Chapitre V. La déferlante expansionniste et la problématique cubaine, 1845-1853
p. 147-184
Texte intégral
1Avec les vifs débats sur l’annexion du Texas qui déterminèrent l’issue des élections présidentielles de 1844, l’Union amorçait une période nouvelle, plus expansionniste et plus ouvertement agressive vis-à-vis de ceux qui auraient eu l’audace de se mettre en travers de son chemin et d’entraver l’accomplissement de sa destinée. C’est la fameuse époque de la « Destinée Manifeste » qui, sous la houlette de son nouveau président démocrate, James K. Polk élu en 1844, vit les États-Unis s’étendre vers l’Ouest et le Sud jusqu’à devenir maîtres de tout le territoire continental nord-américain actuel (hormis l’Alaska). Avec Polk, ancien gouverneur du Tennessee, le pouvoir se retrouvait encore entre les mains de Sudistes dont les visées expansionnistes étaient soutenues au Nord par un parti démocrate et une presse très favorables à l’expansion du territoire américain, ce qui leur permit de se lancer dans une guerre sans merci contre le Mexique.
2L’arrivée de Polk au pouvoir marqua aussi la fin de la politique du statu quo vis-à-vis de Cuba. Elle amorça une période plus agressive pendant laquelle son administration tenta d’acquérir l’île par des moyens diplomatiques. Puis elle laissa la place à une administration Whig anti-expansionniste et, par conséquent, à des tentatives bien moins officielles : celles des flibustiers. Les expéditions de ces derniers, théoriquement illégales et clandestines, étaient en réalité connues de tous puisque les journaux en parlaient ouvertement, ce qui les rendit très populaires au sein de l’opinion publique. Ces entreprises d’invasion ou de libération militaire, selon le point de vue adopté, étaient en grande partie organisées et financées par la communauté de notables cubains exilés aux États-Unis. Ces derniers étaient par ailleurs, assez proches du pouvoir et alimentaient la rhétorique expansionniste dans des journaux qu’ils produisaient et publiaient eux-mêmes dans les centres urbains les plus importants et les plus expansionnistes qu’étaient New York et la Nouvelle-Orléans. Ce qui tend, une fois de plus, à sortir de cette dichotomie classique où le Nord et le Sud avaient des intérêts forcément divergents.
3Dans ces entreprises d’envergure internationale, la problématique de l’esclavage a joué un rôle important car les instigateurs de ces projets faisaient le plus souvent partie de la classe des planteurs et cherchaient, en libérant Cuba pour la faire entrer dans le giron des États-Unis, à préserver la source de leur richesse et de leur pouvoir. Pour les consuls britanniques en poste dans les États du Sud, la question de l’esclavage occupait aussi une place centrale. Eux qui se trouvaient au premier rang de ces événements puisque, après New York, la Nouvelle-Orléans était devenue le point d’organisation et de lancement de ces entreprises, étaient paradoxalement arrivés à la conclusion que ces expéditions militaires pouvaient être un moyen de mettre enfin un terme à la traite et à l’esclavage sur l’île, et par conséquent servir les intérêts de la couronne d’Angleterre.
4Autrement dit, si le désir d’annexion de Cuba était directement lié à la situation politique interne des États-Unis, avec cette déferlante expansionniste de la Destinée Manifeste il doit également être replacé dans le contexte international de l’époque qui révèle que ce mouvement était aussi intimement lié à la situation politique interne de l’île. La peur croissante des planteurs cubains d’assister à la fin du système esclavagiste, sous l’effet des pressions abolitionnistes britanniques et de la faiblesse espagnole, les poussa en effet à se tourner vers les États-Unis, dont ils se sentaient proches, dont ils admiraient les institutions, et dont ils essayèrent de mettre la situation politique américaine au service de leur cause.
La fièvre expansionniste ou les débuts de la « Destinée Manifeste », 1845-1848
L’annexion du Texas au cœur du débat présidentiel
5La question du Texas pesait tellement lourd dans l’actualité des années 1840 qu’elle marqua le début d’une nouvelle ère dans l’histoire des États-Unis, celle de la Destinée Manifeste. En même temps elle contribua à creuser le fossé entre le Nord et le Sud et détermina de façon cruciale l’issue des élections présidentielles de 1844.
6Rappelons que l’Union n’était absolument pas unie autour de la question du Texas. Alors que les Sudistes y étaient très favorables, le Nord était bien plus réticent à une telle annexion qui allait immanquablement entraîner l’extension de l’esclavage. Il est donc fort peu étonnant que États-Unis aient dû cette annexion controversée aux efforts et à l’influence du chantre incontesté de la nation sudiste et de l’esclavage, John C. Calhoun. Dès son arrivée au sein du cabinet Tyler en tant que secrétaire d’État ce dernier se lança dans des négociations secrètes avec le chargé d’affaires du Texas à Washington, Isaac Van Zandt. Leurs pourparlers aboutirent à un traité d’annexion par lequel le Texas « se plaçait sous l’autorité des États-Unis et accédait au statut de territoire, ce qui impliquait qu’il avait désormais vocation à rejoindre l’Union à égalité de droits et de devoirs avec les États existants1 ». Calhoun prépara aussi le terrain pour la présentation du traité au Sénat, qu’il accompagna d’une série de documents justifiant l’annexion sur les bases d’une argumentation pro-esclavagiste.
