Chapitre III. Durcissement et divergences 1966-1968
p. 99-134
Texte intégral
« Et, à chaque fois qu’il sera nécessaire, comme aujourd’hui nous ferons de nouvelles révolutions à l’intérieur de la révolution1 ! »
Général Artur da Costa e Silva, président de la République.
Illustration 5. – Les manifestations étudiantes de mars à juin 1968 dénoncent la dictature et se moquent des militaires. Ici on peut lire sur le panneau, aux côtés du dessin de policier militaire marchant au pas : « Plus d’école, moins de casernes », São Paulo, 4 avril 1968, archives : Estadão Conteúdo.

1La promulgation de l’Acte institutionnel n° 2, le 27 octobre 1965, contredit l’hypothèse d’une révolution « chirurgicale » de courte durée. Les pouvoirs accrus que l’Acte offre à l’exécutif, par lesquels le régime s’éloigne toujours plus de la démocratie représentative, ne permettent pas à Castelo Branco de freiner l’irrésistible ascension vers la présidence de son ministre de la Guerre, le général Costa e Silva. Celui-ci est formellement élu par le Congrès en octobre 1966, et investi le 15 mars 1967. Or quelque trois ans après l’AI-2, le 13 décembre 1968, l’histoire semble bégayer : à la suite d’une crise politique née dans l’enceinte du Congrès et dans le contexte d’une forte mobilisation populaire hostile au pouvoir, un nouvel « Acte Révolutionnaire » est adopté sous la pression d’une supposée « effervescence des casernes ». C’est le cinquième. Ce nouveau « coup d’État dans le coup d’État », comme il fut coutume d’appeler l’AI-5, achève l’évolution autoritaire du régime et ouvre les années de plomb.
2Comme pour l’AI-2, les « casernes » et la « ligne dure » furent considérées responsables, par l’historiographie, du virage autoritaire du régime : bien que le nouveau président Costa e Silva ne soit pas entouré de l’aura en partie usurpée de modération et de légalisme de Castelo Branco, la plupart des témoins et protagonistes s’accordent sur la contrainte qu’exercèrent des officiers de tous échelons dans le sens de la fermeture du Congrès et de l’adoption de l’AI-5. Les dynamiques politiques de cette pression militaire demeurent pourtant en partie dans l’ombre : elle ne cadre pas bien, en particulier, avec une représentation dichotomique de l’espace politique intra-militaire, qui n’aurait laissé que des « durs » aux principales positions de pouvoir après mars 1967. Si le second mandat consacrait la victoire d’une « ligne dure » indifférenciée et partisane d’une adoption toujours plus poussée d’instruments d’exception, quels rapports de force, quels mécanismes de pression auraient été nécessaires pour adopter l’AI-5 ?
3La vie politique intra-militaire au cours des années 1966 à 1968 est en réalité plus complexe. En 1966 prend certes fin l’affrontement binaire entre, d’un côté, un pouvoir fortement coloré de civilisme et d’un certain respect de la légalité ; et, de l’autre, une « nébuleuse contestataire » d’officiers intermédiaires, conspirateurs historiques, protégés des punitions par leur étiquette de « révolutionnaire ». « Leur » candidat Costa e Silva est élu, puis parvient au pouvoir : à leurs yeux, « la révolution se rejoue ». Beaucoup sont d’ailleurs intégrés dans l’appareil d’État ou réinvestis de commandements centraux et prestigieux, ce qui répond à leur sentiment d’être responsables du second gouvernement de la révolution comme ils considéraient l’être du coup d’État lui-même. Pourtant, parallèlement, leur légitimité politique se réduit : le désordre post-coup d’État s’éloigne et avec lui le souvenir de leur importance dans la conspiration. De plus, la logique strictement militaire du processus de succession achève d’importer dans le jeu politique les règles et préceptes propres à l’institution armée : hiérarchie, discipline, préséances. L’effort de dépolitisation des officiers de rang intermédiaire, que Castelo Branco avait entamé selon un idéal dévoyé de civilisme, de légalisme et d’« armée professionnelle », est poursuivi par le nouveau gouvernement dans le cadre d’un régime désormais ouvertement militaire. Privée du relais que constituait la génération des colonels, l’« opinion des casernes » devient paradoxalement une référence permanente et insaisissable, dont tous les acteurs se réclament pour justifier leurs propres revendications.
4La « ligne dure » des colonels ne laisse cependant pas la place à une « ligne dure » de généraux, se revendiquant d’une « opinion des casernes » radicalisée. Si l’élite militaire accroît sa visibilité et son poids politiques, subsistent ou apparaissent dans son arrière-plan hiérarchique des acteurs organisés qui poursuivent leur propre agenda : la « première ligne dure », qui survit dans l’ombre ; le personnel de la répression, en pleine organisation ; les groupes paramilitaires et terroristes de droite ; et la génération des capitaines. L’analyse de ce complexe jeu politique, éclipsé dans l’historiographie par l’expression uniformisante d’une unique « ligne dure », doit permettre de comprendre trois phénomènes déterminants dans l’évolution du régime : la construction d’un consensus militaire autour du virage autoritaire de l’Acte institutionnel n° 5 de décembre 1968 ; la persistance et les mutations d’une « protestation des casernes » qui déstabilise le pouvoir en 1969 alors que toutes les revendications radicales semblent, avec l’AI n° 5, avoir été écoutées ; et l’installation définitive, après son écrasement, d’un « régime de généraux ».
Une campagne civile-militaire
5Après les fortes protestations de la fin 1965, l’année 1966 se caractérise par une évidente pacification intra-militaire. Unis derrière la candidature de Costa e Silva, les protestataires d’hier se taisent et attendent leur heure. Les soutiens du ministre de la Guerre sont initialement strictement militaires. La résistance que Castelo Branco lui oppose est d’ailleurs essentiellement due au changement de base politique qu’elle impliquerait pour le pouvoir, plus qu’à la personnalité de son ministre, un camarade de longue date, ou aux moindres préventions libérales de celui-ci. C’est ce que le président indique dans un document diffusé aux généraux de l’armée de terre en janvier 1966, intitulé « Aspects de la succession présidentielle ». Il considère que la candidature de Costa e Silva est portée par « certains éléments radicaux de l’armée de terre », (« certains se disent de Ligne Dure, d’autres enclins à la dictature, certains enfin sont liés à des milieux politiques mécontents ») qui « désirent précipiter les opérations de succession, au prix de la division des Forces Armées2 ». Afin de réaffirmer son autorité présidentielle auprès des généraux de l’armée de terre, Castelo Branco laisse entendre que la succession demeure ouverte, malgré les pressions émanant des casernes qui, dit-il, « créent en moi la détermination de ne pas céder, de ne pas me décourager, d’être toujours plus digne de mon poste. Je ferai tout pour ne pas être un président soumis aux pressions, d’où qu’elles viennent ». Il dénie de nouveau aux forces armées la légitimité d’un corps électoral. Mais cette légitimité n’appartient plus au « peuple » ou à la « nation », comme c’était le cas dans les discours prononcés dans les mois qui ont suivi le putsch : désormais, le pouvoir s’appuie sur (et se légitime par) un parti « majoritaire », l’Alliance rénovatrice nationale (Aliança Renovadora Nacional, ARENA), créée par l’AI-2, insérée dans un système électoral éminemment favorable grâce aux privations de droits politiques et suspensions de mandats qui déciment l’opposition, et au suffrage indirect.
6Derrière ces nuances se profile une inflexion du processus d’institutionnalisation de la révolution, leitmotiv de Castelo Branco depuis les premiers temps du régime. Le maintien au pouvoir du groupe conservateur victorieux en avril 1964 et la poursuite de sa « modernisation autoritaire » ne sauraient passer, aux yeux du président, par l’emploi exclusif de la force et d’instruments d’exception, ou par la militarisation complète de l’appareil d’État. Il ambitionne de construire une véritable « démocratie autoritaire » qui aurait pour piliers un exécutif dominant et un « parti révolutionnaire ».
7Dans les derniers mois de son mandat, Castelo Branco et son entourage font l’objet de deux critiques, contradictoires s’il en est, de la part des officiers pressés de le voir remplacé par son ministre : il s’agirait, d’une part, d’une faction ambitieuse et assoiffée d’un pouvoir potentiellement dictatorial ; et, d’autre part, d’un ramassis de « pseudo-révolutionnaires » pétris de préventions légalistes et civilistes. Cette représentation du pouvoir, intrinsèquement usurpateur du fait de sa fidélité à une logique prérévolutionnaire (la « petite politique » dans tout ce qu’elle implique de compromissions, d’ambitions personnelles et d’absence d’idéal aux yeux de l’extrême droite militaire) transparaît en miroir dans la bannière sous laquelle Costa e Silva décide de placer sa propre candidature : celle-ci sera authentiquement révolutionnaire et établira la plénitude démocratique dans le pays. La stratégie de communication politique est pour le moins étonnante : l’homme fort, dur, leader de ses troupes, inflexible quant aux objectifs de la « révolution » assortit son image et ses discours d’arabesques libérales et de promesses de démocratie immaculée. Les proclamations de campagne du général sont d’ailleurs des prodiges d’ambiguïté, ménageant les apparences de continuité démocratique et les attentes des officiers radicaux, qui sont sa principale base politique3. Difficile d’y trouver une véritable cohérence : il s’agit, d’abord et avant tout, de laisser la porte ouverte à toutes les espérances, civiles et militaires, et de ne pas susciter une guerre ouverte avec la présidence. C’est en partie dans ce dessein, également, que le ministre de la Guerre s’efforce de maquiller sa candidature issue des casernes en décision du parti majoritaire, l’ARENA.
8Le leader militaire fait ainsi une campagne civile, qui demeure néanmoins discrète puisqu’il ne s’adresse pas à l’opinion. Il est vrai qu’il est contraint jusqu’en juillet 1966 par sa position hiérarchique et son appartenance au gouvernement. Lorsqu’il démissionne finalement de son poste, il est déjà adoubé par la majorité des sections ARENA des États. La nécessité d’un appui populaire se fait d’autant moins pressante que, quelques jours plus tard, le Mouvement démocratique brésilien (Movimento Democrático Brasileiro ou MDB, parti d’opposition officiel lui aussi né en octobre 1965) renonce à présenter un candidat au scrutin, au motif de son iniquité. Comble de l’ironie et de la confusion, le MDB finit même par appuyer la candidature du ministre, dans l’espoir de voir accomplies les promesses d’« humanisation de la révolution » et de « redémocratisation » qu’il répète sans relâche4.
9En se présentant comme le candidat de l’ARENA, Costa e Silva s’intègre dans le dispositif politique institutionnalisé voulu par Castelo Branco ; cependant, son maintien tardif au poste de ministre de la Guerre ainsi que les conditions de son émergence comme candidat l’identifient évidemment comme un leader militaire. L’effort castelista d’« institutionnalisation de la révolution », conjugué à l’imposition d’un général par un consensus des forces armées, aboutissent donc à instaurer une nouvelle coutume politique : la sélection intra-militaire des candidats à la succession, selon un équilibre fluctuant entre leadership politique et légitimité hiérarchique, adoubée par un simulacre de démocratie, appuyé sur un parti majoritaire soumis au bon vouloir du palais.
Militarisation du pouvoir et indéfinition politique
10La « campagne électorale » du général Costa e Silva a pour arrière-plan une inflexion dans les politiques menées par Castelo Branco. Loin de se montrer rétif face aux nouveaux instruments autoritaires dont les officiers de ligne dure sont considérés, dans l’historiographie et la mémoire collective, comme les seuls responsables, l’exécutif castelista s’en sert avec gourmandise pour réprimer les dissidences et museler le Congrès. Il fait ainsi usage, dès avril 1966, des pouvoirs de suspension des mandats et droits politiques (« cassação ») permis par l’AI-2. La poursuite de l’offensive suscite, en octobre 1966, la résistance de la Chambre des députés, quand son président Adauto Lúcio Cardoso (ARENA) refuse de reconnaître la cassação de six parlementaires. Le Congrès est alors suspendu et la troupe envoyée l’encercler, sous la férule du colonel Meira Mattos, afin d’en évacuer les élus réfractaires. Parallèlement, l’AI-2 ouvre une phase d’activisme législatif sans précédent, dont l’apogée est la promulgation, dans les tout derniers temps du mandat castelista, de la loi sur la presse (loi n° 5250, 9 février 1967), d’une loi de Sécurité nationale (décret-loi n° 314, 11 mars 1967) et d’une nouvelle Constitution. Ces réformes accentuent la coloration autoritaire du système politique et suscitent l’accroissement d’une opposition démocratique au président, alors que la poursuite des orientations économico-financières d’austérité et de lutte contre l’inflation provoque le mécontentement de catégories sociales variées. La classe politique et les élites sociales ayant appuyé le coup d’État sont alors loin d’associer le président Castelo Branco à la modération légaliste dont l’historiographie lui a a posteriori donné les couleurs5 : les accusations de « continuisme » et d’ambitions dictatoriales, qu’agitent étrangement les officiers de « ligne dure » comme un épouvantail, deviennent des lieux communs. Au début du mois de janvier 1967, peu après le vote de la nouvelle Constitution, l’ancien président João Goulart déclare depuis son exil uruguayen craindre que, malgré son élection, le général Costa e Silva n’entre pas en fonction et que Castelo Branco opère un coup de force pour conserver son poste6.
11Costa e Silva est élu au Congrès national par les seuls 294 parlementaires de l’ARENA, ceux du MDB ayant déserté l’hémicycle, le 3 octobre 1966. Dans les mois qui précèdent son investiture à la présidence, prévue pour le 15 mars 1967, le débat politique s’articule autour de logiques tout autres que la confrontation entre une présidence castelista modérée et pressée de restituer le pouvoir aux civils et une « ligne dure » militariste et autoritaire liée à Costa e Silva. Une grande incertitude, qui se prolonge tout au long de l’année 1967, existe en fait sur les intentions du nouveau pouvoir. En février, l’annonce de la composition du nouveau gouvernement donne certes un premier signal au front disparate qui entoure d’espérances contradictoires la nouvelle mandature. L’équipe choisie est en effet en majorité militaire : elle compte huit officiers d’active, deux de réserve, six techniciens civils et trois hommes politiques, soit 10 militaires sur 19 ministres. En comparaison, le gouvernement Castelo Branco ne comptait à ses débuts que 6 officiers sur 16. Selon les termes du journaliste Carlos Castello Branco, « le futur Gouvernement, dont l’entrée en fonction devait répondre aux attentes civilistes y compris des groupes d’opposition, s’arme comme s’il était une armée, dont les colonnes sont confiées au commandement de généraux ou de colonels gradés7 ».
