Chapitre 3. Dans l’intimité domestique
p. 101-129
Texte intégral
À travers Vadot se dessine l’environnement culturel et mental d’un représentant emblématique de la moyenne bourgeoisie de province, pétri de vertus domestiques, aspirant au repos et à l’harmonie intérieure. Sa femme, évoquée en filigrane, rappelle l’angel of the home britannique, le classant ainsi un peu à part dans la société rennaise. Loin de son bureau, mais non de la mairie dans laquelle il réside et qui lui impose un certain code de distinction, émergent les grandes lignes de son univers. On y trouve d’abord les siens, formant tableau d’une famille heureuse, avant que ne meure Blanche. Puis, apparaissent quelques amis très proches – collègues de travail ou compagnon d’enfance et de campagne de 1870-1871, tel Bergerot, qu’il voit de loin en loin à Paris ou en villégiature. Enfin surgissent les relations gravitant aux lisières de l’intime avant, peut-être, d’entrer dans le cercle en épousant les filles. Mais on voit aussi, derrière les pratiques sociales d’un individu dans une ville – où se mêlent jardinage et promenades, musique et théâtre –, les inquiétudes pouvant nous sembler disproportionnées d’un père. Il y a même parfois quelques indécences – ou une formidable ambition, mêlée d’amertume – dans ses regrets de n’avoir pu faire fortune. On serait alors tenté d’y déceler un bien curieux précipité de Rastignac à la mode Labiche se cachant sous le cuir du Bressan devenu Rennais. Mais si les cahiers sont constellés de doutes incessants, et que Vadot paraît davantage subir les événements qu’il ne les conduit, il faut lui rendre une justice : celle de savoir sa position fragile et ses enfants mal armés pour s’émanciper. Mais il s’exagère souvent son rôle, et ne fait pas assez confiance aux filles, notamment, dont il ne croit la situation acquise, qu’à travers le mariage
Harmonies familiales
1Distant, sans doute cassant, en tout cas autoritaire dans sa vie professionnelle, Vadot se donne la satisfaction d’un confort intérieur assez singulier. En un temps de rétraction démographique très marquée en milieu urbain et dans la strate de la bourgeoisie à laquelle il appartient, sa famille est nombreuse : difficile de savoir s’il s’agit là d’un reste d’atavisme rural ou de l’affirmation d’un certain statut social, toujours est-il que, dans les premiers temps des Cahiers, cette abondance d’enfants fait son bonheur et sa fierté. Mais les choses vont bientôt changer…
Jeudi 9 décembre 1897
2Samedi dernier Blanche1 est partie pour Meillac près de Combourg où elle passera quelques jours avec Marthe Salmon2. Son absence fait un grand vide dans la maison qu’elle remplit de sa gaîté, de sa bonne humeur. Sans Marie-Lolo3 d’un esprit si primesautier, d’un tempérament si perturbateur, nous serions un peu moroses. Amélie4 cause peu et a besoin d’entraînement pour être gaie, expressive ; Emma5 est toujours plongée dans ses lectures ; Albert6 n’est pas précisément porté à la mélancolie, mais il a besoin aussi que sa verve soit mise en mouvement par d’autres. Ma femme et moi, nous causons peu7. Les enfants se plaisent plus à la maison que partout ailleurs. Quand ils nous quittent ils ont hâte de rentrer.
3Je ne suis pas toujours raisonnable avec eux et j’ai le grand tort de me montrer trop souvent maussade.
Mardi 3 mars 1896
4C’est singulier le vide qui se fait quelquefois dans mon intellect. Je vais atteindre bientôt ma 47e année. Est-ce que par hasard le peu de facultés qui m’a été dévolu commencerait à décliner ? Je me sens cependant plus fort, mieux armé pour la lutte ; je me sens par moments en état d’entreprendre tout autre chose que ce qui a suffi jusqu’à ce jour à ma modeste existence.
5Ne suis-je cependant pas heureux ? Heureux autant qu’on peut l’être en cette vie. En y réfléchissant bien, quel sort relativement heureux que le mien ! Chez moi, une femme et des enfants qui m’aiment et que j’aime par-dessus tout. Jamais le moindre nuage n’est venu obscurcir notre existence toute d’intérieur, d’affection, de confiance réciproques. Existence bourgeoise, pot-au-feu, tant qu’on voudra, mais existence, en somme, exempte de loin en regrets, de ces soucis cuisants, de ces blessures, de ces froissements qui sont le lot des familles, des personnes qui ne se suffisent pas à elles-mêmes.
Samedi 5 avril 1896
6Jeanne Bornet8 a dit à Amélie que nous étions une famille modèle. Je crois, en effet, que par notre entente, notre union, les concessions que nous savons nous faire, nous sommes aussi heureux qu’on peut l’être en famille. Du reste, Antonine met dans la direction de ses enfants une patience, une abnégation de soi-même, un savoir-faire admirables. Elle a plus de sagesse et de raison que je n’en ai.
Vendredi 25 août 1905
Il est dix heures – Jeanne B[ornet]9 nous a quittés ce matin. Elle séjournera 2 à 3 jours à Rennes et se rendra à Paris dans sa famille. Quel charmant caractère que celui de J. B. ! Elle accepte en riant toutes les plaisanteries quelques fois un peu vives. Elle n’est pas jolie mais elle a des yeux vifs, intelligents qui la rendent très agréable. Elle est toujours mise avec goût et sa démarche d’une certaine élégance lui donne de la distinction et corrige quelques défauts de nature. J. B. est professeur de musique10 et à ce titre, elle s’est créée à Rennes, une situation des plus enviables11 due à son intelligence et au don qu’elle a pour l’enseignement. Son mérite est d’autant plus grand qu’elle a eu à lutter contre les préjugés de ses parents, mais principalement de sa mère qui employa tous les moyens même les moins avouables pour briser la carrière qu’elle commençait. Quelques amis soutinrent et encouragèrent J. B. et c’est à des efforts persévérants joints à ces encouragements qu’elle doit la belle situation qu’elle a aujourd’hui. Ses élèves l’adorent12, les personnes qui l’entourent l’aiment et l’admirent, elle a des envieux, peut-être a-t-elle quelques ennemies.
18 janvier 1897
7Hier nous avons souhaité la fête de ma femme. Les enfants étaient heureux, elle aussi. Je ne me lasse pas d’admirer les vertus et le caractère de celle qui depuis 22 ans partage mon existence et me rend la vie aussi douce que possible. Elle ne m’a pas apporté de fortune, mais elle m’a donné ce qui vaut mieux : le bonheur13. J’ai goûté avec elle toutes les joies de l’existence. Je ne redoute qu’une chose : c’est qu’après tant d’années heureuses, le malheur, les souffrances ne viennent à notre tour nous éprouver14.
Le jardin de St-Cyr
8Au terme d’une opération compliquée dont il détaille les grandes lignes, Vadot acquiert aux portes de Rennes, un beau terrain de 2006 m2, de forme triangulaire borné par la nationale Paris-Brest au Nord et la ligne de chemin de fer Rennes/St-Malo au sud-ouest. Préservés de la chaleur souvent étouffante de l’appartement à la mairie, les Vadot y jouissent d’une quiétude agreste et y donnent rendez-vous à leurs amis. Cette « campagne » que, malade, Vadot devra louer en 1909, constituait aussi un petit investissement, puisqu’évalué 19 000 francs à sa mort et le principal de sa fortune15.
16 décembre 1895
9Lundi. J’ai continué aujourd’hui mes pourparlers avec M. Miller, adjoint16, et Mme Loisel propriétaire à St-Cyr, pour aboutir à l’acquisition définitive d’un terrain de 2 000 mètres, situé à St-Cyr17, et que je transformerai en jardin pour les enfants qui sont enchantés de cette acquisition probable. J’ai dû agir de ruse avec M. Miller et Mme Loisel pour arriver à vaincre quelques petites difficultés18. Moi qui ne songeais nullement il y a une quinzaine de jours à devenir propriétaire, je fais des vœux aujourd’hui pour que cette acquisition soit définitive, c’est-à-dire pour qu’aucune surenchère ne se produise d’ici à jeudi prochain. Encore deux jours. Sentiment nouveau pour moi, je me fais une joie de posséder un petit lopin de terre ! Combien je m’explique l’ardeur du paysan à acquérir de la terre !
Mercredi 18 décembre 1895
10Aujourd’hui dernier jour pour les surenchères, en ce qui concerne les terrains vendus la semaine dernière, M. Bérard Péan, conseiller municipal, président du tribunal de commerce, négociant19, etc., a mis une surenchère sur les quatre lots acquis par Mme Loisel qui m’en avait cédé un moyennant le prix de 2 000 francs pour 2 000 mètres carrés. Et encore cet après-midi elle nous avait cédé à MM. Miller et Sacher20 et à moi, les trois autres moyennant un bénéfice de 1 200 francs. C’était une bonne petite affaire, du terrain à 0,85 le mètre21. Et voilà que sournoisement, sans rien dire, M. Bérard Péan a mis une surenchère sur ces lots. Vilain bonhomme ! va. Tu n’auras pas ma voix aux prochaines élections. MM. Miller et Sacher sont furieux contre leur collègue. Ils l’appellent : faux bonhomme !
11Tous mes rêves de propriétaire sont fortement compromis.
Mardi 7 janvier 1896
12Aujourd’hui après entente, non sans difficultés, avec M. Bérard Péan je me suis rendu acquéreur d’un terrain de 2 000 mètres carrés à St-Cyr22. L’adjudication a eu lieu au tribunal, à midi, sur la mise à prix de 4 929 francs et une enchère de 21 francs, soit en totalité 4 950 francs pour 8 040 m superficiels dont 2 000 me sont cédés par déclaration de commande par M. Bérard Péan23. À la nouvelle, tous mes enfants se sont écriés : « nous sommes propriétaires ! »
13Qu’il a fallu de la diplomatie pour arriver à ce résultat ! M. Miller adjoint et Sacher, conseiller municipal, qui s’étaient associés à ma petite entreprise, y ont mis la meilleure volonté24 et c’est grâce à eux que j’ai pu avoir raison des hésitations de M. Bérard Péan qui voulait tout garder.
14Quoi qu’il en soit je suis aujourd’hui propriétaire d’un petit lopin de terre bien placé, d’où l’on jouit d’une très jolie vue sur la campagne et sur la colline de Pont-Réan.
Mardi 15 septembre 1896
15Le mur de mon jardin de St-Cyr se construit rapidement : il sera terminé cette semaine.
