Chapitre I. Les brigades et la pintada
p. 27-60
Texte intégral
1Les membres des brigades avec qui j’ai réalisé des entretiens ont entre 40 et 60 ans, âge largement représentatif des individus qui composent les brigades, et sont ainsi les plus « âgés » des scripteurs urbains. Ils sont, par ailleurs, tous militants de longue date et cela se traduit par un discours particulièrement bien construit sur leur pratique.
2La pintada est née comme un « dernier recours » d’expression pour les organisations d’opposition au pouvoir, c’est-à-dire essentiellement du large champ de la gauche. Après la dictature, la pratique a pris avec force et s’est élargie à certains secteurs des deux partis traditionnels blancos et colorados. Elle est aujourd’hui devenue une véritable institution. Ce qui réunit mes interlocuteurs est donc une tradition commune, dans laquelle les murs se sont imposés comme un espace de lutte et de représentation politique.
3La classe sociale des membres des brigades ne semble pas être une donnée pertinente à prendre en compte puisqu’elle varie au sein même de chaque groupe et parti. Tous mes interlocuteurs ont beaucoup parlé, de manière fluide, sans sortir néanmoins du cadre de mes questions. Avec leurs différences idéologiques et leurs conceptions parfois opposées du politique, l’ensemble de leurs récits permet de faire un pas dans une dimension peu visible : celle des enjeux collectifs et individuels de la pintada qui, seule, permet de comprendre la densité de cette pratique et son efficacité. Avant d’entrer dans l’analyse, quelques notes sur les brigades que j’ai interrogées nous donneront des clés de lecture.
4Les brigades ne se structurent pas toutes de la même façon. Selon la taille du parti ou du groupe et selon l’importance que celui-ci accorde aux pintadas, il peut posséder une ou plusieurs brigades. Dans ce dernier cas, il peut avoir une brigade centrale et/ou des « seccionales », correspondant souvent aux comités de quartier des partis. Bien qu’il existe des brigades au niveau des partis politiques, elles sont pour la plupart plutôt liées aux mouvements internes et donc à leurs listes. Ainsi, dans les deux partis traditionnels, seuls certains courants ou listes font usage de la pintada. D’autres organisations n’ont enfin pas de brigades stables mais plutôt des groupes qui se font et se défont selon les besoins du moment, lors d’élections ou pour prendre position sur un sujet précis. En période de campagne électorale, les brigades se multiplient et la pintada mobilise le plus de militants possible. Ainsi, tout militant est potentiellement un faiseur de pintada.
5En ce qui concerne le choix des slogans, les brigades disposent de plus ou moins d’autonomie par rapport à leur parti ou organisation d’appartenance, plus ou moins de contrôle et de liberté, reflétant l’organisation générale de chacune. Ces brigades sont avant tout chargées de réaliser les pintadas, mais ce sont elles qui gèrent aussi l’ensemble des formes de communication politique prenant place dans l’espace public. Ainsi, ce sont souvent les brigades qui distribuent les tracts et les journaux internes, collent les affiches, installent les pancartes et les calicots, montent et démontent les scènes pour les événements publics. Elles sont donc les responsables de presque tous les aspects techniques de la propagande politique à l’exception des clips télévisuels et radiophoniques. En effet, bien que les brigades soient au centre des équipes de campagne, les différents partis travaillent, dans ces cas précis, avec des spécialistes en communication.
6J’ai réalisé des entretiens avec des membres de sept organisations qui me semblaient les plus importantes au niveau de l’utilisation des murs. La seule qui fasse défaut à ce spectre représentatif des brigades est celle du Movimiento de Participación Popular, MPP, mouvement d’extrême gauche composé essentiellement d’anciens membres du MLN-Tupamaros, et qui est aujourd’hui le groupe le plus important à l’intérieur du Frente Amplio. Mon échantillon compte donc des brigades des deux partis traditionnels, aujourd’hui « d’opposition », et de quatre groupes du Frente Amplio ou proche de celui-ci1.
7Voici donc une rapide présentation des protagonistes rencontrés :
8Nestor et Rolando2, le premier ayant succédé au second en 2006 au poste de secrétaire départemental de propagande du PCU : Partido Comunista Uruguayo. Ils étaient, l’un puis l’autre, dirigeants de la brigade principale du parti, à Montevideo, dont les pintadas sont reconnaissables à un « D », de « Departamental ». Le PCU, une des composantes du Frente Amplio, est majoritaire au sein de la liste 1001 de celui-ci3. La « D » est composée de six hommes. Le PCU et la liste 1001 sont, depuis toujours, les plus actifs au niveau des pintadas et comme on le verra, la « batalla en los muros », la bataille sur les murs, est centrale dans la vie du parti. Chaque comité de base où la liste est représentée possède sa brigade, le parti compte ainsi 18 seccionales. Nestor explique :
« Au final, c’est la commission de propagande qui définit le contenu des slogans. Notre idée, c’est de l’améliorer en créant une commission de slogans qui serait constituée par des collègues de la brigade, mais aussi par des collègues de la commission départementale de propagande. »
9L’organisation précise du système de propagande en différents groupes et commissions reflète celle de tous les aspects de la vie du parti et, au-delà, son style politique, hiérarchique et très structuré.
10Jorge est membre de la brigade « Siempre 26 » du Movimiento 26 de Marzo qui se définit d’orientation marxiste-léniniste. Fondé en 1971, le Movimiento 26 de Marzo était d’abord un groupe d’appui critique au Frente Amplio, fondé par les Tupamaros qui n’étaient pas acceptés au sein du parti. À partir de 1989, suite à une division interne et à la création du MPP (représentant les Tupamaros dans le Frente Amplio), le Movimiento 26 de Marzo continuera son chemin de manière autonome. Il a longtemps représenté la liste 326 au sein du Frente puis s’est retiré, en mars 2008, du groupe présidentiel pour cause de désaccords idéologiques. Le Mouvement n’a pas de brigade centrale mais une par comité de base. C’est le secrétariat central du mouvement qui valide les slogans, lui-même contrôlé par le tribunal d’éthique du Frente Amplio, ceci jusqu’à la récente scission. La brigade « Siempre 26 » est composée de quatre hommes : j’en ai rencontré trois, que j’ai accompagnés lors d’une sortie pour la réalisation de deux pintadas.
11Solange dirige la brigade centrale de l’Alianza Progresista, ou liste 738, également composante du Frente Amplio. Ce mouvement, né de la rencontre d’anciens membres du PCU, du Partido Demócrata Cristiano et du Partido Nacional, est un des groupes les plus modérés du Frente Amplio et il soutient inconditionnellement les décisions du gouvernement. Solange est un personnage particulier du monde des brigades, où c’est une des seules femmes que j’ai rencontrée4, et c’est elle qui dirige tant la réalisation que les contenus des pintadas. Elle jouit d’une grande liberté dans cette double fonction et nous verrons qu’elle occupe ainsi un rôle fondamental dans l’image générale du mouvement. Elle gère une brigade d’une quinzaine de personnes et ses slogans sont repris par les différents comités de base de chaque quartier. Membre fondatrice de la brigade, Solange a imposé son « style », son esthétique particulière à travers les pintadas :
« En plus, on s’entend très bien parce que, entre les petits jeunes et les anciens, on est à peu près quinze. Le chauffeur de taxi c’est un ancien, celui de la banque c’est un ancien, moi aussi, j’ai 45 ans, et il y en a encore deux ou trois autres, mais le reste ce sont tous des gamins. Et en plus de ça, la seule femme de la brigade c’est moi. Q : Ah oui ? R : Et ils ont un respect du tonnerre, ils sont adorables. »
12Peut-être parce qu’elle est une femme – interrogée par une autre femme – Solange est celle qui a parlé avec le moins de distance de la vie de sa brigade, de ses implications personnelles et des sentiments qu’elle mobilise.
13Roberto est militant de la Corriente de Izquierda (CI), un autre courant du Frente Amplio dont la liste porte le numéro 5271 ; minoritaire, il n’a aucun pouvoir décisionnel dans le parti. La CI est un courant révolutionnaire issu d’une fraction du MPP, ce qui signifie que la plupart de ses membres sont aussi des anciens Tupamaros. L’organisation possède une commission de propagande mais pas de brigade fixe, les militants forment des groupes occasionnels lorsqu’une campagne est entreprise. Les slogans sont décidés dans les réunions du « secrétariat exécutif » qui se réunit toutes les semaines, puis discutés avec la commission de propagande. Ce sont donc des slogans « centraux » que chaque groupe local reproduit, sauf lorsqu’il s’agit d’aborder un thème spécifique à un lieu, une ville de province ou un quartier, où les groupes ont une large autonomie de réaction et de proposition. L’aspect le plus intéressant des pintadas de la CI tient à sa condition particulière dans le Frente Amplio, puisque sa place minoritaire lui permet d’assumer des positions critiques que d’autres partis du gouvernement ne pourraient se permettre.
14En ce qui concerne l’opposition, Daniel García Pintos est le dirigeant de la brigade Palo y palo de la liste 15 du Partido Colorado, le courant le plus radical de la droite officielle en Uruguay. La Palo y palo est une des seules brigades du parti, avec celle de la Juventud Colorada. García Pintos est sénateur et c’est l’un des plus importants leaders de sa liste : c’est le seul cas où le responsable des brigades est aussi dirigeant du courant idéologique. La Palo y palo se divise elle-même en plusieurs brigades et c’est García Pintos qui invente la plupart des slogans ou du moins qui les valide. Comme dans le cas de Solange, la personnalité du responsable de brigade prend une place particulière dans le style des pintadas. Ici aussi, la pintada est une stratégie politique de première importance pour le courant politique, plus pour la portée de ses slogans que pour l’occupation des murs de la ville, qui sont les deux armes principales des brigades. À propos des slogans, García Pintos raconte :
« Je dirais que 60 % sont de moi et les 40 % qui restent sont de gens… de personnes proches du groupe, des amis depuis qu’on était étudiants. Duillo, par exemple, en propose un de temps en temps… Le président Batlle m’a parfois donné des textes, et je les ai mis, mais parfois seulement ! Quand il faut les censurer, on les censure […] parce qu’ils doivent aller avec la philosophie de la brigade, pas vrai ? »
15García Pintos est à la tête d’une brigade qu’il veut « de choc », avec une philosophie pour le moins combative sur laquelle nous reviendrons longuement.
16Nelson, enfin, se présente comme le « Suppléant à la présidence départementale du Partido Nacional de Montevideo et responsable des escouades ». Sa brigade, qui varie entre trois et dix personnes selon les moments, prend aussi en charge toutes les formes de communication urbaine. Les brigades, ou cuadrillas (que nous avons traduit par « escouades » puisque Nelson choisit ce terme moins connoté5), se divisent par listes, puis par zones :
« En général, on lance nos idées, comme ça, entre nous, n’importe qui qui est là, qui arrive et dit “il s’est passé ça” ou “j’ai pensé à ça”. Et puis on en discute avec ceux qui vont sortir [peindre dans la rue] et voilà. Qu’est-ce qu’il se passe si c’est un peu fort ? Ben, on consulte un peu plus haut, histoire de… Je veux dire, si quelqu’un travaille pour un député, par exemple, on l’appelle et on lui demande : “Est-ce qu’on peut mettre ça ?” On essaie de ne blesser personne, mais de toute façon, en général, tout ce qu’on peint peut être démontré par des faits. »
17La brigade est ainsi collectivement responsable du contenu des pintadas et elle est relativement libre dans cette fonction. Le Partido Nacional montre aussi ses caractéristiques propres sur les murs, même si la pintada reste marginale dans sa forme de communication, sauf, bien sûr, en période électorale.
Stratégies discursives
Forme brève, impacts du slogan
18Le centre de presque toute pintada, son texte principal, est la « consigna », le slogan politique. En effet, son but premier et explicite est de diffuser une idéologie, de chercher à convaincre ; elle est donc, en cela, rhétorique. L’énoncé de la pintada se veut performatif, il est destiné à « faire faire » ou à « faire croire » quelque chose, et pour atteindre ce but il a recours à une série de stratégies discursives. Le slogan peut se définir comme une « formule », c’est-à-dire l’« expression concise, nette et frappante, d’une idée ou d’un ensemble d’idées6 ». Olivier Reboul souligne que la formule « frappe », fonctionne, justement parce qu’elle est « concise » et « nette », et donc que « sa réalité n’est pas d’ordre syntaxique, mais stylistique7 ». Si « la rhétorique est l’art de persuader par le discours8 », dans ce cas précis, il s’agit à un premier niveau de persuader qu’il vaut mieux voter pour tel candidat plutôt que pour un autre, ou que telle position politique est la plus juste, la plus fondée. Ainsi, la pintada vise généralement à justifier un choix ou une prise de position politique et cela à travers des moyens plus ou moins rationnels et affectifs, ou, le plus souvent, par un subtil mélange des deux. Elle use alors de recours argumentatifs et oratoires, faisant jouer l’ethos et le pathos pour arriver à ses fins.
19La principale caractéristique de la pintada est sa concision : pour être lisible et compréhensible, notamment pour qui passe rapidement devant à bord d’un bus ou d’une voiture car les pintadas se trouvent très souvent le long des routes et des avenues, elle ne doit pas dépasser une dizaine de mots. On peut alors insérer la pintada dans la catégorie des « formes brèves », qui correspond elle-même à une multiplicité de genres. Comme le souligne Alain Montandon, celles-ci
« répondent à un souci stylistique, esthétique, moral et psychologique qui est celui de dire en peu de mots, de trouver le type d’énonciation minimale permettant à l’expression de s’affirmer avec la plus grande densité, la plus grande pertinence dans une économie maximale de moyens9 ».
