Épilogue
p. 205-206
Texte intégral
1Au début de l’année 1857, la situation semblait s’arranger sur la question du Negro Seamen Act en Caroline du Sud. Après de longues années de tractations, la loi fut enfin amendée. Mais, si la situation s’améliorait sur un front, elles se détérioraient aussitôt sur un autre. Au Texas les nouvelles étaient mauvaises pour la Grande-Bretagne : l’État venait de voter une nouvelle loi empêchant les étrangers de couleur libres de débarquer dans ses ports1. Même en Caroline du Sud la situation ne s’était que temporairement arrangé. Quelques mois après l’amendement du Negro Seamen Act, le corps législatif exprima le vif souhait d’abroger cet amendement et de ré-instaurer des limites à la circulation des étrangers libres de couleur, preuve supplémentaire de l’extrême tension dans la région sur les questions d’esclavage et de race2. De plus, faisant suite aux appréhensions exprimées l’année précédente, le consul Bunch rend compte en mars 1857 de l’augmentation « extraordinaire » du prix des esclaves dont une des conséquences, selon lui, allait certainement être la réouverture de la traite négrière transatlantique. Particulièrement inquiet de l’application effective d’une telle mesure, il aurait alors eu à traiter avec une région dont le système aurait été encore plus éloigné de l’idéologie du mouvement abolitionniste de son pays3.
2Mais ces inquiétudes allaient bien au-delà d’une opposition idéologique et reflétaient également une profonde animosité entre les deux nations. De même que les Américains ne cachaient pas leur anglophobie, les consuls britanniques n’hésitaient pas non plus dans leurs dépêches à exprimer un mépris certain pour la vie politique américaine. Au cours de l’année 1856 James avait exprimé une grande hostilité à l’égard du parti démocrate et de ses membres en écrivant : « Il est de notoriété publique qu’il est ici un parti ardemment agressif qui rassemble un grand nombre d’hommes parmi les plus imprudents et malhonnêtes des États-Unis. Ce parti est composé entièrement des soi-disant Démocrates4. » Son hostilité ne se limitait d’ailleurs pas au seul parti démocrate car dans toutes ses dépêches, James exprime très explicitement son mépris pour l’ensemble de la vie politique américaine. Il estime en effet que, loin d’œuvrer pour le bien de leur peuple et de leur pays, les hommes d’État américains n’avaient d’yeux que pour leurs intérêts personnels. Autrement dit, les États-Unis étaient tout sauf une démocratie. Comble de l’ironie, c’est à John C. Calhoun, chantre de la pensée esclavagiste, qu’il se réfère pour appuyer ses propos, ce dernier ayant à la fin de sa vie une idée fort peu reluisante du paysage politique américain. Ainsi écrit-il : « Ici, Votre Excellence, les partis sont principalement liés par ce que Mr Calhoun appelait “le pouvoir de cohésion du pillage public.” Ses mots étaient forts mais pas assez forts, pas même le mot pillage5. »
3À mesure que les mois passaient et que la tension Nord-Sud augmentait, les relations anglo-américaines ne s’apaisaient pas non plus. L’inquiétude du consul Bunch de voir les Negro Seamen Acts ré-instaurés augmentait aussi. En 1859, l’attaque de Harper’s Ferry contribua à une radicalisation encore plus grande de la Caroline du Sud qui se mit à chasser tous ceux qui étaient soupçonnés de ne pas avoir des positions suffisamment pro-esclavagistes. Cela comprenait les Nordistes installés dans la région mais aussi tous les voyageurs étrangers dont le départ n’apaisa pourtant pas l’atmosphère explosive qui régnait dans la région. Le consul anglais en poste à Charleston prédisait l’éclatement imminent d’une guerre civile si le bon sens ne reprenait pas rapidement le dessus sur les passions6. Mais ce furent les passions violentes qui triomphèrent et la guerre finit par éclater, anéantissant, temporairement, les dernières traces du rêve d’expansion vers Cuba.
4La guerre de Sécession (1861-1865) marqua en effet une pause dans la politique annexionniste des États-Unis, pour des raisons évidentes. Mais un intérêt aussi profondément ancré dans l’histoire de la nation américaine ne pouvait disparaître avec l’abolition de l’esclavage. L’existence d’un régime esclavagiste était certes un des arguments majeurs en faveur de l’annexion à l’Union. Mais il n’était pas le seul. Et surtout, à mesure que l’opposition Nord-Sud prenait de l’ampleur, il n’intéressait plus guère que les Sudistes. Bien avant que l’esclavage y prît l’ampleur que l’on sait l’île était dans la ligne de mire des fondateurs de la république, à commencer par Thomas Jefferson qui n’avait de cesse d’invoquer son importance stratégique comme la preuve de son inéluctable intégration à l’Union.
5C’est bien ce qui finit par arriver suite à l’éclatement de la guerre d’Indépendance cubaine en 1895. Ce conflit de trois ans se poursuivit par l’entrée en guerre des États-Unis contre l’Espagne en avril 1898 et se termina en faveur des Américains en août de la même année avec la signature, le 10 décembre 1898, du traité de Paris qui accordait officiellement à Cuba son indépendance. Mais au lieu du drapeau cubain, c’est la bannière étoilée qui fut hissée au-dessus de La Havane dans les premières années d’une indépendance marquée par l’établissement d’un gouvernement militaire américain qui dura près de quatre ans. Au cours de cette période, les intérêts commerciaux américains envahirent l’île. Les grands capitaines d’industrie et magnats de la finance s’emparèrent des secteurs miniers, ferroviaires et sucriers. Et l’amendement Platt, incorporé à la constitution cubaine le 2 mars 1901 fit de l’île une quasi-colonie américaine sous les dehors d’une république indépendante. Après un siècle de tractations et plusieurs guerres, les États-Unis étaient enfin parvenus à leur but.
Notes de bas de page
1 Bunch to FO, January 1st, 1857 ; Lynn to FO, March 14th, 1857, PRO, FO 5/677, f° 314-316, 19.
2 Bunch to FO, December 28th, PRO, 1858, FO 5/698, f° 267-270.
3 Bunch to FO, March 4th, 1857, PRO, FO 5/677, f° 350-357.
4 James to FO, June 16th, 1856, PRO, FO 5/650, f° 430-434.
5 James to FO, August 30th, 1856, PRO, FO 5/650, f° 465-466 ; James to FO, February 28th, 1857, FO 5/677, f° 202-205.
6 Bunch to FO, November 24th, 1859, ; Bunch to FO, December 9th, 1859 ; Bunch to FO, December 28th, 1859 ; Bunch to FO, December 28th, 1859 ; Bunch to FO, December 28th, 1859, FO 5/720, f° 233-233, 242-243, 247-253, 254-258, 259-260.
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