Chapitre 6. L’administration Poulin
p. 191-222
Texte intégral
Devant l’échec de Le Hérissé, auquel certains avaient contribué, les ténors du conseil municipal jetèrent leur dévolu sur un homme âgé, là encore, mais très différent du « papa Morcel ». Poulin, ancien collaborateur de Persigny, bonapartiste rallié à la République, riche, homme à femmes et moins bête, dit Vadot, que certains ne le croyaient, fut choisi. Mais, beaucoup plus encore que Morcel, Poulin fut un maire de transition, dont le départ était inscrit dans son élection même puisque des manœuvres le contraignirent à démissionner en août 1897. Pourquoi ? De prime abord, et au plan administratif, l’année Poulin ne marque aucune rupture en regard de l’époque Morcel. En revanche, diverses affaires émergent des Cahiers Vadot qu’il s’agisse de petits scandales ou de trafics. Sont-ils plus nombreux qu’à une autre époque ? Rien n’est moins sûr, car ils dissimulent peut-être le vide du reste de l’actualité municipale. Mais on prend plaisir à découvrir l’affaire des sœurs de l’hospice des Incurables – accusées de détournement de fonds –, l’affaire de l’adjoint Miller qui aurait perçu des commissions irrégulières sur des fournitures publiques, enfin l’affaire Rémiot révélatrice d’un important trafic où seraient mêlés des employés et cadres de l’octroi, et dans laquelle se trouve impliqué le sulfureux Jules Ménard…
Mais en déplaçant le champ d’analyse on constate et on finit par comprendre que la vie municipale est alors influencée par l’évolution générale du pays. Les années 1896-1898 sont en effet marquées par la tentative de Jules Méline1 – l’homme du « Retour à la terre » et de « L’Exode urbain2 » –, pour recentrer la politique du pays. Les législatives de 1893 ayant été marquées par l’effondrement de la droite monarchiste, de nombreux républicains très modérés avaient été élus, parfois venus eux-mêmes des milieux conservateurs, tels les premiers catholiques « ralliés ». De plus, la poussée d’une nouvelle extrême gauche, l’arrivée de 49 socialistes en principe hostiles à la république « bourgeoise » obligeait à de nouvelles combinaisons. Après une longue période de gouvernements très centristes (Casimir-Périer, Dupuy, Ribot) ou davantage orientés à gauche (Léon Bourgeois), l’arrivée au pouvoir de Méline (29 avril 1896, presque en même temps que Poulin…) marque une première tentative de recentrage, d’union des modérés, de constitution d’une « droite républicaine » alliée au centre et au centre gauche. Vadot note cette évolution avec une grande lucidité. Il se trompe seulement sur sa future réussite, mais il ne peut prévoir le séisme politique engendré par l’affaire Dreyfus.
Le maire de Rennes fut sans doute tenté de suivre l’évolution nationale, avec prudence. Le voyage de Félix Faure en août 1896, venant après la défaite de Le Hérissé, sembla marquer l’abandon par la ville de son radicalisme boulangiste. Le préfet Leroux lui-même y perdit quelque peu ses marques. Plus préoccupante fut la rupture entre la majorité du conseil et le maire, mais aussi celle menée, depuis Paris, par Le Hérissé contre le ministère Méline. Rapidement, Poulin n’eut d’autre alternative que la démission. L’occasion lui en fut donnée en lui refusant une candidature sénatoriale. Mais à 68 ans, et les moyens de bien vivre encore, cette décision ne lui coûta guère…
Premiers pas
1Était-on allé chercher Poulin pour l’installer dans le fauteuil de maire parce qu’il était riche et que la ville était très endettée ? C’est possible : l’âge du nouveau maire ne pouvait en faire un homme d’avenir. Mais les élections de 1896 avaient quand même porté aux affaires une nouvelle génération, faite de jeunes conseillers prometteurs, mais querelleurs : Malherbe, Legros, Levron, Miller, Laurent, le « docteur » (en médecine) Leray…
I. Jean-Baptiste Poulin, maire
Lundi 18 mai 1896
2Hier, M. Poulin3, ancien préfet, ancien Trésorier Payeur général, officier de la Légion d’honneur, etc. a été nommé maire de Rennes à l’unanimité ; M. Miller 1er adjoint, M. Lajat 2e adjoint, M. Malherbe, jeune avocat, 3e adjoint.
Jeudi 21 mai 1896
3MM. les adjoints sont animés d’un beau zèle. Que durera-t-il ? […]
4D’aucuns prétendent que M. Poulin, notre nouveau maire, est un peu gaga. C’est dur pour un homme qu’on est allé chercher afin d’en faire un maire et de payer au besoin les élections. Pas si bête que ça, M. Poulin ! Il m’a dit, à moi : « On veut me prendre sans doute pour une vache à lait4, je ne me laisserai point faire. Je paierai ma part, et plus s’il le faut, mais pas ce qu’ils croient. » « Ils », ce sont ses collègues. […].
Mercredi 27 mai 1896
5Le maire me paraît vouloir ménager le préfet. « Il est très jaloux de son autorité, m’a-t-il dit ; nous ferons en sorte de ne pas le contrarier. » « Mais, M. Le maire, vous avez aussi quelques droits. » « Sans doute je les ferai valoir, mais avec ménagement. » M. Poulin a gardé le caractère et le tempérament qu’on acquiert dans les administrations fortement organisées et hiérarchisées. Quoique maire, il restera un peu fonctionnaire5. M. Le Bastard n’était pas fonctionnaire du tout6 et cependant, il était un admirable administrateur.
Lundi 24 août 1896
6[…] [Le maire] m’a conté comment il avait quitté l’administration des finances, c’est-à-dire les fonctions de Trésorier Payeur Général d’Ille-et-Vilaine. Il a été salement jeté à la côte [sic] par M. Leroux, préfet. Le prédécesseur de M. Leroux, M. de Brancion, avait demandé la mise à la retraite de M. Poulin avec le cordon de commandeur et la perspective de faire de lui un conseiller général.
7M. Leroux y a mis moins de formes : il a fait écrire dans les journaux de Rennes, purement et simplement que M. Poulin était mis à la retraite7. […] Le maire a pour moi beaucoup d’affection. L’autre jour comme je le félicitais de sa nomination de commandeur il m’embrassa en me disant qu’il ne pouvait mieux me témoigner son estime.
8Depuis, il m’a fait remettre comme souvenir et remerciement une jolie statuette en terre cuite de M. de la Vingtrie8. C’est lui-même qui me l’a apportée.
II. Quelques conseillers9
Dimanche 12 octobre 1903
M. Malherbe
9Bon gros garçon, portant beau, emballé, avec qui j’avais les meilleures relations bien que souvent nos discussions – surtout dans l’affaire Dreyfus –, fussent violentes. On n’a pas idée des lames que nous avons rompues ensemble de 1896 à 1900. Il ne m’en a jamais voulu de ma franchise dans nos discussions10. Il était entendu entre nous qu’il y aurait armistice jusqu’à cinq heures du soir et que ce n’est qu’à partir de ce moment que nous pourrions donner libre cours à l’expression de nos sentiments.
10C’était un jeune puisqu’il n’avait que 26 ans et demi lorsqu’il fut nommé conseiller municipal en 1896, puis troisième adjoint avec M. Poulin comme maire, M. Miller comme premier adjoint et M. Lajat comme deuxième (séance du 17 mai 1896). Ancien élève en philosophie de l’école normale, puis licencié en droit, il était inscrit au barreau de Rennes, mais plaidait peu ; il n’était pas très sympathique à ses collègues et les clients le trouvaient trop imposant.
11Il n’était cependant pas plus orgueilleux qu’un autre, mais il avait conscience de sa réelle valeur. C’était un travailleur et il avait l’assimilation facile, remarquable même. Il saisissait les questions avec une rapidité peu ordinaire. […]
12Ah ! Je lui fais un reproche et je lui en ai voulu de s’être montré […] blessant […] pour M. Poulin, maire, qui souffrit de l’attitude à son égard de M. Malherbe aidé de MM. Lajat et Legros. Ils furent injustes et méchants. M. Poulin était bienveillant, homme d’esprit, ayant du tact et il ne méritait pas le sort que ses adjoints lui firent. Évidemment, il manquait d’initiative, il laissait faire, il était paresseux mais on s’était servi de lui, on en avait voulu à sa bourse, il méritait qu’on eût pour lui plus d’égards.
Mercredi 14 octobre 1903
M. Le docteur Leray
13Il n’était pas mon ami, le docteur Leray quand il arriva au conseil municipal en 1896 ; il m’avait dans le nez. Pourquoi ? C’était toujours la même chanson : je dirigeais tout, je faisais tout, le maire et les adjoints n’étaient que des hommes de paille, tous les fonctionnaires municipaux tremblaient devant moi, j’étais la bête noire de tous et les électeurs désiraient qu’on me rendît à la vie privée !
14Le docteur Leray prit la chose au sérieux et s’ingénia à me créer des ennuis. Son collègue M. Malherbe ne l’entendit pas de cette oreille et il se plaça résolument au travers des intentions hostiles de M. Leray qui, plus tard capitula et devint, pour moi, un bon camarade. Ce fut lui et M. Cholley qui, à leur tour, firent opposition à M. Malapert, en 1900, lorsqu’il me tailla des croupières. M. Malapert11 capitula et devint vadotiste c’est le mot de M. Cholley. Tout est bien qui finit bien12.
15Le docteur Leray était également un jeune en 1896 ; il avait 29 ans. […]
16De taille moyenne, la tête forte, les yeux un peu en boule de loto, le cou énorme et débordant sur son col de chemise, le docteur Leray toujours élégant a su, sans être de l’École de médecine, accaparer un certain nombre de services publics. Il est intelligent, tenace et il exprime franchement ses opinions et sait les défendre ; il se plaît à embêter le maire et l’attaque assez souvent d’une manière assez brutale13 ; il a cependant la conviction de ne pas lui être trop désagréable ; évidemment il met peutêtre un peu plus de formes que M. Malapert, il est moins rosse selon l’expression du jour, mais n’en est pas plus charitable.
17Il n’a pas précisément un caractère agréable ; il est plutôt pointu mais enfin les relations avec lui sont assez cordiales14. […]
187 septembre 1904. Battu aux élections municipales, battu aux élections du conseil d’arrondissement, c’est trop vraiment pour une même année. Très orgueilleux, le docteur Leray que je n’ai pas vu depuis longtemps doit maudire les électeurs […]. [Réélu aux élections de mai 1908 par 7 454 voix.]
Nouvelles Rennaises du 29 juillet 1903
M. le docteur Leray
[…] Monsieur le docteur Leray est loin d’être un clérical, bien que sa parenté l’y poussât15.
Il est facile de le démontrer. Faut-il le confondre avec ce qu’on est coutume d’appeler, les « gens du bloc16 » ?
C’est une question à laquelle nous ne répondrons point, contentons-nous de dire qu’il fut l’un des promoteurs de la concentration républicaine à Rennes, et qu’il ne cesse de lutter avec ardeur pour le triomphe de ses amis politiques
Conseiller d’arrondissement, président de cette assemblée, officier d’académie, président du comice agricole de l’un des cantons de Rennes, Monsieur le docteur Leray possède déjà quelques-uns de ces titres reconnus indispensables avant d’aborder les grandes luttes politiques.
Monsieur le docteur Leray a toujours été un ami fidèle de M. Le Hérissé, même aux époques où le député de Rennes passait pour un traître auprès du parti républicain. Le temps s’est chargé d’arranger les choses, puisque M. Le Hérissé appartient lui-même à la concentration.
Sans doute, il serait exagéré de parler de la conversion du député de Rennes aux intérêts de la République ; le changement opéré chez M. Le Hérissé est dû, en partie du moins, au rôle influent de M. le docteur Leray17.
Au conseil municipal, le docteur Leray se montre l’adversaire résolu de M. Pinault, pour un motif d’une extrême simplicité.
Les membres de l’ancienne municipalité qui avaient été réélus en 1900, avaient promis de ne voter, lorsque l’élection du maire viendrait, que pour un candidat républicain. M. Pinault leur avait donné des gages qu’ils crurent certains et ils lui accordèrent leurs suffrages.
Ils étaient aussi décidés à le soutenir, le jour où il se présenterait à une élection sénatoriale.
Mais ils virent bientôt que M. Pinault voulait diriger la ville de Rennes sans eux, et ils décidèrent de le combattre.
Dans cette lutte, le docteur Leray occupe une place de choix.
S’il ne réussit pas à abattre M. Pinault, il pourra se rendre la justice qu’il aura fait tout son possible.
