense du Grand Orient par un revenu fixe et indépendant des Loges ; que le seul moyen était de lever ce revenu sur vous-même, que cette voie procurerait encore dans la suite l’inappréciable avantage de remplir l’objet de votre institution en employant une partie du contingent que pourraient fournir les Loges en œuvre de bienfaisance ; que jusqu’à ce que la cotisation volontaire des Grands officiers et des Officiers d’honneur du Grand Orient fut proportionnée à la dépense, l’excédent de celle-ci serait pris avant tout sur le produit des Constitutions, certificats et dons gratuits des loges”. Nous pourrions demander si en admettant que vous ayez pu rétracter cet arrêté de 1774 par celui de 1781 vous avez également pu régler la manière de répartir sur chaque membre la cotisation que vous auriez imposée sur la Loge sans son consentement ; et vous conviendrez qu’il vous serait difficile de répondre solidement à des demandes aussi pressantes.
Nous reconnaissons l’utilité d’un centre commun, nous convenons qu’il paraît juste que chaque membre de la République maçonnique concoure autant qu’il le peut au bien général, a l’entretien du Grand Orient. Nous croyons avec plaisir qu’une aumonée éclairée, qu’une administration sage veillent sans cesse à ce que les dépenses ne soient pas trop multipliées. Mais à la fin nous n’accédons point à cette sorte de contribution qui répugne au vrai maçon. Il veut être libre comme l’air qu’il respire, il ne veut donc se donner dans sa générosité d’autres motifs que la raison et l’amour de la République. Invitez, invitez, invitez encore, ne fixez point de cotisation. Le tribut n’étant plus forcé tous les maçons se feront un point d’honneur de donner dans la liesse générale ce que leurs facultés leur permettront de sacrifier. Ils paieront une dette qu’ils regarderont comme légitime et sacrée dès qu’elle ne sera pas exigible.
Ce parti nous parait d’autant plus indispensable que la fixation de 3 livres pour chaque membre n’est pas égale. Cependant il est de l’équité qu’une capitation, car il faut en convenir c’en serait une, il est de l’équité qu’une capitation soit proportionnée aux facultés de chaque contribuable. Or le père de famille qui ne jouit que d’une fortune médiocre serait cependant imposé au même taux que le plus riche négociant. Le gentilhomme qui ne vit qu’à l’abri d’une honnête économie serait aussi chargé que le seigneur le plus opulent. Cependant le poids n’est pas pesant direz-vous, nous en convenons. Mais encore faut-il une proportion géométrique dans tous les cas d’imposition. Nous sentons bien que ce serait déroger à nos principes que d’imposer différemment, c’est à dire à différentes quotités des maçons qui doivent être égaux et c’est une nouvelle raison pour nous décider à refuser toute imposition forcée30.»
26L’administration tient à justifier sa position, et le débat n’est pas sans rappeler les arguments qui s’échangent encore aujourd’hui lorsque le « Compte rendu financier » arrive à l’ordre du jour du Convent annuel du Grand Orient de France :
« Notre existence ne peut être fondée sur une volonté ambulatoire de la part des contribuables. Quelle serait, croyez-vous, la réponse des fournisseurs, du propriétaire, des commis, si on lieu de les payer on leur disait les Loges n’ont pas voulu contribuer ? Ils ne connaissent pas les Loges, c’est à l’administration qu’ils ont affaire, et quelque soit l’événement il faut payer. Vous paraissez vous opposer beaucoup à cette cotisation de 3 livres par membre. Mais, ce que nous avons fait, ne se pratique-t-il pas dans toutes les Loges, et pourquoi le Grand Orient ne pourrait-il pas le faire ?
L’imposition de 3 livres par membre nous présentait un avoir assez certain pour justifier et couvrir nos dépenses. Il fallait prendre un terme moyen entre les Loges composées de frères aisés, et celle qui n’ont que des membres peu favorisés par la fortune. Trois livres par membre nous avait paru trop peu pour les frères riches, et jamais trop pour les plus mal aisés. Voilà pourquoi l’arrêté de 1781 a été pris31.»
27Mais ici le dernier mot restera aux loges, qui ne fourniront jusqu’à la Révolution, et même bien après, que des « dons gratuits » à l’Obédience, par ailleurs conformes, sauf difficultés financières graves dont elles se justifient, à la quotité demandée. Elles en font une question de principe. Ainsi le 2 mai 1790, suite à une circulaire du Grand Orient avertissant les ateliers qu’il ne pourra continuer sa correspondance s’ils ne subviennent pas à son entretien, « La Parfaite Union » se contente de recopier verbatim dans sa réponse les deux premiers paragraphes de la lettre expédiée par « La Parfaite Amitié » quatre ans plus tôt32.
28On assiste ainsi à la mise en place progressive des principaux éléments de la structure obédientielle du Grand Orient de France. Il est remarquable de constater que celle-ci s’élabore non par principe d’autorité, mais par un dialogue, constant depuis 1771, entre Paris et les loges des provinces, par l’intermédiaire des « députés » qui les représentent dans la capitale. Il a fallu en effet trouver un compromis entre la volonté des loges de rester maîtresses des orientations de l’Obédience, et les nécessités réglementaires et administratives de l’instance parisienne, qui justifie ainsi sa position :
« Nous désirons que les loges soient instruites de tout ce qui doit être traité au Grand Orient, nous désirons avoir leur avis, mais sans que la marche des affaires puisse en souffrir aucun retard. Si le Grand Orient était obligé d’attendre, pour porter une décision, les opinions de toutes les loges, les affaires languiraient et seraient oubliées avant d’avoir été terminées. Chaque loge a sans doute le droit de voter sur tout ce qui est proposé au Grand Orient, mais comme l’éloignement ne lui permet pas toujours d’examiner la proposition, c’est à elle de choisir un député assez éclairé pour se décider sur le champ, selon les circonstances, et selon ce qu’il croit le plus avantageux au bien général et à la loge qu’il représente33.»
29Ces députés prennent d’ailleurs leur mandat au sérieux, et informent effectivement leurs mandants sur l’état des affaires maçonniques, parfois par de très longues missives. Mais ils se lassent bientôt, et en 1777, Mangourit fulmine contre le système : « La plupart de nos députés sont des paresseux qui ne nous instruisent que trois ou six mois après que les affaires sont faites. » La nécessité d’une correspondance imprimée régulière entre le Grand Orient et les ateliers provinciaux s’impose donc, mais alors le prix à payer pour une publication périodique donnant aussi bien les informations administratives que « les discours oratoires et les pièces de littérature concernant notre Ordre » devient prohibitif en termes de frais de port :
« Le paquet que j’ai eu la faveur de recevoir de vous contenant les pièces ci-dessus mentionnées, m’a coûté 5 livres 12 sols de port. Il y aura 16 cahiers pareils par an. Total fait de port seulement : 89 livres 12 sols, soit une somme totale de 98 livres 12 sols avec les neuf livres d’abonnement. Vous sentez bien que personne ou peu s’abonneront, ou que, après l’abonnement, ils cesseront bientôt. Et cet ouvrage d’une utilité générale rentrera bientôt dans le néant. »
30Il propose donc, pour la diffusion de cette publication, un système que l’on retrouvera deux siècles plus tard pour les revues internes et publiques du Grand Orient de France, à savoir : « faire un abonnement pour le journal avec les postes, au meilleur marché possible » et « avoir dans chaque ville où il y a une loge un frère a qui vous adresseriez les journaux destinés aux abonnés de cette ville34. » Trop ambitieux pour l’époque, le projet ne se concrétisera pas.
31D’autre part les loges restent essentiellement « libres », et la pratique maçonnique n’est pas codifiée : les rituels sont recopiés pour usage, avec les risques de distorsion qu’une telle opération comporte, et aucune disposition réglementaire ne s’impose en tenue. Conscient de ce problème, Jacques de Guignes, comte de Moreton-Chabrillan, colonel du Royal-Roussillon Cavalerie en garnison à Fougères, et vénérable de la loge régimentaire « La Parfaite Union », veut à la fois établir « la régularité la plus parfaite » dans son atelier, et désire en même temps « se conformer exactement aux règlements et aux vues du Grand Orient de France », dont il est par ailleurs lui-même officier :
« Il supplie de vouloir bien faire examiner par le Conseil ou par des commissaires nommés à cet effet les statuts suivants qu’il propose comme règlement de police particulier pour sa loge. Il prie les frères que le Grand Orient chargera de cet examen d’y joindre leurs observations en marge, ou s’ils les agréent de les lui renvoyer approuvés, signés et paraphés par eux, pour que munis de l’approbation du Grand Orient, ils puissent désormais avoir force de loi35. »
32L’envoi est daté du 1er décembre 1774, et les observations du rapporteur parisien du 2 mars 1777. Il n’y avait sans doute pas d’urgence à examiner les statuts en question, mais en l’occurrence le délai a été tel qu’entretemps le régiment a quitté Fougères, laissant derrière lui dans la ville la loge de « L’Aimable Concorde », qui demandera des Constitutions au Grand Orient en novembre 1776, et sera installée par « La Nouvelle Union » d’Ernée à la Saint-Jean d’été 1777. Si bien que les commentaires demandés resteront annexés au texte de Moreton-Chabrillan, probablement sans jamais lui être envoyés : ils permettent aujourd’hui de préciser l’histoire de la pratique maçonnique en loge. Ainsi le premier article :
« Il y aura tous les 1er jeudis de chaque mois une assemblée d’obligation où les comptes du trésorier et les autres affaires de la loge seront traités. On y fera la lecture des statuts. Cette assemblée sera suivie d’un banquet. »
33Il faut croire que rien de tout ceci n’était alors courant, car le commentateur indique :
« Cet article nous a paru très sage. Il serait à désirer que les Loges s’imposassent la loi de se réunir à peu près une fois par mois à jour fixe. La loi d’y traiter chaque fois des comptes du trésorier, et d’y faire la lecture des statuts, est très propre à conserver l’union des frères, et à leur donner le goût des travaux maçonniques36.»
34Les procédures d’admission et d’» augmentation de salaire » – c’est-à-dire de passage au grade supérieur – ne sont pas non plus encore codifiées. Or, il s’agit de points fondamentaux, car en définitive ce sont eux qui assurent la pérennité de l’Ordre. Moreton-Chabrillan a d’ailleurs bien précisé à la fin de sa lettre d’envoi : « NB : Les frères examinateurs sont priés de lire avec la plus scrupuleuse attention les articles qui concernent le scrutin, comme les plus importants à régler. » On y discerne les prémices d’usages qui prévaudront ultérieurement :
« Lorsqu’un frère voudra proposer un profane il demandera la parole, et après l’avoir obtenue et fait la proposition, on ira aux voix par scrutin. Une seule boule noire exclura le profane de droit. Lorsqu’un frère demandera de passer d’un grade à un autre, le frère du grade supérieur qui le proposera, fera la demande en loge de ce grade alors on votera par la voie du scrutin. Trois boules noires l’excluront de droit. Lorsqu’il n’y en aura qu’une ou deux, ceux qui les auront mises diront tous leurs raisons au Vénérable qui en jugera, et continuera ou recommencera le scrutin jusqu’à trois fois. »
35Le texte proposé va effectivement donner lieu à une critique détaillée :
« L’exclusion d’un candidat par une seule boule noire, nous parait conforme aux plus anciens usages de l’Ordre. Si on avait toujours suivi scrupuleusement cette règle, que nous regardons comme une des lois fondamentales de la Maçonnerie, on n’aurait pas à gémir aujourd’hui de l’intrusion d’une quantité de faux frères qui dégraderaient la Maçonnerie s’il était possible que la Maçonnerie fût dégradée.
