Chapitre II. Continuer la révolution 1964-1965
p. 59-98
Texte intégral
« La Révolution c’est une chose très sérieuse. C’est une rupture dans un système de hiérarchie de commandement. Une fois la révolution faite, cette rupture ne cesse pas au moment où quelqu’un entre en fonction. Parce que tous ceux qui ont participé activement à la révolution pensent qu’ils ont des droits. Ils pensent qu’ils ont le droit d’approuver, d’orienter, d’être entendus. Ici commence le conflit entre le chef de la révolution et les groupes révolutionnaires1. »
Général Carlos de Meira Mattos.
Illustration 4. – Les généraux Castelo Branco (costume et doigt pointé) et Costa e Silva (jumelles) surveillent la progression des troupes pendant le coup d’État, 31 mars 1964. Domício Pinheiro/Archives Estadão Conteúdo.

1Malgré la tentative du général Costa e Silva pour passer en force aux premières heures du coup d’État, le tout début du mandat de Castelo Branco se déroule dans une atmosphère d’apparent consensus médiatique, politique et militaire. Castelo est une figure singulière dans l’armée : petit homme trapu, discret, posé, il s’est toujours trouvé (aux yeux des putschistes) du bon côté de l’histoire, tout en s’étant rarement sali les mains. Il était sympathique au mouvement des tenentes sans y prendre part, mais n’a pas pour autant appuyé la révolution de 1930 ; en 1945, de retour d’Europe où il a combattu au sein de la Force expéditionnaire brésilienne, il est favorable à la déposition de Getúlio Vargas mais, de nouveau, n’intervient par directement. Dans les années 1950 et au début des années 1960, il a le double visage d’un homme d’influence, très engagé dans l’opération de propagation de la théorie de la guerre révolutionnaire, tout en présentant un visage public de modération et de légalisme. Ancien élève de la Mission militaire française et lié aux milieux militaires nord-américains, il est par ailleurs polyglotte, ouvert aux influences étrangères et considéré comme respectueux de la démocratie libérale. Il met d’ailleurs immédiatement en scène cet attachement en insistant pour ce que le congrès national l’élise formellement – c’est chose faite le 11 avril 1964, à une écrasante majorité, par cette assemblée conservatrice héritée de la présidence Quadros et déjà épurée par l’AI-1.
La « ligne dure » de la révolution
2Le consensus a ses limites, et ses coulisses. D’une part, la répression qui suit le putsch est féroce : des milliers d’opposants sont pourchassés, arrêtés, humiliés en public, torturés, souvent en l’absence de procédure légale malgré l’ouverture de centaines d’enquêtes militaires (IPMs). D’autre part, au sein même des forces armées, l’éviction de centaines d’officiers suscite une course aux postes de commandement et aux fonctions ministérielles. Des occupations de locaux, suite aux mouvements de troupe des premiers jours d’avril, débouchent parfois sur l’exercice effectif de fonctions dans l’appareil d’État. S’y distinguent tout particulièrement des officiers supérieurs, colonels et lieutenants-colonels, au passé et à l’aura d’actifs conspirateurs – de « révolutionnaires », disent-ils. Parmi eux, le colonel parachutiste Francisco Boaventura Cavalcanti Júnior, ancien sauveur de Lacerda lors de la tentative d’assassinat de 1963, qui investit avec quelques acolytes le cabinet militaire de la présidence sans y avoir été convié. Castelo Branco mettra plusieurs semaines à se débarrasser de cet hôte indésirable, plutôt proche de son rival et nouveau ministre de la Guerre Artur da Costa e Silva2.
3Le désordre généralisé est de courte durée mais, dans les semaines suivantes, une certaine agitation persiste dans les écoles et les casernes. La politisation exacerbée des années précédentes, les responsabilités prises lors de la conspiration et du coup, la rupture dans la chaîne de commandement, l’épuration, la mise en marche de la machine répressive sont autant de facteurs d’indiscipline militaire et, plus encore, de revendications politiques. Le palais présidentiel et sa base militaire ont rapidement à affronter l’agitation de « groupes révolutionnaires » divers et épars, plus ou moins intégrés dans l’appareil d’État. Une expression apparaît, dans les descriptions qu’en font les médias puis dans les déclarations de ces officiers turbulents : ces hommes seraient la « ligne dure » de la révolution, contre un pouvoir hésitant, modéré, enclin à la prudence et au compromis.
4La « ligne dure » n’a pas initialement le sens d’un groupe ou d’une faction pour les officiers qui s’en revendiquent, mais d’une ligne politique aux contours flous, d’un « état d’esprit », presque d’une éthique et d’une certaine interprétation de la « révolution » du 31 mars 1964. On est de « ligne dure » comme on est de droite ou de gauche, réformiste ou révolutionnaire, plutôt que de tel ou tel parti. Ce sont des journalistes et analystes politiques qui, au mois d’août 1964, transforment en groupe – doté de chefs, de représentants et donc d’une certaine cohésion interne – ce qui n’est alors qu’une expression d’identification3. Les militaires ne s’approprient cette catégorie que par la suite. Le pouvoir en place désigne ainsi l’un de ses adversaires politiques : en septembre 1964, un rapport du Service national d’informations (Serviço Nacional de Informações ou SNI, le service d’espionnage interne mis en place au lendemain du putsch) fait de la « dite ligne dure » l’un des trois groupes d’« opposants révolutionnaires » au gouvernement4. Dans un second temps, les officiers protestataires eux-mêmes s’en emparent, dans un manifeste distribué à la Chambre en avril 1965, selon lequel « la ligne dure, gardienne de la Révolution, transmet à tous ses membres civils et militaires la directive qui devra orienter l’action commune dans le sens de sauvegarder les idéaux révolutionnaires5 ».
5La « ligne dure » n’est donc, à l’origine, qu’une manière d’exprimer une certaine opposition au gouvernement Castelo Branco : c’est une inclination politique et non un parti. Sa transformation en faction dans le vocabulaire des acteurs est un outil de lutte politique. Pour le pouvoir, elle délimite les frontières d’un adversaire ; pour les protestataires, elle construit l’image d’une force organisée dont chaque officier peut revendiquer le monopole ou la direction. Les militaires qui brandissent cette bannière ont néanmoins tous un discours commun : ancré à droite, et plus ou moins réformiste. Ils ne défendent pas de programme cohérent mais ont deux exigences. La première est une épuration radicale, sans égard pour les procédés mis en œuvre ni pour leur conformité avec la loi : les officiers de ligne dure sont dans l’immédiat après-putsch les parangons de la violence d’État et de la répression politique. La seconde est un ensemble de mesures économiquement nationalistes, ce qui était pourtant jusqu’en 1964 l’apanage de la gauche. Des mots à valeur de symboles, à défaut pour l’instant de propositions concrètes, sont désormais brandis par ces officiers turbulents comme autant d’armes contre un gouvernement qu’ils estiment ultralibéral et vendu à l’étranger. Un certain anti-américanisme y est parfois associé, au son de « ni Washington ni Moscou ». Cette double position (radicalisme répressif et nationalisme économique) tranche bien sûr avec les pudeurs libérales du pouvoir castelista et la politique d’ouverture au capital étranger menée par son ministre de la Planification, Roberto de Oliveira Campos, et son ministre des Finances, Octávio Gouvêa de Bulhões. Cependant, ces désaccords entre le pouvoir et les « durs » ne témoignent pas seulement de divergences politiques : ils proviennent également d’une stratégie d’opposition des officiers protestataires et d’une affirmation de leur rôle politique au sein du nouveau régime. Ils construisent donc en partie leur argumentaire et leurs invectives en fonction d’une certaine image du gouvernement – « civiliste », tiède, internationaliste et négociateur – et de l’idée d’une usurpation du pouvoir.
6La période qui fait l’objet de ce chapitre, qui s’étend du coup d’État (avril 1964) à la promulgation d’un second Acte institutionnel (AI-2, octobre 1965) a généralement été présentée dans l’historiographie comme la phase d’incubation d’une faction de ligne dure à l’idéologie cohérente et bien identifiée ; une faction qui serait ensuite demeurée immuable au fil du régime, contestant le pouvoir central, poussant à sa radicalisation autoritaire et répressive, puis s’en emparant. C’est l’impression rétrospective que les mois qui suivent le coup d’État peuvent effectivement donner : cette période voit bien un groupe imposer sa vision du pouvoir, bâtir un régime au-delà d’une intervention, ce que consacre l’AI-2 ; prolonger et approfondir le processus d’épuration politique ; et définir le nouveau pouvoir comme militaire et révolutionnaire. Cependant, pour comprendre la suite de l’histoire, il faut aller plus loin que cette seule lecture des années 1964-1965. En étant attentif, d’une part, à la construction des deux partis et identités militaires qui semblent s’y affronter, les « durs » et les « modérés », dont l’étanchéité et l’opposition irréconciliable ont ensuite été considérées comme acquises par les chercheurs et les militaires eux-mêmes6. Et en observant, d’autre part, que les revendications de la « ligne dure » sont étroitement associées à une certaine justification de la politisation des officiers de grade inférieur dans le nouveau régime. Celui-ci serait militaire car, pour les officiers qui se font entendre, l’armée est au pouvoir : pas un « citoyen issu de ses filières » ou un « ancien militaire », comme se plaît à le répéter le général-président Castelo Branco, mais l’ensemble de la corporation7. Comme le dit le colonel Etchegoyen, capitaine au moment du putsch :
« Les officiers intermédiaires […] se sont sentis responsables du Brésil. Il y a eu un phénomène historique. L’armée n’a jamais été en charge du pouvoir. Ça a été la première fois que l’armée a été en charge du pouvoir. Quand on conspirait, toutes les fois qu’on l’a fait et qu’on leur a laissé le pouvoir, ils ont foiré. “Une fois pour toutes il faut s’en charger, pour voir si on y arrive.” C’était la thèse8. »
7Or c’est d’abord en tant que militaires que les officiers protestataires s’estiment légitimes à exercer le pouvoir. Ils sont encouragés dans cette voie par l’autonomie relative que leurs supérieurs leur accordent dans cette période post-coup d’État : à leurs mobilisations ne répondent généralement que des condamnations verbales et eux-mêmes ne se cherchent pas immédiatement un leader plus haut placé comme c’était le cas au cours de la conspiration, et comme ce sera le cas dans les décennies ultérieures. Il faut dire que le climat politique n’est pas encore déterminé par les scrutins présidentiels, qui tendront plus tard à fédérer les officiers de tous grades autour des candidats potentiels, tous généraux9.
8Cette latitude laissée aux militaires protestataires est essentiellement due à l’attribut de révolutionnaires dont ils s’affublent, passé de conspirateur à l’appui : il les insère symboliquement dans un pouvoir qui se définit lui-même comme tel. Certains auteurs ont souligné que le régime militaire est resté prisonnier de sa rhétorique « démocratique » initiale, impulsée par son premier président, qui aurait par la suite contraint les gouvernements successifs au maintien d’une façade démocratique10. Nous pourrions ajouter que le président Castelo Branco est prisonnier, également, du mot de « révolution » utilisé pour désigner le coup. Cette appellation permet non seulement de contester les orientations politiques adoptées sous prétexte qu’elles s’écarteraient d’« idéaux du 31 mars » que chacun prétend seul connaître et défendre, mais aussi d’attribuer à tous les « révolutionnaires » une parcelle de souveraineté.
La vieille et la jeune gardes révolutionnaires
9Le premier gouvernement du régime militaire semble au cœur d’un paradoxe. Sa base politique au sein de la corporation, un groupe de généraux intellectuels surnommé la « Sorbonne », est décrite à la fois comme le cerveau du coup d’État – ce sont les théoriciens de la version brésilienne de la Doctrine de sécurité nationale et des apôtres convaincus de la théorie de la Guerre révolutionnaire – et comme un réduit de semi-légalisme dans l’armée putschiste, artisan involontaire de la dictature, victime de « coups d’État dans le coup d’État » successifs qui l’auraient empêché de mener à bien son projet d’intervention ponctuelle et encadrée par les règles du droit11. Ce portrait ambigu a été pour la première fois dressé par le politologue américain Alfred Stepan, au début des années 1970. Celui-ci a montré que les généraux castelistas se distinguaient au sein de leur génération par leurs cursus brillants – ce sont souvent d’ex-premiers de promotions dans les écoles militaires –, leur participation à la Force expéditionnaire brésilienne pendant la Seconde Guerre mondiale, leur appartenance au corps permanent de l’ESG et leur scolarité à l’étranger (pour beaucoup, aux États-Unis). Ces expériences auraient renforcé le sentiment d’appartenance aux démocraties occidentales, ainsi que la confiance dans le système capitaliste et dans l’alliance avec les États-Unis. Elles auraient enfin bâti leur hostilité au « nationalisme excessif » et une « profonde aversion envers la politique de l’émotion12 ». Aux yeux de Stepan toujours, les politiques mises en œuvre dans les années qui suivent le coup d’État seraient en adéquation avec les profils de ces militaires : ouverture diplomatique et économique à l’étranger, régime de semi-liberté accordé aux entreprises privées, confiance dans la démocratie malgré le choix de la placer temporairement sous tutelle13.
10Cette description par Stepan de la faction militaire des castelistas a profondément marqué l’historiographie et les représentations des observateurs, civils et militaires. Elle dressait le portrait du régime militaire comme d’une expérience qui aurait dégénéré, ayant échappé des mains des plus raisonnables de ses fondateurs. En effet, les autres membres de la corporation, privés des expériences singulières et des capacités intellectuelles qui auraient fait de la poignée de castelistas des « dictateurs malgré eux », étaient donc par défaut condamnés à un autoritarisme et souvent à un nationalisme qui, ne méritant pas d’explication particulière, seraient plus ou moins originels. Ces officiers plus rustres, moins éduqués, moins au fait des cultures militaires occidentales auraient progressivement transformé une opération de maintien de l’ordre et d’assainissement du système politique, destinée à être brève, en véritable dictature.
11Mais ni les généraux non castelistas, ni a fortiori les autres générations d’officiers actifs politiquement n’ont fait l’objet d’une recherche spécifique à la hauteur de celle que Stepan a consacrée à la « Sorbonne » militaire14 : leur profil professionnel, leurs options politiques, leurs comportements sont presque toujours naturalisés et présentés en miroir de ceux du groupe au pouvoir. Les officiers qui se disent dans l’immédiat après coup de « ligne dure » (en particulier les officiers supérieurs, lieutenants-colonels et colonels, de ce réseau contestataire) ont été ainsi entièrement occultés par l’historiographie et demeurent très mal connus. Pourtant certains d’entre eux, qui prennent la parole dans les médias et signent des manifestes largement diffusés, sont des personnalités publiques : on peut, avec certaines limitations, également établir leur profil, leurs origines, leurs trajectoires.
12Il s’agit, dans un premier temps, d’officiers de la réserve, dont les prises de position ne sont plus contraintes par le règlement disciplinaire de l’armée depuis le décret n° 54.062, édicté le 28 juillet 1964 à l’instigation de Castelo Branco. Lorsque la mobilisation prend de l’ampleur, ils sont rejoints par des officiers d’active qui n’occupent pas de postes au contact de la troupe, mais sont en charge des enquêtes politiques (IPMs) ouvertes par centaines après le coup d’État. Enfin, l’apogée de l’opposition militaire au gouvernement est atteinte lorsque la caserne elle-même gronde par la voix d’officiers de troupe, à Rio de Janeiro, à la fin de l’année 1965.
13Qui sont tous ces hommes ? Nous n’avons pas de liste exacte. D’abord parce que la « ligne dure » est un groupe d’identification fluctuant et plus large que celui des protestataires publics. Chaque témoin établit une liste de noms, dépendante de ses reconstructions mémorielles, de son positionnement dans l’institution et d’éventuels règlements de compte. Les listes ne sont jamais historicisées, la mémoire tendant à valoriser les permanences aux dépens des fluctuations. Les officiers se considérant eux-mêmes de « ligne dure » ont par ailleurs tendance à décrire un groupe restreint, le leur, tandis que les militaires extérieurs à cette mouvance privilégient souvent un « profil » radical attribué à un plus grand nombre d’acteurs. Notre propre corpus, centré sur les protestataires les plus visibles, est le résultat d’un croisement d’archives officielles et de témoignages parfois discordants15.
