Chapitre 5. L’administration Morcel
p. 169-189
Texte intégral
La mort de Le Bastard fut bien entendu un tournant dans l’histoire de la ville. Non seulement, elle laissait ses héritiers politiques orphelins, mais barrait paradoxalement la route à ses anciens rivaux. En résulta le choix d’un homme de transition, très âgé, Morcel. Mais pour des raisons que l’on va évoquer, cette phase de transition – qui dépasse la seule personnalité de Morcel –, durera plus longtemps que prévu et les maires en viendront à abandonner une bonne part de l’administration de la ville au secrétaire général. L’heure de Vadot est alors venue. Cette prise du pouvoir, il va l’assumer et s’en faire gloire au point que dans les Cahiers, les conseillers municipaux soient volontiers traités d’imbéciles. Plus conciliant avec les maires – Morcel, Poulin ou Lajat –, Vadot laisse entendre sans cesse sa conviction qu’aucun n’arrive à la cheville du grand Le Bastard.
Ces huit années de transition (1892-1900), sont-elles pour autant huit ans d’immobilisme ? Pas du tout. L’aurait-on souhaité, on ne pouvait pas s’endormir. Le Bastard avait laissé une ville transformée, mais sa disparition prématurée, le chaos des années 1889-1890, l’endettement de la ville, la nécessité d’achever ses innombrables chantiers ne laissaient pas d’autre choix à la municipalité que d’aller de l’avant. Il fallait liquider le contentieux opposant la ville à divers opérateurs engagés dans les travaux gigantesques des années 1880 : compagnie des eaux, « usiniers » de la Loisance, etc. ; poursuivre l’œuvre en matière d’enseignement, développer les écoles existantes, en créer de nouvelles : École pratique d’industrie, École d’agriculture, transformation de l’École de médecine en école de plein exercice, quasi-faculté ; ne pas abandonner les bâtiments commencés : lycée, Palais du Commerce… ; maintenir le laboratoire municipal, fierté de Le Bastard. On put même, malgré l’état des finances, envisager de nouveaux projets, tel le réseau de tramways électriques, mené avec une extrême rapidité ; conforter le développement, à peine esquissé sous Le Bastard, du réseau du gaz et commencer à envisager celui de l’électricité.
Politiquement, bien sûr, après les grandes heures du boulangisme à Rennes, l’atmosphère est redevenue bien morne. Les comptes rendus des débats municipaux suent l’ennui. Les grandes joutes sont passées – ou à venir. Le « papa Morcel », pas plus que l’ancien préfet Poulin, ne souhaitent affronter Leroux. Le préfet règne en grand baron de l’État sur le département, convoque les instituteurs pour en faire des agents électoraux, reprend en 1892 la bagatelle de 24 cantons à la droite – véritable exploit –, réussit à renverser nettement la majorité au Conseil général en faveur des républicains. Il va demeurer neuf ans à la tête de l’Ille-et-Vilaine, durée exceptionnelle. Vadot, qui n’entretient pas avec lui de cordiales relations, c’est le moins qu’on puisse en dire, s’en accommode vaille que vaille.
Les élections de 1896 semblent donc annoncer la fin de la transition et l’arrivée à la mairie d’un nouveau Le Bastard en la personne de René Le Hérissé. Ce dernier croit à la victoire, et nombre de Rennais avec lui. Mais la trop forte personnalité du flamboyant populiste joue contre lui. Ses « amis » politiques le voient arriver sans plaisir aucun. Plusieurs sont décidés à le faire échouer – ses ennemis conservateurs autant et plus évidemment. Vadot raconte en détail, on va le voir, la ténébreuse opération destinée à éliminer celui qui aurait pu être un maire de talent, encore que son ancrage parisien trop prononcé en aurait difficilement fait un second Le Bastard. Quoi qu’il en soit, la liste « radicale » fut élue sans difficulté, à la seule exception de Le Hérissé. Le coup fut terrible : le vaincu en voulut mortellement au milieu politique local. Il ne tenta jamais plus de conquérir la mairie, se contentant de demeurer un inexpugnable député et conseiller général. Il ne fera en 1900 aucun geste utile pour secourir ses « amis » pour des raisons au moins aussi personnelles que politiques. S’il redevint maire, ce fut de sa ville natale, Antrain, en 1908.
Le Hérissé battu, la ville demeurait sans vrai chef. Vadot ne pouvait en aucun cas tenir ce rôle. Lorsqu’on lui proposera de franchir le pas, il repoussera ces offres avec horreur. Le tournant de 1896 fut par conséquent décisif. Et au fond, c’est sans vrai pilote que la ville fut emportée deux ans plus tard dans la tourmente de l’affaire Dreyfus
Le « papa » Morcel1
1Morcel est un maire atypique. Très âgé, sans passé politique, simple d’abord, il va surtout permettre une transition « en douceur », plutôt réussie. Dans cette affaire, Vadot, qui a déjà bien en mains les bureaux de la mairie, joue ici un rôle décisif.
M. Morcel
2Ne se serait jamais douté en 1887 qu’il serait successivement élu troisième puis premier adjoint, maire et nommé chevalier de la Légion d’honneur ; nous l’appelions le papa Morcel2. Né au mois d’avril 1817, il avait donc 70 ans quand il fut nommé conseiller municipal. C’était un brave et digne homme, la droiture, la franchise, la loyauté même. Il avait pour sa pipe une affection sans bornes ; je crois qu’il l’avait à la bouche lorsqu’il trépassa dans une petite maison qu’il avait achetée rue de Paris et qui portait à l’époque le numéro 23. Et Mme Morcel, quelle charmante femme ! […]
3Même à l’époque où il était le premier magistrat de la cité, on rencontrait tous les matins le papa Morcel revenant du marché avec un filet rempli de légumes et de fruits, fumant son éternelle pipe. Il montait auprès de moi, me demandait s’il n’y avait rien de nouveau au courrier et s’en allait vite à la maison rejoindre Mme Morcel et l’aider à préparer le repas de midi. […]
4En 1890, il fut le négociateur de la quasi-réconciliation entre M. Leroux, préfet et M. Le Bastard. Il n’y mit pas la malice [sic] mais de la complaisance de la bonne grâce. Il réussit en partie dans sa tentative et c’est ce qui fut la cause du dépit de M. Bébin mal conseillé par son ami Luneau3.
5M. Morcel avait un défaut irrémédiable, terrible : il ne savait pas lire. Dans plusieurs circonstances, je lui préparai des discours ou speechs et c’était lamentable la façon dont il les débitait en public. Je me souviens notamment d’un petit discours pour la distribution des prix du lycée qu’il présidait. Je l’avais terminé par un ou deux vers de Lamartine. Je ne pus pas obtenir qu’il les lût convenablement. C’était pathétique. […]
6Il avait 75 ans quand il fut élu maire après la mort de M. Le Bastard, en 1892. […] Notre programme pendant ces quatre années devait se borner à liquider le passé, à mettre fin au procès engagé avec les compagnies des Eaux et des Eaux vannes4, avec les usiniers de la Loisance5, avec l’entrepreneur de la conduite d’eau.
7Il fallait arriver aux élections de 1896, avec une situation éclaircie. Ce programme fut à peu près rempli. On put même le compléter par la construction des tramways électriques6.
8M. Morcel mourut le 7 décembre 1897. Sa tombe est voisine de celle de M. Le Bastard. Ces deux hommes avaient l’un pour l’autre beaucoup de sympathie.
9Au mois de novembre 1895 M. et Mme Morcel célèbrèrent leurs noces d’or qui furent suivies d’un banquet à l’hôtel de ville dont je viens de retrouver un compte rendu.
Les Noces d’or de M. le maire de Rennes7
Mercredi dernier, le conseil municipal a offert à M. le Maire de Rennes et Mme Morcel un banquet en l’honneur du 50e anniversaire de leur mariage. M. Le Hérissé, député de Rennes, MM. les chefs de services municipaux et MM. les chefs de bureaux avaient été conviés à cette fête par le conseil municipal.
La façade de l’hôtel de ville, pavoisée la veille à l’occasion de la cérémonie religieuse était restée orné de ses drapeaux et de ses écussons.
À sept heures, M. le Maire et Mme Morcel au bras de M. Martin, accompagnés d’une délégation qui les avait attendus au bas du grand escalier, sont entrés dans la grande salle des fêtes et ont été immédiatement entourés et félicités.
M. et Mme Morcel avaient avec eux, leur fils, leur gendre et leurs deux petits-fils.
Le banquet a été très bien servi par M. Prévost dans la petite salle des mariages. MM. Miller, Martin, Maleuvre et Berthelier, chargés de l’organisation, avaient bien fait les choses.