Cet article laisse entendre qu’on passera tout d’un coup de la proposition au scrutin, et du scrutin à la réception. Nous pensons que la proposition et le scrutin doivent être faits dans une loge, et la réception remise à la loge suivante. Il arrive souvent que, lorsque le candidat est admis dans les pas perdus du Temple, la crainte de donner trop d’amertume au refus, peut décider quelques frères à hasarder leurs suffrages ; au lieu que s’ils n’avaient pas ce motif, ils auraient rejeté sans hésiter. Cette considération a lieu surtout lorsque le candidat est un hère irréprochable dans ses mœurs, mais dont le motif d’exclusion est pris dans son caractère, son humeur, ou sa tournure d’esprit.
Le scrutin pour la promotion d’un grade à un autre, n’est pas d’un usage général, cependant, cette règle est sage, bien qu’elle ait quelque léger inconvénient, surtout lorsque la Loge étant nombreuse, on se contente de 3 voix pour rejeter la demande d’un frère. Cependant il vaut mieux dans ce cas pécher par un excès de précaution, que par l’excès contraire.
Dans la seconde partie de cet article, il nous a paru trouver de la contradiction. 1° Il y est dit que trois boules noires excluront de droit ; ensuite on y voit que quand il n’y en aura qu’une ou deux, ceux qui les auront mises diront tous trois leur raison au Vénérable qui en jugera, et confirmera ou recommencera le scrutin jusqu’à trois fois. Si 3 voix excluent de droit, il n’y a pas besoin du jugement du Vénérable. S’il n’y en a qu’une ou deux, trois frères n’auront pas à déclarer leurs motifs. Il est évident que ceci est une faute dans la rédaction. Mais ce qui nous parait contraire à la liberté maçonnique, et même à la nature du scrutin, c’est que dans aucun cas, on puisse être obligé de déclarer les motifs qui ont déterminé un refus, dont l’auteur même doit être ignoré. On peut bien laisser au Vénérable le droit de recommencer le scrutin jusqu’à trois fois, mais dans aucun cas il ne doit avoir celui de faire expliquer les frères sur la manière dont ils ont opiné dans le secret du scrutin. »
36Un autre point sensible concerne le protocole, et les honneurs à rendre lors d’une tenue aux frères porteurs de hauts grades ou dignités :
« La loge ouverte par le coup de maillet de l’Orient, aucun frère qui ne serait pas revêtu du dernier grade de la maçonnerie française ne pourra prendre la parole sans l’avoir demandée et obtenue. Seuls les grades supérieurs auront l’entrée directe et le droit d’être couverts, jusqu’à ce que le Grand Orient sur le rapport des Commissaires qu’il a nommés à la rédaction des grades en ait statué autrement. »
37Sur ce dernier sujet le rapporteur laisse percer quelque agacement :
« Cet article accorde quelques prérogatives aux frères initiés dans les grades supérieurs. Comme elles sont de peu de conséquence, nous n’y trouvons aucun inconvénient, surtout d’après la réserve faite de réformer cet article lorsque le Grand Orient aura réglé quelque chose à cet égard. Nous ne pouvons cependant laisser passer cet article sans remarquer qu’il serait à désirer que les frères ne fussent décorés que des marques des grades dans laquelle la loge est ouverte. Cette bigarrure de rubans de toutes les couleurs, donne souvent lieu à des prétentions de toutes les espèces, et les travaux ont été bien des fois troublés à cette occasion. »
38La pratique maçonnique reste donc encore ouverte, même si le souci de « régularité » est permanent. En l’absence d’un règlement général en ce domaine37, et de textes rituéliques codifiés pour les différents grades, la transmission des usages s’effectue de frère à frère, ou de loge à loge. Ainsi lorsqu’Armel Rigon, chirurgien du Roi, veut avec quelques autres créer en mai 1776 à Ploërmel un atelier directement souché sur « La Parfaite Union » de Rennes, ses premiers soucis sont on ne peut plus concrets :
« Nous avons donc la liberté d’élever une loge. Comment nous y prendre, quelle formalité faut-il faire pour les premières que l’on tiendra ? Donnez-moi les instructions Il faudrait aussi nous envoyer les bijoux du vénérable, car je pense qu’ils sont nécessaires, avec quatre tabliers de maître, dont un sera pour moi. Envoyez-nous aussi les catéchismes pour y trouver les instructions d’un candidat. Nous ne pouvons tenir loge sans les avoir, attendu que nous en recevrons tout de suite, et nous voudrions faire les choses en règle. Faites aussi en sorte que les bijoux ne soient pas bien chers, enfin marquez-nous ce qu’ils doivent coûter, et s’il en faut d’autres pour les dignitaires et ceux qui sont propres à chacun et que l’on est obligé d’avoir. Nous ne voudrions pas faire de grandes dépenses dans les commencements, à mesure que nous aurons des fonds nous nous monterons38.»
39Un mois plus tard la loge a pris tournure :
« Nous avions mis notre première assemblée pour aujourd’hui, mais nous l’avons renvoyée à mercredi prochain, où nous recevrons des sujets qui se présentent, ils brûlent d’envie de voir la lumière. Pour rendre nos assemblées plus augustes, nous avons une chambre que nous décorons le mieux qu’il nous est possible. Nous y avons tracé un soleil et une lune, avec une étoile flamboyante, et un dais pour le vénérable. Si nous avions sur des feuilles de papier bien faites nous les collerions sur la muraille, mais aucun de nous ne sait dessiner. Enfin nous avons fait comme nous avons pu en attendant mieux. J’ai fait faire trois maillets, et trois tables en triangle, nous voulons que cela ait une forme. Nous avons encore mis les deux colonnes en forme d’airain. Si vous pouviez nous venir voir, je crois que vous seriez content de nous, nous travaillons en vrais maçons39.»
40Mais Ploërmel n’est pas Rennes, et il n’est pas simple d’implanter une loge dans une petite cité où l’Église s’avère toute puissante. Aussi sont-ils embarrassés par l’absence des cahiers de grades, car aucun d’eux n’en possède : ils ont été obligés de s’en séparer lors de la dernière « mission » évangélique prêchée dans la ville :
« Vous nous dites de recevoir toujours : comment le ferions-nous, aucun de nos frères n’a de cahiers. A la dernière mission on les obligea de s’en défaire : ils ont connu leur erreur, et en sont fâchés. Les prêtres ici sont des cagots qui vont à coup sûr nous excommunier, car ils se mêlent de prêcher très indécemment en chaire en nommant pour ainsi dire les masques. »
41Rigon dispose bien de textes imprimés qui dévoilent déjà les « secrets » maçonniques, mais le sénéchal Joseph Tuault « ne veut absolument pas qu’ils soient bons ». Tout finit cependant par s’arranger :
« En conséquence du pouvoir donné au frère Rigon chirurgien du roi par la R∴L∴ de Saint Jean sous le titre de la Parfaite Union a l’Orient de Rennes le 2e jour du 12e mois de l’an de la V∴L∴ 5775 d’établir une Loge à l’Orient de Ploërmel sous l’attache des Constitutions de ladite R∴L∴ de La Parfaite Union a l’Orient de Rennes,
Nous frères Tuault de la Bouvrie, conseiller du Roi, sénéchal de Ploërmel ; Perrot de La Villefroger entreposeur du tabac ; Chantrel de la Villeesbonnet receveur des devoirs, et Dumay de la Morissais avocat au Parlement, convoqués par ledit frère Rigon, y avons procédé ce jour 14e du 4e mois de l’an de la V∴L∴ 577640.»
42Et ils donnent avis à leur loge mère de leur premier acte officiel :
« Nous avons reçu et initié dans les mystères de la Maçonnerie le frère Anne René Medal, notaire royal au siège de Ploërmel, après avoir fait préalablement sur sa vie et mœurs toutes les informations requises et nécessaires. Nous vous prions de l’affilier et inscrire sur le tableau de votre R∴L∴ comme nous l’avons inscrit sur le nôtre, et de lui faire avoir des lettres du Grand Orient de France, afin qu’il puisse avoir à sa disposition la clef de toutes les Loges régulièrement constituées. »
43Cependant les curés ne désarment pas, et manipulent l’opinion :
« Nous vous avions prévenu il y a quelque temps que le fanatisme commençait à murmurer contre nous, et nous le laissions faire. Mais un de nos curés monta hier en chaire, et d’une voix tonnante nous dénonça au public comme formant une synagogue empoisonnée, comme étant séparés de l’Église, et dont le moindre crime est de renoncer à notre religion. Ce pauvre curé aveuglé par son zèle eut pourtant la discrétion de ne pas nommer notre société : il l’indiqua seulement par le nom de secte. Et comme s’il eut été rempli de l’esprit prophétique, il annonça que le gouvernement allait sévir par une loi rigoureuse. Depuis ce temps le bruit court ici qu’il a été rendu tout récemment au Conseil un arrêt qui nous concerne, sans qu’on sache ce qu’il porte. Si vous en avez connaissance, nous vous prions instamment de nous en faire part le plus tôt possible41.»
44La difficulté de faire vivre un atelier à effectif réduit dans un environnement aussi hostile avait sans doute été sous-estimée par les fondateurs de cette « Parfaite Union » ploërmelaise. Le départ de Rigon, qui comme chirurgien de marine rejoint l’escadre à Brest en 1778, entraîne la mise en sommeil de la loge. Le cas n’est pas isolé, de nombreuses loges bretonnes ne fonctionnent ainsi que quelques mois ou quelques années, le phénomène étant particulièrement marqué pour les loges militaires du fait d’incessants changements de garnison. Ainsi les frères du régiment de Penthièvre Infanterie, dont « le nombre s’est multiplié depuis qu’ils ont pu s’éclairer dans les Loges régulières à l’Orient de Rennes où ils sont depuis quelques années », et qui « sur le point de quitter cette ville désirent prendre du Grand Orient des Constitutions qui les mettent à portée de donner désormais à leurs travaux toute la régularité possible42 », obtiennent bien ces dernières pour leur « Loge Écossaise et d’Adoption sous le titre distinctif de Bellone » et sont effectivement installés par « L’Essence des Mœurs » de Saint-Servan, où ils ont été envoyés entre temps, le 24 juin 1787. Mais plus aucun courrier postérieur à cette date n’atteste qu’ils ont ensuite continué leurs travaux.
45D’autre part La Franc-Maçonnerie n’a jamais été un label déposé. Au XVIIIe siècle comme de nos jours, une personne justifiant ou non d’une initiation « régulière » peut se réclamer de la qualité de « franc-maçon » sans risquer la moindre sanction civile. Elle peut en rassembler d’autres autour d’elle, et mettre sur pied une « loge », voire une « obédience », sans rencontrer d’opposition. Ce n’est pas pour autant qu’elle accédera au statut dont elle se réclame. Car la qualité de franc-maçon n’est pas liée à celui ou à celle qui en est revêtu : elle n’existe que par le consentement des membres de l’institution. À la question rituelle posée par le vénérable lors de chaque ouverture d’une tenue : « Frère Premier Surveillant, êtes-vous franc-maçon ? », celui-ci ne peut en effet que répondre : « Mes frères me reconnaissent pour tel. » Car un franc-maçon n’existe en tant que tel que par le regard des autres francs-maçons, une loge que par l’agrément des autres loges. C’est à cette procédure implicite de reconnaissance mutuelle, formalisée par les règlements des différentes Obédiences, que se heurtent ceux qui prétendent travailler à l’Art Royal en dehors de leur aval. Dès 1774 le Grand Orient, lorsqu’il décide le renouvellement des Constitutions de toutes les loges se réclamant de son autorité, met en place ce système de contrôle croisé. Il en va de sa crédibilité nationale et internationale :
« Toutes les Loges de quelque pays que ce soit se sont réunies pour élever une barrière entre elles et les Loges irrégulières, et elles ont dû le faire afin de maintenir la gloire et assurer l’existence de l’Ordre ; car il cesserait bientôt d’être, s’il n’était plus respecté. Et pourrait-il mériter longtemps la considération, lorsqu’on ne pourrait plus distinguer les vrais maçons de ceux qui osent en usurper le titre43 ?»