12Outre son militarisme, le gouvernement rassemble des figures installées de la « ligne dure » militaire, qu’elles aient ou non manifesté leur opposition à Castelo Branco. L’amiral Augusto Rademaker, l’une des cinq « dionnes » radicales, puni pour son appui aux colonels des IPMs en juillet 1965, devient ministre de la Marine. À l’aéronautique, un autre officier d’active est identifié à l’extrême droite militaire, bien qu’il ne se soit jamais manifesté publiquement : le maréchal de l’air Márcio de Souza e Mello. Le général Jayme Portella de Mello, l’un des plus proches conseillers du président et radical convaincu, est nommé chef du cabinet militaire, tandis que le général Emílio Garrastazu Médici, autre révolutionnaire inflexible et futur général-président des « années de plomb », devient chef du Service national d’informations. Enfin c’est au colonel de réserve José Costa Cavalcanti, frère de Francisco Boaventura Cavalcanti et porte-parole de la « première ligne dure » au Congrès sous Castelo Branco, que revient le poste sensible de ministre des Mines et de l’Énergie, central dans les débats économiques relatifs à la propriété du sol et du sous-sol nationaux.
13Mais l’intégration de la « ligne dure » protestataire dans les arcanes du gouvernement a pour principal symbole le nouveau ministre de l’Intérieur, le général Afonso de Albuquerque Lima. Artisan de la sédition avortée et un peu loufoque d’octobre 1965, il obtient aussi bien les faveurs de la « première ligne dure » que celles d’officiers exclusivement associés au nationalisme économique, ainsi que de célèbres ex-tenentes avec qui il s’est lié d’amitié dans les années 1930. À sa cérémonie d’entrée en fonction sont ainsi présents Sílvio Heck, Osnelli Martinelli, leaders des durs, et Rafael de Almeida Magalhães, héraut de positions radicales au Congrès ; le général Justino Alves Bastos, parangon historique du nationalisme économique ; et le maréchal Juarez Távora, prestigieux vétéran du mouvement des lieutenants et… ancien ministre des Transports de Castelo Branco8. Les réseaux d’Albuquerque Lima résultent en effet d’une trajectoire professionnelle et politique particulière : ils ne se réduisent pas à la nébuleuse conspiratrice devenue en 1964 la « première ligne dure ». Né en 1909, fils d’un notable du Ceará, d’une génération intermédiaire entre les tenentes (1900) et les colonels de ligne dure (1920), il entre à l’École de Realengo en 1927, où il devient adepte du tenentismo et ami de certains de ses meneurs. Il entre tout jeune lieutenant au Club du 3 de Octobre (cabinet noir de Vargas dont les membres, d’anciens tenentes, jouissent d’une influence considérable), et participe, jusqu’au coup d’État de 1937 auquel il s’oppose, à la construction de l’État « révolutionnaire ». La suite de son parcours est fort similaire au profil « castelista » : il suit en 1944 un cours d’instruction à la Engineer School de Fort Belvoir, aux États-Unis, puis participe comme major à la Seconde Guerre mondiale. Hostile à l’Estado Novo dès ses premiers temps, il appuie le renversement de Vargas en 1945 et s’oppose par la suite au retour du vieux dictateur. Malgré l’anticommunisme et l’antigetulismo virulents qui caractérisent son camp militaire, Albuquerque Lima défend dès la fin des années 1950 des positions nationalistes en matière économique. En 1960, il donne même une série de cours sur les problèmes de développement économique, promue par la CEPAL (la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes, chargée par l’ONU de contribuer au développement industriel de la région). À la même époque, il participe à la création de la SUDENE (Superintendance du développement du nordeste/Superintendência do Desenvolvimento do Nordeste, une agence gouvernementale fondée sous Kubitschek) sous la direction de l’économiste keynésien Celso Furtado.
14Parallèlement, le nouveau pouvoir donne des signes de bonne volonté, dans sa politique de transferts, aux officiers plus jeunes de la « première ligne dure ». Le colonel Francisco Boaventura, « exilé » dans l’État amazonien du Mato Grosso suite à ses velléités d’insoumission en octobre 1965 et à sa manifestation publique en novembre, obtient le prestigieux commandement de la Forteresse de São João, au pied du pain de sucre, à Rio de Janeiro. Le colonel Florimar Campelo, ancien chef de la section de renseignements de l’état-major de la Ire armée et radical reconnu, accède à la direction générale du département de la Police fédérale. Le vieux général Mourão Filho, pourtant déjà membre du MDB à ce stade, est quant à lui promu à la tête du Supérieur tribunal militaire où il siégeait déjà, ce qui accroît son autorité dans ce lieu de relégation honorable des dissidents. L’attribution de postes importants aux protestataires de la première heure peut être, cependant, à double tranchant : le colonel Osnelli Martinelli est ainsi chargé, en avril 1967, de la lutte contre la contrebande de café, qui fit scandale sous Castelo Branco, au sein de l’Institut brésilien du café (Instituto Brasileiro do Café, IBC). Celui-ci se félicite de cette nomination, qu’il estime de la plus haute importance et raconte, en entretien, une brève rencontre avec le président pressé de voir « la ligne dure fonctionner » dans ce secteur. Martinelli ne fut pourtant jamais réellement intégré à l’IBC, malgré des promesses réitérées, ce qu’il interpréta comme une incapacité du président, « bon et droit », à s’imposer face aux forces corrompues, hégémoniques dans la politique brésilienne9. Il est pourtant difficile d’interpréter cette nomination autrement qu’une « mise au placard ».
15La composition du gouvernement témoigne par ailleurs d’équilibres politiques plus complexes que la seule intégration d’une « ligne dure ». Le ministre de l’Armée de terre (ex-ministre de la Guerre) lui-même, le général Aurélio de Lira Tavares, est considéré comme un membre de la Sorbonne militaire – c’est du moins ainsi qu’il est identifié en 1967. Son rôle crucial lors du durcissement du régime, à la fin 1968, puis lors de la succession de Costa e Silva, en septembre 1969, rend cependant obscur ce que cette appartenance castelista a pu signifier de modération politique. Nombre de ministres, officiers de réserve ou civils, n’ont pas d’appartenance factionnelle ni de coloration politique d’extrême droite : si une forme de « nationalisme autoritaire » arrive au pouvoir avec Costa e Silva, il n’est ni hégémonique ni uniforme dans ses relations à la « première ligne dure » et à l’activisme militaire. Le nationalisme offensif est essentiellement l’apanage de deux ministres, le général Afonso de Albuquerque Lima et le colonel José Cavalcanti, les plus liés personnellement aux protestataires visibles de 1964-1965. Enfin, les groupes présents dans le gouvernement ne demeurent pas figés. Plus encore que dans le post-coup d’État, la grande incertitude sur le devenir du régime et la grande confusion politique de la période mars 1967-avril 1968 ont pour conséquence des recompositions constantes des factions d’officiers, qui en font un véritable laboratoire de la vie politique au sein de l’institution militaire.
De la « ligne dure » aux orthodoxes
16Lors des premiers mois de la présidence Costa e Silva, l’ensemble des acteurs politiques, civils et militaires, négocient leur appui au nouveau pouvoir. Jusqu’au mois de mai 1967, le MDB assure ainsi le chef de l’État de son soutien pour mener à bien le processus de redémocratisation. Dès avril, est posée en place publique la question d’une révision des punitions révolutionnaires, voire d’une amnistie politique, mesure appuyée par le MDB, de rares officiers dissidents et une partie de l’ARENA. La présidence demeure muette sur le sujet, laissant au ministre de l’Armée Lira Tavares le soin de nier la rumeur auprès des commandements de troupe, dans une note de service10. D’autres généraux sont à l’unisson de ce refus, depuis Moniz de Aragão jusqu’à Mourão Filho, pourtant membre du MDB : l’éventualité d’un « retour des écartés » trace donc, dans l’union nationale derrière Costa e Silva, une ligne de fracture entre civils et militaires.
17À cette période, les seuls officiers visibles sur la scène publique sont des généraux, au premier rang desquels le commandant de la 1re division d’infanterie de la Vila Militar Carvalho Lisbôa, le commandant de la Ire armée Siseno Sarmento et le chef du département d’Enseignement de l’armée Moniz de Aragão. Les colonels ont quasiment disparu de la scène politique. Les figures les plus célèbres de la protestation militaire ne prennent la parole, dans un premier temps, que pour couvrir d’éloges le nouveau pouvoir. Ainsi le colonel Boaventura divulgue à la presse son discours d’investiture au commandement de la Forteresse de São João, à la fin mai 1967. Il y défend la reprise de la révolution que le nouveau président devra mener et dénonce « les forces déchues de l’ancien régime et leurs alliés [qui] accusent les Forces Armées d’usurpatrices du pouvoir et sous le prétexte d’une fausse redémocratisation et pacification, font pression ou manigancent en faveur du retour sur la scène politique nationale des fauteurs de désordre, de corruption et de subversion » (après l’élection, des rumeurs circulent sur un prochain retour d’exil des ex-présidents Juscelino Kubitschek et João Goulart). Dans une posture de soutien évident au pouvoir en place, il conteste enfin les accusations de militarisme du gouvernement, contradictoire avec « la tradition démocratique des Forces Armées11 ». Boaventura parle alors en porte-parole de l’institution militaire, dont il apporte la caution au pouvoir. Ses propos obtiennent une forte répercussion, étonnante pour son grade : son discours est loué en session du Haut Commandement de l’armée de terre (Alto Comando do Exército, ACE) quelques jours plus tard, ainsi que par des sénateurs de l’ARENA.
18Il s’agit, pourtant, du calme avant la tempête : dès le lendemain, des colonels de ligne dure anonymes déclarent qu’ils appuient le gouvernement, mais veulent qu’il « commence » : ils considèrent de leur responsabilité d’appuyer le pouvoir qu’ils estiment avoir contribué à installer et d’assurer le calme des casernes pour permettre la mise en place de sa politique, mais craignent que le « désarmement des esprits » ne mène à la routine12. À partir de cette date, certains des colonels radicaux les plus liés à Boaventura entament une campagne de revendication du pouvoir. Rui Castro est l’un des plus visibles : directeur de la Bibliothèque de l’armée, ce qui lui donne peu de poids militaire mais une plus grande liberté de parole, et du temps libre, il conteste le principe même de l’apolitisme militaire : « La réflexion du militaire cantonnée à la position de grande muette est une chose du passé », dit-il quelques jours plus tard13. Ce colonel est le premier à assumer publiquement la « dissidence de la ligne dure », dans le courant du mois de juillet 1967. Ses prises de position ne sont pas isolées : dès la fin juin 1967, un mois à peine après avoir assuré le gouvernement de son appui plein et entier, Boaventura demande une audience au ministre de l’Armée Lira Tavares pour protester contre les entraves à la participation politique de la « ligne dure ». Ce faisant, l’officier s’affranchit des intermédiaires hiérarchiques – il revendique d’ailleurs un accès direct au président, et accuse ses supérieurs de trahir sa pensée – tout en reconnaissant l’autorité ministérielle : il s’agit donc d’un embryon de dissidence et non d’une franche opposition, comme la pratique du manifeste public publié dans la presse, habituelle à Boaventura, l’avait précédemment signifié. Le pouvoir réagit néanmoins rapidement : à la fin juillet 1967, le ministre de l’Armée émet une circulaire interne qui interdit l’envoi, par des militaires, de documents individuels ou collectifs à des autorités gouvernementales sans passer par les canaux hiérarchiques. Boaventura répond, au nom des « colonels de ligne dure » (et non plus des forces armées dans leur ensemble comme quelques semaines auparavant), en contestant la soumission persistante de ses compagnons au Règlement disciplinaire de l’armée. Il indique que les colonels sont désormais prêts à assumer le pouvoir et s’en considèrent responsables14. Ce n’est certes pas une nouveauté : depuis 1964, les protestataires de « ligne dure » n’ont de cesse de se présenter comme les responsables de la révolution et du pouvoir qui en est issu. Mais désormais leur spécificité générationnelle est beaucoup plus assumée : les colonels se positionnent exclusivement par rapport aux généraux, détenteurs du pouvoir. L’univers des acteurs politiques légitimes s’est réduit au monde militaire.
19Par ailleurs, les colonels infléchissent leur discours : ils ne se présentent plus comme des révolutionnaires historiques, émules de Carlos Lacerda, mais comme des officiers qui détiennent le droit, quel que soit leur grade, d’adouber ou de critiquer les politiques de ce « second gouvernement de la révolution » de plus en plus militarisé. En témoigne un questionnaire diffusé quelques mois plus tard à la Vila Militar, à l’initiative d’officiers de ligne dure demeurés anonymes :
« Compagnon de la Marine, de l’Armée de Terre et de l’Aéronautique, de tous les postes et de tous les grades, aux quatre coins du Brésil : as-tu déjà pris conscience de la responsabilité incommensurable qui pèse sur chacun de nous, militaires, en particulier, et sur les Forces Armées, en général, devant l’opinion des Brésiliens, devant l’Histoire, quant au succès ou à l’échec du Deuxième Gouvernement de la Révolution, que nous avons tous par une action unie et cohérente amené au Pouvoir et à qui nous avons livré avec confiance les destinées de la Nation ?
Nous sommes tous co-responsables, et si le bateau coule, le prestige des Forces Armées ne sera-t-il pas irrémédiablement compromis ? »
20La « responsabilité » du corps des officiers est collective ; c’est celle de militaires, et non de militants révolutionnaires. Le questionnaire incite implicitement son lecteur à formuler une critique envers le pouvoir tout en respectant la chaîne hiérarchique et à « transmettre [s]on opinion via [s]es supérieurs » : « Es-tu satisfait du 2e Gouvernement de la Révolution ? Sinon, en quoi le juges-tu déficient ? (autorité, moralité, compétence, dynamisme, imagination, etc.). »
« Compagnon, Toi, tu dois faire tien le climat général d’appréhension qui domine le peuple. Il n’est pas normal de rester les bras croisés. Présente donc à tes supérieurs ta coopération sincère et opportune. Ainsi, si dans le futur le bateau avait tendance à couler, tu serais obligé d’aller au fond avec lui15. »
21Sous couvert de sondage d’opinion, ce manifeste reprend certaines des thématiques favorites de l’opposition militaire à Castelo Branco : il insinue que l’entourage présidentiel serait corrompu, une accusation encore discrète en 1967 mais qui s’épanouit au cours des deux années suivantes ; conteste, sans grande précision, les choix économiques du gouvernement ; et fait le procès d’une répression mesurée, qui laisserait la porte ouverte à un retour des vaincus, prêts à monter à l’assaut du pouvoir. Quatre jours avant la diffusion du questionnaire dans la presse, les colonels Gérson de Pina et Ferdinando de Carvalho, respectivement chargés en 1964-1965 des IPMs de l’ISEB et du Parti communiste, avaient en effet exprimé publiquement leur déception à l’égard des résultats des enquêtes politiques, qui n’auraient pas permis de punir les véritables coupables.