14Commençons par les vieux officiers de réserve qui inaugurent la protestation. Certains sont des habitués du manifeste public : il s’agit de professionnels de la conspiration présents sur la scène politique et à l’assaut permanent du pouvoir depuis plusieurs décennies. Ces « révolutionnaires historiques » se jugent rapidement « marginalisés » par le pouvoir, selon l’interprétation proposée dans un rapport du SNI, en juillet 196516. Un amiral de la réserve, le turbulent Sílvio de Azevedo Heck, est le pionnier, mais aussi l’électron libre de cette mobilisation initiale. Dès le mois de juillet 1964, Heck divulgue à l’Association brésilienne de presse (Associação Brasileira de Imprensa, ABI), à Rio de Janeiro, un manifeste dénonçant « l’infiltration d’ennemis de la Révolution dans le Gouvernement Castelo Branco ». Il se présente comme un « révolutionnaire authentique », représentant « d’amples secteurs civils et militaires, inquiets de l’orientation prise par le processus révolutionnaire » et « dépositaire des espérances de la jeunesse des Forces Armées, des travailleurs ruraux et urbains, de la classe moyenne et des forces productives, qui ont besoin de s’épanouir17 ». Né en 1905, à peine plus jeune que les tenentes intégrés aux cercles du pouvoir après la révolution de 193018, il n’est pourtant entré sur la scène politique que bien plus tard, laissant longtemps à son père (le vice-amiral Conrado Heck, ministre de la Marine de décembre 1930 à juin 1931) le titre de révolutionnaire de la famille. Après une carrière classique dépourvue de claire implication politique, il entre dans l’histoire en novembre 1955 quand, commandeur du croiseur Tamandaré, il participe à l’ébauche d’un mouvement associant politiciens de premier plan, dont le président intérimaire Carlos Luz, et militaires conservateurs, visant à empêcher l’investiture de Juscelino Kubitschek19. L’entreprise échoue et Heck se voit réduit à la position de critique acerbe du gouvernement Kubitschek, indirectement impliqué dans de sourdes révoltes, comme celle d’Aragarças (1959). Ses déclarations politiques retardent sa carrière et lui valent de nombreuses punitions.
15Ses velléités de comploteur s’épanouissent sous la présidence de João Goulart, après qu’il a tenté, depuis le poste de ministre de la Marine qu’il exerce de janvier à septembre 1961, d’en empêcher l’investiture. Auteur du manifeste en forme de coup d’État avec le général Odílio Denys et le brigadier Gabriel Grün Moss, le 30 août 1961, il garde avec le premier de ces officiers, qui le décrit comme « le révolutionnaire n° 1 », une relation privilégiée20. Denys, bien plus discret que son collègue de la marine, est d’ailleurs considéré par les services de la présidence comme l’un des conspirateurs historiques les plus susceptibles d’attiser les mécontentements21. Entre 1961 et 1964, Heck conspire sur tous les fronts : selon l’attaché militaire français, l’amiral « a fait partie de tous les complots et, par ses déclarations intempestives fustigeant la politique présidentielle, s’est attiré les foudres du pouvoir (9 fois arrêté depuis la fin 1961, il totalise 85 jours de prison ferme)22 ». En contact avec les milieux d’affaires de Rio et São Paulo, du groupe de pression et think tank conservateur IPES (Institut de Recherches et Études Sociales), des organisations civiles anticommunistes et des réseaux d’officiers conspirateurs, notamment par le biais d’Odílio Denys, son grand œuvre est le Front patriotique civil-militaire (Frente Patriotica Civil-Militar) : créé en janvier 1963, il s’agit d’un réseau de groupes paramilitaires constitué essentiellement de milices rurales formées par de grands propriétaires terriens et de militaires de la marine. Toujours selon l’attaché militaire français, le Front aurait compté jusqu’à 4 000 hommes, pour la plupart dans le Minas Gerais et l’État de São Paulo. Ce dernier ajoute :
« Lors de la révolution, Heck considère que le rôle du Front Patriotique Civil et Militaire n’est pas terminé. Au contraire il a l’intention d’amener ses effectifs à un total de 8 000 hommes dont environ 1 200 chargés de l’action anti-communiste visible et de la provocation, le reste étant chargé de l’infiltration et de la liquidation des cellules. »
16De fait, la structure du Front est en partie conservée par les protestataires après le putsch : l’un de ses chefs, le général de réserve José Alberto Bittencourt, est aussi le premier dirigeant de la Ligue démocratique radicale (Liga Democrática Radical, LIDER) qui, à partir de septembre 1964 et d’abord sous l’égide de Heck, cherche à organiser l’opposition radicale à la présidence.
17Déjà à la retraite ou en fin de carrière, les officiers comme Heck n’ont plus le recours des commandements de troupe pour asseoir leur influence politique, et nourrissent une rancune d’autant plus grande à l’égard du gouvernement dont ils sont alors exclus qu’ils appartiennent à la même génération que la quasi-totalité de ses ministres. De plus, ils sont souvent issus de grandes familles d’officiers ou d’élus, puissantes au moins à l’échelle de leur État de naissance. Ils se considèrent comme des membres naturels et légitimes de l’élite conservatrice, en opposition frontale au pouvoir getulista depuis près de quinze ans, qui arrive au pouvoir avec le coup d’État. Dès 1965, un journaliste du très conservateur Estado de São Paulo, José Stacchini Júnior, publie un ouvrage intitulé Março 64 : Mobilização da Audácia qui fournit un instantané de cette frustration de la vieille garde révolutionnaire. Le général Olímpio Mourão Filho, initiateur du putsch mais rapidement relégué au second plan par son passage à la réserve en septembre 1964, y développe même la thèse d’une « déviance de la révolution » ; Stacchini abonde dans son sens en indiquant que la « rébellion Mourão-Denys » (le coup d’État) a débouché sur « victoire des sympathisants » de la révolution (la Sorbonne militaire)23.
18Car Olímpio Mourão Filho, dont le mouvement de troupes depuis sa garnison de Juiz de Fora a déclenché le coup d’État à la surprise générale, est un autre dissident de la première heure. C’est, dans un autre genre, également une figure tout à fait spéciale dans le camp des putschistes. Poursuivi par une réputation d’homme fantasque voire dérangé, il est par ses réseaux et ses soutiens plus à la marge que l’amiral Heck ; pourtant, son heureuse initiative du 31 mars 1964 fait de lui un personnage obligé du panthéon révolutionnaire. Couvert d’éloges aux premiers temps du régime, il est même promu individuellement au grade de général d’armée par voie législative, le 30 avril. Il fait lui aussi partie de la génération de 1900, son année de naissance, mais ne s’engage en politique ni à l’occasion du tenentismo, ni de la révolution de 1930 : c’est l’anticommunisme et l’intégralisme, un fascisme à la brésilienne à l’origine d’un mouvement de masse dans les années 1930, qui attirent ses faveurs. Auréolé du prestige d’ancien combattant – il commande la 1re division d’infanterie pendant la Seconde Guerre –, il alterne commandements de troupe et ministères dans les années 1950. Sous la présidence de Goulart, Mourão s’implique presque ouvertement dans la conspiration dans le Minas, où il exerce le commandement de la IVe Région militaire. Fort satisfait des mesures répressives prises immédiatement après le putsch, il est rapidement déçu par Castelo Branco. En août 1964, il commence par marcher sur les traces de Sílvio Heck, en revendiquant une « ligne durissime » lors de son entrée en fonction à la tête de la IVe armée (Nordeste)24. Il invite à cette occasion et en grande pompe l’amiral Heck. Le ton de ses propos le rend rapidement gênant pour le pouvoir, qui le transfère un mois plus tard à la réserve et lui attribue le titre et la fonction de magistrat au Supérieur tribunal militaire (STM). Cette relégation – il perd un important commandement de troupe – lui offre pourtant une liberté d’expression accrue et rend visible son spectaculaire revirement, puisque le militant d’une répression décomplexée, hostile à l’attribution d’habeas corpus et défenseur de réformes politiques ultra-conservatrices entre en janvier 1966, à grand fracas, dans le parti d’opposition nouvellement créé, le Mouvement démocratique brésilien (Movimento Democrático Brasileiro, MDB). Dans la revue Manchete, il se prononce avec le général Peri Bevilacqua, autre magistrat du STM qui de plus longue date défendait le respect de l’état de droit et dénonçait le glissement autoritaire, en faveur de l’amnistie politique et le rétablissement d’élections directes à tous les postes25. Nous reviendrons un peu plus loin sur les raisons et le contexte de cette dissidence.
19Les prises de parole publiques de Heck, Mourão, Bittencourt et quelques autres résultent de l’habitude des déclarations et de la provocation politiques de ces militants historiques, mais aussi d’une frustration et d’un sentiment d’injustice : l’éloignement du pouvoir est ressenti comme une trahison, après une « vie » de conspiration. Au sein de l’active, les hérauts d’une radicalisation autoritaire sont légion, mais les contraintes disciplinaires de discrétion les rendent moins facilement identifiables. Ainsi, le fort conservatisme de l’amirauté est de notoriété publique, mais n’apparaît pas sur la scène publique. S’y détachent cinq amiraux (surnommés les « dionnes » en mémoire de quintuplées américaines nées, et fort médiatisées, dans les années 1930) : Ernesto de Mello Batista (ministre de la Marine jusqu’en janvier 1965), Augusto Hamann Rademaker Grünewald, Levi Pena Aarão Reis, Mario Cavalcanti de Albuquerque et Saldanha da Gama. La définition d’une élite radicale d’active, dans l’armée de terre, fait moins consensus. Dans son témoignage, un colonel proche de Carlos Lacerda, Moraes Rego, parle de onze généraux de « ligne dure », dont deux tiendraient une place particulière au cours des premiers temps du régime militaire : João Dutra de Castilho, commandant d’une unité parachutiste de la Vila Militar et surtout Afonso de Albuquerque Lima, qui devient le 1er octobre 1965 chef de l’état-major de la Ire armée26. Colonels au moment du coup, ils sont tous deux promus généraux de brigade en juillet 1964 et, par bien des aspects, constituent un pont entre la génération des révolutionnaires historiques de 1900 et celle des « colonels de ligne dure ».
20Ces derniers sont restés dans l’histoire comme les « colonels des IPMs », en raison des enquêtes politiques dont certains avaient la charge. De leur génération, ils sont les plus visibles des opposants et les premiers à exprimer leur mécontentement, avant que les commandants d’unités ne rejoignent le camp du désaveu lors de la crise de l’année 1965. Parmi les vingt-huit colonels de ligne dure cités par Moraes Rego27, deux « groupes » qui gravitent autour de figures plus exposées nous intéressent particulièrement.
21Le premier est lié au lieutenant-colonel Francisco Boaventura Cavalcanti Júnior, que nous avons déjà rencontré. Officier d’artillerie, parachutiste, il rejoint la troupe en mai 1964 après son éviction du cabinet militaire de la présidence. Son profil dément l’image souvent donnée des hommes de la ligne dure, qui se résume à un négatif des « généraux castelistas », aussi « troupiers », solidement ancrés dans les casernes, enfermés dans un nationalisme obtus, que les autres seraient des intellectuels, « premiers de promotion » dans les écoles militaires et bons connaisseurs des armées étrangères. Né en 1919, issu d’une vieille famille de militaires du Ceará (nord-est du Brésil), il sort premier de la promotion à l’École militaire en 1943 et est intégré dans la FEB comme lieutenant ; il obtient en quelques années sa médaille Maréchal Hermes aux trois lauriers, c’est-à-dire le titre de « trois fois couronné », premier qu’il fut, également, aux classements de sortie de l’EsAO et de l’ECEME. Il s’implique dans les débats houleux qui divisent l’armée brésilienne du début des années 1950, d’abord dans le camp nationaliste, puis rompt avec cette faction lorsqu’en juillet 1950 un article de la Revista do Clube Militar critique l’intervention américaine en Corée. Couvert de décorations (l’Ordre du Mérite militaire et les Médailles de campagne, militaire, de guerre, du Pacificateur et de Caxias), il effectue de nombreux séjours à l’étranger et occupe, à la fin des années 1950, un poste de conseiller à l’ONU spécialiste de l’Amérique latine. De retour au pays, il suit en 1962 le cours d’état-major et de commandement à l’ESG tout en conspirant activement contre le gouvernement Goulart. Boaventura, de vingt ans le cadet des hommes au pouvoir, a somme toute un profil professionnel très proche de celui, idéal-typique, des généraux castelistas décrits par Alfred Stepan.
22Or, idole d’une partie de sa génération, considéré comme un brillant intellectuel, Boaventura n’a pourtant pas un profil marginal au sein de la jeune ligne dure. Parmi ses camarades les plus proches, les anciens de la FEB sont légion : Amerino Raposo Filho, officier d’artillerie né en 1922 dans une famille de classe moyenne carioca (ses parents sont professeurs), s’est également enrôlé comme 2e lieutenant et croule plus encore sous les médailles du fait de ses exploits au combat. Pendant plusieurs années instructeur à l’ECEME, il publie de nombreux articles de stratégie militaire dans le Mensário de Cultura Militar et, en 1960, un ouvrage intitulé A Manobra na Guerra – Síntese Filosófica. Relégué dans une garnison reculée du Rio Grande do Sul sous la présidence de Goulart, il réintègre les hautes sphères du pouvoir dès le coup d’État : sous les ordres du général Golbery do Couto e Silva, chef du cabinet civil de Castelo et éminence grise du palais, il participe à la mise sur pied du Service national d’informations (SNI). Il suit une formation au collège interaméricain de défense en 1968 puis le cours de guerre de l’ESG, en 1973. Un autre colonel de « ligne dure », à la carrière tout aussi brillante, travaille au cabinet civil de la présidence : il s’agit d’Hélio Duarte Pereira de Lemos, légèrement plus âgé (il est né en 1914), également vétéran de la Seconde Guerre mondiale et passé par l’ESG plus tardivement. Enfin le colonel Dickson Melges Grael, qui ne se manifeste sur la scène politique intra-militaire qu’à la fin des années 1960, est un autre de ces officiers d’artillerie nés autour de 1920, parachutiste comme Boaventura ; ce n’est pas un vétéran de la Seconde Guerre – il ne sort de l’École militaire qu’à la fin 1944 – mais il est largement décoré et formé aux « techniques de renseignement pour officiers supérieurs étrangers » aux États-Unis.
23Ce secteur de la « première ligne dure » (que nous baptisons ainsi pour la différencier d’un second réseau, présenté ultérieurement) des colonels liés à Boaventura a une forte cohésion générationnelle : ses membres ont vécu ensemble des expériences fortement valorisées professionnellement (la guerre) et politiquement (la conspiration en commun, pour beaucoup, sur les bancs de l’ECEME). Ils renvoient à l’institution la même image d’officiers brillants et jusqu’en 1961 sont peu impliqués dans des entreprises insurrectionnelles, bien que clairement identifiés politiquement. Ils se connaissent avant le coup d’État, valorisent leurs pairs et reconnaissent généralement une autorité morale au colonel Boaventura.
24Quelques officiers plus jeunes sont liés, dès l’époque de la conspiration, à ce groupe de colonels. Il y a Tarcísio Célio Carvalho Nunes Ferreira, dix ans de moins – il est né en 1930 dans une famille de classe moyenne intellectuelle : son père est professeur de philosophie dans le secondaire, sa mère artiste peintre –, parachutiste, qui est introduit dans le cénacle des protestataires par l’auréole de sa participation au mouvement d’Aragarças :
« Colonel Tarcísio Nunes Ferreira – Moi et mes collègues de ma génération… nous échangions des idées. Aujourd’hui nous sommes tous colonels, quelques-uns généraux. Hélio Lemos, Hélio Mendes, Boaventura, Grael, je peux nommer un tas de gens.
– Ils sont tous de votre génération ?
– Un peu plus vieux. Hélio Lemos est un peu plus vieux. Mais comme j’ai été très précocement révolutionnaire, j’ai sauté une génération. Je suis entré dans la génération immédiatement au-dessus de la mienne, sans abandonner vraiment la mienne, mais j’ai été très lié à la génération juste au-dessus de la mienne. […] J’ai tramé avec ces gens déjà en 63. Quand je suis rentré d’exil [suite au mouvement d’Aragarças]… après la démission de Jânio, nous avons commencé à préparer la révolution de 6428. »
25Citons enfin Kurt Pessek, plus jeune encore que le capitaine Tarcísio (il est né en 1934) et d’origine plus populaire (son père est un immigrant autrichien de fraîche date, sa mère une institutrice), parachutiste lui aussi, introduit dans le groupe comme capitaine par Dickson Grael, dont il avait été le subordonné. Grael et Tarcísio Nunes Ferreira ont la particularité, au sein du groupe, de porter l’héritage politique de diverses entreprises séditieuses tentées depuis les années 1950 : la tentative de coup d’État contre l’investiture de Kubitschek en 1955 (dite Novembrada) pour le premier, présent sur le croiseur Tamandaré, Aragarças pour le second qui y côtoie des officiers de l’armée de terre et surtout de l’aéronautique devenus célèbres par la suite pour leur radicalisme et leurs pratiques de violence politique. L’appartenance à la troupe d’« élite » des parachutistes, fréquemment impliquée dans des agitations politiques au Brésil comme dans d’autres parties du monde, crée également des réseaux et des fidélités spécifiques ; le général Moniz de Aragão, proche du président Castelo Branco mais commandant après le putsch de la seule unité parachutiste du Brésil (le noyau de la division aéroterrestre de la Vila Militar), est ainsi un personnage central dans les récits de ces officiers.