16À ce propos, j’ai voulu en construire un, mitoyen entre M. Bérard Péan et moi. J’ai fait demander à cet illustre benêt s’il consentait à faire cette clôture : il m’a fait répondre par M. Chemin, expert, qu’il ne voulait rien entendre, que je pouvais faire ce qui me plaisait. Il m’en veut de son échec aux élections municipales du mois de mai dernier25. Je n’y ai été pour rien, mais sacrebleu il est trop bête !
Lundi 18 janvier 1897
17Hier, tranquillement assis dans ma maisonnette du jardin26, j’ai assisté à un joli coucher de soleil.
Dimanche 24 janvier 1897
18Cet après-midi, Amélie et moi nous avons planté quelques jeunes lilas dans le jardin, du côté du buisson du chemin de fer. Que deviendront ces plantations ? Qui plus tard en cueillera les fleurs ?
19Dimanche dernier, j’ai achevé la petite terrasse à l’angle du mur du côté du pont de chemin de fer. Ce sera un endroit charmant au printemps et à l’été.
20La terre est aujourd’hui couverte de neige ; il fait froid.
Jeudi 18 février 1897
21Depuis trois jours le temps s’est mis au beau. Les après-midi sont délicieuses, la température est chaude. Au jardin, un jeune pêcher montre déjà ses charmantes fleurs roses qu’entourent de délicates feuilles d’un vert tendre ! Les lilas ouvrent leurs bourgeons et quelques rosiers ont de toutes petites feuilles. C’est le renouveau ! C’est la vie !
Jeudi 3 février 1898
22Je viens de faire planter quelques arbres dans mon jardin : des marronniers, un tilleul, un petit chêne et un autre dont j’ignore le nom. Ils encadrent la pelouse et lui donneront de l’ombre pendant l’été. Nous nous réjouissons de voir tout cela se couvrir de feuilles et de fleurs au printemps.
Vendredi 25 février 1898
23Notre petit jardin s’embellit. Nous y avons planté cette semaine deux jolis cèdres, deux beaux lilas et quantité d’arbustes. Au printemps tout cela sera charmant. Mes chers enfants attendent avec impatience le mois d’avril qui doit parer de fleurs et de feuilles toutes ces plantations où quelques oiseaux, nous l’espérons, viendront faire leurs gentilles nichées.
Lundi 17 septembre 1900
24Que mon jardin est joli ce matin à 6 heures quand le soleil se lève, quand les arbres de la route projettent leurs grandes ombres sur la pelouse ; quand l’atmosphère imprégnée d’humidité se colore aux premiers rayons du soleil. Puis le sommet des grands arbres rougit peu à peu, les maisons s’éclairent, les brouillards se dissipent et du haut de la terrasse du fond, le coup d’œil sur la vallée du côté du sud ouest est ravissant.
Dimanche 19 juin 1904
25[…] trois jours de répit pour moi ; j’en avais besoin. Aussi, j’ai passé toute ma journée d’hier au jardin, coupant une rose par-ci, une rose par-là, enlevant quelques bourses de chenilles, surveillant le jardinier qui coupe l’herbe des pelouses, causant avec l’un, avec l’autre, car les enfants reçoivent de nombreuses visites et jouent au tennis.
Au théâtre
26Sans être musicien lui-même, Vadot est mélomane, avec une sensibilité poussée parfois jusqu’à l’extrême. Par goût et volonté de distinction – non pour briller mais peut-être par nécessité intérieure d’avoir des loisirs en rapport avec l’idée qu’il se fait de son statut social –, il préfère les grands airs aux plaisirs faciles du vaudeville. Assidu aux « concerts populaires » organisés par la ville qui reflètent ce vaste mouvement de vulgarisation et d’éducation populaire des années fin-de-siècle, il y apprécie le répertoire et l’éclectisme de l’auditoire. Mais il rappelle aussi que les scènes lyriques et théâtrales rennaises attiraient des artistes renommés ou des pièces à succès27.
Jeudi 27 février 1896
27Première représentation à Rennes d’une œuvre de Wagner (Lohengrin).
Mercredi 17 mars 1897
28Hier soir, le « Chat noir », mené par Rodolphe Salis28, l’âme de la troupe, donnait une représentation au théâtre et plaisantait plus ou moins spirituellement les hommes et les faits du jour. L’un des artistes fit allusion à M. Hanotaux ministre des Affaires Étrangères sous tous les ministères29 et s’écria : « Comme M. Poulin, maire de Rennes, qui a servi tous les gouvernements. » Notre maire, dans sa loge, s’empressa, paraît-il, de se dissimuler derrière les rideaux.
29Aujourd’hui, il m’a parlé de ce petit incident qui avait l’air de le contrarier. « Non, m’a-t-il dit, je n’ai pas servi tous les gouvernements, ce sont les Gouvernements qui se sont servis de moi. Entre les deux il y a une nuance. » J’ai bien ri de cette spirituelle façon de justifier une ligne de conduite politique qui a amusé les délégués sénatoriaux il y a quelques temps. Après tout, cette manière de voir n’est peut-être pas tant que çà dénuée de bon sens.
Lundi 26 mars 1900
30Hier, premier concert populaire30 donné par M. Carboni31, successeur de M. Tappomier32. La salle du théâtre était bondée et le public a fait un excellent accueil au nouveau directeur du Conservatoire. Son concert a, du reste, été très réussi et certainement mieux préparé que les derniers donnés par M. Tappomier. Je ne peux cependant pas oublier les belles auditions données il y a quelques années par ce dernier.
Mercredi 4 avril 1900
31Hier au théâtre, représentation de Coralie et compagnie, de Valabrègue et Hennequin, jouée au Palais Royal33. Malgré le prix élevé des places, la salle était comble. La troupe dirigée par Achard34 était bonne, mais la pièce malgré beaucoup d’esprit de la part de l’auteur, n’est qu’une bouffonnerie et parfois une pitrerie […] l’on a applaudi à outrance surtout aux scènes plus que lestes et aux sous-entendus à faire rougir un sapeur. Par contre pour le concert de dimanche prochain, le public chic s’abstiendra, les fauteuils et loges seront à peu près vides et Carboni en sera pour ses frais, en dépit de l’intérêt de son programme. Mais voilà ! Il s’agit de la musique et la bonne musique, celle qui élève l’âme, qui fait rêver, qui donne la sensation du beau, qui procure des impressions souvent vives, n’a pas le don d’attirer au théâtre, ou il faut que la curiosité soit en même temps satisfaite à la présence de l’auteur, d’un artiste ayant un nom à Paris, etc. Dimanche on viendra peut-être au concert parce qu’Alexandre Georges dirigera lui-même son œuvre35, on n’y viendrai pas sans lui.
Lundi 22 décembre 1902
32Hier, premier concert populaire donné par M. Boussagol36. Le programme était varié et l’exécution a été très bonne.
33L’Ave Maria de Gounod avec voix d’hommes et d’enfants, accompagnant le chant fait par l’orchestre, m’a causé une vive impression.
Mercredi 14 janvier 1903
34Hier soir, superbe représentation de Werther avec le concours de Delna37 qui a créé le rôle à l’Opéra-comique en 1893. J’avais déjà entendu cette admirable artiste dans la Vivandière38 et dans La prise de Troie39, à l’Opéra ; mais elle ne m’avait pas impressionné comme hier au troisième acte de Werther.
35Pour assister à cette représentation j’avais remercié le maire de son invitation, un peu tardive, à dîner chez lui avec M. Bayet, Directeur de l’Enseignement supérieur40, Thamin, recteur de l’Académie41, le préfet, etc.
Lundi 19 janvier 1903
36Samedi on jouait au théâtre Le billet de logement de je ne sais quel auteur. Ce vaudeville a obtenu et obtient encore à Paris, aux Folies dramatiques, un succès considérable42. J’ai entendu les deux premiers actes et j’ai été navré des ordures qui sont ainsi servies au public. Plus c’était ordurier et plus étaient nombreux les applaudissements. Singulier goût des spectateurs qui avaient soin de souligner tout ce qu’il y avait de répugnant.
Jeudi 19 novembre 1903
37Lundi dernier, Raoul Pugno, pianiste43, a donné un concert dans la salle des fêtes de l’Hôtel de ville. On ne peut rien rêver de plus parfait : c’était admirable et impressionnant. Lolo est remontée à la maison toute en larmes, tellement elle a été secouée par la musique divine de cet étonnant artiste.
Lundi 8 février 1904
38Le public a fait hier une belle ovation à Marguerite Tapponnier44 qui chantait au concert populaire45, ovation due au talent de la charmante artiste et aux nombreuses et sincères sympathies que son père a laissées à Rennes. Marguerite qui avait accepté notre hospitalité, avec sa mère, nous a dans l’intimité, chanté quelques morceaux de Lohengrin et la célèbre « Pleurez mes yeux » du Cid. Je fus littéralement empoigné et Lolo qui accompagnait au piano son ancienne camarade fut si vivement impressionnée qu’elle ne put retenir d’abondantes larmes. Mais aussi quelle belle voix, quel sentiment !
Dimanche 11 décembre 1904
39Jeudi dernier, La Traviata fut jouée au théâtre par Emma Nevada, cantatrice italienne qui fut autrefois célèbre46. Le dernier acte, la mort de Violette, fut si poignant, joué et chanté par cette artiste ; il me rappela avec tant d’exactitudes les derniers jours de Blanche, que mon émotion fut portée au comble et que je vis le moment où j’allais être obligé de quitter la salle.
Dimanche 12 février 1905
40Hier soir, bonne représentation de Louise, l’œuvre tant discutée de Gustave Charpentier47. Pourquoi faut-il que tant de talent soit dépensé pour chanter L’Amour libre, pour l’exaltation de la passion et le reniement des devoirs les plus naturels ? Si Louise est intéressante au premier acte, elle devient odieuse au dernier. Quel ravissement que cette musique qui exprime la paix du foyer !
Lundi 22 mars 1909
41Samedi soir et hier, dimanche après-midi, très belles auditions données par la société des concerts Bodin avec le concours d’Enesco, violoniste et compositeur48 et d’André Hekking violoncelliste49.
42Le concerto en si mineur de Saint-Saëns joué par Enesco a obtenu un succès considérable et le public du dimanche a applaudi encore plus vigoureusement que celui de la veille plus select dit-on.
43Quoi qu’il en soit il est certain que cette exécution du concerto par Enesco a été, dans certaines portions, d’un charme inestimable. C’était du ravissement. J’écoutais et j’étais comme dans une extase indéfinissable.
Inquiétudes paternelles
44Avant même la disparition de Blanche, Vadot ne cesse de dire son incapacité – ou ce qu’il croit telle –, à assurer la pérennité de la position sociale qu’il a conquise pour ses enfants. Cette obsession du rang et, à l’inverse, l’angoisse du déclassement déterminent jusqu’à ses derniers jours de vie un acharnement peu commun au travail. Reflet de la méritocratie alors en œuvre, il ne cache pas son amertume à être privé de fortune ; au fond à n’être pas un notable50.