22Parmi les objets récurrents de l’insatisfaction radicale, l’insuffisant « nationalisme économique » du gouvernement est celui qui mobilise le plus tôt les colonels liés à Francisco Boaventura. Ceux-ci se désignent désormais comme des « orthodoxes » et non plus des « durs », terme dévoyé selon eux par des officiers ayant accepté des postes au gouvernement – au premier rang desquels le propre frère de Boaventura, le ministre des Mines et de l’Énergie José Cavalcanti, les deux hommes étant brouillés. Sur fond de querelle familiale, les orthodoxes choisissent d’accompagner leur entrée en dissidence d’un coup d’éclat organisé par Boaventura : en juillet 1967, lui-même, les colonels Amerino Raposo Filho et Hélio Lemos chahutent à son bureau le ministre des Finances, Antônio Delfim Netto, l’accusant de maintenir les orientations économiques du gouvernement antérieur. Les protestataires sont rapidement défaits dans l’épreuve de force : sous l’orientation du général Jayme Portella, chef du cabinet militaire, le pouvoir entame une nouvelle opération de dispersion et de punition de la « première ligne dure » ressurgie de ces cendres. En septembre, le réseau lié à Boaventura est éparpillé aux quatre coins du pays : lui-même doit quitter le territoire, intégrant une délégation brésilienne à l’ONU, tandis qu’Hélio Lemos part aussi à l’étranger, en « mission », laissant derrière lui l’état-major de la puissante et prestigieuse artillerie de la côte atlantique. Rui Castro abandonne la Bibliothèque de l’Armée, à Rio de Janeiro, pour intégrer une unité à la frontière sud du Brésil, dans la région des missions, à Ijuí. Amerino Raposo Filho est éloigné du SNI mais n’obtient pas de commandement de troupes : il devient le chef de cabinet du général Mamede au Département de production et travaux avant d’être attaché, un an plus tard, au collège interaméricain de défense à Washington. Luis Alencar Araripe est également transféré dans une région reculée du Paraná, alors que Ferdinando de Carvalho, qui se trouvait toujours à la tête de l’IPM du Parti communiste, en est définitivement dépossédé et prend le commandement d’un Centre de préparations d’officiers de réserve (CPOR), à Curitiba.
Illustration 6. – Fiche de renseignements du colonel Francisco Boaventura dans les archives du département d’État des États-Unis, en tant que diplômé de l’École supérieure de guerre brésilienne. Archives US Department of State.

23Les protestataires visibles, en ces premiers mois de la mandature costista, sont les colonels d’active au parcours brillant et non les « professionnels de la conspiration » qui s’étaient jadis épanouis dans la LIDER. Leur proximité avec la caserne les incite à mettre en avant la légitimité politique collective d’hommes en armes et non plus, comme c’était souvent le cas dans l’après-coup d’État, celle de conspirateurs et de militants historiques. Ils jouent d’ailleurs de cette situation de semi-dissidence et de leur identité de militaires « professionnels » dans leurs pratiques protestataires : l’essentiel de leurs revendications passe par la chaîne de commandement et nous ne disposons le plus souvent que d’échos et de rumeurs sur leur contenu. Il est de ce fait difficile de définir leur projet politique. Les bribes de sources nous laissent entrevoir des officiers déçus, amers, à l’anticivilisme radicalisé par l’éloignement de Lacerda, réclamant une rénovation politique totale jamais explicitée.
24Les réformes que certains colonels en viennent à défendre au début de l’année 1968, lorsque leur marginalisation politique est achevée, témoignent de l’entrelacement des ambitions personnelles frustrées et de la « mystique révolutionnaire » en quête d’hommes nouveaux. Ainsi en mars 1968, le colonel Rui Castro affirme que rien ne ressemble plus au gouvernement de Goulart que celui de Costa e Silva, avec la différence que, dans le passé, c’étaient les sergents les indisciplinés, et qu’aujourd’hui ce sont les officiers16. L’innovation vient ensuite : le colonel Castro exige que soit désigné, comme candidat aux élections présidentielles de 1970, un militaire de ligne dure ou un civil de moins de 45 ans (ce qui exclurait Lacerda, né en 1914). Cette déclaration, qui vaut à l’officier cinq jours d’emprisonnement disciplinaire, est le premier pas d’une dissidence radicale pour laquelle opte une partie de la « première ligne dure17 ».
La fin du lacerdisme militaire
25La première année du mandat de Costa e Silva ne correspond donc ni à une accession de la « première ligne dure » au pouvoir, ni à une imposition des politiques désirées par celle-ci. Le gouvernement, au contraire, sans révoquer aucune des mesures autoritaires adoptées par Castelo Branco en 1966 et 1967, adopte une posture attentiste et prolonge, en matière économique et financière, les orientations de son prédécesseur. Les officiers conservateurs plus âgés qui y occupent des postes ministériels n’expriment alors aucune solidarité publique avec la jeune génération d’activistes, systématiquement réprimée, peu visible et, pour l’heure, peu crainte par le pouvoir. La dissidence « révolutionnaire » la plus gênante pour le gouvernement Costa e Silva est alors celle de Lacerda : bavard et provocateur, comme à son habitude, il occupe l’espace d’une protestation toujours plus « démocratique », tout en conservant son répertoire politique antérieur, qu’il partage avec les plus jeunes officiers de la « ligne dure », longtemps ses disciples.
26La réorientation politique de l’ex-gouverneur de la Guanabara l’éloigne, sans le détacher complètement ni définitivement, des jeunes officiers radicaux. Habile à fixer l’agenda du débat politique, Lacerda est également un homme de réseaux qui s’emploie alors à bâtir des ponts entre des secteurs que le gouvernement souhaiterait antagoniques : sur le modèle du « front anticastelista » de 1966 et du début de 1967, Lacerda entreprend de rallier toutes les bonnes volontés à son projet de « Grand Front » (Frente Ampla), large coalition politique ouverte à tous, depuis les politiciens du MDB jusqu’à des généraux dissidents, en passant par la jeune et hésitante « ligne dure » au bon souvenir de laquelle il n’a de cesse de se rappeler. Ce faisant, Lacerda contribue à brouiller les pistes et à fragiliser les frontières idéologiques ; mais il révèle également des affinités latentes, autour de thématiques nationalistes et de la dénonciation d’une usurpation du pouvoir considéré comme en pleine décadence morale.
27L’instauration du bipartisme par le second Acte institutionnel, à la fin 1965, a considérablement nuit aux ambitions électorales et politiques de Lacerda. La disparition de l’UDN, tout d’abord, lui a fait perdre la place de candidat aux présidentielles : l’ARENA, qui intègre d’anciens membres du Parti social démocratique (getulista de centre-droit, ralliés aux militaires), échappe à son emprise. Dès les premiers mois de 1966, l’ARENA suit d’ailleurs l’« opinion des casernes » et plébiscite la candidature du ministre de la Guerre. Lacerda entreprend alors de fonder un troisième mouvement, au mépris de l’AI-2, le Parti de la rénovation démocratique (Partido da Renovação Democrático ou Parede, ce qui signifie « mur » en portugais) ; mais l’entreprise, dépourvue de soutiens, échoue. Détracteur permanent du pouvoir en place depuis presque deux décennies, il n’entend pas intégrer le parti godillot qu’est l’ARENA : il y perdrait sa spécificité d’opposant systématique et s’y compromettrait avec les « renards du PSD » tant décriés par les jeunes officiers protestataires.
28La Frente Ampla, qu’il commence à organiser dès la mi-1966, est donc avant tout un outil de survie politique. Elle voit le jour le 28 octobre 1966, quelques semaines après les élections présidentielles, sous la plume du seul Lacerda, via un manifeste revendiquant des élections libres et directes, une réforme des partis et des institutions, la reprise du développement économique et l’adoption d’une politique extérieure souveraine. La stratégie de Lacerda est la suivante : attirer des figures nationales écartées du pouvoir, afin de bâtir une puissante alternative politique. Cette « réunion de leaders » est, dès son origine, ancrée dans une logique et des réseaux d’opposition : la Frente prend son envol avec la « Déclaration de Lisbonne », datée du 19 novembre 1966, que Lacerda cosigne avec Juscelino Kubitschek, dont il avait pourtant appuyé la privation de droits politiques un an et demi plus tôt.
29Dès le mois d’août 1966, Lacerda avait d’ailleurs appuyé deux généraux dissidents, Amaury Kruel et Taurino de Rezende, entrés au MDB en protestation d’un dévoiement de la « Révolution ». Il avait alors divulgué un manifeste où il condamnait le militarisme du pouvoir, non pour défendre la démocratie civile, mais parce que la situation nuirait aux forces armées elles-mêmes, « abandonnées par le Gouvernement Castelo Branco, un Gouvernement militariste contre les militaires, aux dépens desquels il s’est installé et en faveur des défaillants et des opportunistes, au profit desquels il perdure ». Cet apparent rejet d’un pouvoir militaire éloigne Lacerda d’un appui à Costa e Silva puisque, dit-il, « je ne crois pas qu’il soit si important pour le Brésil de changer de général ». Lacerda ne renie pas pour autant le « mouvement du 31 mars » : « Il faudrait bâtir une opposition en faveur de la révolution que Castelo a déviée de son chemin, une révolution trahie ou incomprise par ceux qui, dans leur vieillesse, renient les sacrifices de la jeunesse18. » Mais ces beaux discours ne peuvent empêcher le divorce avec la droite militaire : le Pacte de Lisbonne, scellé en novembre 1966 (quelques jours après « l’élection » de Costa e Silva), qui vise à l’odieux « retour des vaincus », est un point de rupture. Le général Mourão Filho, pourtant également en pleine trajectoire dissidente, refuse de s’y rallier. Les colonels prennent leurs distances. Lacerda pourtant poursuit quelque temps son numéro d’équilibriste entre exigence à cor et à cri d’un retour à la démocratie civile, et appels du pied en direction de la « première ligne dure », en agitant notamment sa marotte du nationalisme économique.
30Au début de mandat de Costa e Silva, Lacerda, désormais à la tête de sa Frente Ampla, adopte d’abord la même attitude d’expectative que les colonels, à la fois censeur et intéressé par d’éventuelles fonctions gouvernementales. Mais le nouveau général-président y oppose rapidement une fin de non-recevoir. Lacerda profite alors de l’indéfinition politique du pouvoir et de la mise en suspens provisoire des thèmes de l’épuration, de la répression et de l’évolution institutionnelle du régime pour accroître son espace de parole : il s’épanouit, en particulier, dans la critique économique et financière du pouvoir en place, « vendu à l’étranger », de manière suffisamment vague pour que les contradictions entre ses propres positions et les idéaux industrialistes de la majorité des militaires n’apparaissent pas au grand jour. Sa rupture progressive avec la présidence Costa e Silva s’engage en juin 1967, parallèlement aux premiers actes de dissidence des colonels de « ligne dure ». La Frente Ampla ne met alors en avant que des revendications nationalistes, la question institutionnelle (tant les « instruments d’exception » que la militarisation du pouvoir) demeurant en suspens.
31Depuis la création de la Frente, le malaise entre Lacerda et ses anciens émules au sein du corps des officiers était palpable ; des événements au mois d’août 1967 précipitent la rupture. Le 18 juillet 1967, le maréchal Castelo Branco meurt dans un accident d’avion, dans son État natal, le Ceará. Le lendemain du décès, le journaliste Hélio Fernandes, proche de Lacerda et directeur du journal A Tribuna da Imprensa, longtemps l’organe officiel du lacerdismo, rédige un éditorial violemment hostile à l’héritage et à la personne du premier général président, le décrivant comme un « homme froid, impitoyable, vindicatif, inhumain, calculateur, rancunier, cruel, frustré, sans grandeur, sans noblesse, sec à l’intérieur et à l’extérieur, avec un cœur qui est un véritable désert du Sahara19 ». Cette atteinte à la mémoire de Castelo Branco lui vaut l’ouverture d’un IPM, un emprisonnement immédiat dans la prison de Fernando de Noronha et l’indignation de tous les militaires s’exprimant alors publiquement – sans distinction de faction. Hélio Fernandes, opposant à João Goulart et partisan du coup d’État, avait fait montre dès ses lendemains d’une grande méfiance à l’égard du régime. Il n’a eu de cesse de dénoncer, dans ses articles, la « dénationalisation » de l’économique brésilienne orchestrée par Castelo Branco. Le ton provocateur de ses écrits lui vaut, à cette seule période, la bagatelle de vingt-sept procès. Il se rapproche dans le courant de l’année 1966 du MDB et voit ses droits politiques suspendus pour dix ans en novembre 1966. Interdit de presse, il continue d’écrire sous un pseudonyme et poursuit ses attaques, où le nationalisme tient toujours la première place, pendant le mandat de Costa e Silva.
32Or Carlos Lacerda prend en juillet 1967 le parti de son confrère, dont il fait « le paladin de la défense du nationalisme » sous le gouvernement Castelo Branco, qui « s’est caractérisé par l’intromission étrangère dans l’économie nationale ». Il déclare que, désormais, les « groupes internationaux menés par l’ex-ministre Roberto Campos » tentent d’aveugler, à son tour, Costa e Silva, et d’étouffer la voix d’Hélio Fernandes20. Faire mine d’interpréter l’arrestation de Fernandes comme un acte antinationaliste, ourdi par des milieux d’affaires apatrides et dont les forces armées ne portent pas la responsabilité, constitue pour Lacerda un moyen de ne pas s’aliéner l’ensemble de « l’opinion militaire ». Rendant visite à Fernandes, dix jours après son incarcération, Lacerda déclare que le corps des officiers ne partage pas la colère d’une « élite », mal identifiée, contre le journaliste : preuve en seraient les bonnes conditions de détention de celui-ci et l’absence de mauvais traitements à son encontre. La stratégie de Lacerda est tortueuse : il sous-entend à la fois l’existence de tortures dans les geôles du régime, ce qui renforce son ancrage au sein de l’opposition civile, tout en exemptant dans ce cas précis les officiers du rang de toute responsabilité, afin de s’en attirer les faveurs. Le général Moniz de Aragão (ami de Castelo Branco mais doté d’un grand prestige parmi les officiers radicaux) est le premier à fustiger, au nom des forces armées, la campagne de Lacerda, et à travers lui ceux que Castelo Branco dénonçait comme les « vivandières des casernes » : des « démagogues » et des « journalistes subversifs », des « politiciens » et des « gouvernants frustrés », à qui il répète l’ordre donné à la veille du coup d’État, dans le même journal, d’« ôter leurs mains des Forces Armées21 ». Lacerda est croqué en caricature de civil amoral et manipulateur, ennemi des militaires et pire encore, insensible à leur honneur. Quelques jours plus tard dans le même journal, l’amiral Sílvio Heck donne le coup de grâce et prononce la désillusion des siens : « Le Brésil sera-t-il tenu pour responsable si l’ex-gouverneur de la Guanabara ne convainc plus personne avec ses jongleries verbales et si, à chaque jour qui passe, il éloigne un plus grand nombre d’admirateurs qui jadis appréciaient avec exaltation ses campagnes antérieures en faveur de la moralité de la vie publique et de l’union des Forces Armées22 ? »
33Lacerda s’est peut-être consolé ainsi : le mois d’août 1967 n’était de toute façon pas propice à sa stratégie. La première conférence à La Havane de l’Organisation latino-américaine de solidarité (OLAS), qui réunit divers mouvements révolutionnaires et anti-impérialistes du sous-continent, ravive en effet dans les esprits militaires la peur du « mouvement communiste international » et réduit l’espace politique du front disparate, incluant des supposés « subversifs », que Lacerda entendait constituer. Parallèlement, les premières actions armées de groupes de gauche brésiliens sont montées en épingle par certains officiers prompts à débusquer les signes effectifs de la guerre révolutionnaire dans le pays : c’est le cas de la guérilla de Caparaó, promue par le Mouvement nationaliste révolutionnaire (Movimento Nacionalista Revolucionário, essentiellement composé d’anciens militaires récemment expulsés des forces armées) dans les montagnes entre le Minas Gerais et l’Espírito Santo et démantelée en avril 1967 par la Police militaire.