26En plus du prestige militaire et militant qui les auréole, ces officiers ont la caractéristique d’être issus de familles de classe moyenne (et rarement supérieure) intellectuelle et civile : presque tous ont des parents enseignants. Seul Francisco Boaventura, leur leader, se distingue par sa vieille lignée d’officiers du Nordeste. Cette origine commune, qui a probablement favorisé leur réussite scolaire au sein des écoles militaires, accroît aussi leur sentiment de légitimité politique à participer à la « révolution » en cours, et de leur compétence pour le faire.
27L’expérience conspiratrice et putschiste caractérise encore davantage l’autre groupe de ligne dure, de moindre cohérence générationnelle et professionnelle, agrégée autour d’un autre colonel, Osnelli Martinelli. Officier de réserve et professeur de géographie au lycée militaire de Rio de Janeiro, celui-ci ne dispose pas de l’aura, de l’autorité ni du prestige de Boaventura. De la même génération (il est né en 1922), fils d’officier de la marine, il opte d’abord pour cette force avant d’intégrer l’École militaire de Realengo et l’armée de terre. Enrôlé dans la FEB comme lieutenant, il combat dix mois en Italie. Il sert ensuite cinq ans au régiment École d’infanterie de la Vila Militar, tarde à suivre le cours de perfectionnement et renonce au commandement de troupe pour se consacrer à l’enseignement comme capitaine, en 1955 ; il officie au lycée militaire de Rio jusqu’en 1973. Partisan inconditionnel de Carlos Lacerda et anticommuniste féroce, il devient en 1966 dirigeant du Mouvement anticommuniste, le MAC, fondé lors du rétablissement par Goulart des relations diplomatiques avec l’Union soviétique et spécialisé dans les actes de violence politique et les attentats. Il fait selon ses propres termes profession de la conspiration, sans pourtant prendre part aux principaux mouvements des années 1950 : il est « quasiment [allé] à Aragarças », dit-il, « je n’y suis pas allé parce que sur le moment personne ne m’a appelé. Parce que j’étais toujours fourré dans ce genre de choses29 ».
28Martinelli insiste sur la grande diversité de ses contacts dans les forces armées et les milieux conspirateurs, due selon lui à sa trajectoire originale – « j’ai fait l’École Navale. Après 1941 j’ai été dans l’armée. En 41 a été créé le ministère de l’aéronautique. Et plein de gens de ma promotion de la marine, plein de cette promotion de l’armée de terre, sont partis pour l’aéronautique. Alors j’ai connu plein de gens dans toutes les armes » – et au fait que, dit-il :
« Comme j’étais quelqu’un de toujours bien défini, personne n’a jamais eu besoin de demander de quel côté j’étais. On connaissait toujours mon côté. Du coup, j’étais toujours impliqué dans ces choses, tout le monde avait confiance en moi. Et j’étais en contact avec des colonels, des lieutenants, des sergents, des généraux, je traitais avec tout le monde30. »
29Il se dit, avant le coup d’État, à la tête d’un groupe d’environ soixante personnes (civils et militaires, d’active et de réserve), initialement organisé à partir du lycée militaire de Rio. Martinelli fait en particulier allusion, dans son témoignage plus de quarante ans après les faits, à l’importance de son collectif dans « la défense du Palais de la Guanabara », siège du gouvernement de l’État où se trouvait Carlos Lacerda, au moment du putsch. La même idée est venue à un groupe d’officiers de l’aéronautique radicaux menés par João Paulo Moreira Burnier (né en 1919), Márcio César Leal Coqueiro de Jesus et Júlio Valente. Burnier est un personnage central de l’histoire de la dictature militaire brésilienne, comme militant, mais surtout comme ordonnateur pendant les années de plomb d’une répression particulièrement féroce. C’est, comme Martinelli, le fils d’un officier de la marine, et il n’entre en politique que dans les années 1950, lorsqu’il prend la tête d’Aragarças (1959). Coqueiro (1917), lui aussi vétéran de la révolte, a connu avant et après cet épisode une carrière classique d’officier d’état-major dans l’aéronautique comprenant, à la fin 1964, plusieurs mois de stage au collège interaméricain de défense à Washington. À cette liste il faut ajouter Roberto Brandini (1922), vétéran de la FEB passé précocement à la réserve en 1960 pour intégrer l’administration de l’État de la Guanabara peu après l’élection de Lacerda et chargé d’IPM en 1964 ; Carlos Affonso Dellamora (1920) ; et enfin Roberto Hipólito da Costa (1918), fils d’officier de l’armée de terre, collègue de promotion et ami intime de Burnier, mais aussi neveu du général Castelo Branco avec qui il continue d’entretenir de bons rapports. Au palais de la Guanabara, le 1er avril au matin, se trouve enfin un groupe lié au colonel de réserve de l’aéronautique Gustavo Eugênio de Oliveira Borges (1922), fils d’un officier de la marine, secrétaire à la sécurité de l’État de la Guanabara lorsque Lacerda en est le gouverneur (1960-1965), fidèle parmi les fidèles, passé lui aussi par Aragarças. En 1964, ce réseau de radicaux est d’ailleurs essentiellement uni par ces révoltes communes et par l’attachement au célèbre gouverneur, qui avait pourtant trahi les séditieux de 1959 en révélant au pouvoir une entreprise à laquelle il n’avait pas cru.
30Dernier personnage à garder en mémoire, le colonel Ferdinando de Carvalho. Son profil professionnel (hormis l’absence de spécialisation parachutiste, et une extraction bien plus populaire) rappelle fort celui de Boaventura : né en 1918, artilleur, ancien combattant, lourdement médaillé, il suit un parcours scolaire brillant et rapide qui le mène à suivre des cours de « Commandement et État Major » aux États-Unis (1953) puis à l’ESG – d’ailleurs dans la même promotion que Boaventura (1962). Il compte parmi les traducteurs les plus actifs d’articles français de « guerre révolutionnaire » au début des années 1960. Son obsession anticommuniste, que la charge de l’IPM du Parti communiste brésilien ancre définitivement en septembre 1964, se manifeste par une abondante production éditoriale tout au long des années 197031.
31Une majorité des colonels de ligne dure a ainsi, avec vingt ans de moins, une carrière assez similaire à celles des hommes de la « Sorbonne militaire » installés au gouvernement. Le premier groupe, lié au colonel Boaventura, a un profil plus intellectuel, qu’accentue (sauf pour Boaventura lui-même) une ascendance civile, d’enseignants ou de scientifiques. La seconde faction, quant à elle, est composée de militants, conspirateurs permanents au moins depuis les années 1950 et presque tous fils d’officiers (souvent de la marine). Qu’il s’agisse d’un passé de « révolutionnaires », de l’excellence professionnelle ou de l’épreuve du feu de la Seconde Guerre mondiale, la nébuleuse radicale de 1964-1965 est donc composée d’officiers dotés d’un certain prestige au sein de l’institution militaire, qui nourrit un sentiment de légitimité politique. Le monolithisme générationnel du gouvernement – la quasi totalité des ministres sont nés entre 1900 et 1910 – ne semble pas justifié au regard des garanties professionnelles et « révolutionnaires » de ces officiers, peu nombreux et frustrés de leur faible intégration dans l’appareil d’État.
32Ce prestige personnel explique le sentiment d’injustice et donc la revendication d’un rôle accru. Par contre, les profils n’expliquent pas leurs orientations politiques, en particulier le radicalisme répressif, le faible attachement aux normes démocratiques et le nationalisme économique exacerbé. Notons un élément inattendu dans les témoignages d’une partie des officiers nés autour de 1920 : l’ambiguïté de la mémoire de Getúlio Vargas et de l’Estado Novo. De prime abord, ils associent l’ère Vargas à une dictature pure et simple, qu’ils opposent à leurs supposées convictions « démocratiques et antitotalitaires ». Le second gouvernement de Vargas, de 1951 à 1954, est stigmatisé comme un épisode caricatural de corruption massive – une « mer de boue », selon l’ouvrage éponyme de Gustavo Borges – et de mal gouvernance ; c’est pour beaucoup le moment du début de l’engagement politique. Tarcísio Nunes Ferreira se souvient :
« [En 1952] je suis allé servir dans le premier bataillon de chasseurs à Petrópolis [sur les hauteurs de Rio], qui était le bataillon présidentiel, parce que le président passait un quart de l’année à Petrópolis pendant l’été. Et j’ai pu être là, comme lieutenant, je gardais le Palais Rio Negro, et j’ai connu de près la République dans son intimité, à sa tête. […] J’ai été déçu par ce à quoi j’ai assisté dans l’intimité du pouvoir, ça a provoqué une réaction dans le sens contraire. C’est-à-dire que j’ai commencé à réagir au manque d’éthique du gouvernement, de la chose publique32. »
33Mais pour d’autres membres de cette génération, la dénonciation de la « dictature » de Vargas et de la corruption de son entourage est accompagnée d’une nostalgie de la grandeur de la nation, de l’ordre et de l’autorité qui prévalait, soi-disant, au temps de leur adolescence. L’endoctrinement dans les établissements scolaires et la propagande d’État entre 1930 et 1945 ont particulièrement imprégné cette génération militaire. C’est ce dont se souvient le colonel José Eduardo de Castro Portela Soares, lui-même né en 1921 et lié aux réseaux protestataires : « Au temps de Getúlio il y a eu une chose qu’il n’y a plus actuellement. Il y avait une certaine propagande et cette propagande stimulait le patriotisme et l’enthousiasme de la jeunesse. Ah, autre chose aussi, j’allais au lycée militaire, il y avait la discipline, et ça me plaisait, je trouvais que c’était bien. Quand il a été démis, je trouvais déjà que ce n’était pas pareil33. » 1930 continue ainsi d’être une référence révolutionnaire et l’ère Vargas un exemple de nationalisme autoritaire, certes mal assumés, pour ces générations pourtant trop jeunes pour avoir participé à ce régime.
Pommes de discorde
34Entre avril 1964 et novembre 1965, ces hommes se mobilisent autour de questions récurrentes. D’abord, les conditions d’aboutissement des enquêtes politiques (les IPMs), instaurées pour la plupart dans les semaines qui suivent le coup d’État. Leur prolifération découle de l’article 8 de l’Acte institutionnel n° 1, selon lequel les crimes contre « l’État ou son patrimoine et l’ordre politique et social » ou « les actes de guerre révolutionnaire » pouvaient désormais être élucidés par ce biais. Mais les tribunaux suprêmes (le STF civil et le STM militaire) accordent régulièrement des habeas corpus aux prévenus demeurés en cellule au-delà du délai légal d’emprisonnement préventif, permettant leur passage à la clandestinité ou leur exil. Ces cours maintiennent en effet, à cette période, une ligne relativement autonome vis-à-vis de l’exécutif, et font souvent respecter, contre la machine policière et les injonctions de « nettoyage », un certain nombre de règles de l’état de droit34. De nombreux IPMs se heurtent à la protection de ce droit fondamental, suscitant un sentiment de frustration considérable pour les officiers qui mènent les enquêtes, dépossédés d’une participation à la « révolution » qu’ils estiment centrale.
35L’AI-1 donne également au pouvoir exécutif l’autorité temporaire d’exclure des opposants de la fonction publique, de suspendre leurs droits politiques et d’annuler le mandat d’élus du peuple (ce qu’on appelle la cassação). Un enjeu immédiat est de déterminer quels hommes politiques doivent être ainsi privés de leurs droits ; puis, comment poursuivre l’opération de punitions avec l’arsenal législatif en vigueur. En effet, le texte de l’AI-1 inclut un certain nombre de dates de péremption : les exclusions et mises à la retraite de fonctionnaires ne sont possibles que durant six mois, et les annulations de mandat électif, pendant soixante jours. À ces questions purement répressives s’ajoute celle de la prorogation du mandat de Castelo Branco. Le président ne la souhaite pas, à la différence des radicaux, qui y voient dans un premier temps un moyen de repousser des élections redoutées. Mais quelques mois plus tard et après avoir poussé à son adoption, ils se dédisent et dénoncent la perspective de cette prorogation comme une preuve du « continuisme » du pouvoir35. Ce revirement est intrigant : il montre la position ambiguë des officiers de ligne dure, désireux d’approfondir et de perpétuer « l’état d’exception » et le processus d’épuration, tout en s’opposant frontalement au chef de l’État qui en a alors la charge.
36Ces sujets reviennent constamment dans la contestation militaire, qui s’amplifie par étapes à partir de juin 1964. Le gouvernement se résout alors à priver Juscelino Kubitschek de ses droits politiques, sous la pression de la Commission générale d’investigations (Comissão Geral de Investigações, CGI), autorité de tutelle des IPMs – l’ancien président Kubitschek avait pourtant consenti, du bout des lèvres, au coup d’État. Quelques semaines plus tard, c’est également sous la contrainte que Castelo Branco décrète la prorogation de son mandat jusqu’en mars 196736. Jusqu’en novembre 1964, la protestation demeure sourde et éparse – les manifestes émanent de personnalités isolées – et peu inquiétante pour le pouvoir. En septembre, un rapport du SNI considère que
« le groupe de ligne dure, même s’il fait des difficultés au gouvernement dans sa tâche administrative et dans ses projets déclarés de normalisation de la vie nationale, n’a pas moyen – ni n’en fait le projet, pour le moment – de bloquer le gouvernement, et peut, au maximum, exercer des pressions en faveur de certaines substitutions de personnes, dans l’aire militaire principalement. De plus, on peut sentir une usure de ces pressions et une lassitude envahir les milieux de ligne dure37 ».
37L’auteur du rapport n’a vraiment pas eu le nez creux : c’est justement le début d’une véritable organisation pour les officiers radicaux. Ils révèlent leur force politique et médiatique lors de la « crise du Goiás », en novembre 1964. Depuis mai 1964, le gouverneur de cet État des hauts plateaux centraux (où se trouve Brasilia), le colonel de réserve Mauro Borges Teixeira, est harcelé par des « révolutionnaires » locaux : bien qu’il ait appuyé le coup d’État, il est de longue date identifié au camp nationaliste et a commis le crime impardonnable de voyager dans des pays communistes au cours des dernières années. Un IPM est mis sur pied pour enquêter sur sa personne et son administration, bien qu’il continue de bénéficier de soutiens tant dans l’armée qu’au palais présidentiel. Au bout de quelques mois, la situation s’envenime et devient une question nationale. L’étincelle est l’attribution à Borges d’un habeas corpus préventif par le Suprême tribunal fédéral (STF) : de quoi contrarier, on s’en doute, les colonels des IPMs, qui y voient une défaite pour leur cause et le signe d’une incapacité de la « révolution » à s’imposer aux institutions existantes. Le tollé à droite oblige Castelo Branco à désavouer le tribunal dans une « note à la nation » et à décider d’une intervention fédérale qui destitue le gouverneur, à la fin novembre, sous l’égide du général Meira Mattos.
38Les attributions d’habeas corpus ont le don de faire sortir les protestataires de leurs gonds : non seulement elles entravent la radicalité de la répression, mais elles en viennent également à symboliser la résistance des institutions et de l’ordre ancien à l’élan révolutionnaire. C’est donc sans surprise un nouvel habeas corpus du STF qui, en avril 1965, met le feu aux poudres et ouvre la deuxième phase de la protestation militaire. Les forces armées sont alors échaudées par la « crise de l’aviation embarquée » qui, depuis décembre, rend ingouvernables les forces militaires maritime et aérienne. Par ailleurs, le pouvoir est fragilisé par la renaissance d’une opposition au congrès, jusque-là entièrement soumis à son bon vouloir, mais que la suspension des punitions et les premières dissidences de « révolutionnaires » civils encouragent à plus d’indépendance. La réaction de l’extrême droite militaire est d’autant plus vive que le bénéficiaire de l’habeas corpus est l’une de ses figures les plus honnies, l’ancien gouverneur du Pernambouc Miguel Arraes. Emprisonné depuis un an dans la prison insulaire de Fernando de Noronha, au large de la ville de Natal, sa libération est empêchée de force par le commandant du la Ire armée, le général Otacílio Ururahy et par le colonel Ferdinando de Carvalho, en charge de l’IPM du PCB. Castelo Branco doit de nouveau intervenir personnellement, cette fois-ci dans l’autre sens : il exige la remise en liberté d’Arraes, dont il est un lointain parent. L’ancien gouverneur demande immédiatement l’asile à l’ambassade d’Algérie avant de partir en exil. Le geste du général-président est évidemment perçu comme une grave trahison.