20De ce fait, et c’est une deuxième caractéristique, elle provoque une lecture particulière : « La brièveté est ainsi moteur pour l’activité lectrice et herméneutique. La brièveté est un appel, un signe, une piste, un choc qui donne à penser10. » Ainsi, la construction de la pintada, c’est-à-dire le choix du vocabulaire mais aussi son rythme, sa prosodie, ses rimes, sa typographie, son iconographie, ou d’une manière plus générale son esthétique, lui donnent une grande partie de son efficacité. La condensation de sens dans une formule la plus courte possible est obtenue par des techniques classiques de ce genre d’énoncés comme la suppression des mots-outils (prépositions, conjonctions, articles…) ou encore l’utilisation de figures de style comme la métaphore, l’hyperbole, l’ellipse, etc. Enfin, et surtout, on verra que la pintada a recours à une gamme de symboles, à un lexique particulièrement connoté, chargé d’affects et de significations. La pintada repose alors sur un système symbolique qu’elle met en scène (dans son contenu comme dans la pratique) ; dense et chargée d’Histoire, elle véhicule des imaginaires particuliers que nous tâcherons de traduire au fil de ce chapitre. Philippe Braud écrit :
« Le symbole politique authentique, signe ou système de signes surchargés de sens, se caractérise par le franchissement d’un seuil d’intensité dans la condensation cognitive et émotionnelle. C’est l’efficacité mobilisatrice des investissements et projections opérés sur un signifiant, efficacité appréciée non dans l’abstrait mais en situation, qui authentifie le symbole proprement dit11. »
21Pour revenir sur la construction du slogan – versant textuel de ce système symbolique –, Olivier Reboul propose la notion de « mot choc12 » comme un élément récurrent de celui-ci, des mots qui évoquent un ensemble de représentations et de valeurs. Le « mot choc » renseigne sur son destinateur puisqu’en effet, nous dit l’auteur, le choix d’utiliser le mot « Russie » plutôt qu’« URSS », ou l’expression de « monde libre » plutôt que de « système capitaliste » indique d’emblée le lieu idéologique où se place le sujet de l’énoncé. Finalement, n’importe quel mot peut être « choc » selon le contexte d’énonciation et celui qui l’emploie, en prenant une valeur positive ou négative. Leur utilisation fait de la pintada le porte-voix de toute une vision du monde. Elle est en cela particulièrement dialogique, dans le sens bakhtinien où
« chaque mot sent la profession, le genre, le courant, le parti, l’œuvre particulière, l’homme particulier, la génération, l’âge et le jour. Chaque mot sent le contexte et les contextes dans lesquels il a vécu sa vie sociale intense13 ».
22Enfin, la pintada correspond aussi à la définition du « mot d’ordre », comme une sous-catégorie du slogan. En effet, « expression d’une résolution commune [le mot d’ordre] est également une formule brève, incitative, souvent anonyme et destinée aux masses ; et il peut être, lui, polémique. Il semble qu’on peut distinguer quatre espèces14 ». D’abord, « le mot d’ordre tactique, qui vise à provoquer une action immédiate ou à court terme », comme c’est le cas pour les pintadas qui appellent à une manifestation, ou celles des campagnes électorales qui visent à obtenir le plus grand nombre de votes. Le mot d’ordre est, dans ce cas, très proche de la forme de la consigne mais toujours situé dans le temps et dans un contexte précis. Ainsi, un mot d’ordre comme « No al tratado de Astori » (« Non au traité d’Astori ») reste vague et inintelligible pour qui ne connaît pas son contexte d’énonciation. Vient ensuite le « mot d’ordre stratégique » qui vise un objectif à long terme ; c’est le cas pour des pintadas liées à des campagnes de longue durée ou à des objectifs plus abstraits et généraux comme nous le verrons dans un des leitmotiv principaux du Frente Amplio autour de la notion de « cambio », le changement. Le « mot d’ordre idéologique », ensuite, exprime « un des buts essentiels et permanents du mouvement qui le lance », il est ainsi souvent proche de la devise, qui résume elle aussi, en peu de mots, des valeurs transcendantes. Deux exemples montevidéens seraient : « Verdad y justicia » (« Vérité et justice ») ou encore : « Por un país productivo y solidario » (« Pour un pays productif et solidaire). On comprend qu’il s’agit, dans les deux cas, d’objectifs vers lesquels tendre, qui poussent à penser à long terme et marquent les grands idéaux du groupe qui les signe. Le mot d’ordre idéologique est aussi, on le comprend, l’énoncé privilégié des utopies. Enfin, le « mot d’ordre affectif est moins un impératif qu’un optatif, exprimant un vœu, un espoir, un encouragement » ; on le trouve dans des pintadas comme « Viva el partido comunista » (« Vive le parti communiste ») ou « Arriba los que luchan » (« Hourra pour ceux qui luttent »), qui n’indiquent pas de buts précis mais n’en sont pas moins des expressions d’idéologies particulières.
23On remarque tout de même que ces limites sont floues, qu’une même pintada peut être à la fois « tactique » et « affective », ou bien se trouver à la frontière entre le court et le long terme, nuançant ainsi tout effort de catégorisation. Comme on le voit sur la pintada de l’illustration n° 1, « Por los cambios, todos a 18 » (« Pour les changements, tous sur la 18 ») est un mot d’ordre tactique, un appel à manifester sous-entendu dans la seconde partie de la phrase, la rue 18 de Julio étant l’artère principale du centre-ville. C’est également un mot d’ordre stratégique, appelant des changements à plus long terme. D’une manière générale, ce qui distingue vraiment le mot d’ordre du slogan repose sur le point de vue du destinataire, ainsi : « Vive X ! est un mot d’ordre pour les X-istes, un slogan pour leurs adversaires. » Ce qui nous intéresse, c’est que la pintada soit plutôt construite comme un mot d’ordre visant à convaincre et à rassembler les « X-istes » potentiels. On peut dire finalement que toute pintada, à l’exception peut-être de celle qui ne présente qu’un nom et une liste, est porteuse d’un discours idéologique. C’est la línea (la ligne politique) qui maintient la cohérence de l’ensemble des pintadas avec l’idéologie du parti, et qui nous permettra d’appréhender chacune d’elles comme le fragment d’un discours beaucoup plus large, éparpillé dans la ville.
24Philippe Braud propose trois modes principaux d’expression du symbolique répondant particulièrement bien au dispositif de la pintada. Il s’agit, dans un premier temps, du langage : « Ce sont parfois seulement des mots clés ou des concepts fortement investis de représentations. Des mots pour dire des valeurs, affirmer une identité, formuler de “grandes causes”15. » Braud se réfère ici à tous les types de prise de parole, impliquant aussi des stratégies de communications non verbales, c’est-à-dire, pour la pintada, les nombreux éléments de représentation non textuels qui accompagnent le slogan et densifient sa signification. Le deuxième mode d’expression symbolique est qualifié de matériel. Braud mentionne alors les insignes, les emblèmes, les statues, les drapeaux, et explique que « la médiation d’un support physique et son inscription dans l’espace, c’est-à-dire l’insertion du symbolique dans l’univers sensible, introduisent toujours une spécificité dans le traitement symbolique de l’objet16 » ; nous ajoutons bien sûr la pintada qui entre de plain-pied dans ce paradigme (qui condense, en outre, plusieurs de ces éléments). Nous verrons ainsi que nombre d’aspects symboliques de la pintada tiennent à sa forme physique mais aussi au fait de l’exposer et à la manière dont elle l’est : les effets de répétition, le fait qu’une pintada puisse en recouvrir une autre et, bien sûr, son importance numérique. Enfin, le troisième mode d’expression symbolique est de l’ordre du comportement, nous le verrons en proposant de penser le monde de la pintada comme un dispositif rituel.
Les sujets de la pintada
25Commençons par observer les différentes manières dont se construisent les sujets de la pintada à travers son énoncé textuel et ses différents paratextes, c’est-à-dire les différents indices de ces sujets tels qu’ils sont inscrits sur les murs. Est sujet de la pintada celui qui la signe (et l’assume), mais nous verrons qu’il a tendance à se confondre, le plus souvent, avec le sujet qu’elle vise (sa cible), formant un tout collectif, un « nous » impliqué dans la phrase. Nous verrons aussi que cette construction des sujets repose essentiellement sur l’idée d’une communauté d’appartenance idéologique, sur des catégories permettant de distinguer le « nous » du « eux », division structurante de toute construction identitaire. Comme le mentionne Philippe Braud :
« L’ordre social, en effet, n’est intelligible aux être humains que par les différenciations qu’il propose et impose. La notion de catégorie, ainsi que celle de limite ou de frontière qui lui sont inséparablement associées, se situent au cœur du travail d’intelligibilité du réel. Les mots clés du lexique politique permettent de penser l’univers politique et même, à bien des égards, de le faire advenir17. »
26Ainsi, identifier les destinateurs et les destinataires, les sujets dépeints comme positifs et négatifs par la pintada et les grandes catégories qui divisent son monde, nous permet de faire un premier pas dans l’appréhension de la pintada comme dispositif rituel. En suivant Marc Augé, on dira que celui-ci construit, par ces distinctions, des identités relatives (à une classe, un groupe, un parti), à travers des altérités médiatrices, elles-mêmes dépassées par des valeurs qui les transcendent (comme la Nation, le Peuple, la Solidarité, etc.18). Ainsi, une des premières fonctions de la pintada est-elle l’assignation d’un « nous », inévitablement construit vis-à-vis d’un « autre » présent explicitement ou implicitement dans l’énoncé. Il s’agit, par ce travail de dénomination plus ou moins subtil, de simplifier le réel, de le rendre apprivoisable pour produire la plus large identification.
27L’illustration n° 2 montre une pintada électorale : son centre n’est pas le texte, mais le numéro de la liste 326 (du Movimiento 26 de Marzo). Les noms des deux candidats19 occupent une place secondaire, à l’instar du slogan. Ce dernier sert en quelque sorte à résumer la campagne du mouvement, à rappeler l’idée générale la plus représentative de son idéologie. La pintada inscrit ainsi la « promesse » électorale et engage le groupe qui la signe. « A gobernar con el pueblo » (« Gouverner avec le peuple ») n’a pas de sujet direct mais celui-ci est contenu dans l’infinitif (ou dans l’impératif), qui implique « tout le monde » et présuppose un sujet universel. « El pueblo » est alors son sujet indirect, contenu aussi dans le « nous » de l’action. C’est un mot particulièrement intéressant pour sa polysémie et sa récurrence sur les murs de Montevideo, notamment dans les pintadas du Movimiento 26 de Marzo et du PCU qui sont les plus nombreuses et sur lesquelles nous insisterons dans un premier temps. Dans le mot d’ordre cité (gouverner avec le peuple), on peut l’entendre sous plusieurs acceptions. D’abord, l’idée de peuple est liée à celle de « classe populaire » politiquement et socialement dominée, c’est-à-dire à la vision marxiste d’une société de classes qu’il s’agirait de renverser. En même temps, le peuple renvoie à l’ensemble des citoyens, sujets actifs de la vie politique qu’il s’agit d’amener à s’impliquer (ne serait-ce que par le vote, puisque c’est une campagne électorale). Le fond idéologique de cette seconde appréhension est alors celui de la démocratie participative, au sens premier de « gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple », qui est aussi un des piliers de la conception du politique pour les partis de gauche uruguayens. Ce peuple qui voudrait rassembler tous les citoyens est donc ici à prendre dans son sens le plus large, un sujet utopique et transcendant qui permettrait de dépasser les différences idéologiques.
28Dans un style très proche, « Tabaré con la lista del pueblo » (« Tabaré avec la liste du peuple »), phrase suivie, en plus petit, de : « Para el pueblo lo que es del pueblo » (« Au peuple ce qui est au peuple »). Ici, c’est un effet de répétition qui met le peuple au centre de la pintada. L’efficacité de ces deux phrases nominales et extrêmement courtes repose aussi sur un jeu d’associations et de présupposés. Le premier énoncé associe d’abord la liste, Tabaré (Vázquez, son principal candidat), et le peuple, construisant un « nous » qui les englobe. La seconde insiste sur le peuple au-delà de toute attache partisane. Ce slogan sous-entend, par le fait même d’être formulé, que sous les autres gouvernements la consigne n’était pas mise en pratique, que le peuple ne jouissait pas de ce qui lui revenait de droit. La critique est donc implicite dans cette phrase positive, qui désigne l’autre sans le mentionner, et propose une alternative plus juste.
29D’autres pintadas du 26 de Marzo indiquent de manière explicite qui est l’autre, antonyme du peuple, par des jeux d’oppositions qui font encore évoluer son sens. Ainsi, dans « Justicia para ricos, cárcel para el pueblo » (« Justice pour les riches, prison pour le peuple ») qui dénonce un état de fait, l’opposition pueblo/ricos ne renvoie plus au peuple-citoyen mais clairement aux pauvres, à une classe populaire subalterne et maltraitée. Le moteur d’identification ne fonctionne plus sur une proposition alternative ou sur une appartenance nationale mais sur la révolte suscitée par cette condition, un « nous » relié par l’insatisfaction20. Il en va de même pour « Que los ricos se coman el pan podrido y los pobres el pan dulce » (« Aux riches le pain pourri, aux pauvres le pan dulce21 »), sur l’illustration n° 3, une métaphore pleine de colère où le mot pobres se trouve face à ricos, reformulant et accentuant l’idée de lutte de classes. C’est ici aussi le sentiment commun de frustration, symbolisé par l’absence du « pan dulce », que le mouvement mobilise pour donner envie de renverser la situation. La rhétorique désespérée du ressentiment22 invoque le renversement qui permettrait d’atteindre la justice sociale.
30Le peuple, enfin, renvoie à l’idée de Nation et donc au nationalisme, un des éléments idéologiques fondateurs de la gauche latino-américaine, relativement fort en Uruguay. Le peuple sous-entend alors le peuple uruguayen, en opposition non plus avec les élites dominantes, ni avec les riches, mais avec les pays impérialistes, dénonçant la dépendance du pays vis-à-vis des pays du nord, en particulier des États-Unis. Dans « Es Uruguay y no se vende, ¡ primero pagar la deuda con el pueblo, los gringos que esperen ! » (« C’est l’Uruguay et il n’est pas à vendre. D’abord payer la dette envers le peuple, les gringos peuvent attendre ! »), toujours du 26 de Marzo, la mention de « Uruguay » fait en effet le lien entre le Peuple et la Nation, et « eux » sont explicitement les « gringos », terme péjoratif bien connu du champ lexical anti-impérialiste latino-américain, mobilisé pour dénoncer notamment les États-Unis et le Fond monétaire international sous-jacents dans toutes les références à la « deuda », la dette externe. On trouve ainsi les termes suivants, relevés dans des pintadas du 26 de Marzo du PCU et de la CI : « El imperialismo », « el imperio » et « el FMI » mais aussi « los yankis » et plus précisément « Bush », voire « el genocida Bush », « el asesino Bush », etc. Certains groupes utilisent plus sobrement « EE UU », sigle espagnol d’États-Unis, mais d’une manière générale, on remarque que c’est un langage très manichéen qui sert à définir le camp adverse.
