Chapitre 14. L’administration Janvier
p. 409-422
Texte intégral
Le cahier n° 16 s’arrêtait à la date du 10 mai 1906 et se terminait sur les Inventaires et l’échec aux législatives de Charles Oberthür. Trois cahiers ont été perdus et nous retrouvons Vadot le 1er janvier 1909. Entre-temps, l’équipe municipale a changé.
La municipalité Pinault a siégé jusqu’en mai 1908, sans que dans l’intervalle de grandes actions aient été entreprises. Elle a géré la suite de la loi de Séparation (location des cimetières, mise à disposition des églises…) en essayant d’en amortir les effets, mais a accepté sans trop de scrupules de bénéficier des séquestres pour installer sa bibliothèque dans l’ancien Grand Séminaire.
Jean Janvier est élu maire le 10 mai. Il a gagné la mairie à la tête d’une liste d’Entente républicaine qui regroupait le comité d’Union républicaine qu’il présidait, les radicaux-socialistes de Charles Laurent et les socialistes de Charles Bougot. Gros entrepreneur retiré des affaires, Janvier est resté fidèle à ses origines ouvrières, tout en sachant utiliser les relations que sa carrière professionnelle et ses récentes amitiés politiques ont tissées. Avec lui, une nouvelle façon de gérer la ville s’installe, ouverte aux idées modernes, dynamique et sensible aux demandes des travailleurs1.
Dès le 8 juin 1908, il fait venir à Rennes, Georges Clemenceau, alors président du Conseil, pour ce que l’on pourrait appeler une cérémonie d’intronisation. Il saisit aussi les opportunités offertes par la vente des biens des communautés religieuses et se porte acquéreur des immeubles du couvent de la Visitation rue Hoche et du pensionnat du Thabor. Vadot, circonspect, observe et commente…
Janvier, côté cour
1Sans donner le moindre avis sur ses options politiques, Vadot ne peut s’empêcher de juger sévèrement les manières de parvenu de son maire2. Habitué aux maires précédents, issus de la bourgeoisie, il est choqué de ses attitudes grossières et a du mal à supporter sa façon de travailler. Mais il nous laisse aussi entrevoir un Janvier jovial et chaleureux.
Samedi 16 janvier 1909
2Vu aujourd’hui Le Hérissé3 chez Mme Martin. Il m’a fait l’éloge du maire : il est actif, travailleur, intelligent et il inspire une direction énergique à l’administration municipale. Cet éloge m’a paru un peu suspect et je n’ai pas vibré. Intelligent, le maire, oh ! Il l’est incontestablement. Quant à son activité et à sa direction, elles sont un peu brouillonnes. Travailleur, pas plus qu’il ne le faut, il n’éprouve aucun embarras à se présenter devant le conseil municipal avec des dossiers dont il ne connaît pas le premier mot.
Mardi 19 janvier 1909
3Le maire réquisitionne tous ses amis pour avoir leur appréciation sur son portrait qu’achève M. Ronsin4. Plus d’une fois, j’ai déjà été appelé à donner mon appréciation. Ce n’est pas facile devant l’auteur et le sujet. La ressemblance est parfaite mais le portrait manque de coloris, de relief. La figure est floue. Le maire tenait beaucoup à une allure énergique, volontaire. L’artiste n’a certainement pas donné cette allure à son personnage. La position du bras droit que le maire regarde comme dénotant de la fermeté dans le caractère, ne donne pas du tout cette impression.
4Le maire est persuadé que son portrait fera sensation au salon de Rennes et à celui de Paris. Il en fera tirer des photographies pour les amis et les flatteurs.
Dimanche 31 janvier 1909
5Sous l’écorce un peu rude du maire, il y a donc la sensibilité. À Paris, M. Janvier déploie une activité fébrile dont les résultats ne sont peut-être pas en rapport avec les efforts faits. Il est parti insuffisamment préparé [et] sans avoir sollicité des audiences. Les affaires importantes qu’il a à discuter ne seront donc pas présentées avec l’ampleur nécessaire. Le maire a confiance en lui, c’est beaucoup ; il compte aussi sur son influence et sur ses relations ; je crains quelques déceptions.
Jeudi 18 février 1909
6Le maire n’est pas excusable ; il prend mon cabinet pour une écurie, il rote et pète avec un sans-gêne que son manque d’éducation ne suffit pas à excuser. Le dernier des goujats ne se permettrait pas un pareil laisser-aller. Si je me permettais de pareilles incongruités dans son cabinet, je voudrais bien savoir ce qu’il en penserait.
7Non content d’avoir fait peindre un portrait par M. Ronsin, il veut avoir aujourd’hui son buste. Il m’a dit que c’était le jeune Galle5 qui lui avait demandé ce travail exécuté pendant les grandes vacances et Galle m’a affirmé aujourd’hui que le maire impatient le faisait venir de Paris au risque de nuire à ses études et de lui faire manquer ses concours, pour qu’il commençât immédiatement le buste en question. M. Janvier me paraît avoir plein d’admiration pour sa personne et il est plein de sollicitude pour sa famille. Il a réussi à faire décorer père, sœur, neveux, etc. Il m’a avoué, hier, qu’il ne lui restait plus que son beau-frère, M. Grécet, Secrétaire de la mairie de Fougères à faire palmer6.
8Et on reprochait à M. Pinault de vouloir faire une situation politique à ses fils, gendre, etc. ! Ils sont tous les mêmes.
9Je me ronge les poings parfois lorsque j’entends le maire discuter au conseil municipal de questions dont il ne connaît pas le premier mot et prendre des engagements irréfléchis comme de garantir le comité de la fête de fleurs7 de tous les aléas financiers de l’organisation. Il a fallu, ce matin, que je lui fasse comprendre quelles pouvaient être les conséquences fâcheuses de semblables promesses.