Une superbe coupe en argent, offerte par le conseil municipal à M. et à Mme Morcel, avait été déposée sur la table d’honneur : M. Colleu l’avait remplie de superbes orchidées.
Des conversations, des gais propos n’ont pas tari pendant cette charmante soirée.
Tout le conseil municipal était là […]. Quant aux chefs de service et aux chefs de bureau, ils étaient tous là
[Le Hérissé prend la parole le premier : discours chaleureux, mais plutôt banal, ce qui est classique en ces circonstances.]
M. Vadot, secrétaire général de la mairie, se leva à son tour […]
« Messieurs,
Mon rôle est difficile après les paroles si éloquentes de M. Le Hérissé ; cependant c’est pour moi, je puis bien le dire, un grand plaisir d’être l’interprète de tous mes collègues et de remercier, en leur nom, le Conseil municipal qui a bien
voulu nous convier à cette fête ; à cette fête qui nous permet d’adresser une fois de plus à M. le Maire l’expression de nos sentiments de la plus vive sympathie et pourquoi ne pas dire le mot puisqu’il est sur toutes nos lèvres ? L’expression de nos sentiments de la plus sincère affection.
Hier, Messieurs, une foule compacte, sympathique, a accompagné de ses vœux M. et Mme Morcel, qui se rendaient à ce même autel où il y a cinquante ans ils s’unissaient pour la vie.
Aujourd’hui, ce sont des amis dévoués qui, dans l’intimité, ont voulu fêter également ces belles noces d’or.
Honneur donc à M. et Mme Morcel ! À M. Morcel dont toute la vie peut se résumer en deux mots : honneur et loyauté ! À Madame Morcel, sa compagne dévouée, à qui nous offrons nos hommages les plus respectueux.
Cinquante ans d’une existence commune, Messieurs, pendant cinquante ans partager les mêmes joies, les mêmes espérances, les mêmes illusions et le plus souvent aussi les mêmes chagrins, les mêmes déceptions ! Après cinquante ans de cette union, vivre ensemble ces mêmes souvenirs, se témoigner toujours les mêmes affections, est-ce donc là, Messieurs, chose si commune ! Et n’est-ce pas un spectacle réconfortant que la vue de ces deux aimables vieillards, si étroitement unis, que la fortune n’a peut-être pas gâtés8, mais dont les vertus ont fait tout le bonheur !
Mon cher Maire, chère Madame, au nom de tout le personnel de l’Administration municipale représentée ici par MM. les Chefs de service et MM. les Chefs de bureau, je vous renouvelle l’expression de nos sentiments les plus dévoués. Nous vous adressons nos compliments les plus sincères pour vos cinquante ans de bon ménage et nous faisons des vœux pour que de nouvelles, de longues, d’heureuses années viennent s’ajouter encore à celles que de tout cœur nous fêtons ensemble aujourd’hui. »
10[…] Il aimait à raconter certaines périodes de sa vie. Il avait été, comme M. Bébin, dans l’administration des contributions indirectes et quand il l’eut quittée il se créa une représentation d’une maison de commerce de vins et spiritueux, de Bordeaux. Il aimait à se rappeler qu’il avait fait le gamin sur l’emplacement occupé par la halle aux toiles9 ; en 1830 au moment où le courrier arrivait de Paris avec des drapeaux tricolores sur la voiture annonçant la révolution, son père lui avait fait chanter la Marseillaise debout sur une borne à l’angle de la rue d’Estrées et de la rue Lafayette au coin de la maison où se situe actuellement la pharmacie Tigeot10.
11Il n’était pas riche et la mairie lui faisait faire des dépenses au-dessus de ses moyens.
12Il était certainement plus généreux que M. Pinault qui cependant a une fortune considérable et qui crie par-dessus les toits qu’il donne à bourse ouverte. M. Morcel ne disait rien et donnait modestement, dans sa mesure, et il s’en alla sûrement moins riche que lorsqu’il fut nommé maire. […]
Jeudi 19 décembre 189511
13Hier soir, réunion du conseil municipal en séance privée12 pour discussion d’un certain nombre d’affaires intéressantes : entre autres la réorganisation des services de voirie, d’eaux et égouts, architecture ; la subvention supplémentaire demandée par M. Poyard, directeur du théâtre et surtout la création de dix centimes extraordinaires pour faire face aux dépenses de notre budget municipal.
14J’ai dû intervenir dans les discussions toujours confuses parce que notre maire n’entend pas et que tout le monde cause à la fois. On me demande conseil et on m’écoute. J’interviens dans les discussions sans protestation de personne. Je ne sais s’il en est ainsi dans les autres villes. Je ne le pense pas13. Ces messieurs ne paraissaient pas disposés à voter des centimes extraordinaires. Qu’allait-il en résulter pour les élections du mois de mai prochain ? C’est la défaite, la déroute, etc.
15Je leur ai tenu à peu près ce langage :
« Messieurs, il faut avoir le courage de ses actes. Il m’est peut-être plus facile à moi qu’à vous d’en parler, car je n’ai pas d’électeurs derrière moi. Je souhaite de tout mon cœur que vous soyez réélus, cependant permettez-moi de vous dire que j’aimerais mieux pour vous l’insuccès que la crainte de manquer de courage. Encouragés par l’opinion publique et la presse locale toute entière, vous avez voté la création de l’école de médecine de plein exercice14 : c’est l’Université à Rennes prochainement. Cette création est la cause d’une augmentation des dépenses de plus de 50 000 francs. Vous le saviez, tout le monde le savait. Aujourd’hui il faut vaincre franchement les difficultés et dire aux électeurs : sûrs de votre assentiment, nous avons voté la dépense, aujourd’hui nous allons voter la ressource correspondante. Si vous n’êtes pas élus, vos successeurs créeront d’autres ressources ou aménageront le budget différemment ; si vous êtes élus, vous recevrez les récompenses de votre franchise, de votre loyauté, etc., etc. »
16Ce petit discours a produit son effet et les centimes ont été votés à l’unanimité. Attendons maintenant la séance publique.
17Quant au maire et aux adjoints, ils se sont contentés d’écouter et de voter. Ce sont de braves gens, mais sapristi la discussion n’est pas leur fort. Quant aux conseillers municipaux, je les ai en grande estime, mais, en général, ils sont un peu insuffisants. C’est peut-être pour cela que nous avons mené à bien pas mal d’entreprises difficiles, avec des malins, ça n’aurait pas été tout seul15. […]
Jeudi 26 décembre 1895
18M. Morcel, maire, a fait une visite au préfet pour lui demander d’approuver sans retard les nouvelles conventions de la ville avec la Compagnie Générale des eaux16. […]
Soubresauts électoraux
19À partir du début de l’année 1896, la ville se prépare aux futures élections municipales. Comme Morcel ne peut faire figure de leader et qu’aucun ancien compagnon de Le Bastard ne s’impose, des ambitions se font jour – dont celle de Bérard Péan, président du tribunal de commerce, négociant, et qui se pose en radical. Mais sa candidature exige le retrait de Le Hérissé, ce qui n’est pas envisageable. Bérard Péan ira donc seul à la bataille. Mais celle-ci est perdue d’avance, tant en raison du caractère irascible du candidat que des prétentions martiales de sa femme. Vadot en fait d’ailleurs les frais.
Mardi 7 janvier 1896
20M. Bérard Péan17, conseiller municipal, président du tribunal de commerce, gros propriétaire et négociant, est bien l’homme au caractère le plus indécis que je connaisse. C’est un grand, bel homme, portant de longs favoris, à la physionomie sympathique, accueillante ; mais c’est un esprit indécis, se rangeant à l’avis du dernier qui a parlé. On dit que Madame Bérard Péan, petite, sèche, aux lèvres pincées, le domine complètement. M. Bérard veut être maire de Rennes aux prochaines élections, en remplacement de M. Morcel. Le conseil municipal actuel ne paraît pas disposé en sa faveur.
Lundi 27 janvier 1896
21[…] La semaine dernière, M. Lahutte, conseiller municipal, m’a dit que dans une conversation qu’il avait eue avec M. Ménard (Eugène) celui-ci avait exprimé le regret que je ne fusse pas candidat à la mairie de Rennes aux prochaines élections. Je n’ai pu moins faire que de rire de ce propos. Être maire de Rennes, sans avoir de fortune ou de situation indépendante, jamais de la vie ! J’aimerais mieux aller casser des cailloux sur les routes. Pour occuper une situation politique d’une manière digne, il faut être indépendant et pour cela avoir de la fortune18. […]
22Hier matin, M. le maire est parti pour Paris où il doit rendre visite au Président de la République avec nos députés et nos sénateurs, afin de l’inviter à visiter la Bretagne et à séjourner à Rennes19. […]
23Il faudrait à la tête de l’administration municipale de Rennes un homme encore jeune, actif et voulant sérieusement prendre en mains les intérêts considérables de la ville. Il y a là une situation politique importante à conquérir et je ne vois pour l’occuper que des candidats, à mon avis, absolument insuffisants20. Tout compte fait, j’aimerais encore mieux le papa Morcel.