34La seconde moitié de l’année 1967 est ainsi l’occasion de la mise en scène d’un fossé croissant entre élites militaires et civiles, alors que le retour du « péril subversif » éclipse déjà les thématiques nationalistes, dominantes depuis le début du mandat de Costa e Silva. Le coup de grâce que Carlos Lacerda se porte à lui-même, sacrifiant sa popularité au sein de la jeunesse militaire radicale, est la signature commune, à la fin septembre 1967, du « Pacte de Montevideo » avec l’ancien président João Goulart, exilé dans la capitale uruguayenne. L’accord était envisagé depuis les débuts de la Frente Ampla par l’ancien gouverneur de la Guanabara, mais Goulart y avait d’abord opposé des résistances compréhensibles, Lacerda ayant largement contribué à la déstabilisation médiatique et politique de son gouvernement. Le Pacte de Montevideo défend la redémocratisation du pays et déclare que les travailleurs sont les premières victimes du régime d’oppression. Le retour aux élections directes, point de convergence entre Lacerda et la gauche institutionnelle depuis 1965, est la principale revendication politique, tandis que l’exigence des « salaires plus justes » pour permettre l’expansion du marché interne est le dénominateur commun sur le plan économique et social.
35La conséquence immédiate de l’accord de Montevideo est le franc rejet de Lacerda par ses anciens disciples au sein des forces armées. Certains officiers se déclarant de « ligne dure » espèrent d’abord un recul et une rédemption du politicien, reconnaissant que « la Révolution a été ingrate avec l’ex-Gouverneur ». Mais « si Lacerda poursuit dans cette voie et ne modifie pas son comportement, il sera seul. La ligne dure ne peut pas accepter qu’il s’identifie avec le passé. Nous avons une philosophie et nous ne changerons pas de principes. Nous ne nous fondrons pas avec ce qui a été évincé par la Révolution23 ». A posteriori, les officiers de la « première ligne dure » considèrent cet accord comme le moment de la désillusion définitive, à partir duquel « Lacerda cessa d’être lacerdista ». Plusieurs années plus tard, Lacerda s’en souvient avec amertume :
« Aux premiers temps de la Frente Ampla j’ai perdu presque tous mes amis et appuis politiques. Le premier temps a ressemblé au moment de ma rupture avec les communistes, surtout les fanatiques. Plus un individu était fanatique de ma personne, plus il a été déçu. Celui qui m’appuyait rationnellement, du fait d’une convergence de points de vue, celui-là au moins a fait un effort pour comprendre. Celui-là, au moins, n’a pas pensé que j’étais devenu fou ou que j’avais trahi. Mais les dits lacerdistas chroniques, exaltés, ceux-là ont été très indignés24. »
36Lacerda ne renonce pas immédiatement aux tentatives de séduction et autres coups médiatiques qui caractérisent sa pratique politique. En outre, les critiques qu’il continue d’adresser au pouvoir (accusations de corruption, de compromission avec l’oligarchie et des tendances « americanomaniaques » du gouvernement) gardent des couleurs qui ont longtemps séduit la « ligne dure » militaire. Mais sa stratégie échoue : plus encore, les anciens alliés de l’ex-gouverneur deviennent ses plus virulents détracteurs. En février 1968, des membres de la « première ligne dure » récemment rebaptisés « orthodoxes », Francisco Boaventura et Hélio Lemos, déclarent publiquement que l’élimination de la Frente Ampla est un objectif politique prioritaire. Il faut dire que Lacerda, en plus d’avoir vendu son âme au diable par les pactes de Lisbonne et Montevideo, décrie le régime comme « militariste » ou « au garde à vous ». Il fait enfin de la « force des baïonnettes » la principale protection des corrompus et des « forces armées », dans leur ensemble, des traîtres à la révolution. De quoi estomaquer les plus fervents des admirateurs de la veille.
37De plus en plus stigmatisé comme un ennemi des militaires et du régime et non du seul gouvernement, Lacerda adopte une position qui achève de le priver de tout soutien au sein des casernes en mars 1968. Les grandes villes du Brésil sont alors touchées par une agitation étudiante croissante, inspirée par l’éveil du mouvement européen. Le 28 mars 1968, un lycéen de tout juste dix-huit ans, Edson Luís, est tué par la Police militaire lors d’une manifestation contre l’élévation du prix des repas dans un restaurant universitaire. L’assassinat suscite une émotion populaire considérable et Lacerda tente, par voie de presse, de s’en faire l’écho. Le 3 avril, un manifeste de la Frente Ampla est lu à l’Assemblée législative de la Guanabara, dont les étudiants avaient fait la chapelle ardente du lycéen quelques jours auparavant. La sanction, adoptée sous la pression des « durs », ne se fait pas attendre : le 5 avril 1968, la circulaire n° 117 du ministre de la Justice interdit toutes les activités de la Frente Ampla, sans pour l’instant priver Carlos Lacerda de ses droits politiques.
38Tout au long de l’année 1968, les colonels et Carlos Lacerda poursuivent chacun de leur côté leur sourde opposition au gouvernement en place. Leur divorce est consommé, mais leurs postures et leurs mots trahissent une culture et un passé communs. Ils partagent ce qu’ils imaginent être une certaine « éthique du pouvoir », construite par opposition à un système politique considéré comme sclérosé, décadent et isolé des préoccupations du peuple et des intérêts de la nation – autant de thématiques familières aux mouvements antiparlementaires et antipartis du vieux continent européen. Face à des oligarchies intéressées et déliquescentes, ces officiers et l’ancien gouverneur ont pour point commun de se considérer comme des hommes « purs » et idéalistes, pour qui l’action politique est un sacerdoce et la manifestation d’un héroïsme personnel. Les colonels y associent, en outre, une projection de leur identité militaire : droiture, désintéressement, courage. Le rejet du « système déposé », leitmotiv et clé de voûte du discours de « ligne dure », repose donc autant sur l’anticommunisme que sur le mépris de la politique civile et du régime parlementaire, pluraliste et, aux yeux des officiers, corrompu et oligarchique.
39Cette critique d’un pouvoir éternellement traître à la nation est en fait très proche des accusations portées à l’encontre du régime renversé. Et pour cause : la « révolution » n’aurait pas atteint ses objectifs, les gouvernements militaires reproduisant les pratiques et préservant les hommes du « système déposé ». Par ailleurs, les généraux parvenus à la tête de l’État se seraient entourés de techniciens sans grandeur ni idéaux, disposés à « vendre » le pays aux entreprises multinationales et américaines. Lacerda et ses anciens adeptes militaires n’analysent cependant pas exactement de la même manière ce « système de pouvoir » : pour le premier, le coup d’État a débouché sur une nouvelle domination politique militariste, alors que les colonels de ligne dure considèrent le plus souvent que la présidence pêche par civilisme, c’est-à-dire par ses compromissions avec les oligarchies et les politiciens de bas étage, piliers de la République depuis près d’un siècle.
Divisions et dissidences
40Au cours de la première année et demie de son mandat, le général Costa e Silva déçoit donc les attentes d’une « ligne dure » de colonels radicaux qui pensait qu’enfin son heure était venue. Celle-ci, privée de son mentor Lacerda, est prise dans l’étau d’un régime qui, en se militarisant, renforce certaines solidarités d’armes mais les place dans le même temps en situation de minorité hiérarchique. Ils ne sont cependant pas les seuls, au sein de l’institution militaire, à manifester leur mécontentement à l’égard du nouveau régime. Le climat politique des années 1966 à 1968 est en effet rendu d’autant plus complexe à appréhender que s’y multiplient des dissidences de généraux, en équilibre instable entre l’opposition sage du MDB et la tentation d’appuyer un pouvoir qui peut-être évoluera, ou leur ouvrira les portes du palais. Ces collaborations entre dissidents, consentants et hésitants, entre getulistas et antigetulistas, conspirateurs et légalistes, ARENA et MDB, si difficiles à gérer mémoriellement, offrent certaines clés pour comprendre ce que fut la vie politique sous la dictature – et les recompositions de la période de l’ouverture.
41Les profils de ces généraux dissidents sont variés. Initialement partisans du coup d’État, certains se rapprochent au début de l’année 1966 du MDB et tous tentent de résister, selon des modalités diverses, à l’autoritarisme croissant du pouvoir et à la répression politique. Le général Peri Constant Bevilacqua manifeste l’opposition la plus précoce et la plus franche à l’évolution du régime25. Il est ministre du Supérieur tribunal militaire (STM) de mars 1965 au 16 janvier 1969, date à laquelle il est démis de ses fonctions et privé de ses décorations militaires par l’AI-5. Dans les années qui précèdent le coup d’État, Bevilacqua échappait déjà en partie à la structuration dichotomique du monde militaire. Très anticommuniste, hostile aux grèves et aux mobilisations populaires, il avait cependant manifesté un ferme légalisme (raison de son appui à l’investiture de Goulart, en septembre 1961) et défendu une politique économique nationaliste, alors suspecte aux yeux d’une bonne partie de la droite militaire : en mai 1962, Bevilacqua représente ainsi le courant nationaliste dans l’élection pour la présidence du Club militaire, qui lui échappe au profil du général Augusto da Cunha Maggessi, appuyé par la « Croisade Démocratique » conservatrice, anticommuniste et antinationaliste. L’accroissement de la tension sociale et de l’indiscipline militaire, en 1963, rallie le général Bevilacqua à l’idée d’un coup d’État, à la préparation et au déroulement duquel il ne prend néanmoins pas part. D’abord bienveillant à l’égard du gouvernement Castelo Branco, il manifeste rapidement ses inquiétudes face à l’épuration politique, en particulier l’application à des civils d’outils policiers (IPMs) et juridiques militaires. Déjà membre du STM, en 1965, il défend presque systématiquement l’attribution de l’habeas corpus aux prévenus et une amnistie politique pour les victimes de « punitions révolutionnaires ».
42Ces prises de position l’isolent au sein du STM : il s’y attire, dès son entrée, les foudres du général Mourão Filho, qui l’accuse de tolérance à l’égard de la subversion et du « système déposé ». Au début de l’année 1966, pourtant, Mourão vire sa cuti et c’est conjointement que les deux officiers défendent l’amnistie des punis par la « contre-révolution du 31 mars » et des élections directes à tous les niveaux de l’État. La pensée politique du général Mourão Filho est d’une cohérence douteuse : il s’identifie longtemps à la « ligne dure » militaire, revendique un autoritarisme politique accru et son rejet précoce du gouvernement castelista s’appuie sur des arguments strictement identiques à ceux mobilisés par les colonels radicaux. Pourtant, à partir de l’AI-2 qu’il considère dans ses mémoires (écrites aux temps de l’ouverture politique, à la fin des années 1970) comme le début d’une « phase irréversible de détérioration26 », le général se fait le fer de lance d’une démocratisation politique. En janvier 1967, il déclare que la nouvelle Constitution, la loi sur la presse et la loi de Sécurité nationale (LSN), fruits du « castelismo autoritaire », plongent le Brésil dans une « longue nuit médiévale ». Il espère ensuite que le nouveau président Costa e Silva facilitera l’abrogation de la LSN, « loi d’esclavage » qui assassine des libertés publiques27. Derrière ce spectaculaire revirement se trouve d’abord un malhabile opportunisme politique. Alors que ses camarades de la « première ligne dure » espèrent accéder au pouvoir en intimidant et contrôlant les futurs « gouvernements de la révolution », Mourão opte pour la contestation frontale : en mai 1966, sur la base d’un discours nationaliste (il dénonce une politique économico-financière « antinationale ») et démocratique, il se déclare prêt à porter la candidature du MDB aux prochaines élections présidentielles. Rappelons qu’il a lui-même déclenché le coup d’État.
« Deux ans après ce mouvement, quelle est la situation ? Beaucoup d’injustices dues aux mandats annulés, aux droits politiques suspendus, aux démissions, aux expulsions, sans que les victimes, civiles ou militaires, aient eu le droit à une quelconque défense, fondamentale dans les démocraties et universellement consacrée par la déclaration des droits de l’homme. En même temps, beaucoup des principaux coupables de la corruption sont passés à travers les mailles des sanctions légales, nécessaires à une démocratie. D’innombrables dirigeants politiques à l’incontestable sens populaire et démocratique ont été sacrifiés et marginalisés28. »
43En fait, les revendications libérales et civilistes tardivement mises en avant par le général Mourão ont pour arrière-plan une conception confuse du régime politique adapté au Brésil, tantôt marquée par son passé intégraliste, tantôt méfiante à l’égard d’un exécutif fort et des représentants du peuple, mal sélectionnés par un système vicié.