39À la suite de cet événement, le camp des protestataires connaît une phase d’expansion sans précédent. L’hiver 1965, de juin à septembre (nous sommes dans l’hémisphère sud) est particulièrement tendu. En septembre, le colonel Jayme Portella parle d’un « climat d’exaltation » dans les casernes38. En octobre, des élections dans les États sont le prétexte de la plus grave crise politico-militaire du mandat de Castelo Branco. Celle-ci voit deux acteurs s’immiscer dans le face à face entre le gouvernement et la nébuleuse radicale des colonels : la menace des casernes, plus particulièrement celle de la Vila Militar, qui concentre 20 000 hommes en armes dans la banlieue nord de Rio ; et le ministre de la Guerre Costa e Silva, qui assure alors habilement la pérennité du gouvernement tout en s’ouvrant une voie royale vers la présidence.
Enquêtes et ligue factieuse : les outils de la pression interne
40Au cours des mois qui suivent le coup d’État, les protestataires se mobilisent toujours derrière les mêmes bannières : ce sont leurs formes d’organisation et leurs pratiques qui évoluent jusqu’à menacer de renverser le pouvoir. Les officiers de ligne dure utilisent deux instruments principaux pour exercer leur pression politique : leur insertion dans l’appareil répressif, via les IPMs, et la création d’un mouvement civil-militaire d’extrême droite, la Ligue démocratique radicale (LIDER).
41Les 763 IPMs créés dans les semaines qui suivent le putsch sont un espace et un moteur puissants de protestation politique. En un an d’enquêtes, 50 000 opposants, soit 10 000 inculpés et 40 000 témoins, auraient été touchés par cette chasse aux sorcières impliquant plus de 3 000 officiers39. Ces derniers sont étiquetés « révolutionnaires » : des généraux, d’active ou de réserve, mais aussi beaucoup d’officiers supérieurs (colonels, lieutenants-colonels et même majors), y compris pour les IPMs les plus importants, l’épuration ayant largement élagué les plus hauts échelons la hiérarchie. Il s’agit, pour ces hommes, d’une rétribution symbolique (et financière) pour « services rendus à la révolution », qui leur donne visibilité, prestige et pouvoir : ils y attachent la plus grande importance. Leur refus de toute entrave au déroulement des IPMs, comme l’attribution d’habeas corpus, ne découle donc pas seulement de leurs convictions politiques : il s’agit également de conserver et faire durer un espace de pouvoir spécifique, source de valorisation sociale considérable à l’intérieur de l’institution.
42Beaucoup des colonels chargés d’IPMs sont des officiers d’état-major, passés par l’ECEME où ils sont supposés avoir reçu une solide instruction de « guerre révolutionnaire », qui ne les a pourtant nullement armés pour leurs nouvelles fonctions juridiques et policières. Ils sont largement livrés à eux-mêmes, malgré la tutelle qu’assure la Commission générale d’investigations, dirigée jusqu’à la mi-juillet 1964 par le très conservateur maréchal Taurino de Rezende40. Ce manque de formation et le nombre d’officiers impliqués sont tels que le Noticiário do Exército, organe de presse officiel du ministère de la Guerre, publie à partir de mai 1964 un manuel à destination des chargés d’IPMs, afin d’en communiquer les principes et les règles au plus grand nombre41. La non-connaissance des règles du droit incite ces milliers d’officiers, soustraits aux structures hiérarchiques et à leur environnement professionnel habituels, à mener leurs enquêtes en croisés, souvent très enclins à la violence.
43L’emploi de la violence, le mépris et l’ignorance des règles légales et réglementaires et le radicalisme idéologique des officiers sont en fait entremêlés : dans l’échelle de valeurs « révolutionnaires », l’élimination massive des opposants et la mise au jour de la supposée infiltration généralisée de communistes dans la société brésilienne prévalent sur le respect de la justice, des délais d’emprisonnement préventif et des droits humains. Il y a une dimension purificatrice dans l’emploi de la violence : elle garantit l’existence d’un processus révolutionnaire en cours, et la valeur exceptionnelle de ceux qui le mènent. Enfin, les dérives, excès et désobéissances sont autant de signaux que les « colonels des IPMs » envoient au pouvoir, montrant leur autonomie de fait et leur volonté d’en découdre.
44Entre août 1964 et janvier 1965, les actes d’indiscipline d’officiers investis de fonctions policières se multiplient : non-respect d’habeas corpus, comme celui du gouverneur du Sergipe, Seixas Dorias, en août 1964 ou de l’écrivain vieux et malade Astrojildo Pereira, compagnon de route du Parti communiste brésilien, en novembre de la même année ; menaces de démissions collectives ; contestations systématiques des décisions de justice qui obligent Castelo Branco, à plusieurs reprises, à assurer que « les enquêtes suivront leur cours normal devant la Justice42 ». Il s’agit d’abord d’enjeux locaux jusqu’à ce qu’en novembre, le cas du gouverneur du Goiás Mauro Borges prenne une dimension nationale. Au cours de cette période, les actes d’opposition sont généralement collectifs et, dans la presse, anonymes, sans généralisation de mots d’ordre ni contestation violente du gouvernement. Ils concernent les enquêtes en cours, selon le sentiment partagé que le pouvoir aurait créé l’outil artificiel des IPMs sans réellement souhaiter leur aboutissement. Le renoncement du président dans l’affaire du Goiás apaise les esprits – temporairement.
45Lorsque les « colonels des IPMs » réapparaissent sur la scène politique intra-militaire, en avril 1965, à l’occasion de la seconde contestation d’un habeas corpus du STF (concédé au gouverneur du Pernambouc Miguel Arraes), ils ne sont plus qu’une poignée, dans un contexte et selon une organisation très différents. Des 763 IPMs ouverts dans les mois qui ont suivi le coup d’État, seuls neuf sont encore en cours, du fait de la résistance de leurs responsables à clore la phase d’épuration révolutionnaire. On y trouve notamment le colonel Ferdinando de Carvalho, en charge de l’IPM du Parti communiste brésilien ; le colonel Osnelli Martinelli, pour l’IPM du Groupe des 11, une organisation milicienne populaire mise sur pied par Leonel Brizola en 1963 afin de résister aux forces putschistes ; le colonel Gérson de Pina, collègue de Martinelli au lycée militaire de Rio, qui dirige l’IPM de l’Institut supérieur d’études brésiliennes (Instituto Superior de Estudos Brasileiros, ISEB), think tank progressiste et développementiste fondé dix ans auparavant ; ou encore le major Cléber Bonecker, à qui échoit l’IPM de la presse communiste. Le mouvement de protestation de ces officiers, baptisé par la presse la « crise des colonels des IPMs », dure d’avril à juin 1965. Cette opposition n’est plus, comme à la fin de l’année 1964, un « radicalisme corporatif », collectif, anonyme, éparpillé et localiste. Les « colonels des IPMs » sont alors les figures de proue d’une opposition militaire au président Castelo Branco, organisée, qui brandit depuis plusieurs mois une alternative « révolutionnaire ».
46À l’arrière-plan se trouve la Ligue démocratique radicale (ou LIDER), fondée en septembre 1964, qui incarne rapidement l’autre force d’opposition militaire et publique au gouvernement castelista. Elle reprend les revendications précoces des chargés d’IPMs – liberté des enquêtes, restriction des pouvoirs du judiciaire, prorogation des articles d’épuration de l’Acte institutionnel – tout en mettant en avant, dès ses premiers manifestes, une plateforme politique beaucoup plus large de « politiques révolutionnaires », notamment du point de vue économique. La Ligue se place en partie dans la ligne politique de l’amiral Sílvio Heck : nationalisme économique et « authenticité » d’une révolution radicale. Les premières apparitions de la Ligue dans la presse et les archives des services de renseignements (brésilien et étrangers) datent de septembre-octobre 1964. Ce qu’en pensent les analystes du SNI est alors mystérieux : on lui nie une « capacité de mobilisation appréciable, bien qu’il faille avoir à l’esprit l’agitation qu’elle est en mesure de promouvoir, à tout moment et dès maintenant43 ».
47Une note présente dans les archives de l’armée de terre française est plus explicite :
« La Ligue démocratie radicale fut fondée à RIO DE JANEIRO dans la nuit du 23 septembre 1964 par des éléments civils et militaires avec une prédominance pour ces derniers. Ils appartiennent tous à divers organismes liés entre eux par un même idéal : la défense intransigeante de l’esprit qui anima la révolution du 31 mars.
[…] La ligue n’est pas l’union de toutes les forces de la “ligne dure” ; c’est une des ailes extrémistes, mécontente de l’état actuel des choses, qui s’organise44. »
48Plusieurs traditions et factions militaires sont représentées dans la LIDER. Derrière l’amiral Heck se trouvent ses réseaux conservateurs des États de São Paulo et du Minas Gerais, ainsi que le Groupe d’action patriotique (Grupo de Ação Patriótica, GAP), anticommuniste. Le GAP, fondé dans le Minas, serait une organisation paramilitaire réunissant des civils et des militaires de réserve45. Heck et son acolyte le général de réserve José Alberto Bittencourt, ancien dirigeant du Front patriotique civil-militaire, sont d’abord les hommes forts de la LIDER, avant que ne leur succède, au début de 1965, le triumvirat composé du colonel Osnelli Martinelli, de l’avocat Luis Mendes de Moraes Neto et du colonel Joaquim Pessoa Igrejas Lopes. Martinelli et Gérson de Pina, professeurs au lycée militaire de Rio et investis d’IPMs, incarnent l’activisme anticommuniste carioca, lié au groupuscule terroriste MAC et placés sous le leadership du gouverneur de l’État Carlos Lacerda. Luis Mendes de Moraes est un vétéran d’Aragarças – l’un des seuls participants civils de la révolte –, dont il a rédigé le manifeste officiel46. Ses congénères, ainsi que ceux de Jacareacanga, sont nombreux dans la LIDER : le capitaine Tarcísio Nunes Ferreira, le major Alberto Fortunato, le brigadier João Paulo Moreira Burnier et le civil Charles Herba, tous participants de l’une des révoltes, sont des membres actifs de la Ligue.
49Il existe une grande continuité dans les profils des dirigeants de la ligue : ce sont des activistes anticommunistes portés sur l’action violente, impliqués dans les révoltes et conspirations de la décennie précédente, liés aux milieux extrémistes civils. Un basculement s’opère néanmoins en 1965, lorsque la génération des vieux officiers généraux passe le relais à celle des colonels, tandis que le centre de gravité du mouvement se déplace à Rio, où se concentrent l’essentiel des troupes et la jeunesse militaire la plus mobilisée. La LIDER siège dans l’ancienne capitale ; elle est dirigée par un « Conseil des Leaders » de cinquante membres, dont vingt-cinq sont élus à vie par l’assemblée générale et nomment l’autre moitié, régulièrement renouvelée. Le mot de leader (líder en portugais), qui désigne à la fois l’organisation et ses dirigeants, est central. Récurrent et très valorisé dans le vocabulaire militaire, il est associé au charisme, à l’autorité naturelle et au volontarisme belliqueux et politique. Les officiers activistes l’utilisent pour dénigrer leurs rivaux, s’intégrer symboliquement dans un groupe ou décrire leur propre action sans employer le mot déprécié de « politique ». Osnelli Martinelli, par exemple, considère que Carlos Lacerda « n’était pas un politicien à nos yeux, c’était un leader. Et à une certaine période, il y avait beaucoup de leaders, y compris dans la marine et l’aéronautique… aujourd’hui ça n’existe plus. Aujourd’hui, malheureusement, il n’y a plus de leadership47 ». Il raconte avec une insigne fierté que le général Costa e Silva les a un jour présentés, avec le général Gérson de Pina, en ces termes : « Ce sont nos leaders. » Un qualificatif que lui refuse avec une once de mépris le colonel Amerino Raposo Filho, un « dur » proche de Boaventura et extérieur à la Ligue. Pour lui, Martinelli « avait les caractéristiques du leadership », mais qu’il en « exagérait un peu l’exercice48 ». Entre ces deux groupes de la première ligne dure (la LIDER et l’entourage de Boaventura), malgré une claire collusion politique, il existe en effet un fossé qui s’approfondit au fil du temps. Les premiers accusent les seconds d’inconséquence, et se voient souvent qualifier des sectaires. Ce mépris réciproque s’explique par la disparité des profils – la Ligue est une réunion disparate d’activistes d’extrême droite, civils et militaires, en charge d’enquêtes politiques ; le réseau de Boaventura et Amerino Raposo est constitué d’officiers d’active au brillant parcours professionnel, commandants de troupes – et les divergences politiques ultérieures.
50Le nombre de membres de la LIDER est difficile à évaluer avec certitude : à sa fondation, la ligue revendique 2 000 officiers ; en janvier 1965, la presse parle de 3 700 officiers tandis que quelques jours plus tard, dans la bouche de Sílvio Heck, ce sont 5 000 officiers (active et réserve) qui se regrouperaient derrière sa bannière. Les autorités parlent au contraire de quelques dizaines d’individus : en juin 1965, l’offensive punitive que la hiérarchie militaire lance contre la ligue est précédée de déclarations quant à son caractère « ultra-minoritaire » dans les forces armées, avec quarante membres qui ne permettraient même pas de constituer le « conseil des leaders ». D’autres documents parlent de 200 à 300 officiers présents dans les réunions à Rio, ce qui ne présage pas des relais dans d’autres États, ni du militantisme actif.
51La LIDER s’exprime par manifestes, distribués dans les casernes puis communiqués à la presse. Entre septembre 1964 et novembre 1965, date à laquelle la ligue est interdite par le ministre de la Justice Juracy Magalhães, trois textes sont diffusés, en février, juin et novembre 1965. Ils traduisent les diverses tendances de l’organisation, autour de deux pôles que sont le radicalisme répressif et le nationalisme économique. Il existe une relative spécialisation interne, autour de « sections » (« Diffusion et Propagande », « Secteur Féminin », « Secteur Professionnel », « Travaux Spéciaux », etc.) et des orientations des membres. Martinelli, ainsi, confesse son peu d’intérêt pour les questions économiques, dans lesquelles l’amiral Heck ou le colonel Igrejas Lopes étaient particulièrement impliqués49.
52Malgré les groupuscules activistes qui y sont représentés, la LIDER ne pratique pas d’actes violents et s’illustre peu dans des manifestations de rue. La seule action de ce type se déroule à la fin mars 1965 au Largo de São Francisco, devant un bâtiment de l’université fédérale de Rio de Janeiro. Des militants de la Ligue et de l’association féminine anticommuniste Campagne de la femme pour la démocratie (Campanha da Mulher pela Democracia, CAMDE) accompagnés d’agents de la police politique (DOPS) également membres de la LIDER, affrontent physiquement les signataires d’un « Manifeste d’intellectuels » rassemblés sur la place, qui finissent par être arrêtés par la police. L’événement fait grand bruit et émeut certains des ministres du Supérieur tribunal militaire, comme le général Peri Bevilacqua, de plus en plus critique face aux excès répressifs du régime. Bevilacqua s’oppose au général Mourão Filho sur ce thème dans l’enceinte du tribunal – quelques moins plus tard, ils s’allieront dans l’opposition libérale au gouvernement50. La rixe signale également l’inscription de la LIDER dans un réseau civil-militaire de groupuscules de droite. En particulier, les liens avec la CAMDE sont forts, du fait d’affinités politiques et personnelles : en octobre 1965, 200 dissidentes de l’organisation féminine, sous l’impulsion d’Elizabeth Martinelli (épouse d’Osnelli), font sécession pour adhérer à la Ligue51. Cette dernière dispose enfin de relais au Congrès, où certains députés se font les hérauts du radicalisme répressif, notamment le colonel de réserve José Costa Cavalcanti, frère de Francisco Boaventura ; ou Nina Ribeiro, qui porte en mai 1965 le cas de l’habeas corpus de Miguel Arraes devant l’Assemblée législative de la Guanabara, accompagné et applaudi par deux cents officiers de ligne dure.