46Il s’agit donc non seulement de régularité, mais de respectabilité. C’est ainsi qu’en Bretagne « L’Heureuse Maçonne » de Quimper, fondée en 1768, et dont les Constitutions avaient été renouvelées en 1772, voit son Temple « irrévocablement démoli » en 177644, sur les rapports négatifs fournis tant par « L’Heureuse Rencontre » de Brest que par « La Parfaite Union » de Rennes. Les commissaires dépêchés par ces deux ateliers pour vérifier la véracité des accusations portées contre certains des frères de « L’Heureuse Maçonne » par « La Parfaite Union » de Quimper avaient pu constater que l’évêque de la ville n’avait pas tort lorsqu’il dénonçait en chaire les escroqueries à la franc-maçonnerie dont ses ouailles bas-bretonnes étaient victimes : « On faisait des levées d’argent sur les habitants des villes et des campagnes pour les recevoir franc-maçons en leur faisant espérer des sommes considérables et un bonheur chimérique45. » C’est pourquoi une attention toute particulière est portée, lorsqu’une demande en constitution de loge arrive à Paris, non seulement aux qualités maçonniques, mais également aux qualités civiles des fondateurs. L’article XXIII du Règlement général d’août 1771 est lapidaire sur les conditions à remplir pour devenir franc-maçon : « Aucun candidat ne sera admis, qu’il ne soit son propre maître, qu’il ne jouisse d’un état décent, et qu’il n’ait atteint l’âge de vingt ans ». Mais qu’est-ce qu’un « état décent » ? Une affaire qui occupe pendant de longues années « La Parfaite Amitié » va permettre d’établir une jurisprudence en ce domaine.
47En décembre 1776, cette loge est chargée par Paris, ainsi que « La Parfaite Union » et « L’Égalité », d’établir un rapport sur la demande de constitution présentée par « La Fidèle Union » à Morlaix, à laquelle s’oppose « La Noble Amitié », qui a repris l’année précédente dans le même Orient les travaux d’une loge fondée en 1746. Germain Duplessis-Pégase, receveur général des fermes du Roi et vénérable de l’atelier, motive son opposition en arguant de considérations fondées « 1° sur le local 2° sur les qualités civiles de la plupart des membres qui la composent 3° sur l’irrégularité des travaux déjà faits46. » Sur le premier motif, à savoir « La ville de Morlaix n’étant pas dans la classe des grandes villes, mais tout au plus dans celle du 3e ordre, deux ateliers ne pourraient que s’y nuire mutuellement », les frères demandeurs n’ont aucune difficulté à prouver, en s’appuyant sur les « notes géographiques » de la Province, que Morlaix est une des villes les plus prospères de Bretagne, et que deux loges peuvent très bien cohabiter. L’« irrégularité des travaux » vient de ce que quatre frères ont été reçus par « La Fidèle Union » avant même qu’elle ne demande des Constitutions. Mais comme le même cas s’était déjà produit à Rennes lors de la naissance de « L’Égalité », les frères de Morlaix ont beau jeu de se réclamer du précédent ainsi créé, en ajoutant : « Il n’existe peut-être pas aujourd’hui une seule Loge qui n’ait fait quelques réceptions dans l’intermédiaire de sa demande en constitutions et le moment où elle les a reçues. »
48C’est « la qualité civile » de certains des membres de la loge postulante qui est en fait la pierre d’achoppement. « La Noble Amitié » ne manifeste évidemment aucune réticence à l’égard de Pierre Onfroy de la Painière, bailli de la sénéchaussée de Morlaix, qui a été reçu en 1773 à « La Parfaite Amitié » à Rennes ; ni pour Pierre Gilles, le supérieur des religieux Minimes de Morlaix, un très ancien maçon puisque reçu en 1756 à Tours ; ni sur Yves Kermeur-Rinquin, notaire royal et procureur, Pierre Guyon, imprimeur du Roi et libraire, Jean Louis Cretté, ciseleur et graveur, ou Charles Gohier d’Armenon, directeur des Postes, voire Philippe Morain, inspecteur des mines de Coatanos, et ancien avocat au Parlement de Paris, toutefois qualifié de « facteur d’orgues » au motif « qu’il a bien voulu s’occuper gratuitement d’une petite réparation aux orgues de la collégiale de Morlaix ». Par contre les antécédents ou la profession des autres frères provoquent sa censure. Le vénérable en titre, Antoine Plante, est bien sûr « citoyen et bourgeois », mais le titre d’» académicien » dont il se prévaut signifie en fait qu’il est directeur d’une troupe de théâtre, dont son gendre Alexis Henry est le maître de musique. Le second surveillant, Germain Andrieux, est préposé « à la visite et à la marque des toiles » de lin pour les voiles de navires, ce qui est alors la principale industrie de la ville : un emploi de confiance, « honnête et décent ». Mais son père a été laquais chez Antoine Plante. Quant à Joseph Gardel, Julien Guéguen et Julien Noroy, ils sont tous les trois marchands épiciers, « au plus petit détail », ajoute « La Noble Amitié », le premier étant de plus « fils d’un invalide qui tenait auberge ».
49Les rapports d’enquête fournis par « L’Égalité » et « La Parfaite Amitié » sont révélateurs des motivations, de la philosophie et de la pratique maçonnique des frères de l’époque, et voient s’opposer deux conceptions antagonistes de la Franc-Maçonnerie. La première, fournie par « L’Égalité », qui se range aux raisons de « La Noble Amitié », est résolument élitiste :
« Une considération particulière nous engage à nous opposer à la demande des frères rassemblés sous le titre de Fidèle Union. Nous sommes pénétrés de l’étendue des obligations qui existent entre tous les maçons, et des liens qui nous unissent les uns aux autres. Or il est tout à fait dangereux que les rapports qui existent dans la société maçonnique soient disparates avec ceux qui unissent dans la société civile, car la diversité de ces rapports opère nécessairement leur anéantissement, produit l’anarchie, et rend inutile la société maçonnique qui ne peut être avantageuse qu’autant qu’elle est resserrée dans les bornes les plus étroites. Il est impossible que la multiplicité des maçons ne cause pas du relâchement dans le régime. On prononce le doux mot de frère indifféremment, on l’articule comme un autre mot47.»
50On voit que « l’égalité » affichée dans le titre distinctif de l’atelier est on ne peut plus restrictive. Au contraire, les commissaires enquêteurs de « La Parfaite Amitié », dans une vision beaucoup plus ouverte de la Franc-Maçonnerie, vont s’employer à réfuter terme à terme les allégations de « La Noble Amitié ». Joseph Gardel est bien le fils d’un aubergiste, mais :
« Un aubergiste n’est pas indigne d’une certaine considération, surtout quand il a rendu des services à la Patrie comme l’annonce le titre d’invalide. D’ailleurs ce fils d’aubergiste est officier d’infanterie et ne peut par conséquent être rangé dans la classe des hommes de bas aloi. Nous avons été informés que son commerce ne laissait pas d’être d’une certaine étendue, et que l’on avait eu tort de le présenter sous les expressions du plus petit détail. »
51Quant à Julien Guéguen et Julien Noroy, les présenter comme de petits boutiquiers relève de la diffamation pure et simple, cette description étant « démentie par les places qu’occupent ces deux postulants dans le corps des officiers de la milice bourgeoise. Nous avons été instruits que le commerce du frère Guéguen était considérable, qu’il pourrait être assimilé à ceux des plus riches négociants de cette ville ; que le frère Noroy venait de prendre une ferme de 6 000 livres de revenu, une pareille entreprise ne cadre guère avec la modicité du commerce qu’on reproche à ce postulant48. » « La Parfaite Amitié » sait mieux que beaucoup d’autres loges que la profession de négociant est une profession à risque aussi bien pour ceux qui la pratiquent que pour les loges qui accueillent dans leur sein des frères « marchands » : dans une province maritime comme la Bretagne, tout négociant d’une certaine envergure est plus ou moins armateur, soit directement, soit parce qu’il est intéressé aux affaires de « Ces Messieurs de Saint-Malo » ou de Lorient. Elle vient d’exclure de son sein deux frères « qui viennent de faire la faillite la plus frauduleuse, et ont laissé sur place pour une somme considérable de faux billets dont un grand nombre de maçons de cet orient sont victimes. » Elle en a même donné avis au Grand Orient, en lui demandant de prévenir toutes les autres Loges, et aussi « Le Grand Orient d’Angleterre, où ils se sont réfugiés49 ». Mais ce n’est pas une raison pour suspecter d’emblée l’honnêteté des frères négociants de Morlaix.
52Le cas d’Antoine Plante et de son gendre se voit tout aussi soigneusement examiné :
« Le frère Plante a toujours été directeur d’une troupe. Ses mœurs dans un état où il est rare d’en avoir, lui ont donné l’entrée dans les meilleures maisons de cette ville. Il a su préserver sa fille de la corruption presque générale du théâtre : elle a toujours été renfermée dans la modestie, vertu de son sexe plutôt que de son état. Elle ne s’occupait que de deux choses : d’exercer son art à la satisfaction du public, et de mériter son estime dans une profession qui s’ennoblit quelques fois par les talents et la vertu. Le père d’une actrice aussi rare nous semble mériter des égards. »
53Un directeur de troupe n’a pas le même statut social qu’un comédien. Mais « La Parfaite Amitié » fait observer, concernant ces derniers, qu’ils ne souffrent d’aucun ostracisme à Rennes, bien au contraire : « Nous vous faisons encore observer que vous avez été témoins de plusieurs réceptions de comédiens dans une loge de cet Orient. Nous en avons vu trois dans une seule séance. » En fait, le seul comédien dont on retrouve la trace sur les tableaux de loges rennais du XVIIIe siècle est Antoine Auvray de Saint-Preux, affilié en 1774 à « La Parfaite Union », et dont on peut supposer, vu son nom de scène, que sa vertu était égale à celle du personnage de La Nouvelle Héloïse. On ne retrouve aucune mention de ces trois comédiens reçus « en une seule séance », et d’ailleurs le Grand Orient, saisi au même moment par « L’Égalité » sur la question de la régularité maçonnique des comédiens – ce qui laisse supposer que c’est cette loge qui a reçu les trois comédiens en question – fait sur le sujet une réponse tout à fait claire :
« Il n’est pas douteux que nous n’accorderons point de certificats aux comédiens reçus maçons. Nous convenons qu’un certificat n’est qu’une attestation simple qu’un frère est membre d’une loge régulière ; mais un comédien devrait-il être maçon régulier ? Au moins est-il certain que nous ne pouvons pas constater sa constance maçonnique. Les lois de l’État ont tâché les hommes de cette profession, nous devons nous conformer aux lois, sans nous permettre de les interpréter50.»
