Chapitre 16eme. De la Société d’agriculture
p. 145-149
Texte intégral
1Par arrêt du Conseil d’État du 24 fevrier 1761, le Roy avoit établi, dans la généralité de tours une Société d’agriculture, composée de trois bureaux, un pour chacune des villes capitales des trois provinces, Tours, angers, et Le mans. chaque Bureau composé de vingt membres aiant seance et voix delibérative dans les trois. La Societé obtint quelque tems après la faculté de se choisir et nommer des associés avec les mêmes prerogatives que les membres, sauf les places de directeur et de secretaire reservées aux seuls membres. Le secretaire est perpetuel, le directeur est renouvellé chaque année et élu au scrutin. au moyen de ce que les trois Bureaux ne font qu’un seul corps, l’un des directeurs a tour de rôle est directeur general de la Société. en cas de mort ou de démission d’un membre, son successeur est choisi parmi les associés residens. Cet établissement avantageux a la ville du mans et à la province, est du en grande partie au credit et au zèle de M. de Samson de Lorchere qui a rempli avec distinction1 pendant un grand nombre d’années la place de Lieutenant general. il prêta gracieusement sa maison a la Société pour y tenir ses seances jusqu’a ce qu’elle obtint une salle et les commodités necessaires dans un des corps de batiment du palais2.
2Le Bureau du mans dès les premieres années de son établissement s’acquit une excellente reputation qu’il a toujours soutenue depuis par l’ardeur constante de ses membres a faire fleurir l’agriculture et a travailler courageusement chacun dans sa partie a l’exploitation de cette mine féconde et inépuisable des richesses de l’Etat. iI multiplia avantageusement ses ressources en nommant des associés externes choisis parmi les agriculteurs les plus intelligens des differens cantons de la province. ces associés externes entretenoient une correspondance suivie avec le Bureau auquel ils envoyoient des memoires et des observations toujours intéressantes. il en a résulté une collection precieuse de secrets utiles, de decouvertes heureuses et de moyens faciles de tirer le meilleur parti des diverses especes de terrein et de multiplier leurs productions au plus grand avantage de la patrie.
3Celuy qui a le plus contribué aux succès de ce Bureau est M. Veron duverger, premier secretaire perpetuel ; malgré son grand âge, il a conservé et rempli de la maniere la plus distinguée cette place importante jusqu’a sa mort. Il recevoit annuellement en la dite qualité une somme de cinq cents livres pour les frais de bureau mais combien ny ajoutoit il pas du sien chaque année pour faire des expériences, encourager des essais ? combien n’a t il pas fait a ses depens d’achats d’instrumens et de machines ? combien de projets de plans, d’écritures ? Combien enfin de jours de veilles, de nuits meme n’a t il pas sacrifiés au plaisir de soutenir et faire prosperer ce Bureau dont il étoit l’ame ? ce vertueux et vrai patriote etoit doué d’un penchant decidé et irresistible a l’amour du bien public qu’il a constamment préféré a ses propres affaires et a ses intérets personnels.
4Il etoit petit fils de jean-françois Véron né au mans en 16153, lequel forma l’établissement de la manufacture d’étamines, la porta au plus haut point de perfection, et mourut en 1687. Ce commerce, qui a soutenu et élevé un nombre immense de familles reçut entre les mains de M. Duverger de nouveaux accroissemens par la perfection de la fabrique. Sa consommation s’étendit dans l’italie, l’Espagne, le portugal et jusques au dela des mers. S’il eut profité de la reputation que son nom seul lui avoit acquis dans l’étranger où les étamines verones étoient preferées a toutes les autres, il auroit pu faire la fortune la plus brillante ; mais dégouté dabord par la mort de sa premiere femme4, et entrainé par le desir de travailler pour ses concitoyens et pour sa patrie, il se retira peu a peu du commerce pour se livrer tout entier au goût qui le dominoit. il eut la plus grande influence dans toutes les affaires publiques de son tems, toujours a la tête des grandes entreprises et des operations les plus importantes quil conduisoit avec autant de zèle que de prudence, on peut dire de luy sans craindre d’alterer la vérité qu’il a bien merité de sa patrie dans toutes les places quil a occupé et dans toutes les affaires dont il a été chargé. cest a luy et a son frère M. Veron de la Croix qui avoit séjourné longtems en italie que Le Mans et les environs sont redevables de la decoration des édifices publics, de la distribution élegante et commode des maisons particulieres et de la decoration des terres, parcs et jardins. le premier balcon qu’on ait vu au mans fut placé par M. duverger a la belle maison quil a fait batir en 1726 au carrefour de la Sirene5.