7Le Sénat reçut les documents le 22 avril 1844. Quelques jours plus tard, deux lettres furent publiées dans les journaux. La première était signée de la plume de Henry Clay, le candidat présumé des Whigs à la présidence. Quant à la seconde, elle était l’œuvre de l’ancien président Martin Van Buren qui était aussi le candidat présumé des démocrates à la présidence. Tous deux affirmaient être opposés à une annexion immédiate du Texas, espérant ainsi que la question ne ferait pas partie des débats de la campagne présidentielle. Chacun pensait en effet, à juste titre, qu’un débat sur le Texas aurait des répercussions directes sur son élection à la Maison Blanche. Mais ils ne réussirent qu’à créer davantage de confusion parmi les électeurs, d’autant qu’au cours de la convention démocrate du mois de mai 1844, Van Buren fut, à la surprise générale, défait par un protégé d’Andrew Jackson, à savoir le gouverneur du Tennessee depuis 1839, James K. Polk. Ce dernier, originaire de Caroline du Nord, fils de planteur et lui-même propriétaire d’esclaves, avait fermement défendu l’annexion immédiate du Texas. C’est cette position qui lui valut d’être désigné comme le candidat du parti démocrate aux prochaines élections présidentielles2.
8Dans les lettres qu’il envoyait régulièrement à son ami Domingo Del Monte pour lui rendre compte de ses démarches visant à l’innocenter auprès des autorités espagnoles dans l’affaire de La Escalera, Alexander Hill Everett lui faisait aussi des comptes-rendus assez détaillés de l’actualité électorale. Lui aussi attribue la défaite de Van Buren, et sa « répudiation » par le parti démocrate, à son opposition à l’annexion du Texas. En effet, alors même qu’il en était membre, Everett affirme que le parti démocrate était en réalité le parti des Sudistes. Or un parti allié à la cause du Sud pouvait difficilement choisir pour représentant un homme qui refusait de soutenir une cause aussi chère aux Sudistes. Il explique par ailleurs à son ami cubain que la question de l’esclavage occupait alors les esprits et la vie politique américaine, au point d’être considérée par certains, en 1844, comme un facteur de division dangereux pour l’Union. Mais contrairement à ces Cassandre qui annonçaient la fin certaine de l’Union, Everett se montre d’un optimisme à toute épreuve, affichant une foi inébranlable en l’efficacité et en la grandeur des institutions américaines. On sent chez lui le souffle de la rhétorique de la Destinée Manifeste, avant l’avènement officiel de l’expression lorsqu’il écrit :
« La question de l’esclavage prend, pour le moment, le pas sur toutes les autres dans notre politique des partis. D’aucuns considèrent qu’elle est pleine de danger pour l’Union et la prospérité du pays. Je ne suis pas de cet avis. Il y a, sans doute, des fous et des fanatiques en abondance de part et d’autre de la ligne Mason et Dixon. Mais, bien qu’ils parlent fort, il s’avère qu’ils ont fort peu d’influence. Des hommes sensés à travers tout le pays s’accordent assez bien sur ce point, comme ils le font sur la plupart des autres sujets. En général, leur influence contrôlera l’opinion publique et dirigera l’action de l’État et du gouvernement central pour l’avenir, comme ce fut le cas auparavant. […] Si notre système était, en principe, erroné, ou s’il devenait au cours des événements, inapproprié à notre condition, il doit bien sûr échouer. Mais s’il est aussi bon que le suppose la vaste majorité de l’opinion de ce pays, soutenu par l’expérience triomphale de plus de deux siècles, aucune puissance ne peut en triompher. Dans ce cas, il est destiné à une existence permanente, et élèvera l’Union à un degré de prospérité et de grandeur jusqu’à présent inégalées dans l’histoire des peuples. En tous les cas, le passé est assuré car si nos institutions venaient à disparaître demain, elles auraient tout de même fait plus de bien au monde qu’aucun autre système politique qui fut essayé auparavant3. »
9Lorsque le traité fut soumis au vote du Sénat, en ce même mois de juin 1844, les deux tiers des votes s’exprimèrent contre la ratification. C’était peu étonnant puisque le Sénat était dominé par les Whigs, par définition anti-expansionnistes. L’annexion allait donc immanquablement entrer dans le débat électoral que Polk remporta en novembre grâce à ses positions sur le Texas4. Et comme l’avait prédit Alexander Everett en août 1844 : « Je suis d’avis que Polk sera élu. Dans ce cas, l’annexion du Texas suivra rapidement5. » Néanmoins, lui qui pensait qu’il faudrait attendre un an avant que tous les partis se missent d’accord et que l’annexion fût effective n’avait pas envisagé la détermination du secrétaire d’État Calhoun dans cette affaire6. Car, bien que ses positions lui eussent permis d’accéder à la magistrature suprême, ce n’est pourtant pas à Polk que les États-Unis doivent l’annexion du Texas. Ce fut en effet sous la présidence de Tyler, trois jours avant la prise de fonction officielle de son successeur, que la république du Texas fut annexée à l’Union.
