Épilogue
p. 285-304
Texte intégral
L’héritage dilapidé
1Le départ du vingt-sixième président de la Maison-Blanche marque plus que la fin d’un style. La diplomatie américaine retourne à ses vieilles ornières. L’absence de Théodore Roosevelt de la scène internationale va démontrer à quel point il était éminemment qualifié pour l’occuper et faire la preuve a contrario du caractère novateur de ses principes et de sa pratique en politique étrangère. L’énorme prestige et l’immense respect dont jouit Washington dans les capitales du monde entier en 1909 sont dus essentiellement au rayonnement et à la compétence du président sortant. On le voit bien à l’accueil de chef d’État qui lui est partout réservé en 1909-1910 lors de son safari africain et de son périple européen.
2Comme le suggèrent William H. Harbaugh et William C. Widenor, le succès de Roosevelt provenait d’une extraordinaire combinaison : des idées souvent neuves, une personnalité hors du commun et un rare talent pour s’adapter aux événements et influencer leur cours1. Avant lui les États-Unis avaient souvent pratiqué une diplomatie à la petite semaine et à courte vue, tributaire des humeurs de l’électorat ; avec lui ils parurent se doter d’un projet cohérent et d’une vision d’ensemble des problèmes internationaux qui semblaient échapper aux aléas des affaires intérieures. Ce que Widenor baptise la « solution rooseveltienne » consista pendant sept ans et demi à tenir compte des obstacles de la politique intérieure sans pour autant céder devant eux, à faire la part du feu pour mieux promouvoir avec réalisme, patience et obstination une politique conforme aux intérêts à long terme des États-Unis. Widenor souligne par ailleurs que la composition ethnique et les préjugés de la société américaine constituaient une invitation permanente à la démagogie et aux excès, donc à l’obstructionnisme en diplomatie2. Ce n’est pas que Roosevelt en ait été dispensé ; mais toute son habileté consista tantôt à jouer de l’esprit de clocher, des phobies et des a priori de ses contemporains, tantôt à les occulter, voire à passer outre, comme on l’a vu, au point de donner l’impression qu’il pouvait transcender les contraintes de la démocratie. Ces limites imposées à la diplomatie n’étaient certes pas une nouveauté, pas plus que tous les principes du vingt-sixième président ne rompaient, loin de là, avec la tradition et la culture politique du pays ; le « style Roosevelt » peut par certains côtés se réduire prosaïquement à un art consommé de faire du neuf avec du vieux. Mais il fut beaucoup plus que cela puisqu’il consista aussi à injecter de nouvelles composantes dans la politique étrangère des États-Unis, telles que la dimension mondiale des problèmes de défense ou les devoirs afférents à l’invocation de la doctrine de Monroe3.
3Le « rooseveltisme » ne survécut pas au départ de son talentueux auteur-interprète. Il se produisit dans la classe politique et dans le pays une sorte de « retour à la normale » (return to normalcy), comme après 1900 lorsque retomba la fièvre expansionniste, ou comme cela serait à nouveau le cas en 1920 au lendemain de Versailles, à la différence qu’en 1909 le phénomène survint en temps de paix. Washington renoua avec l’isolement condescendant et l’aventurisme diplomatique. De « pratique », l’idéalisme devint, comme souvent, « irréaliste » ; on parla haut et fort pour sitôt battre piteusement en retraite. L’héritage fut dilapidé sous les yeux du donateur ; on conserva le pire, mais en l’aggravant, et on abandonna le meilleur : l’interventionnisme en Amérique latine répondit systématiquement aux moindres incartades des autochtones, jusqu’à relever absurdement du réflexe conditionné, mais on oublia de contribuer à la paix du monde en prenant une part active au règlement des problèmes internationaux4. Champion sans emploi, l’ex-président allait se poser en gardien d’une orthodoxie et fustiger les déviations et les trahisons. Sa véhémence sera à la mesure de sa frustration et suivra un crescendo qui culminera avec l’hystérie des trois dernières années de sa vie, lorsque la Grande Guerre et la politique wilsonienne lui feront retrouver le délire belliciste et le fanatisme de 1898-19005.
Escarmouches politiques
4Lorsque William Howard Taft, dauphin désigné, prend ses fonctions le 4 mars 1909, tout semble indiquer que le « colonel Roosevelt6 » s’apprête à effectuer un troisième mandat par procuration. Une plaisanterie qui court le Tout-Washington veut que « TAFT » signifie Take Advice From Theodore (« Prends conseil auprès de Théodore »). Ce dernier ne tarit pas d’éloges sur son ami « Will » à qui il trouvait déjà l’étoffe d’un président en 19007. Il lui paraît être en 1908 l’homme le plus apte à occuper la Maison-Blanche en raison de « son intense aversion pour l’injustice », son « complet désintéressement », son « courage », sa « générosité », sa jovialité et son sens du contact8. Les appréciations qu’il porte trois ans plus tard offrent un contraste saisissant :
« Taft est une totale nullité. Je crois qu’il serait battu s’il se représentait, mais de toute façon, ce serait une catastrophe de lui laisser le fauteuil présidentiel pour un second mandat, car il s’est révélé un président absolument incapable, et il ne fait que discréditer le Parti républicain9… »
5Théodore Roosevelt avait quitté le pays pour permettre à son successeur de faire ses preuves dans les meilleures conditions possibles10. Lorsqu’il rentre à la mi-juin 1910, il trouve les républicains divisés et l’œuvre de sept ans et demi en partie détruite11. À partir de son célèbre discours d’Osawatomie (Kansas) qui, le 31 août 1910, préfigure son engagement progressiste deux ans plus tard, une rupture définitive entre les deux hommes paraît inéluctable. L’ancien président n’a bientôt plus de mots assez durs pour son ex-ami et collaborateur dont il estime qu’il a trahi sa confiance. Les sujets de dissension entre le camp réformateur et la « vieille garde » ont trait principalement aux affaires intérieures : les relations capital-travail, les questions économiques et financières, les trusts, le judiciaire, l’impôt sur les grandes fortunes, le financement des campagnes électorales, etc. Ces problèmes vont mobiliser Roosevelt jusqu’au lendemain de la campagne présidentielle de 191212.
6Il ne fait alors guère de doute pour les intimes du « Colonel » qu’il ne refuserait pas, le cas échéant, de céder à l’enthousiaste pression populaire et accepterait de se représenter à la magistrature suprême si certaines conditions se trouvaient réunies. L’ex-président, qui à ce moment-là bout, peste et ronge son frein, regrettera toute sa vie d’avoir exclu au soir de l’élection de 1904 la perspective d’un « troisième » mandat, décision que William H. Harbaugh qualifie à juste titre de « pire erreur politique » de sa carrière13. La triomphale tournée européenne qui clôt son séjour en Afrique n’aura pu manquer par ailleurs de raviver en lui la nostalgie du pouvoir : Rome, Vienne, Budapest, Paris, Bruxelles, Amsterdam, Copenhague, Oslo (Christiania), Stockholm, Berlin et Londres accorderont au « simple citoyen » les égards dus à un chef d’État14.
7La division des républicains assure l’élection de Woodrow Wilson qui a tout pour devenir la bête noire de Théodore Roosevelt. Pour ce dernier, le vingt-huitième président est un homme « très ambitieux », « hypocrite », « habile », « un vrai sophiste », suspect de mollesse dans ses principes et ses convictions, et qui sait admirablement substituer le verbe à l’action15. Avec le temps, et l’exaspération aidant, les épithètes se feront plus mordantes, plus hargneuses, plus pittoresques aussi. Il perçoit Wilson comme un usurpateur pour deux raisons : d’une part, celui-ci s’est opportunément approprié certaines idées des progressistes de 1912, d’autre part, c’est un président « minoritaire ». Aux yeux de Roosevelt, l’habileté politique n’implique nullement la compétence à diriger un pays, surtout dans ses relations internationales. L’ex-président ne peut que craindre le pire lorsque, de plus, William Jennings Bryan, qu’il tient en piètre estime, prend en charge la politique étrangère américaine. Il prédit que selon toute vraisemblance « la diplomatie du jus de raisin » sous Wilson ne vaudra pas mieux que « la diplomatie du dollar » sous Taft16.
8Comme le souligne Richard W. Leopold, « Roosevelt, plus qu’aucun de ses prédécesseurs, influença la politique étrangère après son départ de la Maison-Blanche17 ». De 1909 à 1919, il n’y eut pas de censeur plus vigilant, qu’il s’agisse de politique intérieure ou de questions internationales. Sans cesse sollicité par la kyrielle de journalistes et d’hommes politiques qui se bousculaient à « Sagamore Hill », le « sage d’Oyster Bay » ne se fit jamais prier pour donner son avis sur l’actualité, devançant même les questions le plus souvent18. Son passé prestigieux et sa renommée internationale lui conférant une autorité certaine, il fut indéniablement, pendant six ans, l’oracle des relations extérieures. Bien que son influence réelle sur la diplomatie américaine soit difficile à jauger, Taft et Wilson, à l’évidence, ne purent rester insensibles à ses critiques. Certes, il eut de plus en plus tendance à pontifier sans nécessairement connaître exactement les dossiers19, se livra contre le vingt-huitième président à des attaques parfois injustes et toujours brutales, et succomba au dogmatisme et à l’intolérance pour devenir vers la fin de sa vie « la caricature de lui-même20 ».