31On trouve aussi des références plus directes : « Fuera astori ! no al tratado con ee uu » (« Astori dehors ! Non au traité avec les États-Unis ») ou « Los traidastoris son siervos del imperialismo yanqui » (« Les “traidastoris” sont les valets de l’impérialisme yanqui »). Dans ces deux slogans, il s’agit de rejeter la signature du traité de Libre-Échange avec les États-Unis mais aussi de dénoncer Danilo Astori, alors ministre de l’économie, comme le responsable d’un pacte contraire, selon le 26 de Marzo, aux intérêts du peuple. Dans les deux formules, la figure d’Astori condense, par synecdoque, toute la politique économique du gouvernement ; l’évocation de son seul nom permet de critiquer tout un système qui le dépasse mais dont il est le représentant officiel. Par ailleurs, le jeu de mot « Traid/astoris » est un peu plus ouvert : en désignant un collectif, « los traidastoris », il permet de viser le ministre mais aussi tous ceux qui le soutiennent et, à un autre niveau, l’ensemble du gouvernement, tout en qualifiant l’ensemble de « traîtres », « traidores ».
32Il faut préciser que l’abondance de ces pintadas anti-impérialistes est en partie liée au moment de la conception du corpus23. Si l’exemple sert de paradigme pour penser la construction des sujets, les murs de Montevideo ne sont pas toujours de tels pamphlets anti-Étatsuniens. Néanmoins, comme toute construction identitaire, celle, politique, de la pintada repose sur des références à plus ou moins long terme et met en avant des traditions tout en suivant l’actualité et ses rebonds. On remarquera ici que l’utilisation des noms propres ne sera valable que pendant les mandats des personnes citées (Bush ou Astori), alors que les concepts ou les mots chocs (pueblo, impérialismo), déjà lourds d’histoire, sont voués à perdurer autant que les idéologies qui les soutiennent. Sans développer davantage, on observe que ce type de construction identitaire rassembleuse fonctionne pour d’autres sujets : plus englobants – « Otra américa es posible » (« Une autre Amérique est possible ») –, ou concernant des minorités dominées – « Jubilado firme, cuide su bolsillo » (« Retraités ne lâchez rien, attention à vos poches ») –, pour n’en citer qu’une.
33Les pintadas des partis et des courants de gauche les plus radicaux sont les plus nombreuses et constituent donc une grande partie de mon corpus. Les autres secteurs politiques utilisent tout de même les murs et tentent de se démarquer tant bien que mal des pintadas révolutionnaires qui couvrent la ville. Ils ont ainsi recours à d’autres stratégies et le mot peuple, par exemple, n’apparaît pas dans les pintadas du Partido Nacional. Celles-ci se limitent le plus souvent à des noms de candidats et leur numéro de liste. Néanmoins, on trouve parfois des slogans tels que « García intendente/La tuya, la mía también, gente como vos » (« García à la mairie ! Les tiens, les miens aussi, des gens comme toi »), sur l’illustration n° 4. Il s’agit, ici aussi, d’être le plus rassembleur possible, de manière moins connotée et en interpellant cette fois l’individu plutôt que le groupe. Ce « Gente como vos » permet de dépasser toute altérité puisque « toi » peut être tout le monde24. Dans « la mía, la tuya… », l’idée sous-jacente est que « toi » et « moi » avons les mêmes intérêts et que chacun de « nous » peut et doit se sentir impliqué dans la gestion politique de la ville (puisqu’il s’agit de l’élection du maire et de « ses gens », c’est-à-dire de son équipe). En ce sens, la construction de la phrase est proche mais pourtant antithétique de celle qui accompagne le logo de la mairie de Montevideo dirigée par le Frente Amplio : « Montevideo de todos » (« Montevideo pour tous ») qui reformule, mais de manière collective, cette même intégration à l’organisation de la cité.
34Le Partido Colorado est celui qui joue le moins sur ce type de construction, puisque la stratégie de la brigada Palo y palo (qui, comme nous l’avons dit, est la seule brigade du parti et représente la liste 15) est de critiquer plutôt que de définir un « nous », de rassembler par la dissidence vis-à-vis du gouvernement. Un des rares exemples que j’ai pu trouver est néanmoins intéressant au niveau sémiologique ; il dit : « No extraditar orientales » (« Non à l’extradition des “Orientaux” »), sur l’illustration n° 5. Le terme « Orientales » est la façon la plus solennelle de nommer les Uruguayens et nous situe d’emblée dans le champ de la Nation, de l’officialité de la Républica Oriental del Uruguay. On comprend d’autant mieux la terminologie institutionnelle si l’on sait que les personnes qu’il s’agit d’extrader sont des militaires, accusés pour leur action durant la dictature.
35Une autre dimension capitale du sujet de la pintada concerne ceux qui la signent. Sur le mur, tout un dispositif textuel et iconographique exprime et met en scène ses auteurs : des signes visuels qui peuvent être le paratexte du slogan, ou même (notamment dans les fresques électorales) le texte central de la pintada. Le nom et le logo du parti, ceux du courant, le numéro de liste, les drapeaux ou même le code chromatique de la pintada nous informent sur ses destinateurs. Chacun de ces éléments est une forme de signature collective et marque différents niveaux d’appartenance, ils symbolisent l’idéologie large des signataires – à travers le nom du parti – mais aussi leur position plus précise que représentent le courant interne ou la liste. On trouve aussi le nom et parfois le logo de la brigade, parfois des noms de comités de base et enfin des drapeaux et d’autres symboles, sur lesquels nous reviendrons. Ces différents éléments peuvent apparaître ou non dans la pintada, en fonction de sa taille et de son contenu. En effet, s’ils sont avant tout des signatures – précisant l’origine politique du slogan –, ils peuvent aussi servir à occuper de la place, à « remplir » les murs. Cette abondance de signes est ainsi directement liée à la forme physique de la pintada, puisqu’elle permet, par la répétition, de marquer la présence d’un groupe – telle une démonstration de force – mais aussi de remplir l’espace blanchi dans le but de couvrir une autre pintada, un prétexte pour « récupérer » le mur (voir les illustrations 4 à 8). Les symboles deviennent alors une arme matérielle de la « guerre des murs », guerre symbolique sur laquelle nous reviendrons largement.
36La multiplication des signatures permet aussi d’affirmer la diversité des positions au sein d’un parti. Tout en restant unitaires, elles dessinent une identité politique à la fois précise et multiple. Un même militant pourra ainsi se reconnaître du Frente Amplio ainsi que du MPP, par exemple, et plus précisément du groupe qui se réunit dans tel comité de quartier. La présence côte à côte de plusieurs logos et numéros, ou le fait qu’un nom de parti revienne dans des pintadas de groupes et de contenus très disparates, induisent cette diversité, particulièrement marquée dans le Frente Amplio. L’unité est parfois exposée dans des pintadas communes, généralement réalisées sur les locaux des comités de base où se réunissent tous les courants (voir l’illustration n° 9). Les jeux de signatures permettent enfin de faire d’autres liens entre organisations et reflètent aussi leur politique. La brigade centrale de la 738 réalise parfois des pintadas signées uniquement du logo du Frente Amplio, prêtant en quelque sorte sa main-d’œuvre pour une cause unitaire, ou les brigades du PCU peignent parfois des pintadas signées PIT-CNT, le syndicat unique des travailleurs – un lien entre le parti et le syndicat qui s’inscrit ainsi sur le mur sans être pour autant visible pour le passant.
37Mais revenons aux formes des icônes et signatures. Les couleurs sont un des premiers éléments qui permet de reconnaître une pintada de loin, rendant explicite le sujet qui s’est emparé du mur avant même d’en lire le contenu. Ainsi, les groupes du Frente Amplio privilégient les couleurs de son drapeau : rouge, bleu et blanc, directement inspirées du drapeau artiguiste25. Certains groupes, comme le PCU ou l’Alianza Progresista, y ajoutent d’autres couleurs, dans un souci d’esthétique et de visibilité. Toutes les brigades du Partido Nacional peignent en bleu sur fond blanc, c’est-à-dire aux couleurs du drapeau national. Les colorados, en référence à leur nom, privilégient le rouge.
38Les noms et les logos des différents groupes apportent aussi leur charge de sens : ils représentent quelque chose du groupe, de son idéologie partagée ou de son identité. Pour ne donner que quelques exemples, le nom de Partido Communista Uruguayo contient une affiliation historique et internationale on ne peut plus claire ; le 26 de Marzo rappelle la première manifestation publique du Frente Amplio, en 1971, s’inscrivant plutôt dans l’Histoire nationale et partisane ; l’Alianza Progresista indique les raisons idéologiques de sa formation ; le MPP, de son côté, Movimiento de Participación Popular, renvoie à la notion de peuple telle que nous l’avons développée plus haut et à l’importance donnée à la démocratie participative. Les logos sont aussi l’occasion d’ajouter des symboles à la pintada : le 26 de Marzo est écrit dans une étoile rouge, le PS arbore une rose, comme dans le reste du monde, de même que le PCU une faucille et un marteau26 (voir les illustrations n° 7, 10 et 11).
39Le logo du Frente Amplio (que l’on voit notamment au centre de l’illustration n° 8) est un exemple intéressant. Très simple, il repose sur le sigle du parti, FA, et représente un drapeau flottant sur le Cerro27. Ainsi, sur les panneaux explicatifs d’une exposition d’affiches et de graphisme politique des premières années du Frente Amplio28, la composition du logo était décrite en ces termes :
« Le drapeau, représenté par le F se déploie librement et avec détermination, dans l’espace – c’est le Front ! – élevé sur les hauteurs d’une colline, représentée par le A, dont la base nous transmet à son tour l’idée d’un soutien ferme – c’est l’amplitude ! –. On pourrait dire, en dernière instance, que cette colline est la même que celle de l’écusson national et la même, bien sûr, que celle de Montevideo, trait distinctif de notre cher territoire, en plus d’une incarnation de la force, que chacun lui reconnaît. »
40Au-delà de ce contenu pour le moins symbolique, un autre aspect du logo est mis en avant dans le texte :
« Le concept qui a conditionné, en dernière instance, le choix de ce type d’emblème, est lié à la possibilité de son exécution rapide et improvisée sur les murs de la ville, par le peuple, quel que soit son niveau d’éducation. Les lignes sont droites et simples, et n’offrent donc pas le moindre obstacle. »
41Le lien entre l’emblème et la pintada est scellé puisque son graphisme est, dans ce cas (et sans doute dans d’autres), pensé en fonction de son inscription sur les murs.
42Signer une pintada, c’est parler au nom d’un parti, d’un mouvement, et donc d’une communauté d’appartenance politique. La pintada porte le sceau du système politique uruguayen, ce qui la rend légitime, et cet ancrage est sans cesse réaffirmé par l’abondance des pintadas et de ses symboles. On trouve aussi, sur les pintadas, les noms des candidats. Contrairement aux autres inscriptions urbaines, le nom écrit n’est pas une signature, il représente une personne que l’on soutient et dont on parle à la troisième personne. On lira ainsi, derrière ces noms, les valeurs et les idées du parti plutôt que la mise en avant d’un individu. Si le « je » est la personne la plus importante de l’affiche politique29, appuyé généralement par la photo du candidat, celui-ci n’apparaît jamais dans la pintada. Elle n’est pas le lieu d’expression de l’homme politique mais celui de la base qui le soutient ou le critique à travers un langage toujours collectif. Pour Marc Abélès, la mise en spectacle de la personne caractérise les nouveaux modes de communication du politique (émissions de télévisions, meetings-spectacles, etc.), en opposition aux formes plus traditionnelles où
« au contraire, l’officiant aura tendance à s’effacer pour mieux laisser parler les symboles, pour inscrire son action dans un système de valeurs qui le dépasse et à raison d’une histoire collective plus englobante. Ce qui prime ici, c’est le système de valeurs et de symboles réactualisé par l’acte rituel30 ».
43Nous pouvons ainsi anticiper notre réflexion sur la pintada comme rituel et penser sous cet angle une dernière forme de signature : celle de la brigade. Bien qu’elle apporte parfois une information idéologique supplémentaire, l’inscription du nom de la brigade semble être avant tout une signature pour soi, pour le groupe et ses militants plutôt que pour le lecteur. Elle est la signature la plus affective parce qu’elle sous-tend l’activité de groupe, elle est la seule trace visible qui implique ses auteurs techniques. Les noms des brigades méritent aussi quelques observations : selon le parti, ils peuvent être plus ou moins « légers » ou « sérieux ». On trouve ainsi des références sans doute liées à la vie du groupe, à des surnoms, dans des brigades comme « Pela’o » (« Crâne d’œuf »), « Pinky y Cerebro » (« Minus et Cortex », du nom d’un dessin animé), des hommages, comme les brigades « Rubén Sassano31 » du PCU, « Wilson32 » du Partido Nacional ou encore « Lenin » du 26 de Marzo. Les signatures font ainsi appel à la solennité, aux traditions, ou au contraire montrent un autre aspect plus sensible et convivial qui renvoie à l’expérience de la brigade. D’autres noms prennent enfin la forme de petits slogans, comme une autre manière de répéter des mots chocs, ainsi « Locos por el cambio » (« Fous du changement », sur l’illustration n° 11), « Siempre 26 » (« 26 encore et toujours », voir l’illustration n° 10) ou « Verdad y justicia » (« Vérité et Justice »).
44Les noms et les logos des brigades contribuent ainsi à la condensation de sens qui se joue dans la place somme toute limitée de la pintada et reflètent, sans doute plus que les autres signes, la culture politique propre à chaque groupe. La brigade est, autant que la pintada, le reflet des manières particulières de concevoir le politique. Pour derniers exemples, nous soulignerons la sobriété de la brigade « D » du PCU, ou la force évocatrice de la brigade Palo y palo33 qui, comme nous le développerons, prend une place très singulière dans le monde de la pintada. Pour signer, la Palo y palo ne peint pas d’autres symboles ni le nom de son parti, mais souvent le nom de son leader et, en période électorale, sa liste 15. Ses pintadas n’arborent ainsi que le nom de la brigade et celui de García Pintos, représentant cette fois un groupe restreint et celui que l’on peut associer, dans ce cas uniquement, à l’auteur intellectuel de la phrase (voir l’illustration n° 5).