10Après les élections présidentielles, en décembre 1844, une résolution commune aux deux chambres du Congrès fut d’abord présentée à la Chambre des représentants qui vota en majorité pour son adoption. Une version amendée de cette résolution fut ensuite présentée au Sénat. Le nouvel amendement proposait que le président choisisse entre inviter la république texane à se joindre à l’Union ou lui proposer l’annexion au terme de nouvelles négociations. Finalement, ce nouvel amendement permit l’adoption par le Sénat du traité d’annexion. Après le vote en faveur de la résolution, le Congrès pensait que son application serait laissée à la nouvelle administration. Mais c’était compter sans Calhoun, qui parvint à persuader le président Tyler de le mettre en œuvre avant de laisser la place à son successeur. Aussi, le 3 mars 1845, Tyler envoya-t-il au gouvernement texan une invitation à se joindre à l’Union, que le Texas accepta sans délai. Ce fut évidemment une immense victoire pour Calhoun7.
11C’est dans cette atmosphère bouillonnante que John Louis O’Sullivan, le rédacteur en chef de la Democratic Review et ami d’Alexander Hill Everett, laissa une marque indélébile dans l’histoire américaine en forgeant l’expression Manifest Destiny.
Aux origines de « Manifest Destiny »
12Rappelons que John L. O’Sullivan était un fervent défenseur de l’annexion du Texas. Dans le numéro de juillet-août 1845 de son magazine The Democratic Review, il publia un article intitulé « Annexation » où il dénonçait les opposants à l’annexion du Texas mais aussi la Grande-Bretagne et la France qui, par leurs manœuvres auprès des Texans, empêchaient les Américains d’accomplir leur destinée. C’est là qu’il employa pour la première fois la fameuse expression. Mais à l’époque l’affaire du Texas touchait à sa fin puisque les Texans avaient accepté l’invitation à entrer dans l’Union. L’expression passa donc inaperçue. Il fallut attendre quelques mois et la controverse avec la Grande-Bretagne sur les frontières de l’Oregon pour qu’elle refît son apparition dans le monde politique. Elle fut en effet employée pour la première fois à la Chambre des représentants le 3 janvier 1846 par le représentant du Massachusetts, Robert C. Winthrop. À l’occasion des débats sur la frontière de l’Oregon, ce dernier défendit l’expansion des États-Unis sur tout le continent. Winthrop déclara alors avoir trouvé cette expression dans « une revue éminente de l’Administration », ce que confirme l’historien Julius Pratt qui en trouve une occurrence dans The Morning News, le journal démocrate new-yorkais dont O’Sullivan était le rédacteur en chef. L’éditorial d’O’Sullivan datant du 27 décembre 1845 et intitulé « The True Title » défendait l’idée que la totalité de l’Oregon (du 42e parallèle jusqu’au 54°42’ de latitude nord) appartenait aux États-Unis. De cette époque daterait donc l’emploi très répandu de l’expression Manifest Destiny8.
13Un demi-siècle après Julius Pratt, l’historien Robert Johannsen s’est attaché à expliquer le sens que cette expression aurait eu pour son auteur. Estimant en effet qu’elle est souvent utilisée abusivement par les historiens et hommes politiques au point d’en avoir perdu son sens originel, Johannsen suggère que cette formule qui défendait l’expansion territoriale américaine n’impliquait pas qu’elle se fît de manière violente. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, O’Sullivan était un pacifiste, du moins à ses débuts. En 1841, en tant que membre de la législature de l’État de New York, il avait proposé la création d’un Congrès des Nations destiné à résoudre les conflits internationaux de manière pacifique. De même, lorsqu’il quitta le Morning News en pleine guerre du Mexique, les dernières lignes qu’il y publia en déploraient l’éclatement. Le terme le plus important de l’expression est donc, selon Robert Johannsen, celui de « destinée ». En phase avec la pensée romantique de son époque, O’Sullivan était intimement convaincu que les États-Unis étaient guidés par la Providence, qu’ils avaient pour mission divine de montrer au monde entier la grandeur des principes et des institutions américaines, et qu’ils ne pouvaient être entravés dans cette mission. Quant à l’adjectif « manifeste », il ne servait qu’à insister sur le fait que cette destinée était évidente. Ainsi, John L. O’Sullivan « avait fourni une expression percutante pour un concept aussi vieux que la nation, voire encore plus ancien9 ».
14Mais il ne s’est pas arrêté en si bon chemin. Outre le fait d’avoir milité en faveur de l’annexion du Texas et d’être l’auteur de cette désormais célèbre expression, O’Sullivan fut aussi particulièrement actif dans le mouvement pour l’annexion de Cuba aux États-Unis. Rappelons ses liens amicaux avec Alexander Hill Everett qui n’eut de cesse de travailler à l’intégration de l’île à son pays, aussi bien par ses actions dans les plus hautes sphères du pouvoir politique que par ses écrits dans la presse. Ajoutons que son implication active dans ce mouvement pour l’annexion de Cuba est d’autant moins anodine qu’en plus d’être idéologiquement convaincu de la nécessité d’une telle entreprise, O’Sullivan y était aussi personnellement attaché depuis le mariage de sa sœur au riche planteur cubain Cristóbal Madan, qui était également un partisan très actif de l’annexion de l’île par son voisin étasunien. C’est là un point sur lequel nous reviendrons plus avant.
