1 Selon J.-M. Bertholot, Les vertus de l’incertitude : le travail de l’analyse dans les sciences sociales, Paris, PUF, 1996, p. 7, qui engage sa réflexion avec la métaphore du roman policier il y a, à l’origine de toute recherche, l’énigme d’un désordre à ordonner. À son tour C. Ginzbourg voit dans le « paradigme indiciaire » une quête comparable aux méthodes du chasseur examinant les indices lui permettant de tracer sa proie, Mythes, emblèmes, traces, morphologie et histoire, Paris, Flammarion, 1989 (1961).
2 G. Levi avait fortement mis l’accent sur ces aspects dans son ouvrage Le pouvoir au village, Histoire d’un exorciste dans le Piémont du xviie siècle, Paris, Gallimard, 1989. On peut également consulter le compte rendu effectué par R. Chartier, Le jeu de la règle, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2000, p. 55-58.
3 Ceci coïncide avec la conception du « raisonnement sociologique » développées par J.-C. Passeron, Le raisonnement sociologique : l’espace non-poppérien du raisonnement naturel, Paris, Nathan, 1991 (1986).
4 Dans la chasse aux sorcières européenne il a pu également y avoir convergence entre certaines croyances des magistrats et celles des sorcières.
5 Le phénomène s’avère similaire dans d’autres continents également colonisés. Entre autres, Balandier soulignait que les groupes africains restés en dehors de la domination étatique, subissaient cependant fortement la pression des États : « La consolidation des États, et leur action hors des frontières, ont des incidences profondes sur les peuples qu’ils n’incorporent pas politiquement, mais sur lesquels ils exercent une pression. Ceux-ci subissent les effets directs et/ou les contrecoups d’une histoire qu’ils ne contrôlent pas ; ils sont d’une certaine manière lancés dans une aventure qui ne leur permet plus de ‘reproduire’ leurs formes sociales, s’ils veulent survivre et maintenir leur personnalité », Balandier G., Anthropo-logiques. Les anthropologiques dans la modernité, Paris, Le livre de poche, 1985 (1974), p. 216.
6 Simmel G., Le conflit, Paris, Circé, 1992 (1903), voir aussi Valade B., « Types de conflit et formes de consensus », p. 267-281, dans Deroche-Gurcel L., Watier P. (dir.), La Sociologie de Simmel (1908), Paris, PUF, 2012.
7 Pour la discipline historique on pourra prendre la mesure des remises en question dans l’ouvrage de F. Dosse, L’histoire en miettes, Paris, La Découverte, 1987, qui s’interrogeait sur les effets d’éclatement des pratiques historiques, voir aussi R. Chartier, Au bord de la falaise. L’histoire entre certitudes et inquiétudes, Paris, Albin Michel, 1998.
8 N’ayant pas été formée dans cet esprit nous n’avons de ce point de vue rien à regretter. Par ailleurs, nos centres d’intérêt, fréquemment situés très à la marge des sujets canoniques, nécessitaient que soient mobilisés des outils dans leur toute diversité et nous ont souvent placée à la croisée de plusieurs disciplines.
9 Voir Amselle et M’Bokolo, Au cœur de l’ethnie. Ethnie, tribalisme et État en Afrique, Paris, La Découverte /Poche, 1999.
10 Ainsi en tant que responsable des affaires indiennes le capitaine Soto Pedrero est le « comisario general de naciones de indios ».
11 Comme le rappelait G. Balandier en examinant les ambiguïtés de la terminologie des classes, strates, rangs, etc., la terminologie pose toujours des questions de fond : « Le débat n’est pas mineur, car les questions de terminologie sont en dernier ressort des questions théoriques », op. cit., 1985 (1974), p. 145.
12 R. Chartier, introduit des dérivés de ces deux termes dans le sous-titre de son ouvrage Au bord de la falaise. L’histoire entre certitudes et inquiétude, op. cit, 1998.