53À partir de décembre 1964, la LIDER occupe l’essentiel de l’espace politique d’opposition militaire à Castelo Branco. Ses porte-parole sont des militaires de réserve moins soumis aux punitions disciplinaires que leurs collègues d’active. La crise des « colonels des IPMs », d’avril à juin 1965, est à comprendre dans ce contexte d’un apogée de la Ligue : les propos des chargés d’enquêtes demeurent certes axés sur les questions d’épuration et de répression et jamais économiques, mais ils opposent désormais un projet politique à celui de Castelo Branco. Ainsi les neuf chargés d’IPMs lancent, le 13 mai 1965, un ultimatum au gouvernement : ils menacent de démissionner si le STF n’est pas réformé et si les dispositions punitives de l’Acte institutionnel, caduques, ne sont pas remises en vigueur. Ces deux revendications seront effectivement satisfaites par la promulgation, le 27 octobre 1965, du deuxième Acte institutionnel. Mais, pour l’heure déboutés de leurs requêtes, Osnelli Martinelli, Gérson de Pina, Cléber Bonecker et Ferdinando de Carvalho démissionnent successivement de leurs IPMs à la fin juin. Les deux premiers sont emprisonnés pour proclamations contraires au gouvernement, tout comme le lieutenant-colonel Júlio Valente, un ancien d’Aragarças, et l’amiral Rademaker, qui se portent solidaires des colonels d’IPMs et leur rendent visite en prison. La tradition des « visites aux détenus » comme marque d’un front du refus s’installe.
54Derrière les figures phares de la protestation militaire que sont la LIDER et les « colonels des IPMs » se trouvent les officiers des casernes et des écoles, considérablement plus discrets puisque soumis à un règlement disciplinaire plus strict. Or c’est dans la masse des officiers et l’élite militaire d’active que se trouve le véritable risque politique pour le pouvoir. C’est également vers là que les colonels de ligne dure regardent, parce que « l’opinion des casernes » et la voix des chefs sont des sources essentielles de légitimité et de force politique. Ces colonels sont en effet profondément imprégnés par le double imaginaire de la hiérarchie et du leadership. Le premier invalide, de fait, la mise en avant d’une personnalité issue de leurs rangs comme compétiteur politique possible des généraux au pouvoir. Il les définit comme des subordonnés, dont les opinions doivent remonter les échelons militaires pour être entendus par les chefs. Le leadership a une connotation différente, puisqu’il valorise le charisme et l’autorité politiques d’un « homme fort » auprès de ses pairs et de ses subordonnés. Les colonels protestataires se trouvent en équilibre instable entre la quête d’un soutien dans la base, et la recherche de la nécessaire tutelle d’un général. Ils regardent donc vers le haut, tout en tirant leur légitimité de la masse des officiers dont ils prétendent être les porte-parole – une logique du nombre que les putschistes prétendaient pourtant en 1964 vouloir éradiquer de leur institution.
Les casernes et leur ministre
55La toile de fond de ces mobilisations politiques est une certaine représentation et, plus encore, une mise en débat, de ce que sont la « révolution » et le régime en train de se construire. S’agit-il d’un pouvoir militaire ? La souveraineté de la nation a-t-elle été confiée aux forces armées comme institution ? Si oui, pourquoi maintenir un congrès, des élections, des partis ? Si non, pourquoi la quasi-totalité d’un exécutif aux pouvoirs démesurément renforcés est-il désormais composé d’hommes en armes ? À ces questions, le président Castelo Branco répond par le maintien le plus important possible des apparences d’une normalité civile et démocratique, et un effort de dépolitisation et démobilisation de l’armée d’active. Il insiste sur la permanence de pouvoirs législatif et judiciaire, ainsi que sur l’appui populaire sans équivoque à la « révolution » ; il revêt peu l’uniforme.
56Cette représentation initiale du régime dictatorial est celle qui, après la transition démocratique, a été mise en avant dans la mémoire militaire, toutes factions et orientations politiques confondues : le coup d’État aurait été une « révolution civile-militaire », le gouvernement peuplé de technocrates, la classe politique civile pleinement impliquée dans les orientations du régime, la population globalement enthousiasmée par les succès rencontrés – tant répressifs qu’économiques. Notons par ailleurs que, pour des raisons en partie identiques, cette représentation et l’appellation de « dictature civile-militaire » est en passe de gagner la bataille des mots, de la mémoire et de l’historiographie : depuis le milieu des années 2000, la volonté d’un certain nombre de militants et d’historiens de souligner les collaborations et appuis dont a effectivement bénéficié le pouvoir dictatorial au sein de la société civile a incité à l’abandon du seul adjectif « militaire52 ». Or d’une part, cette nouvelle appellation occulte la modification de la composition, de l’organisation et des modes de légitimation du pouvoir et de l’appareil d’État à partir de 1964. L’État brésilien, à tous ses échelons, se militarise profondément. D’autre part, elle pousse à oublier les débats, au sein des putschistes eux-mêmes, sur la nature et le devenir du régime. Dès les années 1964-1965, les officiers de « ligne dure » fondent leur action politique sur un désaccord : pour le camp castelista, une partie de l’élite militaire s’était glissée dans le système existant, afin de sauver la patrie et adapter quelque peu la démocratie brésilienne aux défis de la guerre froide ; pour les colonels protestataires, la « révolution » était militaire et le gouvernement était responsable devant les forces armées.
57L’affrontement politique entre le gouvernement et son opposition radicale se double donc d’un désaccord sur la base et la légitimité politiques du pouvoir. Les mises en pratique de ces deux discours contradictoires sont pourtant pleines d’ambiguïtés : les officiers protestataires en appellent à une souveraineté militaire de masse, mais demeurent à la recherche d’un leader qui constituerait un débouché politique, tandis que le gouvernement, au prétexte de dépolitiser les forces armées, prépare l’installation dans la durée d’un régime de généraux.
58Le camp des protestataires dispose d’une ressource considérable dans son opposition au pouvoir : l’inquiétude et le mécontentement croissants d’officiers plus nombreux, plus jeunes, plus difficiles à réprimer. « L’effervescence des casernes » est toujours compliquée à évaluer ; elle est probablement d’abord limitée. Les documents du SNI, qui fournissent un panorama régulier de la situation générale du pays d’août 1964 à juillet 1965, donnent l’image d’un isolement des réseaux activistes dans le corps des officiers53. « L’inquiétude des Forces Armées » à propos de « la politique économico-financière [libérale] du Gouvernement et les décisions du STM [qui concède de nombreux habeas corpus] » est mentionnée en début de période54. Rapidement, les bulletins identifient plus précisément les protestataires tout en relativisant leur influence parmi les officiers : en novembre 1964, en plein conflit autour du cas de Mauro Borges, le milieu militaire est considéré comme calme, « la tâche d’épuration […] ne suscit[ant] que des critiques momentanées et légères » et « les errances de la dite ligne dure paraiss[a]nt s’épuiser55 ». En avril 1965, lors de l’éclosion de la crise des « colonels des IPMs » due à l’habeas corpus de Miguel Arraes, l’agent du SNI considère que
« les Forces armées […] sont aussi travaillées par ces agents désagrégateurs, bien que dans une moindre mesure, du fait de l’armure de la discipline et du sentiment du devoir militaire qui les occupent. Mais tous ne resteront pas indemnes. Et, déjà, la menace les atteint56 ».
59Enfin en juillet 1965, après les démissions fracassantes de certains des chargés d’IPMs et lorsque la LIDER semble à son apogée, un dernier document considère que leurs « tentatives d’agitation ne semblent pas impressionner le milieu militaire57 ».
60Les sources disponibles permettent de supposer l’existence de certains foyers d’agitation militaire à cette période, localisés à la Vila Militar, en banlieue de Rio de Janeiro. Le premier est l’École de perfectionnement des officiers (EsAO), haut lieu de conspiration sous le gouvernement Goulart. Après le coup, les traces d’une insatisfaction des capitaines qui y résident et y étudient sont indirectes : c’est là que les principaux discours d’appel au calme et au rétablissement de la discipline du chef de l’État et du ministre de la Guerre sont prononcés. Lors de la clôture des cours en juillet 1964, Castelo Branco y fournit un panorama, d’une franchise inusitée, de l’insatisfaction des jeunes officiers qu’il appelle au respect du « devoir militaire ». Les motifs de mécontentement évoqués (l’épuration insuffisante et les tergiversations négociatrices du pouvoir) sont en parfaite consonance avec les futurs propos de la « ligne dure58 ». Un an plus tard, lors de la même cérémonie, c’est au tour du ministre de la Guerre Costa e Silva de rappeler l’exigence disciplinaire, avec les colonels dans la ligne de mire :
« Aujourd’hui, plus que jamais, il faut que la jeunesse, ce cœur, cette moelle de l’armée, ait également son visage, ses pensées, ses aspirations, tournées vers les Chefs. En leur faisant confiance…
Comme un capitaine ne se laisse pas dépasser par un lieutenant, ni un lieutenant par un sergent ni un sergent par un caporal, également les généraux d’aujourd’hui ne se laisseront pas dépasser par leurs subordonnés, quels que soient leurs postes et leurs grades59. »
61Ce discours constitue, outre un indice de l’échauffement des esprits dans l’école, un témoignage de la stratégie complexe du ministre de la Guerre en relation à l’insatisfaction militaire. Costa e Silva (né en 1899) est de la même génération que Castelo Branco. C’est un homme du sud (gaucho), d’origine moins aristocratique que Castelo (son père est un commerçant portugais, quand celui du président en place était officier) mais il mena des études et une carrière tout aussi brillantes. Athlétique, expansif, impliqué dans de nombreuses articulations politiques, il est à de nombreux points de vue l’antithèse du président. Depuis les jours qui suivent le coup d’État jusqu’au plus fort de la crise militaire d’octobre 1965, depuis son ministère, Costa e Silva ne cesse d’appeler au respect de la discipline et de la hiérarchie. « L’heure est venue pour la troupe de regagner les casernes et de conserver la discipline », dit-il aux lendemains du putsch60. Des ambiguïtés se nichent pourtant dans ses déclarations publiques. Il se présente d’abord comme le relais des insatisfactions militaires. Or cette oreille attentive, hiérarchiquement légitime, se mue souvent en porte-parole, tant les thématiques chères aux protestataires gagnent de l’espace dans ses discours. Lors de la crise des colonels des IPMs, en avril 1965, il joue ouvertement le chaud et le froid : un jour, il défend face à un auditoire enflammé de jeunes officiers « dix ans de gouvernement révolutionnaire […] avec ou sans […] Castelo Branco » ; avant de tenir, le lendemain, des propos dithyrambiques sur le chef de l’État61.
62Par ailleurs, les appels sempiternels de Costa e Silva à la discipline et au calme des casernes le posent en garant de ceux-ci auprès du pouvoir et, partant, en « homme fort » doté d’une autorité incontestable sur le corps des officiers. C’est exactement cette position de pompier pyromane que le ministre de la Guerre adopte au mois d’octobre 1965, lorsque des élections de gouverneurs d’États transforment les protestations de ligne dure en menace directe pour le pouvoir. La tenue d’élections, souhaitée par Castelo Branco, était déjà désagréable à la droite militaire ; la victoire d’opposants dans deux des principaux États de la fédération – Francisco Negrão de Lima dans la Guanabara, en remplacement de Lacerda, et Israel Pinheiro dans le Minas Gerais, tous deux pour le Parti social démocratique (Partido Social Democrático, PSD), getulista de centre droit – met le feu aux poudres. Elle apparaît aux radicaux comme la fin officielle du processus de « nettoyage » que les durs souhaitent pérenniser.
63Costa e Silva prononce alors au 1er régiment d’infanterie de la Vila Militar un discours demeuré célèbre où il fait siennes nombre des formules radicales, tout en désamorçant le soulèvement :
« Je veux vous affirmer, et c’est avec fierté que je le fais, que [l’]esprit révolutionnaire prévaut aujourd’hui plus que jamais. Nous avons une Révolution sui generis, une Révolution qui un an après son implantation n’a de problèmes que pour contenir ceux qui sont trop révolutionnaires. (Applaudissements) Nous ne craignons pas les contre-révolutions… (Applaudissements) Nous sommes par contre préoccupés par l’enthousiasme, l’ardeur de cette jeunesse qui veut plus de révolution. Mais je vous garantis, mes amis, je vous garantis, mes jeunes commandés, que nous savons où nous mettons les pieds. Les chefs actuels, comme je l’ai dit hier et comme je le répète aujourd’hui, sont aussi révolutionnaires que les jeunes révolutionnaires. (Applaudissements) Je vous garantis que ceux qui ont été écartés ne reviendront pas. (Ovation) […] Ils ne s’empareront jamais de ce pays62. »
64La menace qui pèse sur le pouvoir est alors due au mécontentement généralisé des officiers de la Vila Militar face au résultat électoral et, plus profondément, au respect de certaines règles démocratiques dans le pays. Au cœur de la Vila, la brigade parachutiste constitue un autre foyer d’activisme avéré depuis la fin de l’année 1964. Appelé « Noyau de la Division Aéroterrestre », ce bataillon est de création très récente (1953), de petite taille (moins de cent militaires) et considéré d’élite dans la corporation. Le général Ulhôa Cintra, proche collaborateur de Castelo Branco, donne témoignage de cette agitation dans une lettre adressée en juillet 1965 au général Otacílio Terra Ururahy (commandant de la Ire armée), parlant d’un « mal-être qui perdure toujours dans la force des parachutistes » dû à une « mentalité délétère de surhommes, qui les mène à sous-estimer les camarades des autres corporations » et à adopter « attitudes inadaptées63 ».
65Certains officiers parachutistes, notamment le chef d’état-major de la brigade, le fameux lieutenant-colonel Francisco Boaventura Cavalcanti, sont d’ailleurs impliqués dans une conspiration ourdie par le chef de l’état-major de la Ire armée, Afonso de Albuquerque Lima, et par l’amiral Sílvio Heck, pour renverser le président. Sur cette dernière, nos informations sont fragmentaires : à la fin novembre, la presse mentionne une « Junte de Humaitá », du nom du quartier de Rio où les comploteurs se retrouvaient, impliquant notamment Heck et deux autres colonels de ligne dure, Heitor Caracas Linhares et Plínio Pitaluga. Mais la rébellion, d’un grand amateurisme, n’a pas lieu. Le colonel Kurt Pessek raconte comment une poignée d’officiers s’étaient alors réunis sur la Place du 15 novembre, à Rio de Janeiro : constatant le manque total de coordination et de préparation, Boaventura les a dissuadés de marcher sur le Palais64. Ernesto Geisel, alors chef du cabinet militaire de la présidence, considère que la rébellion était un simple bluff65.
66En octobre 1965, le ministre Costa e Silva gagne donc sa place de leader de la protestation militaire : il la gagne de la troupe, alors que l’activisme visible (dans les archives et, en partie, pour le pouvoir), depuis le coup d’État, se trouvait essentiellement concentré dans une nébuleuse de « ligne dure » tenue à l’écart des casernes par l’exercice d’enquêtes policières ou le passage à la réserve. Il la gagne, également, contre le leader historique des protestataires, le gouverneur de la Guanabara jusqu’en octobre 1965, Carlos Lacerda. Celui-ci mène depuis juillet 1964 une valse hésitation à l’égard du gouvernement, dans le but de s’affirmer comme le successeur inévitable de Castelo Branco tout en tentant de conserver sa base politique parmi les officiers radicaux. L’affaire n’est pas aisée, puisque son projet de candidature aux prochaines présidentielles (initialement prévues pour octobre 1966) induit des positions souvent contradictoires avec les options politiques défendues par les durs : il s’oppose ainsi à la prorogation du mandat de Castelo Branco, abandonne sa virulence putschiste pour une modération plus apte à assurer l’appui de la classe politique civile, s’oppose au report des élections de gouverneurs en octobre 196566. Ses ambitions, de fait, nécessitent le maintien d’une routine électorale et d’une certaine autonomie des élites civiles : elles n’auraient plus de place en cas d’installation d’un régime militaire et autoritaire. Mais, d’un autre côté, ses appuis militaires constituent sa meilleure chance de peser dans les rapports de forces internes au palais et à la caserne. N’étant pas à une contradiction près, il se porte solidaire en juillet 1965 des colonels de ligne dure en lutte pour un approfondissement de l’épuration. Il rend alors visite à Martinelli en prison, à la suite du « groupe bleu et blanc » qui avait « défendu » le palais de la Guanabara au moment du coup d’État. Même comportement opportuniste lors de la crise d’octobre 1965, lorsqu’après avoir défendu la tenue d’élections, il accuse le gouvernement de la défaite, prétend renoncer à sa candidature à la présidence de la République et affirme que la révolution est terminée. Alors que la perspective d’un soulèvement de la Vila Militar semble temporairement écartée par l’intervention du ministre de la Guerre, les réseaux lacerdistas continuent de s’agiter : le 15 octobre, une manifestation devant le Club militaire rassemble de nombreux membres de la LIDER et de la CAMDE aux cris de « les portes du Club Militaire sont fermées, celles du Palais de la Guanabara sont ouvertes », « Lacerda, Lacerda », « ce sont des révolutionnaires du 1er avril et pas du 31 mars67 ».