Médecin de mérite, il a obtenu la confiance de certains membres de grandes compagnies. L’estime de ses confrères l’avait appelé à la présidence du syndicat des médecins d’Ille-et-Vilaine18. Mis en demeure de poursuivre un rebouteux, il accomplit son devoir, et ses adversaires de crier qu’il faisait œuvre politique.
Monsieur le docteur Leray négligea cette attaque, et l’âme tranquille continue à donner ses loisirs à l’œuvre humanitaire de la Goutte de lait19 qu’il a fondée.
M. Laurent
19Encore un jeune ; un bon enfant, plein d’entrain, croyant que c’est arrivé ; francmaçon, le seul, je crois, du conseil municipal actuel ; dans le conseil de 1896, il avait avec lui M. Legros également frère.
20M. Laurent est un travailleur ; par son énergie il est arrivé à être professeur de pharmacie à l’École de Médecine ; il est également pharmacien à l’Hôtel-Dieu où il a succédé à M. Louveau.
21Il manque un peu d’usages, entre aisément chez moi avec son chapeau sur la tête, la pipe à la bouche, mais il le fait avec tant de simplicité et de bonhomie que je ne peux lui en vouloir.
22[…] Pas sectaire du tout quoique franc-maçon20. C’est lui-même qui m’a avoué gentiment qu’il était de la loge.
23C’est un brave garçon et un garçon de grands mérites sous des apparences modestes. Un peu naïf.
24[7 septembre 1904 – les électeurs n’ont pas compris ce qu’il y avait de désintéressé dans la candidature de M. Laurent au mois de mai dernier, ils lui ont fait le même sort qu’aux autres candidats de la liste de concentration républicaine. Il en sera quitte pour chasser plus souvent et se livrer avec plus d’ardeur aux douceurs de la pêche à la ligne.]
25[1909 – M. Laurent a été réélu aux élections de mai 1908 par 7 674 voix. De plus le conseil municipal l’a nommé troisième adjoint. Un moment il s’est bercé de l’illusion qu’il pourrait être maire de Rennes. Son caractère n’a pas changé depuis 1904 ; il ne marche pas, il court, il a toujours l’air d’être très affairé ; de fait, il entreprend beaucoup de choses. Il fait ses cours à l’École de médecine et de pharmacie ; il dirige la pharmacie des hospices ; il est président de la société « L’aviation » ; il construit un aéroplane avec un professeur de la faculté des sciences ; l’année dernière, il a créé les courses de Pacé ; il réorganise la musique municipale ; il reçoit de temps en temps des horions du maire qui ne le prend pas au sérieux ; en 1908, il a battu M. Pinault Jean, fils de l’ancien maire, aux élections du conseil d’arrondissement dans le canton nord-est de Rennes ; il espère bien battre le père l’année prochaine aux élections du Conseil général. L’appétit vient en mangeant. Il appartient au parti radical socialiste dont le comité est présidé à tour de rôle par M. Malapert, M. Dothin, M. Pernot21, M. Laurent. Il a beaucoup de sympathie pour moi, il me l’a souvent dit. J’en ai également pour lui, car c’est un bon enfant]. […]
Samedi 17 octobre 1903
M. Legros
26Avoué à la cour22, très aimé de ses confrères, bienveillant, plein de tact, M. Legros a vendu son étude après les élections de 1900 et il dirige aujourd’hui le théâtre de Nîmes après avoir débuté l’année dernière, comme directeur, à La Rochelle. Mme Dunoyer, chanteuse au théâtre de Rennes, a ensorcelé M. Legros… pendant qu’il était adjoint et c’est par amour de cette femme, qui paraît-il le trompe facilement, qu’il est devenu directeur du théâtre. Le malheureux, je le crains bien, mangera sa fortune dans ses entreprises et la Dunoyer le lâchera. Après tout c’est une affaire qui le regarde seul.
27M. Legros avait des idées très arrêtées en politique et religion. Ah ! Il n’aimait pas Le Hérissé qu’il appelait à chaque instant « pantin », « polichinelle23 ». Pour un peu, il aurait posé sa candidature contre lui à la députation. Le pauvre ! Il se serait fait manger.
28C’est un artiste qui a fait de jolies copies de nos toiles du musée. La tenue de son étude d’avoué se ressentait, paraît-il, de son tempérament d’artiste. Il avait en horreur la procédure à laquelle il ne se destinait pas puisqu’il avait débuté dans la vie par un emploi plus que modeste dans la compagnie des chemins de fer de l’Ouest.
29Grand, élancé, la physionomie ouverte, M. Legros plaisait physiquement. Les relations avec lui étaient cordiales et très sûres. […]
30C’était, et pour cause, un des plus assidus dans les coulisses du théâtre et il fut un des auteurs du départ de M. Tapponier, chef d’orchestre et directeur du Conservatoire24 […].
31M. Tapponier est devenu, comme M. Legros, directeur de théâtre, à Montpellier.
32[Dimanche 3 janvier 1904 – M. Legros est, m’a-t-on dit en liquidation comme directeur du théâtre de Nîmes25. C’était à prévoir. Le brave garçon s’est fait gruger par la Dunoyer].
La visite de Félix Faure à Rennes
33Président-voyageur, Sadi Carnot devait visiter la Bretagne, dont Rennes, en 1892. Mais ce déplacement fut annulé pour raisons de santé. La ville, souhaitant toujours la visite du chef de l’État, obtint celle de Félix Faure, alors en plein périple dans l’Ouest. C’était affaire de prestige mais aussi d’intérêts commerciaux. Moment important dans l’histoire d’une ville, une telle visite s’apparente encore davantage aux solennités monarchiques qu’aux visites présidentielles ou ministérielles d’après 1945. En ressort cette impression tenace de solennité.
21 août 1896 vendredi26
34Rien depuis le 27 mai et cependant que d’incidents et d’évènements depuis cette dernière date, que d’anecdotes qui m’ont été racontées par notre aimable maire M. Poulin.
35L’événement le plus récent est le séjour à Rennes du Président de la République, Félix Faure27. Dieux ! Que d’argent dépensé pour honorer cet homme qui peut, demain, redevenir simple marchand en gros de cuirs tannés28 ! On a mis les petits plats dans les grands, on a illuminé et pavoisé à grands frais toutes les rues ; on a brûlé de la poudre sur le champ de mars, tiré un merveilleux feu d’artifices, inauguré le mercredi 12 août le monument élevé sur le Champ de Mars aux soldats morts en 1870-187129. Banquet dans la salle des Pas Perdus du Palais de Justice, banquet dans la salle des fêtes du Lycée30, bal à la Préfecture, réception à l’Hôtel de Ville, inauguration de l’École nationale d’agriculture31, secours aux indigents, etc., etc.
36Coût 80 000 francs au moins. Nous verrons bientôt la note. Avec ces 80 000 francs que de misère on aurait pu soulager ! Ce qui me réjouit le plus, c’est que les orphelines du bureau de bienfaisance ont fait avec les 200 francs de la ville deux repas succulents qu’elles n’oublieront pas de sitôt, paraît-il.
37J’oubliais les décorations. M. le Maire a été nommé Commandeur de la Légion d’Honneur : c’est le prix de son acceptation de la Mairie de Rennes. M. Le Hérissé lui avait promis cette récompense au moment des dernières élections municipales. M. Poulin désire maintenant obtenir le mérite agricole : c’est presque la monomanie des décorations.
38M. Charles Beaufils, président de la Chambre de commerce a été nommé Chevalier de la Légion d’honneur. […]
39M. Leroux, préfet, n’a pas eu la rosette. Ça a été une déception.
40Beaucoup de palmes académiques et de mérites agricoles. Je ne dirai rien de toutes ces décorations si ce n’est qu’elles prouvent une fois de plus que nous avons la passion, la toquade [sic] des rubans ou rouge ou violet ou jaune. Quel est celui de mes concitoyens qui n’a pas un petit bout de ruban à mettre sur le revers de son paletot ?
41Les orateurs n’ont pas chômé pendant ces deux jours de fête. Il m’a fallu préparer d’abord un appel au patriotisme des habitants puis le discours de M. Sacher pour l’inauguration du monument du Champ de Mars32, le discours du maire en réponse à celui de M. Sacher, le discours du maire à la réception du Président, le discours du maire au banquet. Non, moi qui croyais en avoir fini avec M. Morcel et ses compositions d’éloquence oratoire ! C’est maintenant pis que jamais. Celui de M. Sacher a failli amener un incident. Communiqué au Préfet puis à la Présidence, il avait été légèrement retouché. Lorsque M. Sacher l’a prononcé en y mettant toute la chaleur dont il était capable, le Président de la République a manifesté son étonnement que certaines phrases, bien innocentes cependant, n’aient pas été supprimées. Il a dit au maire que s’il avait prévu cela, il ne serait pas venu. C’est à mourir de rire. On m’y reprendra une autre fois à faire les discours des autres33.
42Quant à M. Sacher qui se croit le personnage le plus influent de la ville de Rennes il ne pardonne pas au maire de ne l’avoir pas présenté au Président, comme étant l’initiateur du monument et le président du comité. J’ai fait part de ce mécontentement à M. Poulin qui m’a répondu : « Comment vouliez-vous que je présente M. Sacher au Président qui venait de me dire en entendant son discours : quel est donc cet imbécile-là ? » Et dire que c’est moi qui ai composé le fameux discours. Vraiment je n’étais pas fier. À la préfecture le maire m’a présenté au Président en lui disant : « Je vous présente le plus dévoué, ou capable, ou intelligent, je ne me rappelle plus au juste, des secrétaires de mairie. » Ce à quoi j’ai répondu au maire qu’il était trop flatteur. Le tout suivi d’une aimable poignée de main du Président. « Vive le président pas fier ! »
Dimanche 6 septembre 1896
43J’ai reçu la semaine dernière la visite de Morin34, le Directeur des Nouvelles Rennaises ; il m’a mis au courant de sa polémique avec la presse parisienne35 qui a fait un tapage de tous les diables parce qu’elle n’avait pas été accueillie à Rennes avec tous les égards qui lui étaient dus. Morin a tenu à ce que je lise un article du Journal36 qui le traite d’imbécile. Je ne pouvais cependant pas lui dire que l’appréciation du journal parisien était la mienne37. […]
Vendredi 28 août 1896
44L’Officiel d’hier jeudi a publié le décret portant promotion au grade de commandeur M. Poulin, notre maire qui a lu et relu l’Officiel en vieux fonctionnaire habitué à le consulter. M. Le Bastard se moquait de l’Officiel et des décorations comme d’une guigne ; M. Morcel ne s’en préoccupait pas, il se laissait faire ; M. Poulin aime les décorations, il aime l’Officiel. Il m’a dit aujourd’hui qu’il avait tout un arsenal de croix d’honneur : petites, moyennes, grandes, ordinaires, en diamant ; il en a pour plus de 3 ou 4 000 francs. Il m’a avoué lui-même que la bêtise humaine n’avait pas de bornes. Je suis bien obligé de convenir que M. Poulin se préoccupe plus des décorations qu’il pourrait encore obtenir que de la situation financière de la ville qui me préoccupe moi, tout particulièrement38.
Lundi 1er février 1897
45À une confidence que je lui ai faite, M. Malherbe a répondu par une autre qui ne manque pas de piquant. « Savez-vous, m’a-t-il dit, quelle demande M. Poulin a faite au Président de la République, à son voyage à Rennes ? » Impossible de deviner. « Résident à Madagascar, si M. Laroche était rappelé en France39 » ! ! !…
Mardi 2 février 1897
46Pendant l’organisation des fêtes de réception (hélas !) du Président de la République, M. le Préfet Leroux se promenant dans les rues de Rennes avec un de nos adjoints […] n’aurait pu dissimuler sa mauvaise humeur (pas de décoration pour lui) et se serait écrié : « Quel sale ministère ! [ministère Méline40] pour un rien je leur foutrais ma démission ». M. Malherbe qui m’a raconté ce petit incident, n’en pouvait croire ses oreilles. On aurait été surpris à moins.
Lendemains de fête
47La visite de Félix Faure avait été un moment d’unanimité apparente à Rennes. Les querelles reprirent aussitôt le président parti. Les adjoints qui, tous, anticipaient la démission de Poulin, tentaient de se « placer » aux dépens de leurs collègues. Dans l’atmosphère nationale d’espoir de rapprochement et d’apaisement entre l’Église et l’État, Malherbe voulut se placer comme réconciliateur, Legros et Lajat jouant la carte laïque et anticléricale dominante à Rennes depuis les lendemains du 16 mai – voire avant.