54Par contre « la profession de musicien n’est point abjecte, nous en voyons plusieurs dans les Loges de cet Orient qui joignent à l’estime du public, l’estime et l’amitié de leurs frères ». Il est vrai qu’on ne dénombre pas moins de cinq frères musiciens reçus ou affiliés en 1775 ou 1776 à « L’Égalité ». Mais il convient de préciser que les francs-maçons ont toujours beaucoup aimé agrémenter leurs assemblées, particulièrement les assemblées solennelles, d’une « colonne d’harmonie » rythmant les différences séquences du rituel. Jusqu’à ce que les moyens modernes de reproduction de la musique assurent l’accompagnement d’ambiance, les musiciens étaient donc tout à fait bienvenus en loge51. Mais c’est le procès en roture fait à Germain Andrieux qui va cristalliser le soutien que « La Parfaite Amitié » apporte aux fondateurs de « La Fidèle Union » :
« Le père de ce postulant aurait été laquais du vénérable actuel. On nous a assuré le contraire, on nous a dit qu’il avait été homme d’affaires ou de confiance. Cela paraît d’autant plus probable que ce postulant occupe aujourd’hui un emploi dans le bureau même du vénérable. Au reste, si le père a été laquais, le fils n’en est que plus estimable, c’est à lui seul qu’il est redevable de se trouver aujourd’hui dans une classe d’hommes parmi lesquels le hasard ne l’avait pas fait naître. La nature et l’éducation nous dédommagent quelquefois de l’injustice du sort, et bientôt nous faisons disparaître une tache qui ternirait l’état des plus grandes familles, si l’on fouillait jusqu’au fond de leur origine. En un mot il est beau d’être soi-même l’auteur et l’artisan de sa fortune et de sa réputation. On reprochait un jour à Cicéron d’être un homme nouveau : j’aime mieux, répondit-il, briller par mon propre mérite que par un nom hérité de mes ancêtres52.»
55Plus tard elle enfoncera le clou, en citant cette fois le F∴ Voltaire :
Les mortels sont égaux, ce n’est point la naissance,
C’est la seule vertu qui fait la différence53.
56Les membres de « La Noble Amitié » sont pour la plupart des hobereaux, officiers ou anciens officiers. Une grotesque rivalité entre les équipages de chasse à courre de deux d’entre eux, terminée par un pugilat dans une auberge, va déterminer une scission dans la loge. Le titre distinctif choisi pour le nouvel atelier, « L’École des Mœurs », a certes valeur de rappel au règlement pour « La Noble Amitié », mais comme « L’École des Mœurs » se voit sans problème accorder le 4 septembre 1777 par le Grand Orient des Constitutions demandées trois mois plus tôt, l’argument fondé sur l’exiguïté de la ville pour refuser les siennes à « La Fidèle Union » ne tient plus. Cependant, entre les frères de « La Noble Amitié » et ceux de « L’École des Mœurs », si « le défaut d’assortiment dans les caractères, qui faisait naître sur presque tous les objets à discuter des contestations éternelles qui se soutenaient de part et d’autre avec vivacité, et se terminaient souvent avec aigreur54 » subsiste, cela ne les empêche pas de se trouver toujours d’accord sur au moins un point : leur refus de considérer certains des postulants de « La Fidèle Union » comme dignes de faire partie de la famille maçonnique. Et ceux-ci ne disposent pas non plus d’appuis parisiens suffisants pour plaider leur cause devant la Chambre d’administration du Grand Orient : bien que leur dossier soit à l’évidence recevable, elle continue à ignorer leur demande. Constatant l’inertie, et sans doute vexée de ce que le rapport favorable qu’elle a émis sur la demande de Constitutions de « La Fidèle Union » ne soit pas mieux pris en compte, « La Parfaite Amitié » prend alors une décision extraordinaire : elle décide d’affilier en bloc tous les frères de Morlaix en attente de la décision de Paris :
« Des affaires profanes ayant appelé à Morlaix plusieurs membres de notre loge, ceux-ci ayant été invités par ceux de La Fidèle Union à les visiter, et à prendre connaissance de leurs travaux maçonniques, le compte qu’ils nous en ont rendu et les nouvelles demandes de ces frères auprès de notre loge ne nous ont pas permis de laisser plus longtemps gémir sous une proscription éclatante des maçons si dignes de notre amitié et de la vôtre. Nous avons pensé en conséquence qu’il importait d’abord de régulariser leurs travaux en les affiliant comme ils le demandaient à notre loge ; que c’était un nouveau moyen de leur concilier votre amitié en les associant à une loge à laquelle vous avez bien voulu l’accorder, et qui la recherchera toujours. Cependant, nous ne voulûmes pas le faire sans en prévenir la loge l’École des Mœurs nouvellement constituée à Morlaix, et qui nous avait adressé son tableau. Nous lui adressâmes à cet effet deux planches à tracer sans en recevoir de réponse. Leur silence nous convainquit de plus en plus du peu de fondement de leur opposition à l’établissement des frères de La Fidèle Union, et ce fut après ces démarches que nous arrêtâmes leur affiliation55.»
57« La Parfaite Amitié » prend soin de préciser « que les frères nouvellement affiliés ne pourront s’assembler sous d’autre titre distinctif que celui de frères de La Parfaite Amitié de l’Orient de Rennes réunis à Morlaix », « qu’ils ne pourront employer de timbre ni de sceaux différents des nôtres », et « qu’ils feront sursis à la demande des certificats pour lesdits frères au Grand Orient56 ». La loge explicite plus tard le sens de son action, en ne manquant pas de mettre en exergue le fait qu’avec cette affiliation, elle a gardé au sein du Grand Orient de France un atelier qui n’aurait pas manqué autrement de rejoindre une obédience concurrente :
« Leur constance et la régularité de leurs travaux, que plusieurs d’entre nous eurent l’occasion d’examiner à différentes reprises, nous déterminèrent à les affilier à notre loge pour les dédommager en quelque sorte, d’un refus qu’il n’avaient pas mérité. Nous n’avons point constitué de loge, nous avons affilié des frères que l’éloignement ne nous permettait pas de recevoir dans notre temple. C’est une émanation, une dépendance, une partie intégrante d’une seule Loge de La Parfaite Amitié à l’Orient de Rennes, de sorte que nos frères de Morlaix ne composent avec nous qu’un seul et même atelier quoique séparés par une grande distance.
Nous n’avons pas donné l’exemple de ces affiliations, elles sont communes en Bretagne. Le bien de l’Art Royal oblige souvent de les pratiquer, nous en avons conféré avec la majeure partie des loges de notre correspondance, il n’en est pas une qui ne nous ait approuvé. D’ailleurs le parti que nous avons pris en cette circonstance nous a paru indispensable. Sur le point de céder aux sollicitations de loges étrangères, de s’attacher à cette prétendue Sublime Mère Loge Écossaise qui voulait les constituer, nous avons attaché au Grand Orient des frères qui sont à tous égards dignes de porter le nom de maçon. »
58Effectivement « La Parfaite Amitié » ne fait que suivre l’exemple de « La Parfaite Union » rennaise, dont on vient de voir qu’elle n’a pas hésité à établir en 1776 une loge homonyme à Ploërmel, « sous l’attache » de ses propres Constitutions. Il n’empêche que sa démarche est jugée irrégulière par l’instance parisienne, et le 5 octobre 1780 la Chambre des Provinces annule l’opération. Le contentieux qui suit va se prolonger encore 5 ans, car « La Parfaite Amitié » ne lâche pas prise, comme en témoigne sa réponse au Grand Orient :
« Nous désirons sincèrement que vous reconnaissiez que notre conduite que vous avez improuvée, ne méritait cependant pas de l’être. Nous avons la faveur de vous faire passer notre tableau. Nous vous prions de l’accepter comme un gage de l’amitié fraternelle que nous vous avons vouée jusqu’ici et dont nous ne nous croyons pas que vous nous forciez de nous repentir57.»
59La Loge interjette donc appel, et envoie au début de l’année 1783 un nouveau mémoire de 42 pages qui recopie toutes les pièces de l’affaire, tout en prévenant l’administration parisienne qu’il est inutile cette fois d’essayer de lui refaire le coup du « dossier égaré » qu’elle a utilisé dans l’intervalle :
« Le soin que nous avons pris de garder un double du mémoire que nous vous avons adressé à deux différentes époques est une preuve que nous avons prévu tout ce qui pourrait arriver dans la suite, et que nous avons pris les précautions nécessaires pour arriver au but que nous nous sommes proposés58.»
60Il faut encore plus d’un an pour que l’appel soit enregistré, et six mois de plus pour que la Grande Loge du Conseil tranche le différend. Mais le 4 mars 1785, « La Parfaite Amitié » voit ses efforts récompensés, car le Grand Orient se décide enfin à accorder des Constitutions à la « La Fidèle Union » :
« Rien de plus équitable que la seconde disposition de l’arrêté pris par la Grande Loge du Conseil le 4e jour du 1er mois de la présente année. Donner à la loge de La Fidèle Union à l’Orient de Morlaix une existence régulière, c’est avoir rendu aux frères qui la composent une justice qu’ils sollicitaient persévéramment depuis de longues années et qui leur était due à plus d’un titre59.»
61Il se trouve que le cas des frères de « La Fidèle Union » est loin d’être isolé : à Brest, par exemple, les officiers de la Royale, majoritaires à « L’Heureuse Rencontre », s’opposent autant que les hobereaux de « La Noble Amitié » de Morlaix à la reconnaissance d’autres loges dans le port du Ponant, sous le même prétexte de l’insuffisance sociale de certains des requérants. Si bien que lorsque Pierre Chevallier donne comme sous-titre « L’École de l’Égalité » au premier tome de son Histoire de la Franc-Maçonnerie française, 1725-1799, on ne peut s’empêcher de penser qu’il s’agit d’une « égalité » à géométrie variable. Les variations lexicales dans les suscriptions des lettres envoyées par les loges à Paris en sont souvent un bon indice. Ainsi dans la plupart des cas les loges s’adressent « Au Grand Orient de France, À la Gloire du Grand Architecte de l’Univers et sous les auspices du Sérénissime Grand Maître » avec la formule traditionnelle « S∴F∴U∴ » pour « Salut, Force Union », mais Mangourit à « L’Égalité » modifie cette dernière en « Salut, Force, Égalité ». Tandis qu’Antoine de Mézanger des Harlais, ancien secrétaire du Roi, fondateur à Fougères avec d’autres aristocrates de la loge « L’Aimable Concorde », la transforme en « Salut, Santé et Soumission », et dédicace sa missive avec la satisfaction évidente de pouvoir se réclamer de noms et de titres illustres :
« Au très Puissant, très Auguste, très Sérénissime Grand Maître de l’Ordre Royal de la Franche-Maçonnerie de France, Louis Philippe Joseph d’Orléans, Duc de Chartres, Prince du Sang, & ca, & ca, & ca…
Au très Illustre, très Respectable Administrateur Général, Anne Charles Sigismond de Montmorency-Luxembourg, Duc de Luxembourg, & ca, & ca…
Aux très respectables, Premier & Second Grands Surveillants, Grands officiers Dignitaires & autres très respectables membres du Grand Orient de France60.»
62La devise de cet Atelier, « Concordia vigant61 », se retrouve néanmoins rapidement prise en défaut dans une affaire où l’on voit s’affirmer le magistère moral et réglementaire du Grand Orient. Au mois de mai 1778, son vénérable Victor Hay de Bonteville, capitaine de vaisseau, est en effet convaincu non seulement de n’avoir pas respecté les conditions réglementaires de la communication du « mot de semestre » qui vient juste d’être mis en place, mais encore de l’avoir divulgué à un profane. Il est immédiatement « exclu de la Loge à perpétuité, ainsi que de toutes les loges de France » :
« Tous les membres de l’Aimable Concorde à l’Orient de Fougères n’ont pu voir qu’avec la plus vive douleur qu’il existât parmi eux un traître à l’Art Royal. Cette douleur n’a-t-elle pas été à son comble, lorsqu’après les plus amples et les plus secrètes recherches, il a été avéré que le coupable était celui qui présidait à leurs travaux depuis le jour de la Saint-Jean dernier. Cet attentat commis contre les lois de la maçonnerie, contre le Grand Orient même, n’a pas permis aux membres de L’Aimable Concorde de retarder un jugement qui ne pouvait être que très sévère et très prompt.