15Ainsi, après l’annexion du Texas en 1845, l’esprit de la « Destinée Manifeste » s’empara des États-Unis. La presse populaire fut pour beaucoup dans la montée en puissance de cet expansionnisme, devenu désormais l’apanage de toute la nation américaine, et non uniquement celui d’un parti de la classe politique10. Le succès et la pérennité de l’expression forgée par un journaliste reflètent d’ailleurs l’importance croissante de la presse à cette époque. D’élargissement territorial l’expansionnisme américain devint presque une religion pour les Américains, ou ce que Tom Chaffin qualifie de « dévotion messianique et rhétorique à l’expansionnisme territorial américain sans entraves11 ». L’expansion des États-Unis trouvait ainsi sa justification dans l’idée que les Américains avaient été choisis par Dieu pour propager les principes divins de la démocratie et dans une foi désormais inébranlable en la supériorité culturelle et raciale du peuple américain.
La guerre du Mexique : expansionnisme et racisme exacerbé, 1846-1848
16Par conséquent, entre 1845 et 1848, les acquisitions se multiplièrent et les États-Unis s’agrandirent. L’annexion du Texas fut suivie de près par celle de l’Oregon que la Grande-Bretagne leur céda finalement au printemps 184612. Puis le président Polk décida de se consacrer à l’expansion vers le Sud-Ouest en s’attaquant au territoire mexicain, en particulier à la Californie.
17Le conflit américano-mexicain tournait autour de deux points essentiels. D’une part, depuis que le Texas avait acquis son indépendance en 1836, la question de la frontière avec son voisin mexicain était restée une source de conflit. Les Texans considéraient en effet que leur territoire était délimité au sud par le Rio Grande, alors que pour les Mexicains la frontière se trouvait plus au nord, à la rivière Nueces. D’autre part, le Mexique avait menacé les États-Unis d’une guerre s’ils intégraient le Texas à l’Union. Lorsque le Texas fut annexé par les États-Unis, le Mexique refusa donc de reconnaître cette intégration et mit fin à ses relations diplomatiques avec l’Union.
18Cherchant à apaiser les relations avec le Mexique, Polk décida d’envoyer le louisianais John Slidell en tant que ministre plénipotentiaire à Mexico pour discuter avec les autorités mexicaines de la question de la Californie et de la frontière du Texas. La mission de Slidell, qui devait rester secrète, était d’affirmer que la frontière texane commençait bien à l’embouchure du Rio Grande et s’étendait jusqu’à la ville d’El Paso. Il devait aussi faire l’acquisition du Nouveau-Mexique pour la modique somme de cinq millions de dollars. En dernière instance, il était autorisé à offrir jusqu’à vingt-cinq millions de dollars pour l’acquisition de la Californie. Mais les objectifs de cette mission ne demeurèrent pas secrets très longtemps car lorsqu’il arriva à Mexico, le 6 décembre 1845, les journaux locaux avaient déjà largement ébruité la teneur de sa mission, provoquant l’ire de la population mexicaine qui accusa le gouvernement de vouloir démanteler le pays. Face à la colère populaire, le gouvernement mexicain d’Herrera refusa de recevoir l’émissaire américain sous prétexte qu’il avait accepté de recevoir un « simple » agent et non un ministre plénipotentiaire. Ce refus ne protégea toutefois pas l’administration Herrera d’un coup d’État de la junte militaire qui refusa également de recevoir Slidell. Le 13 janvier 1846, Polk décida alors de provoquer les Mexicains à la guerre en enjoignant le général Zachary Taylor et ses troupes de quitter leur poste sur la Nueces pour aller stationner sur le Rio Grande.
19Le 9 mai 1846, au lendemain du retour de Slidell à Washington, Polk aborda la question mexicaine avec son cabinet, estimant que les États-Unis avaient désormais suffisamment de raisons pour déclarer la guerre au Mexique. S’ils n’étaient pas opposés à une déclaration de guerre, les membres du cabinet préféraient toutefois attendre que les Mexicains fussent les agresseurs pour lancer les hostilités. C’est alors, explique Thomas Bailey, que se produisit une coïncidence des plus étranges. Le soir même de cette réunion, le gouvernement apprit que les Mexicains avaient traversé le Rio Grande le 25 avril 1846, tué et blessé seize des hommes du général Taylor. Polk tenait donc son excuse – et sa guerre. Ainsi, le 11 mai 1846, dans un message au Congrès il présenta les Américains comme les victimes de l’offensive mexicaine et défendit l’idée selon laquelle une déclaration de guerre contre le voisin hispanique était une mesure défensive plutôt qu’offensive. Son discours eut l’effet escompté puisque le 13 mai 1846 le Congrès se prononça en faveur d’une déclaration de guerre13.
