Chapitre VI. 1850-1856, le début de la fin
p. 185-204
Texte intégral
1La décennie précédant l’éclatement de la guerre de Sécession commença assez mal car le passage du compromis de 1850 fit monter la tension entre le Sud et le Nord. Ce compromis, proposé par le sénateur Henry Clay, devait satisfaire les demandes des deux régions tout en évitant un conflit civil sur la question de l’esclavage. Ainsi, en échange de l’intégration de la Californie comme État libre, le Sud obtint la garantie qu’il n’y aurait pas de restriction fédérale sur l’établissement de l’esclavage au Nouveau-Mexique et dans l’Utah. L’esclavage était également maintenu à Washington D. C. mais la traite y était interdite. Enfin, le Sud obtint le passage d’une loi sur les esclaves fugitifs (Fugitive Slave Act) qui obligeait les nordistes à arrêter les esclaves fugitifs et à les rendre à leurs propriétaires sudistes, sous peine d’être eux-mêmes sous le coup de la loi.
2En dépit de ces acquis, les États du Sud se sentaient de plus en plus menacés en raison de la montée en puissance des abolitionnistes au Nord qui, suite au passage de la Loi sur les esclaves fugitifs, étaient plus que jamais déterminés à mettre fin à l’institution particulière. Et même si le Sud réussit à préserver une influence certaine au niveau de l’exécutif, avec l’élection régulière de présidents sudistes attachés à préserver le pouvoir de leur région et de la classe des planteurs, la diminution de leur pouvoir à la Chambre des représentants était une réalité tout aussi certaine. Or la peur d’être laminés par le Nord se traduisit par une volonté de plus en plus marquée de se détacher de l’Union et de constituer un empire sudiste indépendant fondé sur le régime esclavagiste.
3La correspondance des consuls britanniques en poste dans les États du Sud pendant cette période permet de voir se profiler cette radicalisation sur la question de l’esclavage qui eut d’ailleurs une incidence sur les relations entre Londres et certains États du Sud. Parallèlement à cela, la Maison Blanche, de nouveau occupée par les démocrates, se lançait dans de nouvelles manœuvres diplomatiques pour acheter la précieuse île. Cette tentative, qui se conclut par un échec, marqua un nouveau tournant dans les relations américano-cubaines car à mesure que les divergences régionales prenaient de l’importance l’ensemble des États-Unis perdaient de l’intérêt l’île et se focalisaient de plus en plus sur leurs différends intérieurs.
La division Nord-Sud à travers le regard anglais
4En 1850, comme au moment de la crise de l’Annulation, c’est la Caroline du Sud qui menait la fronde, très déterminée à quitter l’Union dès cette année-là. Les consuls britanniques en poste dans le Sud étaient alors à la fois des observateurs très attentifs à la montée du mécontentement du Sud et des acteurs ayant à cœur de préserver la liberté de leurs marins de couleur, dans un contexte particulièrement tendu sur la question raciale.
Le mouvement sécessionniste rampant en Caroline du Sud
5Dans les dépêches envoyées au cours de l’année 1850, le consul George Mathew, à Charleston, rend compte d’une forte agitation politique en Caroline du Sud, aussi bien sur le plan interne, contre le Nord, que sur le plan international, contre la Grande-Bretagne. Dans une dépêche confidentielle datant du mois de novembre, Mathew fait état d’un sentiment très largement répandu parmi les habitants de la Caroline du Nord et du Sud en faveur de la sécession. Il précise toutefois que, des deux États, c’était la Caroline du Sud qui menait la danse. Mathew est convaincu, à juste titre d’ailleurs, que la volonté de faire sécession allait prendre de l’ampleur avec le temps. Même s’il n’envisage pas de sécession immédiate, il la considère inévitable, en particulier si la loi sur les esclaves fugitifs venait à être abrogée. Aux yeux de notre observateur britannique la tension croissante entre le Nord et le Sud tournait autour de la question centrale de l’esclavage1.
6Quelques semaines plus tard, le consul joignait à l’une de ses dépêches une copie du discours d’investiture du nouveau gouverneur de Caroline du Sud, John Hugh Means (1850-1852), qui l’avait particulièrement choqué en raison de sa tonalité hostile vis-à-vis de la Grande-Bretagne. Indigné, Mathew s’en plaignit au nouveau gouverneur qui, par le biais d’un de ses représentants, lui présenta ses excuses expliquant qu’il n’avait rien à reprocher à son pays. La lecture du discours révèle toutefois que son importance ne tient pas tant à la remarque faite contre la Grande-Bretagne qu’à la forte hostilité exprimée à l’égard du Nord car elle souligne la division croissante de l’Union.
7En effet, le gouverneur Means parle de son mandat comme d’une période sensible où il s’engage à faire respecter l’institution ancestrale de son État, l’esclavage. Il souligne le paradoxe d’un État fédéral prospère et admiré par les nations étrangères mais rongé de l’intérieur par une « hostilité mortelle » entre le Nord et le Sud. Il dit le Sud indigné par la façon injuste dont le gouvernement fédéral le traite, alors même que la région a toujours fait des sacrifices pour servir la nation américaine, sans jamais rien recevoir en retour. Plutôt que d’assurer la pérennité et la sécurité de la propriété dans cette région, le gouvernement fédéral va à l’encontre de la Constitution en cherchant à y mettre fin. Bien que le Sud eût sacrifié ses jeunes hommes dans des guerres qui devaient mener à l’extension du territoire américain, dit-il, les propriétaires d’esclaves ne furent pas admis à profiter du « butin de guerre ». Selon lui, le gouvernement fédéral avait admis de nouveaux États libres afin de mettre le Sud en minorité au sein des institutions fédérales. De plus, au lieu d’appliquer la loi, les hommes politiques, de plus en plus influencés par une opinion publique nordiste abolitionniste, allaient finir par détruire le Sud, devenu la victime du gouvernement fédéral au profit du Nord. Il affirme alors que la crise de l’Annulation avait été un effort patriotique de la part de la Caroline du Sud pour sauver l’Union, mais qu’au lieu d’en être remercié son État fut insulté et ses citoyens considérés comme de vulgaires sécessionnistes. C’est alors que survient son attaque contre la Grande-Bretagne présentée sous les traits d’une nation tyrannique, à l’instar du gouvernement fédéral américain vis-à-vis des États du Sud. Évoquant le sort de l’Irlande opprimée, il explique qu’une nation piétinée finit toujours par se révolter. Mais contrairement à l’Irlande qui, sous les coups de boutoir incessants de la puissante Albion, ne pouvait qu’échouer, le Sud entendait bien triompher de son oppresseur. Pour se faire, le gouverneur affirme que le Sud devait s’unir. C’était là son désir le plus cher, mais si la région ne parvenait pas à former un front uni, la Caroline du Sud était alors tout à fait prête à résister seule. Pour finir, il clame son allégeance à la Caroline du Sud, ne faisant jamais mention de sa loyauté à l’Union2.
8Quelques mois plus tard, le consul envoie une liste des membres élus par les habitants de Caroline du Sud au Congrès de leur État, parmi lesquels dix-huit devaient assister à la Convention de Nashville, Tennessee. Cette convention devait réunir neuf États esclavagistes (Virginie, Caroline du Sud, Géorgie, Alabama, Mississippi, Texas, Arkansas, Floride et Tennessee) du 3 au 11 juin 1851, pour leur permettre de décider de la marche à suivre si Washington interdisait l’esclavage dans les territoires acquis à la suite de la guerre du Mexique. Mathew explique que les représentants de Caroline du Sud étaient majoritairement en faveur d’une sécession immédiate mais pas unilatérale. Autrement dit, ils désiraient être suivis par les autres États de la région. D’après lui, le Sud avait deux raisons d’avoir peur. D’une part, il se sentait menacé dans son institution par la montée en puissance des abolitionnistes au Nord. D’autre part, d’après le recensement de 1850, la région ayant une population totale inférieure en nombre à celle du Nord, il apparaissait que les deux Carolines et la Virginie allaient chacune perdre deux sièges à la Chambre des représentants, diminuant ainsi leur pouvoir au sein de l’Union. Et le consul d’ajouter : « Pour ma part, je n’ai pas le moindre doute que le résultat du recensement de 1860 sera l’abolition de l’esclavage, ou la division de l’Union – probablement cette dernière option – si aucun changement ne survient entre-temps. » Le consul était un observateur clairvoyant. En pronostiquant l’abolition de l’esclavage, avec certes une marge d’erreur de 5 ans, il en a tout de même pressenti la fin prochaine aux États-Unis. Par ailleurs, si la dissolution de l’Union ne s’est pas produite de façon définitive, elle a toutefois duré le temps d’une guerre civile. Sur la question de la sécession, le consul se montre aussi très fin observateur car il était intimement persuadé que si la Caroline du Sud faisait sécession unilatéralement, les autres États du Sud se joindraient à elle un à un3.