13 Bertholot J.-M., op. cit., p. 259.
14 L’appréciation de S. Gruzinski est sévère qui rappelle : « Pour appréhender les mélanges, il faut commencer par se méfier du terme “culture”, usé jusqu’à la corde par des générations d’anthropologues, de sociologues et d’historiens », La pensée métisse, Paris, Fayard, 1999, p. 45.
15 Nous devons à D. Cuche, La notion de culture dans les sciences sociales, Paris, La Découverte, 2000 (1996), une très complète synthèse brossant l’historique de l’emploi de la notion de « culture » dans les sciences sociales.
16 Voir par exemple le livre de D. Lestel, Les origines animales de la culture, Paris, Flammarion, 2001. L’auteur envisage un continuum des natures et des cultures et souligne la révolution qu’introduit l’éthologie en montrant que les humains ne sont pas les seuls sujets.
17 Dans le style provocateur qui le caractérise souvent B. Latour affirme « Mais la notion même de culture est un artefact crée par notre mise entre parenthèses de la nature. Or il n’y a pas plus de cultures – différentes ou universelles – qu’il n’y a de nature universelle. Il n’y a que des natures-cultures, et ce sont elles qui offrent la seule base de comparaison possible », Nous n’avons jamais été modernes : essai d’anthropologie symétrique, Paris, La Découverte, 1997 (1991), p. 140.
18 Nous pensons particulièrement à N. García Canclini auteur très souvent cité pour son ouvrage intitulé Las culturas híbridas : estrategias para entrar y salir de la modernidad, México, Grijalbo, 1990, ainsi qu’à Cornejo Polar A., Escribir en el aire : ensayo sobre la heterogeneidad socio-cultural en las literaturas andinas, Lima, Ed. Horizonte, 1994, qui abordait la question du point de vue des littératures andines.
19 « C’est en partant du postulat de l’existence d’entités culturelles discrètes nommées « cultures » que l’on aboutit à une conception d’un monde postcolonial ou postérieur à la guerre froide vu comme être hybride. Pour échapper à cette idée de mélange par homogénéisation et par hybridation, il faut postuler au contraire que toute société est métisse et donc que le métissage est le produit d’entités déjà mêlées, renvoyant à l’infini l’idée d’une pureté originaire. », Amselle J.-P., Branchements. Anthropologie de l’universalité des cultures, Paris, Flammarion, 2001, p. 22.
20 Amselle J.-P., Logiques métisses. Anthropologie de l’identité en Afrique et ailleurs, Paris, Payot, 1990.
21 Gruzinski S., La pensée métisse, « Événement, bifurcation, accident et hasard… Regards sur l’histoire depuis les périphéries de l’Occident » dans Morin E., Relier les connaissances : le défi du xxie siècle, Paris, Éditions du Seuil, 1999. cet auteur émettant également des points de vue critiques, reste attaché à l’idée de mélange, même s’il a également exploré le rôle joué par les « passeurs ». En revanche, chez J.-L. Amselle, op. cit., 2001, le changement de cap est radical et de notre point de vue très stimulant.
22 Villalobos S., Relaciones fronterizas en la Araucanía, Santiago, Ediciones de la U. Católica de Chile, 1982 et « Guerra y paz en la Araucanía : periódificación », dans Villalobos et Pinto Rodríguez (comp.), Araucanía. Temas de Historia fronteriza, Temuco, Ediciones U. de la Frontera, 1985.
23 Bonnemaison J., « L’espace réticulé. Commentaires sur l’idéologie géographique », dans Tropiques. Lieux et liens, Florilège offert à Gilles Sautter et Paul Pélisser, Paris, ORSTOM, 1990.
24 Voir les deux ouvrages issus du colloque « Territoire, lien ou frontière ? » : Bonnemaison, Cambrezy et Quinty-Bourgeois, Les territoires de l’identité (t. 1), La nation et le territoire (t. 2), Paris, L’Harmattan, 1999.