Proximités et connivences
45Nous avons vu, jusqu’à présent, que la cible de la pintada – citoyens et militants potentiels – est interpellée et englobée dans la construction d’une communauté d’appartenance à travers des assignations (« nous » versus « eux »), ainsi que par une palette de symboles et de signatures collectives. Reste à présent à interroger quelques autres stratégies discursives très courantes et spécifiques de la pintada : l’oralisation, la territorialisation et les rapports au passé et au futur. En effet, la pintada travaille sa proximité avec le passant-lecteur, d’abord par la dramatisation de son discours et le « ton » (ou l’intonation) employé. C’est aussi sa dimension la plus surprenante pour qui vient d’ailleurs. Selon Bakhtine :
« L’intonation se trouve toujours à la limite entre le verbal et le non-verbal, le dit et le non-dit. Dans l’intonation, le discours entre en contact immédiat avec la vie. Et c’est avant tout dans l’intonation que le locuteur entre en contact avec les auditeurs : l’intonation est par excellence sociale. L’intonation est le conducteur le plus souple, le plus sensible, des relations sociales qui existent entre les interlocuteurs dans une situation donnée. […] L’intonation est l’expression phonique de l’évaluation sociale34. »
46L’intonation, propre au langage oral, marque ainsi le discours de spécificités culturelles, reflétant des manières particulières de dire et de formuler les choses selon la personne à qui l’on s’adresse. Pour Olivier Reboul35, le slogan est, d’une manière générale, un acte verbal à forte fonction expressive et émotive, et son efficacité repose en grande partie sur des interjections et sur son intonation. Cette dernière se retrouve dans la pintada à travers son style, l’écriture du slogan étant souvent marquée par une forte oralisation. La pintada se rapproche de son lecteur en l’interpellant de manière familière, nous informant donc sur des manières de dire la politique plutôt que de l’écrire.
47Cela ressort, par exemple, dans l’utilisation de la deuxième personne du singulier : la pintada tutoie le lecteur et lui parle comme à un ami ou à un camarade. Le « tu » apparaît en réalité assez rarement car les slogans sont en général à l’infinitif ou même sans verbe ; mais lorsque l’on interpelle l’individu c’est toujours en le désignant par un toi : « Gente como vos » (« Des gens comme toi ») du Partido Nacional, ou « Viví el cambio » (« Vis le changement ») de la 738, qui est, de plus, une conjugaison orale propre au cône sud de l’Amérique latine36.
48La familiarité de la pintada est surtout induite par son vocabulaire et la proximité qu’elle marque entre les hommes politiques et les lecteurs ; le 26 de Marzo, par exemple, nous propose d’être : « Mano a mano con ehrlich », « Main dans la main » avec le candidat à la mairie. Par ailleurs, l’on nomme souvent les hommes politiques par leur prénom, voire leur surnom ; « Tabaré », par exemple, est la manière la plus courante d’évoquer le président de la République. Le tutoiement et l’utilisation du prénom sont les formes les plus communes d’expression dans une grande partie de l’Amérique latine, on ne vouvoie une personne que pour marquer un grand respect, souvent lié à la différence d’âge ; le monde politique n’échappe pas à la règle. Les journaux et la télévision accentuent cette dynamique, parlant de Tabaré, de Fidel (Castro), ou de Cristina (Fernández de Kirchner). Au-delà de l’habitus, on remarque la valeur stratégique de cette forme de nomination, qui fait aussi appel à l’utilisation de surnoms : durant mes premiers séjours, de nombreuses pintadas soutenaient « MUJICA », José Mujica alors leader du MPP, mais lors de la dernière campagne présidentielle c’est « PEPE 2009 », c’est-à-dire son surnom, qui a recouvert les murs. La formule, plus frappante et plus affective, a sans doute été choisie par les directeurs de campagne. On trouve la même familiarité dans certaines pintadas, comme une de la liste 738 dont la formule « Aguante el taba » (« Allez, le Taba37 ») est clairement propre au langage oral et populaire.
49Si le ton marque la proximité, il peut tout aussi bien signifier une distance. Une pintada signée par un syndicat étudiant dit : « Señores del gobierno, paguen lo prometido » (« Messieurs du gouvernement, payez ce que vous avez promis »). Les « señores del Gobierno » ne sont autres que Tabaré et son équipe ; cette interpellation solennelle, presque officielle, signée par des étudiants qui utilisent d’habitude un langage plus relâché, est donc bien une tournure rhétorique. L’oralisation de la pintada est enfin produite par différents éléments de sa forme écrite, accentuant sa dimension hybride. On trouve, par exemple, des fautes d’orthographe, sans doute involontaires comme dans « Tabaré ¿ o que ? ¡ Obio ! » (« Tabaré ou quoi ? Logique ! ») de la 738, où « obvio » est écrit de manière phonétique. Elles peuvent aussi être volontaires, comme dans « 4 % pa la educacion », du PCU, où l’on abrège le « para » pour l’oraliser. Dans la pintada de l’illustration n° 12, « Ni un poquito asi al imperio » (« Même pas ça pour l’empire ») du 26 de Marzo, le « así » renvoie au geste qui accompagnerait la phrase et permet d’imaginer la main du locuteur nous montrant ce « petit peu », le geste, comme le ton, étant le propre du dialogue et de l’oralité.
50Nombreuses sont les pintadas qui cherchent à « faire réagir » et utilisent un ton moralisateur ou culpabilisant. Le pathos, conçu comme une technique de persuasion et d’argumentation, vise à toucher la conscience morale du lecteur et à l’émouvoir38. Le 26 de Marzo l’utilise abondamment : « No pagar la deuda con el hambre del pueblo » (« Ne pas payer la dette avec la famine du peuple ») ou dans un style plus lyrique : « Quien se abraza con el imperialismo hace correr la sangre de los pueblos » (« Qui étreint l’impérialisme fait couler le sang des peuples »). Un dernier exemple, de la 738, est de l’ordre du chantage : « El domingo 31 de octubre el Uruguay se juega la vida : o gana la esperanza o siguen los cantegriles, la emigración, los bajos salarios, etc. » (« Le dimanche 31 octobre, l’Uruguay joue sa vie : soit c’est l’espoir qui gagne, soit c’est encore des bidonvilles, de l’émigration, des bas salaires, etc. »). Tout le drame de la situation repose sur des figures de styles : l’hyperbole de « se juega la vida », la personnification de « Uruguay », la « Esperanza » comme métonymie du Frente Amplio, la liste (ici abrégée) de toutes les menaces qui pèsent sur le pays et qui couvre un long mur d’usine dans le quartier du Cerro.
51L’utilisation de l’argot et des mots crus pour signifier la colère est une autre forme de recours au pathos, « Astori el FMI te aplaude y el pueblo se caga de hambre » (« Astori, le FMI t’applaudit et le peuple crève la dalle ») écrit le 26 de Marzo. L’insatisfaction ou la frustration sont utilisées pour éveiller le sentiment de révolte et donc la mobilisation. L’utilisation des mots crus, qui souvent l’accompagnent, ou l’utilisation de termes péjoratifs pour nommer ses détracteurs (notamment les militaires ou la police), rassemble en plus d’être cathartique ou parce qu’elle est cathartique. Elle contribue à faire de la politique un sujet ordinaire auquel on se sent associé. C’est aussi, sans doute, une influence du graffiti comme lieu privilégié d’un langage transgressif et hors-normes sur la pintada.
52La territorialisation du sujet, à travers le message et la localisation de la pintada, est également une stratégie de ralliement. Un autre « nous » du politique se construit à travers certaines pintadas situées à des endroits précis, choisis, et qui repose sur le sentiment d’appartenance à un quartier. La territorialisation de la pintada, et donc de son sujet, s’explique entre autres par le fait que les partis politiques, et en particulier le Frente Amplio, fonctionnent en comités de base, distribués par quartier, où se réunissent des militants de chaque courant interne. Comme on l’a dit, les brigades sont souvent liées à ces comités et s’occupent de peindre dans leur propre zone. On trouve alors des pintadas faisant référence à des sujets spécifiques au quartier ou qui nomment directement celui-ci ; par exemple : « La Aguada es del Frente » (« La Aguada est du Front ») ou « Barrio Sur va de Frente » (« Barrio Sur avec le Front »). L’idée est bien sûr de mobiliser les habitants en les interpellant, et plus précisément de les inviter à se rapprocher des comités de base. Ainsi, « 100 mil pobres menos. Participá en tu comité » (« Cent mille pauvres en moins. Participe à ton comité ») de la liste 738, l’indication des « cent mille pauvres en moins » présente les premiers résultats positifs du gouvernement du Frente Amplio, légitimant et encourageant ainsi le militantisme de base, la vie du parti à son niveau le plus large. Sur l’illustration n° 13, une pintada-mural représente des tambours de candombe39 et porte le slogan « Socialistas, estamos acá ». Le mur étant situé dans le quartier le plus candombero de la ville, l’image et le slogan font le lien entre le parti et la « culture locale », montrant l’intégration du comité du parti socialiste à la vie du quartier.
53Les inscriptions urbaines s’approprient ou créent des lieux symboliques : leur simple présence et/ou leur contenu donnent aux lieux où elles se trouvent une charge symbolique et affective particulière. On comprend que pour les militants de base (qui peignent dans leur quartier et constituent les premiers sujets du Frente Amplio), le quartier est vécu comme un territoire politique. Le comité de base représente à la fois le lieu de la politique officielle, l’instance la plus large et participative du gouvernement, mais aussi celui de la politique quotidienne, « de proximité ». Ainsi la pintada interpelle, prend à partie sur des sujets universels ou très précis et territorialisés.
54Comprendre la pintada comme reflet d’une culture politique implique aussi d’observer les manières dont elle aborde le passé et le futur. Les organisations de droite comme de gauche évoquent en effet – dans les slogans, les noms des brigades ou les portraits peints sur les murs – leurs figures de référence, leurs leaders ou leurs martyrs. Ainsi, le panthéon des murs de Montevideo est composé de personnages issus de différentes étapes historiques qui participent à la construction identitaire et idéologique de chaque groupe. Certaines représentent un parti (Liber Seregni40 pour le Frente Amplio, Aparicio Saravia41 pour les blancos, le « comandante en jefe Fidel Castro42 » pour le PCU). D’autres dépassent ce cadre et rassemblent des secteurs plus larges : ainsi Raúl Sendic43, Ernesto Che Guevara, mais surtout José Artigas, le héros de l’indépendance nationale qu’une grande partie de la population revendique. Les partis politiques rendent des hommages, célèbrent des dates anniversaires auxquels ils convient la population à travers les pintadas, ils cultivent leur mémoire de différentes manières.
55Une autre façon de se situer dans une lignée politique est la réutilisation fréquente de slogans classiques : « Habrá patria pa’todos » (« Il y aura une patrie pour tous ») qui est le slogan des Tupamaros et que l’on trouve encore sur de nombreux murs, mais aussi « Por la liberación nacional » (« Pour la libération nationale », sur l’illustration n° 15) du MPP ou « La tierra pal que la trabaja » (« La terre pour celui qui la travaille », sur l’illustration n° 14), les deux renvoyant à l’histoire de la gauche au niveau international. L’évocation du passé ancre les partis dans des traditions, comme l’illustre le dialogue avec Nelson, du Partido Nacional :
« Q : Et un autre slogan qui serait important ou représentatif ? R : Ça dépend, pour les 100 ans d’Aparicio, c’était : “1904-2004, l’Histoire continue”. Nous on mise tout sur ça, parce que c’est à ça qu’on peut se rattacher. Je veux dire, même si on a eu des hauts et des bas, nous avons d’où nous tenir. […] Quand tu as une histoire, tu sais toujours à quoi te rattacher, et donc tu n’as pas besoin de parler du futur, je veux dire, tu peux mettre des choses comme “du passé jusqu’au présent”, ou comme je le dis toujours : “Aujourd’hui comme hier, défenseurs des lois”. »
56Par ailleurs, nous parlons de l’Uruguay entre 2005 et 2009, du premier mandat du Frente Amplio venu modifier la donne antérieure. Les pintadas des partis de droite sont devenues d’opposition, elles sont un peu plus nombreuses mais surtout plus virulentes. Au sein de la gauche, chaque groupe doit se repositionner. Le Frente Amplio était une alliance électorale partageant un objectif commun : maintenant qu’il est au pouvoir, un jeu complexe de relations internes se donne à voir à travers les murs. Mais le changement le plus significatif repose, selon moi, sur les nombreuses pintadas célébrant le Frente Amplio, mettant en avant les notions de changement, d’espoir, et de nouveauté. Ainsi, « Para seguir avanzando » (« Pour continuer à avancer ») ou « Aguante el nuevo gobierno ! » (« Allez le nouveau gouvernement ! ») chargent de mots positifs des pintadas traditionnellement contestataires et leur donnent une nouvelle tonalité, nous conduisant à nouveau sur le terrain des émotions qui font se mouvoir le politique depuis 2004. Les slogans signés par le Frente Amplio : « Que no te anestesien las ganas. + salud ! + esperanza ! » (« Qu’ils ne t’anesthésient pas l’envie. + de santé ! + d’espoir ! ») et « Viva el cambio » (« Vive le changement », sur l’illustration n° 30), vont dans le même sens. Montevideo s’est empli d’un lexique de l’espoir et du futur. On peut remarquer, cependant, que ces nouveaux slogans sont « mesurés » et évitent les termes trop connotés. Cela leur permet de viser un public large mais facilite en revanche un grand nombre de détournements et de réappropriations non désirés. À titre d’exemple, on voit que les différents groupes du Frente Amplio ne parlent plus de révolution, mais de changement, les cambios : « Ehrlich intendente, Montevideo seguirá cambiando » (« Ehrlich à la mairie. Montevideo continuera à changer »). Mais une autre pintada rétorque : « ¿ Dónde están los cambios ? » (« Où sont les changements ? »). L’utilisation de mots aussi larges n’est pas sans produire des confusions. Par exemple une pintada de la CI, c’est-à-dire d’une gauche prononcée, et une autre de la Juventud Colorada, un parti de droite donc, portent le même slogan : « Cambiá con nosotros » (« Change avec nous »).