Dimanche dernier 16 février 1896
24Samedi soir, le Comité républicain progressiste s’est réuni au Petit Rennais et une scission s’est produite entre M. Le Hérissé et M. Bérard Péan. Celui-ci ayant demandé à M. Le Hérissé s’il figurerait parmi les candidats au conseil municipal et ayant reçu une réponse affirmative, a déclaré qu’il ne figurerait pas, lui, sur la liste de M. Le Hérissé. D’où explications assez vives et finalement départ de M. Bérard Péan qui a déclaré qu’il ferait une liste.
25C’est le commencement de la période électorale municipale qui promet d’être mouvementée.
26Lundi soir, j’ai causé de cet incident avec MM. Lajat et Sacher, conseillers municipaux. M. Sacher qui assistait à la réunion du comité reproche à M. Bérard son attitude et dit qu’il a mal agi, que rien ne motivait cette attitude agressive. Il va tenter une démarche auprès de M. Bérard afin de terminer cet incident et de ramener le fugitif à de meilleurs sentiments. Peine inutile, M. Bérard Péan aspire à la mairie de Rennes et il ne fera aucune concession si M. Le Hérissé ne lui laisse entrevoir qu’il pourra obtenir cette satisfaction de son ambition. Et M. Le Hérissé ne lui donnera pas cette satisfaction parce qu’il y a antipathie entre M. Bérard et M. Martin et qu’il est l’ami intime de ce dernier qu’il sait cependant absolument impopulaire. Cette impopularité de M. Martin est imméritée, mais elle s’explique par bien des raisons. Il occupe un certain nombre d’ouvriers et surtout beaucoup de femmes : or, on lui reproche de ne payer son personnel que d’une manière tout à fait insuffisante. Pendant ce temps, il capitalise dit-on, et fait construire une superbe maison de campagne à la Janaie, sur la route de Mordelles. D’un autre coté, M. Martin est inexact, souvent absent et ne paie pas de sa personne dans les affaires municipales, etc., etc.
27M. Lajat ne croit pas au succès de la liste Bérard Péan. Du reste, il considère ce dernier comme étant au-dessous de l’honneur et des fonctions auxquelles il aspire. C’est Madame Bérard qui administrera la ville de Rennes.
28Quant à moi, je suis convaincu que la liste de M. Le Hérissé passera haut la main si elle est composée d’une manière satisfaisante21. Mais pas d’hommes de paille à la tête de l’administration municipale ! Pas d’hommes dans les coulisses ! Des hommes dévoués, intelligents, connaissant leur devoir, ayant une volonté et voulant administrer. […]
Mercredi 19 février 1896
29Décidément, M. Leroux, Préfet, ne quitte pas le département d’Ille-et-Vilaine. Il obtient de l’avancement sur place22.
Vadot mis en cause dans le conseil et la presse
30Depuis la mort de Le Bastard, le secrétaire général est devenu, face à un maire âgé et peu actif, un acteur prépondérant. On l’accuse, à gauche et à droite, d’empiéter sur les droits des élus et de faire de la ville de Rennes son fief personnel, au point de devenir le « maire deux » selon l’humour épais de l’époque (Le Petit Rennais, 30 septembre 1900). Or, aux yeux des notables, comme du préfet, il n’est qu’un simple « secrétaire de mairie » sans pouvoir assigné. Il devient un bouc émissaire idéal pour les ambitieux souhaitant s’imposer à la tête de la ville. Les violentes attaques de Bérard Péan inquiéteront Vadot à juste titre : en cas de victoire du premier, c’en était fini du second. Des attaques similaires se reproduiront en 190023, venant aussi bien de la droite que d’un certain nombre de républicains. Là encore, Vadot, à vrai dire de plus en plus irremplaçable, passera ce cap difficile24.
Lundi 16 mars 1896
31La semaine dernière, j’ai eu une assez vive altercation avec M. Texier, adjoint, au sujet du théâtre, de la commission administrative du bureau de bienfaisance et de la représentation à donner au profit des pauvres. En réponse à une lettre de la commission, M. Poyard25 a répondu par une lettre que ces messieurs ont trouvé [sic] inconvenante : elle n’était qu’un peu sèche, un peu trop administrative. En séance de la commission du théâtre, j’ai déclaré, en présence de M. Texier, qui fait partie en même temps de la commission du bureau de bienfaisance, que j’étais l’inspirateur de la lettre de M. Poyard et que je lui en avais donné le sens par une note au crayon ; que le secrétaire de M. Poyard a copié trop textuellement cette note, au lieu de la compléter. M. Texier m’a répondu un peu vertement que j’aurais dû en référer au maire, ce que j’ai traduit par : « vous vous substituez trop à M. le Maire ». Cela est malheureusement trop vrai et ce n’est pas seulement au maire que je me substitue parfois mais aux adjoints qui ne le valent pas.
32Ma situation à la mairie de Rennes est, en effet, singulière. Ces messieurs ne savent prendre aucune initiative ni aucune décision, je suis obligé d’intervenir à tous les instants et, en résumé, de jouer un rôle qui n’est pas le mien et dont je souffre tout le premier.
33J’ai demandé aujourd’hui à être entendu par la commission du bureau de bienfaisance, afin de lui expliquer mon intervention dans la lettre Poyard qui les a tant émus. Si la lettre était un peu vive, MM. les administrateurs se sont montrés d’une susceptibilité exagérée.
34Mon plus grand désir est de voir arriver à la Mairie de Rennes un maire ayant, comme on dit vulgairement, quelque chose dans le ventre26. […]
Jeudi 16 avril 1896
35Le Réveil Rennais, nouveau journal, créé pour soutenir la candidature de Bérard Péan a publié aujourd’hui l’article suivant :
La situation à Rennes
L’apparition du premier numéro du Réveil Rennais a produit un effet foudroyant sur ce pauvre Petit Rennais, seul organe municipal breveté avec garantie de M. Vadot.
Usant de la tactique qui lui est chère, car elle lui a souvent réussi, l’organe municipal a commencé par déverser sa boîte à ordures sur ses adversaires, s’attaquant indifféremment à ceux qui luttent et à ceux qui se sont retirés de la politique militante depuis des années et des années.
L’organe des repêchages et des lâchages suspecte la sincérité des opinions de M. Bérard et de ses amis ! N’est ce pas tordant ?
Eh bien, la rage haineuse du Petit Rennais nous plaît : elle montre qu’il se sent atteint, qu’il a conscience de sa défaite prochaine.
Il voit que la ville n’est plus avec lui, que les électeurs rennais sont décidés à envoyer à l’Hôtel de Ville des administrateurs et non des sauteurs comme ceux que le maire masqué, M. Vadot, s’entendait si bien à mener.
Les élections municipales de 1896 auront une importance exceptionnelle, puisque ce sont les Conseils issus de ces élections qui nommeront les sénateurs.
Mais la question politique n’est rien, comparée à la question locale.
Les électeurs auront à se demander s’il n’est pas temps de mettre un terme à cette danse effrénée des écus des contribuables, qui dure depuis si longtemps !
Ils auront à se demander si Rennes, la ville la plus importante de la Bretagne après Nantes, doit être administrée par des Rennais ou par des étrangers …
Depuis la disparition de Le Bastard qui, malgré bien des fautes commises, fut un administrateur de premier ordre, Rennes est sans maire, sans municipalité.
Un seul être surgit : M. Vadot, factotum de M. Le Hérissé ; M. Vadot qui nous vint un beau
jour de Mâcon et qui, petit à petit, s’imposa si bien qu’il est aujourd’hui notre véritable maître.
Il est le maire, il est l’adjoint, il est le Conseil entier. Nos braves conseillers, nommés par la population, n’osent tenir tête à ce potentat qui leur prépare leur besogne et les fait voter à sa guise.
M. Morcel a toujours laissé faire. Il se retire, il a raison ; mais qu’il emmène avec lui tout ce qui reste de l’ancien Conseil, qu’il emmène tous ces bénisseurs qui, habitués à courber l’échine sous Le Bastard, continuaient sous Vadot.