67Le sort de Lacerda est scellé en quelques semaines. Le 3 octobre, il laisse le poste de gouverneur de la Guanabara à l’opposition et, le 27 du même mois, le tout nouvel Acte institutionnel n° 2 compte parmi ses dispositions l’extinction des partis existants, et notamment de l’UDN qui l’avait un an plus tôt investi comme candidat aux prochaines présidentielles. L’AI, entre autres dispositions, instaure en effet le bipartisme. Les espoirs de l’ancien gouverneur s’évanouissent d’autant plus complètement que les acclamations qui accueillent Costa e Silva à la Vila Militar font du ministre de la Guerre un successeur beaucoup plus évident à Castelo Branco. Évident, en tout cas, dans la mesure où l’Acte consacre l’inscription dans la durée d’un régime véritablement militaire.
68Les interventions du ministre de la Guerre et la promulgation de l’AI-2 n’apaisent pas entièrement l’agitation des officiers : certains des artisans du soulèvement avorté du début du mois réapparaissent sur le devant de la scène tout au long de novembre et décembre, afin d’empêcher l’entrée en fonction du nouveau gouverneur de la Guanabara Negrão de Lima : le colonel Ferdinando de Carvalho demande la suspension de ses droits politiques, tandis que le chef d’état-major de la brigade parachutiste, Francisco Boaventura, diffuse dans le même but le premier manifeste politique d’un colonel d’active depuis le coup d’État. Puni et emprisonné, il reçoit une visite de Martinelli. Le colonel Hélio Lemos, qui s’était porté solidaire, le suit dans la cellule. Derrière la bannière de la non-investiture du gouverneur, la nébuleuse radicale n’a jamais été aussi soudée. Notons que, dans sa grande diversité, elle a pour point commun l’attachement à Lacerda (on parle de lacerdismo) et non la confiance en Costa e Silva. C’est ce que souligne Jayme Portella de Mello, proche du ministre de la Guerre, dans ses mémoires : « Le groupe d’officiers lié à M. Carlos Lacerda tente de jouer sa dernière carte68. » C’est d’ailleurs Costa e Silva, comme ministre de tutelle, qui les punit par des transferts hors de la ville de Rio : Boaventura est envoyé à Campo Grande, au fin fond du Mato Grosso ; Hélio Lemos à Bagé, à l’extrême sud du pays ; Martinelli au lycée militaire de Salvador. Les gouverneurs Negrão de Lima et Israel Pinheiro entrent en fonction le 5 décembre 1965.
69La disparate « première ligne dure », part visible de la politisation militaire, n’a donc porté que par ricochet la candidature à la présidence du ministre de la Guerre. Bien que certains des plus jeunes officiers aient fréquenté l’entourage de Costa e Silva avant 1964, celui-ci ne fait pas partie, à la différence de Lacerda, des réseaux de ces infatigables conspirateurs. Mais l’habile droitisation de son discours et surtout le mécontentement des officiers d’active, en particulier à Rio, valorisent en Costa e Silva la position de « commandant », seul à même d’éviter l’insoumission généralisée des subordonnés, et sa légitimité hiérarchique. Dans le dernier discours qu’il prononce avant la promulgation de l’AI-2, devant des officiers de la IIe armée réunis à Itapeva (São Paulo), cette position est clairement assumée. Il attaque d’abord de front le président du STF, parlant de « dictature judiciaire » conservée par « mysticisme civiliste ». Puis il conclut par l’envolée très ambiguë : « Certains disent que le Président de la République est faible politiquement. Quel problème d’être faible politiquement s’il est fort militairement69 ? » Le discours est, de plus, improvisé en présence de Castelo Branco, après que le président s’est lui-même exprimé, ce qui est contraire à l’ordre des préséances en cette occasion.
70La candidature de Costa e Silva est lourde de significations sur la nature du régime : elle indique que la légitimité du pouvoir provient directement des casernes, dont l’agitation appelle un leader politique (identifié comme « à poigne » et imprégné de « l’idée révolutionnaire ») qui soit également un commandant militaire. Selon les officiers de ligne dure, les casernes sont donc souveraines. Plus exactement, ce sont les « forces armées révolutionnaires » qui constituent « l’assemblée permanente » devant laquelle serait responsable le gouvernement70 : comme le signalait d’ailleurs quelques mois plus tôt le second manifeste de la LIDER, paru dans la presse le 23 juin 1965, « le Chef du Gouvernement n’est rien de plus qu’un Délégué du Commandement Suprême de la Révolution et, en conséquence, ne peut en aucun cas agir contre les idéaux révolutionnaires, qui prévalent sur la Constitution elle-même71 ». Mais la souveraineté des « révolutionnaires » pose problème du fait de l’indéfinition de ce groupe, après une conspiration multipolaire et un coup d’État dont tous revendiquent l’initiative. La position du pouvoir castelista est tout autre : imprégné de l’exigence d’une armée professionnelle, il défend et applique des mesures de dépolitisation et de mise au pas de l’institution militaire – la souveraineté demeurant, théoriquement, au peuple épuré de ses éléments antinationaux parce que « subversifs et corrompus ».
71Les appels au respect de la hiérarchie et de la discipline militaires ne sont certes l’apanage d’aucune faction, mais Castelo Branco leur ajoute une exigence : les casernes doivent se tenir à l’écart du débat politique et se soumettre aux autorités constituées sans adouber ni critiquer leurs décisions. En juillet 1964, devant les capitaines de l’EsAO, il déclare ainsi :
« Il me paraît que je dois vous parler et même vous demander quelle est votre position. Est-ce celle de solidarité avec le gouvernement ? Non. Parce que l’armée n’est pas un parti politique pour apporter sa solidarité au gouvernement ou à qui que ce soit. Qui a le droit d’apporter sa solidarité a aussi le droit d’apporter sa réprobation. Le gouvernement espère-t-il votre appui ? Non. L’Armée Nationale n’est pas une association pour manifester, ici et là, son appui à un élément ou à un autre, parce qu’elle aurait aussi le droit de le désapprouver. Je trouve que votre position doit être celle qu’il faut trouver dans le devoir militaire72. »
72Le rejet de la politique hors des casernes qui a, avant le coup d’État, nourri un certain légalisme, faisait également partie de l’argumentaire des putschistes, pour qui les mobilisations de sergents, les prises de position des generais do povo (« généraux du peuple ») et plus généralement l’appui militaire au gouvernement Goulart constituaient autant de menaces à l’intégrité de l’institution. Castelo Branco récupère ces références du légalisme constitutionnel, ainsi que les très conservateurs rejets de « l’intromission politicienne » et de toute démocratie interne, pour lutter contre l’activisme des militaires protestataires. Leur est assortie la stigmatisation récurrente des civils comme responsables de la politisation militaire – ces « vivandières survoltées [qui, depuis 1930] viennent dans les campements tourmenter les grenadiers et provoquer les extravagances du Pouvoir Militaire73 », où l’on reconnaît les chefs civils de la révolution, au premier rang desquels Lacerda mais également le gouverneur du Minas Gerais, Magalhães Pinto.
73Dans cette exigence de réserve politique, certains espaces (la caserne elle-même, où se côtoient officiers et soldats dans les exercices de préparation au combat) et grades (les officiers subalternes et supérieurs) sont plus sacrés encore. Le nouveau pouvoir ne se contente pas de propos incantatoires : une législation nouvelle est mise en place, visant à distinguer la participation politique des militaires comme individus, obligatoirement mis à l’écart du service actif, et le suivi d’une carrière professionnelle. En juillet 1964, un décret autorise ainsi l’activité politique pour les militaires de réserve, puisque « dans un régime démocratique », « les restrictions qui pèsent sur les militaires quant à la libre manifestation de leur pensée et à l’exercice d’activités politico-partisanes […] ne se justifient fondamentalement que par les particularités inhérentes à l’exercice de la charge ou de la fonction d’un militaire en service actif ». « De telles restrictions n’ont pas lieu d’être quand le militaire passe à l’inactivité. » Alors il « récupère ses droits de citoyen dans toute leur plénitude ». Ils ne sont ainsi plus soumis au règlement disciplinaire de l’armée (RDE)74. Ce texte, étonnant alors que la fronde anti-gouvernementale monte justement, à cette époque, des rangs d’officiers réservistes ou retraités, répond à la volonté d’empêcher l’émergence de leaders militaires d’active tout-puissants sur la scène politique et créateurs de factions. La mesure phare de ce projet est la loi adoptée en décembre 1965, qui limite à quatre ans le temps de permanence au grade de général d’armée et contraint au passage à la réserve après deux ans d’un éloignement obligatoire de l’active en cas d’exercice de charges électives75.
74Le pouvoir n’adopte pourtant que tardivement une politique punitive à l’égard des officiers activistes. Ainsi, bien que des menaces pèsent sur elle dès janvier 1965, la LIDER n’est fermée qu’en novembre, comme « entité subversive » et à la suite de son troisième manifeste. Les premiers emprisonnements disciplinaires – limités à 30 jours, sans éloignement ultérieur du poste à moins d’une décision contraire du conseil de Justification, instance disciplinaire suprême des forces armées brésiliennes, ou du STM – datent de la crise des « colonels d’IPMs » de juin 1965. L’entreprise systématique de dispersion de la ligne dure n’est mise en œuvre qu’en décembre. Castelo Branco montre ici la fragilité de ses soutiens militaires : incapable de réprimer suffisamment tôt et fort les turbulences de ces colonels « révolutionnaires », dont son puissant ministre de la Guerre fait par ailleurs ses choux gras, il laisse se développer une conception du régime qui n’était pas la sienne. Non pas tant parce qu’il serait trop libéral, modéré ou humaniste pour s’accommoder du système politique dont l’AI-2 accouche : il s’y fera au contraire très bien, finalement ravi de cette « institutionnalisation de la révolution » pour laquelle on lui a pourtant un peu forcé la main. C’est sur un autre plan que le processus politique lui échappe : l’entrée dans les esprits et les mœurs que l’armée est le collège électoral du pays, et les leaders militaires, ses dirigeants légitimes.
Le monopole de la révolution
75Les dynamiques politiques des premières années du régime militaire s’articulent autour d’oppositions apparemment binaires. Au rang de principes souverains, la « révolution » ou la « légalité constitutionnelle » ? À celui de participants légitimes au processus politique, le gouvernement ou les « révolutionnaires » ? Cette division est en fait simpliste, puisque tous les acteurs se définissent comme révolutionnaires, et nombre d’entre eux comme des légalistes contraints à appuyer le coup d’État du fait du caractère dramatique de la situation… Il demeure que la définition de « l’idée révolutionnaire » est un leitmotiv de la protestation militaire.
76Les premiers documents diffusés par les officiers activistes présentent le putsch comme la poursuite et l’achèvement d’une entreprise séculaire : « la » révolution brésilienne. Bien que beaucoup des membres du gouvernement de 1964 soient des vétérans de la révolte de 1922 et de la révolution de 1930, le nouveau pouvoir n’élabore pas de discours officiel sur l’héritage de ces mouvements, à la différence, par exemple, du parallèle récurrent avec la victoire contre l’Intentona communiste de 1935. Le fait que, au sein des états-majors et du gouvernement, se côtoient d’anciens tenentes et des officiers qui ont contribué à réprimer leur révolte, alors que beaucoup ont appuyé le régime issu de la révolution de 1930 tout en rejetant désormais la figure de Vargas, rend difficile la construction d’une lecture officielle du passé. Il n’existe d’ailleurs pas de consensus mémoriel à ce sujet.
77L’insertion du coup d’État dans une « tradition révolutionnaire » est au contraire un recours rhétorique fréquent des officiers protestataires, en particulier des membres de la LIDER. Elle sert à justifier l’élimination de la « vieille classe politique civile », certains choix économiques et leur propre mobilisation politique. L’amiral Heck est un fervent adepte des références à cette tradition « révolutionnaire », dont il s’autoproclame le représentant, alors qu’il n’est lui-même devenu un agitateur politique que dans les années 195076. Son acolyte Odílio Denys, bien plus impliqué dans les révoltes du xxe siècle et qui assume publiquement son opposition au gouvernement Castelo Branco à l’occasion de la crise d’octobre 1965, donne une interprétation proche de cette tradition révolutionnaire : 1922 aurait été le début de « la grande lutte [pour la] démocratie » qui aboutit en 1964. Dans le premier manifeste de Heck, diffusé le 21 juillet 1964, il la définit comme le refus de « la collusion des forces compromises avec la corruption et la politique politicienne » puis la construction d’une « Nouvelle République, chrétienne et démocratique ». « Cela a toujours été la ligne dure de la révolution brésilienne », conclut-il77. Sílvio Heck concentre ses attaques sur deux cibles principales, « antinationale » chacune à sa manière : ceux qui défendent des intérêts particuliers, comme c’est le cas des hommes politiques dépourvus d’idéaux, négociateurs et corrompus ; et ceux qui servent l’étranger, l’internationalisme communiste ou l’impérialisme américain. Ces deux ensembles d’acteurs n’ont pas le même statut : les premiers sont les obstacles de la révolution – ce « pouvoir civil corrompu […] qui a abâtardi toutes les révolutions, depuis celle de 1922, en passant par celle de 1930, jusqu’à aujourd’hui », comme le souligne le premier manifeste de la LIDER, en janvier 196578 –, alors que les seconds en sont les ennemis. Dans les manifestes de la « première ligne dure », les références à ces événements passés sont largement incantatoires. Elles donnent une légitimité historique à un vocabulaire politique (les oligarchies, la politique politicienne, la dénationalisation du Brésil) recyclé dans la condamnation d’un gouvernement devenu traître à un projet collectif et national. En février 1965, le second manifeste de la LIDER fait du coup d’État l’héritier des luttes du tenentismo, que Castelo Branco trahirait en promouvant « la pessédisation [l’intégration à la logique du parti gétuliste PSD] et la dénationalisation » du Brésil79.
78Dans une représentation manichéenne de la situation politique, l’ennemi de la révolution, aux multiples facettes, est ainsi fondamentalement unique : la corruption de la classe politique sert la subversion, tandis que sa propension à se vendre à l’étranger, motivé par des intérêts personnels inavouables, éloigne le Brésil de la grandeur et l’affaiblit tant face à Washington qu’à Moscou.
« [Les révolutionnaires ne peuvent pas accepter] qu’influe sur le destin du Brésil la cupidité internationale, organisée en systèmes monopolistiques qui saignent l’économie nationale. On soumet le peuple à une charge inhumaine, excessive, brutale, insupportable, qui le mène au bord de l’épuisement.
[…] Je veux condamner le silence des patriotes, en un moment où les forces réactionnaires de la corruption, ouvrant les portes au retour de la subversion, malmènent, agressent, blessent moralement les courageux officiers qui, obéissant aux ordres, s’emploient aux missions les plus ardues, peut-être les seules qui jusqu’à maintenant soumettent la révolution au jugement du peuple brésilien80. »
79Cette construction symbolique, commune aux manifestes individuels de Sílvio Heck et aux communiqués de la Ligue démocratique radicale, va de pair avec un nationalisme économique exacerbé. La politique économique du gouvernement Castelo Branco est accusée d’une ouverture exagérée aux capitaux étrangers, particulièrement nord-américains, mais aussi d’ambitions interventionnistes excessives de l’État, contradictoires avec le dogme de l’initiative privée et donc socialisantes. L’opposition la plus virulente à cette politique économique émane d’abord du gouverneur du Minas Gerais, Magalhães Pinto, et surtout de celui de la Guanabara, Carlos Lacerda. Ce dernier s’est pourtant fait, durant de longues années, le porte-voix de l’antinationalisme économique. Ses options économiques sont en fait, depuis la Seconde Guerre mondiale, profondément opportunistes : il s’oppose systématiquement aux choix du pouvoir en place, quels qu’ils soient81. Cette attitude se confirme dans l’après-1964, lorsque l’entretien de ses bases politiques les plus précieuses – les classes moyennes urbaines et les jeunes officiers radicaux – l’incite à mettre l’accent sur le coût de la vie et à dénoncer les symboles de pénétration du capital étranger. Lacerda le fait, comme à son habitude, à grand fracas et avec pour cible principale le ministre de l’économie Roberto Campos (surnommé par ses détracteurs Bob Fields, traduction anglaise de son nom pour en faire le suppôt de l’impérialisme américain), à qui il voue une animosité de longue date. Ses attaques, qui commencent en juillet 1964, s’enveniment en novembre 1964, lorsque le gouvernement attribue une concession minière à la Hanna Mining Company, au détriment des entreprises d’État Companhia Vale do Rio Doce et Companhia Siderúrgica da Guanabara. Il adresse alors une série de courriers au président Castelo Branco, où il accuse les technocrates du gouvernement d’orchestrer une « dénationalisation de l’industrie et des grandes propriétés82 » et ainsi de dénaturer la révolution. Le revirement de Lacerda, qui passe de positions antinationalistes, agrariennes et anti-industrialistes à un nationalisme industrialiste beaucoup plus populaire dans la « première ligne dure » répond à une tentative de récupération de l’insatisfaction militaire ; la chronologie de ses offensives (juillet 1964, novembre 1964 et avril-juillet 1965), calquée sur les moments de plus intense mobilisation militaire, le montre de manière éloquente.