57La pintada est une parole des partis qui luttent pour le pouvoir, elle nécessite un passé solide pour se légitimer mais doit surtout se projeter vers le futur, ce qui constitue une spécificité de ce type d’écriture politique. Les partis politiques cherchent ainsi à « accrocher » les citoyens de toutes les façons possibles : les pintadas sont dans leur quartier, sur leurs trajectoires quotidiennes, et les interpellent avec familiarité sur des problématiques qui les touchent. À travers leur abondance, leur construction et leur style, elles tentent de créer l’identification la plus large. Il suffit alors de regarder les murs pour comprendre à quel point le politique est, en Uruguay, intrinsèquement lié aux partis institutionnels. D’autres aspects, plus sensibles et esthétiques, permettent d’aller un plus loin dans les stratégies de la pintada et de voir notamment comment elle s’adapte au contexte culturel contemporain.
Approches esthétiques de la pintada
58Au-delà des recours discursifs de la pintada et en tant qu’expression exposée, ses dimensions esthétiques et visuelles – textuelles, graphiques ou iconiques – méritent une attention particulière. La pintada peut toucher le passant, le faire sourire ou l’émouvoir, mais provoque aussi parfois de la colère ou du rejet : elle nous met face à une expérience esthétique particulière. Chaque brigade se soucie incontestablement de la forme de ses pintadas, les veut créatives, attrayantes, percutantes, soignées. Nous verrons par ailleurs que leur compréhension repose en grande partie sur des jeux interdiscursifs, mobilisant des références hétéroclites issues de la culture populaire, des médias de masse ou encore de l’Histoire de l’art, faisant de la pintada un genre particulièrement hybride et dialogique.
59García Canclini parle de processus d’hybridation pour décrire des dynamiques culturelles et communicationnelles à l’œuvre dans les mondes contemporains44. Il s’agit de penser des objets culturels issus du mélange de différentes sphères, entre artisanal et industriel, savant et populaire, écrit et visuel, local et global, ni dominant ni subalterne. La pintada relève d’une forme de créativité qui ne correspond plus aux dichotomies classiques. On peut dire qu’elle puise ses références dans la culture populaire, mais que cette dernière, toujours dans la perspective de Canclini et en étant avant tout urbaine, doit être comprise en interaction avec les cultures d’élites et de masse45. Ce qui nous intéressera est, finalement, la manière dont les groupes politiques utilisent différents éléments pour donner forme à leurs pintadas, politisant de fait des objets de la culture populaire, des références que la population uruguayenne reconnaît et peut faire sienne, qu’elles soient issues du folklore, de la télévision ou des avant-gardes artistiques. Bien que minoritaires, ces pintadas produisent des formes hybrides d’une richesse incontestable pour comprendre les visions du monde qui nous intéressent.
Exercices de style
60Il nous faut, en premier lieu, revenir sur la spécificité de la pintada comme forme brève et préciser, par ailleurs, que ce que nous verrons ici vaut pour la plupart des inscriptions urbaines. Selon Michel Lafon :
« Une des principales modalités de la brièveté et de sa relativité pourrait bien être l’inclusion. C’est souvent, en effet, par rapport à une forme inclusive (revue, recueil, anthologie, etc.), qu’une forme incluse est dite brève, au point que la brièveté semble ne pas voir d’autre définition que celle-là : est bref ce qui est inclus46. »
61Dans le cas de la pintada ou du graffiti, la brièveté ne fait pas de doute ; c’est en revanche son inclusion qui est intéressante à penser. Elle suppose d’abord que la pintada ne soit compréhensible que dans l’ensemble de toutes les pintadas, c’est-à-dire au sein du dispositif de communication et de débat politique médiatisé par les murs. Par ailleurs, et au-delà, ce sont bien toutes les formes d’inscriptions murales qui sont incluses dans un ensemble : celui de la ville écrite et peinte, sorte de recueil à ciel ouvert, à la différence majeure, toutefois, que celui-ci n’a pas de compilateur, pas d’éditeur pour décider et structurer l’ensemble, mais plutôt une multiplicité d’auteurs (eux-mêmes individuels ou collectifs) qui s’y font une place et doivent parfois se battre pour celle-ci. Chaque genre est ainsi à lire en relation avec les autres formes d’inscriptions, avec qui il dialogue et interagit. Chaque pintada est le fragment d’un discours beaucoup plus large, éparpillé dans la ville, celui d’un territoire écrit ou d’une géo-graphie. Par son essence informelle et hors la loi, l’absence de cet auteur principal fait de la ville un ouvrage collectif, sans aucun censeur et presque sans paratexte pour ordonner le tout, guider le lecteur. La ville se pare d’une sorte de grand cadavre exquis, un « jeu littéraire » collectif et toujours en construction. Il s’agit d’un « recueil » évolutif, qui se transforme au gré des apparitions et disparitions constantes des graffitis et est surtout différent pour chaque lecteur, selon ses trajectoires dans la ville et l’intérêt que celui-ci porte aux inscriptions murales.
62Michel Lafon apporte une autre précision sur la forme brève : « Parce que ses supports sont divers, parce que ses dimensions s’y prêtent, la forme brève est par excellence l’objet d’une répétition, qui va de pair avec une variation47. » On trouvera, en effet, dans la pintada ou au sein de l’ensemble des inscriptions, des effets de répétition (par le même auteur ou par emprunt), des rectifications, des thèmes qui se déclinent sous des formes diverses ou sous des formes similaires mais dont le sens diffère. Nous sommes alors face à ses dimensions les plus dialogiques, puisque chaque texte porte en lui la trace d’autres textes. Analysant la théorie de Bakhtine, Todorov préfère la notion d’intertextualité48 (moins polysémique que dialogisme) et celle-ci sera élargie par Gérard Genette qui parlera de transtextualité, ou de « transcendance textuelle du texte », c’est-à-dire « tout ce qui le met en relation, manifeste ou secrète, avec d’autres textes49 ». Cette notion de transtextualité nous sera fort utile pour penser la construction de nombreuses pintadas, et nous élargirons encore cette forme de lien à d’autres types de discours – ceux des différentes sphères culturelles énoncées plus haut –, ce qui nous amènera à utiliser, le plus souvent, la notion de transdiscursivité.
63Ainsi, la pintada se construit très souvent par rapport ou en référence à d’autres pintadas ou à d’autres formes d’expressions urbaines, ainsi qu’à d’autres discours dépassant largement celui des murs : ceux de la musique, de la télévision, du cinéma, des éléments épars de la culture populaire. Par ces références, des objets, politiques ou non, sont re-signifiés par la pintada et prennent une autre valeur, toujours politique. Par exemple, le slogan « Cambia todo cambia » (« Change tout change ») des socialistes de la liste 90, est aussi et d’abord le refrain d’une chanson de Victor Heredia, un chanteur argentin populaire dans le cône sud. Le thème du cambio, nous l’avons vu, est central dans la campagne du Frente Amplio, il se décline sous mille et une formes si bien que ce clin d’œil à la chanson, cette association « facile », paraissait presque inévitable. Pour revenir à la notion de transdiscursivité et la prolonger un peu, précisons que Genette la divise en plusieurs niveaux. L’allusion, par exemple, « c’est-à-dire un énoncé dont la pleine intelligence suppose la perception d’un rapport entre lui et un autre auquel renvoie nécessairement telle ou telle de ses inflexions, autrement non recevable50 », est une figure fort utilisée par la pintada. « Festejen Uruguayos, subió la nafta » (« Célébrez Uruguayens, l’essence a augmenté ») de la brigade Palo y palo, est une phrase ironique qui ne se comprend que partiellement si l’on ne connaît pas sa référence implicite : lors de sa victoire en 2004, Tabaré Vazquez dit à la foule : « festejen Uruguayos, festejen », invitant à célébrer ce moment historique. La brigade Palo y palo reprend la formule pour dénoncer les aspects négatifs de ce gouvernement : avec « subió la nafta », le « festejen » devient totalement ironique. Rappeler un discours antérieur est ainsi une manière efficace de soulever ses contradictions avec la réalité et donc de le rendre caduc. Nous verrons que le détournement, arme privilégiée des situationnistes, est une méthode que l’on retrouve souvent dans le graffiti ou le pochoir. La Palo y palo est, à ma connaissance, la seule à l’utiliser dans la pintada. Ainsi, une pintada du PCU faisait de la publicité pour son journal : « Lea Carta Popular. Sale los viernes. 10 pesos » (« Lisez Lettre Populaire. Tous les vendredis. 10 pesos »). Recouvrant certains mots et les remplaçant par d’autres, la nouvelle pintada, « corrigée » par la Palo y palo, disait pour sa part : « Lea Pravda. Sale los viernes. 10 rublos » (« Lisez la Pravda. Tous les vendredis. 10 roubles »), renvoyant le journal à la propagande stalinienne et aux plus vieux symboles de l’Union soviétique. La transtextualité se joue ici à plusieurs niveaux : la pintada de la Palo y palo repose sur celle du PCU, tout en faisant référence au journal soviétique la Pravda.
64Nombreux sont les processus créatifs utilisés pour donner une autre dimension aux textes. On remarquera que cela s’amplifie – et que l’on trouve les exemples les plus intéressants – lorsqu’un même thème est porté sur le mur par différents groupes, créant, au-delà d’un dialogue, une sorte de « joute oratoire ». Voyons, par exemple, trois pintadas : du 26 de Marzo, de la Palo y palo, et de la liste 250 du Partido Nacional, trois des points cardinaux des idéologies uruguayennes. Les trois pintadas critiquent une des premières mesures prises par José Mujica51 : l’obtention, par une baisse d’impôt, d’un rabais de 10 % sur deux coupes de viande bovine, l’asado et la falda, dans le but que chaque Uruguayen ait accès à un asado52 dominical. Cet « asado del Pepe », tel qu’il fut rapidement nommé par les médias, fut reçu comme une mesure populaire mais aussi comme une supercherie : la viande rabaissée serait en effet de mauvaise qualité, « que des os et du gras » selon les membres de la brigade siempre 26. Nous parlions plus haut de l’insatisfaction exprimée par la métaphore du « pan dulce », le 26 de Marzo l’exprime à nouveau par une formule similaire mais réadaptée à la viande : « Que el pueblo coma lomo y los ricos coman asado del pepe » (« Que le peuple mange du rôti et les riches l’asado del Pepe »). La pintada de la brigade Palo y palo, sur l’illustration n° 16, dit « El asado del Pepe tiene más grasa que telefono e carniceria » (« L’asado del Pepe est plus gras qu’un téléphone de boucherie »). Outre l’oralisation qui fait sonner la phrase comme une « brève de comptoir », un dialogue entre voisins, elle fait rire ou du moins sourire en évoquant l’image du téléphone et du boucher qui le manipule. La troisième pintada, celle des blancos, est la plus complexe car elle repose sur un jeu de mot ; notons aussi qu’elle constitue une exception parmi les pintadas des blancos, d’habitude très sobres. Elle dit : « Astori sube la falda, el Pepe se la baja » (voir l’illustration n° 17). On comprend de deux façons ce slogan. Renvoyant à la viande, à laquelle fait référence la pintada, on peut lire : « Astori augmente [le prix de] la falda, Pepe le redescend. » De façon grivoise : « Astori relève sa jupe, Pepe la lui baisse. » La falda, en effet, désigne à la fois la coupe de viande et la jupe, et on comprend les deux sens de la pintada liés à la contradiction entre le ministre de l’économie (Astori) augmentant les impôts, et Pepe Mujica les baissant à nouveau. À un deuxième niveau, on peut lire l’image comme une description d’Astori « relevant sa jupe » face à certains intérêts, tandis que son collègue le rappelle à l’ordre. Les deux premières pintadas dénoncent la mauvaise qualité de la viande, la troisième ironise sur la politique contradictoire des membres d’un même parti. Celles de la Palo y palo et des blancos reposent sur l’humour mais ne sont pas, pour autant, moins agressives. Toutes s’accordent, dans tous les cas, sur la nécessité d’un bon morceau de viande pour un asado digne de ce nom, mêlant culture et politique d’une manière on ne peut plus ordinaire ou domestique. Dans le dialogue entre elles, ou plutôt dans la joute, les brigades jouent leur efficacité sur la finesse, l’ingéniosité.
65Une remarque s’impose ensuite sur la brigade Palo y palo et son style ironique. En effet, ses pintadas sont connues et se démarquent des autres par leurs effets drôles et mordants, qui se produisent même lorsque l’on ne partage pas leur idéologie. Durant l’entretien, D. García Pintos, responsable de la brigade, a beaucoup parlé de l’humour et de la légèreté de son style, rangeant presque ses pintadas du côté de la taquinerie : « on essaie de le faire avec espièglerie, avec humour, un humour acide la plupart du temps ». Comme mentionné plus haut, c’est García Pintos qui invente les slogans ou les valide, et il met en avant l’importance des « bonnes phrases », de la « chispa » : l’étincelle qu’elles doivent avoir pour fonctionner. Pour lui, l’effet percutant des pintadas tient à leur créativité. On peut alors faire un lien entre pintada et graffiti de leyenda, genre caractérisé justement par l’humour et l’ingéniosité, soulignant à nouveau l’inter-influence entretenue par les différents genres d’inscriptions murales. Par ailleurs, l’utilisation informelle des murs – la pintada et le graffiti particulièrement – est une tradition « de gauche » que la brigade Palo y palo se réapproprie avec la plus grande agilité. Elle cherche néanmoins à se différentier des autres et sa stratégie générale repose sur l’impact du texte qui prédomine sur le message idéologique. García Pintos dit, en racontant l’évolution des pintadas de son groupe :
« Au bout de quelques mois, on a commencé à mettre certains concepts qui allaient beaucoup plus loin que le simple fait de chercher un vote sur les murs. Nous disions pourquoi nous voulions ce vote […] On défendait notre gouvernement, le Partido Colorado, de 2000 à 2005, mais souvent aussi on passait à la contre-attaque. Parce que les murs servent à ça aussi, pas vrai ? Nous, à partir de notre style, nous avons formalisé une attaque politique, pas au sens belliqueux hein, mais au sens politique. »
66En effet, la spécificité de la brigade Palo y palo est d’attaquer. Son nom induit d’ailleurs ce sens puisque « dar palo » veut dire « matraquer » et donc « casser » quelqu’un ou quelque chose. Bien que García Pintos donne une autre explication à l’origine de ce nom53, il n’empêche que « palo y palo » évoque quelque chose d’agressif. La plupart de leurs pintadas n’exposent pas une idéologie mais s’occupent plutôt de décrédibiliser celle des autres, ce qui les rend parfois plus convaincantes. Par ailleurs, durant l’entretien, García Pintos a plusieurs fois changé de registre, passant d’un ton très léger qui montrait la pintada comme un jeu, à un vocabulaire guerrier (même si parfois, comme ci-dessus, il l’évoque en négatif) qui charge la pintada d’une dimension plus combative et plus grave. On comprend que pour la Palo y palo, la pintada doit plaire, séduire, tout en étant une arme de guerre, un « ataque político ». Une guerre qui se joue dans l’espace de la ville, comme on le verra, mais aussi sur la « qualité » de la pintada. Il critique alors le PCU pour la monotonie et le manque de créativité de ses pintadas :
« Le parti communiste a un argent fou en ce moment, c’est impressionnant […]. Ils ont tellement d’argent que c’est terrible de rivaliser avec eux, vraiment très dur. Mais ils sont lourds ! Ils ont cette orthodoxie bolchévique, ils n’ont pas d’imagination, ils sont absolument gris, absolument gris ! Et c’est toujours pareil, toujours le même matracage, jamais un peu d’humour, jamais une blague. C’est impressionnant, pas vrai ? « Vérité et Justice », bien sûr, celle qui les intéresse, pas la vérité qu’ils n’aiment pas entendre […]. Ils sont incroyables, moi je les trouve affreusement lourds. »
67Comme nous le voyons, García Pintos « da palo » au PCU en fustigeant son manque d’inventivité. La compétition, qui ne peut se jouer sur la quantité (selon lui du fait de l’argent), se joue alors sur la forme.