Dôle, 1er janvier 1871 (Journal d’un mobile)
Je suis accablé de tristesse. Ce matin, après le déjeuner, je suis rentré dans ma chambre où rien ne vient me distraire.
Quel caractère que le mien. Les trois quarts du temps je m’ennuie là où les autres ont du plaisir. Je suis malheureux loin de tous ceux que j’aime. Mes camarades sont gais et prennent philosophiquement leur parti des événements ; moi, je ne vois que du noir partout. Il me semble que tout s’écroule et que toute espérance doit être bannie de nos cœurs. L’avenir m’effraie ; parfois j’appréhende la mort et au souvenir de cette défaillance momentanée le rouge me monte au visage.
Lundi 30 décembre 1896
45La mort de ma mère me fait un vide considérable, avec elle, bien qu’elle fût d’un très grand âge51, il me semblait que j’avais un guide, un soutien dans la vie, comme dans mon enfance. Elle a disparu et ma responsabilité, mon rôle à tous les points de vue semblent s’en être accrus.
Samedi 21 août 1897
46Depuis plusieurs semaines, je suis enclin à la tristesse et l’avenir de mes enfants me préoccupe de plus en plus. Que deviendront-ils lorsque l’âge ou les circonstances m’auront enlevé les principales ressources dont nous vivons aujourd’hui ? Pas de fortune et pas la moindre espérance d’en acquérir52.
Jeudi 9 décembre 1897
47J’ai toujours eu le caractère inquiet ; l’avenir m’a sans cesse préoccupé. Jusqu’à ce jour cependant la vie m’a été plutôt douce, agréable. La fortune nous fait entièrement défaut et c’est là ce qui m’inquiète pour l’avenir de mes enfants. Ma femme n’envie pas la fortune qu’elle semble plutôt redouter. Peut-être a-t-elle raison ? La fortune doit faire naître ou exciter des passions qui jettent tant de troubles dans les familles ! Cette réflexion banale m’est suscitée par les histoires scandaleuses dont quelques femmes que nous connaissons sont les malheureuses héroïnes à Rennes.
Dimanche 15 avril 1900, Pâques
48Malgré un beau soleil de printemps, bien que tout renaisse dans la nature, je suis triste, découragé. Et ce sont tous les miens qui pâtissent de ma mauvaise humeur qu’ils attribuent à des choses insignifiantes. J’ai quelques ennuis d’argent et je ne sais comment faire pour me tirer de là.
49Ce matin, je suis allé visiter la tombe de ma pauvre mère et des larmes me venaient aux yeux en pensant à cette bonne vieille mère qui travailla, souffrit, éleva ses enfants et fit encore des économies. Et moi, rien, rien ! Que deviendront mes enfants !
50Les cloches sonnent à pleine volée et j’ai de plus en plus de noir dans l’âme. Décidément Pâques n’est pas gai pour moi cette année. Sur la place de la mairie, sous les fenêtres de mon bureau, les gens endimanchés circulent plein de joie. C’est fête pour eux, pour moi ce jour est plus triste que celui des morts !
Samedi 11 août 1900
51Je n’ose penser à l’avenir de mes autres enfants. Je les laisserai sans fortune. Que deviendront-elles ? Ce sont de charmantes filles mais elles n’ont pas de dot.
Lundi 4 mars 1901
52Que souvent je suis désagréable avec mes enfants qui, cependant, se mettent en quatre pour me distraire lorsqu’ils me voient préoccupé. Au lieu d’être aimable avec eux, il m’arrive souvent de ne pouvoir surmonter ma tristesse, mes ennuis. Ce sont eux qui me préoccupent, c’est leur avenir qui me rend soucieux. Ils ne s’en doutent pas, les chers enfants ; ils ont l’innocence de leur âge. Mais quand je vois tant de misères qui chaque jour s’étale à mes yeux, je pense aux miens à qui je n’ai pas de fortune, ni même d’aisance à leur donner plus tard. Et ma femme, quelle patience, quel dévouement ! Quand j’exhale quelquefois ma mauvaise humeur, elle ne répond rien, elle laisse passer ce mauvais moment et garde toute sa bonne humeur.
Lundi 17 octobre 1904
53Les années passent, mes autres enfants prennent de l’âge et je ne vois pas d’avenir pour eux. Pas de fortune, peu d’espérance ! J’ai bien travaillé je crois ; mais souvent je me demande si j’ai bien fait tout ce qui dépendait de moi pour leur créer une situation. Je me suis donné entièrement à mes fonctions, peut-être trop exclusivement. J’ai peut-être aussi été trop délicat ; j’aurais dû garder pour moi des travaux particuliers que je n’ai pas voulu enlever à mes collègues53. Ils ne m’en seront pas reconnaissants et j’y aurai perdu d’assez jolis bénéfices. N’aurais-je pas dû pour mes enfants, tirer un meilleur parti de ma situation ?
Dimanche 20 août 1905
54L’avenir de mes chers enfants ne devrait-il pas m’occuper davantage ? Ai-je bien fait pour eux tout ce qu’un père prévoyant doit faire ? Je me pose parfois cette question. N’ai-je pas trop sacrifié la forme au fond ? Ai-je fait de ma position tout ce qu’il était possible ? Pouvais-je faire plus que ce que je n’ai fait ? J’ai toujours travaillé, je suis arrivé à une situation que ma jeunesse ne me permettait pas d’espérer, je crois avoir l’estime et la sympathie de ceux qui m’entourent, de ceux avec qui je travaille. Mais ai-je fait pour mes enfants que je laisserai sans fortune, l’effort suffisant pour assurer leur avenir ? Il manque peut-être un peu d’idéal à mon existence et si n’était ma petite Blanche qui me fait souvent rêver, ma vie serait uniformément terre à terre.
Jeudi 22 février 1906
55Mes autres enfants ne sont-ils pas pour ma femme et pour moi l’objet de nos plus grands soucis ? Leur avenir est-il assuré ? Cette pauvre Lolo ne souffre-t-elle pas cruellement d’une profonde déception ? Je la plains la chère enfant. Amélie est toujours malade et elle a été obligée de renoncer aux études qu’elle avait entreprises. Albert et Emma donnent un peu de gaieté à nos repas, même Amélie quand elle ne souffre pas. Que de sérieuses qualités ils ont ces chers enfants, mais je n’ai pas de fortune à leur donner et sans cela que devenir dans ce monde ? Que je pressens de mauvais jours pour eux ! Que faire ? Je comprends la tristesse qui les atteint parfois, surtout Amélie et Marie.
Pauvre Albert
56Presque absent des Cahiers, Albert Vadot ne réalise pas les projets de poursuite de l’ascension sociale escomptés par son père. Gentil garçon, mais mauvais élève et piètre apprenti, il ne réussit pas mieux dans les voies tracées par ses parents. Une médiocre vie professionnelle, quelques errances et un mariage ignoré du récit le renvoient bientôt au monde des employés. On devine alors, entre père et fils, l’épaisseur des incompréhensions et des déceptions réciproques les rendant à la fin presque étrangers l’un à l’autre.
Samedi 14 décembre 1895
57Aujourd’hui, pour la première fois Albert s’est mis à pleurer parce que son professeur, M. Gautier, lui a donné un zéro pour défaut d’application. Comme je reprochais toujours à Albert d’être insensible aux reproches ou aux mauvaises places obtenues, en un mot d’être par trop indifférent au résultat de ses études, je ne suis pas mécontent que son amour-propre ait été touché par cette mauvaise note.
Lundi 13 janvier 1896
58Aujourd’hui, je me suis laissé aller à un emportement, tant je souffre moralement, contre Albert que j’accuse de paresse.
59[…] Ma colère de cet après-midi m’a rendu triste ce soir. Pourquoi ne pas user de patience à l’égard d’Albert ? Peut-être fait-il mieux que je ne crois. Mes enfants ont été tant bouleversés de mon emportement. Chers petits ! C’est cependant le souci de leur avenir qui est parfois la cause de cet état de surexcitation de mon esprit.
60Pourquoi Albert n’obtient-il pas le même succès que ses camarades au lycée ? Non, vraiment, je crois qu’il ne travaille pas.
Lundi 7 décembre 1896
61Hier matin, j’ai eu un accès de colère contre Albert, pour rien. Je suis bien coupable de ne pas me maîtriser. Le pauvre garçon en a été contrit toute la journée.
Mardi 14 septembre 1897
62Après y avoir longuement et mûrement réfléchi, j’ai pris enfin une décision à l’égard d’Albert et je l’ai fait entrer ce matin à l’école pratique d’industrie y faire un apprentissage de trois ans54, puis son service militaire ; après je verrai. Il n’a pas d’aptitude pour les études et me parait en avoir pour l’industrie ou le commerce. Il est observateur, adroit et a un tempérament apte à une vie active. Je ne pourrais le supporter flânant pendant les longues heures d’oisiveté que laisse la vie de bureau.
Dimanche 15 avril 1900, Pâques
63Albert continue à me préoccuper. Il achève cette année son apprentissage à l’école pratique d’industrie. En mathématiques il est toujours insuffisant. À l’atelier, il réussit assez bien, mais [est] un peu changeant dans son travail. Que va-t-il faire maintenant ? Dans quelle voie l’engager ?
Samedi 11 août 1900
64Albert a fini ses trois années à l’école pratique d’industrie55. Mardi prochain nous l’embarquons pour Paris chez Jean Bonnet, beau-frère de ma femme, directeur d’une section de tramways électriques. Albert travaillera à l’usine comme aide-mécanicien électricien et préparera le concours comme ouvrier d’art, l’année prochaine, pour ne faire qu’une année de service militaire56. Albert est un bon garçon, fort, vigoureux mais qui malheureusement n’a pas d’aptitudes pour les sciences, ni pour ce qui est travail intellectuel. Le voilà le premier à l’étrier, qu’adviendra-t-il de lui ?
Mardi 14 août 1900
65Ce matin, Albert est parti pour Paris par le train de 5 heures. Je l’ai accompagné à la gare avec Emma. Il va débuter dans la vie dans de meilleures conditions que moi il y a plus de trente ans. J’avais 20 ans quand je commençais à gagner 70 francs par mois. Quand en septembre 1871, j’avais près de 22 ans, je fus envoyé à Mâcon je ne gagnais pas plus de 1 000 à 1 200 francs par an.
Lundi 18 mars 1901
66Albert est à la maison depuis trois semaines au moins. Il attend le moment opportun pour contracter son engagement militaire. C’est un beau et brave garçon qui ne manque pas d’esprit d’à propos.