Daignez Très Sérénissime Grand-Maître, Très Illustre Grand Administrateur, très Respectable 1er et 2nd Grands Surveillants, Officiers Dignitaires et autres membres du Grand Orient agréer que nous vous fassions part de ce jugement, lui donner force de loi en le confirmant, et en le rendant public à toutes les loges de France. Nous vous demanderions le changement du dernier mot de passe, confié au coupable indiscret, si nous n’étions aussi près de la Saint-Jean suivante. Nous ne pouvons vous donner des preuves plus authentiques de notre zèle pour l’Art Royal, et le soin que vous prenez de le conserver dans toute sa pureté, qu’en vous faisant part de la sévérité de notre jugement contre les coupables62.»
63La quasi-totalité des frères de « L’Aimable Concorde » sont des militaires ou d’anciens militaires, et ils ont en l’occurrence réagi avec la promptitude et la rigueur d’un conseil de guerre. D’où la consternation du Grand Orient à la réception de ce jugement et de ses attendus, et l’affirmation d’un autre invariant dans sa pratique maçonnique : le respect de procédures juridiques calquées sur celles du monde profane en cas de plainte ou de conflit. Les frères de « L’Aimable Concorde » se voient immédiatement rappelés à l’ordre :
« Il serait difficile de vous exprimer la surprise et la douleur que nous ont causées la lecture de vos planches des 12e et 19e jours du 3e mois de cette année, concernant la décision que vous avez portée contre le T∴C∴F∴ vicomte de Bonteville, Vénérable de votre R∴L∴. Nous ne nous permettrons point de discuter le fond de cette affaire, nous nous contenterons de vous observer que la décision a été rendue avec une précipitation qui blesse tous les principes de l’Art Royal, et qu’elle est contraire à toute équité puisque l’accusé n’a pas eu la liberté de se défendre.
Nous vous le répétons notre intention n’est point de juger les inculpations faites au T∴C∴F∴ vicomte de Bonteville, mais fussent-elles des plus graves, aucune considération ne devait vous empêcher de lui offrir et de lui faciliter les moyens de se justifier.
Vous ne deviez pas enfin le condamner sans l’avoir entendu.
Vu l’irrégularité avec laquelle vous avez procédé dans cette affaire, nous avons arrêté le 16e jour du 5e mois de cette année :
1 ° Que le mot de semestre ne sera point envoyé à votre loge.
2 ° Que le jugement a été rendu avec une précipitation qui rejette l’indulgence fraternelle.
3 ° Que le jugement est contre toute justice, en ce que l’accusé n’a point été entendu dans ses défenses, et qu’en conséquence votre loge biffera dans ses registres le susdit jugement, réintégrera son Vénérable exclu, et donnera sous 27 jours avis à notre Grand Orient de l’exécution du présent arrêté.
Nous espérons qu’animés des vrais principes de notre Ordre vous vous ferez un plaisir de vous conformer à notre décision, que votre erreur n’aura été que l’erreur d’un instant, et que la promptitude avec laquelle vous la réparerez la fera bientôt oublier63.»
64Avec sur ses colonnes une douzaine de nobles titrés et autant de hobereaux, « L’Aimable Concorde » n’avait certes pas une grande pratique du domaine juridique. L’étude d’Eric Saulnier sur la composition des ateliers normands64 montre d’ailleurs dans la province voisine la même tendance à se regrouper en loge par affinités socioculturelles. Et si ce phénomène n’est pas marqué à Rennes, où l’on n’observe statistiquement aucune différence significative dans la composition des trois ateliers présente dans l’Orient65, alors ce sont des problèmes profanes, enjeux de carrière pour des magistrats, rivalités commerciales entre des négociants, qui provoquent des inimitiés d’autant plus vives que chaque atelier est persuadé de sa bonne foi, et n’hésite pas à en prendre à témoin le Grand Orient de France. C’est ainsi qu’à peine sortie de l’épisode morlaisien de « La Fidèle Union », la loge de « La Parfaite Amitié », qui avait fini par vivre en bonne intelligence avec « La Parfaite Union », puisque « le chapitre de hauts grades se tenait alternativement dans l’une et dans l’autre66 » va en décembre 1786 déposer plainte contre cette dernière, à propos d’un différend portant sur « la modique somme de 43 livres et 13 sols », dont elle va faire une affaire d’honneur qui ne sera toujours pas réglée en 1789, et qui va accentuer son déclin67.
65C’est que les beaux jours de la maçonnerie d’ancien régime en Bretagne sont passés : les effectifs ont fondu. On ne compte plus en tout cette année-là qu’une soixantaine de frères actifs à Rennes, contre deux fois plus dix ans plus tôt, et certaines loges vivotent sur leurs acquis ou leur ancienne réputation. Il n’est pour s’en convaincre que d’écouter Thomas de la Quinveraye, « maître ès comptes », et vénérable de « L’Égalité », dans une lettre adressée au Grand Orient en mai 1785 :
« Depuis un temps infini tous les membres de cet atelier ont été dispersés et les travaux ont été suspendus, c’est ce qui nous a empêché de répondre aux diverses planches qui nous ont été adressées. Le retour de plusieurs de nos frères nous annonce une prochaine assemblée plus nombreuse, où nous nous occuperons essentiellement de tout ce qui peut être utile à l’Art que nous professons, et nous vous en ferons passer le résultat avec le don gratuit sur lequel il a été ci-devant délibéré68.»
66Son espoir sera déçu, car « L’Égalité » ne retrouvera pas une activité significative, et disparaîtra dès le début de la période révolutionnaire, comme en témoigne la lettre envoyée au Grand Orient par Jean Jacques Bouestard de la Touche, médecin du Roi et vénérable de « L’École des Mœurs » à Morlaix :
« Nous devons vous prévenir d’une erreur singulière qui se commet depuis quelque temps au Grand Orient pour que vous y mettiez ordre. Il adresse au F∴ Fidière, ci-devant vénérable de la loge de L’Égalité à l’Orient de Rennes, toutes les planches destinées à cette loge. Ces planches lui sont adressées à Morlaix où il demeure en qualité de directeur des contrôles. Il est à Paris depuis quatre mois, et les planches sont ouvertes et lues par un profane qui en fait des gorges chaudes. Nous vous faisons observer d’ailleurs que le F∴ Fidière ne tient plus à aucune loge, et nous ne concevons pas comment L’Égalité ne se plaint pas au Grand Orient de ce qu’elle ne reçoit pas les instructions d’usage69.»
67« La Parfaite Amitié », est pratiquement dans le même cas que « L’Égalité », comme l’indique au même moment son vénérable, Pierre François de La Motte, avocat au Parlement de Bretagne, tout en mettant cependant en cause l’inertie du Grand Orient dans le différend qui l’oppose à « La Parfaite Union » pour expliquer la situation :
« Nous avons la faveur de vous faire passer le tableau de notre R∴L∴, dressé suivant les instructions que vous nous avez envoyées. Notre atelier vous paraîtra sans doute bien peu nombreux, et il se dépeuple encore tous les jours ; en sorte que nous avons à nous plaindre de le voir bientôt totalement désert. Mais devons-nous nous étonner de voir notre atelier désert ? Si les particuliers et les Loges ont le droit de nous insulter impunément ; si le Grand Orient néglige de faire droit sur les plaintes que nous lui déférons, qui voudra fraterniser avec des Maçons que n’accompagne pas la considération qu’ils méritent70 ?»
68Même complainte l’année suivante :
« Cependant notre atelier se déserte tous les jours ; et notre loge, jadis la plus florissante de cet Orient, n’est plus aujourd’hui composée que de sept Maîtres. Personne n’est jaloux de s’unir à une société, qu’on a pu insulter et mépriser impunément de manière grave71.»
69Et le courrier qui suit est encore plus explicite :
« Cette loge, la plus régulière et la plus ancienne de cet Orient, qui comptait il n’y a pas encore longtemps plus de quarante membres, n’a pas aujourd’hui des frères en nombre suffisant pour remplir ses dignités. Et cependant les frais d’un local considérable, et les autres dépenses qu’entraîne le régime d’une loge jalouse de se maintenir avec décence, deviennent un poids bien pesant pour nous, parce qu’il n’est pas assez partagé. C’est pour cette raison que nous ne vous avons pas envoyé cette année le don gratuit, que nous nous portâmes à vous faire compter l’année dernière. Notre loge n’ayant plus aucun fond, toutes les dépenses se font immédiatement à la bourse des frères, qui s’ennuient à payer72.»
70Même son de cloche à Fougères, où un ancien vénérable de « L’Aimable Concorde », Louis Lenaut de Fauville, directeur des fermes, écrit à Paris au même moment :
« Je vous prie, de ne plus me faire la faveur de m’écrire touchant la Maçonnerie de la loge de Fougères, celle-ci n’existant plus depuis plus de deux ans. Ce sont des ports de lettres qui me sont onéreux, et dont je ne suis pas remboursé73.»
71L’Ordre dans ses nouveaux habits du début des années 1770 était une nouveauté qui suscitait la curiosité. On peut d’ailleurs le mesurer par un paramètre simple, la durée moyenne d’activité maçonnique recensée sur la période 1773-1789, qui est d’un peu moins de 5 ans74. Ce qui signifie que la moitié des frères restent entre deux et sept ans sur les colonnes, qu’un quart n’y fait qu’une brève incursion, tandis qu’un autre quart assure la pérennité de l’institution. Encore faudrait-il moduler cette sécheresse statistique par des observations plus fines montrant combien la matière est changeante, surtout au début de la période. Ainsi, tant pour « La Parfaite Union » que pour « La Parfaite Amitié » l’effectif de référence, présent sur les tableaux fournis en 1774, se voit renouvelé à 80 % sur les tableaux de 1776. Mais en plus de la relative indifférence qui s’installe dans le public à partir de 1780, plusieurs facteurs se sont réunis pour expliquer cette baisse de régime. Le premier est la faiblesse conceptuelle originelle de l’institution.
72Certes la proposition initiale de la Franc-Maçonnerie, telle que définie par Anderson dans les Constitutions de 1723, traduites en français par le F∴ de La Tierce en 1745, à savoir que « la Maçonnerie est le Centre de l’Union, et le moyen de concilier une sincère amitié parmi des personnes qui n’auraient jamais pu sans cela se rendre familière entre elles », apparaît toujours aussi novatrice, et reste d’actualité autant en Angleterre qu’en France, ou dans d’autres pays. Poser comme principe de base la tolérance dans la société européenne de l’époque, où les clivages religieux sont encore prêts à justifier des affrontements directs – car c’est bien de cela qu’il s’agit au départ – constitue une avancée indiscutable. La liberté d’expression et l’égalité entre les intervenants ne sont que les conditions nécessaires à l’émergence de cette forme inédite de sociabilité, en réaction contre une structure sociale figée aussi bien dans ses présupposés idéologiques que dans ses stratifications sociales. Louis de Saint Leu, chanoine régulier de l’abbaye de Rilley, et orateur de l’atelier, rend parfaitement compte de cet état d’esprit dans le discours qu’il prononce le 26 juin 1777 lors de l’allumage des feux de « L’Aimable Concorde » à Fougères :
« Les maçons au contraire en s’élevant au-dessus des préjugés, sans épouser les haines nationales qui armèrent Sparte contre Athènes, Rome contre Carthage, Richard contre Philippe Auguste ; sans prononcer entre Genève et Rome, Hussein et Mahomet ; sans se laisser éblouir par les brillantes chimères des rangs, ouvrent également leurs sanctuaires à ce guerrier intrépide qui pour la défense de la patrie brave les dangers et la mort ; à ce magistrat qui, aussi intègre que la justice, est prêt à sacrifier ses biens, sa fortune et sa vie pour le maintien sacré des lois ; à ces négociants qui par leur commerce augmentent la jouissance de l’État, quadruplent les forces du Prince, sauvent de la misère et de l’opprobre la timide industrie et l’artisan dont l’active industrie embellit nos cités, et fait circuler dans nos campagnes l’abondance et la fécondité ; enfin au ministre de la religion qui plaint les erreurs des hommes, les chérit, les aime et les secourt, en un mot à tous les hommes pourvus qu’ils soient vertueux75.»