20Sans entrer dans les détails de ce conflit, car ce n’est pas là notre propos, il faut toutefois en souligner l’importance dans l’histoire des États-Unis en général et dans le cadre de cet ouvrage en particulier14. En effet, la guerre du Mexique (1846-1848) posa deux problématiques importantes qui allaient aussi se poser dans les années suivantes quand il serait question d’annexer Cuba. Tout d’abord, elle engendra des débats houleux sur l’extension de l’esclavage qui contribuèrent à creuser le gouffre entre le Nord et le Sud que les débats sur l’annexion du Texas avaient déjà approfondi. Dès le mois d’août 1846, au tout début de la guerre, l’introduction au Congrès de la clause Wilmot, qui visait à interdire l’esclavage dans tout territoire américain acquis à la suite de la guerre du Mexique, provoqua une levée de boucliers parmi les Sudistes. Ceux-ci s’indignèrent d’une loi qui stigmatisait leur institution. Se sentant insultés et bafoués dans leur honneur, ils continuèrent de nourrir à l’égard du Nord un ressentiment qui s’intensifia après la guerre, au moment des débats sur l’établissement de l’esclavage dans les nouveaux territoires pris au Mexique. Par ailleurs, bien que la presse nationale se fît l’écho de la rhétorique guerrière de l’administration, les journaux du Nord n’étaient pas tous favorables à cette guerre, que beaucoup considéraient comme la preuve que le pays était tombé entre les mains d’une « clique esclavagiste cherchant l’extension de l’esclavage15 ». Puis, à l’automne 1847, après que le général Scott eut capturé la ville de Mexico, le cri de « All Mexico ! » inonda la presse, témoignant du désir d’annexer la totalité du territoire mexicain. Mais ce fut une fois de plus l’occasion pour Nordistes et Sudistes de s’opposer sur la question de l’esclavage. En effet, selon l’historien John D. P. Fuller, le mouvement pour l’annexion de la totalité du territoire mexicain était surtout plébiscité par les Nordistes anti-esclavagistes qui, sans doute influencés par la théorie de la valve de sûreté, y voyaient un moyen de mettre un terme définitif à l’institution particulière. En revanche les Sudistes, qu’ils eussent été démocrates ou whigs, étaient majoritairement opposés à l’annexion de tout le territoire mexicain car ils y percevaient également la fin certaine de l’esclavage et de leur monde. Bien qu’il mette en garde contre la généralisation, en expliquant que parmi les Sudistes certains étaient favorables à l’expansion totale, Fuller revient toujours à l’idée que le Sud était majoritairement opposé à l’annexion totale du Mexique. Il se fonde pour cela en partie sur les débats du mois de décembre 1847 au Congrès, où les expansionnistes les plus passionnés étaient les représentants nordistes alors que l’opposition à l’annexion totale était menée par les représentants sudistes pro-esclavagistes, tels que John C. Calhoun16. Les Sudistes voulaient donc le Mexique, mais étaient réservés quant à l’annexion des zones très peuplées du sud du pays car ils ne pouvaient y développer l’esclavage.
21En plus de ces débats sur l’extension de l’esclavage, le conflit souligne la systématisation des théories racistes aux États-Unis. Même lorsque le mouvement pour l’annexion totale du Mexique battait son plein dans la presse, la plupart des rédacteurs en chef ne voulaient pas qu’il fît intégralement partie de l’Union. Leur argument principal était d’ordre raciste car les Mexicains étaient présentés comme des êtres inférieurs, grossiers, bruyants, et incultes, contrairement à la race anglo-saxonne, bien supérieure à toutes les autres17. Cet expansionnisme apparaît donc comme un phénomène plus complexe et malaisé qu’on ne pourrait le croire car tout en voulant s’étendre et en justifiant partiellement cette expansion par l’infériorité raciale du peuple mexicain, ce même argument raciste était invoqué pour ne pas accepter ces populations dites de couleur.
22Comme l’explique très bien Reginald Horsman, au cours des années 1830 et 1840, le racisme se répandit comme une traînée de poudre dans l’ensemble des États-Unis. Les Américains opposaient ainsi de plus en plus la supériorité de leurs racines anglo-saxonnes à celles de la population mexicaine, jugées en tout point inférieures. C’est ainsi que beaucoup interprétèrent la révolution texane selon ce paradigme raciste, voyant dans la confrontation entre Texans et Mexicains un conflit racial entre une race anglo-saxonne supérieure et une race hispanique inférieure. La victoire des Texans sur les Mexicains sembla confirmer leurs préjugés et leur permit ensuite de légitimer leur expansion vers le Texas, la guerre du Mexique et l’annexion de territoires mexicains à la fin de la guerre. Pour reprendre l’exemple de Robert J. Walker, l’auteur de la théorie de la valve de sûreté, Horsman explique que ce dernier avait le mépris le plus profond pour les Mexicains. Dans sa fameuse lettre de 1844, il rapprochait les Mexicains des Noirs, les faisant ainsi descendre encore plus bas dans l’échelle des races dites inférieures. Cela explique pourquoi lorsque la guerre du Mexique éclata en 1846, les plus racistes parmi les Américains refusèrent d’annexer les régions les plus peuplées du territoire mexicain pour ne pas avoir à traiter avec ce qu’ils considéraient comme une race de sang-mêlé dégénérée, donc inacceptable au sein d’une nation supérieure, racialement pure et qui aspirait à le rester18. Un autre aspect de cet argument consistait à affirmer que l’intégration du peuple mexicain et de ses institutions décadentes aurait corrompu les institutions républicaines américaines vertueuses. Il fallait donc à tout prix éviter l’intégration de ce peuple à l’Union19. Ce racisme à l’encontre des Mexicains est d’autant plus flagrant qu’en comparant le discours sur le Mexique et celui sur l’Oregon, où les Américains étaient alors confrontés aux Anglais, Reginald Horsman en vient à la conclusion que le respect des Américains pour une « race sœur » joua un rôle important dans le fait qu’ils n’entrèrent pas en guerre contre la Grande-Bretagne, malgré leur anglophobie et leur haine viscérale de la politique britannique20.