25 Sibony D., L’entre-deux, l’origine en partage, Paris, Éditions du Seuil, 1991, p. 12.
26 Sibony D., ibid., p. 13. En questionnant l’idée de frontière l’auteur souligne également que : « Il n’y a pas deux entités différentes qui viennent s’aligner pour s’accoupler le long d’un trait qui les sépare. Au contraire, il s’agit d’un vaste espace où recollement et intégrations doivent être souples, mobiles riches de jeux différentiels. L’idée de frontière ou de traits, avec un dedans et un dehors, un ici et un ailleurs, paraît insuffisante », loc. cit.
27 White R., Le Middle Ground. Indiens, empires et républiques dans la région des Grands Lacs, 1650-1815, Toulouse, Anacharsis, 2009. L’édition en anglais date néanmoins de 1991. Pour une lecture critique, voir Havard G., Compte-rendu, Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, no 57-1, 2010, p. 204-206.
28 Une revue française de géographie porte comme titre L’Espace géographique.
29 Voir la réflexion à ce sujet de J.-P. Garnier, 1987, « L’espace médiatique ou l’utopie localisée », Espaces et sociétés, no 50, p. 7-21.
30 Condominas G., L’espace social à propos de l’Asie du sud-est, Paris, Flammarion, 1980, p. 14. Une variante de cette définition étant : « l’espace social comme l’ensemble des systèmes de relations caractéristiques d’un groupe déterminé », ibid., p. 75.
31 Condominas G., ibid, p. 77-88. L’appendice I de son introduction est consacré à l’examen des différentes définitions et conceptions de la culture. Son insatisfaction face au concept de culture le conduit à intégrer l’adjectif « social » pouvant nonobstant sembler tout aussi problématique et galvaudé que culture. En partant d’une longue série de titres commençant par « La construction sociale de… » (et aussi « l’invention… »), I. Hacking, critique l’usage redondant de ces expressions : Entre science et réalité. La construction sociale de quoi ?, Paris, Éditions La Découverte, 2001, p. 63-64.
32 Amselle J.-P., op. cit., 2001.
33 Ce courant, parfois appelé « théorie des réseaux sociotechniques », est associé aux noms de Michel Callon et Bruno Latour, mais il a dans son sillage beaucoup d’autres chercheurs venant d’horizons divers, voir en particulier l’ouvrage publié sous la direction de Latour et Lemonnier, De la préhistoire aux missiles balistiques. L’intelligence sociale des techniques, Paris, La Découverte, 1994. B. Latour, Ces réseaux que la raison ignore, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 4, revendique une théorie volontairement pauvre ou effacée : « des théories pauvres, comme celles des réseaux, dont la seule force vient de rendre visible et descriptible, le travail des acteurs ».
34 Le monde est une autre des ces notions vagues utilisée parfois quelque peu à vide. Toutefois, J.-C. Passeron en donne des définitions très utiles, op. cit., 1991 (1986), p. 397-398. Il distingue le « monde » (« tout ce qui advient ») ; le « monde empirique » (« ensemble des occurrences observables ; tout ce qui est observable, rien qui ne le soit »), où il inclut l’observation indirecte, les « vestiges » ; et le « cours du monde historique » (« ensemble des occurrences observables lorsqu’elles ne peuvent être désassorties de leurs coordonnées spatio-temporelles sauf à perdre le sens que l’on vise en assertant sur elles »). C’est à ce troisième cas de figure que correspond le mieux l’usage que nous faisons de l’expression « les mondes en présence » car elle est entièrement plongée dans une contrainte d’historicité.
35 Il en était de même en Afrique, comme l’a montré G. Balandier, op. cit., 1985 (1974).
36 Ainsi nous rejoignons par un autre biais une prise en compte moins européo-centrique « d’autres horizons », en-dehors de l’affrontement avec la puissance coloniale, que revendiquait avec force R. Bertrand, en déployant une méthodologie adaptée à un autre contexte.