73Le tableau est bien sûr quelque peu idéalisé : il n’en demeure pas moins significatif d’une aspiration profonde à un changement qualitatif dans les rapports sociaux, qui s’est structuré en Franc-Maçonnerie sous cette forme originale de société initiatique jalouse de son autonomie tant vis-à-vis de l’autorité civile, qu’envers l’Église. Elle prend cependant soin de se concilier les pouvoirs en affirmant sa totale allégeance :
« Un Maçon est un paisible sujet des Puissances civiles, en quelque endroit qu’il réside ou travaille. il ne trempe jamais dans les complots et conspirations contraires à la paix et au bien d’une Nation76.»
74Ce qu’elle s’emploie à prouver lors d’occasions officielles, comme la naissance du Dauphin en octobre 178177 : le Grand Orient ayant invité les loges à célébrer l’événement, et à lui rendre compte des dispositions prises à cet effet78, « La Parfaite Union » ne manque pas de répondre :
« Nous avons prévenu les désirs du Grand Orient, en arrêtant par notre délibération du 25 novembre dernier d’habiller, lors de leur première communion, six pauvres enfants de la paroisse sous l’étendue de laquelle notre loge est située. Nous avons cru que cette façon de témoigner l’allégresse que nous cause la naissance de Mgr le Dauphin était dans les principes du véritable maçon79.»
75Mais elle maintient délibérément l’Église à l’écart, dans un contexte intellectuel qui voit de plus en plus l’autorité cléricale battue en brèche. On est cependant bien en peine de trouver dans les productions initiales du Grand Orient de France un texte qui formalise ses buts, ou même simplement ses aspirations. On en reste à des intentions généreuses, telle cette annonce préludant à la sortie prochaine de la brochure sur l’état de l’Obédience en 1779 :
« Encourager les maçons à s’occuper continuellement du bonheur de leurs frères et du bien général de l’humanité ; étendre notre Ordre, en multipliant les lumières ; faire connaître son utilité, en annonçant les actions vertueuses et les actes de bienfaisance ; écarter les préjugés qui éloignent de la Maçonnerie ceux qui n’en ont qu’une idée imparfaite, forcer au silence les détracteurs injustes qui blâment ce qu’ils ne connaissent point ; engager enfin les hommes vertueux à se déclarer hautement les protecteurs d’une société qui se fait un devoir de former des sujets fidèles, des citoyens utiles à la patrie, et des bienfaiteurs de l’humanité ; tel a été notre but dans la composition de L’État du Grand Orient de France80.»
76La seule originalité de cette morale classique réside dans son indépendance vis-à-vis de la religion : « multiplier les lumières » doit se comprendre comme une volonté de se dégager de la direction de conscience imposée par l’Église catholique, et l’appel à l’accomplissement « d’actes de bienfaisance » ne s’accompagne évidemment pas de la théologie de la soumission à l’ordre établi alors inséparable de la charité chrétienne. Dans le chapitre consacré aux hauts grades, on verra que cette orientation a favorisé à Rennes l’émergence d’un rite agnostique, unique en Franc-Maçonnerie, celui des « Sublimes Élus de la Vérité ». L’étude et la réflexion sur le corpus symbolique et rituélique alors en cours d’élaboration, qui connaîtra dès le milieu du XIXe siècle un succès qui ira en s’amplifiant – il suffit de se reporter à la multitude d’ouvrages qui sont parus et qui paraissent toujours aujourd’hui sur le sujet – est également absente de la pensée maçonnique de l’époque. Elle se contente, comme dans les Constitutions d’Anderson, d’un ancrage pseudo-historique dans les légendes construites autour du thème biblique de la construction du Temple de Jérusalem par Salomon. Un texte de 1773 retrouvé dans les archives internes de « La Parfaite Union », et dont l’ancienneté seule fait l’intérêt, en témoigne. Il s’agit d’une planche à lire en loge lors d’une réception au grade d’Écossais. Après des rappels des épisodes de cette légende dévoilés aux grades d’apprenti, de compagnon et de maître, l’instruction pour ce grade ajoute :
« Après qu’on eut rendu les derniers devoirs à Hiram, Salomon choisi Adonhiram fils de Melida qui avait inspection sur les ouvriers qui travaillaient au Liban, et c’est sur lui qu’il se reposa pour remplacer Hiram, étant le seul qui put avoir avantage à cause de ses rares talents. Salomon le fit passer de la chambre du milieu à la chambre du troisième, et ce fut là qu’il donna le même mot qu’il avait autrefois donné à Hiram avec ordre de le communiquer à six maîtres experts parmi ceux qui avaient aidé à le retirer de la fosse. Et le mot dont ils avaient convenu lorsqu’ils partirent pour la recherche d’Hiram en cas qu’ils le retrouvassent, ainsi qu’il est arrivé, ce dernier mot fut aussi donné à 3 600 maîtres experts qui travaillaient dans la chambre du milieu.
La chambre du troisième est celle où travaillaient Salomon et Hiram, pour dresser les projets et les plans qui devaient servir à la construction du temple. Voilà mon frère un petit abrégé historique de notre Ordre, dont la suite devient de plus en plus intéressante. Il vous reste à connaître ce qui s’est passé jusqu’à la perfection du Temple, ce que sont devenus ensuite ces anciens bons maçons remplis de zèle et de vertus ; les persécutions qu’ils ont essuyés, comment l’ordre s’est perpétué durant un si long espace de temps pour parvenir jusqu’à nous. Tous ces objets mériteront assez votre attention, mon cher frère, pour que vous travailliez à vous rendre digne un jour à connaître le but et point parfait de la Maçonnerie. Actuellement vous allez travailler dans la chambre du troisième au moyen du mot d’Écossais qui va vous être communiqué. Vous devez redoubler de zèle et d’attention81.»
77« Le but et le point parfait de la Maçonnerie » font référence au dernier degré du rite des « Sublimes Élus de la Vérité ». Mais celui-ci est spécifiquement rennais, et s’il va connaître une audience non négligeable dans la ville et dans la province, il n’en reste pas moins que l’absence structurelle d’une pensée spécifique dans les grades antérieurs peut rapidement lasser des initiés déçus par les « sublimes bagatelles » à quoi se résout en définitive la Franc-Maçonnerie pour nombre de contemporains.
78Mais celle-ci n’est pas coupée du monde qui l’entoure, et la détérioration des conditions économiques qui s’amorce dès 1776 explique tout autant sinon plus la désaffection relative dont est alors victime l’institution. Car pratiquer la Franc-Maçonnerie n’est pas un exercice gratuit. Tout membre d’un Atelier doit partager les dépenses induites par son fonctionnement, et celles-ci ne sont pas minces, car pour des raisons de discrétion il convient d’acheter ou de louer un local qui ne sert qu’à abriter les réunions ou « tenues », une fois qu’il a été aménagé et décoré des éléments rituéliques indispensables. Ce local devant être gardé de manière permanente, il est nécessaire également d’assurer les gages d’un ou de plusieurs « frères servants », appelés également « frères bienveillants82 », qui en assurent l’entretien et procurent aux frères, lorsqu’ils se réunissent, le service nécessaire aux indispensables « agapes », c’est-à-dire au repas traditionnellement pris en commun à l’issue d’une tenue. Chaque franc-maçon participe à ces frais communs d’une part au moment de son initiation, et ensuite lors de ses changements de grades ou « augmentations de salaire » : il est à chaque fois taxé d’une somme forfaitaire qui peut être assez élevée. D’autre part il est tenu de verser mensuellement au trésorier de sa loge une contribution dont le montant dépend du standing que veut afficher l’atelier : celui-ci peut être très simple, voire minimal, mais certaines loges peuvent tout aussi bien placer très haut la barre en ce domaine. L’ensemble finit par former un budget conséquent, et on peut comprendre qu’en période de récession un franc-maçon, comme n’importe quel particulier, soit tenté de supprimer une dépense non nécessaire. On ne s’étonne donc pas, après les années fastes de 1771 à 1775, de voir l’année suivante le vénérable Hervagault convoquer sa loge en précisant qu’elle ne sera suivie que d’un « banquet frugal83 », et plus tard le frère Peslerbe-Desvilles démissionner de « La Parfaite Union » en raison d’ennuis financiers, impliquant d’ailleurs d’autres membres de l’atelier :
« La planche à tracer que m’a adressée le frère trésorier et à laquelle j’ai répondu ce jour vous annonce le motif de ma retraite d’une société que je chérissais beaucoup et que je ne comptais quitter qu’avec la vie. Ce qui me touche davantage, c’est que ce sont deux frères nouvellement initiés, qui doivent être pénétrés de ma vertu et de ma probité, qui ont causé ma disgrâce, concouru à ma perte, et qui m’ont ainsi ségrégé je ne dis pas seulement de votre bonne société, mes chers frères, mais même de toute assemblée publique. Sans cesse je m’occupe de ce triste événement, je l’ai toujours présent à l’esprit, et je vous assure que si j’étais libre le fond d’un cloître serait depuis longtemps mon réduit. A l’instant même je ne puis retenir mes larmes. Et il ne me reste le cœur navré de la plus vive douleur de vous remercier mes chers frères des bontés que vous avez eues pour moi pendant que j’ai été des vôtres, en vous priant très instamment d’oublier désormais dans vos invitations un malheureux qui n’aurait jamais du être compté parmi vous depuis le 30 août 1776. »
79Il n’est pas le seul à quitter ainsi les ateliers. Le Grand Orient de France s’est en effet construit dans les années de prospérité consécutives à la paix d’Amiens de 1763, qui a mis fin à la Guerre de Sept Ans. Or les hostilités avec l’Angleterre ont repris en 1778, du fait du soutien apporté par la France aux Insurgents américains84. Si les opérations terrestres se limitent au territoire des États-Unis, la guerre sur mer est intense. Reprenant une idée émise trois ans plus tôt par « La Triple Essence » de Saint-Malo, la loge « La Candeur » de Paris propose alors par circulaire au milieu de l’année 1782, que tous les ateliers souscrivent pour la construction et l’armement d’un vaisseau de guerre de premier rang, qui serait nommé « Le Franc-Maçon ». Le Grand Orient avait sèchement contré la proposition malouine, effectivement peu compatible avec l’universalisme affiché de la Franc-Maçonnerie : « Que serait-ce si les loges qui sont établies dans les nations avec lesquelles la nôtre est en guerre formaient le même projet ? Et que diraient les loges des nations spectatrices des hostilités85 ? » Mais comme il s’agit maintenant d’une initiative de la loge la plus huppée du Grand Orient de France, il donne son aval en octobre. Les hostilités ayant pris fin cinq mois plus tard, le projet est abandonné, et l’Obédience propose que les fonds déjà recueillis soient employés à secourir les familles des marins morts ou disparus au cours des opérations. « La Parfaite Amitié », qui avait souscrit sans état d’âme, demande que les fonds qu’elle a fait parvenir à Paris lui soient renvoyés :
« Français, patriotes et vrais maçons le retrait du vaisseau voté par l’amour, l’attachement et le zèle de tous les frères pour la défense des droits du Roi et de la Patrie nous a d’abord jeté dans la consternation. Ensuite, admirateurs sensibles du morceau d’architecture que vous nous avez adressé, nous en avons adopté le plan plus conforme à la vérité de notre institution, comme moins avantageux à notre existence. Nous vous en confierions même l’entière exécution, mais notre atelier au centre d’une province maritime, voisine de l’ennemi et presque dévastée par le ravage de la guerre nous met plus à portée d’entendre, de voir et de connaître les cris, les gémissements et les besoins d’une foule malheureuse de veuves, d’orphelins et d’estropiés, tous nos concitoyens, et un très grand nombre nos parents, nos alliés, nos amis. »
80Bien qu’elles ne se concrétisent pas souvent, les préoccupations humanitaires du Grand Orient sont en effet constantes tout au long de cette décennie. Déjà en 1780, il voulait soutenir financièrement l’Hôtel des Orphelins Militaires, fondé par le frère Du Pawlet86. L’année suivante, il ouvrait une souscription destinée à financer des établissements pour recueillir les « enfants trouvés », qui auraient été gérés bénévolement par des francs-maçons :
« En divisant nos établissements, en les multipliant dans différentes Provinces, la régie en deviendra facile, et les frais de l’administration seront absolument nuls. Nous la confierons à des maçons qui n’ambitionneront d’autres récompenses que la satisfaction d’être utiles à l’humanité87.»