9En février 1851, c’est le discours d’investiture du nouveau gouverneur de Caroline du Nord, David S. Reid (1851-1854), que le consul Mathew joint à son courrier. De même que son collègue de Caroline du Sud, le gouverneur Reid parle de crise dans l’Union, à laquelle il va devoir faire face au cours de son mandat. Présentant aussi le Sud comme une région qui a fait des sacrifices et des compromis pour le salut de l’Union, sans en être récompensée, Reid affirme que son État ayant été l’un des derniers à intégrer l’Union, il n’y était donc pas aussi attaché que les autres. Il n’hésiterait donc pas à en sortir si les droits garantis par la Constitution venaient à être bafoués. Même s’il affirme plus loin avoir l’intention de préserver la Constitution, il s’agit bien là d’une menace de sécession. Bien qu’il soit dans l’ensemble moins violent, moins passionné, et moins obnubilé par la question de l’esclavage que son collègue de Caroline du Sud, le discours du gouverneur Reid ne laisse aucun doute sur l’existence d’un malaise croissant dans le Sud par rapport à l’Union désormais perçue comme le bastion des abolitionnistes nordistes4.
10Quelques mois plus tard, la Caroline du Nord et du Sud élirent ce que le consul Mathew qualifie d’un « congrès sudiste imaginaire et improbable » qui montre toutefois que ces deux États avaient bien entamé leur marche vers la sécession, d’autant que les délégués choisis pour y participer étaient ouvertement favorables à une séparation immédiate et unilatérale. Mathew ne cache alors pas sa conviction que le parti sécessionniste était en train de gagner du terrain plutôt que d’en perdre5.
Des relations tendues entre la Grande-Bretagne et la Caroline du Sud
11Parallèlement à ce mécontentement vis-à-vis du Nord, les consuls britanniques, et surtout celui de Charleston, observaient une crispation croissante face à leurs interventions répétées pour faire abroger les lois contre l’entrée des étrangers libres de couleur. La première loi de ce type avait été passée en Caroline du Sud en 1822 suite à la découverte de la conspiration de Denmark Vesey. Elle fut amendée pour être renforcée en 1835 puis en 1844. Désormais toute personne libre de couleur entrant en Caroline du Sud à bord d’un navire étranger devait être arrêtée mais ne pouvait recourir à l’Habeas corpus. Elle instaurait aussi de nouvelles mesures militaires stipulant que si les capitaines des navires et/ou les personnes de couleur en question refusaient d’obéir à la loi le gouverneur pouvait former une milice6.
12Désireux de protéger ses marins noirs le Foreign Office envoyait des instructions aux consuls pour obtenir l’abrogation de ces lois. Le prédécesseur de George Mathew en Caroline du Sud, William Ogilby, s’était déjà engagé dans ce combat, à une époque que Mathew considère plus calme. Mais Ogilby échoua à obtenir la moindre concession. Aussi, la tâche incombait-elle désormais à George Mathew.
13Ce dernier envoya donc des notes au nouveau gouverneur de Caroline du Sud à ce propos. Bien que conscient de la difficulté de son entreprise, Mathew était convaincu de pouvoir obtenir quelques concessions. Il avait même demandé l’avis de juristes sudistes qui lui donnèrent raison. Ces derniers confirmèrent que la Convention commerciale anglo-américaine de 1815, qui accordait protection, sécurité et liberté aux marchands et garantissait la liberté de commerce entre les deux nations, avait bien été violée et qu’il fallait pousser les législateurs à céder aux réclamations de Londres. Mathew rapporte par ailleurs que l’administration Fillmore était favorable aux demandes de la couronne, mais que si Washington intervenait il n’obtiendrait rien, à moins de menacer la Caroline du Sud d’usage de la force. Or, étant données les tensions déjà profondes entre l’État fédéral et le Sud, menacer d’utiliser la force pour abroger des lois qui auraient favorisé une Grande-Bretagne abolitionniste aux dépens de la Caroline du Sud, aurait immédiatement provoqué une sécession de la Caroline du Sud qui n’attendait que l’occasion de franchir le pas. Malgré tout, Mathew pensait que Londres avait de fortes chances de réussir à faire abroger ces lois. Le cas échéant, il conseillait son ministre de tutelle d’intenter une action en justice pour séquestration et de faire ensuite appel à la Cour suprême.
14Londres avait une autre arme de choix : taxer le coton étranger, soit le coton cultivé dans les États du Sud, et porter ainsi préjudice à l’économie de la région, qui n’aurait alors eu d’autre choix que de céder. Or, les Caroliniens étaient selon lui bien trop conscients de leur dépendance à la Grande-Bretagne pour lui refuser cette « faveur ». Sans doute la réponse cordiale du gouverneur de Caroline du Sud à la note que Mathew avait envoyée au corps législatif de l’État avait-elle suscité l’optimisme du consul. Le gouverneur y assure en effet que ces lois n’avaient pas été votées pour ennuyer Londres mais bien pour protéger son État7.
15Malgré l’optimisme de George Mathew concernant l’abrogation prochaine de ces lois, à la même époque, son collègue en poste à la Nouvelle-Orléans rencontrait le même type de problèmes avec l’emprisonnement de sujets britanniques de couleur. On apprend en effet qu’en Louisiane, ils étaient emprisonnés à leurs frais et ne pouvaient sortir que si l’on payait leur caution et leur frais de transports pour quitter l’État. Contrairement à la Caroline du Sud, où la première loi de ce genre avait été votée en 1822, la loi louisianaise était relativement récente n’ayant été votée qu’en 1842. Elle stipule que les capitaines de navires, au moment de quitter le port, devaient récupérer les membres noirs de leur équipage, et payer leurs frais de détention. Or, d’après l’agent anglais, certains capitaines laissaient ces marins en prison et ces derniers étaient ensuite souvent réduits en esclavage. Bien que le consul eût beaucoup fait pour aider à la libération de ces prisonniers, sa tache était ardue. Aussi, attire-t-il l’attention du ministre des Affaires étrangères sur le traitement injuste infligé à ces sujets britanniques en majorité noirs qui commerçaient entre les États-Unis et les Antilles anglaises. Le même sort était réservé aux navires qui venaient directement de Grande-Bretagne et dont le personnel (domestiques, cuisiniers ou équipage) était en partie composé de gens de couleur. Les capitaines de ces navires avaient multiplié les plaintes auprès du consul car au cours de leurs séjours dans l’Union, ils perdaient non seulement leur équipage mais devaient en plus payer des sommes importantes pour ces prisonniers qui n’avaient commis d’autre crime que celui d’être noirs8.
16À l’instar de son collègue Mathew, le consul en poste à la Nouvelle-Orléans suggère de faire appel à la Cour suprême des États-Unis et de démontrer que la loi de Louisiane contre les marins noirs était inconstitutionnelle. Lui aussi pense que si la Cour suprême donnait un jugement favorable à la Grande-Bretagne, la Louisiane amenderait alors sa loi et permettrait au moins que les Noirs ne fussent pas emprisonnés à condition de rester sur leurs vaisseaux9.
17L’année 1852 était une année électorale. Après quatre ans d’une administration whig anti-expansionniste (Taylor-Fillmore), les Américains allaient élire un nouveau président. Paradoxalement, Mathew voyait que la période électorale avait produit une accalmie dans la guerre abolitionniste lancée par le Nord. Aussi pensait-il que c’était le moment opportun de renouveler la demande d’abrogation des lois contre les marins noirs. Selon lui, une fois les élections passées, l’abolitionnisme reprendrait le dessus dans le Nord et le Nord-Ouest10.