80Jusqu’en février 1965, sous l’influence certaine de Sílvio Heck, ces thèses nationalistes sont centrales dans les proclamations de la LIDER, avant de s’effacer progressivement, après l’accession du groupe de Martinelli à la direction de la ligue, devant l’obsession d’une reprise de l’épuration. Ainsi, dans des reportages publiés régulièrement dans le Jornal do Brasil en janvier et février 1965, des membres anonymes de la LIDER définissent leur groupe comme « nettement nationaliste, surtout dans ce qui touche à la défense des richesses économiques vitales pour le développement et pour la sécurité stratégique du Pays83 ». La généalogie de ce nationalisme militaire, très fort dans la génération des colonels activistes, n’a rien d’évident : malgré la nostalgie ambiguë dont certains témoignent à propos de la « grandeur » de l’ère Vargas, la plupart furent activement engagés dans le camp « antinationaliste » dans les années 1950 et le début des années 1960. De plus, rares sont ceux qui manifestent une hostilité radicale envers les États-Unis, où ils sont souvent fiers d’avoir suivi une instruction militaire. Enfin, bien que Lacerda se fasse le principal héraut du nationalisme économique après le coup d’État, le lacerdismo de ces officiers fut motivé par le moralisme anti-corruption, l’anticommunisme virulent et ce qu’ils identifiaient comme de grandes capacités de leadership de l’homme politique, et non par son nationalisme économique qui n’est en fait que de la dernière heure. Nous reviendrons sur le contenu et les origines de ces thèses nationalistes lorsqu’elles deviennent l’un des piliers de l’identité de cette droite radicale et un pont entre groupes antagonistes, quelques années plus tard.
81Entre avril 1964 et novembre 1965 se construit une représentation particulière du pouvoir, produit direct du « manichéisme révolutionnaire » des officiers protestataires. Puisque les ennemis éternels de la révolution sont la vieille politique oligarchique, les intérêts étrangers et la subversion de gauche, l’adversaire immédiat de la « nébuleuse radicale » – le gouvernement – devra en prendre les traits. D’abord par l’infiltration de ces éléments dans l’équipe dirigeante : les ministres de la planification et des finances sont désignés comme les emblèmes de l’impérialisme étranger, tandis que le président serait entouré de nuisibles professionnels de la politique. Ces mauvaises fréquentations le poussent à gouverner de façon trop « civiliste », ce qui implique une absence de droiture morale, la propension à la compromission et à la défense des intérêts particuliers. Dès juillet 1964, dans un discours déjà mentionné face à un parterre de capitaines de l’École de perfectionnement des officiers (EsAO), Castelo Branco affronte explicitement ces insinuations permanentes :
« Non. Le gouvernement ne fuit pas cette mission. Il ne se livre pas aux déjeuners, aux barbecues, aux fêtes et au sensationnalisme. Il accomplit, de façon ordonnée et avec unité de pensée et d’action, la dure mission de réajuster la vie brésilienne […] Le gouvernement se livre[rait] à des trocs et à des collusions politiques. Ceci n’est pas une injustice, c’est une accusation grave84. »
82Castelo joue ici la carte de « l’ancien militaire », investi d’une mission et caractérisé par son ascétisme et sa rectitude morale. Mais c’est surtout le chef du cabinet civil de la présidence, le général Golbery do Couto e Silva, qui est peint en caricature de politicien civil par les radicaux dont il est déjà la bête noire. Seul Heck, dont certains des manifestes sont d’une violence verbale rare, accuse le président d’être lui aussi coupable, un « nouveau magicien de la politique, ivre de pouvoir, qui n’augmente pas les salaires des nécessiteux mais reçoit les siens avec correction monétaire, parce qu’il est révolutionnaire seulement quand ses propres intérêts coïncident avec la permanence au Pouvoir ». « En s’appuyant sur les oligarchies rémanentes responsables de tant de désordres, il a marginalisé la majorité des leaders authentiques du mouvement, il a douloureusement freiné la dynamique révolutionnaire, [il a renoncé à] la punition effective des escrocs encravatés y compris en cessant de confisquer les biens acquis illicitement85. »
83Selon ses détracteurs radicaux, le gouvernement castelista est donc intrinsèquement non révolutionnaire : sa composition, le caractère même de certains de ses membres seraient inaptes à l’accomplissement des « idéaux du 31 mars ». Trois éléments sont reliés à cette représentation du pouvoir : premièrement, les termes d’usurpation et de « révolution trahie » deviennent systématiques dans la protestation militaire. Dans le cadre de sempiternelles discussions sur l’homme qui fit le premier pas vers le coup d’État, les protestataires voient le clan castelista comme un « sympathisant » de la révolution et rallié de la dernière heure. Deuxièmement, si le contenu de la révolution que les « durs » défendent n’est pas très précis, ils ont une vision très claire d’eux-mêmes comme des « révolutionnaires authentiques ». Sans surprise, ils ont tous les traits déniés aux « escrocs encravatés », « vieux renards » de la politique ou technocrates, qui ont colonisé ou contaminé le pouvoir en place : ce sont des combattants, des idéalistes, des hommes de terrain. Osnelli Martinelli signifie ainsi au Commandant de la Ire armée (le général Otacílio Ururahy, sympathique à la cause des colonels) sa démission de l’IPM du « Groupe des 11 » :
« Nous sommes accusés d’agir selon des intérêts politiques, alors que notre action est typiquement révolutionnaire, indifférente aux noms et aux partis. […] D’une arme politique que nous ne savions pas manier, les enquêtes se sont transformées devant nos yeux en de nouvelles armes de la révolution, certains que nous sommes que la prochaine [révolution] sera faite par ceux qui ont été épargnés par celle-là, et qui versera le sang, au contraire de celle du 1er avril. Alors seront révélés les véritables leaders démocratiques et révolutionnaires, forgés dans les luttes de rues ou dans les combats de terrain, et jamais des refuges des appartements et des cabinets ou des coulisses de la politique86. »
84De ce fléau qu’est la « petite politique », la révolution doit faire « table rase ».
Faire table rase
85L’adhésion au coup d’État a été largement motivée par l’idée d’une révolution communiste imminente, alors qu’aucune force de gauche d’audience nationale n’avait alors fait le choix de l’action armée : les manifestations, les grèves, les ambitions réformistes du pouvoir travailliste et même la production artistique ou philosophique d’avant-garde étaient interprétées comme autant de signes avant-coureurs, voire de premières étapes, de la révolution. Cette lecture de la vie sociale autorise, après 1964, de grandes disparités dans la définition de l’ennemi à combattre. Les officiers de ligne dure optent, sans surprise, pour une acception très large du péril rouge, ce que leur permet l’AI-1, flou sur les individus passibles d’une « punition révolutionnaire » : sont ainsi identifiés comme subversifs de larges secteurs de la société civile et de la classe politique, qui ont pourtant parfois dans les premiers temps appuyé le coup d’État.
86Cette « Opération Nettoyage » (Operação Limpeza) inaugurale est considérée par ces officiers, souvent eux-mêmes impliqués dans les équipes policières, comme la condition de possibilité et la clé de voûte de la « révolution ». Une partie de l’élaboration de leur pensée politique est de ce fait orientée par une unique préoccupation : punir sans entrave, c’est-à-dire sans maintien de garanties constitutionnelles pour les inculpés. Dans ce but, les colonels conceptualisent une subordination de la législation existante à l’Acte institutionnel ; plus encore, ils font de cette subordination le signe d’un rejet de l’ordre ancien, et donc de l’existence d’un véritable processus révolutionnaire. Dans un manifeste de mai 1965 :
« La Constitution de 1946 est subordonnée à l’AI et non celui-ci à celle-là, comme l’indiquent les derniers jugements du STF.
[…] Les chargés d’IPMs continuent donc d’être investis de l’autorité que leur confère l’Article 8 de l’AI [qui instaure les enquêtes] pour promouvoir tous types de mesures qui semblent indispensables à la poursuite des enquêtes, y compris l’emprisonnement des inculpés, auxquels les garanties constitutionnelles ne s’appliquent pas.
[De ce fait], en concédant des habeas corpus dans le cadre d’IPMs, le STF se place hors la loi, et il convient de corriger de façon urgente cette distorsion de l’ordre révolutionnaire, dûment institutionnalisé87. »
87La réflexion est, en partie, ad hoc, simplement destinée à poursuivre le processus d’épuration ; mais ces arguties juridiques prennent progressivement la forme d’une alternative politique. Le « révolutionnarisme extrême » occulte toute séparation des pouvoirs, puisque seul l’exécutif est issu du 31 mars. Le judiciaire n’a pas de légitimité, pas plus que le législatif, qui pâtit en outre de la mauvaise image qu’ont les élus pour ces officiers. La revendication d’une épuration de la classe politique ne concerne donc pas seulement les adversaires historiques de l’UDN (le Parti travailliste brésilien et le Parti social démocratique) : le profond mépris que ces hommes vouent à l’ensemble de la classe politique mène au dénigrement systématique des élus et nourrit l’exigence de fermer le congrès, de supprimer les partis et de contrôler les élections.
88La perspective de scrutins dans onze États de la fédération, en octobre 1965, puis de l’élection présidentielle une année plus tard sont donc d’évidents objets de mobilisation pour les radicaux. Leurs chevaux de bataille sont « l’inéligibilité » des indésirables, le report des élections de 1965 et le suffrage indirect à tous les niveaux de l’État. Le sujet est mis sur la table par la LIDER en janvier 1965, lorsque l’impopularité supposée du gouvernement rend impossible, selon les membres de la Ligue, la réalisation d’élections, qui favoriseraient « le retour d’éléments évincés88 ». Il réapparaît ensuite de manière récurrente, jusqu’à ce qu’en avril 1965 la « ligne dure indique à ses adeptes la marche à suivre pour les élections d’octobre » dans un manifeste distribué dans l’enceinte du Congrès par le député Costa Cavalcanti. L’urgence justifie cette prise de position : « Le recours aux urnes pour des élections dans les États s’approche » et « l’ennemi astucieux et opiniâtre cherche à tromper la bonne foi de l’électeur pour rétablir le statu quo prérévolutionnaire ». La ligne dure n’énonce en fait qu’une directive : empêcher l’inscription sur les listes électorales de « candidats communistes, subversifs de tout poil, corrompus et leurs préposés ». « L’action opportune et énergique des militaires de la ligne dure, suivant la directive indiquée, est impérieuse car tout accommodement pourrait mettre en péril l’œuvre révolutionnaire89. »
89Le régime que les officiers de ligne dure appellent de leurs vœux est, somme toute, un modèle de régime autoritaire : un exécutif tout puissant sans Congrès ni justice indépendante, une répression policière débarrassée de contraintes juridiques quant aux droits des personnes, la suppression des partis politiques, la réduction à portion congrue des mécanismes électoraux. La version la plus décomplexée de ces desiderata émane encore du colonel Martinelli, dans une déclaration à la presse datée du 20 octobre 1965 :
« Nous n’acceptons pas ce qui est. Nous sommes pour la fermeture du Congrès, mesure qui devrait avoir été prise le premier jour de la Révolution. Nous ne voulons pas en finir avec lui, bien sûr, mais l’intention est, en premier lieu, de nettoyer la zone et seulement ensuite de convoquer des élections et tout le reste. Nous agissons comme les véritables révolutionnaires que nous sommes.
[…] Tant que durera cet état de choses nous y serons opposés. Nous répétons qu’il est nécessaire, avant tout, de faire un nettoyage de ce qui est ici. En finir avec la politique politicienne, qui peut mener le Maréchal Castelo Branco de l’autre côté, ce que veut le PSD. Nous serons contre tout antirévolutionnaire, de quelque parti qu’il soit. Nous trouvons même qu’il faut en finir avec tous les partis existants, modifier la loi électorale et en former de nouveaux, avec d’autres sigles pour ne pas rester marqué par les actuels. Après cela, alors oui, nous accepterons n’importe quel candidat à n’importe quel poste90. »
90Les principales dispositions de l’AI-2 correspondent mot pour mot aux revendications de ce manifeste. Celui-ci supprime les partis existants, rend indirecte l’élection à la présidence, soumet à la Justice militaire les civils soupçonnés de crimes « contre la sécurité nationale ou les institutions militaires », reprend le processus de révocation de mandats et de privations droits politiques, accroît les possibilités d’intervention fédérale dans les États et augmente le nombre de juges du Suprême tribunal fédéral (de 11 à 16) afin d’en prendre le contrôle. L’Acte est donc le résultat direct des mobilisations de la « ligne dure », face visible de la protestation militaire ; plus encore, c’est un acquiescement méticuleux et systématique à toutes ses revendications, sur le plan politique et non économique, formulées depuis août 1964.
91Le mois d’octobre 1965 est le siège d’un basculement. L’AI-2, adopté sous la pression de secteurs radicaux placés sous la tutelle du ministre de la Guerre, engage le pouvoir issu du putsch vers la construction d’un régime nouveau. Un régime autoritaire, mais pas n’importe quel régime autoritaire : encadré par une succession de décrets qui maintiennent, et durcissent, une partie du système existant, il porte évidemment la marque du radicalisme répressif de sa « ligne dure », mais aussi du pouvoir castelista désireux de garder la main et de donner un cadre institutionnel à la « révolution ». Un régime militaire, mais pas n’importe quel régime militaire : quelles que soient les mobilisations de la base, leur audience dans les casernes et leur crédit « révolutionnaire », nul débouché politique ne semble possible hors du cercle des généraux.
92Cette ébauche de modèle n’était pas le projet des militaires dits de « ligne dure », qui sont des activistes d’extrême droite, anticommunistes, antigetulistas et souvent lacerdistas fanatiques : ils souhaitaient plutôt une dictature dans laquelle ils pourrait tenir un rôle central. Ils contribuent pourtant largement à l’avènement de ce régime militaire et autoritaire profondément hiérarchisé, et donc à la persistance de leur subordination politique. Le positionnement dans l’appareil d’État que la « révolution » leur a accordé, souvent au premier plan de « l’opération de nettoyage » qu’ils considèrent inaboutie, a fait germer des revendications précises, dont l’AI-2 est le produit direct. En cela, il n’y a point de doute que la « première ligne dure » a porté ce tournant autoritaire décisif dans l’histoire du régime, en formulant, voire en martelant son projet sur la scène publique dès la mi-1964. Mais l’AI-2, qui entame le processus d’exclusion de la classe politique civile du pouvoir, renforce d’autant le poids de la corporation militaire, où ces « jeunes officiers » sont loin d’avoir le plus de force politique. La structure et l’imaginaire hiérarchiques, que le gouvernement Castelo Branco s’attache à valoriser et préserver, tendent à réduire la scène politique au cercle des généraux. De plus et surtout, la protestation militaire a attisé le radicalisme des casernes et en a amplifié la menace, suscitant par effet de balancier l’émergence de la figure ambiguë de Costa e Silva, à la fois rempart contre la « subversion hiérarchique » et candidat des officiers mobilisés.
93Les officiers protestataires, dont le deuil politique de Lacerda s’avère progressif et difficile, ne comprennent pas cela à la fin de l’année 1965. Ils croient pouvoir profiter des perspectives nouvellement ouvertes pour accroître leur espace politique. Si Costa e Silva peut être un nouveau leader, pourquoi eux-mêmes n’en seraient-ils pas l’entourage ? En outre, la militarisation du jeu politique valorise en eux, derrière l’activiste de droite, l’officier de haute volée – ils ont tous une très haute idée d’eux-mêmes sur ce plan, médailles et titres de gloire à l’appui – dont la légitimité politique, dans un « régime militaire », leur paraît évidente. L’échec de la « première ligne dure » à accéder au pouvoir, qui n’est patent que quelques années plus tard, a donc pour moment-clé sa victoire à la Pyrrhus d’octobre 1965, qui fit de sa « révolution contre la classe politique » la condition d’avènement d’un « régime de généraux ».