9Lorsque, vers la fin de son année sabbatique, il se replonge dans les affaires, c’est pour faire part à Lodge du malaise que lui inspire la politique asiatique de Taft21. Le secrétaire d’État Philander C. Knox pratique en Mandchourie une diplomatie du dollar qui ressemble davantage à une perversion qu’à une extension de la « porte ouverte » : les financiers américains sont invités à exploiter sur un pied d’égalité avec leurs homologues européens des possibilités d’investissement obtenues et protégées par le département d’État. Knox nourrit un projet extravagant : se servir des Chinois pour prendre le contrôle financier des chemins de fer et ainsi faire pièce à la suprématie japonaise et russe. On sait que ses intrigues maladroites eurent pour principal résultat de rapprocher les deux anciens ennemis qui, furieux qu’on veuille les évincer, s’unirent pour exclure les puissances rivales. Outre que les États-Unis n’avaient pas les moyens de leur politique, ils violaient l’accord Root-Takahira de 1908 qui reconnaissait tacitement la situation privilégiée de Tokyo en Mandchourie22.
10Roosevelt met alors Taft en garde contre la « politique du bluff ». La Mandchourie, comme la Corée, revêt aux yeux des Japonais une importance capitale. Il importe donc de ne rien faire dans cette région « vitale » qui puisse leur donner à penser que les États-Unis leur sont hostiles ou menacent leurs intérêts. Si Tokyo décidait d’adopter en Mandchourie une attitude qui déplaise au gouvernement américain, celui-ci ne pourrait l’en empêcher, à moins de lui déclarer la guerre ; or pareille extrémité nécessiterait une flotte aussi puissante que la britannique et une armée égale à celle de l’Allemagne. D’autre part, une alliance avec la Chine serait plus un fardeau qu’un atout en raison de sa faiblesse militaire. Enfin, les intérêts américains en Mandchourie ne sont pas suffisants, de l’avis de Roosevelt, pour que le pays consente à se battre pour les préserver. En fin de compte, il pense que la « porte ouverte » est souhaitable aussi longtemps qu’elle peut être maintenue par des arrangements diplomatiques entre les gouvernements concernés ; mais il faut savoir qu’elle ne tient qu’à un fil car toute nation puissante est en mesure à tout instant de la violer23.
11Knox, en désaccord total avec cette analyse, ne voyait pas en quoi le Japon avait davantage besoin de la Mandchourie que la Chine, son légitime propriétaire. Il refusait l’alternative implicite à son sens dans le point de vue de Roosevelt : soit renoncer sans mot dire à une politique « historique » des États-Unis quand celle-ci allait à l’encontre d’intérêts rivaux, soit être prêt à faire la guerre pour la défendre24. C’était schématiser pour trouver prétexte à faire la sourde oreille.
12Les conseils de Théodore Roosevelt relatifs à l’immigration japonaise ne seront guère mieux entendus. Vers la fin de 1910, l’Administration Taft devait se prononcer sur l’éventuelle insertion de nouvelles dispositions la régissant dans l’accord commercial alors en cours de négociation. Le Japon se plaignait d’être la seule nation dont les travailleurs étaient explicitement interdits d’entrée aux États-Unis. L’ex-président n’était pas favorable à ce que le pays se prive juridiquement, par traité, de son légitime droit d’exclusion, même s’il choisissait de ne pas l’exercer. Il préférait que la même restriction soit officiellement appliquée à tous les pays plutôt que de faire une exception pour Tokyo. Roosevelt estimait capital de ne pas donner l’impression qu’une nation étrangère pouvait « dicter » aux États-Unis leurs critères d’admission25.
13Pratiquement aucune des mises en garde de Roosevelt ne sera prise en compte. Certes, l’arrangement de 1907-1908 demeurera pour l’essentiel inchangé, mais le traité américano-japonais de commerce et de navigation de février 1911, en autorisant l’achat ou la location de biens immobiliers, va engendrer une autre crise. Or Taft s’était vu conseiller par son prédécesseur d’empêcher les Japonais de devenir propriétaires terriens. Car bien que le but de l’accord fût seulement de régir les transactions commerciales, ses dispositions affectaient par ricochet l’activité agricole26.
14Roosevelt désapprouva l’optique de l’Administration Taft. Elle se situait à l’opposé de sa diplomatie de la parole d’honneur, de l’accord verbal « informel » qui préservait les susceptibilités de Tokyo et gardait les mains libres à Washington. Il jugea le traité de Taft et Knox impardonnable car ses initiateurs avaient « renoncé » au droit des États-Unis d’exclure les travailleurs japonais. Lorsqu’éclate la nouvelle « crise » américano-nippone en avril 1913, il constate qu’il aurait été moins grave et plus simple d’exercer un droit expressément prévu par traité, malgré le déplaisir causé à Tokyo, que d’abroger un traité pour pouvoir faire ce qu’il interdisait ; Taft, Knox et les Californiens n’en ont eu cure27. On reconnaît dans ce point de vue la griffe du réaliste et du moraliste en diplomatie.
15Dans le courant du mois d’avril 1913, la Chambre californienne examine un projet de loi, destiné à interdire aux Japonais – pudiquement désignés sous le nom de « personnes non admises à accéder à la citoyenneté » – de devenir propriétaires terriens. Le texte est adopté malgré l’opposition de Wilson et de Bryan. Tokyo, qui y voit une violation du traité de 1911, proteste énergiquement le 9 mai. Le gouvernement fédéral laisse faire et le gouverneur Hiram W. Johnson signe la mesure le 19 mai. Après la vive colère des Japonais et les traditionnelles rumeurs de guerre, la tension retombe, mais les relations américano-nippones seront empoisonnées par l’agressivité californienne pendant plusieurs années, notamment lors des négociations de 1919 à Paris28.
16Théodore Roosevelt se plaint de la faiblesse « désespérante » de Wilson et de Bryan en la circonstance. Selon lui, le vingt-huitième président aurait dû affirmer la prééminence du pouvoir fédéral en matière de traités et accomplir, au lieu de s’y soustraire, le devoir qui lui incombait de préserver les intérêts de la Californie. Cela n’ayant pas été, il ne peut qu’approuver les Californiens, dont la position est foncièrement juste, et leur gouverneur, son compagnon et colistier progressiste de 1912, Hiram W. Johnson. Il regrette néanmoins que le privilège légitime du peuple américain de choisir ses immigrants et de réglementer le droit de propriété des étrangers ait été exercé non point collectivement par le gouvernement fédéral, autrement dit par la nation souveraine, mais, individuellement, par un État, donc une seule de ses composantes29.
17L’ancien président eut bien d’autres chevaux de bataille. Devant la propension de ses successeurs à prôner l’arbitrage systématique des différends internationaux, qu’il tenait depuis toujours en suspicion, il entreprit de rappeler son credo du réalisme et de l’honnêteté. Il lui paraissait impensable qu’une nation accepte de soumettre à une procédure de conciliation des questions d’intérêt vital, touchant à son indépendance ou à son honneur. Par ailleurs, la Cour de La Haye était notoirement impuissante à faire respecter ses décisions par les nations peu empressées de s’y conformer. Un jugement dût-il être contesté, son bénéficiaire n’avait aucun recours. Finalement, une flotte et une armée puissantes constituaient dans tous les cas la meilleure assurance contre les injustices et les camouflets, et donc les plus sûrs garants de la paix. Signer, comme Knox en 1911 et Bryan en 1913-1914, des promesses que l’on n’était pas sûr de pouvoir tenir, et qu’il vaudrait mieux ne pas tenir, était à la fois irréaliste et indigne30. Pourquoi ne pas faire arbitrer, pendant que l’on y était, la fortification du canal de Panama, la doctrine de Monroe, le droit de l’Allemagne à acquérir les Îles Vierges ou le droit des Japonais à émigrer en masse aux États-Unis31 ?
18Roosevelt parlera plus tard de « l’indicible stupidité » de cette politique32. Les traités de Taft, pourtant, concernaient deux puissances amies dont Washington savait n’avoir rien à craindre, la Grande-Bretagne et la France. Feignant d’oublier ses propres déboires de 1905, le vingt-sixième président n’en soutint pas moins contre son successeur les adversaires de l’arbitrage au Sénat, malgré l’accueil favorable que l’opinion et la presse avaient réservé à ces accords « types33 ». Découragé par les triturations infligées à ses textes par la Chambre haute, Taft renonça à les ratifier. Le vingt-septième président avait espéré que « les sénateurs changeraient d’avis, ou que les électeurs changeraient le Sénat », au lieu de quoi c’était lui qu’on avait fait changer34. D’inspiration franchement pacifiste, les quelque trente pactes « anti-tension » de Bryan firent plus encore ricaner le champion de la « préparation militaire ». À ses yeux tout aussi utopiques et hypocrites que les précédents, ces traités battaient de nouveaux records de sottise, d’inconscience et d’ignominie du fait qu’ils étendaient la procédure arbitrale à absolument toutes les questions, dussent-elles toucher à l’honneur national. Roosevelt vit dans le début de la Grande Guerre la preuve du bien-fondé de ses thèses ; avec le déclenchement des hostilités et la violation éhontée de la neutralité belge, les pitoyables pactes de conciliation de Wilson et Bryan sombraient dans le ridicule35.