18Cependant, alors que le consul Mure obtint de la législature de Louisiane l’abrogation de ces lois en 1852, il n’en fut pas de même pour son collègue de Charleston. Dans une dépêche « séparée » à Londres, Mathew demande même à quitter Charleston et à être muté car son zèle à faire abroger la loi l’avait rendu particulièrement impopulaire en Caroline du Sud et rendait sa position intenable. Il n’est toutefois pas complètement pessimiste estimant que même s’il n’a pas réussi dans sa mission en Caroline du Sud, il a eu de l’influence sur d’autres États esclavagistes qui ont fini par céder à la raison11. George Mathew fait là allusion à une dépêche envoyée plusieurs mois plus tôt où il affirme son influence indirecte sur le New Orleans Picayune, qui poursuivait la publication d’articles qui défendaient la modification des lois visant les étrangers de couleur. Il y affirme aussi avoir envoyé une note aux consuls en poste à Savannah (Géorgie) et à Mobile (Floride) pour les pousser à s’engager dans ce combat. Sans doute en réponse à cela le consul Molyneux, en poste à Savannah, avait-il envoyé un rapport à Londres où il exposait l’agitation que l’activisme de Mathew causait dans la presse locale, mentionnant aussi que l’inquiétude face à l’activisme britannique s’était étendue à la Géorgie qui, en 1829, s’était dotée d’une loi similaire sur l’entrée des étrangers libres de couleur12.
19Finalement, le vœu de George Mathew fut exaucé puisqu’il fut remplacé par Robert Bunch, qui héritait donc d’un dossier délicat. Car malgré le message particulièrement encourageant que ce dernier reçut au mois de novembre 1853 de la part du gouverneur de l’État, qui affirmait la nécessité d’abroger ces lois, la situation politique de la région et la sensibilité des Sudistes à la question de l’esclavage rendaient l’abrogation bien peu probable13. Bunch n’avait pas tort. Le mois suivant, le corps législatif de Caroline du Sud votait le maintien de ces lois14.
Les tensions anglo-américaines sur fond de crise cubaine
20Si les efforts des consuls qui se succédèrent à Charleston furent mis à mal, ils en attribuèrent l’échec au malaise de la région face à la politique abolitionniste anglaise à Cuba, qu’elle considérait comme une menace directe à son institution.
21Malgré son optimisme à toute épreuve, c’est George Mathew qui en octobre 1851 évoque le contexte cubain et la politique abolitionniste de son pays comme un obstacle à l’abrogation de ces lois. Il informe ses supérieurs que ses efforts pour faire abroger ces lois pourraient bien être gâchés par des rumeurs selon lesquelles des négociations entre l’Espagne et la Grande-Bretagne étaient en cours avec pour but l’abolition immédiate de l’esclavage à Cuba15. Même s’il ne s’agissait là que de rumeurs, et même si Londres ne cessait de démentir l’existence de telles négociations, il n’en reste pas moins qu’elles avaient un fond de vérité16.
22Les Anglais ne pouvaient en effet nier leur volonté abolitionniste. De plus, rappelons que Mathew avait lui-même beaucoup insisté auprès de ses supérieurs sur l’urgence d’une abolition immédiate à Cuba qui devait être présentée à l’Espagne comme le seul moyen de rester en possession de la Perle des Antilles. En outre, au début de cette décennie, et pour la première fois depuis de nombreuses années, le gouvernement espagnol semblait commencer à céder aux pressions de la Grande-Bretagne qui exigeait l’application effective des traités de 1817 et 1835. Plus précisément, entre 1853 et 1855, le capitaine général Pezuela prit des mesures pour régler définitivement le problème des emancipados en les libérant réellement, et permettre l’introduction d’Africains libres qui auraient travaillé comme apprentis sur les plantations de l’île. Il était également question d’abolir la loi qui interdisait aux autorités coloniales de perquisitionner les plantations à la recherche d’esclaves importés illégalement d’Afrique. Il ne s’agissait pas d’une idée nouvelle. Elle avait été proposée par David Turnbull, dans le cadre de son plan général pour mettre fin à l’esclavage sur l’île. Pour finir, les autorités espagnoles avaient décidé d’armer les Noirs libres, dans le but officiel de défendre l’île. Mais comme les Créoles n’avaient pas le droit de porter d’armes ni de s’engager dans l’armée, ni même d’occuper des postes administratifs importants une telle mesure ne pouvait que susciter leur colère. Se voyant ainsi supplantés par les membres d’une classe racialement inférieure ils se mirent à imaginer le pire17. Enfin de peur que de nouvelles attaques de flibustiers ne vinssent menacer l’île et/ou que le régime colonial ne fût renversé par les Créoles, les autorités espagnoles avaient décrété que toute tentative de révolte serait sanctionnée par l’abolition de l’esclavage18.
23Ainsi que l’explique Robert E. May, les Américains, mais surtout les Sudistes, n’avaient pas compris que les mesures espagnoles visaient avant tout à empêcher de nouvelles expéditions américaines. Ils étaient donc désormais persuadés que l’abolition de l’esclavage à Cuba était imminente. Comme le souvenir de la révolte d’esclaves de Saint-Domingue hantait toujours les esprits, ces mesures suscitèrent la panique des Sudistes, ou ce que Stanley Urban appelle la « terreur d’africanisation » de l’île (the Africanization scare). Par conséquent, ces derniers eurent une réaction contraire à celle qu’escomptaient les Espagnols. « Plutôt que d’intimider les expansionnistes sudistes, l’Espagne ne réussit qu’à susciter des appels à une invasion préventive19. » Les journalistes et politiciens Sudistes n’avaient pour ainsi dire que le mot « africanisation » à la bouche pour décrire ce que l’Espagne prévoyait pour Cuba, à savoir l’instauration d’un pouvoir noir20. Et « dans la mesure où la menace “d’africanisation” poussa les Sudistes à sentir que l’acquisition de Cuba était urgente cela participa à faire de la question d’annexion une problématique régionale21 ».
24Le rôle indéniable de la Grande-Bretagne dans l’adoption de ces mesures, et la suspicion désormais bien connue des Américains à l’égard de son action à Cuba permettent donc de confirmer les convictions du consul Mathew sur les raisons du refus de la Caroline du Sud d’amender les lois sur l’entrée des étrangers libres de couleur. Plus généralement, cela souligne également que les affaires cubaines avaient une incidence directe sur les affaires intérieures et extérieures d’un État esclavagiste fort et confirme que la politique des États du Sud était largement déterminée par le contexte international.
25Ces rumeurs d’une abolition imminente de l’esclavage à Cuba coïncidèrent aussi avec les élections présidentielles de 1852 qui amenèrent au pouvoir un démocrate nordiste, Franklin Pierce du New Hampshire. Ce dernier était un vétéran de la guerre du Mexique et, malgré ses origines régionales, avait été fortement influencé par la rhétorique expansionniste de l’aile sudiste du parti s’agissant de Cuba. Par ailleurs, Pierce considérait – à tort – l’annexion de l’île comme un moyen de détourner l’attention du débat national sur l’esclavage22.
Les derniers soubresauts expansionnistes
1854, l’Union se déchire mais n’abandonne pas ses rêves cubains
26De ce fait, la fièvre expansionniste et acheteuse de la fin des années 1840 se manifesta de nouveau sous la présidence de Pierce qui montra clairement durant son discours d’investiture du 4 mars 1854 que l’expansion territoriale allait faire partie des objectifs de son administration. Le nouveau gouvernement voulait annexer davantage de territoires mexicains, mais aussi Cuba et Hawaï23. D’ailleurs, Franklin Pierce forma un gouvernement composé d’expansionnistes notoires tels que le secrétaire d’État William Marcy, qui avait soutenu le projet d’achat de Cuba de l’ex-président Polk, ou le secrétaire à la Guerre Jefferson Davis qui avait évoqué l’achat de l’île au Congrès et avait, semble-t-il, une certaine influence sur le nouveau président.