81Le terrible hiver de 1783-1784 va encore aggraver la situation. Les finances publiques sont obérées par les dépenses faites lors de la guerre, et l’économie ne redémarre pas. Pour soulager la détresse publique, l’Obédience fait de nouveau appel aux loges au début de 1787 pour qu’elles financent la construction d’hospices et d’hôpitaux à Paris. Mais il y a trop de malheur en province pour participer aux projets parisiens, quelque intéressants qu’ils puissent être, et la réponse de la loge « Saint-Germain » de Nantes va être identique à la celle de « La Parfaite Amitié » :
« La loge aurait voulu contribuer à un acte de bienfaisance mais, malgré notre bonne volonté, nos moyens présents ne nous le permettent pas. Nous sommes accablés journellement de malheureux qui réclament nos charités. Leur affreuse misère jointe à leurs besoins pressants nous font souvent regretter de n’avoir à leur offrir que de faibles secours. Notre situation est d’autant plus cruelle que dans le nombre de ces infortunés, nous avons la douleur d’y rencontrer beaucoup de nos frères, que des malheurs imprévus ou le manque d’occupation réduisent dans cette affreuse position. Si le commerce maritime de notre Orient ne reprend pas une nouvelle activité nous nous trouverons embarrassés sur le choix des moyens que nous pouvons employer par la suite pour tâcher de soulager un nombre infini de malheureux qui se trouvent aujourd’hui sans état, et gémissant dans la plus extrême indigence. Il ne faut pas moins d’une telle circonstance pour nous priver du plaisir que nous aurions eu de participer au soulagement de l’humanité souffrante en contribuant au don que vous avez dessein de faire pour la construction de quatre hôpitaux à l’Orient de Paris, et vous pouvez être très persuadés que, si nos facultés actuelles nous le permettaient, nous regarderions comme une obligation sacrée et vraiment fraternelle de pouvoir coopérer à l’accomplissement d’une œuvre aussi méritoire88.»
82Les débuts de la Révolution n’apportent bien entendu aucune amélioration à une situation déjà dramatique. Une des dernières correspondances conservées de « La Parfaite Union » est une lettre de 1790 par laquelle elle s’excuse auprès du Grand Orient de ne pouvoir participer au « don patriotique » que celui-ci veut faire à la Nation, et auquel il a convié ses ateliers :
« Il y a longtemps que nous avons prouvé que nous ne voulions pas être spectateurs indifférents des besoins de la patrie ; il y a longtemps que nous avons rempli les obligations que nous imposaient les titres de citoyens et de maçons. Nous n’avons consulté ni la prudence ni la raison pour régler nos sacrifices. La patrie ne demandait pas que nous excédassions nos facultés et cependant nous les avons épuisées.
Comme citoyens et maçons nous avons versé dans le sein de l’indigence une somme de 854 livres le 23e jour du 6e mois de 5789. Comme maçons et citoyens nous avons donné nos boucles d’argent pour le soulagement des pauvres, nous avons abandonné nos états pour nous livrer à la chose publique, nous avons versé des fonds dans la caisse des travaux de charité, nous en avons versé dans la Caisse Nationale, nous en avons versé dans celle du quart des revenus, enfin nous avons fait tous les sacrifices qu’ont exigés le salut de l’État. Et les circonstances critiques dans laquelle s’est trouvée notre ville ont été telles, qu’il nous est impossible de renouveler ces sacrifices aujourd’hui89.»
83Les derniers textes de cette époque datent de l’été 1791. Les usages maçonniques sont toujours respectés, en les adaptant au nouveau cours des choses : Mathurin Cohas, ancien vérificateur des domaines du Roi, et vénérable de « La Parfaite Amitié », envoie par exemple le tableau des membres de son atelier à ses « affectionnés, frères, amis et concitoyens » de « La Parfaite Union », sous l’en-tête « Égalité∴Liberté∴Patriotisme∴90 ». Les événements qui accompagnent la fin de l’Assemblée Constituante – fuite de Louis XVI jusqu’à Varennes en juin, fusillade du Champ-de-Mars en juillet, déclaration des puissances européennes à Pillnitz en août, mettant en garde le gouvernement français – amènent également les frères de cette Loge à serrer les rangs : aussi arrêtent-ils un court règlement intérieur destiné dans cette période difficile à fortifier les liens de la fraternité :
« La sociabilité est cette disposition qui nous porte à concilier notre bonheur avec celui des autres, et à subordonner toujours notre avantage particulier à l’avantage commun et général. Pour mieux connaître les principes de la sociabilité, et pour resserrer les liens qui nous unissent, il importe de nous rassembler le plus souvent possible.
Art 1er : Nous, soussignés, frères et amis, membres de la R∴L∴ de La Parfaite Amitié à l’Orient de Rennes, sommes convenus de nous rassembler le premier dimanche de chaque mois, à l’heure de midi, pour partager un petit banquet économique et frugal91…»
84Quelques indications ultérieures dans la période du Directoire montrent que les loges de Rennes ont pu fonctionner jusqu’au début de 1792. Mais la déclaration de guerre à l’Autriche le 20 avril, les émeutes royalistes à Rennes le 22 août, la séparation de l’Assemblée Législative le 20 septembre, la proclamation de la République le lendemain par la Convention ne laissent ensuite plus aucune place même à une activité minimale : « La Patrie est en danger ». Et on va voir que, contrairement à une analyse historique encore répandue aujourd’hui, les frères de Rennes ont été tout autant surpris de la tournure prise par les événements que n’importe lequel de leurs concitoyens rennais, breton ou français.
Notes de bas de page
1 FM2 369. Julien Pinczon du Sel des Monts réside à ce moment à Sarcelles, près de Paris. Il restera fidèle à son atelier jusqu’à sa mort, comme en témoigne une lettre de son frère du 22 février 1781 remerciant la loge du service funèbre qu’elle a fait célébrer à sa mémoire.
2 C’est la dénomination exacte sur le sceau à sec de l’époque.
3 14 août 1771, Statuts et règlements des Loges Régulières de France, art XV : « Chaque loge procédera tous les ans, par la voie du scrutin, à l’élection de ses officiers, qui seront amovibles. »
4 3 juillet 1780, circulaire du Grand Orient à toutes les Loges.
5 FM2 145, 9 octobre 1772.
6 ADIV C 2268, Ponts et Chaussées : lettre de mission signée par Emmanuel Félicité de Durfort de Duras et François Marie Brune, comte d’Agay, 10 septembre 1770 : « Étant nécessaire de pourvoir à la place d’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées de la province de Bretagne vacante par la mort du Sr de Chassé, et sur les témoignages avantageux qui nous ont été rendus du Sr Frignet, ingénieur du Roi en chef de la province de Franche-Comté, de ses talents distingués dans le Génie et l’Architecture, et des preuves qu’il a données de ses lumières dans la conduite de la partie des Ponts et Chaussées d’une grande province, nous avons commis et commettons ledit Sr Frignet en qualité d’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées de la province de Bretagne, aux appointements de six mille livres par an, à commencer du premier avril de le présente année. »
7 FM5 162.
8 FM2 368, 18 mars 1774.
9 Le 12 août 1774.
10 ADIV 92 J, 13 août 1773 : Extrait des Registres de la Commission établie le 9 mars 1773, et confirmée le 14 avril suivant, par la Loge Nationale, pour juger en dernier ressort le différent élevé entre les frères De La Chaussée et Labady. C’est sur cette copie du jugement en 16 pages imprimées, envoyé à toutes les Loges. que l’on trouve pour la première fois, le sceau en cire du Grand Orient de France. La disposition en question ne s’applique bien entendu pas aux études historiques.
11 FM2 368, 18 mars 1774, lettre du baron de Toussainct, secrétaire général, à La Parfaite Union : « Quel n’a pas été mon étonnement au reçu de votre planche de voir que vous n’aviez pas reçu le paquet que je vous ai adressé le vingt-six août cinq mil sept cent soixante-treize. Je ne puis en douter, c’est encore un tour de nos téméraires adversaires. Je dois le croire puisqu’ils en ont joué un pareil à la loge Saint Jean de Metz. Je le répare ce tort que vous croyez qu’a le Grand Orient envers vous. Je mets aujourd’hui au carrosse de Rennes qui partira d’ici lundi à cinq heures du matin et doit arriver à Rennes le vingt-huit un paquet couvert en toile cirée à l’adresse du frère Mangourit contenant : 1° Les statuts et règlements du Grand Orient de France 2° Le jugement de Labady 3 ° La déclaration du très illustre administrateur général 4° La planche à tracer de l’installation du Sérénissime Grand Maître 5° Une note instructive de ce que les loges sont tenues de faire pour se mettre en règle. »
Au reçu de ces documents, La Parfaite Union ratifie solennellement, par un texte imprimé qu’elle envoie à toutes les loges de sa correspondance, son adhésion aux « Statuts & Règlements de la très Respectable Grande Loge, & y adhère en tout leur contenu, dans la parfaite confiance qu’elle jouira de tous les droits qui ressortissent de l’égalité & de la liberté Maçonnique. »
12 FM2 368 : l’original de cette lettre est perdu, mais une copie est jointe à une correspondance envoyée par la loge au Grand Orient le 30 septembre 1775.
13 Les imprimés reçus par La Parfaite Union et aujourd’hui déposés aux Archives départementales d’Ille-et-Vilaine permettent de compléter la notice concernant Labady dans le dictionnaire de Daniel Ligou. S’il est exact, d’après le Compte rendu d’activité du Grand Orient de France pour l’année 1774, que Labady a bien été exclu par « ceux mêmes qu’il avait entraînés dans ses écarts, et dont il avait formé un simulacre de Grande Loge », en particulier pour « ne s’être point lavé des inculpations à lui faites » par le Grand Orient, on ne perd pas pour autant sa trace en 1775. Il réapparaît en effet le 22 janvier 1780 comme « Secrétaire général, Historien et Grand Garde des Archives » du « Souverain Conseil des Empereurs d’Orient et d’Occident, Sublime Mère-Loge Écossaise du Grand Globe Français, Souveraine Grande-Loge de France ». Dans un mandement de six pages, celle-ci s’en prend à la fois au Grand Orient, à la loge du Contrat Social qu’elle accuse d’avoir usurpé le titre de « Mère-Loge Écossaise », et enjoint à tous les maîtres de loge de Paris de se joindre à elle avant la Saint-Jean d’été, le délai étant repoussé à la Saint-Jean d’hiver pour les loges de province, et « proportionné à leur éloignement » pour les loges d’outre-mer. D’autre part, elle réhabilite totalement Labady : « Déclarons que toutes les inculpations insidieusement présentées dans le prétendu Mémoire justificatif du sieur Brest de la Chaussée, contre le R. F. Labady, sont FAUSSES, CALOMNIEUSES, VEXATOIRES, insidieusement et méchamment présentées, attentatoires à la gloire & au nom de Maçon, & afin de donner au R. F. Labady une marque d’attachement à ses vertus & une justification selon son cœur, puisqu’elle ne sera établie sur la punition d’aucun de ses calomniateurs, arrêtons qu’aux frais du S.C.S.M.L.E. du G.G.F., S.G.L. de F., le buste dudit R.F. Labady, revêtu de tous les ornements Maçonniques, sera placé sur un socle dans le Sanctuaire de notre Temple, avec des inscriptions & symboles relatifs aux circonstances éprouvées par un Frère à qui la Maçonnerie est redevable à tant de titres. » Entretemps devenue le « Souverain Conseil, Sublime Mère-Loge des Excellents du Grand Globe Français », elle se manifeste encore au début de 1781, en transmettant aux loges deux décrets « portant suppression et proscription de faux grades maçonniques. »
14 FM2 368, 18 mars 1774.
15 Document personnel de l’auteur.
16 La circulation de ces tableaux permet quelquefois de combler des lacunes documentaires. Ainsi le seul tableau restant de La Parfaite Union pour l’année 1785 est celui qu’elle a fait parvenir cette année-là à la loge Les Bons Amis à Rouen, et qui est conservé depuis dans les archives maçonniques de cet Orient.