Samedi 29 août 1896
48Aujourd’hui, visite du préfet au maire à l’occasion de la mort de Daniel, victime du feu d’artifice tiré mercredi 12 août : « Mon cher maire, je marcherai avec vous ; je ferai ce que vous ferez ; je suis tout à vous. » C’est le même M. Leroux qui enlevait brutalement à M. Poulin son emploi de Trésorier Payeur Général. Ô comédie humaine !
Mardi 15 septembre 1896
49Non on n’a pas d’idée de la bêtise humaine ! La semaine dernière, vendredi ou samedi, M. Müller, le nouveau rédacteur du journal opportuniste L’Avenir, est venu trouver le maire et lui demander pour son journal une partie des insertions dont Le Petit Rennais41 a eu jusqu’ici le monopole. Je ne sais pas au juste ce que le maire lui a répondu qui ne lui a pas donné satisfaction, mais le sieur Müller qui m’est parfaitement inconnu, s’en est pris à moi et a déclaré au maire que s’il en était ainsi, il me ferait une guerre impitoyable. Quel imbécile ! […]
50M. Poulin […] tient à avoir une bonne presse à Rennes. En un mot, il ne veut pas d’affaires. Je ne crois pas qu’il puisse tenir longtemps cette ligne de conduite. Il faudra qu’il prenne position et qu’il soit ou avec le parti radical ou avec le parti opportuniste42. […]
Jeudi 6 novembre 1896
51Les commissions du conseil municipal se sont réunies hier soir pour l’étude de l’ordre du jour de la réunion de novembre. C’est une singulière situation que la mienne au sein de ces commissions. Je m’abstiens de prendre part aux discussions et Dieu sait cependant ce qui s’y commet d’erreurs et dit de bêtises. L’insuffisance et l’ignorance du plus grand nombre des conseillers municipaux sont déplorables. Ce n’est pas ni le jugement, ni le bon sens, ni même la bonne volonté qui leur font défaut, c’est l’incapacité [sic]. J’en excepte toutefois trois ou quatre. Il me prend des envies folles de répondre quand j’entends dire des choses inexactes. […]
Samedi 21 novembre 1896
52[…] Nos adjoints se chamaillent. M. Lajat traite M. Malherbe de clérical parce qu’il a autorisé la musique municipale à se joindre à l’harmonie des frères pour célébrer demain la Ste Cécile. Pensez donc, cette harmonie et la fanfare Oberthür ont répété hier dans la salle des fêtes, la ville leur a donné l’hospitalité, c’est l’abomination de la désolation. « On trahit la politique de M. Le Bastard » s’est écrié M. Lajat. Pauvre homme ! La politique de M. Le Bastard était large, ouverte, tolérante, mais elle était en même temps ferme sur les questions de principes et d’autorité. Si l’on en croit les mauvaises langues, M. Lajat devrait être le dernier à crier si haut, car il fut un temps où il rêva de créer un journal pour combattre celui qu’il croit être seul à défendre aujourd’hui.
53MM. Lajat et Legros qui fait fonction d’adjoint ont envoyé leur démission de membres honoraires de la musique municipale. La lettre de M. Legros est à citer toute entière :
Rennes 20 novembre 1896
Monsieur le Maire, Je viens d’apprendre avec étonnement, avec peine, j’ose le dire, que notre musique municipale rompant avec les traditions de neutralité qui doivent être sa règle, va se joindre au cortège de la musique des Ignorantins de la rue du Manège et unie dans un même sentiment, je suppose ? se rendra à une manifestation cléricale.
Tout en me réservant de saisir le conseil sur la question, je tiens à protester dès aujourd’hui contre cette alliance avec nos ennemis les plus irréconciliables et à déplorer cette manifestation qui blesse de la façon la plus irritante mes sentiments profondément républicains. Veuillez agréer, etc.
Legros.
54Je ne connais pas la lettre de M. Lajat mais voilà bien du tapage pour une pauvre messe !
55M. Malherbe qui est un bon garçon, franc, tout d’une pièce, est tout navré de ces algarades. Il n’est pas au bout, il aura bien d’autres désillusions. Quant à être clérical, il ne l’est certainement pas.
56En bon sceptique et en heureux parvenu, notre maire rit de ces petites misères.
Bruits de Sénat
57Poulin n’a évidemment pas la vocation de maire de Rennes. Mais un siège de sénateur lui serait agréable – et ce serait une très honorable fin de carrière pour cet ancien préfet. Le Hérissé, qui n’a pas digéré sa défaite, va reprendre en mains le milieu politique local et imposer son autorité – aux dépens de Poulin et en plaçant son propre candidat. Mais s’il est aisé pour le populiste Le Hérissé de s’imposer dans le suffrage universel, les électeurs sénatoriaux ne s’en laissent pas compter. Les notables républicains préféreront Garreau, maire de Vitré – très républicain et plus prévisible que l’ancien bras droit de Boulanger.
Lundi 24 août 1896
58Le maire ne doute pas qu’il sera un des candidats républicains aux prochaines élections sénatoriales qui doivent avoir lieu au mois de janvier43. Après avoir abandonné toutes fonctions administratives, après être tombé dans le silence et l’oubli, le maire est aujourd’hui sur la voie des honneurs. Il y a quatre mois, il a été nommé Maire de Rennes, il y a une dizaine de jours commandeur de la Légion d’honneur ; dans quelques mois il sera ou veut être sénateur. « Ce n’est point trop mal marcher pour un désabusé de la vie. »
3 novembre 1896, mardi
59M. Poulin m’a dit ce soir sous le sceau du secret le plus absolu qu’il avait réussi à empêcher la réunion publique que M. Le Hérissé avait organisé pour la fin du mois. À cette réunion qui devait être précédée d’un banquet populaire, M. Bourgeois44, ancien Président du conseil, devait exposer son programme politique et faire le procès du ministère Méline.
60M. Malherbe, adjoint, se réjouissait de cette réunion qui ne pouvait manquer de lui attirer quelques faveurs populaires. Cet échec qu’il ignore encore sera pour lui et pour M. Le Hérissé une grande déception.
61Quant au maire, il triomphe. Le coup est habile. M. Malherbe et M. Le Hérissé, sans doute, comptaient que le maire présiderait cette réunion. Ces messieurs avaient oublié que le maire a reçu la croix de commandeur des mains du ministère actuel, lors du voyage du Président de la république. Il eut été peu décent pour lui de se joindre aux adversaires du Ministère Méline.
62D’un autre côté, en n’acceptant pas la présidence, le maire risquait de s’aliéner une partie du conseil municipal.
63Il a su éviter l’écueil en manœuvrant très adroitement et en faisant agir auprès de M. Bourgeois pour qu’il renonce à son voyage. […]
64Si M. Malherbe doit être contrarié de l’échec de la réunion Bourgeois, il n’a plus à craindre, pour le moment du moins, la démission de M. Poulin. M. Malherbe m’a avoué hier la crainte qu’il éprouvait de voir M. Lajat, troisième adjoint, remplacer M. Poulin. « C’est un homme mal élevé, m’a-t-il dit, et insuffisant. Lui et Miller ne sont pas capables de dire deux mots de suite. » […].
Mardi 10 novembre 1896
65Hier, charmante petite comédie entre M. Poulin et M. Malherbe. Dimanche dernier avait eu lieu une réunion d’électeurs sénatoriaux suivie d’une réunion plus intime entre amis au café glacier. C’est là que M. Le Hérissé et M. Malherbe convinrent que M. Bourgeois ne devait pas venir à Rennes à la fin du mois.
66Hier soir, à propos d’un article du Journal de Rennes qui classait M. Poulin dans la catégorie des candidats sénatoriaux opportunistes, M. Malherbe supplia le maire de faire une petite manifestation au conseil municipal et de lui déclarer qu’il n’était pas opportuniste mais progressiste45. Très malin et ne voulant pas se compromettre, M. Poulin s’y refusa, sur quoi M. Malherbe lui déclara qu’il avait tort et que déjà il l’avait sorti d’embarras en intervenant pour que M. Bourgeois ne vînt pas à Rennes dans une réunion publique que le maire eut été contrarié de présider. À cette petite sortie, le maire et moi échangeâmes un sourire d’intelligence. « Le Hérissé a roulé Malherbe » m’a dit le maire après le départ de ce dernier. Il lui a fait accroire que sur son conseil il demanderait à Bourgeois d’ajourner sa réunion publique à Rennes46.
Jeudi 18 novembre 1896
67M. Lajat m’a confié ce soir que le candidat de M. Le Hérissé aux élections sénatoriales était M. Maugère, conseiller général, maire de Bourgbarré. Il tenait ce renseignement de M. Beillard, conseiller général, maire de Sens. Ce ne serait pas un mauvais choix ; mais que deviendra M. Poulin et qu’en pense M. Lajat, candidat à la mairie de Rennes. M. Malherbe qui ne veut pas de la candidature de M. Lajat pourra être enchanté, car M. Poulin restant maire il n’aura plus à redouter son collègue. […]
Mardi 8 décembre 1896
68Notre maire est navré ! M. Maugère conseiller général à Bourgbarré, serait le candidat proposé par M. Le Hérissé pour le Sénat et ce candidat serait accepté par M. Brice47.
69M. Poulin a voulu être trop habile, peut-être, et son habileté, son manque de décision vont le trahir. De jour en jour, du reste, son attitude vis-à-vis de M. Le Hérissé semble prendre un caractère agressif. Le Hérissé doit s’en douter. Avec M. Maugère, homme sympathique et conciliant, on parle de M. Garreau, maire de Vitré et de M. Guérin, maire de Bain. Deux parfaits inconnus !
70M. Poulin a vu hier le Préfet qui a gardé une certaine réserve vis-à-vis de lui. Quoi d’étonnant à cela ! M. Poulin candidat au Sénat eut obtenu toutes les bonnes grâces et les confidences de M. Leroux ; M. Poulin écarté ne sera bientôt plus persona grata à la Préfecture. Tel est le monde et particulièrement M. Leroux.
Mardi 5 janvier 1897
71Dimanche dernier ont eu lieu les élections sénatoriales. Deux candidats républicains ont été élus sur trois ; le 3e est M. Grivart, déjà sénateur, représentant le parti conservateur ou monarchiste. Ces élections ont été assez mouvementées, car le succès de l’une ou de l’autre liste ne dépendait que de quelques voix. MM. Garreau républicain et Grivart sont arrivés avec 577 voix, juste la majorité absolue.
72M. Maugère, le candidat préféré de M. Le Hérissé, a échoué au premier tour et s’est désisté au second en faveur de M. Garreau. Évidemment les Brice, les De Lariboisière, les Durand48 ont voté contre M. Maugère pour faire échec à Le Hérissé.
73Mon indifférence au sujet de cette élection n’a d’égale que celle que j’ai pour les ministères qui se succèdent au pouvoir. Que ce soit Méline ou Bourgeois qui veille à nos destinés, je ne vois pas en quoi notre pauvre état social se trouve amélioré. Toujours aux pauvres la besace49.
Un remplacement compliqué
74Sous la pression et déçu dans son projet sénatorial, Poulin est décidé à s’en aller. Reste que lui trouver un successeur n’est pas simple. De multiples intrigues se nouent autour de ce qui reste des opportunistes, d’hommes de droite qu’on pourrait rallier, des chrétiens démocrates. Au bout du compte, la majorité préférera garder l’un des siens en la personne de Lajat.
Vendredi 22 janvier 1897
75Aujourd’hui, M. Poulin et M. Malherbe m’exprimaient tout leur embarras sur le choix d’un candidat au conseil municipal devant remplacer M. Édouard Beaufils dont l’élection a été annulée par le conseil d’État. Je leur ai indiqué M. Charles Beaufils, père du précédent, Président de la chambre de commerce. Mon idée a été saisie au vol par ces messieurs qui séance tenante, ont fait une démarche auprès de M. Beaufils qu’ils n’ont pas rencontré50.
Samedi 23 janvier 1897
76M. Lajat a continué les démarches commencées auprès de M. Beaufils. Elles ont chance de réussir.
Jeudi 4 février 1897
77M. Beaufils a renoncé à sa candidature au conseil municipal. Il avait accepté d’être patronné par le Comité républicain radical, lui conservateur et catholique. Un peu plus il signait une profession de foi socialiste. Ne lui avait-on pas fait entrevoir la mairie, le Conseil général, la députation ou le Sénat ! Ambition, ambition ! Bêtise humaine !
78M. Beaufils restera président de la chambre de commerce. C’est un homme très connu, très estimé, mais maintenant d’une nullité complète. En terme vulgaire, il est vidé. D’ailleurs fort aimable.