27Le corps diplomatique américain en Europe était aussi composé de personnalités expansionnistes. Le sénateur de Louisiane, Pierre Soulé, connu pour son soutien sans faille à l’annexion de Cuba, fut nommé ministre en Espagne. Avant son départ pour Madrid en août 1853, il fut acclamé par une foule d’exilés cubains à New York. Pierce nomma aussi le désormais célèbre John Louis O’Sullivan au poste de ministre au Portugal. Quant à James Buchanan, qui avait joué un rôle important au sein de l’administration Polk dans l’affaire de l’achat de Cuba, il fut nommé ministre en Grande-Bretagne. Tout ceci fait donc dire à Robert E. May que Pierce avait formé son gouvernement dans un but expansionniste24. L’idée d’acheter l’île aux Espagnols refit donc surface au cours du printemps 1854. Elle était largement plébiscitée par le corps diplomatique américain en Europe, qui soutenait que la crise politique qui frappait l’Espagne ainsi que son importante dette étaient des avantages certains pour les États-Unis, dont une proposition d’achat aurait sans nul doute été acceptée par la couronne. Pierre Soulé semble même avoir suggéré une telle éventualité à la reine mère María Cristina, qui avait un grand besoin d’argent et aurait été favorable à une telle transaction25.
28Outre les problèmes financiers de l’Espagne, les États-Unis disposaient d’un autre moyen de pression, qui pouvait même constituer un motif de guerre : l’affaire du Black Warrior. Ce bateau à vapeur américain était entré dans le port de La Havane le 25 février 1854 avec une cargaison de neuf cents balles de coton à destination de New York et de Mobile (Floride). La cargaison n’avait pas été déclarée dans le manifeste du bateau et la taxe douanière n’avait donc pas été payée. Bien que les lois du port de La Havane eussent été explicites sur le fait que toute cargaison devait être déclarée dans le manifeste et faire l’objet d’une taxe, les navires américains avaient pris l’habitude de passer outre ces lois. Quant aux autorités cubaines, pourtant conscientes de cette pratique, elles n’avaient jamais jugé bon de sanctionner les navires américains. Ce n’était d’ailleurs pas la première fois que le Black Warrior entrait à La Havane sans déclarer la nature de sa cargaison. Mais cette fois-ci, les autorités de La Havane saisirent la cargaison ainsi que le bateau, et arrêtèrent le capitaine. L’affaire prit une tournure dangereuse pour l’Espagne, comme le montrent les remarques du ministre espagnol à Washington, Angel Calderón de la Barca, sur la violence de la presse sudiste à l’encontre des autorités coloniales espagnoles à Cuba, réclamant vengeance pour un tel outrage à la nation américaine. Calderón de la Barca faisait aussi état du désir du président Pierce de profiter de cet incident pour s’emparer de Cuba. L’historien Henry Lorenzo Janes cite un document de la correspondance officielle du ministre espagnol où ce dernier écrit : « Du président au simple citoyen, tous sont disposés à saisir toute occasion de prendre possession de Cuba que ce fût en attaquant directement l’île ou en prêtant main-forte aux révolutionnaires. […] Le ministre du Mexique m’assura hier qu’une personne présente aux côtés du Président lorsqu’il reçut les premières nouvelles de l’embargo placé sur le Black Warrior lui dit qu’il [le président], se frottant les mains, s’exclama : “Bien ! Bien ! Voici un beau morceau de capital politique26 !” » Finalement, le 16 mars 1854, le bateau et sa cargaison de coton furent rendus à la New York and Atlantic Steamship Company, propriétaire du bateau, et une amende de six mille dollars lui fut imposée. Toutefois, cette amende fut ensuite annulée par la reine qui alla jusqu’à accorder des privilèges douaniers à la compagnie dans le but, semble-t-il, d’éviter un conflit avec les États-Unis27.
29Mais les Américains ne voulaient pas en rester là. Le 3 avril 1854, Pierre Soulé reçut des instructions du secrétaire d’État William Marcy selon lesquelles il pouvait proposer au gouvernement espagnol cent trente millions de dollars pour l’achat de l’île. Si l’Espagne refusait, il avait carte blanche pour dire que les Américains étaient prêts à s’en emparer de force. Il avait aussi pour instruction de faire pression pour obtenir une indemnité de trois cent mille dollars en compensation des pertes subies par la New York and Atlantic Steamship Company. Mais les négociations durent être suspendues quelques semaines plus tard à cause de la chute du gouvernement espagnol qui conduisit à une situation de quasi-guerre civile dans le pays28.
30Peu de temps après, en mai 1854, Pierce signa le Kansas-Nebraska Act qui eut une incidence majeure sur l’élargissement de la fracture Nord-Sud et sur la question cubaine, puisqu’il marqua véritablement la régionalisation de l’expansionnisme vers Cuba. Le Kansas-Nebraska Act, présenté par le sénateur Stephen Douglas, annulait le Compromis du Missouri (1820) dans la mesure où les critères pour déterminer si les nouveaux entrants dans l’Union seraient des États libres ou esclavagistes n’étaient plus d’ordre géographiques. Il appartenait désormais aux habitants de décider du statut de leur État. Cela permettait donc à l’institution particulière de s’étendre vers des régions qui lui étaient auparavant interdites. Les Sudistes étaient particulièrement satisfaits de cette loi qui semblait les encourager à étendre leur institution. Certains allèrent jusqu’à dire que le Kansas-Nebraska Act reconnaissait le principe de l’extension de l’esclavage et qu’il faciliterait donc son extension vers les tropiques. Ainsi, après son passage, nombre de Sudistes influents encouragèrent le mouvement pour l’annexion de Cuba, persuadés que c’était le meilleur moment de l’annexer. La France et la Grande-Bretagne étant alors occupées à faire la guerre contre la Russie en Crimée elles ne pourraient pas empêcher une annexion par les États-Unis29. Les Nordistes anti-esclavagistes se sentirent tellement trahis qu’ils décidèrent d’intensifier leurs efforts contre l’expansion de l’esclavage. Bien que leur cible eût d’abord été le Kansas, ils commencèrent aussi à se détourner de Cuba car ils savaient l’intérêt que lui portaient les Sudistes. Robert E. May cite une phrase du Congressional Globe très explicite sur les intentions des Nordistes : « Il fut un temps où le Nord aurait consenti à annexer Cuba, mais l’injustice du Nebraska a rendu toute annexion impossible30. » Puis May continue par cette analyse qui souligne que c’est bien autour de Cuba que se cristallisèrent les tensions Nord-Sud, pro- et anti-esclavagistes :
« Et plus les intérêts anti-esclavagistes se montraient violemment critiques, plus les expansionnistes sudistes se montraient déterminés. Alors que beaucoup de dirigeants sudistes se battaient pour l’admission du Kansas dans l’Union en tant qu’État esclavagiste, la perspective d’expansion vers Cuba leur semblait de plus en plus intéressante. Il y eut alors une véritable explosion d’enthousiasme dans les États du Sud pour l’acquisition de l’île comme un moyen de combattre le mouvement anti-esclavagiste31. »
31Ce même Kansas-Nebraska Act poussa ensuite le président Franklin Pierce à lancer de nouvelles manœuvres diplomatiques pour acheter la Perle des Antilles plutôt qu’à encourager une nouvelle expédition de flibustiers. L’incident du Black Warrior avait déjà fait entrevoir à Pierce le danger de mener une guerre pour acquérir l’île car les débats du Congrès avaient révélé la forte opposition des Nordistes à une telle éventualité32. Lorsque le Kansas-Nebraska Act fut voté, Franklin Pierce se rendit compte que s’il soutenait un projet de guerre ou une expédition de flibustiers, il serait considéré comme le jouet des Sudistes. Sa position dans les États du Nord s’en serait alors trouvée très affaiblie. Aussi, après la signature de la loi, Pierce fit-il une déclaration officielle dans laquelle il proclamait que toute expédition illégale serait sanctionnée33.
32Les échecs successifs de Narciso López, puis sa fin tragique, n’avaient en rien altéré la détermination des Créoles à se débarrasser du pouvoir espagnol par le biais d’une expédition militaire, ni celle des Sudistes à y participer. Plus précisément, Pierce faisait allusion à une expédition que devait mener John Quitman, ancien gouverneur du Mississippi (1835-1836 ; 1850-1851). Rappelons que Quitman avait servi au sein de l’armée américaine pendant la guerre du Mexique et faisait partie de ses officiers les plus respectés. En outre, persuadé que Cuba était absolument nécessaire aux États du Sud pour renforcer leur pouvoir au sein de l’Union, il était de ceux qui avaient soutenu les expéditions de Narciso López, même s’il avait refusé l’offre de mener celle de 185034.