44Les généraux Justino Alves Bastos et Amaury Kruel choisissent, à la même période, l’entrée au MDB comme moyen d’exprimer leurs divergences à l’égard des nouvelles orientations du pouvoir castelista. Leur dissidence naît d’une frustration : l’impossibilité, du fait d’une exigence de domiciliation électorale prévue par la « Loi d’Inéligibilités » de juin 1965 (l’Amende constitutionnelle n° 14), de participer pour l’ARENA aux élections des assemblées d’État d’octobre 1966. Cette porte fermée par ceux qui ne sont à leurs yeux que des camarades d’armes, et malgré tout leur crédit révolutionnaire – ils étaient commandants d’armées lors du coup, et non en poste dans des états-majors ou des directions militaires comme Costa e Silva et, avant lui, Castelo Branco – est pour eux le signe d’un pouvoir qui a perdu le nord. Leur mécontentement prend rapidement la forme d’une contestation du régime lui-même, comme en témoigne le manifeste diffusé par le général Kruel en août 1966, qui accompagne son entrée dans le parti d’opposition. Il y a accuse le gouvernement de « révolutionnaires de cabinet » :
« De façon décevante, [les sources d’inspiration du 31 mars] ne sont déjà plus présentes dans la mémoire de ceux qui, hommes au pouvoir aujourd’hui, se jugent les uniques révolutionnaires authentiques, comme si pour être révolutionnaire il suffisait de critiquer le Gouvernement dans l’intimité, de boire du whisky dans le confort des appartements, de rester pendu au téléphone dans des murmures de conspiration, et d’attendre la victoire des forces de combat pour sortir dans la rue et entrer dans la course aux postes-clés déjà vacants29. »
45Les attaques de Kruel visent également la répression du pouvoir, jugée excessive. Il revendique le retour au vote secret et à une démocratie réelle :
« Et plus encore, insatisfaits qu’ils sont de ces faciles conquêtes, ils s’acharnent sur les coupables et les innocents, avec une fureur punitive jamais connue dans l’histoire de nos pronunciamientos armés. […] Il s’agit en vérité d’un système d’oppression en plein fonctionnement, maintenu avec les artifices d’un bipartisme qui supprime le dialogue démocratique, puisque l’un des interlocuteurs est par avance condamné à rester en scène comme un simple figurant ou à en être expulsé. Tout ce spectacle de mystification, imposé au peuple brésilien en souffrance, a comme justification l’allégation de chercher l’amélioration démocratique30. »
46Ces dissidences, motivées en parts variables par des ambitions frustrées, un sentiment d’illégitimité du pouvoir et de réelles préoccupations libérales, se déroulent, rappelons-le, dans un contexte de forte incertitude politique : jusqu’au début de l’année 1968, malgré l’évidente militarisation du régime, la redémocratisation demeure un horizon possible. Le MDB, d’abord dans l’expectative, regarde d’un œil bienveillant la candidature, puis la jeune présidence du général Costa e Silva. Enfin, l’éclipse provisoire (jusqu’en août 1967 au moins) des thèmes de la répression et de la lutte contre la subversion dans l’espace public se produit au profit du nationalisme économique. Or, force est de constater que tous les dissidents, malgré leurs divergences sur d’autres points, défendent de longue date un virage nationaliste en politique économique et financière. Cette revendication commune contribue à établir des ponts politiques, plaçant des désaccords profonds – la « première ligne dure » demeurant ancrée à l’extrême droite politique, partisane d’une répression et d’une épuration décomplexées – sur un relatif second plan. En janvier 1966, le colonel Rui Castro rencontre ainsi le chef du groupe MDB à la chambre des députés, Vieira de Mello, afin de décider d’une éventuelle opposition commune à la politique économico-financière de Castelo Branco. L’année suivante, déjà sous la présidence de Costa e Silva, trois députés d’opposition (Marino Beck et Henrique Henkin, très liés à Leonel Brizola ; et Raul Brumini, d’obédience lacerdista) poursuivent cette opération en créant le groupe « Position Brésil » (« Posição Brasil »), ouvert aux « militaires nationalistes, idéalistes et de bonne foi ». Leur proposition se déroule quelques jours après la descente des colonels de « ligne dure » au ministère des Finances. Il s’agit d’une claire tentative de récupération politique31.
47Bien sûr, ces entreprises demeurent marginales et n’aboutissent pas à des alliances solides : un consensus minimal fait défaut à ce front d’opposition, que les acrobaties de Lacerda ne parviennent pas à fédérer. En particulier, les « officiers indépendants » difficiles à affilier à une faction militaire particulière que sont Bevilacqua, Kruel, Alves Bastos ou encore Mourão Filho divergent sur leur interprétation du processus politique initié en 1964 : alors qu’il s’agit, pour certains, d’un simple coup d’arrêt aux désordres sociaux et militaires en cours d’aggravation sous le gouvernement Goulart, la plupart des militaires estiment nécessaire une rénovation complète du système démocratique antérieur. Aucun de ces généraux ne parvient donc à émerger comme leader d’une protestation antigouvernementale, nationaliste et « démocratique ».
48Un leader nationaliste apparaît pourtant, à la fin de l’année 1967, alors que la perspective des élections présidentielles de 1970 commence à structurer la vie publique. Mais ce n’est pas un dissident, encore moins un libéral ou un démocrate : il s’agit du général Afonso de Albuquerque Lima, nationaliste reconnu et doté d’une solide légitimité radicale du fait de son rôle dans le « coup de force » raté d’octobre 1965. Loin de prétendre incarner une alternative au militarisme, il s’y glisse en construisant une popularité exclusivement militaire – il multiplie les discours nationalistes à la Vila Militar – sur une ligne d’autoritarisme politique. Rappelons qu’à la fin 1967, avant même les mouvements sociaux de l’année suivante, la réunion de l’OLAS à La Havane et l’écrasement de la guérilla de Caparaó avaient recentré le débat public sur la persistance du « péril subversif ». Un contexte plus propice au « tout répressif » et à l’acquiescement à l’autoritarisme qu’aux hésitations des dissidents.
49Dès son arrivée au ministère de l’Intérieur, le général Albuquerque Lima séduit de larges secteurs de la droite militaire par un discours d’investiture volontariste, développementiste et nationaliste. Par ailleurs, ses propos mettent en avant l’idée, très populaire parmi les colonels de « ligne dure », du « citoyen en armes » doté d’une véritable légitimité politique. Il ne s’adresse pas à la nation mais à ses seuls « camarades en uniforme », demande leur confiance, promet qu’il ne trahira pas leurs espérances et indique quel est son « idéalisme politique et moral : le nationalisme32 ». Les objectifs qu’il fixe officiellement à son administration sont la réduction des inégalités régionales, grâce en particulier au développement économique de l’Amazonie et du Nordeste, ainsi que la lutte contre la pauvreté et pour la justice sociale. Dans les propos du général, en une étrange parodie de philosophie de l’histoire marxiste, la « démocratie » serait la dernière étape de la « révolution brésilienne », « laquelle escamoterait la lutte des classes, agissant, de concert avec le nationalisme, comme un facteur agrégeant les forces nationales ». À l’arrière-plan se trouve l’idéal du « grand Brésil » ou du « Brésil puissance » hérité de la pensée autoritaire des années 1930 et mis en scène par la propagande de l’Estado Novo33, robuste économiquement, pacifié socialement et débarrassé des déséquilibres et divisions territoriales. Albuquerque Lima semble asseoir les politiques nationalistes qu’il défend sur une réflexion théorique plus poussée que les officiers de la « première ligne dure », mais les éléments qu’il met en avant sont les mêmes : pénétration limitée des capitaux étrangers, propriété nationale des richesses du sol et du sous-sol, soutien à l’initiative privée brésilienne, dans le cadre d’une politique extérieure d’alignement circonspect sur le bloc occidental.
50Le ministre de l’Intérieur émerge comme un nouveau leader militaire à la faveur d’une offensive contre le pouvoir du général Costa e Silva, désormais accusé par l’ensemble de la droite militaire des mêmes défauts « civilistes » que Castelo Branco : faiblesse, tolérance envers la corruption, compromission avec une classe politique décadente et les oligarchies héritées de l’avant-1964. Albuquerque Lima lui oppose une figure exclusivement militaire, assise sur deux piliers, familiers aux officiers radicaux : l’exaltation nationaliste et la revendication d’un approfondissement répressif et autoritaire. Sa candidature ferme la parenthèse d’une certaine indéfinition politique, en 1966 et 1967, de la protestation militaire. Elle reprend à de nombreux égards le flambeau de la ligne dure post-coup d’État et attire une bonne partie de ses membres, malgré la valse-hésitation persistante d’une poignée d’entre eux (tels Boaventura) à l’égard de Lacerda. Dès décembre 1967, l’amiral Rademaker, ministre de la Marine, manifeste publiquement sa solidarité avec Albuquerque Lima sur sa politique amazonienne. Les anciens dirigeants de la LIDER, comme l’amiral Heck et le colonel Martinelli, amis d’Albuquerque Lima, accueillent favorablement l’émergence de sa candidature aux prochaines présidentielles. Tant les idées que martèle le ministre de l’Intérieur que son style politique, viril et charismatique, ont les faveurs des jeunes officiers radicaux. De nombreux observateurs remarquent d’ailleurs le parallélisme entre ses ambitions présidentielles et celles, deux années plus tôt, du ministre de la Guerre, à la différence près qu’Albuquerque Lima est général de division, et non d’armée : il n’est pas parvenu au sommet de la hiérarchie militaire et, à ce titre, ne devrait pouvoir prétendre à la magistrature suprême.
1968 : l’entrée en guerre
51À la fin de l’année 1967, le discours anticommuniste des médias, des élites politiques et des chefs militaires se durcit. Parallèlement, l’enseignement de la « guerre révolutionnaire » dans les écoles militaires s’infléchit : outre la formation théorique, qui fit tâche d’huile au sein de la hiérarchie depuis la fin des années 1950, s’organise désormais l’instruction pratique. En décembre 1966 est ainsi créé à l’AMAN, l’académie de formation des cadets, un Département d’instruction spéciale (Departamento de Instrução Especial, DIEsp) chargé de stages auparavant dirigés par les parachutistes de la Vila Militar : combats dans la jungle, dans la montagne, de guérilla34. Le DIEsp entre en activité dès 1967 ; des entraînements de guérilla se déroulent alors un peu partout dans les casernes du pays et le ministre de l’Armée Lira Tavares en fait la tournée au mois de novembre. L’alourdissement du climat anticommuniste au sein du monde militaire est également perceptible dans les « conférences » organisées à l’AMAN, qui se multiplient à partir du mois de mai 1968 et concernent exclusivement, pendant un an, la « démocratie » à protéger contre « le marxisme » et « le communisme » engagés dans leur entreprise de « domination du monde ». On y entend, entre autres, des colonels de l’ECEME sur « L’Action Communiste au Brésil », le député d’extrême droite Clovis Stenzel sur les fondements de la démocratie, l’évêque de Diamantina Geraldo Sigaud (membre de l’organisation catholique intégriste « Tradition, Famille, Propriété ») sur « La Doctrine Sociale de l’Église et la Guerre Révolutionnaire ». À l’intérieur et à l’extérieur de la caserne, la révolution communiste redevient donc un thème et une préoccupation omniprésents dans le débat public. Cette inflexion résulte d’un changement de conjoncture nationale et internationale, mais aussi d’une maturation répressive et autoritaire du régime, qui s’arme et entraîne ses troupes à la « guerre » ayant justifié son instauration.
52À partir du mois de mai 1968, les déclarations d’officiers se multiplient en deux sens : la dénonciation de « l’escalade subversive », parfois assortie d’appels à une radicalisation politique, et la stigmatisation d’une classe politique empêchant le gouvernement « révolutionnaire » de prendre des mesures adaptées – depuis mars, en effet, l’opposition du MDB au Congrès se durcit. Un manifeste anonyme diffusé début mai propose la constitution d’un véritable « État militariste », appuyé sur les seuls entrepreneurs et débarrassé du poids antirévolutionnaire de la politique civile35. Mais la pression politique n’émane alors principalement ni de l’historique « ligne dure », discrète ou engagée au contraire dans la défense d’élections directes, la réforme de la Constitution et l’amnistie partielle des victimes des punitions révolutionnaires (selon une déclaration anonyme d’officiers « orthodoxes » en août 196836) ; ni plus généralement de la droite militaire de grade intermédiaire. Ce sont surtout de hauts gradés de l’armée de terre, d’obédiences diverses, qui s’expriment par voie de presse pour faire part de leurs inquiétudes face aux événements en cours. Le 26 juin 1968 se cristallisent colères et mécontentements : c’est le jour choisi par les organisations étudiantes de Rio de Janeiro pour appeler à une manifestation de masse qui, rejointe par des artistes, intellectuels, hommes politiques et simples citoyens se transforme en une « Marche des Cent Mille » (Passeata dos Cem Mil) de contestation frontale de la dictature. Le même jour, le mouvement Avant-garde populaire révolutionnaire (Vanguarda Popular Revolucionária – VPR) réalise l’une des premières opérations d’ampleur d’un groupe armé : ses militants prennent d’assaut le Quartier général de la IIe armée, à São Paulo, tuant un soldat de 19 ans, Mário Kozel Filho. Ces deux événements concomitants démontrent, aux yeux de ces généraux qui s’expriment de plus en plus publiquement, que la révolution communiste est véritablement en marche, à la fois sous la forme d’un soulèvement des masses et des premières opérations de guérilla. Le général Carvalho Lisbôa, commandant de la IIe armée, déclare à cette occasion qu’il ira « chercher les communistes partout où ils sont infiltrés, dans l’Église, dans les lycées, dans les usines et même en enfer ». « C’est une tumeur qui devait éclater. C’est quelque chose de monté par des gens agissant de l’étranger. On attendait déjà les attentats. Je ne suis pas un bonnet de nuit. Je le voyais venir, mais la violence me stimule. Si on me donne une claque, je ne tends pas l’autre joue. Je ne suis pas biblique. Si on me tire dessus, il vaut mieux que ce soit dans le dos, parce que sinon celui qui a essayé, je le mange37. » Quelques jours plus tard, l’amiral Sílvio Heck se joint à l’alarmisme ambiant. Il se fait le porte-parole de la force maritime, qu’il dit résolue à lutter contre « le terrorisme anarchiste qui endeuille les foyers, fait couler les larmes de mères dévouées, mutile des enfants innocents, fait exploser des casernes, frappe des officiers et empêche le travail pacifique du brésilien38 ».
53L’anticommunisme militaire n’est pas seulement ravivé par les troubles politiques et le bouillonnement culturel de l’année 1968 : il change de ton. Alors que la destruction de la famille, la mise à bas de la morale et les dégâts du matérialisme athée n’étaient pas jusqu’alors centraux dans les propos publics de militaires, ils deviennent les preuves obsessionnelles des progrès de la subversion. Le général Albuquerque Lima se montre tout particulièrement préoccupé par ces thématiques sociétales, qu’il associe à l’infiltration de l’Église par les agents du communisme : une partie du clergé, autour de la Conférence nationale des évêques du Brésil (Conferência Nacional dos Bispos do Brasil, CNBB) et des Communautés ecclésiales de base nées du concile Vatican II, vit alors une révolution culturelle et politique qui ouvre un dialogue avec le socialisme et suscite une croissante opposition au pouvoir militaire. En octobre, face aux officiers du Cercle militaire de São Paulo, le général Albuquerque Lima s’adresse aux « communistes, aux curés et aux évêques de la gauche festive, à ceux qui se disent étudiants et font le jeu de puissants groupes économiques, enfin, à ceux qui ne veulent pas du nouvel ordre que tente d’imposer la Révolution39 ». Albuquerque Lima se fait ici l’écho d’une réorientation de l’anticommunisme brésilien (et, plus généralement, occidental) vers une dénonciation accrue de la liberté sexuelle, la consommation de drogues, l’oisiveté et la contestation des symboles de l’autorité, vus comme les nouveaux outils du communisme pour formater les consciences.