Il n’aime pas l’opposition, cet excellent M. Vadot ; les quelques hommes indépendants de l’ancien Conseil le savent par expérience.
Aussi, entend-il s’entourer des plus dociles pour faire échec aux indépendants.
C’est un mauvais calcul.
Les électeurs se souviennent du laisser aller de la grande majorité du précédent Conseil, et pensent avec raison que ce n’est pas à ceux qui ont creusé le gouffre dans lequel nos capitaux se sont engloutis, à ceux qui nous ont accablés d’impôts, qui nous ont livrés aux caprices et aux fantaisies d’un étranger, de relever la tête.
Leur œuvre néfaste est accomplie : ils ont endetté, ruiné la ville, ils n’ont existé qu’à force d’emprunts qui engagent l’avenir, paralysent le présent.
Le maire masqué n’a pas à s’inquiéter de cette situation : il n’est pas Rennais, lui …
Bien tranquille dans son fromage, il mène tout, dirige tout, donne des ordres que s’empressent d’exécuter maire, adjoints et conseillers. Il a la haute main sur tous les services, sur toutes les institutions : Conservatoire, École des Beaux Arts et professionnelle ; s’il lui plaît de se faire directeur de théâtre, le Conseil le laisse tenter l’expérience… et c’est nous qui payons. […]
Les précédentes administrations ont ruiné la ville, engagé nos finances au point que, si les octrois étaient supprimés ou même tombaient au-dessous des évaluations budgétaires, nous serions acculés à la faillite27. […]
Le temps n’est plus où l’on enlevait la foule avec des mots sonores.
Les électeurs ne s’attachent plus aux étiquettes. Ils veulent pour les représenter, les administrer, des hommes d’affaires et non des politiciens : opportunistes, radicaux, socialistes, des mots, encore une fois, rien que des mots.
Tous les groupes de la grande famille républicaine ont le droit d’être représentés à l’Hôtel de ville, car si les idées diffèrent, les intérêts sont communs.
Il faut un programme économique et non un programme politique.
Il faut donner du travail à l’ouvrier, tout en ne surchargeant pas le contribuable.
Il faut finir ce qui a été commencé, mais sans engager l’avenir, car l’ouvrier gagnera tout aussi bien sa vie à assainir les vieux quartiers, à démolir les vieilles maisons qu’à construire des palais ou à élever des statues.
Il ne faut pas se le dissimuler, la tâche du nouveau Conseil sera lourde, exigera plus que du dévouement, de l’abnégation. […]
L’héritage de M. Morcel sera lourd à porter. […]
Une ville de l’importance de Rennes doit être administrée par des citoyens indépendants, soucieux de leurs devoirs, prêts à accepter en toutes circonstances la responsabilité de leurs actes ; une ville de l’importance de Rennes doit être représentée par des hommes dont le passé puisse répondre du présent.
Or, par qui sommes nous représentés, administrés actuellement ?
Par un employé d’autant plus insouciant de nos intérêts qu’il est étranger à la ville, au département, d’autant plus disposé à lancer la ville dans les aventures qu’il est irresponsable aux yeux de tous
Par M. Vadot, enfin.
C’est trop peu28.
Un groupe de citoyens.
36Le Journal de Rennes, les Nouvelles Rennaises, l’Union Socialiste Rennaise se sont emparés de cet article pour s’occuper de moi et répéter sur tous les tons que je suis seul à diriger l’administration municipale.
37Je l’avoue sincèrement cette accusation est presque la vérité même29. Depuis quatre ans, je suis à peu près seul sur la brèche ; mais j’ajoute que j’ai toujours gardé vis-à-vis du maire et des adjoints l’attitude la plus correcte ; que j’ai soumis toutes les affaires ayant quelque importance à l’examen des uns et des autres et que le reproche que l’on m’adresse d’avoir tout fait par moi-même est immérité.
38J’ai agi beaucoup parce que ni maire ni adjoints n’étaient à même d’agir ; mais j’ai agi avec la plus grande circonspection et si d’importantes affaires ont abouti, comme la conversion de nos emprunts en 1892-189330 ; la création de l’École de médecine de plein exercice31 ; la continuation des travaux de la faculté des sciences32 ; les conventions et l’étude relatives aux tramways urbains33, la fin du procès de la ville avec la Cie générale des eaux34, je puis, sans fausse modestie, m’en attribuer un peu le mérite. M’en sera-t-on reconnaissant ? J’en doute, la reconnaissance n’est pas chose de ce monde. Quoi qu’il en soit j’ai la conscience d’avoir rempli tout mon devoir et de n’avoir eu qu’un but : seconder loyalement, sincèrement, sans aucune pensée d’ambition, d’amour-propre ou d’orgueil M. Morcel, maire, dans son administration, depuis la mort de M. Le Bastard.
39En s’attaquant à moi la presse joue un rôle inique, odieux. J’ai été victime des événements en jouant un rôle qui ne convenait ni à mon caractère ni à ma situation. Ne serais-je pas encore victime plus tard de la haine implacable que certaines gens avaient vouée à M. Le Bastard ? […]
L’émergence de candidats aux élections municipales de 1896
40La lutte de 1896 opposera encore la gauche radicale patriote issue de Le Bastard et la droite traditionaliste. Mais le jeu commence à être troublé par de timides tentatives du jeune courant démocrate-chrétien. Pour l’instant, toutefois, ce dernier n’a ni journal ni influence ni vrais réseaux dans la politique locale. Il lui faudra attendre. Le Hérissé, lui, va écarter tous les rivaux avec efficacité, tel le brossier Martin.
Jeudi 3 avril 1896
41Aujourd’hui à 4 heures, j’ai eu la visite de M. Bodin, gendre de M. Le Bastard, avocat et professeur à la faculté de droit. Il est, m’a-t-il dit, dans le plus grand embarras et il vient me demander mon sentiment et mon avis. M. Bodin fait partie du groupe politique de Rennes qui se dit républicain catholique35. Un M. Cary, négociant rue nantaise, 14 bis, qui est à la tête de ce groupe, sollicite M. Bodin de faire partie de la liste des candidats au conseil municipal qu’il prépare et qui serait en opposition non seulement aux listes Le Hérissé et Bérard Péan mais encore à celle du Journal de Rennes s’il entrait dans ses intentions d’en présenter une.
42M. Bodin qui a causé avec moi avec la plus grande liberté m’a affirmé que la République était admise en toute sincérité par son groupe, par M. Cary, notamment, et que c’était sous le drapeau républicain qu’il entendait lutter aux prochaines élections municipales. Le curé de Notre-Dame36, M. Perrault, est républicain sincère, m’a-t-il dit, l’abbé Forget37 l’est plus encore et ce dernier inclinerait du côté des réformes sociales ouvrières, il serait presque socialiste catholique38.
43Mais le groupe en question entend lutter contre le socialisme et combattre la franc-maçonnerie39 : c’est là son but et sa raison d’être.
44M. Bodin ne sait s’il veut accepter d’être candidat sur la liste de M. Cary.
45J’ai répondu à M. Bodin que sa candidature ainsi présentée pourrait être mal accueillie par les amis de M. Le Bastard40 et que Mme Le Bastard, j’en suis convaincu, en serait fort contrariée. J’ai ajouté que la majorité du conseil municipal actuel (15 ou 16 membres environ) suivra certainement M. Le Hérissé et se présentera aux électeurs avec le programme et la politique de M. Le Bastard et qu’il serait pour le moins étrange que son gendre, M. Bodin, luttât ouvertement contre la liste du conseil municipal. Sans doute M. Bodin qui est républicain, ne partage pas toutes les opinions et n’approuve pas toute la conduite politique de M. Le Bastard ; il a gardé et veut garder toute sa liberté d’action à ce sujet ; il défendra l’administration de son beau-père mais il entend défendre également ses opinions politiques et religieuses.
46Il n’en est pas moins vrai que sa situation est délicate et que sa candidature sur la liste Cary serait certainement mal accueillie par les nombreux amis de M. Le Bastard et blâmée peut être par la majorité de la population. Il n’en serait plus ainsi si le conseil municipal élu avec M. Le Bastard en 1892 avait disparu ou s’était divisé en plusieurs groupes41.
47D’un autre côté, Mme Le Bastard qui a toujours eu un culte profond pour son mari serait profondément affectée d’une pareille situation.
48M. Bodin m’a quitté sans prendre de décision. Il avait rendez-vous avec M. Cary à 5 heures. Je serais fort surpris qu’il acceptât maintenant la candidature qui lui est proposée42.