33Aussi, les Créoles s’attendaient-ils à ce que son engagement à leurs côtés poussât la crème des officiers de l’armée américaine à se joindre à leur cause. Dès 1851, après la mort de López, la Junta Cubana, le groupe des exilés cubains à New York, avait commencé à négocier avec Quitman les termes d’un accord pour mener une expédition de flibustiers qui devait partir de la Nouvelle-Orléans. Le 30 avril 1854, les deux parties arrivèrent enfin à un accord et John Quitman accepta de mener l’expédition. Lorsque la nouvelle se répandit, il fut effectivement rejoint par des collègues officiers dans la guerre du Mexique, dont certains faisaient encore partie de l’armée régulière. Il reçut aussi le soutien de plusieurs personnalités sudistes – une preuve de plus, selon Robert E. May, que l’annexion de Cuba avait acquis un caractère régional.
34On le voit notamment à travers la correspondance des consuls britanniques. Dans une longue dépêche datant du 8 juin 1854, le consul Bunch à Charleston informe Londres de l’existence de ce qu’il appelle « des bandes de boucaniers et autres gens sans foi ni loi » rassemblés sur les rives du Mississipppi, prêts à se lancer à l’assaut de l’île d’un jour à l’autre. Il estime qu’ils étaient en train d’acquérir de plus en plus de force et de popularité à tel point que le moment venu, forts d’une opinion publique acquise à leur cause, ils ne rencontreraient pas le moindre obstacle. Confirmant les remarques de son prédécesseur George Mathew concernant l’absence de recrues de Caroline du Sud dans les précédentes expéditions il remarque que la tendance s’est inversée pour cette expédition. Les rumeurs « d’africanisation » et le projet de former des régiments de soldats noirs à Cuba convertirent les populations de Caroline du Nord et du Sud à la cause des flibustiers. Si ces mesures étaient effectivement appliquées, les Caroliniens estimaient devoir envahir l’île pour se protéger. Il ajoute que, malgré tous ses efforts pour démentir l’implication britannique dans les projets espagnols à Cuba, l’opinion publique restait convaincue qu’à terme Londres cherchait l’abolition de l’esclavage aux États-Unis et de fait la destruction de l’Union. Il ajoute enfin qu’un tel mouvement populaire et une opinion publique si défavorable à la Grande-Bretagne allaient avoir des conséquences négatives sur l’abrogation des Negro Seamen Acts dans le Sud35.
35Fidèle à son choix de la diplomatie, l’administration Pierce tenta pendant de longs mois de dissuader Quitman de mener son expédition jusqu’à ce que ce dernier, poussé par un certain nombre de difficultés, notamment financières, finît par céder à la pression et à abandonner son projet en avril 185536. Parallèlement à cela, le 1er août 1854, Pierce demanda au Congrès de lui accorder un crédit budgétaire de dix millions de dollars à attribuer à une commission composée de trois personnes qui se rendraient à Madrid pour tenter de convaincre le gouvernement espagnol de vendre Cuba. Le Congrès se montra réticent et préféra reporter la question à la prochaine cession qui devait se tenir au mois de décembre. En attendant, le 16 août 1854, le secrétaire d’État William Marcy envoya de nouvelles instructions à Pierre Soulé à Madrid lui suggérant d’organiser une conférence privée avec James Buchanan, ministre à Londres, et John Y. Mason, ministre à Paris, afin de discuter de la situation et de trouver une solution réaliste pour acquérir l’île. Cependant, les instructions du secrétaire d’État furent outrepassées : au lieu d’une réunion privée, les trois ministres organisèrent une conférence très médiatisée à Ostend, en Belgique. Le résultat de cette rencontre au sommet fut le Manifeste d’Ostend (Ostend Manifesto) signé le 18 octobre 1854 par les trois ministres. Selon ce document, les États-Unis s’attaqueraient à Cuba si l’Espagne refusait leur proposition d’achat. Bien que l’administration eût abandonné l’idée d’une guerre contre l’Espagne, les instructions de William Marcy semblent avoir été si floues que les ministres se trompèrent sur ses intentions, d’autant que les lettres qu’il envoyait à Soulé depuis l’affaire du Black Warrior étaient empreintes d’un ton extrêmement belliqueux qui contribua à tromper Soulé et ses collègues. Lorsque le Manifeste fut connu des membres du Congrès à Washington, ces derniers y réagirent très mal et désapprouvèrent totalement cette quasi-déclaration de guerre. Le 13 novembre 1854, William Marcy envoya de nouvelles instructions à Pierre Soulé pour mettre fin à toute tentative d’achat de l’île. Il devait simplement continuer de faire pression sur le gouvernement espagnol pour obtenir une compensation financière pour le Black Warrior. À la suite de cette affaire, Pierce et son administration abandonnèrent toute velléité d’acquisition de Cuba. Par ailleurs, quelques mois plus tard, les Cortes se prononcèrent contre la vente de l’île37.
36La fracture entre le Nord et le Sud s’élargit alors davantage. Pierce perdit toute crédibilité aux yeux des Sudistes qui l’accusèrent d’avoir trahi la cause du Sud, d’avoir succombé au groupe anti-esclavagiste et d’avoir voulu courtiser le Nord. Quant aux membres du parti républicain, nouveau venu sur la scène politique, ils étaient désormais opposés à l’annexion de Cuba et de tout autre territoire esclavagiste38.
37Ces événements marquèrent également un tournant dans la position des exilés cubains à l’égard des États-Unis. L’année même où John Quitman se préparait à mener l’assaut sur Cuba et où l’administration Pierce se lançait dans ces manœuvres plus ou moins diplomatiques pour en faire l’acquisition, El Filibustero l’un des journaux qui avaient été fondés pour soutenir les entreprises militaires de libération, cessa d’être publié. Certains exilés cubains aux États-Unis commençaient à perdre de l’intérêt pour le projet annexionniste et n’hésitaient pas à le faire savoir. D’autres discours commençaient à voir le jour. Ainsi que l’écrit Rodrigo Lazo, soulignant la complexité de cette communauté créole :
« Les programmes politiques soutenus par La Verdad, La Crónica et La Patria révèlent les alliances tourmentées qui émergèrent au milieu du dix-neuvième siècle. […] Les écrivains étaient-ils capables de se dégager du poids idéologique des discours dominants tels que la Légende Noire et la Destinée Manifeste pour présenter de nouveaux programmes ? À mesure que la décennie des années 1850 avançait, le programme annexionniste de La Verdad perdit le soutien des exilés cubains. Et à partir de 1854, les journaux publiés par les Cubains se défiaient les uns les autres39. »
38L’année 1854 correspond en effet à la création aux États-Unis d’un nouveau journal cubain, El Mulato qui, contrairement à La Verdad ou à El Filibustero, était en faveur de l’indépendance cubaine et de l’abolition de l’esclavage. Convaincus que l’esclavage n’avait pas sa place dans une nation véritablement libre et républicaine les auteurs qui y contribuaient mettaient l’accent sur l’héritage métis de l’île et insistaient sur la nécessité d’émanciper les esclaves. El Mulato était en porte-à-faux par rapport aux positions généralement défendues par la communauté cubaine en exil. Il prônait l’abolitionnisme, que d’autres journaux avaient consciemment passé sous silence pour des raisons idéologiques évidentes puisqu’ils étaient soutenus par les intérêts esclavagistes créoles. Leur silence sur l’avenir du régime esclavagiste s’explique aussi par la volonté de préserver le soutien sudiste au mouvement de libération cubain, soutien que la moindre mention d’abolition aurait annulé. Ainsi, alors que la question raciale était centrale, ces publications les avaient sciemment passées sous silence, soulignant le malaise des Créoles quant à la future identité de l’île.
« Le journal [El Mulato] révéla que l’idéologie de la flibuste et de l’annexion reposait sur une ambivalence, celle d’une revendication fondée sur le droit des Créoles (et donc implicitement des blancs) à la terre et d’un refus simultané à discuter de la question raciale et de l’influence de l’Afrique et des esclaves sur la société de l’île. El Mulato rompit ainsi le silence sur lequel les exilés créoles s’étaient appuyé pour promouvoir leur programme40. »
39D’où la condamnation du journal par une grande partie de la communauté cubaine en exil dès sa publication. D’autre part, une telle publication révèle qu’à partir de 1854, un nombre croissant de Cubains commençait à envisager l’annexion comme le signe d’un complexe d’infériorité par rapport aux Américains et comme une mesure conservatrice pour préserver l’esclavage qu’ils voulaient à terme voir disparaître afin de construire une nation véritablement libre.