10Toutes ces critiques ne m’empêchent pas de reconnaître chez le maire de précieuses qualités qui se développeront avec l’expérience des affaires qu’il acquerra avec le temps. Il est très apprécié de M. Perdriel qui est très travailleur mais qui n’a pas l’esprit d’invention et la facilité d’exposition du maire. M. Dottin est un universitaire très féru de latin et de grec ; M. Laurent est un grand enfant ; Langelier malade, ne vient que rarement à la mairie, il est nul.
Vendredi 30 juillet 1909
11Mon maire est jeune, actif, entreprenant, il veut faire grand, beau et rapidement. Il faut mettre les bouchées doubles. Je marche avec d’autant plus de bonnes volontés que M. Janvier a pour moi une sincère affection.
12C’est un homme juste, ancien compagnon plâtrier, puis gros entrepreneur à Rennes où il s’est créé une belle aisance. Pas lettré du tout, mais écrivant gentiment, ayant un don d’improvisation remarquable qui surprend nos universitaires. Jure toute la journée, tenace, entêté comme un bon breton, doué d’un orgueil immense presque naïf, à déjà fait faire son portrait en pied par Ronsin et son buste par l’élève Le Gall [sic]. Le portrait brille dans son cabinet de travail. Le buste est à Paris où on en tire quelques exemplaires. Je suis sûr que le maire brûle du désir d’en voir un au musée à côté du buste du papa Morcel. Clemenceau a dit de lui en le voyant, qu’il avait une bonne gueule. Il est capable d’assister à dix banquets dans la même journée et d’absorber en même temps un demi-fût de bière et nombre de galettes, grand amateur de bastringue. N’entre jamais dans mon cabinet de travail sans me faire le salut militaire et me dit : « Salut mon vieil Edmond » ou « Salut jeune homme ». Sa bonne humeur fait échec à ma tristesse habituelle. Au demeurant excellent homme, quoique vindicatif, violemment amoureux de Madame V… veuve depuis quelques mois. Du reste, il n’en fait pas mystère.
Manque de rigueur et interférences personnelles
13Vadot, représentant d’une administration rompue à l’étude des dossiers, souffre de l’enthousiasme de Janvier qui semble privilégier l’action au détriment des procédures et même de la connaissance approfondie de son sujet. Cette méconnaissance des usages entraîne le maire à remettre en cause des principes en vigueur depuis longtemps, blessant ainsi son secrétaire général. Des personnalités émergent dans ce contexte et Vadot, comme à l’accoutumée, observe et juge. En 1909, c’est Eugène Malapert – vieille connaissance de Vadot –, qui en fait les frais.
Mardi 19 janvier 1909
14M. Malapert devient le Deus ex machina de l’administration municipale. Le maire place en lui, toute sa confiance. Il le conseille sur tout, lui cède la parole et lui laisse prendre une autorité qu’il ne devrait pas avoir. Cette situation peut, à un moment donné, devenir gênante pour le maire. Elle est due en partie à ce que M. Janvier voit trop superficiellement les choses et s’imagine qu’il est quitte lorsqu’il a fait un beau geste et un petit discours. Ses explications sont souvent longues et confuses, il veut parler trop bien, pas assez simplement et il fatigue.
15Trop de questions, trop de projets, trop de réformes sont actuellement à l’étude. Il en résulte de la confusion, un manque de méthode, beaucoup de temps perdu. Le maire ne s’est pas imposé un programme assez précis ; aussi les discussions s’égarent-elles et l’on n’aboutit pas. Il ne se présente pas devant le conseil municipal avec des propositions étudiées, mûries ; alors, les objections qui lui sont faites n’étant pas prévues, il est pris de court et reste muet. Les séances se prolongent souvent fort tard, les discussions ayant dégénérées en conversations. M. Blin, ingénieur du service de voirie ayant demandé la liquidation de sa pension, j’ai fait à son sujet un rapport très élogieux que je terminais en faisant allusion à la récompense honorifique (ruban rouge8) que le maire a sollicitée pour lui. Hier dans la réunion du conseil municipal, M. Malapert, de son petit air pincé, a demandé si c’était pour récompenser les convictions républicaines de M. Blin que le conseil allait voter les conclusions du rapport du maire. C’est le citoyen Bougot, un socialiste unifié, qui a donné une leçon de convenance à Malapert : « Qu’est-ce que ça vous fait les opinions de M. Blin ? A-t-il rendu des services oui ou non ? S’il a rendu des services qu’on le décore. » Il l’a répété plusieurs fois et M. Malapert s’est tenu coi. Le bon sens de Bougot a eu raison de l’esprit malveillant de son collègue Malapert.
16Quant aux opinions républicaines de M. Blin, elles sont hors de discussion. C’est sa bienveillance, sa complaisance habituelle, son empressement à rendre service qui l’ont compromis dans l’esprit de Malapert, lequel, du reste, ne lui a jamais pardonné la gifle qu’il a reçue de lui au théâtre, il y a quatre ou cinq ans9.
Jeudi 4 février 1909
17Décidément, les commissions du conseil municipal font preuve d’une insuffisance de plus en plus grande. Elles votent des emprunts, des projets de travaux, de nouvelles impositions sans se rendre compte des propositions qui leur sont soumises. Hier, projet de travaux pour le transfert des bibliothèques et des facultés à l’ancien séminaire et à l’archevêché10. C’est M. Malapert qui est le rapporteur. Personne ne s’est même donné la peine d’ouvrir le dossier et M. Malapert fera son rapport sans s’en préoccuper. Les commissions ont également voté pour 3 500 francs de dépenses pour le transfert du Conservatoire dans les bâtiments de la Visitation rue Hoche11. Pas une explication, pas le moindre remerciement. C’est inouï.