5Plus que sexagenaire a l’époque de la formation de la Société d’agriculture, il montra toute l’ardeur de la jeunesse dans cette nouvelle carriere. il excitoit sans cesse l’émulation de ses collegues et la soutint pendant plus de dix huit ans, par un zèle infatigable et un travail continuel. apres avoir enrichi les archives du Bureau d’un grand nombre de memoires, plans et instructions dont plusieurs ont été imprimées, il mourut, comme un bon soldat les armes a la main. il n’avoit ressenti aucune des infirmités de la vieillesse. Son dernier jour fut encore employé a ses travaux ordinaires, jusqu’a l’heure ou etant sorti pour aller voir sa sœur aux maillets6, il fut atteint d’une attaque violente d’apoplexie qui termina la vie de ce grand homme : son tombeau fut arrosé par les larmes sinceres de la pieté filiale, de l’amitié et de la reconnoissance des les services innombrables quil a rendu a ses concitoiens. il mourut le 16 octobre 1780.
6Trois ans avant ce triste évenement, j’avois été admis dans la Société d’agriculture en qualité d’associé ; je n’avois jamais fait d’études particulieres dans cette partie, je n’en avois que quelques connoissances theoriques. mon premier soin fut de travailler a me rendre digne de l’honneur que je venois de recevoir. Je suivois très exactement les séances du Bureau ; je consultois souvent mes collegues et les bons agriculteurs. J’étudiois les livres élementaires et je profitois de mes moments de loisir pour recueillir dans les archives du bureau des connoissances utiles et precieuses repandues dans une collection très considerable de mémoires, projets, plans et discours relatifs aux differentes branches de ce premier des arts. cest dans cette source feconde que je puisay des notions vraiment savantes et économiques sur la nature, les especes et l’employ des engrais, sur les moyens de conserver les prés naturels, de faire et entretenir les prairies artificielles ; sur le choix, la multiplication, le gouvernement et les maladies des bestiaux ; sur les avantages des bêtes a laine, la meilleure maniere de les élever, de les garantir des accidens et de tirer le meilleur parti de leurs toisons ; sur les écaubuages7 et defrichement des terres incultes, semis, plantation, amenagemens, coupe et employ des bois ; sur les differentes methodes de labours et fumures, mouture carie et autres vices des bleds ; sur la culture des différentes graines et racines et la perfection de celle des chanvres et lin, etc., etc.
7Après la mort de M. Duverger, l’abbé de moncé8 fut nommé a la tres grande majorité des suffrages secretaire perpetuel, il meritoit cette place par ses talens et par les services importans qu’il avoit rendu au Bureau. iI avoit mis les archives dans le meilleur ordre et composé une table analitique et raisonnée de tous les ouvrages que contenoit ce depot precieux et de toutes les operations de la Societé depuis son établissement. cet appendice interessant forme un volume in quarto qui a été depuis très utile pour les recherches que les membres et associés ont été dans le cas de faire soit pour leur instruction personnelle, soit pour donner au public les renseignemens que les vrais amateurs de l’agriculture se sont toujours empressés de demander au bureau.