19Le naufrage de son amitié avec Taft est plus qu’une désillusion ; rien de comparable cependant à la haine que lui inspire Wilson à partir de 1914. Peut-être eut-il très tôt quelque raison de se croire victime d’un règlement de comptes. À l’été de 1914, Théodore Roosevelt fut mis hors de lui par un projet de traité prévoyant le paiement à la Colombie d’un dédommagement de 25 millions de dollars, ainsi que l’expression de « regrets sincères » pour la spoliation de 1903. Le vingt-sixième président ne supporta pas cette condamnation implicite du plus beau succès de sa politique extérieure. Le 11 juillet 1914 il demanda à être entendu par la commission sénatoriale des Affaires étrangères, donnant libre cours à son indignation dans une lettre à William J. Stone (Dém.-Missouri), son président :
« Le traité proposé est un crime contre les États-Unis. C’est une atteinte à l’honneur des États-Unis qui, entérinée, les convaincrait d’infamie36. »
20Roosevelt revendiquait l’entière responsabilité d’une politique qu’il avait fait mener en toute connaissance de cause ; en tant que chef de l’exécutif, il avait été le seul à disposer de toutes les informations relatives à l’affaire et de tous les éléments d’appréciation. Les initiatives prises par le gouvernement, toutes franches et honnêtes, avaient répondu à la mauvaise foi de la Colombie et à la nécessité de préserver la dignité des États-Unis et l’intérêt du monde :
« Chaque action fut accomplie en accord avec les principes les plus élevés de moralité publique et privée37. »
21Roosevelt s’en tenait à un raisonnement simple : ou bien la ligne de conduite adoptée en 1903 était justifiée – auquel cas c’était une honte de céder à un chantage ; ou bien les États-Unis avaient eu tort – et, à ce moment-là, ils ne devaient pas rester une minute de plus dans l’isthme. S’il y avait motif à payer cette somme, alors le président Wilson et son gouvernement ne pouvaient décemment envisager d’ouvrir le canal à la fin de l’année. Un dédommagement n’avait de sens que si les États-Unis avaient volé quelque chose ; dans ce cas il n’y avait qu’à restituer le Panama à son propriétaire originel38.
22Théodore Roosevelt défendrait toujours jalousement le bilan de sa présidence, son honorabilité, mais aussi son originalité : il n’entendait pas qu’on le privât de ses droits d’auteur… Avec une opiniâtreté presque puérile, il entreprit de rectifier péremptoirement tout récit ou témoignage qui lui paraissait dénaturer ou minimiser son rôle. L’on doit à cet égotisme le jugement tristement célèbre qu’il porta le 28 janvier 1909 sur le défunt John Hay dans une lettre personnelle d’une rare mesquinerie qu’il adressa à Lodge, confident attitré de tous ses griefs, lorsque parurent en édition privée la correspondance et les extraits du journal de l’ancien chef de la diplomatie. Hay avait le plus souvent fait de la figuration intelligente et Roosevelt pris en main tous les grands dossiers – l’Alaska, Panama, Portsmouth – sans toujours informer son secrétaire d’État de ses décisions39. L’ex-président reviendra d’ailleurs sur l’épisode panaméen quand William R. Thayer publiera son « John Hay and the Panama Republic » dans Harper’s Monthly de juillet 191540. Il reprocha alors à Thayer de n’avoir pas relu préalablement son autobiographie. Le compte rendu oral des deux officiers américains qui l’avaient assuré, le 16 octobre 1903, de l’imminence d’une révolution avait été infiniment plus important que toutes ses entrevues avec Bunau-Varilla. C’est tout de suite après les avoir reçus qu’il ordonna à la flotte de faire route vers l’isthme. Lorsqu’éclata la révolte, il employa la marine pour éviter toute effusion de sang inutile et empêcher les « bandits » de conquérir l’isthme :
« Je ne demandai l’avis ni de Hay, ni de Root, ni de quiconque avant d’agir, car un conseil de guerre ne se bat pas ; or j’entendais accomplir cette tâche une bonne fois pour toutes41. »
23Avec le temps, et l’atmosphère de guerre mondiale, Roosevelt en vint à forcer la note belliciste, à exagérer l’agressivité de sa diplomatie et à schématiser les réalités de la politique étrangère :
« Si [les Panaméens] ne s’étaient pas révoltés, j’aurais recommandé au Congrès la prise de l’isthme par la force armée ; et […] j’avais en fait rédigé le brouillon d’un message à cet effet42. »
L’ultime combat
24De la fin de 1914 à sa mort au tout début de 1919, le Rough Rider mena sa dernière croisade ; il fut, dit Hagedorn, le « clairon qui réveilla l’Amérique » et la poussa à intervenir dans le conflit mondial aux côtés des Alliés en avril 191743. Depuis sa « futile guerre non déclarée » contre le Mexique il s’était convaincu de la « passivité criminelle » de Wilson, non seulement au sud du Rio Grande, mais à l’égard de l’Allemagne44. Pendant des mois Roosevelt allait marteler ses dénonciations contre « l’impréparation militaire » et les tergiversations « criminelles ». Le vingt-huitième président pratiquait selon lui la pire des politiques « pacifistes », celle qui répandait le sang inutilement. L’inertie gouvernementale lui paraissait promettre le pays aux plus graves périls.
25Lorsque la guerre éclate du 1er au 4 août 1914, Théodore Roosevelt, à l’image de la classe politique américaine, ne s’en émeut pas outre mesure. L’Europe est loin, l’Amérique ne se sent pas directement menacée, d’autant qu’aucun des belligérants ne lui est hostile a priori. L’obligation de neutralité paraît s’imposer à tous les Américains, dont Woodrow Wilson se fait l’interprète le 4 août : « Nous devons être impartiaux en pensée comme en actes45… » S’agissant de l’Europe, la proclamation de neutralité du gouvernement des États-Unis répondait non seulement à une tradition diplomatique, mais aussi à une nécessité de politique intérieure. La diversité ethnique de l’électorat exigeait la prudence, notamment la présence en son sein de deux groupes importants, les Germano-Américains pro-allemands et les Irlando-Américains anti-britanniques.
26S’abstenant de prendre parti, dans un article du 22 août 1914, Roosevelt observe froidement :
« Quand des géants sont engagés dans une lutte à mort, roulant ici et là, ils sont sûrs d’écraser quiconque gêne dans son effort l’un ou l’autre de ces formidables combattants46. »
27Il ne tient qu’aux États-Unis de se prémunir contre pareil déboire par une sage politique de défense. Un mois plus tard, dans le même magazine, il approfondit cette analyse avec un égal détachement47. On le devine satisfait de pouvoir faire la leçon aux pacifistes grâce au concours inespéré que lui prête une actualité tragique qui confirme parfaitement toutes ses thèses sur les traités d’arbitrage ne s’appuyant pas sur la force. Il place par ailleurs les deux camps sur le même plan et prétend que l’on pourrait défendre le point de vue de l’un ou l’autre avec une égale conviction. Il se dit désolé du sort réservé à la Belgique, mais se refuse à juger l’Allemagne ; l’impitoyable écrasement du petit royaume neutre et les horreurs qui l’ont accompagné ne sont que les inéluctables excès dont toute guerre offre l’exemple. Le Reich, en outre, a simplement agi comme toute nation consciente que sa survie dépend de l’issue du conflit dans lequel elle est engagée, quelle que soit la cause de cet engagement. Roosevelt, donc, ne critique pas, mais constate48. À l’instar du vingt-huitième président, il recommande une attitude neutraliste, avec néanmoins des nuances :
« Il est certainement éminemment souhaitable que nous restions totalement neutres, et seule une urgente nécessité pourrait justifier que nous rompions notre neutralité et que nous prenions parti pour l’un ou l’autre camp49. »
28Selon lui, l’impartialité, qui dans les faits équivaut à abandonner à leur triste sort les nations innocentes, est le prix à payer, d’une part pour protéger les intérêts américains et maintenir la paix dans le reste du monde, d’autre part pour préserver l’avenir, notamment l’influence que les États-Unis seront sans nul doute seuls en mesure d’exercer ultérieurement en faveur du rétablissement général de la paix. Fidèle à ses vieux principes, il déconseille – quelque sympathie que l’on puisse éprouver pour la Belgique ou le Luxembourg – toute protestation officielle que le gouvernement ne serait pas à même d’appuyer concrètement. Cette guerre, dont il tire cyniquement les leçons pour l’édification de ses compatriotes, démontre tragiquement la validité de son proverbe favori : « Parlez doucement et portez un gros bâton. » Il regrette que l’on ait constamment retenu la première partie du dicton et raillé ceux qui invoquaient la seconde pour défendre l’honneur et l’intérêt nationaux ; selon lui, « la pire politique pour les États-Unis » serait de combiner « les propos débridés » et l’impréparation50.