18Mais quand il s’est agi de discuter la pension de M. Le Ray, l’architecte de la ville, et sa situation, les langues se sont déliées et M. Malapert a pu exhaler toute sa bile. Il a fallu que le citoyen Bougot le rappelât presque aux convenances en lui disant que ce n’était pas le moment d’exercer des brimades contre M. Le Ray12.
19M. Malapert ne perd pas une occasion d’être désagréable aux Le Ray, Blin, Duval13, et le maire ne défend pas avec l’énergie qu’il faudrait le personnel injustement attaqué. Il a plutôt une tendance à donner raison aux accusations ; il ne fait rien dans tous les cas pour atténuer quelques légères fautes ou maladresses, il accuse lui-même, il affaiblit l’autorité de ses chefs de service.
20M. Blin s’en va écœuré et ce n’est pas ainsi qu’il aurait dû quitter cette administration à laquelle il a rendu de si éminents services. Mais allez donc demander la reconnaissance à des gens qui ont des rancunes à assouvir.
Samedi 6 février 1909
21Singulière séance que celle d’hier soir ! C’était à qui gueulerait le plus fort ! Notre pauvre Laurent avec la musique municipale et son candidat Gabriel Laporte n’a pu avoir raison de la majorité du conseil municipal14. C’est Bougot qui gueulait le plus, le maire ensuite. Deschamps a prononcé sans succès un plaidoyer fade, mal préparé, qui faisait rigoler nos conseillers socialistes. Malapert n’a pas eu le courage de venir en aide à son ami Laurent ; il l’a laissé se perdre. Tout cela à propos du futur chef de la musique municipale qui devait être au mieux chef d’orchestre et aussi à propos d’une augmentation de 20 000 francs de la subvention à accorder au prochain directeur du théâtre. Bougot a même déclaré à un moment que si l’on ne voulait pas de Casquil (ancien chef de la musique d’artillerie) comme chef de la musique municipale, c’est parce qu’il était cocu. Et c’est Malapert qui le lui aurait dit en présence de Denis. Cette boutade a obtenu les applaudissements des conseillers municipaux qui se sont amusés comme des gosses, qui ne portent aucune attention à des affaires très sérieuses, votent de grosses dépenses sans sourciller et se querellent pour des niaiseries.
Mardi 2 mars 1909
22Le maire manque décidément du tact le plus élémentaire et le plus souvent pour être agréable au conseil municipal qui en est quelquefois le plus surpris. Ainsi, hier soir15, M. Le Ray, architecte, étant encore une fois sur la sellette, le maire revenant à nouveau sur la question des gratifications allouées à la fin de chaque année au personnel des divers services municipaux a répété : « Les gratifications accordées aux gros fonctionnaires municipaux sont scandaleuses, surtout quand on les compare à celles des simples ouvriers. » Évidemment, il y a une disproportion énorme, mais lorsque lui, M. Janvier, était entrepreneur qu’il gagnait 25 ou 30 000 francs par an, trouvait-il ce gain scandaleux alors qu’il payait ses ouvriers ou manœuvres 0,25 ou 0,30 centime l’heure de travail ? Trouve-t-il scandaleux tout l’argent qu’il a gagné en spéculant sur les salaires de ses ouvriers ?
23J’étais présent lorsqu’il a renouvelé cette déclaration et j’ai fait semblant d’y être indifférent. Dans le fond j’ai été profondément blessé et il est possible que je lui en garde rancune. Orgueilleux et grossier, ne souffrant pas la contradiction, M. Janvier se fait subir, je ne crois pas qu’il se fasse aimer. Il est intelligent, roublard même. La déférence exagérée qu’il a pour le conseil municipal n’est qu’une très adroite préparation aux prochaines élections municipales où il espère bien être candidat.
24Que dirais-je de la singulière et pénible comparution de M. Le Ray, hier soir, devant le conseil municipal. Il faut avoir des intérêts bien sérieux à sauvegarder pour ne pas envoyer promener cette administration brouillonne et peu bienveillante. Cet interrogatoire de M. Le Ray, ce marchandage ont été lamentables. L’impatience du maire s’est manifestée à plusieurs reprises de manière grossière.
25J’ai essayé de bouder le maire toute la journée, mais sa bonne humeur et sa franchise brutale ont eu raison de ma maussaderie.
26Ça ne fait rien ; autrefois c’était un grand plaisir pour moi de trouver mon mandat de gratification de fin d’année et d’en faire jouir les miens ; dorénavant il me brûlera les doigts car je n’oublierai jamais les gratifications scandaleuses dénoncées par M. Janvier au conseil municipal.
27Tous les maires, jusqu’à ce jour, se faisaient un devoir agréable de récompenser leurs chefs de services qui leur en étaient reconnaissants. Monsieur Janvier modifie ces bons rapports.
28Aujourd’hui dans les couloirs du palais de justice, en attendant la vente de l’immeuble de la rue de Paris ayant appartenu à la communauté des Dames réparatrices de Marie16, nous causions, le maire, M. Laurent, M. Louis et moi de choses peu intéressantes lorsque s’exprimant sur le compte de M. Perdriel, adjoint, M. Janvier a dit assez haut pour être entendu de beaucoup de personnes : « Ce n’est pas un entrepreneur, c’est un casseur de cailloux ; il se dit entrepreneur, allons donc ! » Il n’a décidément pas une haute opinion de son collègue.
Dimanche 3 octobre 1909
29Le conseil municipal s’est réuni, hier soir, pour entendre les explications du maire et de Commeurec, conseiller socialiste, au sujet d’un incident provoqué en séance publique le 28 septembre dernier par ce citoyen : M. Martel17, sous-chef des bureaux à la mairie a fait bon service de la recette des hospices pendant la maladie de M. Branger18 et il n’en a pas moins touché son traitement à la mairie. D’où les accusations de gaspillages, désordres, incuries, etc.