79M. Blondel, avocat, professeur à la Faculté de droit, membre de la commission administrative des hospices, voudrait bien se faire élire conseiller municipal51. C’est un homme jeune, intelligent, dit-on, mais chercheur de petites bêtes, indécis, ennuyeux. MM. Miller, adjoint et Lahutte conseiller municipal, patronnent sa candidature qui a, du reste, échoué hier au Comité. Je ne sais pourquoi mais je redoute la présence de cet homme au conseil municipal et plus tard dans l’administration municipale. C’est un anticlérical enragé52. Je lui suppose un caractère désagréable. Il fit preuve, du reste, de la plus grande incapacité dans l’affaire des religieuses des Incurables53.
Vendredi 5 février 1897
80M. Paul Picard accepte la candidature au conseil municipal. Le conseil municipal se recrute [sic] d’opportunistes. On lui a fait entrevoir également la mairie et beaucoup d’autres choses. Va-t-en voir s’ils viennent Jean [sic] ! M. Picard a été élu tout récemment président de la chambre de commerce en remplacement de M. Bérard Péan une des victimes des dernières élections municipales.
Lundi 15 février 1897
81M. Paul Picard a été élu, hier, conseiller municipal par 3 947 sur 13 500 électeurs inscrits et 5 999 votants. Le candidat socialiste révolutionnaire, le citoyen Mourier, a obtenu 1 721.
82M. Picard a triomphé, mais son succès n’est pas brillant. Les électeurs se sont désintéressés de l’élection. […]
83Samedi, M. Picard avait répondu à l’appel du comité révolutionnaire qui avait organisé une réunion contradictoire publique aux Lices, qu’il ne se rendrait pas à cette invitation parce que la révolution c’était la négation de la patrie, de la société, de l’humanité. En 1789, et 1830, 1848, 187054 !
Le lot quotidien
84Il y a la politique, il y a les grands projets, et il y a aussi la gestion quotidienne, qui n’est pas la moins prenante ni la moins lourde : question récurrente du théâtre qui a bien du mal à trouver son public, gestion des hôpitaux, indélicatesses diverses à régler le mieux possible, y compris chez les adjoints au maire : voir plus loin l’affaire Miller.
Samedi 20 février 1897
85La commission municipale du théâtre réunie aujourd’hui a discuté une partie du cahier des charges de la prochaine saison.
86Le docteur Leray qui a un aussi sale caractère qu’il a peu de tact a jugé convenable de discuter, avec tout l’esprit qu’il sait toujours mettre en pareilles circonstances, le fauteuil que j’occupe gratuitement au théâtre. On ne saurait être plus sot que ce conseiller municipal qui présente toutes ses observations d’un ton rageur et presque toujours blessant. Son collègue Lehagre qui semblait opiner du bonnet, avait sans doute oublié qu’il avait fait toutes les bassesses auprès du directeur du théâtre, M. Poyard, pour avoir ses entrées gratuites et qu’il s’était conduit d’une façon ridicule dans la question des subventions supplémentaires de 6 000 francs votées au mois de janvier dernier55. […]
Vendredi 19 mars 1897
87Hier soir, séance mouvementée du conseil municipal. […]
88Le conseil avait à examiner une pétition du Comité dit de « L’Union Nationale », comité républicain catholique56 demandant que les enfants fréquentant des écoles libres, congréganistes, reçoivent les mêmes secours que ceux des écoles municipales.
89Après la lecture du rapport de M. Maleuvre concluant au rejet de la demande, M. Lahutte commença la lecture d’un petit boniment demandant qu’il fût mis un terme à l’arbitraire qui avait régné jusque-là et que tous eussent une part au gâteau municipal57. Ce sont ses propres expressions. À ces mots qui déconcertèrent le conseil municipal et les amis les plus dévoués de M. Lahutte, de longs applaudissements éclatèrent dans la salle toujours de la part de la bande de ces petits jeunes gens qui, comme le disait tout à l’heure M. Malherbe, s’affublent en femme et jouent Mlle de la Seiglière58 au théâtre de la salle Duguesclin. À ces applaudissements et avec beaucoup d’autorité et de convenances, le maire a fait évacuer la salle par le commissaire de police et nos jeunes gens s’en allèrent en criant : « Vive la liberté », « Vive M. Lahutte », « À bas le maire qui a servi tous les ministères ».
90Dans cette circonstance, notre maire a eu beaucoup d’à propos et a été très calme, très maître de lui. Tous mes compliments.
91Quant à mon ami, M. Lahutte, il a commis un impair inexplicable. Non pas que ce qu’il avait à dire fût dans le fond déplacé et déraisonnable, mais ce sont surtout les expressions dont il s’est servi qui ont été d’une inique maladresse. […]
92La pétition en elle-même est juste, mais étant données les circonstances elle ne pouvait être accueillie favorablement. Il faudrait que la politique fût impitoyablement exclue de toutes les écoles. Il n’en est pas ainsi et le parti clérical, surtout à Rennes, tend à tout envahir. Tolérant aujourd’hui il ne le serait plus le jour où il aurait pris possession du pouvoir59.
93Le conseil municipal a rejeté le principe d’une subvention à accorder au théâtre. Je crains que ce ne soit le commencement de la désorganisation de tout ce qui a été créé, non sans peine, dans l’administration de M. Le Bastard.
I. D’innocentes factures
Vendredi 22 janvier 1897
94M. Le Maire m’a fait aujourd’hui une étrange confidence. Les religieuses qui desservent l’hospice des Incurables, rue de la Santé, accusées de détournements d’objets mobiliers et autres appartenant à l’administration des hospices, se voyant menacées de scandale et peut-être de poursuites, se sont résolues à offrir à l’administration des hospices, à titre de restitution, une somme de 20 000 francs60. Ces 20000 francs ont été versés aux hospices sous la forme de don anonyme.
95Dans sa séance de ce jour, la commission administrative des hospices a dû accepter cette somme à titre de restitution. Les religieuses des Incurables sont de l’ordre des Dames du Cœur immaculé de Marie.
96C’est à la suite d’une démarche du Secrétaire Général de l’archevêché auprès du Maire que cette affaire a été arrangée et négociée comme je viens de l’écrire.
97Les détournements opérés par les religieuses et avoués ainsi par elles remonteraient à plusieurs années et se seraient continués d’année en année.
98Ces faits dénotent une grande incurie de la part de la commission des hospices et une certaine absence de sens moral de la part des religieuses. C’est M. Blondel qui était spécialement chargé de l’administration des incurables. Il ne fut pas clairvoyant.
99Le fait que je viens de relater est hors de discussion. […]
II. Une affaire d’octroi
Mardi 23 février 1897
100Hier, chamailleries entre le maire et M. Malherbe adjoint à propos des deux agents de l’octroi incarcérés d’abord et rendus à la liberté, compromis dans une fraude colossale commise par M. Pommier, négociant en fourrages et fournisseur de l’armée.
Mercredi 21 octobre 1897
101Depuis quelques jours un certain Rémiot, préposé de l’octroi révoqué au mois de juillet dernier, secondé par M. Jules Ménard, ancien négociant en fourrages61, ameutait l’opinion publique contre trois fonctionnaires qu’il accusait de concussion. Des affiches violentes furent posées en grand nombre dans la ville. M. Duhamel, préposé en chef, était violemment pris à parti.
102Hier soir, au conseil municipal réuni en séance publique, M. Malherbe, adjoint, a exécuté le sieur Rémiot en mettant sous les yeux du public son dossier administratif. Cette mesure était depuis quelques jours discutée entre le maire, MM. Malherbe et Legros, adjoints, et moi. MM. Lajat et Legros étaient opposés à cette exécution en séance publique. J’y poussais, au contraire, M. Malherbe.
103Aujourd’hui, nous sommes tous satisfaits du résultat obtenu. Ménard et Rémiot pourront continuer leurs polémiques et leurs invectives, le public est fixé sur la valeur de Rémiot, quant à M. Ménard, qui fut condamné il y a 3 ou 4 ans à six jours de prison pour coups et blessures, je crois, sa considération à Rennes est depuis longtemps perdue. C’est un homme dangereux, malfaisant, redouté.
Lundi 4 avril 1898
[…] C’est ce monsieur qui a publié un volume intitulé Traîtres et pillards et dont la vie privée a été un scandale. Il a dû divorcer d’avec sa femme et à cette occasion il s’est rendu coupable d’une incroyable infamie. Il a offert mille francs à une femme publique, ancienne maîtresse d’un monsieur B…, pour qu’elle lui écrivît une lettre déclarant qu’elle possédait une lettre de ce dernier affirmant que Mme Ménard avait été sa maîtresse. La femme publique plus honnête que Ménard a refusé ce marché et la lettre de Ménard serait entre les mains de M. Maulion, premier président62. Tel est du moins le récit que m’a fait M. Lajat qui m’a de plus raconté qu’il avait eu la preuve que Ménard, d’accord avec un officier d’administration, s’était rendu coupable de nombreuses malversations vis-à-vis de l’État lorsqu’il était fournisseur de fourrage pour l’armée. « Un jour, m’a raconté M. Lajat, M. Ménard m’a demandé que je lui remette un certain nombre de quintaux d’avoine et du fourrage qu’il devait livrer aux magasins militaires. Deux heures après que je lui eus fait cette remise il m’apportait le récépissé de ces fournitures qu’il n’avait pas faites mais qui avait servi à compléter des manquants. Il avait certainement partagé le prix de cette fourniture fictive avec l’officier d’administration. »
Et voilà l’homme qui calomnie ses concitoyens ! C’est ce même Ménard qui fut condamné à de la prison pour coups et blessures qui entraînèrent la mort, ça a été la conviction de tous, de M. Roulleau, avoué à Rennes ; c’est ce même Ménard qui dans une partie de chasse à Mi-forêt failli tuer d’un coup de bouteille sur la tête M. Hersent Coire ; qui frappa d’un coup de bouteille son frère Eugène Ménard lequel en porte toujours la trace et déclare à qui veut l’entendre que son frère n’est qu’un misérable. « Il se suicidera ou finira ses jours au bagne » m’a dit M. Lajat.
Samedi 9 avril 1898
M. Lajat pris à partie aujourd’hui dans le Coq hardi, journal de Jules Ménard, m’a confirmé le récit relaté plus haut des malversations commises par ce personnage alors qu’il était fournisseur de fourrages pour l’armée. Je me suis fait expliquer plus clairement le procédé qu’il employait à cet effet qui était le suivant : s’il avait, par exemple, 100 sacs d’avoine de 45 kilos, chacun, à fournir dans le mois, soit 4 500 kilos, il en faisait peser quelques-uns par l’officier d’administration de connivence avec lui, choisis et pesant bien 45 kilogrammes mais les autres n’en pesaient que 40 environ, si bien qu’il bénéficiait sur la totalité de 500 kilogrammes. S’il restait adjudicataire, ces 500 kilogrammes lui étaient payés directement, sinon il cédait cet excédent à d’autres fournisseurs et le tour était joué. Il se faisait aussi de beaux bénéfices ainsi que l’officier d’administration qui lorsqu’il vint à Rennes n’avait pas le sou et s’en alla ayant acheté plusieurs immeubles et après avoir roulé carrosse63.
Une confidence eut entraîné une autre : M. Lajat m’a raconté qu’en 1883, voulant se rendre adjudicataire de fournitures militaires il avait donné 2 000 francs à chacun de ses neufs concurrents, soit 18 000 francs pour qu’ils fissent un rabais plus élevé que le sien64 ; et la fourniture lui resta avec laquelle il gagna, m’a-t-il dit, une soixantaine de 1 000 francs. Il y a à ce sujet l’article 412 du code pénal. « Oui mais il y a prescription, m’a dit Lajat » […].
Mardi 23 février 1897
104M. Malherbe ayant demandé sur un ton vif au maire s’il allait insister auprès du Préfet pour obtenir la révocation de Souhil et Rémiot65, M. Poulin a répondu qu’il n’en ferait rien et que le préfet savait ce qu’il devait faire. M. Malherbe a ajouté que cette affaire était, du reste, de la compétence de M. Lajat, son collègue. Ce à quoi M. Poulin a réparti vivement qu’on lui avait fait signer un arrêté imbécile au sujet de la répartition des services entre MM. les adjoints et lui.
105M. Malherbe furieux a préparé une lettre déclarant au maire que, dorénavant, il ne ferait plus aucun service à la mairie. Il espère faire signer pareille déclaration à MM. Miller et Lajat.