49J’ai ajouté que ce qui conviendrait mieux serait que son groupe fût représenté par quelques candidats sur la liste Le Hérissé. Je n’avais aucun mandat pour parler ainsi, mais cette idée mérite d’être examinée43. Elle a semblé sourire à M. Bodin.
50M. Martenot44, ancien architecte de la ville, serait également candidat sur la liste Cary.
Mardi 7 avril 1896
51Hier, déjeuner à la campagne chez Mme Faux, à la Ménardière, commune de Vézin.
52À notre retour, sur le Mail, j’ai vu M. Texier, adjoint, causant et gesticulant avec M. Grimonprez trésorier de la Société municipale de secours mutuels et le citoyen Jugdé45, ouvrier socialiste, révolutionnaire etc. M. Texier s’alliant avec le parti socialiste, c’est un comble ! Lui qui, il y a quelques mois, voulait la suppression de la Bourse du travail et l’anéantissement de tout ce qui se disait socialiste46 ! M. Texier essentiellement conservateur et catholique pratiquant formant une liste municipale progressiste socialiste avec M. Bérard Péan, qui est bien le bourgeois le plus étroit d’esprit qui se puisse rêver47 ! […]
Mercredi 8 avril 1896
53Hier soir, réunion privée du conseil municipal pour connaître les membres du conseil qui désirent se présenter aux prochaines élections et figurer sur la liste du Comité républicain progressiste.
54Demain soir, jeudi, réunion du comité au Petit Rennais.
Vendredi 10 avril 1896
55Hier soir a eu lieu la réunion du Comité républicain progressiste48.
56M. Berthelier a déclaré qu’il retirait sa candidature ; MM. Martin et Boutfol ont été écartés par le comité par 45 ou 46 voix contre 27 ou 28.
57M. Martin (Émile) que le comité a exclu fait partie du conseil municipal depuis […] ans49. C’était un ami dévoué de M. Le Bastard. Petit, replet, sanguin, c’est un bon vivant, à l’esprit faubourien. Il possède une fabrique de brosses sur le quai de la Prévalaye, mais il tire surtout un revenu considérable (50 à 60 000 francs, dit-on50), de son commerce de poils de cochon51. Il est très entendu à ses affaires personnelles, très serré ; on dit même, mais je n’affirme rien, qu’il ne jouit peut-être pas d’une grande estime au point de vue commercial. Quoi qu’il soit, comme on le dit, il n’attache pas ses chiens avec des saucisses, sauf lorsqu’il reçoit chez lui ; alors, il reçoit largement, luxueusement même. Mme Martin, petite boulotte, pas jolie mais aux yeux pétillants d’esprit, est aussi intelligente, si ce n’est plus, que son mari, en affaires. Ils se sont installés un logement luxueux [sic] au premier étage de la maison à l’angle de la place de la mairie et de la rue d’Orléans, avec grand balcon. Ils se sont également fait construire sur la route de Mordelles, à la Janaie, une belle maison de campagne.
58Mme Martin convoitait pour son mari la mairie de Rennes. L’échec qu’il vient de subir au comité sera pour eux une déception profonde, d’autant plus que cette exclusion est absolument imméritée. M. Martin n’est pas populaire, loin de là ; il a contre lui des antipathies inexplicables, des haines même que ne justifie pas sa conduite publique, dans tous les cas. Il passe pour être très dur pour les 150 à 200 ouvriers et ouvrières qu’il occupe.
59Malheureusement aussi M. Martin est négligent ; il n’assiste pas régulièrement aux séances du conseil municipal ; il n’a pas l’énergie nécessaire pour faire parfois le sacrifice de quelques habitudes afin d’éviter des critiques soit de ses collègues, soit du public. Il n’abrégera pas son dîner de dix minutes pour arriver à l’heure. Les honneurs le flattent, mais comme la plupart du temps ils ne vont pas sans certains devoirs à remplir, il néglige ces derniers quand il ne les oublie pas complètement.
60Il n’en est pas moins un homme de bonnes relations, ouvert, affectueux et dévoué à ses amis.
61Il a pour moi et pour tous les miens une affection qu’il manifeste à chaque instant. Nous avons également pour M. et Mme Martin des sentiments d’affection très sincères.
62J’espère que M. Martin ne fera pas la plus petite démarche pour que le comité revienne sur sa décision. […]
Mercredi 12 août 190352
M. Martin Chapsal
63C’était une des physionomies les plus originales du conseil municipal, non pas que M. Martin fût éloquent ni spirituel mais il avait des boutades, des répliques très amusantes. C’était le gavroche du conseil, dévoué à M. Le Bastard.
64Il me garda longtemps rancune de ne lui avoir pas fait visite en arrivant à Rennes, de n’avoir pas cherché à me lier immédiatement avec lui. Je lui fis visite, mais j’eus la maladresse de déposer ma carte, dans une boîte qui n’était pas la sienne. Plus tard nous fûmes de bons amis, il eut pour moi plus que des égards, de l’affection et ce fut chez lui, à Pau, que ma pauvre Blanche passa plus de trois mois il y a quelques années, que j’y passai moi-même quelques jours lorsque j’allai chercher ma chère enfant en mars 189953.
65Que de souvenirs ce nom me rappelle !
66Je lui serai toujours reconnaissant ainsi qu’à Mme Martin de l’hospitalité qu’ils ont ainsi donnée à ma fille.
67M. Martin, plutôt connu sous le nom de Martin Émile ou de « Martin et brosses », avait un important atelier de préparation des soies de porc sur le quai de la Prévalaye ; il occupait de nombreux ouvriers et ouvrières. Il était dur dit-on, pour son personnel. Cependant ce n’était pas un méchant homme. Il recevait beaucoup, mais il y avait un peu d’égoïsme dans ses invitations car ni lui ni Mme Martin n’aimaient à être seuls.
68Un jour, il fut exclu par voie d’élections du bureau de l’ancien comité républicain dont il faisait cependant partie depuis de longues années. Ce fut pour lui une profonde mortification. […] Il envoya avec fracas sa démission de conseiller municipal par cette lettre dont le laconisme tranche avec le verbiage habituel de son auteur :
« Rennes le 14 avril 1896
M. le maire de Rennes [c’était M. Morcel] j’ai l’honneur de vous adresser ma démission de conseiller municipal.
Veuillez agréer, etc.
Émile Martin. »
69Le conseil municipal n’exprima aucun regret ; il se contenta de donner acte de cette communication.
70Depuis, Émile Martin ne reparut plus dans les conseils municipaux de 1896 et 1900. […]
71J’ai été vivement ému de sa maladie et sa mort survenue à Pau et c’est avec tristesse que je l’ai accompagné au cimetière. Souvent je pense à lui et je regrette sa disparition. […]
72Qui, à l’époque, ne connaissait à Rennes, M. Martin, brossier ? […]
Mercredi 15 avril 189654
73Le comité progressiste réuni hier soir au Petit Rennais n’a pas cru devoir revenir sur sa décision concernant MM. Martin et Boutfol.
74La liste du comité se compose facilement, paraît-il ; il n’aurait que la liberté du choix ; celle de M. Bérard Péan, se désagrège au contraire, dit-on.
75M. Le Hérissé avait bien raison de ne s’occuper des élections municipales qu’à partir du mois d’avril.
76Le Petit Rennais a déjà publié deux articles contre M. Bérard Péan. Je n’en approuve ni la forme, ni même le fonds. Je n’aime pas les grossièretés, les insolences, à mon avis elles nuisent plus à leurs auteurs qu’aux personnes auxquelles elles s’adressent. […]
77M. Simon, adjoint, ne décolère pas contre la plupart de ses collègues. M. Simon est l’honnêteté, la droiture même ; malheureusement il n’admet aucune concession dans les relations d’affaires. Il m’a boudé pendant quelque temps ; aujourd’hui nous sommes dans les meilleurs termes. Je lui ai envoyé il y a quelques jours quelques bouteilles de bon vin de Chénas, il m’a envoyé lui d’excellentes oranges qu’il venait de recevoir d’Algérie : les petits cadeaux entretiennent l’amitié. Il a une toquade pour le vin de Mâcon et « Martha » de Flotow55. J’ai été très heureux de lui faire plaisir et j’aurais été très contrarié de me séparer de lui dans de mauvais termes, puisqu’il refuse toute candidature au conseil municipal prochain.
Enfin le scrutin
78Le coup de tonnerre sera d’une extrême violence et la surprise totale : la liste « bastardienne » va passer tout entière, à l’exclusion du seul Le Hérissé, victime aussi bien des manœuvres cauteleuses de ses propres partisans (si l’on peut dire) que de la haine de la droite. Le bouillant René ne tentera plus jamais de devenir maire de Rennes.