30Le maire s’est montré très habile, il s’est fort bien expliqué devant le conseil, lequel en fin de compte lui a voté à l’unanimité un ordre du jour de confiance. M. Branger en fut quitte pour rembourser à la ville le traitement de M. Martel ; c’est pignouf de la part du conseil municipal car M. Martel, pendant l’intérim qu’il faisait à la rente des Hospices, ne continuait pas moins son service à la mairie où j’ai si souvent pu apprécier son intelligence.
Une visite ministérielle
31Janvier s’enorgueillit dans ses mémoires19 des visites de membres du gouvernement : de 1908 à 1914, on compte une à deux visites officielles par an pour des inaugurations, des fêtes, des commémorations. Ces venues, rendues possibles par les idées politiques de Janvier en harmonie avec celles du gouvernement, assoient le prestige du maire auprès des Rennais – du moins le pense-t-il – et flattent son orgueil. Elles étaient aussi censées servir sa carrière politique : ses appuis parisiens n’eurent cependant pas raison de l’opposition « réactionnaire » dans le département et il échoua aux élections sénatoriales de 1920.
Vendredi 5 mars 1909
32Mardi dernier, le maire faisait au conseil municipal le dernier récit de son voyage à Paris (fin février). Lorsqu’il en vint à raconter sa visite à Briand, ministre de la Justice et des Cultes et à dire qu’il n’avait pas pu se dispenser de l’inviter à venir à Rennes en même temps que son collègue M. Doumergue, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, ce fut amusant de voir la figure de nos socialistes unifiés20. Si Bougot prenait la chose en rigolant et Bahon en sceptique, les Lemaître, les Leclainche, Leprince ne savaient s’ils devaient rire ou se fâcher. Ils en étaient babas. C’était à se tordre. Ils écoutaient les yeux grands ouverts les explications du maire, ils se regardaient avec stupéfaction et avaient l’air de se demander si le maire se payait leur tête. Mais il fit si bien, si adroitement que pas un ne pipa un mot. La visite de Briand fut acceptée. Malapert, Deschamps et moi nous nous tordions. En ce qui concerne Bougot, comme il est candidat à une justice de paix, son silence était justifié ; mais ses camarades ignoraient et ignorent encore le motif de cette petite trahison.
Mardi 16 mars 1909
33Mauvaise nouvelle ce matin. Le Hérissé a écrit au maire que M. Briand n’ayant pu se dégager des promesses qu’il avait faites, il ne pourrait venir à Rennes le 3 avril, avec son collègue Doumergue qui doit présider la séance d’ouverture du congrès des sociétés savantes21. Vite le maire a envoyé un télégramme à Le Hérissé suivi d’une lettre afin que M. Briand revienne sur cette fâcheuse décision qui serait un échec pour la municipalité. « Vous n’avez rien à craindre des socialistes unifiés, écrit le maire, j’en fais mon affaire. Quant aux camelots du Roy, il faut en rire. »
34Les socialistes comptent sur Jaurès et Sembat pour le 2 avril au soir, dans un grand meeting où évidemment le ministère actuel et Briand tout particulièrement seront violemment conspués. Ce sont ces renseignements exagérés par la police et par le Préfet froussard qui ont probablement donné à réfléchir au ministère de la Justice et des Cultes. Quoi qu’il en soit, nos cartons d’invitations sont faits, les affiches sont posées, le banquet de 500 couverts est commandé et si Briand, qui est le ministre crucial, ne vient pas, ce sera un fiasco.
Dimanche 4 avril 1909
35La visite de M. Doumergue, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, n’a certainement pas enthousiasmé les Rennais. Il est vrai que c’était un jour de la semaine et que ouvriers, commerçants et employés étaient à leurs occupations. Pas d’acclamations, par contre de vigoureux sifflets, rue Hoche22, par les jeunes de l’Action française qui, de plus pendant la nuit, ont barbouillé nos monuments d’inscriptions idiotes : « 445 », « à bas les voleurs », etc.
36Inauguration du nouveau Conservatoire rue Hoche, grand banquet de 650 couverts dans la salle des Pas-perdus du Palais de justice ; nombreux discours un peu quelconques. Le maire a lu le sien d’une voix sonore et qui portait bien ; il a été très applaudi. Le préfet, M. Sagebien23, a bredouillé ce qu’il avait préparé et écrit, c’était lamentable. M. Brice n’a pas été entendu par les trois quarts de la salle. Surcouf24 a eu son petit succès pour son discours longuement préparé et appris. Le Hérissé de sa voix claironnante, a chanté les louanges des instituteurs. Enfin, M. Guernier25 a rempli la salle de sa grande voix et de ses gestes tragiques. M. Doumergue a terminé par un long et beau discours très applaudi. Repas bien servi par Gaze26.
37Ensuite, séance d’ouverture du congrès des sociétés savantes dans la salle des fêtes du lycée, je n’ai fait qu’y apparaître.
38Visite du musée et enfin, du lycée de jeunes filles.
39Le soir, concert sur la place de la mairie, réception à l’Hôtel de ville, illuminations. L’arrivée du ministre sur la place de la mairie n’a pas emballé le public qui est resté très froid. Pas d’acclamations. Le maire m’a présente à M. Doumergue et a fait de moi le plus charmant éloge. Je lui suis vraiment reconnaissant de cette marque d’amitié et de reconnaissance.
40La physionomie du ministre est ouverte, sympathique, souriante. Il a la voix chaude, le geste animé, son éloquence ne dépasse pas celle d’un bon orateur, mais elle est loin d’atteindre la nervosité, l’ironie, l’esprit, l’originalité des pensées de celle de Clemenceau27.
41Il n’y a pas eu d’incidents dans la journée. Les socialistes se sont abstenus en masse, de même que les universitaires qui n’ont pas daigné honorer de leur présence la visite de leur ministre. Ces universitaires ont vraiment une mentalité spéciale.