1856, l’année des mauvais présages
40Alors que 1855 fut l’année d’une intense activité de flibuste dans les États du Sud avec l’expédition de William Walker vers le Nicaragua dans le but, disait-il, de construire ce fameux empire sudiste fondé sur l’institution particulière, et où Cuba devait avoir une place de choix, les consuls britanniques en poste dans le Sud n’en font pas mention dans leurs dépêches41. Ce silence semble annoncer le déclin de l’intérêt des Sudistes pour la Perle des Antilles car le projet de Walker était en fait le dernier soubresaut expansionniste avant les années troubles qui allaient mener à la guerre de Sécession. Ce fut aussi l’une des dernières fois où il serait question de l’annexion de Cuba avant la guerre hispano-américaine de 1898. En cette année 1855, les consuls ne commentent d’ailleurs presque pas la vie politique américaine, si ce n’est le problème récurrent de l’emprisonnement des marins et sujets britanniques de couleur en Caroline du Sud, qui refusait toujours d’abroger cette loi.
41L’année suivante, en revanche, semble marquer une véritable rupture pour ces consuls. Il ressort en effet de leur correspondance l’impression d’une grande violence. À leurs yeux, l’Union allait à la dérive et se dirigeait inéluctablement vers la sécession. L’imminence d’une guerre était quasiment palpable pour eux.
42Au mois de février 1856, Londres apprend que la communauté marchande de Norfolk en Virginie avait exprimé le désir d’ouvrir une ligne de navigation directe entre le port de Norfolk et la Grande-Bretagne, ce qui semblait marquer un premier pas vers la sécession. C’est en tout cas l’idée développée dans un rapport du Comité pour les améliorations internes (Committee for Internal Improvements) qui devait être présenté au corps législatif de Virginie cette année-là. Le consul ne cache pas à ses supérieurs son opinion favorable et leur présente tous les avantages que son pays pouvait retirer d’une telle ligne.
43Tout d’abord, l’inauguration imminente de vastes lignes de chemin de fer en Virginie et dans d’autres États du Sud, allait faciliter l’accès au Kentucky, au sud de l’Ohio, au nord de l’Alabama et de la Géorgie, mais aussi aux deux États de Caroline. Pour la Grande-Bretagne, avoir un accès direct « aux régions les plus riches et les plus productives de l’Union », ainsi que les qualifie le consul James aurait considérablement diminué les coûts de transports des matières premières nécessaires à l’industrie britannique et qui jusqu’alors devaient souvent transiter par New York. Une telle mesure aurait donc rendu le trafic commercial plus fluide, plus efficace et bien plus avantageux pour la Grande-Bretagne.
44En outre, la crise Nord-Sud fait prédire à James, à l’instar de ses collègues quelques années auparavant, la sécession imminente des États du Sud et du Sud-est. Dans l’intérêt de son pays, il conseille donc l’établissement de relations plus directes avec le Sud, avant une éventuelle sécession. Il explique de nouveau cela en termes économiques : si le Sud faisait sécession, les marchandises qui y étaient produites ne pourraient alors plus passer par New York. Par conséquent, les quatre cinquièmes du transport de coton, riz, tabac et autres matières premières seraient assurés par les navires anglais. Vue sous cet angle, la sécession aurait donc eu des retombées économiques positives sur la puissante Albion. Or, pour des raisons climatiques favorables, la Virginie semblait être le lieu idéal pour établir cette ligne commerciale, Norfolk étant présenté comme le seul port entre New York et la Nouvelle-Orléans qui eut été suffisamment sûr et accessible42.
45Ce désir des marchands de Norfolk de procéder à une sécession économique venait à un moment où l’Union était déjà dans une situation de quasi-guerre civile au Kansas et au Nebraska, signe prémonitoire de la sanglante guerre qui allait se déclarer quelques années plus tard. La signature du Kansas-Nebraska Act n’avait pas seulement divisé les membres du Congrès. Elle avait conduit à une guerre civile entre Nordistes et Sudistes dans ces territoires. Puisqu’il appartenait désormais aux populations locales de décider si ces territoires seraient des États libres ou esclavagistes, il y eut un mouvement migratoire important, tant en provenance du Nord que du Sud, dans le but de peupler ces régions et de gagner la bataille, esclavagiste ou abolitionniste. S’ensuivirent alors des affrontements sanglants et de véritables massacres. Le consul Bunch, à Charleston, évoque en particulier la destruction de Lawrence, une ville du Kansas incendiée par des abolitionnistes qui s’étaient aussi emparés d’un village après plusieurs heures de combat au cours desquels un agent de la police fédérale avait été assassiné. Bunch rend compte d’un nombre assez important de victimes et s’indigne du fait que ces atrocités eussent suscité si peu d’indignation de la part des Américains, ce qu’il attribue essentiellement à leur manque de sensibilité et à leur agressivité notoires43. Ces tensions internes ne se limitaient toutefois pas à la fracture grandissante entre le Nord et le Sud. À cette même époque, la Californie aussi était en rébellion contre Washington et pensait sérieusement à se séparer de l’Union44.
46Bunch trouvait toutefois que les Américains semblaient s’intéresser davantage à la convention démocrate, qui se tenait alors à Cincinnati (Ohio), qu’à ce qui se passait au Kansas et au Nebraska. 1856 était en effet une année électorale et le favori des démocrates n’était autre que l’ancien ministre à Londres, participant actif à la conférence et au Manifeste d’Ostend, James Buchanan, dont Bunch pronostique, à juste titre d’ailleurs, la victoire à la présidentielle. Buchanan faisait face au président sortant, Franklin Pierce qui fut éliminé de la liste des candidats, sans doute à cause de son comportement à l’encontre des diplomates britanniques. En effet, quelque temps avant la tenue de la convention démocrate, Lord Clarendon, le ministre anglais des affaires étrangères, avait adressé au département d’État une missive concernant les Negro Seamen Acts qui, répétait-il, contrevenaient au traité de commerce de 1815. Selon le consul James, en poste à Norfolk, la missive fut bien reçue par la communauté urbaine marchande de la côte atlantique. Toutefois, Pierce eut une réaction très hostile : il répondit par le renvoi de trois consuls et du corps diplomatique anglais en poste à Washington. Cet épisode semble avoir suscité une grande désapprobation de la part de l’ensemble de la population américaine, car elle y perçut une manœuvre électorale du président Pierce. Et le consul James de conclure : « Dès cet instant, Mr Pierce, était un homme mort à la convention45. »
47James soutient cette idée de manœuvre électorale. D’après lui, quoi qu’eût fait Londres pour disculper ses agents et tenter de convaincre le gouvernement américain qu’il n’avait pas l’intention de s’immiscer dans ses affaires ni de lui porter préjudice, cela n’aurait eu aucun effet. Pierce et son cabinet avaient, semble-t-il, fermement décidé se servir de la Grande-Bretagne comme bouc émissaire pour servir ses ambitions électorales. Cela devait lui servir à montrer sa force et ainsi balayer les critiques de manque de fermeté formulées par le parti à son encontre. James ajoute que la base du parti démocrate qui se trouvait dans les États du Sud-Ouest et de l’Ouest était relativement indifférente aux actes malveillants perpétrés par leur pays contre d’autres États. Pierce et son cabinet auraient donc mis au point cette tactique contre la Grande-Bretagne pour glaner des voix en sa faveur dans cette région. Mais la manœuvre eut l’effet contraire à celui escompté46.