29L’on a beaucoup glosé sur l’« objectivité » de Théodore Roosevelt au début de la guerre et son refus de critiquer l’Allemagne ouvertement. Cette attitude, il ne faut pas l’oublier, fut celle de la nation tout entière. Henry Cabot Lodge, en vacances en Angleterre, ne réagit pas autrement. D’après Walter Weyl, la compassion initiale des Américains ne fut pas dénuée de condescendance, voire d’arrogance paternaliste, envers une Europe anarchique51. Le comportement des deux amis et complices en diplomatie pendant les trois premiers mois du conflit, surtout celui de Roosevelt, fut révélateur de l’état de l’opinion, comme l’a noté Osgood52. Il y avait peut-être à ses hésitations d’autres causes, soulignées par Widenor et J. Lee Thompson, entre autres, ainsi que par l’intéressé lui-même. À la fin de 1914, l’ancien président, en pleine campagne électorale pour le renouvellement de la Chambre des représentants et celui, partiel, du Sénat53, s’efforçait de sauver du naufrage définitif les derniers vestiges du Parti progressiste dont de nombreux membres militaient au sein du mouvement pacifiste, d’où sa retenue et son adhésion à une politique de neutralité54. L’explication, cependant, est peu crédible quand on sait que Roosevelt adorait polémiquer et pouvait dire le fond de sa pensée au mépris des conséquences, comme il le ferait en 1916, sachant pertinemment que sa dénonciation virulente des Américains « à trait d’union » (hyphenated Americans) comme traîtres à la patrie pouvait coûter l’élection au candidat républicain Charles Evans Hughes55. Compte tenu des contraintes de la politique intérieure qui s’imposaient alors à tout homme politique, à commencer par le plus éminent d’entre eux, Woodrow Wilson, il faut reconnaître que Lodge et Roosevelt furent parmi les tout premiers à prendre position en faveur des Alliés, après une gêne initiale assez compréhensible ; la guerre en 1914 représentait un cataclysme dont les tenants et les aboutissants n’étaient pas évidents à première vue. L’ex-président, cependant, a prêté le flanc aux critiques du fait de son application à gommer postérieurement de ses écrits les traces de ses hésitations. Quoi qu’en dise son biographe officiel, Joseph Bucklin Bishop56, ses premières réactions publiques ne furent pas dépourvues d’ambiguïté ; il ne montra certes pas de sympathie indue pour le Reich, mais il ne le condamna pas. De même, à l’égard de la violation de la neutralité belge, fit-il preuve d’une indignation à retardement que ses détracteurs ne se privèrent pas de relever, notamment le célèbre démystificateur H. L. Mencken dans une impitoyable condamnation posthume57. Elle n’échappa pas non plus à certains historiens58.
30Le corps du délit n’est autre que le texte déjà cité du 23 septembre 1914 que Roosevelt inclut dans le volume qu’il fait paraître chez Scribner en janvier 1915, America and the World War (l’Amérique et la guerre mondiale), avec quelques retouches et omissions judicieuses59. L’article alors revu et corrigé ne s’intitule plus « The World War: Its Tragedies and Its Lessons » (la guerre mondiale : ses drames et ses leçons), mais « The Belgian Tragedy » (le drame belge) ; à ce moment-là, l’auteur s’est convaincu qu’une protestation officielle se serait imposée dès le déclenchement des hostilités et que le gouvernement des États-Unis a failli à son devoir en restant silencieux. Depuis que le cap des élections à mi-mandat a été franchi, Roosevelt s’estime moralement délié de toute obligation de réserve envers l’Administration et envers ses amis politiques60 ; ces derniers l’avaient en effet pressé d’épargner la Maison-Blanche dont ils appréciaient la prudence au Mexique et le strict neutralisme à l’égard de l’Europe, mais l’ancien président, ainsi forcé de se faire violence, s’était juré de reprendre sa liberté de parole sitôt exprimé le verdict des urnes61. Le désastre électoral que connaît l’éphémère Parti progressiste en novembre 1914 peut lui faire regretter d’avoir pratiqué l’autocensure, exercice tout à fait contre-nature dans son cas ; plus rien ni personne en tout cas ne l’empêche d’avoir « la main lourde » pour « frapper l’Administration62 ». Parce qu’il fait alors flèche de tout bois contre le « pacifiste » Woodrow Wilson, il cherche à mettre le silence de Washington lors du « drame belge » au compte d’un attentisme et d’une pusillanimité coupables – dont il doit lui-même se démarquer. Ceci le conduit à expurger et à remanier son texte pour éviter de prévisibles retours de bâton : ne prônait-il pas lui-même, en août et septembre 1914, l’attitude précisément adoptée par le vingt-huitième président ? Mais en janvier 1915, il a depuis deux mois changé son fusil d’épaule : il déplore l’absence de protestation officielle devant l’écrasement inadmissible d’un pays protégé par un statut internationalement reconnu et reproche à la Maison-Blanche de maintenir la neutralité américaine au prix de la lâcheté, à savoir le « refus de faire quoi que ce soit pour aider les petites nations innocentes63 ».
31Roosevelt peut avec raison être taxé d’opportunisme ; sa première attaque en règle contre l’Administration date du 8 novembre 1914, soit cinq jours après les élections64… L’on ne saurait toutefois douter de la sincérité de ses sentiments pro-Alliés ; d’ailleurs, Bishop, auteur de la biographie « autorisée », n’a pas manqué de produire de nombreuses lettres qui l’attestent, presque toutes adressées à des correspondants étrangers65. Beale, pour sa part, observe pertinemment que le contraire aurait été étonnant, le vingt-sixième président ayant été en son temps l’artisan d’un rapprochement anglo-américain, proche de l’alliance informelle66. Widenor rappelle les nombreux liens d’amitié que Lodge et Roosevelt avaient noués avec des personnalités britanniques et souligne leur rôle dans l’engagement des deux hommes au service de la cause alliée. La perplexité et le détachement de l’ancien président furent après tout partagés par le pays tout entier et ils ne font pas de lui pour autant un sympathisant du Reich67. Qui se serait douté en août 1914 de l’extension et de la durée du conflit ? Roosevelt eut néanmoins le tort, par calcul politique, de tenter d’accréditer l’idée qu’au contraire de Wilson il s’était d’emblée indigné des atrocités allemandes en Belgique. Il permit ainsi à ses détracteurs de l’accuser d’hypocrisie lorsqu’il prit ensuite fait et cause pour les Alliés. Ce reproche est mérité, mais le « Colonel » n’en encourt point d’autre. L’on ne saurait lui faire de mauvais procès pour des positions certes exprimées avec de plus en plus de véhémence, mais clairement esquissées dès septembre 1914. Deux d’entre elles méritent d’être relevées ; l’une concerne la paix à venir :
« Une paix qui ne redresserait pas les torts infligés à la Belgique et qui ne préviendrait pas la répétition de torts semblables à ceux qu’elle a subis ne serait pas une paix véritable68. »
32L’autre a trait aux limites de la neutralité :
« L’on peut même poser la question de savoir si, comme d’autres puissances neutres, nous ne sommes pas nous-mêmes en train de manquer à des obligations auxquelles nous avons souscrit, explicitement ou implicitement, en signant les traités de La Haye69. »
33Les analyses de William C. Widenor confirment que les approches de la politique étrangère respectivement proposées par Wilson et Roosevelt s’appuyaient sur des philosophies totalement différentes ; il fallut la Grande Guerre pour que leurs divergences éclatent au grand jour. Pour Théodore Roosevelt et Henry Cabot Lodge, il ne fait plus de doute à la fin de 1914 que les États-Unis ont tout intérêt à faciliter une victoire alliée ; mais ils sont pratiquement les seuls à le penser. Cette communauté d’analyses rapproche les deux amis – déjà unis par une même haine de Woodrow Wilson – après que l’intermède progressiste les a séparés. Comme dans les années 1890 ils se tournent l’un vers l’autre faute de trouver un quelconque soutien parmi leurs amis politiques. Widenor souligne la remarquable division du travail à laquelle leur offensive contre le Président donne lieu : Lodge suscite discrètement des obstacles au Sénat ; Roosevelt prend bruyamment l’opinion à témoin70.
34Tous deux croient fermement que le succès des Alliés aidera la cause de la sécurité et de la justice internationale alors que la Maison-Blanche mise sur une paix de compromis et sur l’abstention des États-Unis. Ils sont persuadés que les prises de position pacifistes et neutralistes de Wilson, si populaires auprès de l’électorat, encouragent la nation dans ses penchants isolationnistes et l’incitent à négliger davantage ses devoirs envers le reste du monde. À leurs yeux, l’érosion de l’internationalisme, amorcée sous Taft, s’aggrave dangereusement sous la vingt-huitième présidence : c’est toute une philosophie des relations internationales qui est alors reniée71.