106J’écoute les confidences des uns et des autres et je constate avec regret que la raison et le sang-froid sont ce qu’il y a de moins commun dans les rapports entre eux de ces messieurs. Aucun, du reste, ne domine les autres par l’élévation de son caractère et sa connaissance des affaires. M. Malherbe est certainement le plus instruit, le plus compétent mais il me paraît manquer un peu de jugement. De plus il parle souvent sur un ton agressif. Il en a été de même de M. Lajat à l’égard du maire en plusieurs circonstances.
107Et moi je suis obligé de manœuvrer assez habilement au milieu de tout ce monde pour éviter de froisser les uns et les autres et en m’efforçant de faire de la conciliation. […]
Mercredi 24 février 1897
108Demain, le maire réunit les trois adjoints pour s’expliquer avec eux sur l’incident Malherbe. […]
Vendredi 5 mars 1897
109La réunion du maire et des trois adjoints n’a pas eu lieu : il y a eu, disent ces derniers, malentendu. Je crois que M. Malherbe a voulu éviter un entretien avec le maire. MM. Miller et Lajat ne le suivent pas dans sa ligne de conduite : ils conserveront leurs attributions. […]
10 mars 1897
110Hier, M. Malherbe, adjoint, m’a fait part de ses ennuis et de son découragement. Il attendait M. Le Hérissé qui n’est point venu. Il a formé un petit comité décidé à acheter le Petit Rennais. Il ne veut pas reprendre ses relations administratives avec le maire. Il est mécontent de tous ses collègues qu’il trouve insuffisants pour ne pas dire sots. Il n’a d’estime que pour M. Lajat et encore ! Je lui ai fait un peu de morale, je l’ai encouragé sans toutefois lui dissimuler que la vie publique, que la politique sont des sources de déboire, de désenchantements et que la lutte laisse beaucoup d’amertume. Je lui ai cité l’exemple de M. Le Bastard qui avait une grande énergie et une volonté de fer et qui n’éprouva que des déceptions et se retira du Sénat profondément écœuré.
111Remplir tout son devoir est souvent la cause d’ennuis, de froissements, mais c’est encore ce qui satisfait le plus la conscience et la raison. Faites votre devoir sans morgue même vis-à-vis de vos adversaires et moquez-vous du reste66 !
III. Un adjoint concussionnaire ?
Mardi 23 mars 1897
112[…] M. Miller, […] est en ce moment accusé d’avoir accepté une remise de 10 % sur une fourniture de stores faite aux hospices. La commission des hospices s’est réunie samedi pour entendre ses explications qui ont manqué de netteté. M. Miller a offert de se justifier plus complètement.
113Ce n’est pas la première fois qu’une pareille accusation est portée contre M. Miller. Déjà à l’occasion du voyage du Président de la République, l’année dernière, il a été soupçonné d’avoir reçu des remises pour les fournitures faites par M. Piette-Ecorchard, tapissier, et pour les installations de M. Denis Ulysse, entrepreneur.
114M. Ymonet, directeur du gaz, que j’ai vu dimanche m’a affirmé que M. Rochon, président de l’Union du commerce, avait en mains les preuves de l’accusation portée contre M. Miller au sujet des hospices. M. Miller a 25 000 francs de rente et il s’agissait d’un bénéfice de 40 francs, dit-on. M. Miller est resté commerçant et ma conviction est qu’il a agi inconsciemment, ne se doutant pas qu’il commettait un acte répréhensible. Il a trouvé à gagner quelques francs et en homme d’affaires expérimenté il n’a pas trouvé mauvais de laisser passer cette petite aubaine67. Je le crois honnête mais un peu borné. Attendons.
Jeudi 1er avril 1897
115L’affaire Miller se gâte. La presse fait campagne contre lui et ses collègues paraissent l’abandonner. Ils désirent sa démission.
116Le maire retenu chez lui depuis dimanche par une grippe, m’a paru aujourd’hui très impatient de recevoir cette démission. Il m’a dit que le Préfet l’attendait également avec impatience.
Lundi 5 avril 1897
117Le maire m’a répété aujourd’hui ce qu’il m’avait dit il y a quelques jours : la commission administrative des hospices68 a exécuté M. Miller et refuse de siéger désormais avec lui.
118M. Le Chartier, avocat, vice-président de la commission a été fort surpris d’apprendre que M. Miller allait partout disant que la commission n’attachait aucune importance aux faits qui lui étaient reprochés. M. Le Chartier a déclaré au maire que M. Miller était sans excuse et qu’il était considéré comme démissionnaire.
119Par contre, M. Miller fait savoir, chaque fois que l’occasion se présente, qu’il ne donnera pas sa démission d’adjoint, qu’il restera jusqu’au bout. C’est très bien, mais quelle autorité peut-il avoir sur le personnel et aux yeux d’un public peu enclin à l’indulgence. […]
Dimanche 18 avril 1897, Pâques
120Samedi 10 avril à six heures, M. Miller a remis à M. le maire sa démission d’adjoint datée du 20 mars. Cette démission a été immédiatement adressée à M. le Préfet en le priant de l’accepter. M. le Préfet a répondu quelques instants après qu’il l’acceptait. À 8 heures le conseil municipal réuni en commission était avisé de ces décisions et séance tenante il procédait au remplacement de M. Miller, sauf ratification en séance publique. M. Legros a obtenu l’unanimité des voix moins la sienne.
121Dans la séance publique du jeudi 14 avril, le conseil municipal a confirmé ce choix.
122M. Miller a donc été exécuté. […]
123Le 11 avril, M. Miller a remis, de plus, sa démission de conseiller municipal à M. le maire. Depuis il a voulu la retirer, mais le maire n’a pas jugé à propos de la lui rendre. […]
M. Miller69
Riche et avare, barbe hirsute, habits malpropres, tachés, dégoûtants. Marie bien ses enfants. Sa parole est onctueuse ; il a la bosse du commerce ; à preuve, c’est que comme membre de la commission administrative des hospices il sut se faire l’intermédiaire d’un fabricant de stores pour l’Hôtel-dieu et en tirer un certain profit. Ses collègues de la commission des hospices l’exécutèrent et il rentra dans la vie privée. Il ne fut certainement pas atteint dans son honneur par cette mesure radicale. Il aurait volontiers sacrifié les intérêts généraux à ses intérêts particuliers. À preuve encore : le terrain sur lequel est construite l’École pratique d’industrie était autrefois à vendre et l’administration municipale y avait fait placer un écriteau. Comme les maisons construites sur ce terrain pouvaient nuire à la sienne, un beau jour il fit enlever l’écriteau qu’on ne revit plus. N’étant plus conseiller municipal il ne put faire obstacle à la construction de l’École pratique d’industrie, sur le boulevard Laënnec70. […]
J’eus quelques ennuis avec lui, mais nous ne nous en gardions pas rancune. Lorsqu’il m’écrivait il terminait par : « Recevez, monsieur l’assurance de ma considération71 » comme à un cocher de fiacre. Ce n’était pas méchanceté, c’était bêtise, manque d’éducation.
Fut de la liste Le Bastard en 1889.
Il devint, par la force des choses, premier adjoint au maire. Lorsqu’il était modeste employé de l’octroi72 de Rennes, il n’avait jamais pensé que tant d’honneurs lui seraient dévolus un jour. Il fut également tapissier dans la rue de Montfort et était, dit-on, assez habile dans son métier. Il fait construire, pour son compte, des maisons et exécute lui-même les menus travaux de menuiserie, de serrurerie, etc. c’est un laborieux
Je lui suis toujours reconnaissant de m’avoir un jour – dans les premières années de mon arrivée à Rennes – offert spontanément à Saint-Malo les clés de sa villa « Les Reines » à St-Lunaire pour m’y installer avec tous les miens.
IV. Pendant ce temps…
Jeudi 8 avril 1897
124Aujourd’hui, la commission du théâtre s’est réunie pour discuter diverses questions à l’ordre du jour. On ne saurait imaginer des discussions plus grotesques entre hommes d’une parfaite nullité, à l’exception de quelques-uns73. Je suis sorti de là, navré, irrité. Poyard est toujours la bête noire de ces bonshommes dont quelques-uns ont fait des bassesses presque pour avoir leurs entrées gratuites au théâtre pendant cette dernière saison.
125M. Laurent qui souriait de la bêtise de M. Lehagre, a failli en venir aux mains avec son collègue. M. Sacher continue à pontifier et à se préoccuper de ce que penseront les électeurs. M. Lajat qui ne perd jamais l’occasion de critiquer M. Malherbe qu’il accuse de visées ambitieuses, a raisonné ce soir comme un vulgaire épicier. M. le Maire continue, lui, à ne pas se compromettre par des actes de volonté. Il n’a pas d’opinions et il se borne à mettre aux voix celles de ses collègues74.
Le Hérissé contre Poulin
126Le Hérissé est désormais franchement en opposition au gouvernement Méline. À ce point que le successeur de Leroux, Duréault, sera envoyé à Rennes pour tenter de le faire chuter (en pure perte). En attendant, le bouillant ancien bras droit de Boulanger est décidé à se débarrasser de Poulin, trop ministériel à son goût. Le Hérissé n’a pas encore fait son choix entre les adjoints. On peut penser que l’élection de Lajat lui conviendra fort bien.
Mardi 23 mars 1897
127M. Le Hérissé était à Rennes hier. M. Lajat m’a dit cet après-midi que notre député allait, d’accord avec M. Malherbe, commencer une campagne contre le maire et contre M. Miller. Leur intention serait d’obliger M. Poulin à quitter la mairie. L’attitude un peu équivoque du maire au point de vue politique leur déplaît. À ce point de vue, j’avoue que M. Poulin est resté par trop fonctionnaire ayant servi tous les régimes. Sceptique, il l’est profondément.
128M. Lajat a déclaré à M. Le Hérissé qu’il ne voulait pas de la mairie et qu’il se souciait peu d’avoir M. Malherbe comme maire : il ne resterait pas adjoint avec lui.
Mardi 1er juin 1897
129Les quelques incidents qui viennent de se passer à la mairie et qui ne peuvent que s’aggraver ne sont pas de nature à changer la face du monde, mais ils sont la preuve de la malignité et de la mauvaise foi des hommes, lorsque surtout la politique vient se fourrer dans les choses les plus simples.
130Le concours agricole régional a été ouvert dimanche dernier et l’exposition des Beaux-arts et de l’industrie le jeudi 6 mai. Depuis il n’est question que d’inviter un ministre à venir se faire acclamer à Rennes. Le Préfet et la Maire ont donc fait une démarche à Paris et se sont rendus auprès de M. Méline mercredi dernier. Ils étaient accompagnés de M. Beaufils75, Président de l’exposition. M. Méline s’est excusé mais a presque promis à ces messieurs que l’un de ses collègues se rendrait à Rennes76 : ce serait ou Turel77 ou Boucher78, à moins que ce soit Rambaud79 ou Lebon80, peut être Cochery81.
131Ces messieurs sont rentrés à Rennes jeudi.
132Aussitôt le conseil municipal a été convoqué en séance privée pour hier lundi afin de voter le crédit nécessaire à la réception ministérielle.
133Mais voilà ! Le Préfet s’est servi de l’intermédiaire de M. Brice, député, adversaire acharné de M. Le Hérissé, pour obtenir une audience de M. Méline82. D’où fureur de M. Le Hérissé. De plus, ce dernier s’est plaint bruyamment dans la cour du ministère de l’agriculture d’avoir été convoqué pour neuf heures et demie du matin alors que la visite du Président du conseil était fixée à neuf heures. Ces messieurs sortaient de l’entrevue lorsque le député de Rennes s’est présenté. Une vive altercation a eu lieu entre ce dernier et M. Brice. Le Préfet s’est interposé et en multipliant les « chers députés » il a ramené un peu de calme dans l’esprit de ces messieurs.
134Il n’en est pas moins vrai que Le Hérissé est très monté contre le maire et que la division ne tardera pas à se mettre au camp d’Agramant83.
Mardi 15 juin 1897
135Ce matin, le maire m’a fait appeler pour me dire qu’il avait adressé sa démission de maire et de conseiller municipal au Préfet.
136Je lui ai déclaré que je m’attendais à cette nouvelle et qu’à sa place j’en eusse fait autant. Il est certain que depuis quelques jours sa situation devenait de plus en plus difficile. La majorité un peu avancée du conseil municipal, amie de M. Le Hérissé et par conséquent adversaire du ministère actuel, n’a pas voulu lui pardonner sa démarche auprès du Président du conseil pour inviter un ministre à assister aux fêtes de Rennes. Évidemment le maire a commis une faute en ne pressentant [sic] pas le conseil sur cette démarche faite avec le préfet. Mais il y a les circonstances atténuantes puisque toute la population semblait demander la présence d’un ministre pour faire aller le commerce. Pas de ministre, pas d’étrangers, pas d’étrangers, pas d’affaires. Si les ministres s’imaginent que c’est pour leurs beaux yeux qu’ils sont invités à honorer de leur présence84 les fêtes municipales, ils se trompent.