8L’abbé de Moncé qui avoit dailleurs de grandes occupations demanda un adjoint. Je fus choisi et nommé avec le titre de secretaire de correspondance ; j’en ay été chargé pendant plusieurs années. cette nouvelle place me mit a portée d’étudier plus a fond l’agriculture et d’étendre utilement mes connoissances par les relations frequentes que le bureau avoit non seulement avec ceux de Tours et d’angers, mais encore avec plusieurs autres Sociétés du Royaume.
9Quelque temps après j’obtins le titre de membre de la Société, ce fut pour moy un nouveau sujet de reconnoissance et un motif bien puissant d’émulation. Je redoublai mes efforts pour repondre autant quil etoit a la confiance de mes collegues. Jetois alors proprietaire de biens fonds et plus a portée de faire des experiences et des essais. apres avoir pris et suivi les avis du Bureau je luy communiquay les resultats de mes operations ; il les accueillit favorablement, ce qui m’encouragea a luy presenter successivement quelques mémoires, entre autres sur la mouture économique qu’un de mes meuniers avoit etablie en petit a l’instar des moulin de Corbeil9 et sur la tourbe que j’avois decouverte a ardenay. J’en avois fait tirer une certaine quantité, je l’avois fait secher, reduire en cendres et repandre partie sur un pré, partie sur une luzerne, et le reste sur des légumes. ces differens essais reussirent tres bien et sensiblement plus que dans les terrains voisins et de meme nature que ceux sur lesquels l’experience avoit été faite.
10Enfin je fus nommé directeur de la Société dans le tems que jetois procureur Sindic de l’assemblée provinciale. Le Roy en créant ces nouvelles administrations les avoit chargées de diriger vers l’agriculture une partie de leurs travaux. L’assemblée generale des trois provinces de la généralité envoya par ordre de Sa majesté des instructions sur divers objets a la commission intermediaire du maine. Je fus chargé de les communiquer a la Société, de la consulter sur le meilleur moyen d’en tirer parti et de se procurer des renseignemens utiles sur les objets de ces instructions. la Société d’agriculture très sensible a la demarche de la commission intermediaire lui vota des remercimens et nomma des commissaires chargés d’analyser les memoires deposés dans ses archives a l’effet de rediger un corps d’instructions pour les cultivateurs et a portée des gens de la campagne ; il fut en même tems arreté de retablir la liste des associés externes ; on nomma aux places vacantes et il fut adressé a tous une lettre circulaire pour les inviter a seconder les vues de la Société et la mettre en etat de satisfaire ladministration par l’envoy prompt et successif de toutes les notices, memoires et renseignements relatifs a l’amelioration de l’agriculture et a l’accroissement et prosperité du commerce.
11La Societé d’agriculture setoit occupée essentiellement et a differentes reprises depuis sa formation de la navigation de la Sarthe sollicitée depuis un siecle par la province ; elle profita de la circonstance pour renouveller ses demandes et demontrer les grands avantages qui resulteroient de cette navigation. la commission intermediaire prit aussi cet objet important en consideration ; on avoit fait autrefois les plans et devis, on les renouvella. les ingenieurs se préterent avec empressement a cette opération qui étoit sur le point de réussir lorsque la convocation des Etats generaux changea la face des affaires. peu de tems apres l’administration provinciale cessa et la Société d’agriculture suspendit ses seances. Je n’oublierai jamais tout ce que je dois a cette Société et je seray constamment penetré de la vérité de ce précepte quelle m’a enseigné et qui est gravé au fond de mon cœur.
« L’agriculture honoreras
afin de vivre longuement. »
(Extrait des maximes de la Société de Vaza à Sthockolm10).
Notes de bas de page
1 Leprince d’Ardenay paraît être un admirateur et partisan de M. de Lorchère alors que le conseiller Louis Maulny, son cousin, comme presque tous ses confrères du siège présidial, se montra l’adversaire déclaré et acharné du maire du Mans, durant les nombreux débats et contestations qui divisèrent si longtemps la ville au XVIIIe siècle, à propos de l’administration municipale absorbée par M. de Lorchère.