Dimanche 3 mai 1896
79On vote en masse ; les opinions sont partagées sur le résultat du scrutin. Je crois au succès de la liste Le Hérissé.
80J’ai vu cet après-midi aux courses du vélodrome, Mme Le Bastard qui m’a exprimé très vivement tout l’ennui que lui causait la campagne dirigée contre moi. Elle m’a témoigné toute sa sympathie et j’en ai été très touché. D’autres personnes m’ont également exprimé tous leurs regrets et m’ont souhaité vivement le succès de la liste Le Hérissé56.
Mardi 5 mai 1896
81La liste Le Hérissé a triomphé ; il y a ballottage mais le succès est maintenant assuré pour l’élection du dimanche 10 mai.
82Le résultat de l’élection a été proclamé lundi matin à 5 h 30. Les élections se sont faites avec beaucoup de calme, pas de cris, pas de manifestations.
83De toutes parts, il m’arrive que j’étais sérieusement menacé. Mme Bérard Péan et son confident Malapert, avocat candidat, avaient, paraît-il, formé tout un petit et noir complot contre moi. Quelles méchantes gens ! […]
84Le succès de M. Le Hérissé me raffermit dans ma situation ; c’est un vrai soulagement pour moi, car, après tout, je ne sais trop ce que j’aurais fait si j’avais dû quitter mon emploi. Que serais-je devenu avec mes chers enfants ? Certains hommes sont impitoyables et la politique fait commettre des actes monstrueux. Elle donne lieu aussi à des transactions bien amusantes.
85Ce matin, M. Le Hérissé m’a dit pourquoi la liste républicaine avait battu à Vitré la liste conservatrice57 qui cependant dirige l’administration municipale depuis de longues années et pourquoi elle a obtenu notamment un si beau succès dans le canton N.-O. de Vitré. Le curé de la paroisse St-Martin de Vitré, chanoine honoraire, aspire à un évêché, mais il lui faut naturellement les bonnes grâces du Gouvernement58. Pour les obtenir, M. Brault qui est, d’ailleurs, un homme fort distingué, mitrable et crossable [sic], a fait montre de la plus superbe indifférence au sujet des élections. Tout entier à ses devoirs de pasteur des âmes, il a laissé ses paroissiens se débrouiller et voter pour la liste républicaine si le cœur leur en disait59. Il a obtenu, grâce à l’appui du principal candidat républicain, M. Garreau avoué et futur maire60, l’autorisation de faire inhumer dans l’église le corps de son prédécesseur. Et voilà pourquoi M. Brault a abandonné les Chouans et pourquoi ceux-ci ont été battus dans leurs principales citadelles. Quelle comédie !
Mercredi 6 mai 1896
86[…] M. Le Hérissé m’a dit qu’il se ferait forcer la main pour être maire. Si j’en crois les conversations qui m’ont été rapportées, il n’aura pas cette peine, le conseil municipal n’étant pas disposé à le choisir pour être maire. Ce sera une profonde déception pour lui61. M. Le Hérissé est jeune, actif, entreprenant ; mais il manque d’expérience et je crains qu’étant à la tête de l’administration municipale il n’engage la ville dans de nouvelles entreprises au-dessus de ses forces. Il est très intelligent, mais la maturité d’esprit lui fait peut-être défaut. Il est très séduisant. On ne croit pas à la sincérité de ses opinions politiques ultra-radicales. Toutefois son attitude à la chambre des députés n’a jamais varié62.
87Si M. Le Hérissé n’est pas maire, ce sera M. Poulin, ancien Trésorier Payeur Général, ancien préfet et conseiller municipal à Rennes en 1892 et 189363. On dit cependant que son intellect a bien baissé. J’ai reçu cet après-midi la visite de MM. Lajat et Sacher deux anciens conseillers municipaux qui sont parmi ceux ayant obtenu le plus grand nombre de voix dimanche dernier. M. Sacher a offert à M. Lajat la candidature à la mairie. M. Lajat se défend mais au fond je crois qu’il accepterait volontiers. Il acceptera toutefois d’être adjoint. Il n’est rien tant que les hommes aiment comme les honneurs et combien on flatte leurs vanités en les leur offrant. M. Sacher ne veut rien être. Son amour-propre a reçu pleine satisfaction en obtenant, de tous les candidats, le plus grand nombre de voix.
Mercredi 13 mai 1896
88Dimanche 10 mai, la liste de M. Le Hérissé a été élue à une grande majorité à l’exception du principal candidat, M. Le Hérissé lui-même, qui par suite d’une petite supercherie de ses ennemis acharnés a obtenu 62 voix de moins que M. Beaufils (Édouard), candidat conservateur64.
89L’échec de M. Le Hérissé est regrettable et ses ennemis s’en serviront plus tard contre lui aux élections législatives65. M. Le Hérissé est un charmant garçon, très séduisant, intelligent ; éloquent non, mais s’exprimant avec facilité et répondant facilement aux interruptions ; voix dominante. Il siège à la gauche radicale, mais je ne lui crois pas de convictions politiques profondes bien que cependant sa ligne de conduite à la chambre des députés ait toujours été conforme au programme dont il s’est toujours fait le défenseur. En politique, il est roublard, dit-on ; je le crois. Il n’a rien fait pour sauver son ami Émile Martin lorsque le comité l’a écarté et il m’a dit, à ce sujet, que c’étaient 1 500 voix de gagnées. M. Le Bastard n’eut pas agi ainsi. Il est certain toutefois que toute la campagne électorale se serait faite sur le dos de M. Martin.
7 mai 1896
90Un des faits les plus odieux de la période électorale qui sera bientôt terminée, c’est le nom de M. Martenot, ancien architecte de la ville, au bas du manifeste du Journal de Rennes. « Vingt années d’une administration imprévoyante ont gravement compromis sa situation financière et paralysé son essor. » Et plus bas : « En résumé, plus à l’heure actuelle de travaux de luxe, mais des entreprises utiles, etc. »
91Et c’est M. Martenot qui a osé signer une pareille profession de foi, lui l’instigateur de toutes les dépenses de luxe qui ont pu être faites par M. Le Bastard, lui, l’homme de confiance de ce dernier, son bras droit en quelque sorte, son conseiller le plus intime. C’est une véritable trahison. Ou M. Martenot n’est qu’un faux bonhomme, ou c’est un inconscient. Tous ceux qui ont connu M. Le Bastard et qui connaissent M. Martenot sont scandalisés d’une pareille attitude. C’est une infamie. Mme Le Bastard en est outrée. Et si M. Le Bastard pouvait descendre de son piédestal il lui mettrait son pied quelque part66. […]
92Bien malgré moi, je me trouve mêlé à la polémique électorale. Le Journal de Rennes maintient sa liste pour dimanche prochain. M. Martenot m’attaque personnellement et je me vois contraint de donner des renseignements pour combattre sa candidature et faire ressortir l’attitude odieuse qu’il a dans cette lutte électorale. J’ai toujours ménagé M. Martenot jusqu’à ce jour ; aujourd’hui, la force des choses m’oblige à sortir d’une réserve que je trouvais plus digne. Quel orgueil il a, cet homme ! Une seule personne en a plus que lui, c’est Madame Martenot67.
Vendredi 9 octobre 190368
93Les élections municipales de mai 1896 amenèrent au conseil municipal un certain nombre de nouveaux élus. La lutte fut très vive et je n’échappai pas aux violentes polémiques. M. Bérard Péan, ou plutôt sa femme, aidée par M. Malapert, m’attaqua violemment.
94Voici quels furent les élus, installés par M. Morcel dans la séance du conseil du 17 mai 1896.
Sacher | 5 941 voix | Lion | 5 578 voix | ||
Malherbe | 5 773 | nouveau | Perret (Félix) | 5 575 | nouveau |
Miller | 5 720 | Mainguené | 5 527 | ||
Lajat | 5 716 | Poulin | 5 520 | ||
Leray Dr | 5 716 | nouveau | Maleuvre | 5 510 | |
Laurent | 5 711 | nouveau | Herviault | 5 550 | nouveau |
Legros | 5 706 | nouveau | Havard | 5 489 | nouveau |
Levron | 5 693 | nouveau | Clément (Francis) | 5 471 | |
Lahutte | 5 674 | Gralland | 5 469 | ||
Crié | 5 674 | Bellier | 5 449 | nouveau | |
Pollet | 5 137 | nouveau | Tual | 5 430 | |
Davy | 7 628 | nouveau | Priou | 5 390 | nouveau |
Lehagre | 7 620 | nouveau | Aubrée | 5 334 | |
Largesse | 5 619 | nouveau | Clément (Fernand) | 5 227 | nouveau |
Dussaussay | 5 607 | Guillet | 5 166 | nouveau | |
Joubert | 5 606 | nouveau | Huet | 5 089 | nouveau |
Priaux-Goudal | 5 603 | nouveau | Beaufils (Édouard) | 4 252 | nouveau |
95Le nombre des électeurs inscrits était de 13 829.