Vendredi 8 janvier 1904
67Albert est pour sa mère et moi, l’objet des plus graves préoccupations. L’avenir pour lui m’effraye. Il nous fuit pour n’avoir pas à nous donner des explications sur sa conduite. Je tremble et mon cœur bat à la pensée des actes de folie qu’Albert peut commettre pour cette fille dont il est violemment épris et qui n’a droit à aucune estime57.
Samedi 9 janvier 1904
68J’ai eu hier soir une longue explication avec Albert. Je me suis efforcé de lui faire comprendre combien indigne était son attitude vis-à-vis de sa mère et de moi, quels périls il courait au point de vue de notre honneur à tous, combien était peu justifiée l’affection qu’il avait pour cette femme. Albert nous a promis de tout oublier.
Lundi 28 mars 1904
69Albert a débuté aujourd’hui chez M. Colombo58, comme ouvrier électricien pour 22,95 francs par semaine59.
Mardi 4 mai 1909
70Albert est toujours à Rochefort où je ne sais ce qu’il devient60.
St-Laurent en Plérin
29 août 1909
Cher M. Le Rondel
Nous avons été très heureux d’apprendre qu’ayant rencontré Albert à La Rochelle, où je pressentais que vous étiez allé, il vous ait produit une bonne impression. Ce garçon nous a causé assez d’ennuis pour qu’une bonne nouvelle de lui ne nous laisse pas indifférents. Il a mangé son pain le premier, nous a-t-il quelquefois écrit ; il a mangé ensuite son pain noir, puisse-t-il le manger maintenant pas trop mauvais61.
Les jeunes musiciennes
I. Marie
71Troisième fille de Vadot, Marie, dite « Marie-Lolo » paraît, de tous les enfants, la plus énergique et celle dont les positions sont les plus arrêtées. Cela signifie à la fois une certaine détermination pour faire carrière, en tenant de rentrer au Conservatoire de Paris, mais aussi des choix en forme de renoncement assez surprenants de prime abord. Vadot y voit les menées sourdes d’une rivale, alors que la trajectoire de cette jeune fille puis jeune femme devenue professeur de piano montre plutôt son relatif isolement. Ces notes illustrent en tout cas l’importance du Conservatoire (de Rennes) comme lieu de sociabilité – partagé par d’autres enfants de fonctionnaires municipaux62 –, et la fonction intégratrice de la musique, pour les femmes notamment, à cette époque.
Lundi 13 janvier 1896
72Marie est revenue d’Antrain où elle est allée jouer deux morceaux de piano dans un concert de bienfaisance organisé par M. Le Hérissé, député.
Mercredi 19 février 1896
73Reçu aujourd’hui en location un piano pour les études des enfants63 et surtout de Marie ; coût 10 francs par mois.
Jeudi 24 mars 1898
74Mardi dernier au concert de la Société de chant du Conservatoire, Marie Lolo a obtenu un grand succès avec sa fantaisie sur Les Huguenots64. Le Petit Rennais et L’Avenir lui ont fait éloge.
Vendredi 25 mars 1898
75Aujourd’hui le Journal de Rennes renchérissant sur ses deux confrères fait un éloge dithyrambique de notre jeune pianiste65.
Lundi 28 mars 1898
76Samedi soir, dîner à l’» Hôtel de France » avec MM. Ch. Lenepveu, membre de l’Institut, inspecteur du Conservatoire66, Malherbe, adjoint, Bodin et Tapponnier qui nous avait tous invités.
77M. Lenepveu m’a fait des compliments qui m’ont paru sincères, de Marie et m’a fait entendre que son entrée au Conservatoire à Paris se ferait sans difficultés. […]
Lundi 4 juillet 1898
78Samedi soir dans la salle des fêtes du lycée avait lieu le concert donné par les élèves du Conservatoire. Marie y a joué d’une manière admirable un concerto de Grieg. Du reste, elle a obtenu le prix d’honneur dit du ministre67, malgré la démarche et les propos désobligeants de Mme Dubel, mère de la jeune fille68 qui concourrait avec Marie.
79Hier, dimanche, distribution du prix du Conservatoire présidée par M. Lajat, maire, à qui j’ai dû préparer un petit discours qu’il a lu un peu mieux que les précédents.
Mercredi 19 octobre 1898
80Aujourd’hui, Lolo est partie pour Paris avec sa mère pour subir l’examen d’admission au Conservatoire de musique. Elles arriveront ce soir à 8 heures.
Jeudi 20 octobre 1898
81Antonine et Lolo dînent ce soir chez Bergerot. Nous ne cessons, les enfants et moi, de les suivre par la pensée à travers Paris.
82Nous avons reçu ce soir un télégramme de Tapponnier. Lolo a subi avec succès l’épreuve que M. Pugno, professeur au Conservatoire, avait bien voulu lui faire subir. M. Pugno en a été très satisfait. […]
Vendredi 21 octobre 1898
83Ce soir, Tapponnier conduit la maman de Lolo à l’Opéra pour y entendre Lohengrin.
Mardi 25 octobre 1898
84Lolo nous adresse un télégramme disant qu’elle est très satisfaite de son 1er concours ; qu’elle a très bien déchiffré, très bien joué, qu’elle est on ne peut plus contente.
Mercredi 26 octobre 1898
85Bonne nouvelle de nos voyageuses.
Jeudi 27 octobre 1898
86Je ne puis me faire à la pensée que nous laisserons Lolo à Paris chez des étrangers, abandonnée à elle-même, livrée à toutes les séductions, à tous les dangers.
87D’un autre coté, ce séjour à Paris nous sera très onéreux et je ne vois comment nous pourrons faire face à cette dépense.
88Tous ces soucis, ces craintes m’ont accablé aujourd’hui et pendant un quart d’heure j’ai pleuré abondamment.
89Reçu télégramme de Lolo qui a bon espoir.
Vendredi 28 octobre 1898
90Hier soir, mon mal de tête étant passé, je me rendais au théâtre avec Blanche quand sur la place j’ai rencontré Tapponnier qui, navré, m’a dit qu’il venait de recevoir un télégramme m’annonçant que Lolo n’était pas admise. Je fus d’abord surpris, puis j’éprouvai un profond soulagement, une joie vive. C’était comme un poids énorme qu’on m’enlevait de sur les épaules. J’allais au théâtre pour chasser, si possible, mes idées noires ; cette nouvelle me remettait dans mon état normal. Lolo reviendra, Lolo restera avec nous et nous ne dépenserons pas l’argent que nous n’avons pas. Dieu soit loué de ce résultat !
91Les gens croiront que c’est par dépit que je vais manifester ma joie et cependant rien n’est plus sincère.
92Blanche aussi est ravie ; il n’y a qu’Amélie qui bougonne et maudit les examinateurs et tous ces grands prometteurs de succès.
Mercredi 2 novembre 1898
93Hier, la maman et Lolo sont rentrées de Paris, par le train de 3 h 15. Lolo a échoué à son 2e examen pour le Conservatoire. J’en suis enchanté ou plutôt nous en sommes tous enchantés. Nous essaierons quand même d’en faire une charmante artiste.
Samedi 27 janvier 1906
Avant-hier jeudi et hier, Yvonne Dubel pensionnaire de l’Opéra69, ancienne élève de notre Conservatoire et camarade de Marie, a donné deux représentations de Thaïs de Massenet. Ses compatriotes lui ont fait un accueil très sympathique, chaleureux même et les journaux l’ont comblée d’éloges ; quelques-uns ont même dépassé la mesure et pour un peu l’aurait placée au-dessus des Rose Caron70, des Bréval71, des Patti72 même. C’est une charmante actrice, incontestablement, intelligente, sympathique, bien préparée et ce qui ne gâte rien elle est jeune puisqu’elle n’a que vingt-quatre ans – et jolie. Elle a chanté avec talent, mettons avec art, mais a-t-elle vraiment cette conviction qui fait frissonner toute une salle ? Cette persuasion, cette passion qui emballe ? D’abord elle est jeune et ce rôle de Thaïs, une courtisane, lui convenait-il ? Il faut déjà avoir beaucoup vécu, beaucoup aimé peut-être pour éprouver et faire partager les sentiments que Massenet a voulu rendre. À la représentation de vendredi, je me suis attaché à suivre sur le visage de Mlle Dubel, les émotions qu’elle devait ressentir et rendre et j’ai dû constater que rien dans sa physionomie ne répondait à la passion qu’elle était censée éprouver. Il m’a donc semblé que cette sympathique actrice était un sujet très bien préparé, très cultivé mais n’ayant pas l’étincelle divine. Et puis dans les notes élevées, la voix fatigue et les notes graves manquent d’ampleur. Mais quel art dans la démarche, dans les gestes ; quelle harmonie dans tout l’ensemble de cette aimable actrice ! Sa mère a partagé avec elle le triomphe que le public lui a fait et j’ai vu le moment où elle allait ridiculement se présenter sur la scène pour recueillir sa part d’applaudissement. Mme Dubel voulait que sa fille fût une grande actrice, acquit de la célébrité. Elle y a déjà réussi en partie, mais que l’avenir lui réserve-t-elle ? Je ne crois pas qu’Y. Dubel ne soit jamais une première étoile, ni sa voix, ni son talent ne me le font présager. À son sujet, les journaux ont raconté qu’elle avait obtenu au Conservatoire de Rennes un prix au piano qui depuis n’a jamais été donné. Cela n’est pas exact. Y. Dubel concourait avec Marie pour le prix du ministre qui est le prix d’honneur. Le jury l’ayant accordé à ma fille, Mme Dubel, déjà ambitieuse, ne se tint pas pour battue et elle fit si bien que le jury, sur la proposition de M. Jarry, recteur d’académie, accorda à Yvonne, un second prix d’honneur pour la récompenser du talent personnel qu’elle avait montré dans le concours. C’est encore cette rivalité qui fit échouer au Conservatoire de Paris Yvonne et Marie. Les critiques de Mme Dubel allaient désormais s’exercer sur une scène plus grande. Elles lui ont réussi jusqu’à maintenant. Quelle singulière mentalité tout de même que celle de cette mère qui entraîne sa fille dans cette voie si dangereuse du théâtre et qui l’applaudit dans les manifestations d’art amoureux, passionnées, celles d’une courtisane. C’est peut-être bourgeois ce que je dis là et cependant que ne souffrirais-je pas si c’était l’une de mes enfants qui se produisit ainsi devant des spectateurs sceptiques et plutôt sensuels qu’artistes.
Lundi 30 août 1909
Le Figaro annonce que Mlle Yvonne Dubel vient de recevoir la croix d’officier de la légion d’honneur. L’ordre de la légion d’honneur ! Quelle ironie ! Quelle bêtise !