2 Avant la révolution, le palais, qui avait été primitivement la demeure des anciens comtes du Maine, possédait ensemble l’Hôtel-de-Ville et le siège Présidial. L’hospitalité y fut donnée au Bureau d’Agriculture peu après la naissance de cette société. C’est seulement à la Toussaint de l’année 1878 que l’antique société d’Agriculture, Sciences et Arts de la Sarthe, formée comme nous le dit Leprince d’Ardenay, des fragments de toutes celles qui l’avaient précédée, fut contrainte d’évacuer ce local et d’accepter un établissement provisoire dans l’ancien hôtel des Cureau, au n° 30 de la place des Halles.
3 Les détails donnés par Leprince d’Ardenay sont le résumé d’une notice biographique qu’il consacra à la mémoire du grand-père de sa femme et qu’il lut à l’une des séances de la Société d’Agriculture. Éloge historique de François Véron de Forbonnais, lu à la société libre des Arts du Mans, dans sa séance du 29 brumaire, an 9 de la R. F, par C. Leprince, Pivron, an X (Médiathèque du Mans, Maine 4° – 2410).
4 Le 15 juillet 1721, F. L. Véron du Verger avait épousé Anne Plumard, en l’église de Saint-Nicolas ; elle mourut au Mans en 1726, laissant deux enfants, François Véron de Forbonnais et Marie-Anne Véron, la mère de Mme Leprince d’Ardenay. Véron du Verger resta longtemps veuf, et ce fut seulement en 1735 qu’il se remaria à Marie-Renée Godard, qui mourut en 1777.
5 Sur une des façades de cet ancien hôtel, on lit encore la date de 1728 ; c’était autrefois les numéros de ville 1667 et 1668.
6 Françoise Véron du Verger ne survécut que quelques semaines à son frère ; elle mourut au Mans le 27 décembre 1780, après environ soixante années de vie religieuse. Elle avait été longtemps secrétaire du chapitre, puis prieure de sa communauté. Plusieurs de nos anciennes familles du Mans avaient des préférences particulières pour telle ou telle des communautés existant autrefois en notre ville. C’est ainsi que les filles des familles Véron et Godard avaient choisi le prieuré des dominicaines des Maillets pour s’y consacrer à dieu. À cette époque, nous voyons, parmi ces religieuses, Renée Véron de la Planche, Catherine Véron de la Croix, morte en 1764, et Marie Godard des Ecotays, qui fit profession en 1769, alors que sa communauté avait pour prieure Anne Véron, Françoise Godard pour sous-prieure et maîtresse des novices, et Françoise Véron du Verger pour secrétaire du chapitre.
7 Mode de préparation et de fertilisation du sol consistant à détacher la couche herbue par plaques, qu’on fait ensuite sécher et brûler pour en répandre la cendre.
8 Joseph-Auguste-Emmanuel Rottier de Moncé, né au Mans, paroisse de Notre-Dame de Saint-Vincent, le 30 mai 1751, était fils de Marin Rottier de Madrelle, Comte de Belin, secrétaire du Roi, receveur des décimes du diocèse du Mans, et de Louise-Renée de Maridort,. Ordonné prêtre en 1772, il est rapidement pourvu d’un canonicat en l’église collégiale de Saint-Pierre-de-la Cour vers 1775. Il devient Comte de Belin lorsque son frère meurt subitement en 1785. Le serment constitutionnel qu’il prête ne l’empêche pas d’être inquiété pendant la révolution. Alors qu’il est réfugié au Mans dans son hôtel de Vaux, il est enfermé à la Visitation en 1793. Libéré, il se retire à Paris où il bénéficie de protections. Il devint chanoine honoraire de l’Église du Mans après le Concordat, et mourut à son château du Plessis, à Saint-Gervais-en-Belin, le 28 février 1843. À la tête d’une immense fortune, il était reconnu pour sa bonté naturelle et sa grande générosité.
9 À Corbeil (région parisienne – département de l’Essonne).
10 Wasa.
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