35L’on ne saurait ici passer jugement sur la politique étrangère de Woodrow Wilson ; mais force est de constater qu’elle fut l’antithèse du rooseveltisme et appela les fulminations de l’ancien président de 1914 à sa mort. La plus grave divergence concerna la politique d’armement préventif, dont Wilson avait longtemps été l’adversaire72. D’ailleurs, au début de la Grande Guerre, la flotte américaine avait perdu le second rang mondial auquel le champion du « gros bâton » l’avait fait accéder en 1907. Roosevelt, inquiet de cette rétrogression, entreprend dès septembre 1914 de sensibiliser ses concitoyens aux vertus et à l’urgence de la « préparation militaire ». Il n’est pas un discours, pas un article, dans lequel ne figure le mot preparedness, inlassablement martelé, presque comme une idée fixe. Sa véhémence est alors à la mesure de sa solitude politique ; le pays ne montre même pas quelques vagues symptômes d’« humeur semi-héroïque », dont le « Colonel », faute de mieux, se serait contenté73. Il lui faut donc s’employer méthodiquement à éduquer l’opinion publique. Ses efforts ne sont pas inutiles ; le Président fait une place importante à l’armement de la nation dans son message de décembre 1915 alors qu’un an plus tôt il a ironisé sur les « nerveux » et les « excités » de la classe politique74.
36Partisan du réalisme et de la fermeté, Roosevelt ne continue pas moins de prêcher dans le désert ; jamais il n’a été aussi peu au diapason de l’Amérique profonde75. En 1916 il est devenu encombrant pour la quasi-totalité de ses amis politiques, aussi bien les progressistes, dont il se sépare, que les républicains, avec qui il souhaite renouer. Il ne nourrit d’ailleurs guère d’illusions sur son avenir au sein du Grand Old Party au moment où ses partisans les plus inconditionnels caressent l’espoir de faire de lui le porte-drapeau de l’opposition lors de l’élection présidentielle :
« Si le pays n’est pas résolu à placer l’honneur et le devoir avant la sécurité, alors les gens n’ont pas besoin de moi comme président, et le parti ne peut pas se permettre de présenter ma candidature ; car je ne ferai pas le moindre effort pour retirer quoi que ce soit de ce que j’ai dit au cours des dix-huit derniers mois sur les devoirs nationaux et internationaux ou pour m’excuser d’aucune de mes actions à la tête du pays76. »
37La réaction de la Maison-Blanche au torpillage par les Allemands du paquebot Lusitania le 7 mai 1915 va marquer le point de non-retour dans ses réquisitoires contre l’homme « trop fier pour se battre » qui menace néanmoins de tenir le Reich « strictement responsable » de tout accident causé de son fait à des navires ou des citoyens américains. Jour après jour, page après page, Théodore Roosevelt s’étrangle de fureur : non, le Président n’a pas « préservé » les Américains « de la guerre », à preuve l’expédition de Vera Cruz et l’intervention en Haïti, et il les préservera d’autant moins que le pays n’est pas armé convenablement et a commencé à subir les conséquences militaires des errements de l’exécutif, au Mexique déjà et bientôt dans ses rapports avec Berlin. S’ajoutant à l’impréparation, la mollesse et l’indécision ne peuvent qu’engendrer le mépris et encourager l’agression77.
38Lorsque commence à être débattue ici et là l’idée d’une Société des nations, Roosevelt peut légitimement en revendiquer la paternité et s’indigner que l’on ose songer à priver cette structure internationale de moyens de coercition, à en faire en quelque sorte une institution-croupion. William C. Widenor a raison de souligner la remarquable cohérence des conceptions rooseveltiennes en matière d’ordre international78 ; quelle que soit sa composition – et Roosevelt ne sera jamais totalement clair sur ce point – une « société des nations » n’avait de sens que dotée de pouvoirs de police internationale ; c’est ce qui ressort de ses diverses prises de position, dont la plus connue, formulée dans son discours de remerciement au jury du prix Nobel de la Paix, le 5 mai 1910, à Christiania (Oslo) en Norvège79. Peu lui importait qu’elle s’appelât « Ligue pour la paix », « Ligue mondiale pour une juste paix » ou tout simplement League of Nations, il souhaitait qu’elle servît au « maintien par la force d’une paix juste » et refusait qu’elle coïncidât avec le concert des nations. Roosevelt envisageait véritablement en 1918 une ligue, et qui plus est, une ligue armée, réunissant « les puissances militaires civilisées », ce qui excluait toute participation – avant qu’elles eussent fait leurs preuves et amende honorable – de l’Allemagne et de la Russie, coupables respectivement de « kaiserisme » et de « bolchevisme ». Ce club des « grands », déjà constitué de facto par les Alliés, pourrait s’ouvrir à des nations « faibles » mais méritantes qui disposeraient alors d’une voix consultative ; il aurait pour vocation première la préservation de la paix mondiale, par la force au besoin. Fidèle à sa conception des grands équilibres géographiques, il estimait que la mission de cet organisme international – ligue des grandes nations civilisées – ne devait pas s’étendre à toutes les régions du monde, mais se limiter aux principales zones d’influence existantes, au sein desquelles chacune des puissances concernées pourrait continuer d’exercer sa tutelle ou son rayonnement, comme les États-Unis dans le Nouveau Monde ou la Grande-Bretagne et la France en Afrique et en Asie80. L’internationalisme de Roosevelt, on le voit, n’était pas incompatible avec l’impérialisme ; plus exactement, il le prenait en compte franchement alors que les adeptes du wilsonisme affectaient de le combattre tout en le pratiquant. Ultime divergence entre deux conceptions de l’internationalisme, Théodore Roosevelt voulait d’un monde où son pays, et non la démocratie, ne fussent plus mis en péril81.
39Ainsi, tout devait l’opposer à Woodrow Wilson : la signification donnée au conflit mondial, les raisons et la façon d’intervenir, les buts poursuivis après l’entrée en guerre des États-Unis, le nouvel ordre à établir dans le monde82. L’on peut voir un symbole dans le dernier message qu’adressa le vingt-sixième président à la nation. Le 3 janvier 1919, trois jours avant sa mort, Théodore Roosevelt dictait son dernier éditorial pour le Kansas City Star ; l’on y retrouve, inchangé, le credo diplomatique de toute une carrière : sa méfiance à l’égard de la rhétorique creuse et des accords fumeux, sa croyance au devoir de police des grandes nations civilisées, son attachement à la doctrine de Monroe, sa conviction que la dissuasion est le plus sûr garant de la paix et de la justice internationales83. Épilogue d’un épilogue, et dernier symbole, la victoire posthume du colonel des Rough Riders sur le professeur de Princeton, remportée dans l’enceinte du Sénat par l’entremise d’Henry Cabot Lodge. Mais le rejet du traité de Versailles ne ressuscita pas le rooseveltisme ; pour barrer la route à l’internationalisme wilsonien, Lodge fut contraint par le climat politique de lui opposer un « nationalisme insulaire » tout aussi éloigné de la « solution rooseveltienne »84.
Roosevelt en perspective
40La vingt-sixième présidence est véritablement la rencontre d’un homme et d’une époque. Le premier Roosevelt fut l’homme des transitions. Avec lui les États-Unis changèrent de siècle ; grâce à lui ils révisèrent leur politique étrangère et affirmèrent leur suprématie en Amérique latine ; sous son impulsion la société américaine entama une évolution où l’on peut découvrir une source du New Deal du lointain cousin Franklin, inspiré en partie du « nouveau nationalisme ». On ne dira jamais assez quel étonnant animal politique fut le vingt-sixième président. Parce qu’il était au diapason de l’opinion, il sut imposer habilement sa vision personnelle des rapports internationaux et sa conception de la défense nationale, marier tradition et innovation en diplomatie, tout comme il parvint en politique intérieure à faire entrer son pays dans l’ère des réformes sociales. Mieux préparé à l’action diplomatique qu’aucun de ses prédécesseurs immédiats, Théodore Roosevelt allait, un coup de pouce du destin aidant, assumer avec enthousiasme le legs impérialiste de William McKinley et aider l’Amérique à s’adapter à la redistribution des cartes géopolitiques du globe. Il allait également redonner son lustre à la fonction présidentielle, affirmer la primauté de la Maison-Blanche en politique étrangère et y concentrer le pouvoir de décision. Adepte de la diplomatie secrète, impatient des contraintes législatives, partisan des « accords exécutifs », virtuose du fait accompli, il est le premier promoteur de la « présidence impériale » du vingtième siècle.
41Ce changement dans la continuité, où le réalisme domine, ne peut véritablement s’apprécier qu’en regard d’un certain héritage historique. La naissance des États-Unis s’est accompagnée d’entrée d’un constat d’« exceptionnalisme » générateur de mythologies durables. À la notion calviniste d’élection divine est venu se combiner, paradoxalement, le postulat de la pureté et de l’innocence d’un peuple sans passé, redécouvrant les formes républicaines et créant la démocratie. Issue d’une opposition anticolonialiste à une tyrannie impériale, la jeune nation, au mépris des contradictions, va pratiquer sur son continent, pendant plus de cent ans, un républicanisme conquérant. Ces antécédents de l’expansion requièrent la formulation de doctrines justificatives. Très vite domine dans l’idéologie expansionniste le concept altruiste du devoir de civilisation. La boulimie territoriale, baptisée « destinée manifeste », autant que le racisme inhérent à un ethnocentrisme anglo-saxon, contredisent cependant le messianisme démocratique de circonstance. L’égoïsme des appétits économiques se cherche l’alibi d’un altruisme de façade. S’affirme par ailleurs dans l’« hémisphère », dès la seconde moitié du dix-neuvième siècle, un comportement interventionniste et des tentations impérialistes pendant que se maintient, parallèlement, la fiction d’un isolement destiné à préserver la pureté originelle de la nation.