96Au deuxième tour le nombre de votants a été de 8 865.
97Le nombre de bulletins trouvés dans l’urne de 8 863. […]
Mercredi 8 décembre 189769
Hier soir à 8 heures, M. Morcel, ancien maire de Rennes est mort après quelques mois de maladie. Je lui avais fait une visite dans l’après-midi : ce devait être la dernière.
Mme Morcel était morte l’année dernière, le 15 décembre.
Jeudi 9 décembre 1897
J’ai préparé aujourd’hui le petit discours que M. Lajat doit demain prononcer sur la tombe de M. Morcel. J’ai essayé de résumer les qualités de cet homme de bien pour lequel j’avais une vive affection.
Vendredi 28 juillet 1899
Hier soir en séance privée du conseil municipal, le maire a eu la singulière idée de faire donner le nom de Morcel au nouveau boulevard qui relie celui de Strasbourg au cimetière de l’Est. Sa proposition n’a pas eu d’écho. Peut-être pensait-il à lui pour l’avenir ? M. Morcel était un très brave, très digne, très honnête homme qui a, je crois, assuré la réconciliation entre M. Le Bastard et M. Leroux, préfet. Mais cela n’est pas suffisant pour donner son nom à l’une de nos rues.
Notes de bas de page
1 Note du mardi 25 août 1903, Cahier annexe.
2 Vincent Morcel (1817-1897), né à Rennes, ancien receveur des contributions indirectes, était entré très tard dans la vie politique. Il devint maire de Rennes et conseiller général du canton nord-est en 1892, vice-président du Conseil général la même année, président du comice agricole du canton nord-est [AMR, K 58, obsèques de Morcel].
3 Sur Luneau et Bébin, voir chap. 4.
4 Pratiquement dès l’origine et en raison des imprécisions des traités et conventions signés, un long procès oppose la ville aux compagnies des eaux au sujet de diverses composantes du service des eaux et des égouts. Le conflit porte sur l’entretien des branchements dans les bâtiments communaux, le curage des égouts, l’arrosage des voies publiques. En Conseil d’État, le 12 juillet 1895, la Ville est condamnée à de lourdes pénalités financières. Morcel, Vadot et le chef du service des eaux, Blin, se rendent alors à Paris pour négocier avec le directeur de la Compagnie générale des Eaux et obtiennent la signature d’une nouvelle convention, valant traité de paix. « Les résultats obtenus ont dépassé toutes nos espérances » pourra d’ailleurs dire Lahutte au vu des avantages financiers obtenus [AMR, 1 D 71, séance du 13 novembre 1895] par Vadot et Blin.
5 Affluent du Couesnon. Avec la Minette, La Loisance fournissait l’eau du premier système d’approvisionnement, créé par Le Bastard. Mais les « usiniers » (meuniers ou boulangers) accusaient la ville d’avoir diminué son débit par ses captages. L’affaire fut réglée avec difficulté, contrairement aux affirmations de Vadot. Après une demande d’expertise ordonnée par le conseil de préfecture, le 28 novembre 1891, un jugement du 29 novembre 1896, déboutait les usiniers et les condamnait aux frais d’expertise. En appel de Conseil d’État, il fut confirmé le 20 décembre 1901 [AMR, N 20].
6 Le réseau de tramways électriques fut étudié à partir de l’hiver 1894-1895. Une polémique sur les avantages respectifs de la traction électrique et de la vapeur, ralentit la construction du réseau. Il fut finalement inauguré – au milieu de bien des difficultés techniques – à la fin juin 1897 | J. Vincent, 1999]. L’inauguration donna d’ailleurs lieu à un « ratage » mémorable | J.-B. Le Pezron, 1986, p. 157].
7 Coupure de presse non référencée.
8 On n’imagine pas de telles formules dans un discours d’aujourd’hui, preuve que les sensibilités ont une histoire.
9 La halle aux toiles et la halle aux poissons encadraient la cale du Pré-Botté, sur la Vilaine, au cœur de la ville. L’ensemble fut rasé au début des années 1880 pour la mise en chantier d’un des grands projets de Le Bastard, le Palais du Commerce. Le maire ne devait jamais en voir l’achèvement, par suite des difficultés financières de la ville. Partiellement incendié en le 29 juillet 1911, il ne fut terminé qu’en 1930.
10 Des pharmacies s’y sont succédé jusqu’à l’incendie de 1994.
11 Cahier n° 1.
12 Les articles 54 et 55 de la loi municipale de 1884 – violemment contestés par la droite – imposaient selon le vœu républicain la publicité des séances des conseils municipaux. Des séances à huis clos, décidées sur proposition du maire ou de trois membres par assis et levé, étaient toutefois tolérées. Vadot en signale certaines, dédiées à des affaires délicates. Mais à Rennes on transforma volontiers ces réunions en assemblées préparatoires des séances publiques.
13 Vadot flatte ici son ego – le fait étant que la plupart des conseils municipaux ne donnaient pas la parole, politique bien entendu, à leur secrétaire général.
14 L’École de médecine de plein exercice est instituée par décret du 3 août 1895, la loi du 10 juillet 1896 (re) créant pour sa part les universités, dont celle de Rennes. Dès lors, les étudiants en médecine de Rennes pouvaient y faire tout leur cursus, sauf y soutenir leur doctorat, simple formalité en médecine [AMR, R 86].
15 Étonnante (ou cynique ?) affirmation. Vadot, qui a alors les coudées franches, se satisfait d’élus sans envergure. Plus rude sera sa déconvenue lorsque la mairie sera de nouveau (dé-) tenue par des conseillers sûrs de leurs prérogatives.
16 Les traités portant concession de services publics de manière exclusive ou pour plus de 30 ans doivent être approuvés par le préfet, selon l’article 115 de la loi du 5 avril 1884.
17 Il va être abondamment question de Bérard Péan dans les pages qui suivent.
18 La question de la rémunération des fonctions municipales avait été discutée en 1883-1884. Le 25 octobre 1883, un amendement prévoyant une indemnité pour les maires, présenté par les radicaux Andrieux, Tony Révillon et Douville-Maillefeu fut rejeté à la Chambre par 346 voix contre 124. La loi accordait simplement par son article 74 la possibilité de remboursement de frais ou d’indemnités exceptionnelles de représentation. Le sénateur de Gavardie, de la droite extrême, trouva encore que c’était beaucoup trop [La Nouvelle loi municipale… Sénat… 4 mars 188, p. 467-469]. Vadot partage les idées de la majorité opportuniste de 1883. L’indépendance met à l’abri du besoin, des pressions, des compromissions et autorise un certain flamboiement dans les manières.
19 La visite de Félix Faure à Rennes aura lieu en août 1896 [AMR, K 123 à K 125].
20 À l’exception de Le Hérissé, bien entendu – qui n’est pas à cette date conseiller municipal. La majorité du conseil ne souhaitait pas son accession à la mairie, comme le montreront les événements de mai 1896.
21 Les événements vont donner en partie tort à Vadot. La liste, oui. Le Hérissé, non. Voir Infra.
22 Leroux est élevé le 16 mars 1896 à la première classe entière, au traitement non négligeable de 35 000 francs. Ce n’est que le 13 septembre 1897 qu’il sera nommé préfet des Alpes-Maritimes, après huit ans passés en Ille-et-Vilaine, durée exceptionnelle, marque sans doute de son utilité pour le(s) gouvernement(s).
23 Voir chap. 9.
24 J.-F. Tanguy, 2006.
25 De février 1887 à la mort de Le Bastard, la direction – concédée – du théâtre appartient à la veuve Poyard (en fait à son fils, comédien) et provoque des conflits. En 1893, la ville reprend en régie directe la gestion du théâtre. Le succès étant mitigé, Poyard est rappelé en 1895 comme directeur concessionnaire mais n’y reste, malgré des recettes honorables, qu’un an et demi, les édiles municipaux estimant ses demandes de subvention excessives. Poyard démissionna au milieu de la saison 1896-1897 [A. Le Breton, 1995, p. 54-69] ; voir aussi chap. 6.