42Nos jeunes étudiants qui boudent la municipalité de la ville de Rennes, se sont également abstenus. Ils ne pardonnent pas au maire de ne pas leur laisser enlever les enseignes, éteindre les becs à gaz, briser les lanternes, décrocher les cordons de sonnettes et faire disparaître les plaques des particuliers. En résumé, réception plutôt banale.
43Si Aristide Briand était venu, quelle débauche de cris, de sifflets, d’acclamations, pas de la part les socialistes cependant qui ne lui pardonnent pas sa défection.
La décoration de la mairie
44La niche de l’hôtel de ville était vacante depuis qu’à la Révolution la statue de Louis XV qui l’ornait avait été détruite. Au XIXe siècle, on chercha des solutions pour l’occuper : une statue de Leperdit fut un temps envisagée. La proposition de Jean Boucher, refusée par la municipalité Pinault qui ne lui pardonnait pas le scandale de Tréguier28, fut adoptée par Janvier qui y voyait l’occasion d’affirmer le rôle de Rennes comme capitale de la Bretagne tout en embellissant l’hôtel de ville qu’il avait entrepris de rénover. La statue, inaugurée en octobre 1911 et qui représentait l’Union de la Bretagne à la France, eut le sort que l’on connaît : elle fut détruite en août 1932 par un attentat autonomiste.
Jeudi 1er septembre 1904
45Jeudi dernier, c’est-à-dire il y a huit jours, j’ai déjeuné à l’« hôtel Continental29 » avec MM. Le Rondel et Boucher, ce dernier, artiste sculpteur, grand prix du salon il y a deux ou trois ans avec son groupe « Antique et Moderne », donné au musée de Nantes par l’État et dont un moulage en plâtre est au musée de Rennes. M. Boucher, élève de notre école des Beaux-Arts et boursier de la ville de Paris, rêve d’un groupe pour la niche de l’Hôtel de ville. Il m’a entretenu longuement de son projet et il pense que je pourrai lui être utile dans cette circonstance. Boucher est l’auteur de la statue de Renan à Tréguier. Nos conseillers municipaux conservateurs et réactionnaires sauront-ils oublier les provocations et les fêtes agitées qui ont eu lieu l’année dernière lorsque Combes est allé inaugurer la statue de Renan ? Je crains bien que notre sculpteur pâtisse de ce souvenir et qu’on ne lui pardonne pas sa statue de la « Vie de Jésus ». Samedi dernier, le conseil municipal a plutôt fait grise mine à la proposition de M. Oberthür, qui s’est fait l’avocat de M. Boucher. Ce dernier ne fera pas payer dit-il, son travail personnel, mais demande 15 000 francs par an pendant trois ans pour faire face à tous les frais, soit 4 500 francs, l’État fournissant le bronze. 4 500 francs ! Alors que la ville n’a pas le sou et qu’il va lui falloir pressurer fortement les contribuables ! Voilà un groupe qui ne sera pas de sitôt inauguré.
Samedi 20 mars 1909
46Un autre succès qu’il a obtenu également par son habileté, c’est l’approbation par le conseil, en séance privée toujours, du projet de Jean Boucher pour la décoration de la niche centrale de l’hôtel de ville. Il a fait voter les 50 000 francs demandés alors qu’on pouvait supposer une opposition assez vive, cette dépense étant considérée par beaucoup comme du luxe. Boucher a été introduit devant le conseil et très gentiment, sans prétention, il a donné quelques explications qui ont plu et ont fait triompher la proposition du maire. Voilà une affaire dont le succès me paraissait très problématique et qui est aujourd’hui en bonne voie. Tous mes compliments au maire. On inaugurera le monument au mois d’octobre 1911 si, d’ici là, rien n’accroche.
Menaces ouvrières…
47La montée en puissance des syndicats ouvriers et leurs manifestations font craindre à Vadot une révolution, ce qui semblerait prémonitoire s’il se trouvait plus à l’Est ! Cependant, il ne fait que refléter l’atmosphère politique de l’époque : depuis quelques mois, de plus en plus de militants se disent révolutionnaires, et les rapports des préfets depuis 1908 se font l’écho des craintes de Vadot. Les grèves d’ailleurs se multiplient, notamment dans le secteur du bâtiment à Rennes30.
Lundi 30 mars 1909
48Hier matin, les ouvriers des ateliers de la gare ont manifesté à l’occasion de la rentrée à Rennes de quelques-uns d’entre eux qui, l’année dernière, avaient été déplacés pour diverses causes31. Au nombre de 12 à 1 500, ils ont défilé dans les rues de la ville et traversé la place de la mairie dans un ordre parfait, précédés d’une fanfare composée de musiciens du syndicat pris dans la musique municipale. L’orchestre venu du théâtre s’était réuni à la halle des Lices et s’est joint aux manifestants. MM. Le Hérissé et Janvier, invités à la petite fête, ont adressé quelques paroles à cette masse ouvrière et ont fait appel à sa sagesse. Un des ouvriers, victimes de la Convention de l’Ouest, a accusé Le Hérissé et Janvier de s’être montrés par trop indifférents à la mesure qui les avaient frappés et a déclaré qu’il ne fallait pas compter sur les bourgeois et sur les politiciens pour obtenir justice ; que les ouvriers devaient faire eux-mêmes leur besogne.
49Cette masse d’hommes était silencieuse, pas de cris, pas de chants ; mais on sent au fond de ces cœurs de la haine, de la colère contenue. Le moment venu ils se révolteront contre la société et s’ils ne sont pas dominés par des hommes énergiques, ce sera la bête humaine livrée à tous ces instincts de cruauté, de représailles, de vengeance.
50Ce qui se passe en divers points de la France est un avant-coureur de ce que pourra être cette révolution à laquelle il semble que nous montions précipitamment.