137Quoi qu’il en soit, le maire n’a pas obtenu sans difficultés le crédit de 4 000 francs pour la réception du ministre. En séance privée la majorité a été très faible : M. Lajat, adjoint, a voté pour et M. Malherbe, autre adjoint, contre. Le surlendemain en séance publique le crédit a été voté : M. Lajat a voté contre et M. Malherbe pour. Voilà ce qu’on peut appeler de la persistance dans les idées. Le préfet avait retourné M. Malherbe ; quant à M. Lajat il a cru se rendre populaire85 et que le conseil municipal le suivrait.
138Le ministre des finances86 est venu à Rennes le samedi soir, 5 juin et est reparti le lendemain dimanche. La réception a été cordiale.
139Cette visite a donné lieu à un nouvel incident qui a fini par tout gâter.
140M. le maire a reçu la croix de chevalier du Mérite agricole et M. Lajat qui la désirait a obtenu les Palmes académiques. D’une façon générale cette nouvelle récompense honorifique accordée à M. Poulin a été mal accueillie ; on a trouvé le maire ridicule87.
141Il déclare qu’il n’a fait aucune démarche pour l’obtenir. J’ai peine à le croire. Il la désirait et il n’est pas douteux pour moi que sans insister il a su faire comprendre adroitement qu’il ne serait point insensible à cette nouvelle faveur.
142J’avoue que j’ai été profondément surpris et même mécontent, car cette récompense honorifique devait être accordée à M. Blin, ingénieur de nos services de voirie, qui fut sur le point de ne recevoir aucune distinction88. Cet égoïsme me révolta, je le trouvai odieux. Je n’eus pas le courage de féliciter le maire. Cependant quelques jours après je réunis les chefs de bureau et nous allâmes lui adresser nos compliments. En les lui faisant je mentais et ma conscience protestait. Ce fut presque un sentiment de pitié qui me décida à faire cet acte de courtoisie, car je me rendais compte que le maire recevait peu de compliments89.
143Le dimanche soir 6 juin au café glacier, j’entends M. Mainguené90, conseiller municipal ouvrier un peu influent et assez pondéré, dire à M. Le Hérissé : nous en avons assez du maire, il faut que cela finisse ; le plus tôt sera le meilleur.
144Les incidents de la séance privée d’hier, du conseil municipal, ne sont que la conséquence de cet état d’esprit des conseillers municipaux. […]
145Je regretterai M. Poulin qui n’est pas sans avoir eu quelques faiblesses et qui a la monomanie du ruban, mais qui n’en est moins un homme conciliant, bien élevé et ne manquant pas d’à-propos. Je lui reproche surtout sa paresse et son absence, par principe, d’opinion ou d’avis dans les affaires qu’il avait à soumettre au conseil municipal. Il n’avait aucune espèce de confiance dans le savoir et le caractère de ses adjoints et il me fallait naviguer entre tous pour mener à bien quand même la machine administrative. Quant aux adjoints ils ne lui pardonnaient pas de les considérer comme de vulgaires conseillers de préfecture. […]
Mercredi 16 juin 1897
146Le Préfet a engagé le maire à ne pas donner suite à sa démission en lui faisant remarquer qu’elle aurait un fâcheux effet, quelques jours seulement après la visite du ministre des finances.
147Le Préfet lui a demandé de rester à la mairie tout au moins jusqu’à l’époque de son changement91 qu’il prévoit dans un délai d’un mois environ.
148M. le maire m’a fait part de ses perplexités dans l’après-midi. Il m’a, du reste, ajouté que son départ serait considéré par le Préfet comme un succès de la partie radicale du conseil municipal. Je n’ai pas caché au maire que je ne croyais guère possible son maintien à la tête de l’administration municipale. Je lui ai donné le conseil de ne pas assister à la séance qui avait lieu le soir, de rester un mois sans paraître à la mairie et de maintenir ensuite sa démission. Il a quitté aussitôt son cabinet et est rentré chez lui, mais avant il m’a raconté comment M. Le Hérissé était intervenu auprès des ministres pour faire obtenir les Palmes académiques à M. Blin. Cette histoire de la décoration de M. Blin a beaucoup fait parler d’elle.
149Sur mes instances, le maire a demandé pour M. Blin le Mérite agricole. A-t-il, verbalement, appuyé chaudement cette demande, c’est ce que j’ignore et ce dont peutêtre je douterais, sachant qu’il convoitait lui-même cette décoration, lui, commandeur de la légion d’honneur.
150Toujours est-il que M. Blin fut informé par la mairie qu’à son plus grand regret il n’avait pu lui faire obtenir la croix de chevalier du mérite agricole déjà demandée pour M. Lajat, adjoint.
151Quelle ne fut pas la surprise de tous, lorsque, à la réception officielle du ministre, le dimanche matin, cette croix fut remise au maire, M. Lajat ayant les palmes académiques et M. Blin n’obtenant rien.
152Mais quelle ne fut pas la surprise du maire lorsqu’il apprit dans l’après-midi que ce dernier recevait les palmes académiques.
153Ce fut une dernière démarche tentée auprès du ministère, après les réceptions officielles, par M. Le Hérissé qui amena ce résultat. Notre député demanda cette récompense à titre personnel. Elle lui fut accordée gracieusement.
154Conclusion : le maire n’avait rien fait en faveur de M. Blin et une simple démarche de M. Le Hérissé avait suffi. […]
155Je n’eus garde de cacher au maire ces détails ; je me fis, au contraire, un malin plaisir de les lui raconter pour deviner, si possible, s’il avait quelques reproches à se faire à ce sujet. Je ne pus rien deviner et même le maire crut un instant que c’était grâce à lui que M. Blin avait reçu les palmes académiques et il fut très étonné que ce dernier ne le remerciât pas lorsqu’il lui fit une visite pour le féliciter sur son mérite agricole.
156Il voulut savoir du Préfet si la démarche de M. Le Hérissé était réelle et si elle avait eu le résultat connu de tous.
157Le Préfet lui répondit qu’effectivement il avait conseillé à M. Le Hérissé de tenter cette dernière démarche qui avait abouti, et qu’en lui donnant ce conseil et le ministre en lui accordant ce qu’il demandait ils avaient roulé le député en l’obligeant et voulu le compromettre. N’est-ce pas charmant ce machiavélisme pour une chose aussi futile92 ?
Vendredi, 18 juin 1897
158Mercredi, j’ai fait une démarche auprès du maire et j’ai cherché à le persuader qu’il pouvait donner une démission de maire mais qu’il devait rester conseiller municipal, sauf à ne plus paraître. […] Finalement, il a consenti à tout et il restera conseiller municipal si le conseil et les adjoints ne lui créent pas d’ennuis jusqu’au moment où sa démission de maire sera définitive. Je lui ai dit notamment que la cause principale de la décision, c’était qu’il allait à droite tandis que le conseil municipal allait à gauche politiquement parlant93 ; que le conseil était mécontent de ce que M. Brice avait servi d’intermédiaire pour l’audience demandée au Président du conseil des ministres par le Préfet ; qu’il était froissé de ce que le maire avait fait cette invitation sans l’en avoir avisé.
159Je ne lui ai pas dit que le conseil municipal avait été en outre très blessé de ce qu’il s’était fait décerner le mérite agricole au détriment de M. Lajat et de M. Blin et que certains lui reprochaient d’attirer à la mairie des p… qu’il payait avec les 5 000 francs qui lui sont alloués pour secours.
160Des filles galantes, peut-être ; avec les 5 000 francs jamais. M. Poulin a toujours payé largement de sa poche94.
La succession de Poulin
161Éloigner Poulin de la mairie est une chose ; lui trouver un successeur en est une autre. Lajat est-il l’homme de la situation ? Sacher, qui sait tout, colporte sur son compte de vilaines rumeurs. Le « bonhomme Sacher », populaire à Rennes, voudrait pousser le jeune Malherbe à prendre le fauteuil de maire. Celui-ci manifeste sa réticence, peut-être parce qu’il a des projets plus ambitieux et qu’il attend que se décante une situation encore très embrouillée. Bien qu’il n’aime pas Lajat, Vadot en a les confidences et rapporte sa conquête de la mairie.
Lundi 21 juin 1897
162M. Lajat redoute M. Malherbe, qui, paraît-il, ne dissimule plus ses intentions de succéder à M. Poulin et qui déjà agit dans ce but auprès de ses collègues du conseil municipal. […]
Samedi 26 juin 1897
163Mercredi dernier, j’ai eu une longue conversation, au jardin, avec M. Sacher sur la crise municipale. M. Sacher, le premier élu de la cité, veut faire croire qu’il est l’homme franc par excellence. Il a toujours l’air cependant d’avoir quelques pensées de derrière la tête. Tout en faisant des confidences, il semble toujours en tenir quelques-unes en réserve. Il a engagé M. Malherbe à ne pas poser sa candidature à la mairie de Rennes. En ce qui concerne M. Lajat, il voit de sérieux inconvénients à sa candidature. Des bruits fâcheux, m’a-t-il dit, circulent sur son compte dans quelques ateliers. « Capitaine pendule » est le surnom que lui donneraient un certain nombre de ses anciens compagnons d’armes, pendant la guerre de 1870-1871. Comme ils étaient cantonnés aux environs de Paris, M. Lajat aurait entraîné ses hommes à piller une villa et il aurait fait une rafle de pendules et d’autres objets qu’il aurait envoyés à Rennes ou à Paris. Il aurait même été jusqu’à menacer un de ses hommes de le faire fusiller s’il ne se livrait pas à cette petite opération imitée du palais d’été à Pékin pendant la campagne de Chine à laquelle prit part notre adjoint95. Il y a aussi, m’a dit M. Sacher, de vilaines histoires sur Madame Lajat et la banque Malraison96 qui a fait faillite, il y a plusieurs années.
164Sans ajouter foi à ces racontars, je n’en conclus pas moins qu’il faut avoir les mains propres pour entrer dans la vie publique.
165Hier, M. Malherbe m’a déclaré qu’il ne poserait pas sa candidature à la mairie et qu’il laissait la place à M. Lajat « qui n’est pas un aigle tant s’en faut, m’a-t-il dit, mais qui est sûr au point de vue politique ». Sûr pour le moment du moins, sans doute, mais il ne faut pas oublier que M. Lajat qui témoigne beaucoup d’admiration pour M. Le Bastard, sa politique et celle de Le Hérissé fut sur le point, à un moment donné, de fonder un journal pour combattre M. Le Bastard.
166Depuis quelques jours, petite campagne dans L’Avenir et les journaux conservateurs en faveur de M. Poulin97. Le Journal de Rennes et le Courrier Breton d’aujourd’hui ont publié un article duquel j’extrais ce qui suit : « M. Poulin est un homme courtois, il a une compétence financière et administrative que tout le monde reconnaît. Les finances municipales sont en déficit par suite du désordre et des gaspillages de la précédente administration. On espérait que M. Poulin aurait assez d’énergie pour réformer des abus et rétablir l’équilibre du budget. »
167N’en déplaise au Journal de Rennes, M. Poulin est l’homme courtois par excellence, mais sa compétence financière et administrative n’égale pas celle du vieux papa Morcel. […] Quant au désordre et au gaspillage, c’est article de journaliste, rien de plus.
168[…] M. Lajat et M. Malherbe sont d’accord. M. Lajat prendra la mairie et M. Malherbe fera campagne en sa faveur. C’est la solution que je désirais98. […]
Mardi 29 juin 1897
169Le maire a vu dimanche le Préfet toujours en villégiature à la Glaitière. Le Préfet ne veut rien entendre de sa démission jusqu’à son départ fixé au 21 juillet au plus tard. Le maire lui a promis de faire tout ce qui dépendra de lui pour rester jusqu’à cette date.
170Hier soir, le conseil municipal était réuni en séance privée. Je m’attendais à quelques questions posées à M. Lajat qui présidait, au sujet de la démission du maire. Rien. Le conseil m’a paru être très indifférent à cette détermination du maire à qui j’ai fait part de mon impression aujourd’hui. Décidément ceux qui pourraient le soutenir me paraissent l’abandonner. […]
Vendredi 23 juillet 1897
171Fait visite aujourd’hui à M. Poulin, non encore démissionnaire. Il m’a dit que sa démission comme maire serait adressée au Préfet le 25.