42La « république impérialiste » du tournant du siècle ne pouvait trouver meilleur leader. Expansionniste fervent et résolu, historien de surcroît, Théodore Roosevelt assume dans sa totalité un passé de conquêtes qu’il connaît dans le détail et approuve sans réserve, et dans lequel il puise son inspiration et ses justifications. Mais le conservateur traditionaliste est également homme de progrès et vit avec son temps ; la marche du monde ne lui est pas indifférente. Sa vaste culture historique et politique en fait l’un des rares politiciens de sa génération à pouvoir apprécier la portée des mutations en cours sur la scène internationale. Conscient de l’interdépendance croissante des nations, il comprend qu’isolement et neutralité ne suffiront plus à protéger l’Amérique, que sa sécurité et sa prospérité risquent désormais de subir les contrecoups de conflits survenant hors de son « hémisphère ».
43À maints égards, la diplomatie rooseveltienne, dite du « gros bâton », rompt avec le passé ; elle présente des aspects novateurs, s’appuie notamment sur une conception inédite de la défense et propose une extension de la mission des États-Unis, au risque de choquer un Congrès résolument isolationniste dont il faudra circonvenir l’opposition. Certes, la tradition missionnaire, si typiquement américaine, se retrouve, amplifiée dans le discours moralisateur de Roosevelt, mais sa diplomatie révèle par ailleurs un réalisme nouveau dans la priorité donnée aux questions stratégiques. Le vingt-sixième président va renforcer le dispositif de sécurité immédiate par une adhésion sans faille au « monroëisme », surtout après l’acquisition de la zone du canal de Panama, et par la formulation, sitôt mise en pratique, d’un « corollaire » à la sacro-sainte « doctrine ». Nationaliste sourcilleux, il ne répugne pas à l’engagement internationaliste sous certaines conditions et entend faire jouer à son pays un rôle actif, à la mesure de son nouveau statut, dans le maintien d’un équilibre des puissances nécessaire à la paix mondiale. Parce qu’il est sensible au cadre planétaire de la sécurité des États-Unis, notamment aux dangers que leur font alors courir les appétits des autres nations impérialistes, il va tenter de préserver l’équilibre des expansionnismes et, au nom de la communauté des intérêts et de l’affinité des cultures, œuvrer au rapprochement avec la Grande-Bretagne.
44Homme d’État réaliste, il ne souhaite pas se payer de mots ; il sait la diplomatie vaine sans menace militaire. Seule une marine de guerre performante peut garantir efficacement la sécurité des États-Unis, grâce notamment à son pouvoir dissuasif, et imposer le respect au concert des nations. Défense et diplomatie lui paraîtront toujours indissociables ; il ne cessera de prêcher cette conception novatrice, honnie des pacifistes et des isolationnistes, et se dira toujours persuadé de l’existence d’un lien direct entre la crédibilité de sa politique étrangère et la puissance de feu de la flotte américaine. Le propagandiste de la « préparation militaire » s’emploiera sans relâche à convaincre une opinion publique indifférente et des élus sceptiques ou hostiles.
45Cette Realpolitik novatrice ne va pas sans paradoxes. Certes, le réalisme et la prudence prendront le pas sur l’expansionnisme militant du début. Roosevelt, néanmoins, demeure un impérialiste belliqueux, souvent excessif dans le propos, pétri de moralisme, champion d’un impérieux devoir de civilisation. Il n’est que de songer à l’administration des Philippines, aux rapports avec la Colombie dans l’affaire du canal interocéanique, à la réoccupation de Cuba, aux relations avec la Chine, autant d’épisodes qui illustrent les aberrations d’un certain « idéalisme ». On a pu noter que l’agressivité du Président fut souvent inversement proportionnelle à la force de l’adversaire, que la vigueur du ton contrasta plus d’une fois avec une relative pondération dans la pratique – observation qui vaut également pour son approche des problèmes intérieurs. L’impérialiste parfois excessif, sinon même délirant, se doubla d’un diplomate mesuré, efficace et internationaliste. La retenue l’emporta chaque fois que ses interlocuteurs furent les nations « civilisées ». Autre ambivalence significative, l’homme d’État aux réflexes autocratiques sut dans l’ensemble se montrer respectueux des procédures démocratiques, malgré son dédain pour un Sénat jugé incohérent, incompétent, bavard et stupidement tatillon, comme il sut se résigner, avec réalisme et bon sens, aux réticences de l’opinion. Plus volontiers provocateur que pédagogue, il ne ménagea cependant aucun effort pour expliquer, séduire, convaincre, même s’il montra beaucoup plus de talent à contraindre qu’à persuader.
46On retrouve chez Théodore Roosevelt cette dichotomie entre idéaux et réalité qui caractérise l’expansionnisme américain des trois siècles précédents et, sous une forme exacerbée, cette bonne conscience dont l’Amérique se berce depuis ses origines. Pour le champion de la Realpolitik, la valeur d’un principe se mesurait à ses possibilités de mise en application ; il lui paraissait préférable de ne rien proclamer ou promettre qui ne fût défendable ou réalisable. Nonobstant les satiristes, réalisme, retenue et sagesse inspirèrent la diplomatie dite « du gros bâton ». L’on répétera cependant que l’impérialiste se montra moins soucieux d’adéquation entre principes et pratique dans ses rapports avec l’Amérique latine et l’Extrême-Orient que dans ses relations avec les grandes puissances européennes.
47Incurable moraliste et homme de certitudes, Roosevelt put donc incarner une tradition et ouvrir de nouvelles voies, asseoir en quelque sorte l’innovation sur la continuité. Très habilement, d’ailleurs, il invoqua souvent la tradition pour faire accepter le changement. En imprimant un mouvement décisif aux tendances impérialistes des États-Unis, en guidant judicieusement l’entrée de son pays sur la scène internationale, en le sensibilisant au caractère global des questions de sécurité, ce champion d’une présidence forte allait influencer la politique étrangère de ses successeurs, à commencer par F. D. R. Partiellement renié sous Wilson et dans l’entre-deux-guerres, l’héritage rooseveltien serait redécouvert, pour le meilleur et pour le pire, à partir de 1945. Le fil d’Ariane de la diplomatie américaine depuis ses origines pourrait bien être la permanence du moralisme et de la bonne conscience, de l’« exceptionnalisme » et, par voie de conséquence, de l’ethnocentrisme, cette méconnaissance de la spécificité et des susceptibilités des autres peuples, autant de travers que le Rough Rider contribua à amplifier. C’est cela peut-être qui représente l’aspect de plus durable, et le plus dommageable, de son action.
48La rédaction du présent ouvrage été guidée par la conviction qu’il n’avait pas été rendu justice à l’originalité et à la modernité de Théodore Roosevelt. Redécouverte aujourd’hui, sa contribution à la politique extérieure des États-Unis fut remarquable à double titre : il donna à la diplomatie de son pays ses lettres de noblesse et fournit à l’impérialisme de nouvelles armes théoriques. La leçon de professionnalisme fut parfois oubliée par ses successeurs, coupables à l’occasion d’amateurisme, mais l’héritage impérialiste ne fut jamais renié.
49Théodore Roosevelt estimait que pour être efficace l’homme d’État devait se doubler d’un politicien. Ainsi s’explique l’inadéquation entre principes et pratique dans la politique étrangère qu’il mena, quand le politicien prit le pas sur l’homme d’État. Néanmoins, certaines constantes de la diplomatie américaine suggèrent que ses errements tinrent moins à l’homme qu’à la culture politique dont il était imprégné.
Illustration 10. – Le 26e président des États-Unis dans son bureau à la Maison-Blanche.

Reproduit avec l’aimable autorisation de la Theodore Roosevelt Collection (Harvard College Library).
Notes de bas de page
1 Harbaugh William H., Power and Responsibility: The Life and Times of Theodore Roosevelt, Newtown, Conn., American Political Biography Press, 1997 (1961, 1963, 1975), p. 181 ; Widenor William C., Henry Cabot Lodge and the Search of an American Foreign Policy, Berkeley, University of California Press, 1983 (1980), p. 130.
2 Widenor, op. cit., p. 135, p. 147.
3 Widenor, op. cit., p. 133. Voir aussi Ricard Serge, « Foreign Policy Making in the White House: Rooseveltian-Style Personal Diplomacy », in William N. Tilchin et Charles E. Neu (dir.), Artists of Power: Theodore Roosevelt, Woodrow Wilson, and Their Enduring Impact on U.S. Foreign Policy, Westport, Conn., Praeger, 2006, p. 3-31.