51Cette manifestation s’est terminée par le chant de l’Internationale, il le fallait bien. […]
52À dix heures, ce même matin, distribution de médailles d’honneur à des ouvriers et des ouvrières ayant plus de trente ans de service dans la même maison. Cette petite cérémonie plus calmante que la manifestation des ouvriers de la gare avait lieu au cinématographe Pathé32 sous la présidence du maire qui a profité de cette circonstance pour prononcer un nouveau discours, très écouté, très applaudi. Évidemment, l’académie n’y trouverait pas son compte mais tel qu’il était, il était plein de rondeur, de savoir-faire et c’est très satisfait de lui-même que le maire a terminé son speech et s’est assis en riant de sa bonne grosse figure.
53Ce gros bonhomme si entiché de sa personne est séduisant, mais il finit quelquefois par m’agacer par ses propos déplacés, orduriers mêmes, ses inconvenances, son ton trop souvent impératif, et aussi par ces bons mots trop souvent répétés. Quand même tel qu’il est, nous nous entendons très bien. Nous différons parfois sur des questions d’ordre administratif, mais j’évite autant que possible la discussion.
54Il en est ainsi pour la station des tramways départementaux qui doit être établie sur la place de la Mission. Le maire le veut à l’entrée du Mail, au risque de compromettre la belle perspective de cette promenade et moi, je soutiens que ce serait un crime d’autoriser pareille installation33.
… et menaces réactionnaires
55L’Action française a depuis 1908 une section à Rennes créée à l’initiative de l’aristocratie et s’appuyant sur les étudiants. Ceux-ci forment le gros des troupes des Camelots du roi, mais Vadot ne semble pas les prendre très au sérieux. Tout au plus les considère-t-il comme des fauteurs de troubles un peu violents. Ils sont d’ailleurs combattus par les étudiants de l’Union républicaine et la vraie démonstration de force est encore celle des ouvriers dans leur contre-manifestation du 22 mai.
Jeudi 20 mai 1909
56Hier soir a été joué au théâtre la représentation du Foyer la pièce de comédie de Mirbeau qui a donné lieu à de violentes manifestations dans presque toutes les villes où elle a été autorisée par les maires34.
57Depuis quelques semaines à Rennes, Le Nouvelliste de Bretagne excitait les esprits par des articles virulents, engageait les catholiques à assister à la représentation et à manifester avec énergie leur indignation ; en lisant entre les lignes, il les poussait à des actes qui devaient amener ce qui s’est passé hier soir.
58Un grand nombre de places du théâtre avaient été accaparées par les Camelots du roi, royalistes engagés et décidés à tout. On nous parlait de 200 places au moins mais à ce nombre on ne dépasse pas une cinquantaine. Ils avaient fait venir de Paris trois ou quatre de leurs partisans les plus décidés et les plus vigoureux, notamment un nommé Le Grand qui eu à Paris plusieurs affaires avec la police à la suite desquelles il fit même plusieurs semaines de prison, si je ne me trompe. Ils avaient même loué la loge immédiatement contiguë à celle du maire. Les intentions de ces fougueux royalistes étaient nettement hostiles.
59Devant cette attitude, le maire prit des dispositions pour résister aux violences provoquées par Le Nouvelliste de Bretagne ; il fit appel aux étudiants de l’Union Républicaine qui s’empressèrent de l’assurer de leur concours le plus vigoureux. Dans l’après-midi de mercredi, de nombreuses places furent prises et leur furent distribuées afin qu’ils n’eussent pas à attendre aux guichets. Le maire en fit autant avec quelques-uns, les plus robustes, des membres de son comité. Une dizaine de conseillers municipaux devaient occuper sa loge avec lui et autant celle du général. Les Camelots s’étaient répartis dans la salle.
60Douze gendarmes installés dans les bureaux de la police, dix autres prêts à monter à cheval dans la cour de la gendarmerie, deux compagnies d’infanterie, sac au dos, dans la cour de la caserne Saint-Georges avaient été réquisitionnées et étaient prêtes à intervenir. On n’eut besoin ni des uns ni des autres.
61La leçon avait été faite au maire pour qu’il restât calme et qu’il n’intervint pas.
62À huit heures du soir, 1 500 personnes environ attendaient les événements sur la place de la mairie. C’étaient plutôt des badauds curieux d’un spectacle qui pouvait être émouvant. Tout ce monde, d’hommes, de femmes, de jeunes filles, d’enfants circulant lentement de long en large sur la place, ne manifestant aucune passion, attendait patiemment l’heure où devait pleuvoir des coups comme des larmes. À dix heures environ, une bande d’environ 100 à 150 individus déboucha sur la place de la mairie venant de la place du Palais, en chantant l’Internationale et la Carmagnole. Ils passèrent à plusieurs reprises à travers la foule. Leur attitude était visiblement provocatrice, mais devant tout ce monde impassible de curieux n’ayant pas du tout l’air de vouloir batailler, nos énergumènes dont quelques-uns étaient armés de gourdins, en furent pour leur frais.
63Mon état de santé ne m’ayant pas permis d’assister à la représentation, je suivais ces événements depuis chez moi.
64Comme ce qui se passait sur la place était peu intéressant et que tout paraissait tranquille, vers dix heures j’allais me coucher. Il n’y avait pas cinq minutes que j’étais au lit que des cris retentirent sur la place. Je me levais aussitôt et pendant cinq minutes j’assistais au défilé des Camelots du roi ou d’autres citoyens expulsés de la salle de théâtre et amenés vigoureusement au poste par les agents de police. Chaque fois que des expulsés entourés d’agents se présentaient sur les marches de l’escalier du théâtre, la foule se séparait pour leur faire un passage et c’était entre une haie de curieux qu’ils traversaient la place de la mairie, accompagnés de nombreux cris hostiles, de « bravos », d’« à-bas la calotte », « à-bas les camelots ». Ils reçurent même, dit-on, de nombreux coups de pieds et de poings, mais de cela je n’ai pu me rendre compte étant donné l’éloignement. Dans tous les cas, s’ils avaient des amis et des partisans dans la foule, ils se gardèrent bien de manifester en leur faveur et de les défendre. Seul un groupe d’une vingtaine d’étudiants conspuait le maire.