23Bien qu’il eût caractérisé l’ensemble des États-Unis, ce racisme était tout particulièrement marqué dans les États du Sud qui, rappelons-le, s’étaient alors engagés dans une systématisation du discours pro-esclavagiste fondé sur des arguments racistes. Les revues littéraires et magazines qui avaient émergé au cours des années 1830 et 1840, en particulier la Southern Quarterly Review et la De Bow’s Review, étaient littéralement obnubilés par les questions de race et par les théories raciales pseudo-scientifiques. Elles n’hésitaient pas à apporter leur soutien aux « scientifiques » tels que Josiah C. Nott qui étaient à l’origine de ces théories racistes, en publiant leurs écrits et/ou en abondant dans leur sens21. De même, le célèbre homme de lettres William Gilmore Simms a exprimé des idées racistes bien arrêtées sur les Mexicains pendant la guerre. Il était en outre persuadé que l’expansion de la race anglo-saxonne vers le Texas et le Mexique servirait les intérêts sudistes en assurant la survie de l’esclavage. Plus tard, il allait aussi manifester la volonté que l’Union s’étendît vers Cuba. Ainsi, lorsqu’il occupait les fonctions de rédacteur en chef du Southern Quarterly Review, Simms n’eut de cesse d’exprimer ses fortes convictions expansionnistes et était en cela assez représentatif des Sudistes qui, tout en exaltant la race anglo-saxonne, n’hésitaient pas à exprimer leur ferme désapprobation de la politique résolument abolitionniste de leurs « cousins » Britanniques22. Tout ceci montre que malgré la division croissante de l’Union sur la question de l’esclavage, les deux régions étaient fondamentalement d’accord quand il s’agissait de clamer et de défendre la supériorité anglo-saxonne. Autrement dit, les États du Sud étaient parfaitement en phase avec le contexte national et international de l’époque. Ils n’étaient pas cette région complètement marginale que l’on a tendance à imaginer. Sans nier la spécificité bien réelle du Sud, il est toutefois nécessaire d’insister sur le fait que dans certains domaines, la région était tout à fait en phase avec son époque, le reste de l’Union et avec le monde alentour. Car ces théories racistes jouissaient d’une large audience en Grande-Bretagne et en France, avec Gobineau notamment.
24Cette attitude ouvertement raciste à l’égard des Mexicains recèle des similitudes avec les discrètes manifestations racistes que l’on a pu observer chez Alexander Hill Everett vis-à-vis des Cubains. Même si dans le cas d’Alexander H. Everett elle nourrissait un discours annexionniste plutôt favorable aux Cubains, cette rhétorique raciste exacerbée vis-à-vis des Mexicains souligne une certaine cohérence dans l’attitude étasunienne à l’égard des peuples dits de couleur et latins. Sa présence dans deux discours opposés, montre qu’elle était véritablement constitutive de l’identité américaine du xixe siècle.
Le retour de Nicholas P. Trist
25Outre ces similitudes d’ordre idéologique dans l’attitude américaine vis-à-vis de Cuba et du Mexique, il existe un autre lien bien concret incarné en la personne de Nicholas P. Trist. Rappelons que l’ancien consul américain à La Havane avait quitté l’île sous les coups de boutoir des agents britanniques en lutte contre l’implication américaine dans le trafic illégal d’esclaves africains. D’aucuns pourraient croire que son attitude vis-à-vis des Anglais et les tensions qui s’en étaient suivies avec la puissante Albion l’auraient mis en disgrâce auprès des autorités américaines. Or ce ne fut pas le cas puisqu’il bénéficiait toujours de la protection d’Andrew Jackson, dont l’influence à Washington était encore grande. Aussi fut-il nommé, en août 1845, chef de service administratif au département d’État par James K. Polk, autre protégé de Jackson. Il y était souvent en contact avec le président et avec le secrétaire d’État James Buchanan, dont il devint très proche et qu’il eut même l’occasion de remplacer lorsque ce dernier devait s’absenter de son poste. Puis, lorsque la guerre du Mexique commença à donner des signes d’essoufflement, le président décida d’envoyer à Mexico, dans le plus grand secret, un agent portant des instructions en vue d’un traité de paix avec le Mexique. Cet agent devait remettre ces instructions scellées au général Scott qui devait ensuite les faire immédiatement parvenir au ministre mexicain des affaires étrangères. Pour mener à bien cette mission de la plus grande importance, Polk choisit Nicholas P. Trist23.