4 Widenor, op. cit., p. 149, p. 157, p. 159, p. 162-170.
5 L’image de l’homme d’État responsable en sera ternie. Sur cette triste fin que l’historiographie du vingt-sixième président tend à négliger, voir par exemple Blum John M., The Republican Roosevelt, 2e éd., Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1981 (1954), p. 157-158 ; Harbaugh, op. cit., p. 475-478 ; Ricard Serge, « World War One and the Rooseveltian Gospel of Undiluted Americanism », in Hélène Christol et Serge Ricard (dir.), Hyphenated Diplomacy: European Immigration and U.S. Foreign Policy, 1914-1984, Aix-en-Provence, Publications de l’université de Provence, 1985, p. 19-30. Thompson J. Lee, Never Call Retreat: Theodore Roosevelt and the Great War, New York, Palgrave Macmillan, 2013, qui couvre son activité politique de 1914 à sa mort le 6 janvier 1919, s’inscrit en faux contre ce jugement et glorifie ses attaques contre Wilson, sa croisade pour la préparation militaire, ainsi que son plaidoyer pour une intervention de l’Amérique dans le conflit au côté des Alliés, faisant fi de ses contradictions et errements, comme son refus initial de prendre parti et ses dénonciations virulentes des Américains d’origine étrangère, des pacifistes et de la gauche radicale, assimilée au bolchevisme. De manière générale, les biographes de Théodore Roosevelt depuis le tournant du xxe siècle sont plutôt indulgents et assez peu critiques sur cette période : Miller Nathan, Theodore Roosevelt: A Life, New York, William Morrow-Quill, 1992 ; Brands H. W., T.R.: The Last Romantic, New York, BasicBooks, 1997 ; Dalton Kathleen M., Theodore Roosevelt: A Strenuous Life, New York, Vintage Books, 2004 (2002) ; O’Toole Patricia, When Trumpets Call: Theodore Roosevelt after the White House, New York, Simon & Schuster, 2005. Son acharnement contre Wilson est davantage documenté dans Morris Edmund, Colonel Roosevelt, New York, Random House, 2010.
6 Colonel des Rough Riders, le titre qu’il préférera après son départ de la Maison-Blanche.
7 T. R. à H. K. Love, 6 juin 1900, Roosevelt, Letters, vol. 2, p. 1325 ; à Taft, 15 juillet 1901, Roosevelt, Letters, vol. 3, p. 121.
8 T. R. à Conrad Kohrs, 9 septembre 1908, Roosevelt, Letters, vol. 6, p. 1212-1218.
9 Bishop Joseph B., Theodore Roosevelt and His Time Shown in His Own Letters, 2 vol., New York, Scribner’s, 1920, vol. 2, p. 313 (T. R. à Bishop, 29 décembre 1911).
10 T. R. à Henry Cabot Lodge, 5 mai 1910, Lodge Henry Cabot (dir.), Selections from the Correspondence of Theodore Roosevelt and Henry Cabot Lodge, 1884-1918, 2 vol., New York, Scribner’s, 1925, vol. 2, p. 380. Sur ses pérégrinations très médiatisées de 1909-1910, d’abord cynégétiques en Afrique, puis touristico-politiques en Europe, voir O’Toole Patricia, « Roosevelt in Africa », in Serge Ricard (dir.), A Companion to Theodore Roosevelt, Malden, Mass., Wiley-Blackwell, 2011, p. 435-451 ; O’Toole, TR after the White House, op. cit., p. 42-92 ; Morris, Colonel Roosevelt, op. cit., p. 3-78, et Thompson J. Lee., Theodore Roosevelt Abroad: Nature, Empire, and the Journey of an American President, New York, Palgrave Macmillan, 2010.
11 T. R. à Lodge, 11 avril 1910, Lodge, (dir.), op. cit., vol. 2, p. 367-374.
12 Sur la rupture politique et la fin d’une amitié, consulter notamment Pringle Henry F., The Life and Times of William Howard Taft: A Biography, 2 vol., New York, Farrar, 1939 ; Mowry George E., Theodore Roosevelt and the Progressive Movement, New York, Hill and Wang, 1960 (1946) ; Manners William, T.R. and Will: A Friendship that Split the Republican Party, New York, Harcourt, 1969 ; Gable John A., The Bull Moose Years: Theodore Roosevelt and the Progressive Party, Port Washington, N.Y., Kennikat Press, 1978 ; Chace James, 1912: Wilson, Roosevelt, Taft & Debs–the Election That Changed the Country, New York, Simon & Schuster, 2004 ; Burton David H., Taft, Roosevelt, and the Limits of Friendship, Madison, N.J., Fairleigh Dickinson University Press, 2005 ; Gould Lewis L., Four Hats in the Ring, Lawrence, University Press of Kansas, 2008 ; Milkis Sidney M., Theodore Roosevelt, the Progressive Party, and the Transformation of American Democracy, Lawrenc, University Press of Kansas, 2009 ; Gould, The William Howard Taft Presidency, Lawrence, University Press of Kansas, 2009 ; Gould, Bull Moose on the Stump, Lawrence, University Press of Kansas, 2012 ; Goodwin Doris K., The Bully Pulpit: Theodore Roosevelt, William Howard Taft, and the Golden Age of Journalism, New York, Simon & Schuster, 2013.
13 Harbaugh, op. cit., p. 224.
14 Sur son voyage en Europe, voir Thompson J. Lee, TR Abroad, op. cit., p. 117-169, et Ricard Serge, « A Hero’s Welcome: Theodore Roosevelt’s Triumphal Tour of Europe in 1910 », in Hans Krabbendam et John M. Thompson (dir.), America’s Transatlantic Turn: Theodore Roosevelt and the « Discovery » of Europe, New York, Palgrave Macmillan, 2012, p. 143-158.
15 Bishop, op. cit., vol. 2, p. 351, p. 386.
16 T. R. à Henry White, 2 mai 1913, Roosevelt, Letters, vol. 7, p. 724. Le « prohibitionniste » Bryan avait remplacé le champagne par du jus de raisin dans les réceptions diplomatiques.
17 Leopold Richard W., The Growth of American Foreign Policy: A History, New York, Knopf, 1962, p. 240.
18 « Sagamore Hill » était, rappelons-le, sa résidence à Oyster Bay dans l’État de New York. L’on notera que l’impétuosité de l’ex-président le poussa à se comporter davantage en juge qu’en conseiller. En outre, sa légendaire énergie lui interdit de prendre une paisible retraite à Oyster Bay ; après ses chasses en Afrique et son périple européen, on le vit sillonner les États-Unis, explorer l’Amazonie, retourner sur le Vieux Continent et visiter les Antilles.
19 Thompson J. Lee, TR and the Great War, op. cit., montre cependant qu’il était parfaitement au courant de l’évolution du contexte militaire et diplomatique grâce à ses nombreux contacts et amis des deux côtés de l’Atlantique, notamment Arthur Hamilton Lee, chargé d’inspecter les services médicaux sur le front, Cecil Arthur Spring-Rice, alors ambassadeur de Grande-Bretagne, Jean Jules Jusserand, ambassadeur de France, sir Edward Grey, ministre britannique des Affaires étrangères et son successeur Arthur Balfour, David Lloyd George, chancelier de l’Échiquier et futur premier ministre du Royaume-Uni, le sénateur Henry Cabot Lodge, les généraux Leonard Wood et John J. Pershing, sans oublier son cousin et neveu par alliance, le démocrate Franklin D. Roosevelt, secrétaire adjoint à la Marine de Woodrow Wilson.
20 Ricard, « World War One and the Rooseveltian Gospel », op. cit., p. 22.
21 T. R. à Lodge, 24 mai 1910, Roosevelt, Letters, vol. 7, p. 86.
22 Leopold, op. cit., p. 275-277.
23 T. R. à Taft, 22 décembre 1910, Roosevelt, Letters, vol. 7, p. 189-191.
24 Morison, Blum et al. (dir.), Roosevelt, Letters, vol. 7, p. 190, n. 1.
25 T. R. à Taft, 22 décembre 1910, ibid., p. 191-192.
26 Loc. cit. ; Morison, Blum et al. (dir.), Roosevelt, Letters, vol. 7, p. 191, n. 2 ; U.S. Department of State, Papers Relating to the Foreign Relations of the United States, 1911, Washington, Goverment Printing Office, 1918, p. 315-319.
27 T. R. à Henry White, 2 mai 1913, Roosevelt, Letters, vol. 7, p. 723-724.
28 Morison, Blum et al. (dir.), Roosevelt, Letters, vol. 7, p. 720, n. 1 ; Foreign Relations, 1913, op. cit., p. 625-653.
29 T. R. à White, 2 mai 1913, Roosevelt, Letters, vol. 7, p. 724 ; à Hiram Warren Johnson, 20 avril 1913, ibid., p. 720-721.
30 Voir par exemple Roosevelt, Works, vol. 12, p. 244 ; vol. 16, p. 297, p. 314 ; vol. 17, p. 296 ; vol. 18, p. 28, p. 35, p. 64, p. 135, p. 284.
31 T. R. à Lodge, 12 juin 1911, Lodge (dir.), op. cit., vol. 2, p. 404.
32 Roosevelt, Works, vol. 18, p. 83.
33 Roosevelt, Works, vol. 16, p. 312.
34 Pringle, The Life and Times of William Howard Taft, op. cit., vol. 2, p. 755. Sur l’origine de la brouille entre Roosevelt et Taft, voir p. 757-759.
35 Se référer notamment à Roosevelt, Works, vol. 18, p. 29, p. 31-35, p. 37, p. 39-40, p. 42-43, p. 52-58, p. 64-65, p. 71-74.