68Le PCU a pourtant lui aussi beaucoup soigné les formes de son discours. Ainsi, deux articles sur leur campagne de 198954 nous permettent quelques remarques intéressantes sur cette créativité, cette manière sensible d’exprimer le politique. Le sous-titre d’un des articles du dossier précise : « Personne ne niera que la campagne publicitaire de la 1001 a été une prouesse en termes d’imagination, une bataille victorieuse de la gauche, livrée sur le terrain de la télévision55. » Basée, en effet, en grande partie sur des clips télévisés, un des éléments centraux de la campagne fut le slogan « anímese », une injonction que l’on peut comprendre de deux manières. Il s’agissait d’une part de « animarse » dans le sens d’oser, oser le changement, c’est-à-dire voter pour un parti de gauche qui n’avait alors jamais gouverné. Mais au-delà, il s’agissait surtout d’enthousiasmer, dans le second sens de « animar » : redonner le moral aux gens dans un contexte de forte désillusion politique, que la campagne résumait dans l’image du « país gris ». Suite à la dictature, à une « restauration » démocratique relativement mal vécue et l’échec du référendum sur l’annulation de la « loi d’impunité56 », le PCU voulait conjurer la sensation d’échec continuel ressentie par une large frange de la population de « gauche » et par une grande partie de la jeunesse. La prise en compte de ce contexte permettait de toucher un public bien plus large, celui des militants et de tous ceux qui se sentaient identifiés à l’image du « país gris ». Par ailleurs, María Urruzola commente que la population a apprécié et qu’elle se souvient de cette campagne pour son humour et son ingéniosité57. De la même manière, elle revient sur la campagne du PCU pour le voto verde58 ayant eu lieu la même année. Là aussi, le parti avait opté pour une campagne vivante et joyeuse, visant à « motiver les troupes ». Le clip télévisuel et radiophonique, par exemple, reprenait la chanson de « la bamba », du groupe Los lobos, très populaire cette année-là. Il s’agissait là encore de rompre avec une image austère de la politique. L’article souligne le lien interdiscursif, expliquant le choix de cette chanson « à la mode » : en la reliant à la campagne, celle-ci se politisait, et les gens qui chantaient ou dansaient « la bamba », participaient de fait à la campagne pour le vote « verde ». On comprend alors l’intérêt d’utiliser des références déjà intériorisées et valorisées par la population. Enfin, le choix de miser sur la gaieté, pour une campagne portant sur le jugement de militaires coupables de crimes de lèse-humanité, peut surprendre. Elle s’explique pourtant : « Il y a des contextes où l’on doit sentir les choses moins avec le cerveau qu’avec les tripes. Le “vote vert” ne pouvait pas se mettre à parler de tortures, d’enfants disparus59… » Cela aurait été en effet trop déprimant et aurait ravivé des blessures trop fraîches. Ce choix esthétique permettait alors de prendre le contre-pied de cette douleur et d’amener les gens à s’impliquer « malgré tout » et d’une autre manière.
69On voit dans ces quelques exemples les manières dont s’opèrent des choix esthétiques, souvent basés sur des jeux transdiscursifs. La créativité des pintadas aurait pour fonction d’attirer en dédramatisant la politique (à l’inverse cette fois du pathos dont nous parlions plus haut), de la rendre plus attrayante. S’il s’agit de sortir du lot pour toucher la population, la créativité et le style deviennent des enjeux importants car ils participent à construire et à renouveler les identités politiques à travers des effets de différenciation.
Graphisme et aspects visuels de la pintada
70Comme nous l’avons vu, la pintada condense le plus de contenu possible entre le slogan et les symboles et signatures qui l’accompagnent. On verra maintenant que l’aspect général de la pintada et l’utilisation d’iconographies sont aussi une manière d’y ajouter du sens. Les efforts typographiques et de « mise en page » sont ainsi, à un premier niveau, garants de l’esthétique de la pintada, ainsi que de sa réussite comme moyen de communication.
71Bien qu’il s’agisse de textes écrits, nous avons vu que les slogans sont très souvent oralisés, que leur ton familier leur donne de la force. Plusieurs auteurs font le lien entre l’oralité et la forme graphique, la seconde pouvant être la traduction écrite de la première. O. Reboul souligne que dans le slogan comme dans d’autres formes brèves, « le dire et l’écrire ne font qu’un60 », montrant le lien qui se tisse entre intonation et typographie. Il donne l’exemple des calligrammes de Guillaume Apollinaire où la forme donnée à la graphie traduit ou densifie la tonalité du texte, indiquant une manière de le lire. C’est également ce que soutient Joan Garí à propos des graffitis :
« D’un point de vue plus formel, il convient d’observer qu’il n’y a pas que la syntaxe du graffiti qui partage largement les stratégies typiques du langage oral, mais aussi que d’autres facteurs, comme le peu de soin donné à l’élaboration du message (avec quelques exceptions logiques et remarquables) et surtout […] l’usage de moyens graphiques précis (la couleur, l’alternance des majuscules et des minuscules, les jeux avec la matérialité expressive des signes…) pour indiquer approximativement ce que l’oralité signale à travers des variations de tons et d’autres moyens prosodiques, renvoient invariablement au registre oral61. »
72Le style graphique de la pintada, en revanche, n’est pas que traduction de l’oral. Les choix concernant la forme des lettres – bien droites et structurées ou plus souples et flottantes, par exemple – reflètent les auteurs de la pintada. Ils participent à l’image du groupe comme la typographie d’un livre, d’un tract ou d’une affiche renseigne sur son auteur. Il s’agit à nouveau d’une question de style, la forme visuelle de la pintada permet d’insérer celle-ci dans des traditions graphiques incorporées par la population ou, au contraire, de faire évoluer les formes classiques. Il s’agit essentiellement d’attirer l’attention des passants, notamment quand les couleurs sont limitées par le prix de la peinture et, comme nous l’avons dit, parce qu’elles renvoient à des drapeaux et des symboles idéologiques. Comme le souligne E. Souchier :
« La “part typographique” des textes est essentielle à la lecture, en ce qu’il ne saurait y avoir d’écriture sans sa livrée graphique, sans une matérialité susceptible de la révéler, au sens propre du terme. Le dessin, le graphisme – ou sa version technique, le typo-graphisme – a pour fonction première de donner à voir le texte, de le rendre perceptible, quel que soit le système d’écriture envisagé : alphabétique, idéographique, pictographique, mixte62. »
73Le contexte physique de la pintada, et en particulier son support, influencent ainsi sa forme générale. La « beauté » du mur, la quantité de pintadas ou d’autres inscriptions aux alentours – qui peuvent donner une impression de désordre –, la densité de la couche de chaux blanche qui servira de fond, etc., sont autant de facteurs déterminants dans l’esthétique de la pintada. Un précurseur de cette attention portée à la forme des pintadas est le PCU qui, en 1989, donne à sa liste (la 1001) l’apparence d’un logo « de style Miró63 ». Comme on le voit encore sur de nombreux murs (voir l’illustration n° 7), les formes des chiffres et les aplats de couleurs vives donnent une dimension particulière, une évocation artistique, au contenu de la pintada. Autre exemple, sur l’illustration n° 18, la pintada est réduite à un seul mot, « MUJICA », mais elle interpelle de loin. La taille et les couleurs des lettres attirent l’œil et poussent à lire son contenu qui, même succinct, se fait imposant. La lettre capitale, comme on l’observe dans presque toutes les illustrations, est la casse privilégiée de la pintada et nous verrons qu’elle peut avoir plusieurs fonctions. Toujours selon E. Souchier :
« Avant que de s’adresser à notre intellect, à travers la culture qui l’aura modelée, l’écriture s’adresse à nos sens. Matière ou trace sur un support ou un espace, elle se donne à voir ou à tracer et relève de l’œil aussi bien que de la main64. »
74Les lettres monumentales aux jambages larges, aux traits épais et aux couleurs vives peuvent alors être lues comme un cri d’allégresse, un nom dit haut et fort, la promesse d’une victoire. Elles ont un aspect artisanal mais sont néanmoins bien tracées, solides, et laissent imaginer l’ardeur avec laquelle elles ont été peintes, exprimant quelque chose de l’intention et de la ferveur de la brigade. On trouve sur les murs quelques cas d’acrostiches. Le slogan devient alors un jeu graphique dont la compréhension ne repose que sur du visuel : fait pour être lu, il ne peut être dit, les mots ne faisant sens que par leur agencement. Parfois enfin, des écritures volontairement moins normées, comme celle des étudiants sur l’illustration n° 19. La ligne de texte est ondulée du fait de la réalité physique du mur (la phrase entière n’entrait pas autrement), mais on peut aussi penser, du fait de sa typographie, que c’est une manière d’assumer sa nature manuscrite face aux autres pintadas imitant les lettres d’imprimerie, droites et régulières.
75Observons ensuite l’intervention des images dans la pintada. L’élément central du mur de l’illustration n° 20 – peint par des membres du journal anarchiste Barrikada – est le slogan : « Al capitalismo no se le discute, se le combate… y se le destruye ! » (« Le capitalisme ne se discute pas, il se combat… et il se détruit ! »). Le dessin, sur le coin supérieur gauche, semble relativement indépendant du texte. En regardant de plus près, on peut reconnaître le personnage de la bande-dessinée « V pour Vendetta65 » et dans la bulle, une partie de la dernière réplique du dernier tome de celle-ci : « Las llamas de la Libertad. Qué hermosas. Ahh, mi preciosa Anarquía… Hasta ahora no he conocido tu belleza » (« Les flammes de la Liberté. Qu’elles sont belles. Ah ! Ma splendide anarchie… Jusqu’aujourd’hui je n’ai pas connu ta beauté »). Il s’agit donc d’une citation, mais qui ne « parle » qu’à ceux qui connaissent la bande dessinée et l’ont aimée, comme une sorte de clin d’œil, une référence commune. Par ailleurs, l’image et le slogan sont reliés par leur cohésion idéologique, mais l’on peut penser que l’image, au-delà de l’embellissement de la pintada, aurait aussi pour fonction de l’adoucir et de la nuancer – à travers les mots positifs « libertad » et « preciosa » –, légitimant en quelque sorte le slogan pour le moins combatif ou violent. Les socialistes de la liste 90 accordent aussi une importance particulière à l’originalité et à la forme de leurs pintadas, mêlant souvent images et slogans. Sur l’illustration n° 21, un super-héros à la cape du Frente Amplio vole à la conquête du futur. Ce « superman », re-sémantisé dans un but politique, est aussi une forme de clin d’œil qui vise à toucher justement parce qu’il fait appel à des représentations non politiques, au monde du cinéma ou de la bande-dessinée, et parce qu’il « parle » d’engagement, d’attitude, plus que d’idéologies.
76Ces pintadas dont le travail de composition est plus élaboré, où la représentation graphique demande un savoir faire particulier, sont souvent des exceptions et elles se trouvent généralement en dehors du cadre de la « guerre des murs », dans des endroits « protégés » comme les murs des locaux des différentes organisations. Ici, en effet, la pintada est peinte en hauteur, sur le mur d’un immeuble, ce qui implique un dispositif particulier – la mise en place d’un échafaudage et un temps plus long de réalisation – justifié par le fait que, par sa situation, elle ne pourra être facilement recouverte. Moins éphémères, elles sont plus travaillées et sont des œuvres graphiques uniques (contrairement aux autres pintadas qui sont reproduites dans le plus d’endroits possible), ce qui leur donne un statut particulier. Cela semble d’ailleurs fonctionner puisque les personnes que j’ai interrogées ont plusieurs fois mentionné ce superman comme étant une pintada particulièrement sympathique. La liste 90 semble avoir fait le choix stratégique de la qualité plutôt que de la quantité (comme nous le disions pour la brigade Palo y palo) à travers l’utilisation conjointe du texte et de l’image, et un travail de conception visuelle particulièrement soigné66.