26Une fois à Mexico, lorsque Trist se lança dans les négociations l’instabilité politique du Mexique était à son comble car la population mexicaine s’était soulevée contre le général Santa Anna au pouvoir et les pourparlers finirent par échouer. Mais Trist désirait poursuivre les négociations. Aussi alla-t-il au-delà de ses prérogatives en concédant aux Mexicains une ligne de partage qui n’était pas dans les instructions que lui avait donné le président. Il espérait ainsi gagner du temps afin que les partisans de la paix pussent se rallier autour du général Santa Anna. Ce fut en partie le cas car si Santa Anna fut évincé du pouvoir le gouvernement qui lui succéda se montra en faveur de la paix.
27Cependant l’administration Polk, qui s’attendait à une plus grande résistance de la part des Mexicains, fut surprise de voir ses victoires s’enchaîner et les Mexicains céder assez rapidement. Alors, le président se mit à regretter les instructions modérées qu’il avait données à Trist et, cherchant désormais à acquérir la totalité du Mexique, il prit prétexte, entre autres, de la désobéissance de Trist à ses ordres pour le rappeler à Washington en octobre 1847. Lorsqu’en novembre Trist reçut l’ordre de rentrer, il était tout à fait prêt à obtempérer. Toutefois, il se permit de suggérer discrètement à Washington la mise en place urgente d’une commission de paix afin de finaliser les négociations qu’il avait lui-même entamées avec les autorités mexicaines. Trist était en effet persuadé que la nouvelle de son rappel à Washington allait immanquablement provoquer la chute du nouveau gouvernement mexicain en faveur de la paix. Et c’est bien ce qui s’est passé. Par conséquent, voyant la situation se détériorer, en décembre 1847, il désobéit une fois de plus aux ordres et demeura à Mexico pour poursuivre les négociations. Il écrivit à Buchanan qu’il se devait de poursuivre les pourparlers de paix pour empêcher l’avènement d’une situation anarchique. Il ajoutait que la fin des négociations aurait mené à la conquête du Mexique. Or cela était contraire aux principes de Thomas Jefferson qui voulait que les États-Unis fussent une puissance pacifique et en aucun cas ne devaient étendre leur pouvoir par la force24. Par ailleurs, il pensait que cela aurait conduit à la sécession des États du Nord donc à la chute des institutions républicaines et de la démocratie américaine. Les autorités mexicaines apprécièrent le geste de Trist et poursuivirent leurs négociations avec lui, négociations qui aboutirent au fameux traité de Guadalupe Hidalgo, signé le 2 février 184825.
28C’est donc en grande partie grâce à, ou à cause de, Trist que fut conclu le traité qui marqua la fin de la guerre, confirma l’annexion du Texas à l’Union, lui concéda le Rio Grande comme frontière, et permit aux États-Unis d’ajouter la Californie et le Nouveau-Mexique à leur immense territoire. En échange, l’Union acceptait de payer quinze millions de dollars aux Mexicains. Autrement dit, Trist avait déterminé la nouvelle frontière américaine, évitant l’annexion de toute la partie nord du Mexique, ce qui lui valut un fort ressentiment de la part de Polk. Mais malgré ses objections, le président insista auprès du Sénat pour que le traité fût approuvé, car il permettait aux États-Unis de mettre fin à une guerre qui risquait de s’enliser s’ils cherchaient à obtenir la totalité du Mexique. De plus, ils obtenaient tout de même la moitié du territoire mexicain, ce qui était fort peu négligeable.
29Bien que le rôle important joué par Nicholas P. Trist permette de souligner la cohérence de la politique étrangère américaine dans cette région, il n’est pas mentionné par les historiens des relations américano-cubaines tels que Philip Foner, Hugh Thomas, Lester Langley ou Robert E. May. Cela est sans doute dû au fait que Trist ne faisait pas partie des poids lourds de la politique américaine de l’époque. N’ayant pas de grandes ambitions politiques, et étant tombé en disgrâce après cet épisode mexicain, comme il s’y attendait d’ailleurs parfaitement, il est bien vite retombé dans l’oubli. Si les spécialistes contemporains des relations américano-cubaines sont passés à côté de ce personnage, il est en revanche peu surprenant que l’ancien surintendant aux Africains libérés à La Havane, Richard Robert Madden, ait fait le rapprochement entre le rôle que Trist joua à Cuba et celui qu’il joua ensuite au Mexique. Dans un récit de voyage sur Cuba qu’il publia en 1849, Madden fait le rapprochement entre le Texas et Cuba, annonçant que si l’esclavage était maintenu sur l’île, alors son annexion suivrait sans le moindre doute celle du Texas. Il rappelle les accusations que lui et ses collègues avaient portées contre Trist en 1838-1839 selon lesquelles, faisant fi des traités internationaux, le consul américain apposait sa signature sur les manifestes des navires négriers espagnols pour leur permettre de circuler librement tout en sachant pertinemment qu’ils étaient destinés à faire du trafic illégal d’esclaves. C’était selon lui la preuve que l’américanisation de l’île était bien en marche. Il note ensuite que le poste occupé par Trist à Cuba l’avait tout simplement préparé à son rôle dans les négociations américano-mexicaines, soulignant la cohérence, rarement signalée, de la politique étrangère américaine dans cette région26.