Jeudi 29 juin 1899
94Marie Lolo a donné aujourd’hui sa première leçon de piano à la jeune Huchon73.
Lundi 23 avril 1900
95Hier au concert Carboni, Lolo a joué avec l’orchestre le concerto de Grieg. Les applaudissements ont été chaleureux. Peu de monde dans la salle, malgré la présence de M. Henri Maréchal74 dont les œuvres composaient presque tout le programme. Concert terne.
Jeudi 10 décembre 1903
96Marie a fait un effort de volonté extraordinaire en jouant dimanche dernier au concert populaire donné au théâtre par M. Boussagol et son orchestre. Depuis quinze jours, elle ne vivait plus tant elle redoutait cette épreuve75. Elle s’est débrouillée à merveille ; elle a montré un grand sang-froid et a obtenu un beau succès. Il y avait dans la salle beaucoup de ses amies qui se réjouissaient de l’applaudir. Toute la presse rennaise l’a comblée d’éloges. Quelques journaux ont fait des appréciations, la plupart inexactes ; non que Marie soit au-dessous de la critique, mais parce que certaines critiques ne sont pas justes, tout en étant extrêmement sympathiques.
Mardi 10 avril 1906
97Marie est partie ce matin pour Paris76. La chère enfant rêve de se faire une situation dans la grande ville ; elle compte sur son talent. Hélas, il lui faudra subir bien des déceptions.
Dimanche 3 janvier 1909
98Lolo n’a pu venir car elle prépare le concours pour l’emploi de professeur de la classe supérieure de piano au Conservatoire de la ville de Rennes. Cependant elle hésite et elle n’est rien moins que décidée à revenir ici.
Samedi 23 janvier 1909
99Samedi dernier, 16, un concours a eu lieu à Paris pour l’emploi de professeur de la classe supérieure de piano de Rennes77. Après bien des hésitations pénibles et malgré les insistances de M. Boussagol, Marie a refusé de concourir78. Puissions-nous, elle surtout, ne pas le regretter plus tard. Je crois que son succès à Paris ne répond pas à ses efforts, à la peine qu’elle se donne. Dans ses lettres on sent la fatigue. Il nous en aurait coûté cependant de laisser Emma, seule, à Paris79.
II. Amélie
100Malade ou maladive, la seconde des filles suscite rarement l’attention de Vadot. En dehors de promenades ou de voyages partagés avec ses sœurs, on ne la suit vraiment qu’en une seule occasion, lors de son séjour raté en Angleterre, là encore pour se conformer à une pratique courante dans la bourgeoisie de services. Elle sera pourtant la première à se marier – après un amour déçu, en 1898, avec le lieutenant d’artillerie Roubach.
Vendredi 16 mars 1900
101Tous les huit jours, Amélie ne manque pas de nous adresser son petit journal daté de Maidstone près de Londres80. Pendant quelques jours elle a été prise d’un profond découragement. Ses dernières lettres nous font penser qu’elle s’habitue à son nouveau milieu. Elle semble, du reste, être entourée d’un peu d’affection. Il y a quelques jours elle accompagna Mrs Oyler à Maidstone et fut témoin de l’enthousiasme des Anglais qui célébraient la défaite du général Cronje81 fait prisonnier avec son petit corps d’armée par le général anglais Roberts82.
102Et dire que l’Europe sera assez lâche et misérable pour laisser écraser ce vaillant petit peuple du Transvaal. Dans sa lutte pour son indépendance, quelle leçon il donne à toutes les nations du monde et plus particulièrement à celles d’Europe. Plus que jamais la force prime le droit. Quelle lamentable décadence ! Plus de sentiments généreux, plus que de l’égoïsme et des intérêts matériels ! Toutes les puissances continentales de l’Europe sont armées jusqu’aux dents et pas un qui n’ose dire à l’Angleterre : Halte-là83 !
103On a laissé écraser la France en 1870 et aujourd’hui pas une nation n’ose prendre la défense du faible.
Lundi 2 avril 1900
104Mercredi dernier, nous avons reçu d’Amélie une lettre désespérée.
Mardi 3 avril 1900
105Nouvelle lettre d’Amélie ce matin. La pensée de venir nous voir à la fin du mois lui donne du courage.
Dimanche 15 avril 1900, Pâques
106Amélie qui a repris courage revient à la fin de ce mois pour passer quelques semaines avec nous […]. Emma est peu causante, peu enjouée, mais c’est une bonne petite fille. Elle voudrait partir en Angleterre avec Amélie.
Mardi 1er mai 1900
107Je suis allé ce matin à Saint-Malo chercher Amélie revenant d’Angleterre. Après une petite promenade à Paramé le long de la mer nous sommes revenus à Rennes où nous arrivâmes à temps pour déjeuner avec tous les miens.
108Quelle joie pour Amélie de reprendre sa place au milieu de nous et quelle joie aussi pour nous de revoir cette brave petite fille qui n’a pas eu précisément toutes ses aises dans la famille où elle était en Angleterre.
Lundi 17 septembre 1900
109Nous étions sur le point d’embarquer de nouveau Amélie en Angleterre. La pauvre enfant ne disait rien, mais je devinais que ce voyage l’inquiétait. Ce matin elle nous a avoué les larmes dans les yeux qu’elle en était contrariée. Nous chercherons autre chose voilà tout.
Mardi 29 mars 1904
110Dimanche dernier, Jeanne Bornet avait organisé une audition musicale dans les salons de l’« Hôtel moderne ». Amélie, Marie et Emma y obtinrent beaucoup de succès et un succès bien mérité. Amélie qui depuis trois semaines est malade fit un tel effort de volonté pour chanter les variations de Bach qu’elle eut ensuite une défaillance, une crise de nerf violente. Elle s’affaissa et nous la relevâmes toute en larmes. J’éprouvais en la voyant ainsi une douloureuse émotion. Elle occupe la chambre et le lit de Blanche et quand je suis auprès d’elle, je découvre parfois dans ses regards l’expression de tendresse qu’avaient les regards de sa pauvre sœur. C’est parfois saisissant.
III. Emma, dans l’ombre de ses sœurs
111Protégée, voire sur-protégée, notamment parce qu’elle ressemble à Blanche, la dernière des filles a une singulière destinée. La conjugaison d’une d’éducation préceptorale et des soins de son aînée, Marie, lui fraie en effet un chemin sur la voie de l’excellence musicale puisqu’elle entre au Conservatoire de Paris. Elle ne fera pourtant pas carrière, mais épousera en 1910 Michel Geistdoerfer, sans doute rencontré dans les cercles artistiques de la jeunesse républicaine parisienne84.
Jeudi 2 juillet 1903
112La semaine dernière, lundi, mardi et mercredi, ma petite Emma qui a tant de ressemblance avec Blanche, a passé ses examens pour le brevet élémentaire. Malgré son extrême fatigue, sa souffrance même, elle a été admise. Elle a fait preuve dans cette circonstance d’une grande énergie. Cela m’a rappelé le temps déjà loin où ma pauvre Blanche préparait le brevet supérieur, où elle se plaignait de maux de tête, d’estomac. Et je trouvais parfois qu’elle ne faisait pas assez d’efforts. Que j’étais donc cruel ! Me pardonnes-tu, mon enfant ? Pourquoi ne veux-tu rien me dire ?
113Aussi j’ai laissé Emma travailler à sa guise et je me suis bien donné garde de la gronder.
Samedi 30 janvier 1904
114Marie et Emma se sont fait entendre hier, dans la salle des filles du lycée avec l’Association générale des Étudiants et l’Association des Amis de l’Université, qui donnaient un concert. C’était la première fois qu’Emma jouait en public. Elle montra du sang-froid et sa jeune virtuosité fut très applaudie. Toutes deux furent l’objet de bravos de la part du public. Elles reçurent deux belles gerbes de fleurs dont je détachais ce matin quelques boutons de roses et quelques œillets pour les placer sur ma cheminée à côté des photographies de Blanche toujours si heureuse, si fière lorsque ses sœurs obtenaient quelques succès. Avant le concert, M. Châtel, président de l’Association des Amis de l’Université, adressa des remerciements aux organisateurs du concert et à tous ceux qui avaient bien voulu leur prêter leur concours. Quand il en vint à nos deux enfants, il tint à « remercier également Mesdemoiselles Vadot dont le nom éveille tant de sympathie à Rennes ! ». On ne pouvait être plus aimable.
Samedi 30 décembre 1905
115Ce matin à cinq heures, Marie et Emma sont parties pour Paris avec J. Bornet, où elles passent quelques jours. Amélie, qui était si joyeuse de faire ce petit voyage a dû, sur ordre du médecin, y renoncer. Amélie n’a vraiment pas de chance et c’est à chaque instant que ses projets échouent ainsi. C’est cependant pour elle et à cause d’elle que ce voyage à Paris avait été préparé de longue date.
Lundi 1er janvier 1906
116La maison est triste, Amélie est alitée, Marie et Emma sont à Paris depuis hier.
Dimanche 7 janvier 1906
117Marie et Emma nous écrivent des cartes remplies d’enthousiasme pour Paris. Armide de Gluck, à l’opéra, a émerveillé Lolo. Aujourd’hui […] ce sera une nouvelle lettre pour nous dire leur enthousiasme à l’audition de La Damnation de Faust de Berlioz.
Mardi 16 janvier 1906
118Marie et Emma sont rentrées hier soir, charmées de leur séjour à Paris.
119M. Pinault a été très aimable, il leur a fait visiter une partie du Luxembourg ; grâce à lui, elles ont assisté à la séance de rentrée du Sénat ; le soir il leur a offert à dîner chez Garnier près de la gare Saint-Lazare, puis il les a conduits au théâtre Antoine où l’on jouait Vers l’Amour85. En cette circonstance, M. Pinault a gentiment fait les choses et je lui en serai toujours reconnaissant.
Vendredi 1er janvier 1909
120[…] Emma est venue passer quelques jours avec nous. Elle est toute heureuse d’avoir retrouvé sa chambre et ses habitudes. Ses progrès sont remarquables avec son excellent professeur Engel86 qui paraît lui témoigner beaucoup d’intérêt.
Dimanche 3 janvier 1909
121Emma est repartie ce matin par le train de 11 h 50 pour Paris. Son départ nous fait de nouveau un grand vide dans la maison. […]
Samedi 13 mars 1909
122Emma a été malade, elle a gardé la chambre. Si elle est aujourd’hui remise de la grippe, elle tousse beaucoup. Je suis inquiet sur cette enfant qui, contre son goût, a dû s’installer à Paris pour ses études au Conservatoire. Il lui tarde de revenir passer quelques jours à Rennes.