77Prenons, en dernier exemple, le mur de l’illustration n° 22 où l’image et le texte sont imbriqués de manière encore plus complémentaire. Soulignons d’abord, là aussi, sa portée transdicursive : le slogan « El Imperio contraataca » (« L’Empire contre-attaque ») est une référence au titre du deuxième épisode de La guerre des étoiles67, ce qui peut faire sourire. On notera l’alternance de lettres capitales et de bas-de-casse, les premières servant à démarquer certains mots importants par rapport aux autres. Elles permettent aussi de rendre plus évident le jeu de sens contenu dans la signature du collectif – peu lisible, située au pied du mur – : « ALCArajo ». En effet, ce collectif lutte contre les accords de régionalisation au niveau interaméricain, notamment contre la signature de l’ALCA (Area de Libre Comercio de las Américas, en français ZLEA), qui n’a pour l’instant pas abouti ; envoyer quelqu’un « al carajo » peut littéralement se traduire par « se faire foutre », on comprend alors le nom du collectif ALCArajo comme un rejet virulent de cet accord. Le dessin, enfin, est indissociable du slogan (« El Imperio contraataca, éstas son sus bases » [« Voici ses bases »]) puisque, sans lui, la pintada serait incompréhensible. Le démonstratif « éstas » les relie : il désigne les points rouges sur la carte de l’Amérique latine, représentant chacun une des zones d’opérations militaires prévues par le traité Unitas68. On comprend qu’une phrase n’aurait pas pu exprimer tout cela en peu de mots, et avait surtout eu moins d’impact que cette multitude de taches rouges éparpillées sur la carte.
78Ces références multiples qui jalonnent l’univers de la pintada servent surtout à l’instauration d’une connivence. Comme nous le disions pour l’écriture du slogan, l’humour ou le style est une manière efficace d’attirer l’attention des lecteurs potentiels dans la confusion urbaine où se bousculent les différents messages. La forme picturale accentue cette dynamique car elle interpelle d’autant plus que ses objets surprennent. La créativité mise à l’œuvre par les brigades les pousse à exploiter et à créer de nouveaux symboles en dehors du mode de la victimisation. Un langage hybride évolue sur les murs et donne parfois une dimension ludique et attractive à la politique.
79Avec l’introduction des images dans la pintada, nous nous approchons d’une autre frontière, poreuse et délicate, entre les genres de la pintada et du mural. Dans plusieurs pintadas, en effet, le slogan disparaît presque entièrement pour laisser une place centrale à l’image et les références utilisées sont directement liées au monde de l’art, à des objets visuels plus classiques et socialement légitimes. Ainsi, nous parlerons de muralisme des brigades69, une pratique particulière qui apparaît à titre exceptionnel sur les murs de Montevideo mais qui prend sens une fois resituée dans l’histoire complexe de la peinture murale, artistique et militante d’Amérique latine et d’Europe70. Sur les illustrations n° 23 à 26, des colombes – symbole universel de la paix et de l’espoir –, le peuple en marche, les poings fermés, l’imagerie ouvrière ou paysanne, rappellent le réalisme socialiste et la peinture militante du xxe siècle. On note également, sur les murales des illustrations n° 24 et 29, la structure géométrique et les couleurs vives propres au mouvement constructiviste uruguayen71, mouvement central dans l’histoire de l’art national. Pour autant, je ne les interroge pas en termes artistiques. En effet, si l’on accepte que ce sont l’intentionnalité des auteurs et/ou le point de vue du spectateur qui fondent une œuvre d’art, on s’accordera à les étudier plutôt sous d’autres angles : dans les entretiens réalisés, tous expliquent que les brigades ne font pas, ou peu, de murales car ce n’est pas leur but, ils ne sont pas des artistes mais des militants. Ainsi, il s’agit d’abord d’un travail de propagande, réalisé généralement pour des occasions particulières (anniversaires, hommages, etc.), et quand le budget du parti le permet. Même si elles autorisent un certain niveau d’expression subjective, les fresques des brigades ne prétendent pas être autre chose qu’un moyen de communication politique, un genre de publicité.
80D’une manière générale, les murales de brigades présentent des éléments issus de cultures militantes ou érudites qui sont aujourd’hui entrés dans la culture populaire. L’intention est clairement de situer le mural en continuité avec l’iconographie prolétarienne, bien que sa forme soit plus naïve et moins stylisée que celle des œuvres qui ont fait histoire au début du xxe siècle, en URSS notamment. Les symboles mis en scène nous placent d’emblée dans un langage codifié et un discours politique de gauche, si bien que le texte devient secondaire.
81Le muralisme des brigades renvoie par ailleurs à un autre genre classique de la peinture murale, celui des portraits. Ainsi, sur les illustrations n° 27 et 28, les représentations de José Artigas et du Che Guevara. Proposant ailleurs une analyse de ces figures72, je ne m’y arrêterai que très brièvement. Une généalogie symbolique se construit dans la représentation de ces caudillos uruguayens ou latino-américains. Le portrait d’Artigas, reconnu comme le père fondateur de la patrie uruguayenne, servant de modèle, première pierre d’un imaginaire et d’un pathos qui modèlent la nation73, se distingue de ceux du Che ou de Raúl Sendic qui apparaissent comme les versants révolutionnaires de celui-ci. Ces prototypes latino-américains des « grands hommes » s’exposent dans les murales de brigades « vu d’en bas74 » : le point de vue est celui de la base des partis, c’est-à-dire des gouvernés. Il s’agit bien du peuple, mais du peuple organisé en partis politiques. Leur discours se situe donc dans un intermédiaire entre cette base populaire et les hautes sphères de l’État, les murales sont alors des objets privilégiés pour envisager les liens qui les unissent ou les éloignent. Les fresques seraient l’un des textes publics des subalternes75, elles se situent dans « un régime non officiel de représentation76 » tout en étant intégrées au système politique.
82Au-delà de leur esthétique, de leur impact ou de leur légitimité, autre chose se joue dans ce muralisme des brigades. En effet, si ces murales sont réalisés par des groupes, leur conception est toujours l’œuvre d’un des membres de celles-ci et reflète des aspects plus subjectifs que les autres pintadas. Le mural sur l’illustration n° 24 est signé par la liste 738 dont la brigade est dirigée par Solange M. Comme nous l’avons mentionné, Solange est un personnage particulier du monde des brigades, et cela sans doute parce qu’elle est, à côté de sa vie militante, artiste plasticienne. Les murs de sa brigade ont un aspect singulier, une « patte » qui les distingue des autres au-delà de leur slogan. Lors de l’entretien, j’ai voulu lui faire décrire ses pintadas :
« Q : Et tu dirais que vos pintadas sont particulières, en comparaison avec les autres ? R : Elles sont différentes oui, elles sont différentes. Q : Et en quoi ? R : Je ne sais pas, je ne les vois plus… d’abord, elles ont un contenu, tu vois, quelque chose. C’est pas que de la matraque (elle rie) et… C’est pas parce que les petits peignent bien, et moi aussi, hein ? Mais, elles sont plus propres. Des fois, quand ça me prend, je fais un mural, une colombe… (rire et silence). Q : C’est plus libre qu’une… R : Plus libre, oui ! Voilà c’est ça ! »
83Solange dit « cuando pinta », que l’on peut traduire par « quand ça me prend » ou « à l’occasion ». Le mural est alors un petit « plus » exceptionnel, qui donne de la profondeur à ses pintadas mais non leur objet principal. Elle les définit ensuite comme plus positives, ou plus profondes que les autres, à travers les mots : « Elles ont un contenu, quelque chose » qui montre une fois encore que le fond et la forme sont indissociables. La référence indirecte à la brigade Palo y palo (« no es tanto palo y palo y palo », traduit ici par l’idée de matraque) signifie en outre que ses pintadas ne sont pas agressives (comme celles de la brigade de García Pintos) ; leur but n’est pas de critiquer qui ou quoi que ce soit, mais plutôt d’inscrire des valeurs et des symboles positifs et mobilisateurs. Comme ses représentations picturales, les slogans de la 738 seraient plus symboliques et universels que les autres, basés sur des notions comme l’espoir et le changement. À travers ce dispositif esthétique, les pintadas de la 738 sont ainsi plus « libres », un « libre » que j’interpréterai comme moins directement ou concrètement politique, mais plus éthique ou relatif à des valeurs transcendantes. Le recours au mural est alors le signe d’un rapport au monde et à la politique plus « élevé », ou moins rationnel, et en ce sens, peut-être plus artistique.
84Pour conclure sur les stratégies discursives et esthétiques de la pintada, on dira qu’à travers les slogans et les nombreux éléments plastiques qui la composent, la pintada utilise ou transforme des éléments issus du monde politique et des différentes facettes de la culture (populaire mais aussi érudites et/ou masse-médiatiques) uruguayenne ou mondiale, amplifiant ainsi ses sphères de réception. Elle permet d’observer comment cette pratique « ancienne » incorpore dans son discours des éléments avec lesquels le peuple s’identifie et s’intègre ainsi au contexte actuel. En plus des discours politiques classiques, des revendications franches et directes qui sont quand même majoritaires, les pintadas jouent de plus en plus sur des connivences culturelles ou affectives. Le slogan devient hybride, moins « pur », en jouant avec les autres textes et les autres images, montrant une culture politique « à l’ancienne » qui s’adapte pour être vue sur des murs toujours plus convoités.
85À l’heure de la désaffection des partis politiques, il s’agit de se donner une autre image, moins rigide, à travers un langage audible (et visible) pour les nouvelles subjectivités. Les pintadas intègrent les nouvelles formes de la culture pour ne pas être anachroniques, font une utilisation rhétorique de la culture populaire : en parlant de cinéma, de musique ou d’asado plutôt que de lutte des classes.
Paradoxes de la réception
86Nous avons, jusqu’à présent, décrit une esthétique hybride et transdicursive. La pintada étant toujours un discours basé sur d’autres discours, l’image du palimpseste vient à propos. Genette, qui développe cette notion en littérature, la décrit comme suit :
« Cette duplicité de l’objet, dans l’ordre des relations textuelles, peut se figurer par la vieille image du palimpseste, où l’on voit sur le même parchemin, un texte se superposer à un autre qu’il ne dissimule pas tout à fait, mais qu’il laisse voir par transparence77. »
87Le jeu littéraire du palimpseste est bien présent dans la pintada, et le sera d’autant plus dans d’autres formes de graffitis. Genette décrit, par cette métaphore, des textes qui s’influencent, se transforment et se reformulent et c’est dans ce cadre que je l’utilise pour la pintada, comme pour toutes les inscriptions murales que nous verrons. Mais le concept est ici d’autant plus approprié que l’idée de palimpseste fonctionne aussi au sens propre, dans sa dimension physique et visuelle. En effet, en littérature, le texte B (ou hypertexte) ne cache pas, ou n’annule pas, le texte A (l’hypotexte). Sur les murs, comme on le voit sur l’illustration n° 30, le palimpseste se fait réel puisque les pintadas recouvrent et ne cachent que partiellement celles des autres groupes.
88Ainsi, les grands murs de pintadas superposées donnent à la ville entière une teinte et une texture particulières. Les couleurs délavées, les mots recouvrant d’autres mots chaque fois moins lisibles, ou au contraire le texte clair, aux couleurs criardes et au langage combatif d’une nouvelle pintada découverte au matin, provoquent des expériences esthétiques différentes. Souvent perçu de manière négative, le palimpseste, qui porte physiquement des années de luttes politiques, s’impose comme témoin d’une Histoire en écriture et participe, à mon sens, au charme et à la poésie propres aux rues de Montevideo. Pourtant, il faut souligner que cela n’est pas vécu de cette façon par une grande partie de la population. En effet, il ressort de la série d’entretiens que j’ai réalisée sur les perceptions de la ville et de ses inscriptions, que la pintada est la plus mal vue parmi les différents genres qui se trouvent sur les murs. Elle est d’abord peu prise en compte : à ma question sur « ce qu’il y a sur les murs », on m’a répondu le plus souvent « la politique et le reste » ; puis on m’a surtout parlé du reste, comme si les écritures politiques ne comptaient pas. En insistant sur la pintada, je m’aperçois qu’elle est plutôt dépréciée – hormis par les personnes en ayant elles-mêmes réalisé (6 sur 30) –, et cela pour son manque de créativité ; le mot même de politique paraît parfois en être un antonyme. La pintada n’est pas considérée comme belle ni drôle, et ce sont justement ces éléments qui semblent légitimer les inscriptions aux yeux des citadins. Elle est alors rangée du côté des « mauvais graffitis », ceux qui salissent la ville. Deux exemples d’entretiens me paraissent particulièrement significatifs. Celui de Silvia78, tout d’abord, qui ne voyait, elle, que les pintadas :
« Q : Pour toi qu’y a-t-il sur les murs de Montevideo ? R : Ce n’est pas facile comme question ! Parce que mon analyse ce serait : qu’est-ce que nous détruisons la ville ! (elle rit). Parce qu’on ne respecte rien ! Même s’il y a des gens très créatifs, ce qui pourrait, à la limite, être pittoresque, il se trouve que tout ce que nous faisons c’est de la politique, que de la politique. Q : Ça veut dire que tu vois surtout des pintadas ? R : Des pintadas politiques, et sans respecter d’ordre, rien n’a d’importance… Si on peut accrocher les drapeaux des différents groupes sur le cheval d’Artigas, on le fait ! […] C’est plus abîmer que transmettre vraiment quelque chose. Et ça, je l’ai vu sur des sculptures importantes. Q : Il n’y a aucun type de graffiti ou d’expression urbaine qui te plaise ? R : Je reconnais qu’à une époque, quand le Frente Amplio n’accédait pas au gouvernement, il y avait plus de manifestations créatives, moins d’agressivité, comment dire… Je crois qu’il y avait plus d’intelligence, je n’en vois pas autant aujourd’hui. […] Mais je crois qu’il y a eu une époque où elles étaient plus attrayantes, du moins pour moi. »
89Il est certain que la réponse de Silvia est liée à ses idéologies politiques. Elle se plaint des pintadas actuelles qui attaquent le Frente Amplio ou ne sont que surenchères de formules électorales, alors que celles qui le promouvaient lui paraissaient plus attrayantes. Mais nous voyons que c’est aussi leur forme et leur quantité qui la dérangent, le désordre urbain qui se mêle au désordre idéologique. On trouve quelque chose de similaire dans l’entretien avec Nébur79 :
« Pour moi, il n’y a rien de plus aberrant que les pintadas politiques. Je payerais bien une brigade pour les effacer dès qu’elles apparaissent. Je ne sais pas, c’est tellement ridicule. Quelque soit le parti, hein ? Je n’aime pas ça… c’est complètement pathétique et trompeur… Q : À cause du contenu ou de la façon de l’exprimer ? R : À cause du contenu. Du contenu et de la manière dont ils l’expriment aussi. Des lettres plates qui n’expriment rien, mais qui essayent d’inculquer une idée, alors que les gens savent que ces idées sont débiles. Et eux, ils croient qu’il font quelque chose qui va changer la façon de penser des gens ! Alors que, comme je le vois, en généralisant, ce n’est pas du tout le cas. Et ça me fait… ça me dégoûte un peu, le politique… sur la voie publique, sur les murs, ça me dégoûte. Q : Parce que ça salit la ville ? R : Oui, oui complètement. Q : Et les autres types de graffitis non ? R : Non, les autres non. »
90Ici encore, le contenu du message se confond avec l’esthétique de la pintada, ou plutôt son anti-esthétique ; le rejet de leur action (« inculquer une idée, alors que les gens savent que ces idées sont débiles ») se mêle à la saleté, à la pollution qu’elle crée et qui finissent de la rendre illégitime. L’idée que la pintada cherche à « inculquer » des valeurs est une des critiques qui revient le plus souvent.