541968 constitue en effet un moment de réinvention de l’intégrisme catholique brésilien contre la « subversion communiste », sous l’influence de Gustavo Corção, écrivain et universitaire conservateur qui diffuse ses thèses dans la grande presse conservatrice (O Estado de São Paulo) et dans son journal Permanência40. Certains officiers se font les hérauts de ses thèses dans l’aire militaire : c’est le cas du général Moacir Araújo Lopes, né en 1918, fervent catholique et puritain, très préoccupé d’éducation morale (il devient en 1969 le premier président de Commission nationale de morale et civisme, organe public de défense de la morale et des bonnes mœurs, créé en septembre 1969). L’organisation catholique traditionaliste, paramilitaire et sectaire Tradition, Famille, Propriété (Tradição, Família, Propriedade, TFP), fondée en 1960, accroît alors sa visibilité publique et contribue au virage religieux et moraliste de l’anticommunisme militaire. L’obsession du fondateur de TFP, Plínio Corrêa de Oliveira, pour la domination de la gauche sur les moyens de communication, les universités, la presse, l’Église et tous les prescripteurs et relais d’opinion intègre alors le répertoire politique de la droite militaire, pour ne jamais plus le quitter.
55Le regain d’un anticommunisme militaire paranoïaque, obsédé par l’infiltration et la contamination subversives, s’accompagne d’une renaissance de la violence politique de droite, dont les cibles privilégiées sont justement les théâtres, maisons d’édition, centres universitaires et organes de presse. Le terrorisme d’extrême droite ne constitue cependant pas un simple indicateur d’anticommunisme : il s’agit aussi d’un renoncement à d’autres modes de participation politique et d’un acte de défiance à l’égard des autorités, voire d’une tentative de déstabilisation de celles-ci. Alors que la prise de parole publique, au sein des forces armées, devient l’apanage des généraux, renaît un mode d’action non seulement contraire aux règlements disciplinaires, mais aussi clandestin, criminel, mal connu du gouvernement et peu inséré dans la chaîne de commandement. Cette nébuleuse radicale, en partie nouvelle, est en transition entre les violences des groupuscules civils-militaires pré-1964 et celles des organes policiers après les années de plomb, à la fin des années 1970. Les attentats et actes de violence témoignent d’une ambition de pression sur le pouvoir et non plus de participation à celui-ci.
56Les mouvements d’extrême droite responsables d’actes violents au cours de l’année 1968 sont le Commandement de chasse au communistes (Comando de Caça aos Comunistas, CCC), le Mouvement anticommuniste (Movimento Anticomunista, MAC), ou encore le Groupe secret (Grupo Secreto). Leur composition, leurs relations, leurs objectifs et leurs modes d’action sont mal connus. L’essentiel des informations à disposition des chercheurs sont des travaux journalistiques, réalisés à partir d’entretiens, d’archives parcellaires et d’informations parues dans la presse de l’époque. La séquence des événements (une vingtaine d’attentats à la bombe ou de graffitis essentiellement) est à peu près identique dans tous les récits41. Seuls les artistes, les journalistes et les intellectuels s’attirent alors l’ire des extrémistes, dans un « terrorisme blanc » qui ne fait pour l’heure pas de victime.
« Vu que le gouvernement ne faisait pas grand-chose et que les communistes s’étaient mis à commander, nous avons retourné la situation politique, dans le but de combattre la guérilla. Qui sont nos ennemis ? Ce sont les gauches ! Quelle est la partie la plus vulnérable de la gauche ? La gauche festive. Comment elle se manifeste ? Par le théâtre, la télévision, les journaux, etc. Comment l’opération pourra-t-elle être le plus facilement lancée ? Certainement dans les théâtres, où il y a le plus d’agitation et qui dissimule l’opération… alors nous allons faire l’opération dans les théâtres42. »
57Aucune enquête n’étant diligentée, un certain mystère plane toujours sur les auteurs des attentats. Certains témoins en rendent responsable un énigmatique « Groupe Secret », réunissant des officiers de l’aéronautique et, dans une moindre mesure, de l’armée de terre et des activistes civils, mêlés à toutes les révoltes et coups de force depuis le deuxième gouvernement Vargas (1951-1954)43. Ce réseau est lié à une partie de la « première ligne dure », celle de Martinelli, mais pas aux « officiers de troupe » proches de Boaventura. Nés autour de 1920, ces militaires se sont souvent fréquentés sur les bancs de l’École des cadets de l’Armée de terre avant d’opter, pour certains d’entre eux, pour l’École de l’air. Alberto Fortunato, Osnelli Martinelli, Rubens Vaz (mort lors de l’attentat de la rue Toneleros contre Lacerda en août 1954) et Haroldo Veloso (l’un des meneurs d’Aragarças) font ainsi partie initialement de la même promotion, même si seuls les deux premiers sont demeurés dans l’armée de terre. Les expériences communes, en particulier les rébellions de Jacareacanga et Aragarças, dans les années 1950, renforcent les solidarités et le leadership apparent d’un colonel-aviateur : João Paulo Moreira Burnier, un risque-tout aussi à l’aise dans la mutinerie que dans le passage à tabac d’opposants, et autres actes de violence politique.
58Une partie seulement de ces réseaux de « révolutionnaires historiques » opte en 1968 pour la pratique d’attentats. Le major-aviateur Alberto Fortunato est l’un d’eux. Vétéran des révoltes des années 1950, membre de groupuscules extrémistes anticommunistes avant le coup d’État puis de la LIDER, Fortunato explique dans les années 2000 comment et pourquoi de nombreux officiers ont opté pour la violence politique quarante ans auparavant. Il indique notamment que la constitution d’un appareil d’espionnage intérieur et de répression policière, à cette période, a permis à des officiers particulièrement exaltés, qui s’étaient portés volontaires pour ces tâches, de se retrouver et de s’organiser ensemble. En effet, à partir de 1967, la dictature militaire s’arme contre la « subversion intérieure ». Le Centre d’informations de l’armée de terre (Centro de Informações do Exército, CIE), fondé en mai 1967 et essentiellement peuplé, à ses débuts, d’officiers de la Vila Militar, devient rapidement une base arrière pour le « Groupe secret ». Le colonel Luiz Helvécio da Silveira Leite, l’un des fondateurs du Centre, est le principal instigateur de l’interpénétration de ce que l’on commence à appeler la « communauté de sécurité » et des réseaux activistes. Né en 1923, sorti de l’AMAN en 1947, il appartient à une génération à peine plus jeune que les « colonels des IPMs » au cœur de la « première ligne dure » : il n’occupe, au moment du coup d’État, que le grade de major. Conspirateur actif depuis le ministère de la Guerre, à Rio de Janeiro, il se forme précocement en « techniques psycho-sociales » (interrogatoires et espionnage) et entre avant même l’investiture du général Costa e Silva à la présidence, en 1966, à la section d’informations (la seconde) de l’état-major de la Ire armée. Il se trouve au cœur de la répression contre la guérilla de Caparaó, avant d’être transféré au tout nouveau CIE, à Rio puis à Brasília, comme chef de la Section de Contre-Information, au moment de la mise en branle du « Groupe secret ».
59Il existe un parallèle évident entre la pratique de la violence politique par des membres des tout jeunes organes de renseignement et de répression, en particulier le CIE, et l’activisme des colonels des IPMs aux premiers temps de la dictature. Dans les deux cas, des officiers aux convictions anticommunistes affichées et, souvent, au passé de conspirateur et de séditieux, sont nommés aux fonctions de répression. À la différence près que les agents de 1968 et 1969 sont bien plus spécialisés, et formés à leurs tâches que leurs congénères de 1964 : le pouvoir, depuis le coup d’État, a en effet commencé à bâtir des filières de formation d’« officiers de renseignement », qui incluent des cours et des stages dans des centres au Brésil (notamment au Centre d’études du personnel/CEP, à Rio) et aux États-Unis. Les quelques officiers engagés dans les actes de violence politique de 1968 ont donc la caractéristique, en plus d’être des militants d’extrême droite depuis leur prime jeunesse, d’avoir été formés et réunis par un pouvoir militaire à qui ils s’opposent pourtant.
60Les groupuscules qui revendiquent des attentats et agressions ne sont que la partie émergée de l’iceberg : plusieurs sources nous signalent qu’en dehors de l’appareil répressif et de renseignement, également, de nombreuses organisations voient le jour, sur lesquelles nous savons généralement peu de chose. L’Avant-garde révolutionnaire (Vanguarda Revolucionária), qui se donne pour objectif de « promouvoir le regroupement des partisans de la révolution » contre « la réarticulation des communistes et des corrompus, avec l’appui d’une faction de l’Église et de politiciens intéressés à la restauration de leurs privilèges, dans le but de renverser le Gouvernement et le régime démocratique issus de la Révolution de 196444 » ; le Mouvement anticommuniste de l’aéronautique (Movimento Anticomunista da Aeronáutica), très critique envers le gouvernement ; ou encore l’Étincelle nativiste (Centelha Nativista), créée à Bahia à la fin 1968 ou au début de 1969. Cette dernière organisation est une sorte de secte ultra-nationaliste et fascisante, fondée par des officiers parachutistes (José Valporto de Sá, Kurt Pessek, Ivan Zanoni Hauser et un certain colonel Jaeger) et des professeurs du lycée militaire de Salvador. Le colonel Pessek en raconte la création :
« Et là Valporto dit : et notre slogan va être “le Brésil au-dessus de tout” (“Brasil acima de tudo”). Le groupe s’appelait Centelha, et il avait un petit journal appelé “l’Appât” (“Isca”). “Isca” et “centelha”. Ah… rires (plusieurs fois), et maintenant notre slogan va être “Brasil acima de tudo”, alors ça se complique. Parce qu’il y a “Deutschland über alles” (explosion de rire). Valporto… eh on ne va pas prendre tout d’eux ? Valporto aimait les symboles, il a inventé des symboles, il fallait mettre la main sur le cœur : il a inventé une espèce de société secrète45. »
61Le slogan, les rituels, les symboles, la posture corporelle qu’invente le major parachutiste Valporto de Sá témoignent d’une attirance pour de style fasciste transmis par le biais d’un souvenir d’intégralisme et des rituels de l’Estado Novo. La Centelha Nativista a ensuite plusieurs vies, souvent mal distinguées tant par les services d’informations (comme le SNI) que par les médias : elle renaît de ses cendres au sein de la brigade parachutiste de la Vila Militar, quelques mois plus tard ; survit comme un groupe militaire nationaliste courtisé par une partie de la « gauche » civile sous la présidence d’Emílio Garrastazu Médici (1969-1974) ; et constitue un groupe de pression favorable à l’ouverture à la fin du gouvernement d’Ernesto Geisel (1974-1979). Nous reviendrons sur ces ambiguïtés et ces étonnants revirements.
62La floraison de groupuscules d’extrême droite militaire en 1968 montre qu’au-delà des quelques actions armées, qui concernent un nombre très restreint d’officiers, des dynamiques comparables à celles observées avant le coup d’État se reproduisent au sein de l’institution, c’est-à-dire l’organisation politique en archipel des militaires, dans le dessein de seconder les autorités, ou de compenser leur « omission », dans la lutte contre la subversion. Il ne s’agit plus d’orienter le pouvoir, mais d’agir dans son ombre, en contradiction flagrante avec l’exigence d’apolitisme des officiers que l’exécutif tente pourtant depuis quatre ans de rétablir à son profit. Celui-ci, cependant, ne s’oppose pas en bloc à ce nouvel activisme, fût-il armé, qui dispose de soutiens au sein de l’administration et des ministères. De plus, la consolidation des organes de répression offre une protection ainsi qu’une réserve d’adeptes, formés et armés, à ces groupuscules.
63Seule une partie de la « ligne dure » de 1964-1967 s’engage dans cette voie et passe à l’acte violent, reproduisant en fait des pratiques du début des années 1960, dans le cadre nouveau du régime dictatorial. Pour comprendre ce nouveau chapitre, la nature militaire, ou même « révolutionnaire » du régime, a moins d’importance que ses traits policier et répressif. Ces hommes n’ont plus la participation au pouvoir en ligne de mire. Leur but n’est plus d’obtenir la reconnaissance publique de leur légitimité politique, mais de terroriser et réprimer l’opposition, par eux-mêmes puisqu’ils jugent le pouvoir timoré, ou trop lent à le faire. Ils sont insérés dans l’appareil d’État mais se méfient du pouvoir, qu’ils tendent à considérer comme intrinsèquement corrupteur et éloigné de l’authenticité révolutionnaire (selon le dicton du colonel Octávio Moreira Borba, membre du CIE et lié au Groupe secret : « Un ministre c’est comme des pâtes. Tu le mets dans la casserole il ramollit46 »), un discours qu’ils partagent avec de nombreux officiers radicaux ayant choisi les chemins de la dissidence.
64Le « radicalisme » militaire et les agissements et excès des membres des jeunes « organes de sécurité » modifient, avec la répression des mouvements sociaux, l’image de l’armée et du régime dans l’opinion. Un scandale impliquant une unité de la force aérienne, en octobre 1968, fait figure de goutte d’eau : la réputation de l’institution est ensuite définitivement entachée. Il touche l’escadron aéroterrestre de sauvetage, plus connu sous le nom de PARA-SAR (Paraquedista Search and Rescue), destiné au secours des populations lors de catastrophes naturelles. En avril 1968, le désormais brigadier João Paulo Moreira Burnier, chef de cabinet du ministre de l’Aéronautique, ordonne au commandant de PARA-SAR d’impliquer son unité dans la répression du mouvement étudiant, mais aussi de pratiquer clandestinement des attentats et des assassinats politiques. Il veut faire d’une pierre deux coups : en accuser la gauche et se débarrasser de certaines personnalités devenues gênantes comme Carlos Lacerda, Juscelino Kubitschek, le général Mourão Filho, ou encore l’évêque Dom Helder Câmara, l’une des premières autorités ecclésiastiques à s’élever contre la violence d’État. Burnier rentre alors tout juste de la zone du canal de Panama, où il a suivi un cours de renseignement offert par des instructeurs américains, à l’École des Amériques ; il met immédiatement à profit ses nouvelles compétences en participant à la fondation du Centre d’informations de l’aéronautique (Centro de Informações da Aeronáutica, CISA), qui sera opérationnel quelques mois plus tard. Mais l’entreprise perverse imaginée par Burnier est rapidement ébruitée, la faute à un capitaine de PARA-SAR, Sérgio Ribeiro Miranda de Carvalho (dit « Sérgio Macaco »), qui ose s’y opposer publiquement. Il recourt aux échelons supérieurs de la hiérarchie et obtient le soutien du directeur des Routes aériennes, le brigadier Itamar Rocha, ainsi que du vétéran du mouvement des tenentes et très respecté brigadier Eduardo Gomes. L’affaire divise l’aéronautique et bientôt l’ensemble des forces armées en deux camps. Elle aboutit à l’emprisonnement disciplinaire, en septembre 1968, du capitaine Sérgio47.