Notes de bas de page
1 Témoignage confié à Araujo M. C. (d’), Soares G. A. D. et Castro C., Visões do golpe…, op. cit., p. 114.
2 Témoignage de Gustavo Moraes Rego (p. 21) à Maria Celina d’Araujo et Celso Castro, accessible à partir de l’adresse [http://www.cpdoc.fgv.br/historal/]. Sur Boaventura, qui s’oppose publiquement, en mai, au grand patron de presse Roberto Marinho, ce qui donne prétexte à son éviction du cabinet pour atteinte au règlement disciplinaire, voir O Globo, 19 mai 1964.
3 L’une des premières apparitions de cette dichotomie dans la presse est la chronique du journaliste Castello Branco (qui n’a aucun lien de parenté avec le général homonyme) dans le Jornal do Brasil, 17 août 1964.
4 Archives Luis Viana Filho, Archives nationales, Impresso Geral du SNI, n° 5, 7-14 septembre 1964, caisse 1, dossier 1 – 1.24.
5 Manifeste anonyme distribué à la chambre par le député José Costa Cavalcanti, Jornal do Brasil, 23 avril 1965.
6 Le premier à poser cette dichotomie durs/modérés est Stepan Alfred dans The Military in Politics (1971), traduit en portugais et publié au Brésil en 1975 (Rio de Janeiro, Editora Artenova).
7 « Capitães do Exército Brasileiro ! », discours prononcé à l’EsAO en juillet 1964 et publié dans le Noticiário do Exército du 8 juillet 1964.
8 Témoignage du colonel Cyro Etchegoyen, Visões do golpe…, op. cit., p. 182.
9 Voir les nombreux travaux journalistiques à ce sujet : Chagas Carlos, A guerra das estrelas (1964/1984), op. cit. ; Camargo Aspásia et Góes Walder (de), O drama da sucessão e a crise do regime, op. cit. ; et Bittencourt Getúlio, A Quinta Estrela : como se tenta fazer um Presidente no Brasil, São Paulo, Editora Ciências Humanas, 1978.
10 Linz Juan, « The Future of an Authoritarian Situation or the Institutionalization of an Authoritarian Regime: The Case of Brazil », in Alfred Stepan, Authoritarian Brazil. Origins, Policies, and Future, op. cit., p. 233-254.
11 Des restrictions ont par la suite été faites à cette image de modération : João Roberto Martins Filho a notamment démontré que les politiques adoptées par le gouvernement de Castelo Branco sont moins contraintes par la pression droitiste que réactives à celle-ci, dans un jeu de pouvoir où les mesures autoritaires renforcent le poids politique de qui les adopte (Martins Filho João Roberto, O palácio e a caserna : a dinâmica militar das crises políticas na ditadura, 1964-1969, São Carlos [SP], UFSCar, 1995, p. 66-68 et 82-84).
12 Stepan A., Os militares…, op. cit., p. 175.
13 Idem, p. 167.
14 Eduardo Svartman a proposé une intéressante classification en trois groupes (rebelle-insurrectionnel, technocrate, conspirateur-institutionnel), qui rompt avec les modèles et représentations antérieurs. Svartman Eduardo, Guardiões da Nação : formação profissional, experiências compartilhadas e engajamento político dos generais de 1964, Passo Fundo, Méritos, 2006.
15 La liste adoptée comme base de travail est celle fournie par le colonel Gustavo Moraes Rego aux chercheurs du CPDOC (op. cit.), à laquelle s’ajoutent les informations fournies par les mémoires de Jayme Portella de Mello, Ernesto Geisel et Sylvio Frota ; les entretiens publiés d’Antônio Carlos Murici et Osvaldo Cordeiro de Farias ; et les entretiens effectués par l’auteure avec Amerino Raposo Filho, Kurt Pessek, Osnelli Martinelli et Tarcísio Nunes Ferreira.
16 Informe especial n° 4, 5 juillet 1965. Archives Luis Viana Filho, Archives nationales, caisse 1, dossier 1, 1.24 à 1.71.
17 Jornal do Brasil, 21 juillet 1964.
18 Trois des participants de la révolte de juillet 1922 intègrent le gouvernement en 1964 : le général Juarez Távora (1898-1975), ministre des Transports ; le brigadier Eduardo Gomes (1896-1981), brièvement ministre de l’aéronautique ; et le général Cordeiro de Farias (1901-1981), ministre extraordinaire en charge de la coordination des organismes régionaux. Juracy Magalhães (1905-2001), tenente de 1930 et non de 1922-1924, occupe quant à lui le poste de ministre des Affaires étrangères à la fin du mandat du général Castelo Branco.
19 Sur le croiseur se trouve également le député Carlos Lacerda, tout comme de nombreux officiers supérieurs qui occuperont des rôles de premier plan sous la dictature : le colonel Jurandir Bizarria Mamede, le major Jayme Portella (future éminence grise du général Costa e Silva) et le major lacerdista « dur » Heitor Caracas Linhares. Une liste plus complète est fournie par Barbosa Eurico, Confissões de generais, Thesaurus Editora, 1988, p. 23. Sur l’épisode, voir Carloni Karla, Forças armadas e democracia no Brasil – o 11 de novembro de 1955, Rio de Janeiro, Editora Garamond, 2012.
20 Silva Hélio et Ribas Carneiro Maria Cecilia, 1964 – golpe ou contragolpe ?, op. cit., p. 229.
21 Informe especial n° 4 du SNI, Archives nationales, précédemment cité.
22 « La Révolution brésilienne (avril 1964) », rapport de l’attaché militaire et de l’air auprès de l’ambassade française à Rio, juillet 1964. Archives de l’armée de terre française, 10T1109. L’opposition croissante de Heck aboutit à son éviction du conseil des amiraux, en avril 1965.
23 Page xvii, p. 2 et 114.
24 Jornal do Brasil, 5 août 1964.
25 Sur le STM comme espace de dissensions et d’expression politique des militaires, voir Lemos Renato, Justiça fardada : o General Peri Bevilacqua no Superior Tribunal Militar (1965-1969), op. cit., et « Poder Judiciário e poder militar (1964-1969) », in Celso Castro, Vitor Izecksohn et Hendrik Kraay (dir.), Nova história militar brasileira, Rio de Janeiro, Editora FGV/Bom Texto, 2004, p. 409-438.
26 Les onze généraux cités par Moraes Rego sont : Siseno Sarmento, Sylvio Frota, Ramiro Tavares Gonçalves, Arthur Duarte Candal, Afonso de Albuquerque Lima, Ednardo D’Ávila Melo, Oscar Luis da Silva, José Anchieta Paes, Henrique Assunção Cardoso, Clovis Brasil et João Dutra de Castilho.
27 Il s’agit des officiers de l’armée de terre : Osnelli Martinelli, Gérson de Pina, Ferdinando de Carvalho, Luis Alencar Araripe, Euclides de Oliveira Figueiredo Filho, Sebastião Ferreira Chaves, Amerino Raposo Filho, Hélio Ibiapina de Lima, Adyr Fiúza de Castro, Hélio Lemos, Hélio Mendes, Heitor Caracas Linhares, Rui Castro, Sebastião José Ramos de Castro, Florimar Campelo, César Montanha de Souza, Antônio Erasmo Dias, Osvaldo Ferraro, Confúcio Danton de Paula Avelino, Joaquim Vitorino Portela Alves, Augusto Cid Camargo Ozório, Cabral Ribeiro, Plínio Pitaluga, Confúcio Pamplona, Antônio Carlos de Andrada Serpa, Luis Gonzaga Andrada Serpa, Walter Pires et Antônio Bandeira. Op. cit., p. 24-25.
28 Entretien accordé à l’auteure, Rio de Janeiro, octobre 2007.
29 Entretien avec l’auteur, Rio de Janeiro, avril 2007.
30 Idem.
31 Ferdinando de Carvalho a publié l’intégralité des résultats de son IPM (connu comme le n° 709) dans une série d’ouvrages intitulée O Comunismo no Brasil (4 vol., Rio de Janeiro, Bibliotéca do Exército Editora, 1966-1967) et a édité tous les « ordres du jour » de commémoration de l’Intentona, de 1936 à 1979 (Lembrai-vos de 35 !, Rio de Janeiro, Biblioteca do Exército Editora, 1981).
32 Entretien accordé à l’auteure, Rio de Janeiro, avril 2007.
33 Entretien accordé à l’auteure, Rio de Janeiro, octobre 2006.
34 Sur le STM voir Moreira Angela, Ditadura e justiça militar no Brasil : a atuação do Superior Tribunal Militar (1964-1980), thèse de doctorat en histoire, Rio de Janeiro, CPDOC, 2011.
35 Castelo Branco est à ce moment déstabilisé par un conflit tout autre et antérieur au régime militaire, qui oppose des officiers de la marine et de l’aéronautique autour de la question d’une « aviation embarquée » à bord d’un porte-avions acquis en 1956, le « Minas Gerais ».
36 Amendement constitutionnel n° 9, 22 juillet 1964.
37 Estimativa n° 3. Brasília, 15 de setembro de 1964 AP 17 1.30. Caixa – 1.24 – 1.71.
38 Mello Jayme Portella (de), A revolução e o governo Costa e Silva, Rio de Janeiro, Guavira, 1979, p. 276.
39 Chiffres sujets à caution car issus d’une seule source de presse. Jornal do Brasil du 25 avril 1965.
40 Le maréchal démissionne (sans renier d’abord ses positions de « ligne dure ») alors que son fils économiste aux convictions progressistes, Sérgio Rezende, est impliqué dans un IPM au sein de la IVe armée. Chemin faisant, il tempère ses ambitions répressives et intègre le parti d’opposition MDB en août 1966 (Jornal do Brasil, 21 juillet 1964 et 18 août 1966).
41 Noticiário do Exército, 16, 17 et 28 mai 9 juin 1964.
42 Interview publique donnée le 30 octobre et reproduite pour partie dans le Jornal do Brasil du 13 novembre 1964.
43 Impressão Geral du SNI n° 7, 22-28 septembre 1964. Archives Luis Viana Filho, Archives nationales, caisse 1, dossier 1, 1.24 à 1.71.
44 Note de l’attaché militaire français au Premier ministre, 14 octobre 1964, « Ligue Démocratique Radicale (octobre 1964) », archives de l’armée de terre, 10T1111.
45 Les informations du SNI sur le GAP sont parcellaires. Un document de novembre 1965 mentionne des liens avec la Légion brésilienne anticommuniste (Legião Brasileira Anticomunista), mais mentionne l’ignorance de l’informateur quant à l’extension du GAP dans le milieu militaire. Le rapport confirme que le GAP est inféodé à la LIDER (Grupo de Ação Popular e Grupo de Ação Patriótica – E0083264 – 1981, archives du SNI, antenne de Brasília des Archives nationales).
46 Reproduit dans Baratta Netto Prospero Punaro, protagoniste des événements : Amazônia. Tua vida é minha história, s. d., p. 25.
47 Entretien accordé à l’auteure, Rio de Janeiro, avril 2007.
48 Entretien accordé à l’auteure, Rio de Janeiro, juin 2006.
49 Entretien accordé à l’auteure, précédemment cité.
50 Lemos Renato, Justiça fardada : o General Peri Bevilacqua no Superior Tribunal Militar (1965-1969), op. cit., p. 23-25.
51 Sur la CAMDE voir Cordeiro Janaína Martins, Direitas em movimento, op. cit.
52 Daniel Aarão Reis Filho est l’instigateur de ce processus. Voir son récent Ditadura e democracia no Brasil, Rio de Janeiro, Zahar, 2014. Le maintien de l’expression « dictature militaire » et la demande d’un véritable débat historiographique et mémoriel sont défendus par Martins Filho João Roberto dans « Adieu à la dictature militaire ? », in Brésil(s). Sciences humaines et sociales, n° 5, p. 17-32, mai 2014.
53 Archives Luis Viana Filho, Archives nationales, caisse 1, dossier 1, 1.24 à 1.71. À partir de la fin juillet 1965, seules quelques pages des documents sont conservées et ne fournissent plus d’information utile sur l’aire militaire.
54 Impresso Geral n° 1, 10-16 août 1964, idem.
55 Estimativa n° 2, novembre 1964, idem.
56 Apreciação das tendências contra-revolucionárias, 24 avril 1965, idem.
57 Proposta de apreciação, 26-30 juillet 1965, idem.
58 Noticiário do Exército, 8 juillet 1964.
59 Noticiário do Exércio, 22 juin 1965.
60 Jornal do Brasil, 15 avril 1964.
61 Jornal do Brasil, 2 et 3 avril 1965.
62 Transcription du discours que le général prononce le 6 octobre 1965 à la Vila Militar, dont l’enregistrement est déposé dans le petit fonds Costa e Silva du CPDOC. Les ovations qui ponctuent le discours (très inappropriées au cadre d’une caserne) sont l’une des rares traces d’une forte mobilisation politique de la Vila à cette époque.
63 Lettre du 19 juillet 1965. Archives Ulhôa Cintra, UCi fm 1962.09.11/CPDOC.
64 Entretien accordé à l’auteure, précédemment cité.
65 Araujo Maria Celina (d’) et Castro Celso, Ernesto Geisel, Rio de Janeiro, FGV Editora, 1997, p. 180 et 192.
66 Marina Gusmão de Mendonça considère que l’essentiel des positions adoptées par Lacerda dans les premières années du régime militaire sont à lire à la lumière de son projet présidentiel (O Demolidor de Presidentes…, op. cit., p. 326 et suiv.). Lacerda lui-même n’en fait pas mystère : à sa première visite au Palais présidentiel après le coup d’État, le 20 avril 1964, il déclare l’insolent « ça me plaira beaucoup d’habiter ici en 1966 » (Neto Lira, Castello – A marcha para a ditadura, São Paulo, Contexto, 2004, p. 277).
67 Jornal do Brasil, 16 octobre 1965.
68 A Revolução e o governo Costa e Silva, op. cit., p. 300.
69 Jornal do Brasil, 23 octobre 1965. Le fond sonore (archives Costa e Silva, CPDOC) indique, de nouveau, le climat d’exaltation des officiers présents ; certains scandent « Manda brasa, ministro ! » (« Mets le feu, ministre ! »).
70 Expression reprise à Gaspari Élio (qui l’utilise à propos de la Vila Militar, en octobre 1965), A ditadura envergonhada, São Paulo, Companhia das Letras, 2002, p. 269.
71 Jornal do Brasil, 23 juin 1965.
72 Noticiário do Exército, 8 juillet 1964.
73 Jornal do Brasil, 26 août 1964.
74 Décret n° 54.062, 28 juillet 1964. Publié dans le Boletim do Exército n° 34, 21 août 1964.
75 L’article 14 de la « Loi d’inactivité des militaires des trois armes » (n° 4902, 16 décembre 1965) limite le temps d’agrégation, c’est-à-dire de mise en disponibilité du service actif.
76 Denys Odílio, O ciclo revolucionário brasileiro, Rio de Janeiro, Biblioteca do Exército Ed., 1993, p. 9.
77 Jornal do Brasil, 21 juillet 1964.
78 Jornal do Brasil, 7 janvier 1965.
79 Jornal do Brasil, 5 février 1965.
80 Deuxième manifeste de Sílvio Heck, Jornal do Brasil, 31 octobre 1964.
81 Mendonça Marina Gusmão (de), O Demolidor de Presidentes…, op. cit., p. 99, 280 et 326.
82 Correspondência política – Gov. Carlos Lacerda. Archives Castelo Branco/ECEME, lettre du 22 novembre 1964.
83 Jornal do Brasil, 5 février 1965.
84 Noticiário do Exército, 8 juillet 1964.
85 4e manifeste de l’amiral, à la fin et l’apogée de la crise des « colonels des IPMs », publié dans le Jornal do Brasil du 30 juin 1965.
86 Jornal do Brasil, 22 juin 1965. Martinelli, à quelques mois de sa mort, demeurait très fier de ce courrier dont il citait des extraits par cœur. Entretien accordé à l’auteure, précédemment cité.
87 Manifeste de colonels d’IPMs de la Guanabara, Jornal do Brasil, 13 mai 1965.
88 Jornal do Brasil, 7 janvier 1965.
89 Jornal do Brasil, 23 avril 1965.
90 Jornal do Brasil, 20 octobre 1965.
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