65Pendant que, sur la place, la tranquillité était relative, dans la salle du théâtre, une bagarre violente se produisait. Tout le premier acte du Foyer s’était joué sans encombre, mais au deuxième un coup de sifflets était parti d’une loge, ce fut le commencement du désordre. Pendant vingt minutes, on ne vit que des poings levés, on n’entendit que des sifflets stridents, on ne vit que des spectateurs enlevés prestement de leur place et remis aux mains des agents. Ce fut, paraît-il, un spectacle inénarrable, qui jamais ne s’était vu au théâtre, de l’avis des plus anciens habitués. Le citoyen Bougot, conseiller municipal, frappa dur sur les manifestants voisins du maire ; il reçut de son côté d’assez bons coups. Les étudiants de l’Union républicaine firent merveille dit le maire. Les manifestants hostiles furent passés à tabac en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Tous les protestataires expulsés, le spectacle se termina sans bruit.
66Pendant ce temps, les Camelots du roi étaient gardés à vue au poste qu’ils ne quittèrent qu’à une heure du matin. À minuit, la place de la mairie reprenait son aspect des nuits silencieuses.
67M. Mellet, architecte, l’ancien conseiller municipal, l’homme le plus doux, le plus tranquille, le plus sympathique que je connaisse, qui avait protesté, fut expulsé avec une brutalité révoltante dit-on. Mais pourquoi diable, est-il venu se mêler aux Camelots ? Ses convictions profondes lui avaient sans doute fait un devoir de manifester contre le Foyer.
68Les journaux de ce matin font le récit très étendu mais exagéré de ces faits assez graves sans encore les grossir.
69Le Nouvelliste de Bretagne, le plus grand coupable, est dans une fureur extraordinaire. L’Ouest-Éclair regrette et gémit : sa devanture n’a pas été ravagée comme celle de l’Action française, rue Hoche, du Journal de Rennes rue Leperdit, du Sillon.
Samedi 22 mai 1909
70Hier soir, une manifestation très imposante s’est produite. Plus d’un millier d’ouvriers groupés et marchant en bon ordre ont parcouru les places et les rues de la ville en très bon ordre en chantant bien le refrain de l’Internationale et en conspuant la calotte. Pas de bruits pas de violence. Ils ont voulu manifester contre Le Nouvelliste et contre les étudiants qui se sont faits les dénonciateurs de leurs camarades de l’U… centre républicain. Ils ont également voulu protester contre les injures dont le maire est en ce moment l’objet de la part de certaines personnes.
71On a trouvé dans une loge du théâtre et sur le parquet des fauteuils d’orchestre des instruments laissés par des Camelots du roi, qui pouvaient être très dangereux dans la bagarre si les expulsions n’avaient été habilement opérées. Je crois que Monsieur Janvier était sérieusement menacé par les gens installés dans la loge à côté de la sienne. Mais comme il est difficile de connaître exactement la vérité, chacun raconte et interprète les faits à sa façon, selon sa passion.
72Le Nouvelliste de Bretagne ne décolère toujours pas.
Dimanche 6 juin 1909
73Onze heures et demie du matin, une demi-douzaine de Camelots du roi arrivent place de la mairie criant à tue-tête : « L’Action française journal royaliste » ; « L’Action française journal anti-républicain », le beau zèle de ces jeunes royalistes si plein de zèle, n’a pas de succès ; pas un numéro vendu malgré leurs beaux gestes et leur allure décidée. Ce sont des jeunes gens chics suivis de deux ou trois vendeurs en guenilles ; mais ça ne mord pas. Ils quittent la place et s’en vont dans les rues voisines.
Notes de bas de page
1 Sur Jean Janvier et sa politique, voir J. Le Métayer, 1971 et J.-Y. Andrieux et C. Laurent, 2000.
2 On en a vu plusieurs exemples dans les chapitres précédents.
3 Le Hérissé, en confiant à Janvier l’organisation des fêtes qui avaient célébré la « fidélité à la République » de la commune de Rimou en 1906, avait contribué à relancer sa carrière politique.
4 Jules Ronsin (1867-1937), professeur à l’école des Beaux-Arts de Rennes. À la mort de Lafond en 1917, il le remplaça au poste de directeur, ainsi qu’à celui de directeur de l’école d’Architecture et conservateur du musée de Peinture et de Sculpture. Outre ce portrait, conservé au musée des Beaux-Arts de Rennes, il orna la chapelle de l’hôtel de ville de toiles Aux glorieux enfants de la terre bretonne.
5 Pierre Galle (1883-1960) avait été élève à l’école des Beaux-Arts de Rennes. En 1936, il succéda à Jules Ronsin dans ses différentes fonctions. Le buste de Jean Janvier est actuellement conservé au musée des Beaux-Arts de Rennes.
6 Les palmes académiques bien entendu.
7 Le comité d’organisation de la fête des Fleurs dépendait en réalité du bureau de bienfaisance. Mais c’est le conseil municipal qui votait le budget du bureau.
8 Blin n’obtint pas la légion d’honneur [voir chap. 15].
9 Voir chap. 11, au sujet du « petit théâtre municipal ».
10 L’archevêché et le grand séminaire, confisqués, avaient été attribués au ministère de l’Instruction publique. Celui-ci proposa à la ville d’y installer les facultés de droit et de lettres, ainsi que la bibliothèque et les archives municipales. La municipalité Pinault, s’exonérant de toute responsabilité morale dans cette dévolution, accepta [Délib. cons. munic. 24 mars 1908]. La municipalité Janvier ne fit que suivre le projet.