91Pourtant, les membres des brigades que j’ai rencontrés n’ont jamais mentionné cette perception négative des passants, ou d’une manière plus générale, l’indifférence que provoquent les pintadas. Au contraire, tous semblent convaincus qu’elles ont une influence sur la population. Nous reviendrons sur quelques anecdotes de réception positive, racontées par les brigades, et il est vrai que certaines personnes disent lire avec intérêt les murs politiques. Dans tous les cas, les partis soignent leurs campagnes car ils les pensent utiles : sans cela, il est probable que la pintada aurait disparu. On peut penser que les efforts créatifs visent à améliorer l’image de la pintada, et à travers elle, l’image des organisations et de la politique. Une « bonne pintada », drôle, belle ou frappante sera vécue comme plus légitime que les autres, plus adaptée à l’horizon d’attente et donc plus efficace. Mais surtout, ces remarques nous mènent vers une autre appréhension de la pintada : si l’on en croit les Montévidéens, la pintada ne sert à rien, ou à pas grand-chose. Cela bien sûr interpelle et pousse alors à se demander pourquoi les militants des partis politiques persistent dans sa pratique assidue ou, autrement dit, à s’interroger sur son efficacité.
Notes de bas de page
1 Le Movimiento 26 de Marzo a quitté le Frente Amplio en 2008.
2 Par souci d’anonymat, je me réfère aux personnes rencontrées pour ce travail par leur prénom. Seules les personnalités publiques apparaissent avec leur nom complet.
3 Le PCU est ainsi représenté par la liste 1001, dont il est ou non, selon les époques, la seule composante.
4 Dans la série d’entretiens sur la réception des graffitis, plusieurs femmes interrogées m’ont dit avoir déjà réalisé des pintadas à leurs époques militantes. Ainsi, les femmes sont présentes dans tous les aspects de la vie des partis, bien que les brigades « fixes » soient plutôt un milieu masculin.
5 Le terme de brigade fait en effet partie du lexique de la gauche.
6 Reboul O., Le slogan, Bruxelles, Éd. Complexe, 1975, p. 28.
7 Ibid.
8 Reboul O., Introduction à la rhétorique, Paris, Presses universitaires de France, 1998 (1re éd., 1991), p. 4.
9 Montandon A., « Forme brève/forma brevis », sur le site de l’université de Limoges, [http://www.flsh.inilim.fr/ditl/Fahey/FORMBRBRVEFormabrevis_n.html] (erreur en 2017) ; voir aussi Montandon A., Les formes brèves, Paris, Hachette, 1994.
10 Ibid.
11 Braud P., L’émotion en politique, op. cit., p. 86.
12 Reboul O., Le slogan, op. cit., p. 25.
13 Todorov T., Mikhail Bakhtine, le Principe dialogique, Paris, Le Seuil, 1981, p. 89.
14 Reboul O., Le slogan, op. cit., p. 37, pour toutes les citations de ce paragraphe.
15 Braud P., L’émotion en politique, op. cit., p. 108-109.
16 Idem.
17 Idem, p. 111.
18 Augé M., Pour une anthropologie des mondes contemporains, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1994, p. 100.
19 Tabaré Vázquez et Raúl Sendic, le fils du leader du MLN-Tupamaros qui portait le même nom.
20 Braud P., L’émotion en politique, op. cit., p. 211.
21 Le pan dulce est une brioche qui se mange à la période de Noël, c’est-à-dire à la période où se déroulent aussi la plupart des élections. La thématique du pain revient souvent dans les rhétoriques révolutionnaires, symbolisant la nourriture et la faim. Ce slogan évoque notamment une chanson républicaine de la guerre d’Espagne : « Que los pobres coman pan y los ricos mierda mierda » (« Que les pauvres mangent du pain, et les riches de la merde »).
22 Angenot M., « Le ressentiment : raisonnement, pathos, idéologie », M. Rinn, Émotions et discours. L’usage des passions dans la langue, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 83-97.
23 En effet, en 2005, le Congrès des Amériques s’est tenu à Mar del Plata, en Argentine ; en 2006, la signature d’un TLC entre l’Uruguay et les États-Unis fut débattue et n’a finalement pas abouti ; en 2007, le président G. W. Bush a fait un voyage dans plusieurs pays d’Amérique latine, dont l’Uruguay. Chacun de ces événements a provoqué de nombreuses réactions et débats sur les murs comme dans tous les canaux d’expression.
24 Soulignons que la stratégie est ancienne et fut utilisée par la gauche comme par la droite. En 1989, par exemple, l’individu était impliqué dans le slogan présidentiel du Frente Amplio : « Vote por usted, Seregni presidente », « Votez pour vous, Seregni président ».
25 Le drapeau d’Artigas, bleu-blanc-bleu barré d’une frange rouge en diagonale, est un des symboles officiels de la Nation depuis 1952. Il représente le héros national, José Gervasio Artigas, et, à travers lui, la Républica Oriental del Uruguay indépendante.
26 Sur l’utilisation de ce type de symboles, voir le dossier thématique « iconographies rebelles » dirigé par Xavier Crettiez et Pierre Piazza (Cultures et conflits, n° 91/92, 2013) et en particulier Buton P., « L’iconographie révolutionnaire en mutation », Cultures et conflits, op. cit., p. 31-44.
27 Le Cerro est un quartier et une colline de Montevideo dont la cime et la forteresse sont représentées sur l’écusson national. C’est un des quartiers les plus anciens, peuplé par les premiers migrants, et qui a aussi une tradition ouvrière et militante très forte… Il est représenté sur la pintada collective de l’illustration n° 9.
28 Il s’agit de l’exposition « Gráfica política. Afiches y bocetos » qui présentait quelques-uns des travaux de Manuel Espínola Gómez, réalisés entre 1960 et 1989, au Museo Municipal Juan Manuel Blanes, 2006.
29 Gourévitch J. P., op. cit.
30 Abélès, Anthropologie de l’état, op. cit., p. 173.
31 Rubén Sassano était un militant communiste puis du MLN-Tupamaros, mort en 2005.
32 Wilson Ferreira Aldunate (1919-1988) fut un des principaux leaders du Partido Nacional dans les années 1970. Il représentait la tendance progressiste du parti et s’opposa fermement à la dictature militaire.
33 Nous reviendrons sur le sens de « palo » qui évoque d’abord la matraque, le coup de bâton.
34 Bakhtine cité par Todorov T., Mikhail Bakhtine, le Principe dialogique, op. cit., p. 74.
35 Reboul O., Le slogan, op. cit.
36 En effet, bien que la forme officielle soit celle de la conjugaison espagnole « vive », en Uruguay et en Argentine on conjugue, du moins à l’oral, d’une manière différente les verbes à la deuxième personne du singulier et du pluriel.
37 Dans le langage courant, « aguantar » veut dire soutenir, généralement une équipe sportive ou un groupe de musique. Par ailleurs, l’utilisation du déterminant « le » ou « la » devant un prénom est une marque de familiarité souvent employée.
38 Sur le pathos comme forme rhétorique voir Rinn M., Émotions et discours. L’usage des passions dans la langue, op. cit.
39 Sur les murales de candombe et leur place dans les quartiers sud de la ville, voir Epstein A., «“Des tambours sur les murs” : la mise en images des Afro-descendants de Montevideo », Espaces et Sociétés, n° 154, 2013/3, p. 17-32.
40 Liber Seregni était un ancien membre du Partido Colorado, dont il se sépara pour fonder le Frente Amplio en 1971. Il reste une figure importante du parti.
41 Aparicio Saravia fut un des grands caudillos du Partido Nacional. C’était le meneur des Lanceros, nom qu’a repris la brigade de Nelson.
42 Selon les termes de Rolando du PCU.
43 Membre fondateur du MLN-Tupamaros, il reste une figure importante pour un large secteur de la gauche.
44 García Canclini N., Culturas híbridas. Estrategias para entrar y salir de la modernidad, Mexico, Grijalbo 1990, p. 38.
45 Ibid., p. 258-318.
46 Lafon M., « Poétique de la forme brève », América, cahiers du CRICCAL n° 18, t. 1, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1997, p. 14.
47 Idem, p. 15.
48 Selon Todorov T., op. cit., l’intertextualité désigne le processus à l’œuvre dans un texte dont la structure repose sur celle d’un autre texte antérieur.
49 Genette G., Palimpsestes. La littérature au second degré, Paris, Le Seuil, coll. « Points Essais », 1982. p. 7.
50 Ibid., p. 8.
51 José Mujica était ministre de l’Agriculture au début du premier gouvernement du Frente Amplio.
52 Le terme asado désigne la coupe de viande mais aussi le barbecue ; la viande grillée est un des plats préférés des Uruguayens, lié à l’image du gaucho, qui est lui-même considéré comme une tradition nationale.
53 Dans l’entretien, García Pintos m’explique, en effet, que le nom de la brigade se réfère à l’expression familière : « estar al palo » ou « ir palo y palo », qui veut dire aller vite ou être pressé, occupé ; c’est une référence au temps des campagnes électorales qui est une sorte de course contre la montre.
54 Santini E. R., « Anímese ! Una esperanza multicolor para un país gris », Brecha, 15 décembre 1989, Montevideo, p. 18. ; Urruzola M., « A la gente le gusta la calidad » et « Utilizar la realidad y la emoción », Brecha, Montevideo, 15 décembre 1989, p. 5.
55 Santini E. R., op. cit.
56 En 1989, un referendum est organisé par les secteurs de gauche pour annuler la « ley de caducidad de pretensión punitiva del Estado », qui instaure, selon ses détracteurs, l’impunité des crimes commis par les militaires durant la dictature.
57 Urruzola M., op. cit.
58 Le bulletin pour le retrait de la loi d’impunité était de couleur verte.
59 Entretien avec un des responsables de la campagne, dans l’article de Urruzola M., op. cit.
60 Reboul O., Le slogan, op. cit., p. 29. Nous verrons que cela est vrai aussi pour les graffitis, renforçant la dimension hybride des écritures murales.
61 Gari Joan, La conversación mural. Ensayo para una lectura del graffiti, Madrid, Éd. Fundesco, 1995, p. 72.
62 Souchier E., « Quelques remarques sur le sens et la servitude de la typographie », Cahiers GUTenberg, n° 46-47, Saint-Martin d’Hères, avril 2006, p. 69-70.
63 Santini E. R., « Anímese ! Una esperanza multicolor para un país gris », Brecha, 15 décembre 1989, Montevideo, p. 18.
64 Ibid.
65 Moore A. et Lloyd D., V pour Vendetta, 6 tomes, Paris, Zenda, 1989-1990.
66 Cela ressort dans leur campagne pour les élections présidentielles de 2009, à l’occasion de laquelle ils ont modifié leur logo et plus largement leur charte graphique, optant pour un style assez moderne que l’on peut voir exposé sur leur site Internet. Site Internet du Parti socialiste, [www.ps.org.uy], consulté le 10 juin 2009. Une des pages montre notamment leur logo et tout leur matériel de propagande : affiches, calicots, pancartes, pintadas, etc.
67 « L’Empire contre-attaque », sorti en 1980, est le cinquième épisode de La guerre des étoiles réalisé par Irvin Kershner.
68 L’opération Unitas consiste en une série d’exercices militaires, initiée par Washington, qui se déroule annuellement depuis 1959. Il s’agit d’exercices multilatéraux réunissant les marines des pays latino-américains et simulant une situation de guerre en haute mer et en zone côtière. L’Uruguay s’est retiré de cet accord depuis 2006.
69 Pour une étude détaillée de ces fresques : Epstein A., « El imperio contraataca ou l’intertextualité des fresques de brigades à Montevideo », Nuevo Mundo Mundos Nuevos [en ligne], Images, mémoires et sons, mis en ligne le 9 juin 2014. URL : [http://nuevomundo.revues.org/66905].
70 Sur cette question, voir tout le dossier thématique coordonné par Francesca Cozzolino et moi-même : Cozzolino F. et Epstein A., « Un siècle de peinture murale. Fonctions et dynamiques comparées », Nuevo Mundo Mundos Nuevos [en ligne], Images, mémoires et sons, mis en ligne le 30 janvier 2014, [http://nuevomundo.revues.org/66325].
71 Précisons que les références au « style » du Taller Torres García, dont les membres furent les tenants du constructivisme local, sont nombreuses et preignantes dans l’espace public, bien au-delà des peintures de brigades.
72 Epstein A., « El imperio contraataca ou l’intertextualité des fresques de brigades à Montevideo », op. cit.
73 Trigo A., « De Artigas a Tabaré, o cómo se hace un imaginario (pos)nacional », Henciclopedia [en ligne], Montevideo, mis en ligne en mars 2000, [http://www.henciclopedia.org.uy/autores/Trigo/ArtigasTabare.htm], mars 2000.
74 Pour reprendre le titre de l’introduction et du dossier dirigé par Jaoul N. et Bonhomme J., « Grands hommes vus d’en bas », Gradhiva, n° 11, 2010.
75 J’emprunte ici le vocabulaire de Scott J., La domination ou les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne, Paris, Éditions Amsterdam, 2008.
76 Jaoul N. et Bonhomme J., op. cit., p. 5.
77 Genette G., op. cit., p. 45.
78 Silvia a 45 ans et elle travaille comme juriste au ministère de la Défense.
79 Nébur, 32 ans, est étudiant en sociologie et travaille dans un service d’administration de la mairie de Montevideo.
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