17 FM2 367, 2 septembre 1774, extrait du registre des délibérations des Cœurs Unis à Nantes, copie jointe à la demande de renouvellement des Constitutions de La Parfaite Amitié.
18 ADIV 92 J, septembre 1774, brouillon de la réponse à une lettre du F∴ Jossot du 28 août 1774.
19 FM2 367, 10 juin 1775, lettre au F∴ Le Breton, vénérable de la loge Saint-Louis à Paris et représentant de L’Égalité auprès du Grand Orient de France.
20 FM2 5, 23 mai 1776.
21 FM2 368, lettre du F∴ François Drouin au F∴ Le Breton, vénérable de la loge Saint-Louis à Paris.
22 ADIV 92 J, 12 juin 1775.
23 FM2 368, 2 juillet 1775.
24 La première édition du Secret des francs-Maçons, de l’abbé Gabriel Pérau, date de 1742.
25 FM2 367, 22 mai 1175, Délibération de la loge St Jean sous le titre distinctif de L’Égalité à l’Orient de Rennes : « Sur ce le frère Drouin s’est chargé d’obtenir des constitutions du Grand Orient ; la R∴ L∴ a remercié le frère Drouin par un vivat, et l’a chargé d’envoyer au Grand Orient copie de notre délibération, le tableau des frères composant l’Orient et la requête de ces frères pour obtenir les dites Constitutions. » Le premier délégué à Paris de L’Égalité sera de plus le F∴ de Lanoé, un carme du même couvent que celui avec lequel François Drouin avait voyagé de Paris à Rennes.
26 Art V du règlement de 1771 : « Tous les trois ans, le jour de la Saint Jean d’hiver, la Grand-Loge nommera, par voie de scrutin, vingt-cinq officiers, savoir, un représentant d’honneur du très respectable Grand-Maître, & trois Représentants du Substitut général, deux grands Surveillants, un grand Orateur, un Secrétaire général, un grand Trésorier, un grand Garde des Sceaux, Timbre et archives, un Secrétaire pour Paris, un Secrétaire pour les Provinces, un grand Architecte, deux Experts Hospitaliers, cinq Experts-Visiteurs et Scrutateurs, deux Substituts grands Surveillants, un substitut grand Orateur, & deux Substituts Secrétaires, dont un pour Paris, & un pour les Provinces, lesquels réunis avec le Sérénissime Grand Maître & son Substitut général, composent le nombre de vingt-sept, auquel demeurera irrévocablement fixé le nombre des Officiers de la Grand-Loge, qui ne pourront être choisis que dans les Maîtres de Loges constitués en cet Orient ».
En 1774, le budget prévisionnel du Grand Orient est de 16 000 livres ; 4 400 livres sont attendues des contributions de ses officiers, depuis 3 louis (72 livres) pour un expert jusqu’à 9 louis (216 livres) pour un président de Chambre.
27 FM1 14, 29 janvier 1787, brouillon de réponse de la Chambre d’administration à une lettre du 13 mars 1786 de La Parfaite Amitié.
28 FM2 367, lettre de La Parfaite Amitié au Grand Orient, 23 mai 1782.
29 En août 1786, face à la dégradation de la situation financière, Calonne propose une profonde réforme fiscale.
30 FM2 367, 13 mars 1786.
31 FM1 14, 29 janvier 1787, brouillon de réponse de la Chambre d’administration à la lettre précédente.
32 FM2 368.
33 FM1 87 bis, 15 juillet 1776, réponse de la Chambre des Provinces à un courrier de L’Égalité.
34 FM2 367, 23 avril 1777.
35 FM2 13, 1er décembre 1774.
36 FM2 13, 2 mars 1777.
37 Seule l’installation d’une loge fait l’objet dès 1776 d’un protocole imprimé fixant les détails de la cérémonie, pratiquement similaire à celle qui se pratique toujours aujourd’hui, depuis la réception des commissaires installateurs jusqu’au détail des « santés » à porter lors des agapes qui suivent. Voir par exemple FM2 235 II, « Instructions particulières pour les VV∴FF∴ députés du Grand Orient de France, chargés par lui de l’installation de la Loge de Saint-Jean à l’Orient de Fougères sous le titre distinctif de l’Aimable Concorde », 4 avril 1777.
38 FM2 369, 16 mai 1776.
39 FM2 369, 12 juin 1776.
40 FM2 369, 14 juin 1776.
41 FM2 369, 12 août 1776.
42 FM2 11, 25 août 1786. Sans doute pour éviter de froisser des susceptibilités locales, les frères de Bellone ne sont pas passés pour formuler cette demande de Constitutions par l’intermédiaire d’une des loges rennaises, mais par celui du chevalier Pinczon du Sel, lieutenant des maréchaux de France, fondateur et ancien vénérable de L’Heureuse Alliance à Provins, ainsi que celui-ci l’indique dans une lettre d’accompagnement : « Des frères qui possèdent toutes les qualités qui distinguent les parfaits maçons désirent dans ce moment former une loge militaire sous le titre distinctif de Bellone à l’Orient du régiment de Penthièvre Infanterie. Leurs connaissances dans l’Art Royal, leur nombre plus que suffisant les met dans le cas d’obtenir cette faveur du Grand Orient de France. Ils ont daigné me choisir pour le solliciter, quoique je ne sois attaché à aucune des Loges de cet Orient. Je me suis chargé avec plaisir d’une commission aussi intéressante. »
43 FM1 87 bis, 19 octobre 1780, brouillon de réponse de la Chambre des provinces à une lettre de La Parfaite Amitié.
44 ADIV 92 J, 18 juillet 1776, copie de la délibération de la Chambre des Provinces transmise à La Parfaite Union.
45 ADIV, fonds Maudet, 28J61, 12 juin 1776, lettre de l’évêque de Quimper aux agents généraux du clergé.
46 FM2 269, 29 janvier 1777, lettre à La Parfaite Union.
47 FM2 367, 10 décembre 1776.
48 Il s’agit d’une « ferme » particulière sur une imposition locale, sous-traitée par un « fermier général ».
49 FM2 367, 6 septembre 1776.
50 FM1 87 bis, 28 avril 1777, brouillon de réponse à une lettre de L’Égalité.
51 Et aujourd’hui encore, le nec plus ultra est de remplacer une musique enregistrée par des frères musiciens ou choristes !
52 FM2 367, 3 février 1777.
53 Idem, février 1783.
54 FM2 315, 12 juin 1777, demande de Constitutions pour L’École des Mœurs.
55 FM2 367, 1er février 1779, rapport de La Parfaite Amitié au Grand Orient sur l’affiliation de La Fidèle Union.
56 Id., 10 septembre 1778, procès-verbal de l’affiliation des frères de La Fidèle Union à l’Orient de Morlaix à la R∴L∴ de La Parfaite Amitié à l’Orient de Rennes.
57 FM2 367, 5 juillet 1781.
58 Id., février 1783, lettre d’envoi du Mémoire.
59 Id., 4 mai 1785.
60 FM2 235 II, 1er novembre 1776 et 2 mars 1777.
61 « Forts par la Concorde ».
62 FM2 235 II, 19 mai 1778.
63 FM1 87 bis, 10 août 1778, brouillon de réponse de la Chambre des Provinces.
64 Eric Saunier, Révolution et Sociabilité en Normandie au tournant des XVIIIeet XIXesiècles, Presses Universitaires de Rouen, 1998.
65 Les loges de La Parfaite Union et de La Parfaite Amitié ont sur la période pré-révolutionnaire des effectifs comparables : 189 membres pour la première, 151 pour la seconde. Au seuil de confiance de 5 %, un test de χ2 ne fait pas apparaître de différence significative entre les deux distributions socioprofessionnelles. Le résultat est moins net lorsque l’on compare ces deux ateliers à L’Égalité, mais ce dernier n’a réuni sur la même période que moitié moins de frères (74 au total). Il accuse un déficit dans la catégorie des négociants et des marchands : 14 % pour La Parfaite Union, 19 % pour La Parfaite Amitié, 4 % pour L’Égalité. Ce qui confirme en dépit de son titre distinctif, le caractère élitiste de son recrutement.
66 FM2 367, rapport à la Chambre des Provinces, non daté et non signé, sur le différend opposant les deux loges (1787).
67 En décembre 1786, le secrétariat du Grand Orient renvoie à la Chambre des Provinces un dossier comportant six documents formant « plainte de la Loge de La Parfaite Amitié à l’Orient de Rennes, contre celle de La Parfaite Union au même Orient, de l’infraction faite par cette dernière au traité fait entre elles au préjudice duquel elle a admis deux membres de la Loge de La Parfaite Amitié dont l’un est taxé d’être reliquataire envers celle-ci. »
68 FM2 367, 19 mai 1785, lettre de L’Égalité au Grand Orient.
69 FM2 315, 9 juillet 1787.
70 Id., 2 septembre 1787, lettre de La Parfaite Amitié au Grand Orient.
71 Id., 23 février 1788.
72 Id., 5 septembre 1788.
73 FM2 235 II.
74 Cf. Chapitre 11, Sociologie et pratique maçonnique des ateliers rennais.
75 FM2 235 II, 26 juin 1777.
76 Constitutions d’Anderson, titre II, « Touchant le magistrat civil, suprême ou subordonné ».
77 Il s’agit du premier fils de Louis XVI, qui meurt en 1789, et non pas du Dauphin mort dans la prison du Temple en 1795, qui naîtra 4 ans plus tard.
78 ADIV 92 J, Circulaire reçue du Grand Orient, 16 novembre 1781.
79 FM2 368, 26 janvier 1782.
80 ADIV 92 J, 9 août 1779, Imprimés reçus des Obédiences.
81 FM2 369, juin 1773.
82 Pour garder la continuité du secret maçonnique, les frères servants sont également initiés au grade d’apprenti, mais évidemment sans frais. Ils sont généralement un peu plus tard promus compagnons, et plus rarement maîtres.
83 FM2 369, 8 juillet 1776.
84 4 juillet 1776 : Déclaration d’Indépendance des États-Unis. Juin 1777 : arrivée de La Fayette avec 5 000 volontaires. Juillet 1780 : Rochambeau débarque avec 6 000 hommes.
85 FM2 406, 13 juillet 1779.
86 ADIV 92 J, Imprimés reçus des Obédiences, 9 juin 1780 : Circulaire signée par le duc de Luxembourg proposant aux loges et aux frères de souscrire au Journal de la Littérature, des Sciences et des Arts, du F∴ Du Pawlet, pour soutenir financièrement l’institution de l’Hôtel des Orphelins Militaires, qu’il a fondé.
87 Id., 24 avril 1781.
88 FM2 328, 11 mai 1787.
89 FM2 368, 2 mai 1790.
90 FM2 367, 26 juillet 1791.
91 Id., 6 mars 1791.
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