11 La ville acquit aux enchères le 21 juillet 1908 les immeubles ayant appartenu aux sœurs de la Visitation pour y installer le Conservatoire. On y installa aussi l’école des Beaux-Arts, et les travaux d’aménagement furent confiés à Le Ray.
12 Emmanuel Le Ray (1859-1936) fut architecte de la ville de 1895 à 1932. Si sa carrière commence avant l’arrivée de Janvier, c’est sous ses mandats qu’il va déployer le principal de son activité. Il accompagnera tous les grands projets du maire en matière d’architecture [C. Laurent (dir.), 2000].
13 Auguste Duval (né en 1872) est rentré à la ville en 1898 après avoir travaillé aux Ponts-et-Chaussées de 1982 à 1898. Nommé inspecteur de la voirie, il quitte la ville en 1909 pour devenir expert-géomètre. Malapert fit un rapport qui lui refusait la liquidation de sa retraite [AMR, 2 K 23, dossier Duval].
14 La réorganisation de la musique municipale sema la zizanie au conseil municipal : Boussagol, directeur du Conservatoire, en avait la direction, mais ne semble pas avoir fait l’affaire. Il fut donc proposé de créer un poste de chef d’orchestre distinct du Conservatoire. Les débats du conseil s’enlisèrent dans des débats sur les personnes et sur le financement de ce nouveau poste [Délib. cons. munic., 24 décembre 1908, 10 février 1909].
15 Il s’agit sans doute d’une réunion en conseil privé qui préparait la réunion du conseil municipal du 5 avril suivant qui révisa le contrat qui liait Le Ray à la ville. Nous ne connaissons pas les attributions de cette instance, et il n’en a pas été conservé de procès-verbaux.
16 La ville se porta acquéreur de l’immeuble sis 28-30 rue de Paris, où elle installa une école (actuellement l’école maternelle de la Duchesse Anne) et le Cercle Paul Bert, patronage laïc alors récemment créé [C. Maréchal, 1996].
17 Léon Martel (1872-1947) entre dans l’administration municipale en 1898 comme employé auxiliaire à la bibliothèque. Il sera chef de bureau en 1911, nommé rédacteur au secrétariat général en 1912 [information Jean Le Bihan].
18 Eugène Branger (1854-) fit une carrière à la préfecture d’Ille-et-Vilaine où il finit chef de bureau, avant de la quitter pour devenir en 1888, receveur des hospices civils de Rennes [J. Le Bihan, 2005].
19 J.-Y. Andrieux, C. Laurent, 2000, p. 97-100.
20 Aristide Briand avait rompu avec la SFIO en 1906 et faisait figure de traître aux yeux des socialistes.
21 Le congrès des sociétés savantes était organisé depuis 1861 par le Comité des travaux historiques et scientifiques. Rennes, à la demande de l’université, accueillit le 41e congrès en 1909.
22 Où le ministre inaugurait le Conservatoire.
23 Louis-Démétrius Sagebien (1848-1936) effectua la plus grande partie de sa carrière préfectorale dans les Deux-Sèvres (1896-1907). Arrivé à Rennes en avril 1907, il prit sa retraite en juin 1909 [R. Bargeton, 1994].
24 Robert Surcouf (1868-1944), armateur et grand propriétaire foncier, maire de Plerguer, fut député républicain de 1898 à 1919 [J. Pascal, 1983].
25 Charles Guernier (1870-1943), professeur de droit, fut député d’Ille-et-Vilaine de 1906 à 1924 et de 1928 à 1940. Il fut un éphémère ministre des PTT (janvier 1931-février 1932), puis des Travaux publics et de la Marine marchande (février-juin 1932) [J. Pascal, 1983].
26 Restaurant sis 6, rue Beaumanoir.
27 Que Vadot avait pu apprécier lors de la visite de juin 1908.
28 Jean Boucher (1870-1939) était né à Cesson près de Rennes. Attaché au style académique, il incarnait aussi une tendance régionaliste. La statue de Renan à Tréguier fut sa première œuvre en Bretagne. Cette commande de la ville fut l’objet d’une très vive polémique de la part des catholiques et son inauguration le 13 septembre 1903 en présence d’Émile Combes, président du Conseil, fut considérée par eux comme une provocation et donna lieu à des incidents.
29 Grand hôtel Continental, sis 1, rue d’Orléans.
30 C. Geslin, 1990.
31 En 1908, l’État avait racheté la Compagnie des chemins de fer de l’Ouest. À la suite de cette convention, neuf cheminots avaient été révoqués et des manifestations de soutien avaient été organisées en mars. Il semble que l’on assiste là à la suite de cette affaire.
32 Le cinéma Pathé avait été inauguré un an auparavant, le 11 avril 1908 ; il était installé dans l’ancienne chapelle des Calvairiennes réaménagée, sur l’emplacement actuel des Gaumont. La salle comptait 800 places et convenait donc tout à fait bien à une remise de médailles.
33 Janvier voulait éviter que les tramways ne franchissent le pont du Mail, trop étroit pour supporter la circulation que cela engendrerait et souhaitait donc que la station soit construite à l’entrée du mail. Vadot, comme bon nombre de conseillers municipaux, pensait que la gare boucherait complètement la perspective. C’est cette dernière opinion qui prévalut et la construction s’éleva place de la Mission [Délib. cons. munic. 5 avril 1909].
34 Dans ces manifestations, l’Action française attaquait autant la pièce au nom de la morale offensée (un personnage, sénateur et académicien, détourne à son profit de l’argent donné pour une œuvre charitable ; des jeunes filles sont livrées à la concupiscence de messieurs respectables) que l’auteur, dreyfusard de la première heure.
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