172M. Priou, ancien principal du collège, conseiller municipal faisant fonction d’adjoint, après avoir brûlé de l’encens sous le nez de M. Poulin, le critique à tort et à travers et ne s’explique pas que « ce bonhomme n’ait pas encore donné sa démission ». Ce sont ses propres expressions et c’est aujourd’hui que je les lui ai entendues prononcer. Une pareille attitude est plus que de l’inconvenance. […]
Lundi 7 février 1898
La lettre ci-dessous99 peint assez fidèlement les faits dont j’ai été le témoin. Je la cite avec quelques annotations […] :
« Notre ami M. Cary100 nous adresse la lettre suivante que nous nous faisons un devoir d’insérer
Monsieur le directeur de L’Écho de l’Ouest, à la suite d’une note du journal Le Petit Rennais annonçant à ses lecteurs la démission de M. Poulin, alors maire de Rennes, vous aviez bien voulu publier dans L’Écho de l’Ouest du 11 juillet dernier, quelques appréciations qui m’avaient été suggérées par cette démission. Je disais alors, à propos des agissements de certains politiciens qui faisaient et font encore, à tort et à travers, la pluie et le beau temps au sein du conseil municipal, que la démocratie rennaise verrait avec regret son premier magistrat résigner des fonctions qu’il remplissait avec modération, expérience et esprit d’économie. [M. Poulin s’occupait très peu de ses fonctions. Tout travail et toutes préoccupations lui étaient à charge]. Or, dans votre journal du 16 janvier, on lit un article sur M. Poulin dont je ne m’explique pas bien la vivacité et que vous n’eussiez sans doute pas écrit si vous aviez connu les véritables dessous de sa démission. Je constate volontiers qu’il vous était bien difficile sinon impossible de connaître ces misères mais comme il m’a été donné d’en percer le mystère, je demeure persuadé que votre impartialité bien établie aidant, vous voudrez bien me permettre, dans l’intérêt de la vérité, d’exposer le rôle joué par les uns et les autres en cette affaire et de rendre à chacun ce qui lui appartient. Comme vous le savez et comme tous le savent à Rennes, M. Poulin, par un arrêté, avait précisé les attributions des adjoints et du délégué. MM. les adjoints et en particulier MM. Lajat et Malherbe ne tardèrent pas à s’embusquer dans ces attributions comme dans un repaire. [Ces messieurs se renfermaient dans leurs attributions mais ne tenaient pas assez compte de l’autorité du maire sur toutes les affaires, même déléguées]. Les intérêts généraux de notre ville, la sage conduite de l’administration, l’harmonie si nécessaire entre les édiles chargés de concourir au bien commun, que leur importait tout cela ; ce qu’il fallait, c’était faire pièce à M. Poulin que l’on trouvait sans doute trop modéré, trop économe, qui, en un mot, défendait trop sincèrement les véritables intérêts des contribuables. [Les intérêts des contribuables étaient le cadet des soucis de M. Poulin]. Il fallait enfin lasser un maire devenu importun et l’obliger à céder une place que l’on convoitait. Pour atteindre plus sûrement ce but, ces fantaisistes administrateurs taillèrent et tranchèrent toutes les questions sans en référer à M. Poulin ainsi que l’exigeait la déférence due au premier magistrat de la cité autant que leur devoir. [Les questions qui étaient dans leurs attributions]. Bientôt ces empiétements devinrent intolérables et à des observations courtoisement présentées on répondit sans égard [écrit exact, M. Lajat s’est montré souvent injuste à l’égard du maire] : l’administration était devenue impossible, l’anarchie régnait dans la direction, M. Poulin aurait voulu réagir mais les meneurs s’étaient assurés la majorité du conseil ; dans ces conditions, en présence de la morosité et de l’opposition systématique qu’il rencontrait, sans appui suffisant, le maire n’avait plus qu’à se retirer, ce qu’il fit. [M. Poulin manquait d’autorité et ne savait s’imposer à ses collègues, parce qu’il ne travaillait pas assez par lui-même. C’était presque un incapable101]. Il aurait pu, je n’en disconviens pas, saisir l’opinion publique des difficultés qui lui étaient suscitées, de la situation inextricable qui lui était faite, mais c’était jeter le conseil sur le carreau. Il préféra se sacrifier et partit. Voilà M. le Directeur, la vérité sur cette démission dont les causes, je le répète, étaient demeurées insoupçonnées de beaucoup et de vous entr’autre [sic]. Mieux informé, vous estimerez, j’en suis convaincu, que le départ de M. Poulin s’expliquait et que l’on ne saurait désormais lui en faire grief. Recevez monsieur… E. Cary. »
Vendredi 18 septembre 1903102
M. Poulin
173Nature bien complexe. […] C’est un homme aimable, des plus courtois, on ne peut plus entreprenants avec les dames. Fit de son cabinet à la mairie un petit boudoir où il se montrait fort galant. […]
174Il n’aimait pas à s’occuper des affaires municipales excepté lorsqu’il y avait quelque honneur à en retirer, et le plus souvent il arrivait au conseil municipal sans avoir aucune connaissance des dossiers. Il tombait des nues lorsqu’on lui posait des questions qui cependant n’auraient pas dû le surprendre. […]
175M. Lajat le remplaça le 2 août 1897 et eut le courage103 dans son discours d’installation, d’adresser à M. Poulin l’expression du sympathique souvenir du conseil et de le remercier de la marque d’estime qu’il avait pour ses collègues en restant au conseil municipal. Le tour avait été habilement joué.
176M. Poulin se retira gentiment et depuis il vit en solitaire, au milieu de ses collections, dans un bel hôtel du boulevard Sévigné104. De temps à autre, on le voit passer comme une ombre, rasant les murs, fuyant ses anciens amis, comme s’il allait à des rendez-vous mystérieux.
Notes de bas de page
1 Sur Méline : G. Lachapelle, 1928.
2 J. Méline, 1905.
3 Jean-Baptiste Poulin (1829-1921), né à Perpignan, bachelier, entra au ministère de l’Intérieur en 1853, vraisemblablement sous la protection de Persigny. Sous-préfet de Barcelonnette en 1863, puis dans de nombreux autres postes, il devint préfet des Basse-Alpes en 1876. Le 16 mai lui valut – en toute conscience ou à son corps défendant, on ne sait – un brevet de républicanisme, cadrant d’ailleurs assez bien avec son passé bonapartiste « populaire » style Persigny. En disponibilité le 19 mai 1877, il fut réintégré comme préfet de la Manche le 18 décembre de la même année, après la victoire républicaine. Le 22 janvier 1880, il devenait trésorier-payeur général d’Ille-et-Vilaine, département où il n’avait aucune attache bien qu’il ait occupé plusieurs postes en Bretagne. Le 16 mai 1890, Leroux le poussait sans ménagements à la retraite [AN, F1b I 170/23].
4 Poulin était riche.
5 Depuis la loi du 28 mars 1882 [loi préparatoire à celle de 1884 au même titre que celle du 5 avril 1882 qui supprime l’intervention des « plus imposés » au sein du conseil municipal] le maire est bien et d’abord un élu, même s’il a des attributions déléguées de l’État. Mais Poulin, ancien préfet, respecte les préfets.
6 L’expression est faible.
7 Leroux reprochait à Poulin de ne pas soutenir la préfecture dans son combat contre Le Bastard.
8 Paul Bayard de la Vingtrie (1846-1900), sculpteur à la mode d’alors. Ses statuettes en terre ou en bronze se négocient encore (2007) autour de 1 000 à 1 500 €.
9 Cahier annexe.
10 Gaston Édouard Tharsille [sic] Malherbe, né à Caen en 1869, admissible (et non admis) à l’École normale supérieure en 1889, est l’un des plus antidreyfusards du conseil « national-radical » élu en 1896, et donc anti-maçonnique. Sur la révélation de son initiation maçonnique et ses conséquences, voir chap. 9.
11 Avocat, républicain, Vadot le trouvait faux et grossier, mais intelligent. Rescapé du naufrage électoral, il fit de l’opposition à Pinault et à la majorité de droite après 1900.
12 Le propos est exagéré. Les qualités manœuvrières de Vadot sont réelles, mais dans l’opposition après 1900 ou de nouveau dans la majorité après 1908, Malapert reste la bête noire du secrétaire général.
13 Il s’agit du maire de 1903 : Pinault. Leray, réélu en 1900, et Malapert, siègent alors dans l’opposition municipale.
14 Elles le sont devenues en 1903.
15 Leray comptait plusieurs prêtres et missionnaires dans sa parentèle.
16 Le Bloc des Gauches, les combistes. On est alors au plus fort de la politique anticléricale du « petit père ».
17 C’est mal comprendre Le Hérissé.
18 ADIV, 99 J : fonds de la CSMF (débuts du syndicalisme médical en Ille-et-Vilaine au XXe siècle).
19 Fondée en 1900, l’œuvre s’inspire de devancières, dont celle de Fécamp créée en 1894 par le Dr Léon Dufour. Sa mission était de compléter ou de se substituer à l’alimentation au sein qu’une mère ne pouvait prodiguer, pour motifs sociaux, professionnels ou médicaux. Une vingtaine d’enfants bénéficiaient de ce dispositif en 1901. C’est peu pour une ville de 75 000 habitants. Mais dès 1909, le budget de l’œuvre triple [AMR, 5 Q 20 et 21]. Son bal annuel était soutenu par la préfecture [E. Delahaye, 1946].
20 Sur Vadot et la franc-maçonnerie, voir chap. 4.
21 Sur Louis Pernot, voir chap. 9.
22 Pierre Legros, né à Dinan (1857), il soutient sa thèse de droit à Rennes en 1879 [information P. Harismendy].
23 Legros et Le Hérissé sont du même bord politique, mais le second est trop imprévisible aux yeux du premier.
24 Au XIXe siècle, les théâtres provinciaux sont placés en concession, contre un important cautionnement (5 000 francs à Rennes). Les directeurs, jonglant entre de maigres subventions municipales et des recettes aléatoires (exigence du public cultivé mais restreint, volatilité des auditeurs populaires) doivent garantir les programmations et rétribuer directement les artistes. Ils restent peu en place créant un marché presque national de directeurs [AMR, 3 R 1, 3 R 4]. La longévité de Traverso, en 1903-1907, est exceptionnelle [AMR, 3 R 32].
25 Donné démissionnaire du théâtre de Nîmes, le 16 décembre 1904 [G. Mathon, 2006].
26 Cahier n° 1.
27 Félix Faure (1841-1899), négociant en cuirs, député républicain opportuniste de la Seine-Inférieure en 1881, plusieurs fois ministre, remplace Jean Casimir-Périer, démissionnaire, comme président de la République le 17 janvier 1895. Il visite Rennes les 11 et 12 août [AMR, K 123-125] dans une perspective pacificatrice après la crise de 1889-1890 [G. Minois, 2003].
28 Sur l’anti-étatisme de Vadot, voir préambule et chap. 15.
29 Ces monuments aux morts de 1870 furent assez rares en France. Celui de Rennes, inauguré par Félix Faure, est l’œuvre de Le Ray (architecte de la Ville), Larcher (entrepreneur) et Dolivet (sculpteur). Sa construction, décidée par la ville le 29 novembre 1889, sur fond de crise boulangiste et municipale, connaît bien des vicissitudes. Il faut deux commissions, un Comité (présidé par Sacher), l’intervention de Le Hérissé, une kermesse (au Thabor en juin 1895) pour rassembler, à temps, les fonds avant l’inauguration présidentielle [V. Picard, 1998]. En bordure du Champ de Mars, étendu aux morts des deux guerres mondiales, le monument a été déplacé en 2007 devant l’ancien hôtel de la préfecture, aujourd’hui résidence du préfet [AMR, 1 M 3 24].
30 C’est là que sera jugé Dreyfus trois ans plus tard.
31 L’École nationale d’agriculture, ancêtre de l’ENSAR qui en occupe toujours l’emplacement initial, fut inaugurée à l’occasion de la visite de Félix Faure.
32 Il y est beaucoup question des souffrances endurées et de l’impréparation numérique et matérielle de la France en 1870 [L’Avenir de Rennes, 13 août 1896 ; V. Picard, 1998]. On saisit mal l’origine de l’irritation (infra) de Félix Faure. Peut-être la flamme de Sacher ou l’emphase dans la contribution bretonne.
33 Il y aura pourtant d’autres discours à composer.
34 Républicain assez inclassable, il est collecteur de ragots et redouté des élus.
35 La presse parisienne est souvent condescendante lors de ces voyages [P. Harismendy, 1995 ; N. Mariot, 2006]. Elle comprend mal les situations locales ce qui expliquera de nombreuses erreurs d’appréciations lors du procès Dreyfus.