36 T. R. à William Joel Stone, 11 juillet 1914, Roosevelt, Letters, vol. 7, p. 777-779.
37 Loc. cit.
38 Loc. cit.
39 T. R. à Lodge, 28 janvier 1909, Roosevelt, Letters, vol. 6, p. 1489-1498.
40 Thayer William R., « John Hay and the Panama Republic », Harper’s Monthly, vol. 131, juillet 1915, p. 165-175.
41 T. R. à William Roscoe Thayer, 2 juillet 1915, Roosevelt, Letters, vol. 8, p. 944-945. Cf. Roosevelt Theodore, An Autobiography, New York, Da Capo, 1985 (1913), p. 536-537.
42 T. R. à Thayer, 2 juillet 1915, Roosevelt, Letters, vol. 8, p. 944-945.
43 Hagedorn Hermann, The Bugle That Woke America: The Saga of Theodore Roosevelt’s Last Battle for His Country, New York, The John Day Co., 1940. Émule de Hagedorn, Thompson J. Lee dans son TR and the Great War, op. cit., lui attribue un rôle capital, voire décisif, et prend le contre-pied des historiens qui jugent son comportement aberrant et son agressivité pathologique. Voir note supra.
44 Roosevelt, Works, vol. 18, p. 124-125 ; vol. 19, p. 286.
45 Link Arthur S. et al. (dir.), The Papers of Woodrow Wilson, 69 vol., Princeton, N.J., Princeton University Press, 1966-1993, vol. 30, p. 394.
46 Roosevelt Theodore, « The Foreign Policy of the United States », The Outlook, 107, 22 août 1914, p. 1011-1015 (cf. p. 1012).
47 Roosevelt Theodore, « The World War: Its Tragedies and Its Lessons », The Outlook, 108, 23 septembre 1914, p. 169-178.
48 Roosevelt, « The World War », op. cit., p. 169, p. 171, p. 172.
49 Ibid., p. 173.
50 Ibid., p. 173, p. 174, p. 175, p. 178. Cf. p. 176 : « The worst policy for the United States is to combine the unbridled tongue with the unready hand. »
51 Cité dans Widenor, op. cit., p. 185.
52 Osgood Robert E., Ideals and Self-Interest in America’s Foreign Relations: The Great Transformation of the Twentieth Century, Chicago, The University of Chicago Press-Phoenix Books, 1964 (1953), p. 137.
53 Pour la première fois depuis la ratification du 17e Amendement en 1913 les sénateurs étaient élus au suffrage universel.
54 Widenor, op. cit., p. 189 ; Thompson J. Lee, TR and the Great War, op. cit., p. 44 ; T. R. à Lodge, 8 décembre 1914, Lodge (dir.), op. cit., vol. 2, p. 449. Dans une déclaration à la presse peu de temps avant sa mort, Roosevelt prétendit qu’il n’avait commis qu’une une seule erreur, celle d’avoir soutenu le président Wilson pendant les soixante premiers jours de la guerre. Thompson J. Lee, TR and the Great War, op. cit., p. 287.
55 Thompson J. Lee, TR and the Great War, op. cit., p. 141-142. Wilson fut réélu. À n’en point douter, les discours sectaires de Roosevelt effarouchèrent de nombreux électeurs germano- et irlando-américains qui se détournèrent de Hughes. Sur son approche rhétorique des questions de race, d’ethnicité et d’identité nationale, voir Dorsey Leroy G., We Are All Americans, Pure and Simple: Theodore Roosevelt and the Myth of Americanism, Tuscaloosa, The University of Alabama Press, 2007.
56 Bishop, op. cit., vol. 2, p. 370-379.
57 Mencken H. L. (Henry Louis), « Roosevelt : An Autopsy », in James T. Farrell (dir.), Prejudices: A Selection, New York, Random-Vintage, 1958, p. 47-69. Cf. p. 56 : « Il est difficile de croire pareille chose, à moins d’un effort de crédulité démesuré, surtout compte tenu du fait que cette indignation instantanée du plus impulsif et du plus loquace des hommes fut soigneusement dissimulée pendant au moins six semaines, malgré les reporters en faction jour et nuit devant sa porte, le pressant de dire ce qu’il gardait si mystérieusement pour lui. » Voir à ce sujet Ricard Serge, « Mencken on Roosevelt: Autopsy of an Autopsy », in The Twenties, Actes du G.R.E.N.A., Groupe de recherche et d’études nord-américaines, Aix-en-Provence, Publications de l’université de Provence, 1982, p. 21-33.
58 Pringle Henry F., Theodore Roosevelt:A Biography, New York, Harcourt-Harvest, 1956 (1931), p. 404-409 ; Wagenknecht Edward, The Seven Worlds of Theodore Roosevelt, Introd. Edmund Morris, Guilford, Conn., Lyons Press, 2009 (1958), p. 316-321 ; Harbaugh, op. cit., p. 439-445. Wagenknecht, op. cit., p. 321-327, relève même sa conversion tardive à l’interventionnisme.
59 Roosevelt, Works, vol. 18, p. 12-30.
60 Thompson J. Lee, TR and the Great War, op. cit., p. 44 ; T. R. à Lodge, 8 décembre 1914, Lodge (dir.), op. cit., vol. 2, p. 449. Déjà le 8 novembre 1914, dans un article paru cinq jours après les élections, il estimait qu’épargner l’Administration par loyauté n’était plus possible à moins de se rendre coupable de « déloyauté envers nos intérêts légitimes et nos obligations envers l’humanité en général ». Roosevelt, Works, vol. 18, p. 74.
61 T. R. à Lodge, 8 décembre 1914, Lodge (dir.), op. cit., vol. 2, p. 449.
62 Loc. cit.
63 Roosevelt, Works, vol. 18, p. 15, p. 19.
64 Roosevelt, ibid., p. 74.
65 Bishop, op. cit., vol. 2, p. 370-374.
66 Beale Howard K., Theodore Roosevelt and the Rise of America to World Power, Baltimore, The Johns Hopkins University Press Paperbacks, 1984 (1956), p. 171.
67 Widenor, op. cit., p. 191-194 ; Mencken, « Roosevelt: An Autopsy », op. cit., p. 52-55.
68 Roosevelt, « The World War », op. cit., p. 169.
69 Ibid., p. 175.
70 Widenor, op. cit., p. 185, p. 196, p. 253.
71 Ibid., p. 205, p. 211.
72 Ibid., p. 202.
73 T. R. à Lodge, 4 février 1916, Lodge, (dir.), op. cit., vol. 2, p. 480.
74 Link Arthur S., Woodrow Wilson and the Progressive Era, 1910-1917, New York, Harper Torchbooks, 1963 (1954), p. 177, 183.
75 T. R. à Lodge, 4 février 1916, Lodge (dir.), op. cit., vol. 2, p. 476-480.
76 Ibid., p. 479-480.
77 Voir par exemple Roosevelt, Works, vol. 18, p. 193-195, p. 208-213, p. 337-370.
78 Widenor, op. cit., p. 222.
79 Roosevelt, Works, vol. 16, p. 305-309.
80 Roosevelt, Works, vol. 18, p. 29 ; vol. 19, p. 9-10, p. 237, p. 400-408 ; Roosevelt Theodore, Roosevelt in the Kansas City Star: War-Time Editorials, Ralph Stout (dir.), Boston, Houghton, 1921, p. 30-32, p. 150-155, p. 236-250, p. 261-265, p. 277-281, p. 292-295.
81 Roosevelt, Works, vol. 19, p. 10. Une identité de vues avec Taft est l’occasion d’un semblant de réconciliation quelques semaines avant la mort de Roosevelt.
82 Ricard Serge, « Anti-Wilsonian Internationalism: Theodore Roosevelt in the Kansas City Star », in Daniela Rossini (dir.), From Theodore Roosevelt to FDR: Internationalism and Isolationism in American Foreign Policy, Keele, Angleterre, Ryburn Publishing-Keele University Press, 1995, p. 25-44, et Ricard, « Idéalisme wilsonien et réalisme rooseveltien : la recherche conflictuelle d’un nouvel ordre mondial en 1918-1919 », in Pierre Melandri et Serge Ricard (dir.), Les États-Unis face à trois après-guerres, Annales du Monde Anglophone, vol. 14, 2e semestre 2001, p. 13-29 ; Cooper John Milton, Jr., « Whose League of Nations? Theodore Roosevelt, Woodrow Wilson, and World Order », in Tilchin et Neu (dir.), Artists of Power, op. cit., p. 163-180 ; Ambrosius Lloyd E., « The Great War, Americanism Revisited, and the Anti-Wilson Crusade », in Ricard (dir.), A Companion to TR, op. cit., p. 468-484 ; Delahaye Claire, « Showing Muscle: Theodore Roosevelt, Woodrow Wilson, and America’s Role in World War I », in Krabbendam et Thompson (dir.), America’s Transatlantic Turn, op. cit., p. 159-177.
83 Roosevelt, Roosevelt in the Kansas City Star, op. cit., p. 292-295 ; Roosevelt, Works, vol. 19, p. 406-408. Il se prononce également pour le service militaire obligatoire.
84 Widenor, op. cit., p. 347.
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