65Au-delà de la folie meurtrière dont le projet témoigne, la date de sa révélation à l’opinion publique, en octobre 1968, au cœur de la principale crise politico-militaire de la dictature, lui donne une importance toute particulière. La presse, le groupe MDB au Congrès, Lacerda (qui tente d’impliquer ses réseaux militaires dans la dénonciation du terrorisme dans l’armée) s’emparent de l’affaire alors qu’une partie du gouvernement a engagé au début du mois de septembre une guerre ouverte contre le pouvoir législatif et que des signes de malaise profond émanent de la jeunesse des écoles militaires.
L’opinion militaire et la fermeture du régime
66Du 29 août 1968, date à laquelle la Police militaire envahit l’université de Brasilia (UnB) dans un déchaînement de violence, au 13 décembre 1968, lorsqu’est édicté le cinquième Acte institutionnel (AI-5), la mécanique du régime militaire se referme sur le pays. Avec l’AI-5, les officiers les plus hostiles à tout contre-pouvoir ou manifestation d’opposition, et ceux partisans d’une épuration définitive, se voient exaucés au-delà de leurs espérances. En effet, le texte de l’Acte comprend uniquement des mesures qui ont été revendiquées ou exigées par les « lignes dures » ayant successivement contesté le régime sur sa droite, depuis le coup d’État. L’AI-5 semble accomplir le programme de l’extrême droite militaire – un programme certes exposé dans la confusion, mais dont les récurrences, depuis 1964, sont clairement perceptibles.
67La crise politico-militaire que l’AI-5 conclut est inaugurée par deux prises de parole à la Chambre des députés, au début de septembre. Márcio Moreira Alves, journaliste connu pour ses prises de position contre la torture (il a publié, en 1966, le brûlot Torturas e Torturados) et élu du MDB pour la circonscription de Rio de Janeiro, s’y montre véhément contre l’invasion par la troupe de l’UnB : dans un premier discours, prononcé le 2 septembre, le parlementaire fait des événements de Brasilia l’archétype d’une politique fondée sur la répression et la torture. Il stigmatise la bienveillance gouvernementale envers les tortionnaires et les assassins qui peuplent les filières des forces armées, mentionne des cas de sévices et dénonce l’absence de toute enquête. Le lendemain, il réitère ses attaques contre le pouvoir :
« Monsieur le Président, Messieurs les Députés, tous reconnaissent, ou disent reconnaître, que la majorité des Forces Armées n’approuve pas l’élite militariste qui perpètre des violences et maintient ce Pays sous un régime d’oppression. Je crois qu’est arrivé, après les événements de Brasilia, le grand moment de l’union pour la démocratie. C’est aussi le moment du boycott : les mères brésiliennes se sont déjà manifestées48 ; toutes les classes sociales clament leur rejet de la violence. Cependant, cela ne suffit pas. Il faut que soit établi, surtout de la part des femmes, comme cela a déjà commencé dans cette Maison par des femmes de parlementaires de l’ARENA, le boycott du militarisme. Le 7 septembre arrive. Les élites militaristes cherchent à exploiter le sentiment profond de patriotisme du peuple et demanderont aux lycées de défiler avec les bourreaux des étudiants. Il faudrait que chaque père, chaque mère se convainque de ce que la présence de ses enfants dans ce défilé est une aide aux brutes qui frappent et mitraillent dans les rues. Et donc, que chacun boycotte ce défilé. Ce boycott peut aussi passer – en parlant toujours des femmes – par les jeunes filles, celles qui dansent avec les cadets et sortent avec les jeunes officiers. Il faudrait, aujourd’hui au Brésil, que les femmes de 1968 imitent les femmes de São Paulo de la guerre des Emboabas49 et refusent l’entrée de leur maison à ceux qui salissent la Nation, refusent d’accepter ceux qui se taisent et, de ce fait, deviennent complices. N’être pas d’accord en silence ne sert à rien. Il faut maintenant agir contre ceux qui abusent des Forces Armées, parlant et agissant en leur nom50. »
68L’appel à la grève féminine est transgressif à plusieurs égards. En demandant aux femmes de refuser leurs faveurs aux cadets et aux jeunes officiers, Moreira Alves prive ces derniers d’une partie de leur statut social – qui fait d’eux de « bons partis », donc les membres d’une certaine élite. Par ailleurs, son discours attaque l’un des piliers de l’institution militaire, la hiérarchie, puisqu’il prie les officiers de s’élever contre l’élite militariste. De plus, proposant une rupture entre civils et militaires, il fissure l’image d’un « mouvement révolutionnaire » réalisé par les seconds à la demande des premiers. Enfin, ces allusions à l’intimité des nouvelles générations d’officiers sont ressenties comme une offense inacceptable, car elles touchent au cœur du sacré : l’honneur militaire.
69Ces deux déclarations sont le point de départ d’une offensive militaire graduée destinée à obtenir du Congrès la privation de droits politiques et de mandat du député (sa cassação), malgré son immunité parlementaire ; s’ensuit un bras de fer avec le pouvoir législatif, qui y joue et y perd les restes de son autorité et de son prestige. Pour la droite militaire, ces discours constituent un prétexte pour se débarrasser d’un fief de la « classe politique oligarchique » : le congrès. C’est d’ailleurs sous le titre « le prétexte » que Márcio Moreira Alves lui-même raconte l’événement51. L’efficacité de ce « prétexte » tient à deux éléments, fondamentaux dans la crise : d’abord, la construction d’un consensus militaire autour de la fermeture du régime ; ensuite, l’identification de la classe politique comme l’ennemi, d’urgence, à abattre. Ces deux processus se déroulent conjointement au cours des trois longs mois qui séparent les discours du député et l’édiction de l’AI-5.
70Dès les premiers jours de septembre, les voix militaires qui font ostensiblement pression sur le gouvernement pour obtenir des mesures radicales ne se recrutent pas dans les seules factions étiquetées comme « radicales ». La vieille ligne dure des colonels, privée d’influence et pour une petite partie d’entre elle tentée par un lacerdismo d’opposition, entre dans le débat en ordre dispersé. Tout au long des deux mois de procédure, ce sont des généraux qui tiennent le haut du pavé. Les ministres militaires ouvrent le bal en réclamant à la présidence des sanctions sévères contre le parlementaire. Le chef du Cabinet militaire, le général Jayme Portella de Mello, relaie cette requête auprès du ministre de la Justice. Mais le STF ne peut expulser le député de la Chambre qu’avec l’approbation de l’Assemblée qui, après moult tergiversations la refuse le 12 décembre. L’AI-5 est la conséquence directe de cette fin de non-recevoir. Au cours de ces deux mois de procédures, d’autres généraux, le plus souvent associés dans les témoignages à des positions radicales, manifestent auprès du pouvoir leur attente d’une solution « révolutionnaire ».
71Les plus haut gradés sont alors seuls en scène : ils sont les porte-parole, hiérarchiquement autorisés, des attentes de la base militaire qui demeure intégralement dans l’ombre, dépourvue de relais de rang intermédiaire. Un seul colonel fait parler de lui : Francisco Boaventura Cavalcanti Júnior, tout juste rentré d’une mission à l’étranger, qui s’oppose en coulisses au nouvel AI et organise, avec certains milieux politiques, une forme de résistance. Peu le suivent dans cette voie ; certains de ses proches expliquent sa prise de position comme le résultat d’une désinformation et d’une désorientation personnelles. Selon le colonel Tarcísio Nunes Ferreira, proche du même groupe, Boaventura « n’avait pas encore senti la pression » ; « il a été pris comme ça par surprise, à peine revenu du voyage à l’étranger, sans être complètement inséré dans le contexte du processus révolutionnaire52 ». Le témoignage du général Jayme Portella est bien différent : il indique que le colonel Boaventura, loin de se prononcer brièvement et par surprise, s’est entretenu à plusieurs reprises avec les milieux d’opposition (notamment les députés Mário Covas et Renato Archer, du MDB, qu’il a reçus chez lui) et qu’il était en cela suivi par un petit groupe d’officiers supérieurs lacerdistas53. L’ambassadeur américain parle au même moment d’un « groupe » autour du colonel, hostile au nouvel Acte institutionnel54. Enfin, à la veille de sa promulgation, des « orthodoxes » anonymes continuent de diffuser d’étranges manifestes libéraux, indiquant que « la pensée dominante est que nous devons retourner aux casernes et rendre le pouvoir suprême à un civil55 ».
72Les généraux qui réclament, en novembre et décembre 1968, des mesures de rétorsion contre les parlementaires puis contre l’Assemblée elle-même, prétendent systématiquement s’exprimer au nom des forces armées, supposées « en ébullition ». Márcio Moreira Alves conteste cette image de « l’opinion des casernes » et en fait l’un des axes de sa défense. Entendu par la Commission parlementaire « Constitution et Justice », le 18 novembre 1968, il considère que :
« [Le général Lira Tavares] a voulu présenter l’initiative ministérielle comme le fruit d’une pression indignée d’officiers face [à mon] discours. Le simple examen des dates démontre que cette pression, si elle est vraie, n’a pas due être exercée par un nombre important, encore moins considérable, d’officiers. La faiblesse des moyens de communication au Brésil, le retard traditionnel avec lequel les lettres et les télégrammes sont délivrés et, principalement, la faible circulation du Diário do Congresso, dont le numéro du 4 septembre ne circule qu’après cette date, et enfin la façon extrêmement restreinte avec laquelle le discours a été divulgué dans la presse écrite, même pas mentionné à la radio, permettent de déduire que la fameuse pression des bases est surtout produite par l’imagination d’un petit groupe d’officiers auquel le Ministre a eu accès plutôt que du corps des officiers56. »
73Les généraux radicaux ne sont pas alors les seuls à utiliser la pression de la base comme argument principal pour justifier leurs positions : l’opposition fait la même chose, utilisant le malaise qui couve dans les casernes depuis le début de l’année 1968, et que la répression accroît. Goulart, depuis son exil uruguayen, montre clairement l’espoir placé dans le malaise et l’insatisfaction militaires. Il lance le même jour un appel afin d’inciter à la révolte les militaires « qui n’acceptent pas le rôle de gardiens d’un ordre injuste et inhumain, qui humilie notre patrie, opprime les camarades les plus pauvres et révolte la jeunesse, opposant le soldat au peuple comme s’ils devaient être ennemis57 ». Parallèlement, les officiers favorables à un virage autoritaire mènent campagne : à la mi-octobre, le second discours de Márcio Moreira Alves est distribué sous forme de feuillets dans toutes les garnisons du pays. Or, chose étonnante, les arguments portent dans les deux camps les mêmes couleurs : il s’agit de défendre l’honneur, la dignité et le prestige de l’armée, pour les uns contre la subversion (journalistes, politiciens, « gauche festive ») et, pour les autres, contre un gouvernement qui fait que le peuple ne voit plus sous l’uniforme que le tortionnaire.
74L’éclosion du scandale de PARA-SAR en octobre, qui divise profondément l’armée de terre et l’aéronautique, accroît l’inquiétude de certains secteurs du corps des officiers quant à la dégradation de l’image de l’armée dans l’opinion. En témoigne un manifeste de centaines d’élèves de l’École de perfectionnement des officiers (EsAO), rendu public le 1er novembre 1968 :
« L’armée Brésilienne, qui a toujours été considérée comme la gardienne des institutions et qui est, par tradition historique, une des plus légitimes consciences démocratiques, est aujourd’hui considérée par l’opinion publique comme un usurpateur et un privilégié, et comme le responsable de la réaction des valeurs de notre société, qu’elles soient politiques, économiques ou sociales58. »
75Les capitaines ne prétendent pas rédiger un texte politique et affirment que l’armée soutient la réalisation des objectifs du Gouvernement, mais évoquent un discrédit croissant, lié à la « corruption » et à la « dénaturation de la mission de l’Armée ». Le manifeste est intéressant à plusieurs titres. D’abord, son contenu est quasi exclusivement consacré à des questions corporatistes : politique de promotions et de mutations, défaillances du système d’enseignement militaire, faiblesse des soldes. Il témoigne à la fois du réel malaise professionnel et du mythe de forces armées alors obsédées par le processus politique. En outre, l’instrumentalisation dont il fait immédiatement l’objet montre l’enjeu qu’il représente, comme concentré d’opinion militaire, pour les principaux acteurs du jeu politique. Le ministre Lira Tavares en désamorce les aspects contestataires en le réduisant à la question des soldes et des conditions de vie du jeune officier. João Goulart propose sa propre exégèse, considérant que le manifeste prouve que « la grande majorité des militaires s’est déjà convaincue que le moment est venu de rendre le pouvoir aux civils59 ».
76Le mécontentement militaire devient alors l’objet d’une lutte symbolique entre hommes politiques, généraux et journalistes, qui profitent du flou qui entoure l’état de « l’opinion militaire » : il s’agit de rendre l’adversaire responsable de l’opprobre dont les officiers sentent leur institution couverte, afin de s’attirer leurs faveurs. Tous mènent campagne dans un corps des officiers dont « l’opinion » a acquis une forme de souveraineté politique.
77Cette campagne se fond dans les débats, de plus en plus présents, sur la future succession présidentielle : le général Albuquerque Lima sillonne les garnisons, avec une prédilection pour la Vila Militar, tantôt pour défendre la revalorisation du statut des officiers ; tantôt pour promouvoir son action gouvernementale, saturée de nationalisme et très préoccupée par la question amazonienne ; tantôt pour fustiger les prêtres libéraux, se défendre de fréquenter les politiciens, faire l’apologie d’un nouvel Acte institutionnel et d’une « révolution » d’encore cinq ou dix ans. À la fin novembre, Albuquerque Lima est en véritable tournée électorale dans les casernes du pays, objet de chroniques quotidiennes dans la presse et d’inquiétude du pouvoir. Au même moment, un colonel orthodoxe (probablement le colonel Boaventura ou l’un de ses proches) répète son désir d’un candidat civil au prochain scrutin, « non par incapacité des militaires, mais parce c’est assez de rendre les Forces Armées et, principalement, l’Armée de terre, responsables de tout le mal qui existe dans le pays60 ».