36 Le Journal, pas le Petit Journal.
37 « Aussi bête qu’il est prétentieux », écrira encore Vadot, parlant de Morin, le 5 janvier 1897.
38 Sur l’état des finances en 1896, voir plus haut.
39 Premier résident français à Madagascar après la conquête de 1895, Laroche (protestant) ménage la reine Ranavalona III et les usages. Accusé de faiblesse, il est remplacé le 15 septembre 1896 par le général Gallieni, plus expéditif : exécution capitale d’un ministre et d’un prince, exil de la reine et du premier ministre, abolition de la royauté, annexion pure et simple.
40 Dépité, Leroux manifeste – comme Le Hérissé du reste –, surtout son opposition à l’égard d’un cabinet, républicain, mais glissant au centre-droit. Les menaces de démission du préfet sont forfanterie. À preuve, le jour où on lui ôtera ses fonctions, il se suicidera…
41 Journal de Le Bastard et de sa tendance.
42 Ennemis jurés à Rennes depuis le boulangisme.
43 Il sera déçu.
44 Léon Bourgeois (1851-1925), homme politique majeur de la IIIe République, radical, père du « solidarisme », prédécesseur de Méline au gouvernement. Ancien préfet, notamment préfet de police en 1887, il fut plusieurs fois député, sénateur, ministre. Il poursuit sa carrière après guerre : président du Sénat (1920-1923), prix Nobel de la Paix (1920), pacifiste, on lui doit – plus encore qu’à Aristide Briand ou au Président Wilson – la SDN et les premières formulations françaises de l’État-providence.
45 Le parti « opportuniste » va bientôt disparaître en tant que tel. Malherbe classe sans doute comme « progressistes » les républicains plus avancés, les radicaux « modérés ». Mais on est à la veille du grand reclassement qu’entraînera l’affaire Dreyfus : les ex-opportunistes vont se rebaptiser « progressistes » et se couper en deux, les uns rejoignant le centre-droit, les autres, formant l’Alliance Républicaine Démocratique et acceptant avec prudence la politique de la Défense républicaine [R. Sanson, 2003].
46 Le Hérissé refusant d’avouer qu’il n’y est pour rien…
47 Brice, républicain très modéré, est en fait très réticent devant un candidat soutenu par Le Hérissé.
48 Les représentants de la modération républicaine, très « mélinienne ».
49 Vadot, encore sous l’influence de la « Réforme nationale », ne croit guère à l’efficacité des gouvernements opportunistes.
50 Réélire Édouard Beaufils étant exclu – après l’opération de mai 1896 –, Vadot compte déstabiliser l’opposition conservatrice en apportant à l’un des siens, inoffensif, le soutien du comité républicain. La manœuvre échoue.
51 Charles Blondel (Rennes, 1855 – Rennes, 1935), fils de magistrat, avocat et professeur de droit civil à la faculté de droit de Rennes, bientôt leader du parti républicain waldeckiste rennais. Dreyfusard actif (mais tardif, en juillet 1899, et discret), il n’adhère pas à la section rennaise de la Ligue des droits de l’Homme mais participe au banquet des Trois-Marches qui réunit, le 14 juillet 1899, les dreyfusards de Rennes autour de Victor Basch [H. Jouve, 1895 ; A. Hélard, 2001, 72 n, 84 n]. Candidat malheureux aux élections municipales de 1900, il prend sa retraite en 1924 [ADIV, 10 T 93].
52 Comme la plupart de ceux qui tournent autour de L’Avenir.
53 Voir supra.
54 Vadot met les opportunistes devant leurs contradictions. Par peur du socialisme révolutionnaire, ils en viennent à défendre des positions intenables, alors qu’ils représentent la tradition républicaine issue des révolutions du XIXe siècle. L’Affaire Dreyfus clarifiera (en partie) les choses.
55 Voir supra.
56 Il s’agit des Ralliés dont le combat pour l’école libre est central.
57 « […] une pétition signée par quatre mille électeurs ne peut être rejetée […] tous les enfants ont droit au gâteau municipal » [AMR, 1 D 73, délib. cons. munic., 18 mars 1897].
58 Le roman de Jules Sandeau (1811-1883), Mademoiselle de la Seiglière, paru en 1848, décrit l’impossible amour et mariage entre une aristocrate d’Ancien Régime et un « parvenu » de l’Empire, sous la Restauration.
59 La saillie anticléricale de Vadot s’explique dans le contexte régional de recomposition catholique offrant un front uni sur la question scolaire – monarchistes, « Ralliés », abbés démocrates –, une partie de ce monde restant hostile à la République bien après 1918 [C. Bonafoux-Verrax, 2004].
60 En octobre 1898, Malherbe, ordonnateur de la commission des hospices, signale des irrégularités dans la comptabilité de l’hospice Legraverend – les sœurs se faisant rembourser par la ville des factures qu’elles n’honoraient pas. Grâce à Blondel (voir chap. 7), administrateur des Incurables [4, rue de la Santé], et de l’asile Legraverend, qui était au courant, les sœurs remboursèrent leur dette de 20 000 francs sous forme de don anonyme en janvier 1897. En août 1898, Lajat obtint certificat écrit d’une ancienne religieuse qu’il s’agissait d’une restitution pour irrégularités. Sans que cette pièce soit invoquée en séance publique, les sœurs des Incurables, ou Dames hospitalières de Saint Yves, à Rennes depuis près de deux cents ans, se retirèrent alors des hospices – évitant un congédiement municipal –, au bénéfice de la congrégation de Saint Thomas de Villeneuve [AMR, 3 Q 7, délib. cons. munic., 25 novembre 1898 ; le dossier illustre l’ampleur des détournements].
61 Jules Ménard (né à Rennes en 1849), négociant, fournisseur aux armées, polémiste et pamphlétaire antisémite, « républicain socialiste national », ennemi viscéral des préfets et des magistrats républicains – le préfet Leroux et le premier président Maulion au premier chef –, haineux et violent, fut une figure turbulente de Rennes entre 1885 et 1914, et l’auteur prolifique d’ouvrages et articles [dont Traîtres et pillards. L’opportunisme judaïque en Bretagne, Rennes, 1895]. Candidat aux élections législatives de 1898, mais battu par Le Hérissé (il ne recueille que 1 396 voix sur 16 245 votants), il avait fondé un journal éphémère, Le Coq hardi.
62 La haine de Ménard pour Maulion sera inextinguible. En 1904, il publiera Un crime politique et judiciaire. Les forfaitures du premier président Maulion de la Cour de Rennes, Rennes, Chez l’auteur.
63 Trafics assez communs dans l’intendance [L. Descaves, 1889], en raison de soldes étriquées.
64 Vadot s’exprime mal : il a voulu écrire « moins élevé ». Le prix plus élevé des fournitures proposées par les concurrents conduit l’armée à choisir Lajat, lui aussi fournisseur de grains. Contre 18 000 francs, il en empoche 60 000 – ses concurrents, aux reins moins solides, acceptant le marché. Le maire de Rennes de 1898 est au fond aussi malhonnête que Ménard, avec le cynisme en plus.
65 Les malversations de Pommier et des employés d’octroi sont trop complexes pour qu’on les détaille ici [AMR, K 99].
66 C’était à peu de choses près la devise de Le Bastard.
67 Expression fautive de Vadot : il n’a pas trouvé mauvais « de ne pas la laisser passer ».
68 AMR 3 Q 6. Mais le dossier est peu documenté. Vadot reste ici la meilleure source.
69 Cahier annexe.
70 Voir plus haut.
71 En six ans, Vadot a pu reformuler ses impressions initiales.
72 AMR, K 98, dossier Miller.
73 Vadot est ici bien plus explicite que le procès-verbal, banal, de la séance de la commission du théâtre chargée d’examiner le remboursement du cautionnement du directeur sortant (Poyard), le tarif de location à appliquer aux troupes foraines, enfin le choix d’un nouveau directeur [AMR, 3 R 1].
74 Depuis la mort de Le Bastard, il est évident qu’il n’y a plus de pilote à la mairie.
75 Sur les Beaufils, père et fils, voir les remarques relatives aux élections municipales de 1896.
76 La liste à suivre marque l’hétérogénéité du ministère Méline et son orientation centriste voulue par le président du Conseil.
77 Graphie fautive : sur Turrel (avec deux « r »), ministre des Travaux publics, radical, voir chap. 7.
78 Henry Boucher (1847-1927), ministre du Commerce et de l’Industrie, député républicain modéré des Vosges depuis 1889, partisan de l’apaisement religieux, hostile à la toute puissance du parlement. Il sera un adversaire farouche des ministères Waldeck-Rousseau et Combes.
79 Alfred Rambaud (1842-1905), ministre de l’Instruction publique, sénateur du Doubs depuis 1895, historien, professeur à la Sorbonne, il a dirigé avec Ernest Lavisse la grande Histoire générale du IVe siècle à nos jours, dite « Lavisse et Rambaud ». Libéral, mais non clérical, il soutient la loi du 10 juillet 1896 qui, à partir des « conseils généraux de faculté » établis par décrets des 25 juillet et 28 décembre 1885, rétablit les universités disparues à la Révolution.
80 André Lebon (1958-1938), député des Deux-Sèvres, ministre du Commerce et des Colonies, il a à ce titre, imposé un régime carcéral, au bagne, très dur à Alfred Dreyfus. Sa nomination était un gage donné à l’Église [J. Dubos, 2001].
81 Georges Cochery (1855-1914), député républicain du Loiret, ministre des Finances, adepte de la rigueur comptable, « centriste » dans le ministère Méline, il vote en 1905 la séparation des Églises et de l’État.
82 Député centre-gauche, René Brice (1839-1921), beau-père de Paul Deschanel, suit et appuie la politique de rapprochement des centres menée par Méline depuis 1895.
83 Haut lieu de la discorde dans le Roland furieux (1516) de l’Arioste (chant XVII). Vadot s’amuse de ses références littéraires.
84 Souligné dans le texte.
85 Auprès de l’électorat populaire de Le Hérissé sans doute, pas auprès des commerçants et des amis de Beaufils.
86 Cochery.
87 Voir plus haut sur Poulin et sa manie des décorations.
88 Albert Blin, ingénieur de la voirie et de l’éclairage depuis 1895 ; voir chap. 15.
89 Démarche désintéressée de Vadot à l’égard d’un maire bientôt congédié.
90 Sur Mainguené, voir chap. 4.
91 « Son » : celui de Leroux.
92 Toute l’affaire a-t-elle été montée par Leroux pour compromettre Le Hérissé en l’incitant à demander un service à un ministre du gouvernement Méline qu’il combattait à boulets rouges à la Chambre, chaque jour ou presque ? S’agissant de Leroux, cela n’a rien d’invraisemblable.
93 Divorce entre le presque méliniste Poulin et le vieux fonds radicalisant du conseil travaillé en sous-main par Le Hérissé.
94 Vadot s’amuse des travers du maire.
95 Sac et incendie volontaires du Palais d’été (le Yuan Ming Yuan, construit avec l’aide des Jésuites au XVIIIe siècle) intervenus en 1860, au terme de l’expédition franco-anglaise contre la Chine. Par extrapolation burlesque, Vadot laisse entendre que Lajat aurait réitéré ses éventuels méfaits.
96 Fait divers à ce jour non documenté.
97 Convergence inhabituelle entre L’Avenir (opportuniste) et Le Journal de Rennes (royaliste) faisant front contre la campagne de Le Hérissé – avant d’être violemment opposés lors de l’affaire Dreyfus.
98 Vadot estime que, malgré sa réputation douteuse, Lajat est bien le maire qui manque à Rennes depuis la mort de Le Bastard, par sa personnalité et son autorité.
99 Adressée au journal L’Écho de l’Ouest.
100 Vadot a déjà évoqué Émile Cary, négociant rue Nantaise, qui a fait partie des soutiens de Bodin en 1896 et qui incarne donc le courant démocrate-chrétien en gestation.
101 Quelques mois après la démission de Poulin, le jugement de Vadot s’est durci, car il préfère les maires énergiques.
102 Cahier annexe.
103 Ce serait plutôt de l’audace, banale dans les règlements de compte politiques.
104 30, bd de Sévigné, à l’angle de la rue de Grignan, près du jardin du Thabor. Très bel hôtel qui existe toujours, à l’instar des demeures de la première partie du boulevard et de la rue de la Palestine, formant la partie élégante de Rennes depuis les années 1870.
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