Mardi 4 mai 1909
123Marie et Emma sont allées à Londres les 25, 26, et 27 avril dernier. Elles accompagnaient leur professeur Engel qui y avait organisé un concert. Le succès fut grand, paraît-il. Dans tous les cas, elles nous ont écrit qu’elles avaient fait un charmant voyage dont elles garderont un souvenir durable. […]
Le temps des séducteurs
124En quinze années, les Cahiers sont d’une avarice extrême au chapitre des éventuels réceptions ou dîners organisés par les Vadot. La multiplicité inverse des évocations de promenades permet en revanche de bien saisir l’organisation des liens sociaux – avant et après la disparition de Blanche. Au premier cercle des intimes, largement formé de femmes, se greffe celui des collègues ou très proches subordonnés. Mais on voit aussi en ces temps de longues fréquentations préliminaires au mariage, un certain nombre de courtisans – certains renonçant –, dont les carrières ultérieures traduisent une incontestable recherche de « partis » chez les parents.
Dimanche 22 décembre 1895
125Aujourd’hui promenade avec tous les enfants et Marthe Salmon à l’École nationale d’agriculture et retour par le chemin de Viljean [sic] et le faubourg St-Malo. Un peu de soleil, mais vent de nord-est froid et fort.
Dimanche dernier 16 février 1896
126M. et Mme Blin87, Albert, Marie, Emma et moi avons fait dans l’après-midi une charmante promenade à Mi-forêt88, les uns en voiture, les autres en bicyclette. La forêt de Rennes dépouillée de verdure est triste, mais elle a toujours pour moi le plus grand charme avec ses chemins silencieux, ses sentiers solitaires, ses grands arbres qui toujours frissonnent et murmurent.
Dimanche 19 avril 1896
127Promenade à bicyclette à Mi-forêt et Liffré avec Albert et Marie. Déjeuner à Liffré. Retour à Mi-forêt par les forges de la vallée. À Mi-forêt trouvé toute une bande de bicyclistes avec laquelle nous sommes revenus à Rennes par Acigné, les Onglées89 et Cesson. M. et Mme Laloy90, M. et Mme Georges, M. Balzer, un candidat de la liste Bérard Péan, et toute sa famille, etc. Mlles Balzer se sont montrées très aimables malgré la candidature de leur père.
Lundi 18 mai 1896
128Hier charmante promenade aux forges91 et à l’étang de la vallée92 entre Miforêt et la Bouëxière, en compagnie de M. et Mme Albert, négociants ; de M. et Mme Hurstel négociants ; de MM. Roubach et Brunswick lieutenants d’artillerie ; de M. et Mme Franck93 ; de tous les miens. Les uns en bicyclette, les autres avec l’omnibus des officiers d’artillerie. Nous avons déjeuné au bord de l’étang près de l’écluse et nous sommes venus dîner le soir à Acigné ; promenade dans la soirée aux Onglées et retour à Rennes à 10 h par Cesson. Ravissante journée de printemps. Du haut du bois de sapins qui domine l’étang au nord ouest la vue sur la vallée est charmante, pittoresque ! C’est un petit coin des Vosges. Tous ont été enchantés de cette promenade et du site que j’avais choisi pour passer cette journée du dimanche.
Lundi 3 mai 1897
129Hier, dimanche, par une belle journée nous sommes allés déjeuner à l’étang de la vallée. M. et Mme Salmon94, M. et Mme Porteu, Marthe Salmon, MM. Roubach et Brunswick officiers d’artillerie, Jeanne Bornet et tous les miens, Henri Faux95, formaient une bande des plus joyeuses ; les uns en voiture, les autres à bicyclette. Le midi nous étalions toutes nos provisions au bord de l’étang. Ce fut pendant tout le déjeuner un échange de gais propos, d’aimables plaisanteries. Nous bûmes le champagne et après avoir entrechoqué vingt fois nos verres nous allâmes nous reposer sous les sapins qui dominent l’étang au nord ouest.
130Nous revînmes à Rennes par Acigné et les Onglées et le soir, nous dînâmes tous chez M. et Mme Salmon.
Lundi 5 juillet 1897
131Hier, promenade aux étangs de la vallée avec Mme Rouënel96, sa jeune fille, M. Le Rondel, MM. Roubach et Brunswick officiers d’artillerie, Jeanne Bornet et tous les miens.
132Ces promenades à la campagne ont toujours pour moi un grand attrait à la condition d’être isolé de la foule des promeneurs. Au bord de l’étang, près du déversoir, nous sommes toujours seuls. Et puis, le site est ravissant avec son bois de sapins. Dans le fond, le petit chemin taillé dans le rocher ou dissimulé sous les arbres, les oiseaux effarés qui s’envolent des fourrés.
133Nous sommes revenus comme d’habitude, par Acigné où nous avons soupé le soir et par les Onglées à la nuit tombante.
Mardi 3 mai 1898
134Hier, les officiers ont organisé un rallye […] à travers les sentiers et les chemins du côté du château de la Prévalaye et de St-Jacques97. Le départ eut lieu à 1 heure et demie au polygone. Après une longue promenade, nous arrivâmes au château de la Prévalaye98 à 4 heures environ. Des tentes avaient été dressées dans les belles allées ; la musique attendait les invités. Ces allées de la Prévalaye ont grand air ; elles ne ressemblent en rien aux sentiers contournés et étriqués de nos parcs modernes.
Lundi 16 mai 1898
135Samedi dernier, grand dîner à la maison à l’occasion de la communion d’Emma : 21 personnes ont pu accepter notre invitation : Mme Le Bastard et sa jeune fille Louise ; M. et Mme Lajat, maire ; M. et Mme Blin ; M. et Mme Porteu, juge à Vitré ; M. Le Rondel ; M. de Tréogat99 ; Mme Rouënel et Mlle Marie, sa fille ; M. et Mme Martin100 ; Jeanne Bornet ; M. Roubach, lieutenant d’artillerie ; M. Salmon, receveur municipal ; M. Colleu, jardinier au Thabor101 ; Mme Faux et son fils René102 ; M. Tapponier, directeur du Conservatoire. On ne s’est séparé qu’à 11 heures.
Lundi 14 juillet 1902
136Hier, promenade à Plélan et Paimpont avec Mme et Mlle Jacques103, Jeanne Bornet, MM. Berthaut104 et Guernet105, la maman et mes enfants.
Lundi 28 juillet 1902, 11 heures du matin
137Hier, déjeuner à St-Aubin-du-Cormier, promenade jusqu’au Rocher sur le Coësnon, au-delà de Mézières, avec les enfants, Jeanne Bornet, MM. Berthaut, René Faux, J. Guernet. Dîner le soir à Mi-Forêt. Le mauvais temps ne nous a pas permis d’admirer le joli site où je les avais conduits. Une pluie diluvienne nous a obligé à nous réfugier sous de grands arbres, puis au moulin et à la première éclaircie nous sommes revenus en hâte à Mi-Forêt.
Lundi 15 décembre 1902
138Jeudi dernier, ma femme et mes enfants sont allés faire une promenade à La Chauvelière près de Domloup et une visite à M. Berthaut qui a acheté une propriété portant ce nom106.
139Elles avaient pris le train de Châteaugiron qui part de Rennes à midi un quart. Parti avant elles, je suis arrivé au cimetière de l’Est au moment où le train y arrivait lui-même, s’arrêtait une minute et reprenait sa course du côté de Châteaugiron.
Vendredi 30 janvier 1903
140Nous sommes allés passer l’après-midi d’hier, jeudi, à la Chauvelière, chez M. Berthaut.
141M. Berthaut a acheté une belle propriété de 28 hectares qu’il fera cultiver lui-même. Ingénieur agronome, il me paraît très apte à conduire son exploitation. S’il réussit dans son entreprise il aura l’indépendance et le bien-être qui contribuent si largement au bonheur de la vie.
Mardi 24 mai 1904
142Hier, lundi de la Pentecôte, promenade et déjeuner à Mi-forêt avec les miens, Mme et Mlle Jacques, […] MM. Gasnier-Duparc107 et Felix Perret108. Après déjeuner, promenade à l’étang de la vallée. Pendant que toute la troupe se rendait jusqu’au bois de sapins qui domine l’étang au nord, je restais près de l’écluse et seul, livré à mes pensées, en écoutant l’eau qui dévalait dans les rochers, je rêvais à Blanche qui aimait tant ce charmant petit coin.
Lundi 11 juillet 1904
143Hier et aujourd’hui, journées de courses auxquelles je ne suis pas allé, tant la chaleur est grande ; j’ai crains de ne pouvoir la supporter. Cependant hier, je suis allé à la Chauvelière avec les enfants et ma femme, J. B. et sa sœur […]. Nous n’en sommes revenus que très tard dans la nuit.
Lundi 26 juin 1905
144Hier, promenade […] avec ma femme et mes enfants, Mme Jacques, M. et Mme Lelion109, Félix Perret, J. Bornet, et M. Gasnier-Duparc.
Dimanche 16 mai 1909
145Le mariage d’Amélie est définitivement fixé au lundi 24 mai, c’est-à-dire dans huit jours. Nouvelles préoccupations, nouveaux soucis. Quel avenir lui est réservé ? Elle paraît heureuse en ce moment, ses plus chers vœux se réalisent.
Lundi 24 mai 1909
146Aujourd’hui, mariage dans l’intimité d’Amélie et de René Faux.
Mardi 25 mai 1909
147Hier soir, charmant dîner à la maison à l’occasion du mariage d’Amélie et cérémonie de nuit très simple à l’église Saint-Sauveur.
148Le maire a fait le mariage civil, M. et Mme Blin, M. et Mme Lelion, M. Le Rondel, Jeanne Bornet, Marie Perret, Henri Faux, ma femme et moi, Lolo et Emma, René et Amélie. Emma a divinement chanté à l’église110.
Notes de bas de page
1 Jeanne, Marie, Blanche (Mâcon, le 24 avril 1877 – Rennes, 25 octobre 1901).
2 Née en 1878 à Ploërmel, fille de Julie Denoual et Romain Salmon (Angers, 1841), notaire à Ploërmel (1867-1879), receveur des hospices de Rennes (1882-1888), puis de la Ville de Rennes. Les Salmon, comme les Vadot, résident à l’Hôtel de Ville [AMR, 1 F4 49 ; 2 K 87] ; voir aussi note 94.
3 Jeanne, Marie (née à Mâcon, le 26 juin 1882) [sur le surnom : XI, 24 août 1903 : « Quel charmant caractère que celui de Marie que nous appelons Lolo ! »].