26 Vadot pense bien entendu à Le Hérissé.
27 Les octrois constituant la principale ressource des villes françaises au XIXe siècle, c’était parler pour ne rien dire. Sur le fond : le budget rennais de 1896 était en excédent de 431 173 francs pour les dépenses ordinaires (de fonctionnement), mais en déficit de 499 003 francs pour les extraordinaires (investissements, remboursement des emprunts). Après diverses corrections, on arrivait à une insuffisance de ressources de 73 100 francs. Le conseil vota le 23 décembre 1895 un supplément de dix centimes additionnels au principal des quatre contributions directes. Les centimes additionnels s’élevant jusqu’alors à 37,3 centimes, cela représentait une augmentation de la pression fiscale de 26,8 %. Ce n’était pas rien… [AMR, 1 D 72].
28 Comme Vadot le reconnaît, le fond de l’article n’est pas contestable. Mais Vadot n’est pas responsable de la situation financière de la ville, et par son énergie, a plutôt évité qu’on sombre bien plus bas en 1889-1890.
29 Pas « presque ».
30 Importante séance du 4 mars 1892 [AMR, 1 D 69 – avec des tableaux chiffrés très précis].
31 Supra.
32 Commencés sous Le Bastard. Voir chap. 4.
33 Supra. Ne pas confondre avec les « tramways à vapeur » (chemins de fer départementaux).
34 Supra.
35 C’est l’embryon d’un parti démocrate-chrétien ou « libéral » à Rennes, appelé à fonder trois ans plus tard L’Ouest-Éclair avec Emmanuel Desgrées du Loù, les abbés Crublet et Trochu [O. L. Arnal, 1980 ; M. Lagrée, P. Harismendy, M. Denis (dir.), 2000]. Sa marge d’action est étroite entre la municipalité radicale (un peu atypique) et les conservateurs royalistes du Journal de Rennes.
36 Paroisse du centre-ville nord-est, proche des « beaux quartiers ».
37 Forget était aumônier de l’Hôtel-Dieu [ADIV, 1 V 270].
38 La constellation des « abbés démocrates » est en fait assez composite. Voir chap. 7.
39 Bodin vise le socialisme marxiste de Guesde, le syndicalisme révolutionnaire et la francmaçonnerie, devenue plus radicale et anticléricale, dont le recrutement s’est fait plus populaire. En 1884, l’encyclique Humanum genus de Léon XIII condamne comme jamais auparavant la maçonnerie notamment « sa doctrine, […] ses projets, ses sentiments et ses actes traditionnels, afin […] d’arrêter […] ses progrès ». L’épiscopat ultramontain soutient cette campagne tel Amand-Joseph Fava, évêque de Grenoble, dont le Manuel de la Croisade des Francs-Catholiques [sic], Grenoble, Vincent et Perroux, 1881 est donné avec l’assentiment pontifical.
40 Qui ne sont en effet nullement cléricaux.
41 Malgré la disparition du maire et de sa forte personnalité, le conseil est demeuré uni.
42 En fait, sans l’avouer, même dans son « journal », Vadot l’a dissuadé.
43 Au détour d’une petite phrase, l’importance capitale de Vadot dans la politique rennaise est ainsi marquée. Ses fonctions de secrétaire général sont clairement débordées. Quand « on » l’accuse d’outrepasser ses fonctions, il est évident qu’« on » a raison…
44 Sur Martenot, voir plus loin son rôle dans les élections municipales de mai 1896.
45 Militant socialiste.
46 La partie la plus conservatrice de l’équipe municipale – unie, mais non uniforme – faisait pression en ce sens. Lors d’une réunion publique du 1er novembre 1895, « […] le citoyen Maniez prend la parole et dit qu’il a appris que le conseil municipal réuni en séance privée avait voté la suppression de la subvention à la bourse du travail parce que M. le maire aurait reçu une lettre anonyme l’avisant que l’on y faisait de la politique » [AMR, I 79].
47 Vadot condamne les coalitions hétéroclites, préférant des opinions affirmées, au risque de la défaite électorale. Il réprouvera l’union entre « bastardiens », socialistes et modérés dreyfusards en 1900, qui conduira de fait à la débâcle.
48 Le parti de Le Bastard et de Le Hérissé, proche d’un radicalisme « national » mais très républicain.
49 Blanc dans le manuscrit. Émile Martin était conseiller depuis au moins 1884.
50 Revenu très important : deux fois le traitement du préfet Leroux, six fois celui de Vadot, mais à peu près celui de Le Bastard, qui n’était pas pauvre.
51 Rennes était depuis les années 1880 un des principaux centres français de l’industrie des soies de porc. En 1909, la famille Martin & Maury tenait toujours le premier rang à Rennes dans cette industrie, employant 160 ouvriers à Saint-Cyr (Maury), et 70, rue Dupont-des-Loges (Maury & Martin). « Il n’y a nulle exagération à dire que, depuis dix ans, Rennes est le plus grand centre de France pour la préparation des soies de porc et qu’il [sic] tient dans cette spécialité une place très importante sur le marché mondial » [AMR, 2 F 7, Étude économique…, p. 77]. Sans être Lyon, Lille ou Rouen, la ville était plus industrielle qu’on ne le dit quelquefois.
52 Cahier annexe.
53 Les lettres écrites par Blanche depuis Pau ont été conservées par Vadot dans un cahier spécial.
54 Cahier n° 1.
55 Martha ou Le marché de Richemond, opéra de Friedrich von Flotow, créé en 1858.
56 Comme soutien de l’équipe sortante et de Le Hérissé, Vadot n’est donc pas un fonctionnaire neutre.
57 La « Liste d’Union catholique », conservatrice, était soutenue par la noblesse, dont le député Olivier Le Gonidec de Traissan, ou encore Louis Jarnouen de Villartay, le comte Yvan Hay des Nétumières, et le maire sortant, Victor Caillel du Tertre. Elle fut écrasée par la « Liste républicaine du commerce, de l’industrie et de l’agriculture » dirigée par l’avoué Georges Garreau. Ce dernier, troisième de sa liste seulement, obtint 1 115 voix contre 780 à Le Gonidec et 776 à Caillel. Garreau fut facilement réélu en 1900 et 1904 [ADIV, 3 M 504].
58 Selon le Concordat de 1801, les évêques sont nommés par le gouvernement et reçoivent l’investiture canonique du Souverain pontife.
59 Ce n’était pas le cas le plus courant. En 1876, à la veille des premières législatives de la IIIe République, l’évêque de Saint-Brieuc adressait à son clergé cette lettre pastorale : « Ô pauvre peuple, est-il donc vrai que toujours tu croiras ceux qui te trompent et te méprisent, ceux qui font servir ta loyauté crédule à leurs égoïstes ambitions ? Est-il donc vrai que toujours tu garderas tes défiances pour ceux dont la vie se passe à te servir, à t’aimer, à te faire du bien ? […] C’est à nous Messieurs, qu’il appartient de l’éclairer : grande mission n’a jamais été plus belle ni plus difficile qu’à l’heure présente ! Les préjugés vis-à-vis de la religion sont partout. » [ADCA, V 50.]
60 Sur Georges Garreau, voir chap. 13.
61 Écrite entre les deux tours, cette phrase reflète l’opposition dont Le Hérissé fut victime dans son propre camp.
62 L’instabilité doctrinale de Le Hérissé, vraie en terme d’étiquette est fausse sur le plan idéologique. Il était sans doute sincère [J.-F. Tanguy, 2003].
63 Sur Poulin, voir chap. 6.
64 Deux cents affiches rouges avaient été placardées sur les murs de la ville portant ces mots : « Républicains rennais/Supprimez Le Hérissé/C’est un Étranger/Et votez pour Édouard Beaufils/C’est un Rennais » Et deux cents autres affiches jaunes annonçaient : « Électeurs Rennais/Pour vous débarrasser de Le Hérissé/Votez pour les 33 Membres de la Liste Progressiste, mais/Rayez le nom de Le Hérissé et remplacez-le invariablement/Par le nom d’Édouard Beaufils, pas par un autre nom ». La honteuse élection de Beaufils fut invalidée par le conseil de préfecture quelques jours plus tard, annulation confirmée par le Conseil d’État. Mais Le Hérissé n’en profita pas : il renonça [ADIV, 3 M 480].
65 En pure perte.
66 On ne peut que partager l’indignation de Vadot. Sur Martenot (1828-1906), voir chap. 15.
67 Les femmes de 1896 n’ont pas le droit de vote, mais Vadot leur prête à raison une influence politique certaine.
68 Cahier annexe.
69 Extraits tirés des Cahiers n° 2 et 4.
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