48À la tension croissante à l’intérieur de l’Union vint donc s’ajouter une rupture diplomatique avec la puissance anglaise, partenaire économique de taille. Le consul James voit aussi un lien direct entre cette rupture diplomatique et les dissensions croissantes au sein de l’Union. Selon son analyse, les différents partis politiques n’ayant aucune solution satisfaisante à la crise qui divisait l’Union, certains pensaient qu’une guerre avec une puissance étrangère aurait pu être la meilleure solution pour détourner le pays des tensions internes et s’unir contre un ennemi commun qui ne pouvait être que la Grande-Bretagne47. Les consuls font le portrait d’Américains qui, malgré des appréhensions tout à fait légitimes, faisaient tout pour s’attirer l’inimitié de l’Europe et provoquer une guerre afin d’éviter un conflit civil et sauver leur pays. D’après Bunch, à Charleston, les relations anglo-américaines étaient si exécrables et l’hostilité américaine vis-à-vis de Londres si grande que cela ne pouvait que mener à une nouvelle guerre anglo-américaine48. Son collègue de Norfolk confirme l’analyse de Bunch lorsqu’il écrit :
« Après une expérience et une observation attentive longues de six années, je suis parvenu à la conclusion que le peuple des États-Unis n’entretient aucun sentiment amical à l’égard de l’Angleterre. Peut-être un homme sur cinq éprouve-il de l’amitié, et c’est en général un homme doté d’éducation et d’intelligence. Mais la grande masse [nous] est pour le moins hostile et se retient de montrer ses sentiments, non pas mue par une peur personnelle, mais par l’appréhension des conséquences financières et commerciales désastreuses d’une rupture avec la Grande-Bretagne. La France est tout aussi détestée et la principale source de cette inimitié […] réside dans le fait que la Grande-Bretagne et la France sont les seuls obstacles à l’extension territoriale illimitée des États-Unis49. »
49La lecture de ces dépêches donne une impression d’apocalypse imminente : quelle qu’eût été l’issue de ces élections, l’Union semblait s’acheminer vers une guerre inéluctable. Le consul James estime en effet que, afin d’être désigné candidat de son parti, Buchanan a dû compromettre certains de ses principes et accepter le programme expansionniste des démocrates, ou ce qu’il appelle le « programme flibustier » (the filibuster platform). Il ajoute toutefois que si Buchanan appliquait le programme du parti, qui réaffirmait fermement les principes de la Doctrine Monroe, l’Amérique entrerait alors dans une phase à la fois des plus isolationnistes et des plus agressives contre le monde entier, et contre l’Amérique latine en particulier50. Le consul Lynn, en poste à Galveston (Texas), va dans le même sens. Il pense que l’élection de Buchanan aurait sans doute été l’occasion rêvée pour les États-Unis de renouveler leurs efforts d’annexion de Cuba. Les positions de Buchanan sur la question ainsi que son rôle dans la rédaction et la signature du Manifeste d’Ostend ne lui laissaient pas le moindre doute sur la question. Il avait en partie raison car quelques années plus tard, en 1859, Buchanan refit une proposition d’achat, cette fois au Congrès. Mais le climat national était alors bien trop mauvais pour qu’une telle offre pût sortir de l’enceinte du Congrès51.
50En revanche si, en dépit de sa position dominante dans la vie politique américaine, le parti démocrate venait à être évincé par le jeune parti républicain mené par le colonel Frémont alors, estime James, cela aurait aussitôt mené vers la sécession et un conflit civil sur la question du Kansas, directement liée à celle de l’esclavage52. Le candidat Frémont s’engageait en effet à intégrer le Kansas comme État libre dans l’Union. Or c’était là une « question de vie ou de mort pour le Sud ». Dans la mesure où les États du Sud étaient déjà minoritaires au Congrès, l’intégration d’un nouvel État libre aurait rendu leur position si marginale qu’il leur serait alors devenu impossible de retrouver une position paritaire au sein de l’Union. Et toute tentative d’annexer de nouveaux territoires esclavagistes ou de diviser un état esclavagiste en deux pour former deux États distincts et augmenter leur représentation au Congrès aurait automatiquement été rejetée53.
51De fait, à la fin de l’été 1856, le consul James estime que la plupart des Sudistes estimaient que l’élection de Fremont les pousserait à faire sécession. Il rapporte les paroles prémonitoires d’un marchand de Mobile (Floride) :
« L’un des principaux marchands de Mobile, un homme à l’esprit remarquablement équilibré, me fit remarquer, il y a quelques jours, qu’il préférerait que Mr Fremont fut élu, car cela poserait immédiatement la question de l’opposition entre le Nord et le Sud. La séparation entre les deux [régions] est à ses yeux inévitable. Elle pourrait être repoussée de quatre ans par l’élection de Mr Buchanan ou de Mr Fillmore. Mais à la fin de ces quatre ans, elle se produira […]. Une chose est certaine toutefois : la tendance vers la dissolution de l’Union entre ces États […] est plus marquée que jamais, même à l’époque des appels les plus insistants en faveur de l’Annulation54. »
52En cas de sécession, le Sud se serait alors sans doute rapproché de la Grande-Bretagne55. Afin de prouver le sérieux de ses propos, il rapporte au ministre une conversation qu’il eut avec quatre représentants sudistes au Congrès. Ces derniers lui demandèrent ce que serait la position anglaise si le Sud venait à faire sécession. Pour éviter de s’engager et d’engager son pays le consul, très diplomate, leur expliqua que la couronne ne désirait pas faire ingérence dans les affaires intérieures des autres nations et qu’elle ne le faisait que si elle-même était en danger ou offensée. Ses interlocuteurs s’appliquèrent alors à lui démontrer tous les avantages économiques que la Grande-Bretagne pourrait retirer de son adhésion à la cause du Sud plutôt qu’à celle du Nord :
« Ils firent remarquer que les produits agricoles du Sud fournissaient nos manufactures, que la région devait avoir recours à l’Angleterre pour le transport de ces produits, que la plus grande part de nos produits manufacturés, envoyés à New York, se retrouvaient finalement dans les États du Sud, et que dans le cas d’une dissolution [de l’Union], ils devraient être acheminés directement vers les ports du Sud dans les calles anglaises56. »
53À mesure que l’issue des élections présidentielles se rapprochait, les États du Sud étaient de plus en plus désireux de connaître la position de la Grande-Bretagne en cas de sécession car, en dépit des différends idéologiques concernant l’esclavage et la tension autour des Negro Seamen Acts, ils continuaient de penser que la puissante Albion avait plus d’intérêts économiques et commerciaux avec eux qu’avec le Nord57.
54Toutefois après l’élection de Buchanan à la Maison Blanche en 1856, il n’est plus question dans la correspondance des consuls du désir sudiste de se rapprocher de Londres. Paradoxalement même, pour une région qui désirait s’attirer la bienveillance de l’ancienne métropole, la fin de l’année 1856 fut marquée par une série de gestes qui ne pouvaient que lui attirer l’antipathie et l’hostilité de Londres. Ainsi en Caroline du Sud, il n’y avait eu aucun progrès concernant l’amendement du Negro Seamen Act. Bien que le corps législatif eût fait passer des actes et des résolutions pour modifier ces lois, le consul Bunch modérait son enthousiasme. L’histoire et son expérience avaient en effet démontré que la bataille était rude dans cet État. De plus, l’élection en décembre d’un nouveau gouverneur, qui était ouvertement opposé à l’amendement de cette loi, venait confirmer l’opinion de Bunch58.
55À cela vint s’ajouter un nouveau mouvement, celui de la réouverture de la traite transatlantique aux États-Unis, que l’Angleterre abolitionniste ne pouvait regarder que d’un très mauvais œil. Ce désir avait été exprimé par le gouverneur sortant de Caroline du Sud dans son message annuel de novembre 1856. Mais ce n’était pas là que la lubie d’un gouverneur particulièrement rétrograde. Cette même proposition avait été faite au cours de la convention commerciale sudiste qui s’était tenu à Savannah cette année-là. Et si elle fut déboutée, elle reflétait tout de même un désir qui s’était exprimé à l’échelle régionale59. Par ailleurs, bien que la proposition du gouverneur sortant n’eût pas été prise au sérieux par les habitants de Caroline du Sud, qui y voyaient plus de dangers pour la cause sudiste que si elle devait faire face à une armée ennemie, il n’en demeure pas moins que cet appel à rouvrir la traite négrière internationale souligne la forte radicalisation d’une partie du Sud et un désir particulièrement exacerbé de se détacher du reste de l’Union60.