4 Rose, Amélie (née à Mâcon, le 27 août 1878).
5 Marie, Emma (née à Rennes le 9 octobre 1886).
6 Guillaume, Albert (né à Mâcon, le 11 octobre 1880).
7 À l’énumération manquent les domestiques figurant aux recensements [AMR, 1 F4 49] ; 1886 : Marie Hasselet (ou Haslé) [née à Piré, 1866] et Aimée Hasselet [Piré, 1870] ; 1891 : Marie Hasselet ; 1896 : Aimée Delisle [Combourg, 1871] ; 1901 : Berthe Leconte [Elbeuf, 1861] ; 1906 : Marie Berre [Acigné, 1880].
8 Voir extrait infra.
9 Jeanne, Marguerite, Charlotte, née à Gray, Haute-Saône, 1er décembre 1869 (fille d’Ernest Bornet, fabricant d’huile et de Marie Paulin) [acte de naissance, mairie de Gray]. Sans doute l’une des plus intimes de la famille Vadot.
10 Diplômée de musique (Paris, 1895), elle est recrutée sur concours, en octobre 1899, comme professeur de solfège (plus tard elle aura le cours supérieur de piano), à raison [AMR, 2 R 31].
11 Outre ses 900 francs annuels de traitement comme professeur au Conservatoire (6 heures de cours par semaine et environ 60 élèves), elle a naturellement des leçons privées [AMR, 2 R 25].
12 Une lettre du directeur du Conservatoire au maire (5 novembre 1934) évoque les plaintes des parents face à un enseignement vieillissant, même si Jeanne Bornet « a été un professeur tout à fait remarquable » [AMR, 2 R 24].
13 Dans une lettre à Jean Janvier (27 décembre 1910), elle ne cache pas non plus ses sentiments : « Qu’il me manque toujours et que j’ai l’âme en détresse par moments, vous ne pouvez vous en faire une idée » [AMR, 2 K 24(2)].
14 Prémonition qui va se vérifier avec la disparition de Blanche.
15 ADIV, 3 Q 29/1894, fol. 126 : déclaration de succession.
16 Sur les déboires de cet adjoint, voir chap. 6.
17 ADIV, 3 U 4/1236 [recherches réalisées par Bruno Isbled] : démembrement de la « ferme du petit St-Cyr » dans le cadre de la succession « Lesage-Delys » avec un très grand nombre d’héritiers en rapport.
18 À ce stade, ils ne sont en effet que deux acquéreurs (Miller et Vadot) en aval de Mme Loisel qui a enchéri devant Me Fontaine, notaire.
19 Sur son action politique, voir chap. 4 et 5.
20 Sur ce personnage haut en couleur et ami de Vadot, voir notamment chap. 4.
21 Donc ramené à 1 700 francs pour 2 000 m2.
22 Enregistrement de la transaction le 9 janvier devant Me Philippe Fleury, avoué.
23 Vadot et Bérard-Péan se rendent propriétaires des quatre lots [10e : 1 430 m2 ; 11e : 1 938 m2 ; 12e : 2 113 m2 ; 13e : 2 519 m2] à l’audience des criées du tribunal civil de Rennes moyennant 674 francs de frais au titre de la grosse.
24 Lesquels Miller et Sacher renoncent à l’acquisition.
25 Voir chap. 6.
26 « Petite maison » dit la déclaration de succession [ADIV : 3 Q 29/1894, fol. 126].
27 M. -C. Mussat, 1988.
28 Fondateur du cabaret parisien, Le Chat noir, Salis (1851-1897), en entrepreneur de spectacles averti, mène sa troupe en province dans les années 1890. Ses facéties et ses apostrophes sont légendaires. Poulin n’est donc qu’une de ses innombrables victimes.
29 1853-1944. Député de l’Aisne (1886-1889), il est ministre des Affaires Étrangères dans quatre cabinets différents du 30 mai 1894 au 26 octobre 1896 (Dupuy, Ribot, Méline), hormis du 1er novembre 1895 au 23 avril 1896 (cabinet Léon Bourgeois).
30 Sur le modèle de l’Association artistique d’Angers, la « société de chant du Conservatoire », née le 22 janvier 1896, organise avec le concours de la Ville et de l’orchestre du théâtre des concerts publics et « intimes », réservés aux sociétaires, dans la grande salle du lycée [E. Jardin, 2006, p. 578-579].
31 Blaise Carboni (1851-1902), compositeur, il était directeur de l’Harmonie municipale d’Amiens [« Blaise Carboni », L’Île, organe de la pensée corse, revue littéraire, n ° III, 1937].
32 André Tapponier-Dubout (1854-1899), né à Genève, enfant prodige, chef d’orchestre à 15 ans, il arrive à Rennes en 1875, s’impose comme directeur des concerts populaires en 1877 et dirige le Conservatoire de sa création en 1881 à 1899 [E. Jardin, 2006, p. 522-523].
33 Pièce en trois actes d’Albin Valabrègue et Maurice Henneqeuin, créée en effet au Palais-Royal le 30 novembre 1899.
34 Sans doute Frédéric Achard.
35 1850-1938, organiste (il occupe en 1899, le pupitre de St-Vincent de Paul à Paris) et compositeur. On lui doit notamment une Charlotte Corday (créée le 6 mars 1901).
36 Émile Boussagol (1854-1920 ?), ancien élève du Conservatoire (1876-1878), harpiste, chef de chant, chef d’orchestre, compositeur, il prend la tête du Conservatoire de Rennes en 1902, mais démissionne en 1916 devant l’hostilité d’un certain nombre de professeurs à l’égard de ses réformes, notamment, des « concerts populaires » dont il veut relever l’ambition. [E. Jardin, 2006, p. 525-526].
37 Marie Delna (née Ledant, 1875-1932), d’origine modeste, fait une carrière éblouissante avant de mourir seule et ruinée. Vadot l’entend peu avant son mariage avec le marquis (belge) Adolphe Henri Édouard Prier de Saone.
38 Création posthume de l’œuvre, écrite pour elle, par Benjamin Godard en 1895.
39 Création en 1899.
40 1849-1918, normalien, vétéran de 1870, universitaire, recteur de la faculté de Lille, directeur de l’enseignement primaire (1896), puis de l’enseignement supérieur, il reprend du service comme sous-lieutenant en 1914, en Artois, Macédoine et Lorraine et meurt de paludisme.
41 Raymond Thamin (1857-1933), agrégé de philosophie (1880), professeur à la faculté des lettres de Lyon, puis à la Sorbonne (1924), membre de l’Institut (1922), recteur de l’académie de Rennes, puis de Bordeaux [Ch. Amalvi, 2001].
42 Vaudeville en 3 actes d’Antony Mars et Henri Kéroul, créé le 10 décembre 1901.
43 1852-1914, professeur au Conservatoire et compositeur, sa réputation le mène dans le monde entier.
44 Admise au Conservatoire de Paris (chant, 1900).
45 Alors géré par la « société des concerts du Conservatoire » ; dès cette année 1904, Boussagol doit renoncer à la diriger et la dissout, les concerts populaires réapparus en 1907 se produisant en marge du Conservatoire (E. Jardin, 2006, p. 579].
46 Erreur de Vadot : native du Nevada (dont elle tire son nom de scène), Emma Wixom (1859-1940) a une carrière européenne et américaine, réside longtemps à Paris avant de s’installer comme professeur de chant à Londres ; ses derniers grands concerts datent de 1902, avant sa retraite en 1907.
47 1860-1956, d’origine modeste, élève du Conservatoire, grand prix de Rome, il compose Louise (roman musical) en 4 actes en 1892-1896 ; créé en 1900, l’opéra devait former trilogie avec deux autres pièces dont une seule sera réalisée (Julien ou la vie d’un poète). L’intrigue raconte l’idylle d’une ouvrière, rompant avec son père, et d’un poète.
48 Georges Enesco (1881-1955), originaire de Moldavie, ancien élève des Conservatoires de Vienne et Paris, considéré comme le plus grand compositeur roumain, ses œuvres sont d’abord bien accueillies, mais au milieu des années 1900, elles rebutent et il doit vivre de ses talents d’interprète qui le mènent par exemple en Russie cette même année 1909 [A. Cophignon, 2006].
49 (1866-1925), né à Bordeaux dans une famille de violoncellistes d’origine hollandaise, il devient professeur au Conservatoire à partir de 1919.
50 L’absence de fortune – et surtout de fortune héritée –, émaille les cahiers 1 à 2, à l’occasion des décès des aïeux de son couple et à un moment où Vadot est, à la fois enclin à abuser de son pouvoir et à être mis sur la sellette par la presse (voir chap. 4-6).
51 Elle est morte en décembre 1895 à 85 ans.
52 Sa situation est pourtant très confortable : depuis son entrée en fonction à Rennes, son traitement (étant de surcroît logé, chauffé) est passé de 6 000 francs à 7 000 francs (1889), 8 000 (1897), enfin 8 500 francs en 1908. Il est, avec Blin (directeur des services de la voirie : 7 000 francs en 1896 ; 8 500 en 1908), le mieux payé des fonctionnaires municipaux. Sans compter un sens de l’intérêt personnel bien compris lui permettant, à sa requête, et par décision du conseil municipal de Rennes (10 avril 1889), de racheter ses années mâconnaises de service [AMR, 2 K 6 ; 2 K 24(2)].
53 Pratique fréquente dans les rangs subalternes des corps techniques, l’expertise, la rédaction de rapports ou d’avant-projets pour des particuliers ou des communes est lucrative au XIXe siècle, mais souvent mal vue, car elle détourne le fonctionnaire du service exclusif à l’État ou à la collectivité [M. Etienvre, 1998 ; J. Le Bihan, 2005].
54 Fondée en 1885 par Le Bastard, reconnue par l’État en 1891, l’école a deux sections (menuiserie et ajustage) qui accueillent des enfants de 13 à 16 ans. Rue d’Échange jusqu’à l’incendie de 1898, elle est déplacée bd Laennec (actuel lycée Laennec, construit par Le Ray, 1900-1904). Le travail (cours généraux et atelier) y est intense, en contrepartie d’une garantie d’emploi à la sortie [H. Guédy, s. d. ; J.-Y. Veillard, 1978, p. 444-445 ; C. Laurent, 2000, p. 87-89].
55 Il obtient son « certificat d’études pratiques industrielles » à l’issue des examens des 23-25 juillet 1900, sans jamais avoir obtenu le moindre prix, bien qu’en 1899 Vadot ait offert le prix de dessin [AMR, R 34 : école pratique d’industrie, Distribution des prix, Rennes, Oberthür, 1897 sq.].
56 Le service militaire, obligatoire, de trois ans en principe depuis la loi de 1872, est ramené à un an pour les titulaires du « brevet » ou « diplôme » d’ouvrier d’art, d’abord réservé aux seuls métiers d’art, il s’est alors ouvert aux « industries mécaniques » [G. Rivillon, 1893 ; A. Vincent, 1901]. Selon les fascicules de distribution des prix de l’École pratique d’industrie, il ne semble pas avoir été ouvrier d’art.