78Les généraux qui exercent alors une pression décisive sur la présidence de la République s’expriment systématiquement au nom des forces armées, dont ils prétendent défendre l’honneur et le rôle constitutionnel. Or le combat qu’ils livrent dans ces derniers mois de 1968 n’est pas une guerre contre la subversion communiste, le désordre étudiant ou la menace de la gauche armée, malgré l’obsession manifeste pour ces sujets depuis avril 1968. Ils dressent une institution nationale, les forces armées, contre une autre, le Congrès ; et fondent leur proposition politique sur la disparité, imaginaire, entre deux moralités, deux formes de patriotisme et deux rapports au politique. Le Congrès est même poussé, le 2 octobre, à effectuer une « session d’autocritique », qui confirme la subordination symbolique du législatif à l’exécutif militaire. Les « ennemis de la révolution » visés par l’offensive militaire de la fin 1968 sont donc l’opposition parlementaire et les dissidents, plus que les communistes. « L’honneur d’une classe » atteinte par « une offense démesurée », selon les propos du ministre de l’Armée Lira Tavares au début du mois de décembre a alors, dans les exigences « révolutionnaires », une importance bien plus grande que l’existence même d’un Congrès61.
79Selon la représentation la plus courante dans l’historiographie et la mémoire collective, entre 1965 et 1968, les deuxième et cinquième Actes institutionnels auraient accompli par étapes l’essence du coup d’État, selon le processus similaire d’une « pression des casernes » et d’une « ligne dure » sur le palais présidentiel. Parvenue plus près, voire au cœur du pouvoir, avec l’élection du général Costa e Silva à la présidence, l’aile la plus radicale de l’armée brésilienne aurait enfin réussi, en 1968, à imposer la plénitude de ses vues dictatoriales. L’examen à la loupe de la vie politique intra-militaire de ces années montre que cette dynamique est en réalité plus complexe. Cette complexité a, d’abord, un arrière-plan idéologique. La netteté des détestations (anticommunisme, antiparlementarisme, anticivilisme, mépris des localismes et haine des partis), dénominateur commun du radicalisme militaire et dont découle l’AI-5, a mené à éclipser l’ambiguïté des putschistes en général, civils et militaires, envers la démocratie libérale, la réalisation d’élections, ou l’existence de contre-pouvoirs. Le maintien d’une architecture institutionnelle pseudo-démocratique constitua certes une façade, dissimulant une dictature militaire et répressive. Mais les scrupules qui y ont présidé sont la preuve d’une grande indéfinition des « idéaux du 31 mars » dont tous les acteurs, quelles que soient leurs trajectoires ultérieures, se réclament. Le consensus autour d’un coup d’État motivé par les peurs de classe et du « péril rouge », assorties d’un enthousiasme indéfini en une nouvelle élite probe, compétente et patriote, ne se transmet pas facilement à un pouvoir progressivement monopolisé par une poignée de généraux. L’indéfinition, l’hésitation, l’incertitude politique de 1966 et 1967 en sont la preuve, que le regard rétrospectif (post-AI-5 et surtout post-années de plomb) tend à considérer sans pertinence, voire sans réalité historique. Les dissidences, au-delà d’une prévisible confrérie de frustrés par le régime qui s’installe, sont les traces de cette construction non consensuelle du régime militaire ; elles sont, par ailleurs, productrices de réalités ultérieures, en particulier lors de l’ouverture politique.
80Le deuxième élément que l’essentialisation d’une ligne dure victorieuse cache est la logique des recompositions intra-militaires. En effet, entre 1966 et 1968, la « première ligne dure » se divise en deux groupes. Le premier, marqué par un passé de conspiration et de rébellion permanentes, ne renonce jamais à l’exercice de la violence : à quelques exceptions près, les vétérans d’Aragarças, les membres de groupes anticommunistes au début des années 1960 et les auteurs des quelques attentats en 1968 appartiennent à une même nébuleuse militante. Ce n’est pas le cas des colonels d’active proches de Francisco Boaventura ; leur romantisme « révolutionnaire » et radical, ainsi que leur foi nationaliste sont parents de ceux de leurs collègues activistes, mais ils revendiquent de gouverner (comme officiers et non comme militants) plus encore que de mettre en œuvre une politique bien définie. La « première ligne dure » recouvre donc deux extrêmes droites, l’une militante et l’autre militaire, qui réagissent de manière très différente à l’installation d’un régime d’officiers plus âgés.
81En effet, à cette période ne se construit pas seulement une dictature dont l’AI-5 constituerait la clé de voûte, mais un régime militaire. La militarisation est d’abord de fait : le gouvernement, sous Costa e Silva, porte en majorité l’uniforme et des organes dominés par des officiers généraux (tel le conseil de Sécurité nationale, ou CSN, qui assiste la présidence sur ces questions et vote en décembre l’Acte institutionnel n° 5) prennent une importance croissante dans l’appareil d’État. Mais la militarisation est également symbolique : les casernes accèdent, dans les discours de tous les acteurs, à une forme de souveraineté qu’elles n’ont plus cependant le loisir d’exercer par le biais d’officiers de rang intermédiaire, comme c’était le cas aux lendemains du coup d’État. De la « première ligne dure » aux représentants en exil du « système déposé », en passant par les révolutionnaires dissidents comme Lacerda ou les candidats à la succession présidentielle, comme Albuquerque Lima, tous se prétendent les interprètes et les défenseurs de « l’opinion militaire ». Son contrôle et la capacité de s’en faire un exégète crédible deviennent des gages d’autorité politique. L’édiction de l’AI-5 est ainsi précédée d’une opération médiatique, visant à présenter la mesure comme une punition de la classe politique ayant porté atteinte à l’honneur du corps des officiers. Celui-ci est prétendu révolté, incontrôlable, et ce serait sous cette pression, que certains subissent et d’autres alimentent, que vingt-trois des vingt-quatre membres du CSN (ministres, chefs d’état-major, des cabinets civils et militaires de la présidence, du SNI) votent l’Acte. Seul Pedro Aleixo, le vice-président, s’y oppose. Les « casernes » obtiennent donc, symboliquement, à la fois le monopole de la force et le statut d’opinion souveraine. Pourtant, seuls les généraux sont désormais autorisés à s’en faire les hérauts, puisque la génération intermédiaire d’officiers a progressivement été réduite au silence.
Notes de bas de page
1 Déclaration faite aux élèves de l’ECEME, le 16 décembre 1968, soit trois jours après la promulgation de l’AI-5. Jornal do Brasil, 17 décembre 1968.
2 Archives Castelo Branco, dossier « Sucessão », ECEME. Notons au passage que le président adresse ses réflexions et préoccupations aux généraux, non aux chefs de l’ARENA ou à l’ensemble du gouvernement.
3 CS pi 1967.08.00/CPDOC.
4 Jornal do Brasil, 6 août 1966.
5 Martins Filho João Roberto, O palácio e a caserna…, op. cit., p. 82-95.
6 Jornal do Brasil, 13 janvier 1967.
7 Jornal do Brasil, 14 février 1967.
8 Jornal do Brasil, 18 mars 1967.
9 Entretien accordé à l’auteure, Rio de Janeiro, avril 2007.
10 Jornal do Brasil, 26 avril 1967.
11 Jornal do Brasil, 1er juin 1967.
12 Jornal do Brasil, 2 juin 1967.
13 Jornal do Brasil, 17 juin 1967.
14 Jornal do Brasil, 1er juillet 1967.
15 Jornal do Brasil, 18 février 1968.
16 Jornal do Brasil, 20 mars 1968.
17 Idem, 28 mars 1968.
18 Jornal do Brasil, 18 août 1966.
19 Tribuna da Imprensa, 22 juillet 1967.
20 Jornal do Brasil, 9 août 1967.
21 Ce texte est paru dans l’édition du 25 août 1967 de O Globo – à la date, donc, du « Jour du Soldat », l’une des principales cérémonies au sein de l’Armée de terre.
22 O Globo, 28 août 1967.
23 Jornal do Brasil, 28 septembre 1967.
24 Lacerda Carlos, Depoimento, Rio de Janeiro, Nova Fronteira, 1978, p. 463.
25 Lemos Renato, « Por inspiração de Dona Tiburtina : o general Peri Bevilacqua no Superior Tribunal Militar », Locus. Revista de História, vol. 9, n° 1, Juiz de Fora (Minas Gerais), janvier-juin 2003 ; et l’introduction de Justiça fardada : o General Peri Bevilacqua no Superior Tribunal Militar (1965-1969), Rio de Janeiro, Bom Texto, 2004.
26 Mourão Filho Olímpio, Memórias : a verdade de um revolucionário, Porto Alegre, L&PM Editores, 1978, p. 419.
27 Jornal do Brasil, 15 mars 1967. Voir également l’Estado de São Paulo du 18 mars 1967 et l’analyse qu’en fait Oliveira Eliézer Rizzo (de) dans As forças armadas : política e ideologia no Brasil (1964-1969), Petrópolis, Vozes, 1976, p. 84.
28 Jornal do Brasil, 3 mai 1966.
29 Jornal do Brasil, 11 août 1966.
30 Jornal do Brasil, 11 août 1966. Le général Kruel parvient à être élu comme député MDB en septembre 1968.
31 Jornal do Brasil, 5 juillet 1967.
32 O’Reilly Marcos de Mendonça, A ideologia da Corrente Militar « Revolucionário Nacionalista » (1967-1969), mémoire de master en histoire, Niterói, Universidade Federal Fluminense, 1985, p. 180-181.
33 Carlos Fico a montré combien ces images nourrissent l’ensemble de la propagande de la dictature à partir de 1968-1969, lorsqu’est mis en place un appareil de propagande (Reinventando o otimismo. Ditadura, propaganda e imaginário social no Brasil, Rio de Janeiro, FGV, 1997).
34 Registro Histórico, archives de l’AMAN.
35 Jornal do Brasil, 7 mai 1968.
36 Jornal do Brasil, 10 août 1968.
37 Jornal do Brasil, 27 juin 1968.
38 Jornal do Brasil, 5 juillet 1968.
39 Jornal do Brasil, 15 octobre 1968.
40 Compagnon Olivier, « Le 68 des catholiques latino-américains dans une perspective transatlantique », Nuevo Mundo Mundos Nuevos, 17 décembre 2008, disponible à l’adresse : [http://nuevomundo.revues.org/47243] (janvier 2016).
41 Deckes Flávio, Radiografia do terrorismo no Brasil – 1966/1980, São Paulo, Ícone, 1985, p. 57-66 ; Argolo José Amaral (dir.), A direita explosiva no Brasil, Rio de Janeiro, Mauad, 1996, p. 265 ; Gorender Jacob, Combate nas trevas – A esquerda brasileira : das ilusões perdidas à luta armada, São Paulo, Ática, 1987, 3e éd., p. 149-152 ; Gaspari Elio, A ditadura envergonhada, São Paulo, Companhia das Letras, 2002.
42 Citation du lieutenant-colonel Luiz Helvécio da Silveira Leite (lui-même activiste), in José Amaral Argolo et Luiz Alberto Fortunato, Dos quartéis à espionagem. Caminhos e desvios do poder militar, Rio de Janeiro, Mauad, 2004, p. 215.
43 Témoignage des colonels Alberto Fortunato et João Paulo Moreira Burnier dans Argolo José Amaral (dir.), A direita explosiva no Brasil, op. cit.
44 Il s’agit du programme de la Vanguarda, marqué par la mystique révolutionnaire, l’antipolitisme mais l’appui au gouvernement et publié dans le Jornal do Brasil du 3 novembre 1968. Le groupe serait né en août 1968.
45 Entretien accordé à l’auteure, Brasília, mars 2008.
46 Direita explosiva…, op. cit., p. 314.
47 Le capitaine Sérgio Miranda est ensuite exclu de l’armée par l’AI-5. Le fond d’archives Cfa tv 1964.10.23 du CPDOC montre les efforts que le brigadier Eduardo Gomes et le général Cordeiro de Farias (appuyés par l’amiral Sílvio Heck et le général Albuquerque Lima selon la Folha de São Paulo du 18 février 1978) développent entre 1978 et 1980 pour obtenir sa réintégration dans la force après son amnistie. Le STF ne la lui accorde (avec sa promotion) qu’en 1992, mais ni le ministre de l’Aéronautique de l’époque, le brigadier Sócrates da Costa Monteiro, ni le président de la République lui-même, Fernando Collor de Mello, ne font appliquer cette décision. Le capitaine Sérgio meurt avant sa réintégration et promotion posthumes, en 1994.
48 Il s’agit d’une référence à de récents manifestes de « mères de São Paulo » contre la répression à l’égard du mouvement lycéen et étudiant.
49 Conflit pour l’or survenu dans le Minas Gerais entre 1707 et 1709 entre les hommes de São Paulo et les colons portugais. Les femmes paulistas de Piratininga auraient, après des défaites cinglantes et meurtrières des leurs, refusé leurs faveurs à leurs maris et leur tendresse à leur parents jusqu’à ce qu’ils aient conquis la victoire.
50 Diário do Congresso Nacional, Supplément, 4 septembre 1968, p. 9.
51 Alves Márcio Moreira, 68 mudou o mundo, Rio de Janeiro, Nova Fronteira, 1993.
52 Entretien accordé à l’auteure, précédemment cité. Le témoignage du colonel Amerino Raposo Filho (dans un entretien également accordé à l’auteure) est concordant.
53 A revolução e o governo Costa e Silva, op. cit., p. 625, 632 et 568.
54 Télégramme de l’Ambassade du Brésil adressé au département d’État, Rio de Janeiro, 20 décembre 1968. Archives du département d’État américain, National Archives and Records Administration, RG 59, Central Files 1967-1969, POL 23-9 BRAZ. Disponible sur internet à l’adresse : [http://www.state.gov/r/pa/ho/frus/johnsonlb/xxxi/36293.htm].
55 Jornal do Brasil, 23 novembre 1968.
56 Archives Ernani do Amaral Peixoto – EAP df2 1968.11.18/CPDOC. Le discours du député et plus généralement son « affaire » sont effectivement tardivement révélées, par voie de presse, à l’opinion publique : sa première mention dans le Jornal do Brasil date du 28 septembre.
57 Jornal do Brasil, 8 septembre 1968.
58 Correio da Manhã, 1er novembre 1968.
59 Visão vol. 33, n° 11, 22 novembre 1968.
60 Jornal do Brasil, 23 novembre 1968.
61 Jornal do Brasil, 7 décembre 1968.
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