Notes de bas de page
1 Consul Mathew to Foreign Office, November 12th, 1850, PRO, FO 5/518, f° 55-72.
2 Consul Mathew to Foreign Office, December 28th, 1850, PRO, FO 5/518, f° 95-99.
3 Consul Mathew to FO, March 4th, 1851, PRO, FO 5/535, f° 59-63.
4 Consul Mathew to FO, February 10th, 1851, PRO, FO 5/535, f° 35-39.
5 Consul Mathew to FO, October 30th, 1851, PRO, FO 5/535, f° 111-112.
6 Consul Mathew to FO, December 27th, 1850, PRO, FO 5/518, f° 84-94. Voir aussi Hamer P. M., « Great Britain, the United States, and the Negro Seamen Acts, 1822-1848 », Journal of Southern History, vol. 1, 1935, p. 3-28.
7 Ibid.
8 Consul Mure to Foreign Office, February 28th, 1850 ; Mure to FO, July 3rd, 1850, PRO, FO 5/519, f° 62-69 ; Hamer P. M., op. cit.
9 Ibid.
10 Consul Mathew to Foreign Office, Private, March 18th, 1852, PRO, FO 5/551, f° 115-118.
11 Consul Mure to FO, June 30th, 1852, PRO, FO 5/552, f° 167 ; Consul Mathew to FO, March 18th, 1853, PRO, FO 5/570, f° 154-155.
12 Consul Mathew to FO, 1851 ; Consul Molyneux to FO, February 3rd, 1851, FO 5/535, f° 141-146. Voir aussi Hamer P. M., op. cit.
13 Consul Bunch to FO, November 29th, 1853, PRO, FO 5/570, f° 185-190.
14 Consul Bunch to FO, December 22nd, 1853, PRO, FO 5/570, f° 201-207 ; Consul Bunch to FO, December 29th, 1853, PRO, FO 5/570, f° 208-214.
15 Consul Mathew to FO, October 18th 1851 ; Consul Mathew to FO, October 23rd, 1851 ; Consul Mathew to FO, November 20th, 1851 ; Consul Mathew to FO, December 10th, 1851, PRO, FO 5/535, f° 105-106, 108-109, 116-119, 123-125.
16 FO to Bunch, June 30th, 1854 ; Bunch to FO, June 8th, 1854, PRO, FO 5/601, f° 17-18, 100.
17 Urban S., « The Africanization of Cuba Scare, 1853-1855 », Hispanic American Historical Review, vol. 37, férvier 1957, p. 27-45. Voir aussi Bunch to FO, June 8th 1854, PRO, FO 5/601, f° 99.
18 May R. E., The Southern Dream of a Caribbean Empire 1854-1861, 3e ed., Gainseville, University Press of Florida, 1973, p. 30-33.
19 Ibid., p. 34.
20 Selon Robert E. May, si de nombreux Nordistes étaient aussi furieux que les Sudistes de la politique espagnole à Cuba, ils n’étaient néanmoins pas aussi concernés que ces derniers car une telle abolition n’aurait pas directement affecté leurs intérêts dans la mesure où ils ne possédaient pas de plantations ou d’esclaves pouvant être touchés par un second Saint-Domingue. May R. E., op. cit., p. 35-36.
21 Ibid., p. 36.
22 Langley L. D., « The Whigs and the López Expeditions to Cuba, 1849-1851: A Chapter in Frustrating Diplomacy », Revista de Historia de América, vol. 71, 1971, p. 9.
23 Weinberg A. K., Manifest Destiny: A Study of Nationalist Expansionism in American History, Baltimore, The Johns Hopkins Press, 1935 ; réédité, Chicago, Quadrangle Books, 1963, p. 190-191 ; May R. E., op. cit., p. 40.
24 May R. E., op. cit., p. 41-42 ; Thomas H., Cuba: Or the Pursuit of Freedom, London, Eyre and Spottiswoode, 1971, p. 219-220.
25 May R. E., op. cit., p. 42-43.
26 Ibid., p. 43-44 ; Janes H. L., « The Black Warrior Affair », American Historical Review, vol. 12, 1907, p. 280-298.
27 Janes H. L., op. cit., p. 288-289.
28 Thomas H., op. cit., p. 222-225.
29 May R. E., op. cit., p. 37-40.
30 Ibid., p. 36-37.
31 Ibid., p. 37.
32 Ibid., p. 56-59.
33 Bunch to FO, June 8th, 1854, PRO, FO 5/601, f° 96-102.
34 May R. E., op. cit., p. 46-47 ; May R. E., « Young American Males and Filibustering in the Age of Manifest Destiny: The United States Army as a Cultural Mirror », Journal of American History, décembre 1991, p. 879-882. Pour une biographie de John Quitman, voir l’ouvrage de May R. E., John A. Quitman: Old South Crusader, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 1985.
35 Bunch to FO, June 8th, 1854, PRO, FO 5/601, f° 96-102. Voir aussi Consul Lynn to FO, May 20th, 1854, FO 5/603, f° 164-165.
36 May R. E., The Southern Dream, op. cit., p. 48-52, 60-67 ; May R. E., « Young American Males and Filibustering », op. cit., p. 879-882.
37 Ibid., p. 67-71.
38 Ibid., p. 76.
39 Lazo R., Writing to Cuba. Filibustering and Cuban Exiles in the United States, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2005, p. 91.
40 Ibid., p. 142.
41 Bunch to FO, 1855, FO 5/626. Ce n’est qu’en 1856 que cette expédition est mentionnée, assez peu d’ailleurs puisque seules deux dépêches en font mention. Ainsi malgré la volonté de l’administration Pierce d’empêcher l’enrôlement de ses citoyens dans ce genre d’entreprise destinées à annexer de nouveau territoires esclavagistes, il n’en reste pas moins que les bureaux de recrutement de volontaires à destination du Nicaragua étaient ouvertement établis à la Nouvelle-Orléans et recevaient les nouvelles recrues au vu et au su de tout le monde. Bunch to FO, June 13th, 1856, FO 5/649, f° 75-78. Voir aussi Lynn to FO, July 15th, 1856, FO 5/651, f° 235-240.
42 James to FO, February 8th, 1856, PRO, FO 5/650, f° 332-333. La dépêche du consul semble d’ailleurs annoncer l’attitude ambigüe et malaisée de la Grande-Bretagne au moment de la guerre de Sécession, car en dépit de ses positions très abolitionnistes, elle fut pendant un temps favorable au Sud.
43 Bunch to FO, June 13th, 1856, FO 5/649 : 72-75.
44 James to FO, August 30th, 1856, FO5/650 : 463-466.
45 Bunch to FO, June 13th, 1856, FO 5/649, f° 72-78 ; James to FO, June 16th, 1856, FO 5/650, f° 430-431.
46 James to FO, June 16th, 1856, PRO, FO 5/650, f° 431-434.
47 James to FO, June 23rd, 1856, PRO, F0 5/650, f° 435-437.
48 Bunch to FO, June 13th, 1856, FO 5/649, f° 72-78, ; Bunch to FO, June 24th, 1856, PRO, FO 5/649, f° 79-82.
49 James to FO, June 16th, 1856, FO 5/650, f° 434.
50 James to FO, June 16th, 1856, FO 5/650, f° 430-434 ; James to FO, July 31st, 1856, FO5/650, f° 447.
51 Lynn to FO, July 15th, 1856, FO 5/651, f° 235-240.
52 James to FO, July 31st, 1856, FO5/650, f° 445-447.
53 James to FO, September 18th, 1856, FO 5/650, f° 470.
54 James to FO, August 30th, 1856, FO5/650, f° 465-466.
55 James to FO, July 31st, 1856, FO5/650, f° 445-447.
56 James to FO, September 18th, 1856, FO 5/650, f° 470. Sans vraiment s’étendre sur le sujet, le consul pensait toutefois qu’une telle séparation se ferait en réalité au détriment des relations commerciales anglo-américaines. Voir James to FO, Richmond, July 31st, 1856, FO 5/650, f° 445-447.
57 James to FO, October 4th, 1856, FO 5/650, f° 476.
58 Bunch to FO, November 29th, 1856 ; Bunch to FO, December 19th, 1856 ; Bunch to FO, December 26th, 1856, FO 5/649, f° 102-105, 122, 124-136.
59 Voir Takaki R., A Proslavery Crusade. The Agitation to Reopen the African Slave Trade, New York, Free Press, 1971.
60 Bunch to FO, November 29th, 1856 ; Molyneux to FO, December 19th, 1856, FO 5/649 : 103, 355-358 ; James to FO, November 29th, 1856, FO 5/650 : 512-544.
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