57 Selon le code civil, le consentement des parents est requis, pour les garçons jusqu’à l’âge de 25 ans (Albert est né en octobre 1880), disposition modifiée puis abolie par les lois de juillet 1907 et avril 1927.
58 Représentant de la Compagnie générale des téléphones, 5, rue Nationale, de 1901 à 1906.
59 Vadot le fait entrer comme surnuméraire à la mairie, puis comme employé (novembre 1905) au premier bureau au traitement de 1 400 francs, mais il abandonne ce poste en décembre 1906. À son mariage, il fait profession d’électricien [AMR, 2 K 3 : registre des bureaux].
60 Dernière mention d’Albert dans les Cahiers. Il se marie, cependant, avec consentement parental (reçu en mairie de Rennes le 24 août 1909) à La Rochelle, le 6 septembre 1909 (acte de mariage) avec Georgette, Elisabeth Maximilien (née le 19 décembre 1886). Son union n’est pas mentionnée dans la déclaration de succession d’Edmond Vadot.
61 AMR, 2 K 3.
62 Des enfants Le Ray, Guimbart, Rochulé, Cholley et Lamballais suivent les cours ; barreau et aristocratie ne fréquentant pas l’établissement [AMR, 2 R 15].
63 Albert suivait les cours supérieurs de piano en 1893-94 [AMR, 2 R 15].
64 Opéra de G. Meyerbeer.
65 Elle a alors 16 ans et accumule les titres au Conservatoire de Rennes : 1re médaille (solfège : classe préparatoire, 1891 ; piano, cours supérieur, 1893) ; 2e médaille d’harmonie (1900), accessit d’harmonie (1902) [AMR, 2 R 37].
66 Charles Lenepveu (1840-1910), Prix de Rome en 1865, professeur de composition au Conservatoire, élu à l’Institut en 1896, Inspecteur de l’enseignement musical, auteur d’un important opéra en quatre actes, Velleda, inspiré des Martyrs de Chateaubriand.
67 Concours ouvert à tous les élèves en classe d’harmonie depuis 1885, Marie est la première jeune femme à l’obtenir, ce qui l’autorise à tenter le concours d’entrée au Conservatoire de Paris [AMR, 2 R 37].
68 Yvonne Dubel, admise la même année comme auditrice (mais non élève) au Conservatoire de Paris.
69 Née en 1879 ; on perd sa trace après 1912 (Le Théâtre, n ° 260, octobre 1909, art de Curzon ; 1er octobre 1912) : il existe une carte postale ancienne, « Mlle Dubel au diadème » par Reutlinger.
70 (1857-1930), née Meunier, d’origine modeste, elle épouse jeune le pianiste Benoni Caron, dont elle se séparera, qui lui ouvre les portes du Conservatoire (1875-1878), où elle enseigne après avoir abandonné la scène en 1902.
71 (1869-1935), née Schilling, élève des Conservatoires de Genève (piano) et Paris (1887-1890, chant), elle fait toute sa carrière à l’Opéra de Paris, avant d’enseigner à partir de 1921.
72 Adelina Patti (1843-1919), fille de chanteurs italiens, elle commence sa carrière aux États-Unis et la poursuit sur la scène internationale jusque 1910.
73 Nantie de son prix d’honneur, Marie donne désormais des cours, mais n’en vit sans doute pas ; elle n’a du reste que 17 ans.
74 (1842-1924), prix de Rome en 1870, inspecteur du Conservatoire, compositeur.
75 Elle a alors changé de position sociale puisque l’une des très rares femmes membres du jury du Conservatoire (1903-1907) en qualité de « pianiste » puis « professeur de musique » [AMR, 2 R 37 et Bulletin municipal].
76 Peu après une déception sentimentale.
77 Avis de concours (8 décembre 1908) en remplacement de Mlle Kryzanowska ; épreuves à Paris ; recrutement de Pierre-Auguste-Joseph Augieras (Paris, 1884), le 8 mai 1909 [AMR 2 R 24 et Bulletin municipal].
78 On en ignore la cause.
79 Voir plus loin la situation d’Emma à cette époque.
80 Dans le Kent, Maidstone est tout de même à une soixantaine de km du centre de Londres.
81 Dans le cadre de la seconde guerre des Boers, le général Piet Cronje (1836-1911), commandant de l’armée de l’Ouest, tacticien de sièges (dont celui de Makefing face à Baden-Powell), est battu et fait prisonnier avec 4 000 hommes le 24 février 1900 à la bataille de Paardeberg. Emprisonné à St-Hélène, il est libéré à la paix de 1902.
82 Lord Frederick Roberts of Kandahar (1832-1914), officier de l’armée des Indes, vainqueur de la guerre d’Afghanistan en 1880, commandant en chef de l’armée des Indes (1885-1893), du corps expéditionnaire en Afrique du Sud (1899-1902), de l’armée britannique (1902-1904), maréchal de l’Empire. Bon soldat, il avait cependant mal appréhendé les évolutions techniques et matérielles dans la guérilla des Boers et fut remplacé par Kitchener (pourtant très mauvais à Paardeberg).
83 Avant l’Entente cordiale (8 avril 1904), l’anglophobie est à son comble après l’affaire de Fachoda (1898).
84 Outre des essais sur Lamennais dans les années 1910, il est l’auteur de pièces de théâtre (dont Kinkinou, représenté en 1919 dans le cadre d’un groupe de jeunes intellectuels socialisants, la « Ghilde les Forgerons » [P. Desgranges, 1975]) et inspire Adolphe-Louis Piriou (1878-1904) avec son « Rouet d’Armor » devenant partition et ballet (1923-1928), joué à l’Opéra en 1936 [M.-C. Mussat, 1994].
85 Comédie en cinq actes de Léon Gandillot (1862-1912), mise en scène d’André Antoine, créée dans son théâtre le 10 octobre 1905.
86 Émile Engel (1847-I927), élève du grand Gilbert Duprez. Ténor tonitruant applaudi a l’Opéra, au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles, professeur au Conservatoire en 1906, interprète et apologue de Debussy, il épouse la cantatrice Jane Barthori (1877-1970) en 1908. Il a beaucoup d’élèves mais peu font carrière (Louis Cazette, Françoise Rosay, reconvertie dans le théâtre et le cinéma).
87 Chef du service de la voirie [voir chap. 15].
88 Au nord-est de Rennes : forêt de Rennes ou de Sevailles (commune de Liffré) traversée à partir de 1897 par la ligne d’« intérêt local » Rennes-Fougères ; le point de Mi-Forêt est marqué par la présence d’un hôtel, lieu commode de rencontre et de restauration pour les promeneurs (qui existe toujours).
89 Château, parc et étang des Onglées ; il s’agit d’une vaste « maison des champs » bâtie aux XVIIe-XVIIIe siècles.
90 Jean-Marie Laloy (1851-1927), architecte du département, et ascendant d’une famille d’architectes, sa production est considérable ; prison de Rennes, théâtre de Fougères, classement et travaux au Parlement, à la mairie de Rennes, multiples écoles, halles, villas balnéaires et hôtels particuliers [25 architectes sont pourtant recensés à Rennes, en incluant Martenot, Le Ray, Daboval].
91 Forges (en fait fonderie), sur la commune de Sérigné, actives de 1871 à 1921 [DEIG].
92 La vallée du Tertre.
93 Ainsi que l’a observé André Hélard, tous sont juifs, preuve de l’absence de préjugés chez les Vadot [voir chap. 8].
94 Malgré ou en raison de très confortables émoluments (12 208 francs de 1888 à 1909), Salmon mène grand train. En partie ruiné par la faillite de la banque rennaise Cordier, un trou de caisse de 75 000 francs est constaté le 16 octobre 1913 par le trésorier payeur général Saugnier. Suspendu et remplacé mais non révoqué (ce qui lui évite les poursuites judiciaires), Salmon a un passif de 1 132 898 francs (somme colossale), garanti par son fils Romain et ses gendres, Lhuillier et Gontran Porteu (greffier au tribunal civil de Marseille) [AMR, 1 K 93(a)].
95 Henri, Marie Faux (né en 1878), docteur en droit (1905) avec Les sociétés coopératives de consommation en Angleterre dans la classe ouvrière ; son frère René épouse Amélie Vadot en 1909.
96 Sœur de Le Rondel ; la « jeune fille », Marie, est amie de Blanche.
97 À l’ouest de Rennes.
98 Appartenant au marquis éponyme, le domaine a en effet grand air et la Prévalaye est alors synecdoque de « beurre rennais » [Ardouin-Dumazet, 1896].
99 Chef du bureau de l’état-civil à la mairie de Rennes [voir chap. 15].
100 Ancien adjoint au maire [voir chap. 4].
101 (1835-1905), ancien élève puis professeur de l’école d’agriculture de Rennes, officier (1893) du mérite agricole et surtout prolongateur de l’embellissement du Thabor inauguré par les frères Bühler [L.-M. Nourry, 1997].
102 René, André, Julien Faux (né à Rennes, le 18 février 1875, mort à St-Servan, le 26 janvier 1965), avocat. Fils de Albert, Victor, Aimé Faux (né en 1841), représentant de commerce et Jeanne, Marie, Morin. Il épouse Amélie en 1909.
103 Renée Jacques (Rennes, 1872), fille de Léon, Jean Jacques (1824), horticulteur et Joséphine Cren (Rennes, 1837) ; son frère Valentin (1874) est aussi évoqué. Mme Jacques-Cren réside à l’époque rue Beaumanoir.
104 Première mention du futur époux de Marie Vadot.
105 Jean Guernet (St-Valéry-en-Caux, 1884), fils de René Guernet (Rouen, 1850), notaire.
106 Aujourd’hui centre équestre.
107 Alphonse Gasnier-Duparc (1879-1945), avocat, conseiller général, président du Conseil général d’Ille-et-Vilaine, maire de St-Malo, sénateur d’Ille-et-Vilaine (1932-1940), ministre de la Marine (1936-1937). Courtisan attitré de Marie, il rompt en février 1906, Vadot parlant de « profonde déception » [XVI, 22 février 1906].
108 Ingénieur civil, puis ingénieur-expert, il devient ingénieur de la voirie en 1911.
109 Marchands de vins, quai de l’Université.
110 Sans doute est-ce la mort de son père qui retarde son mariage avec Michel Geistdoerfer – qui intervient cependant le 22 février 1910 (Paris, 4e arrondissement) –, car dans une lettre à Jean Janvier [AMR, 2 K 24(2) : 27 décembre 1910], Antonine évoque cette alliance.
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