30Si le traité de Guadalupe Hidalgo permit aux États-Unis de doubler leur territoire et d’étendre leur présence sur l’ensemble de la côte pacifique, il ne mit pas fin à l’ère de la Destinée Manifeste. Loin d’être rassasiée par tant de nouvelles terres, une bonne partie de l’opinion américaine en voulait davantage. Après le Texas, l’Oregon, la Californie et le Mexique, ils se tournèrent vers celle qu’ils avaient toujours convoitée sans réellement osé s’y attaquer : Cuba. La guerre du Mexique fut donc suivie d’une période marquée par une série de tentatives d’acquisition, aussi bien officielles que clandestines, soutenues par les efforts de la communauté cubaine en exil aux États-Unis. Ce mouvement expansionniste pour l’annexion de l’île était si important qu’il fait dire à Robert E. May :
« Étant donné la nature des événements entre la guerre du Mexique et la guerre de Sécession, il est remarquable que Cuba ne devînt jamais propriété des États-Unis. Les présidents américains de cette période soutinrent l’annexion de l’île, et trois d’entre eux firent des efforts déterminés pour l’acheter. Les diplomates américains en Europe échafaudèrent des stratagèmes complexes pour forcer l’Espagne à céder l’île. En vérité, selon une règle officieuse, afin d’être nommé ministre auprès d’une puissance européenne il fallait croire fermement en l’idée que l’Amérique avait pour mission d’obtenir Cuba. Une grande partie du Congrès soutenait cet objectif, ainsi que la majorité des Américains27. »
Premières offensives sur Cuba, 1847-1848
L’activisme créole pour l’annexion à l’Union
31Rappelons que l’épisode sanglant de la Escalera en 1843-1844 avait marqué un tournant parmi certains Créoles dont le désir d’être annexés à l’Union pour préserver l’esclavage alla croissant28. Souvenons-nous aussi que la répression contre les intellectuels, aussi bien noirs que blancs, avait été violente. Par conséquent, pendant et après la répression de 1844, ils furent nombreux à quitter l’île, soit par choix soit sous le coup de condamnations à l’exil. Les plus en vue parmi eux, tels que Domingo Del Monte et ses amis, avaient tissé des liens solides avec le monde occidental, et en particulier avec les États-Unis où beaucoup s’établirent. New York et la Nouvelle Orléans étaient désormais les destinations privilégiées des candidats cubains à l’exil. Elles supplantèrent donc Philadelphie en devenant les deux grands centres de l’activité intellectuelle et politique de la communauté cubaine vivant aux États-Unis29.
32Rappelons également que tous ces exilés étaient relativement aisés. Certains étaient même de très riches planteurs de canne à sucre, ou issus de familles de riches planteurs. Ils se sentaient donc de plus en plus menacés par l’hostilité britannique à la traite négrière transatlantique car la fin de la traite aurait marqué la fin certaine de l’esclavage d’autant que l’Espagne, politiquement faible, leur semblait de moins en moins capable de résister à la puissance anglaise. Pour se protéger de l’avènement d’une république noire ou simplement de l’abolition de l’esclavage ils n’avaient d’autre alternative que de se tourner vers les États-Unis qui, avec leur système esclavagiste au Sud, semblaient leur garantir une relative autonomie. L’entrée dans l’Union aurait certes conduit à la fin certaine du trafic négrier transatlantique mais en même temps elle aurait protégé l’économie esclavagiste de l’île. Comme ils avaient une bonne connaissance des États-Unis, qu’ils parlaient et lisaient couramment l’anglais et possédaient des relations fortes dans la sphère politique et intellectuelle américaine ils pouvaient aisément circuler parmi ses membres les plus importants et diffuser ainsi leurs convictions annexionnistes30.
33Mais avant de détailler leurs activités aux États-Unis, il est important de signaler que l’activisme annexionniste créole, qui avait commencé au début du xixe siècle, se poursuivait à Cuba malgré la chape de plomb qui y régnait. Le mouvement fut en effet promu par la création, en janvier 1847, du Club de la Habana, une organisation fondée et dominée par les plus riches planteurs de canne à sucre créoles tels que le beau-frère de Domingo Del Monte, Miguel de Aldama dont la maison servait de lieu de réunion au Club. Parmi les autres membres du Club figuraient aussi le comte de Pozos Dulces, l’écrivain José Antonio Echevarría et Cristobal Madán, le beau-frère de John Louis O’Sullivan. Tous étaient également des amis ou des parents de Del Monte et faisaient partie de ses correspondants réguliers. Un autre membre du Club avait des liens plutôt intellectuels avec Del Monte : il s’agit du romancier costumbrista Cirilo Villaverde, auteur en 1839 de Cecilia Valdés, l’un des grands romans anti-esclavagistes cubains31. L’adhésion au Club n’était toutefois pas réservée aux seuls Créoles puisqu’il se trouvait parmi ses membres un certain John Sidney Thrasher, journaliste américain résidant à La Havane depuis les années 1830 où il était employé dans une maison de commerce. C’est lui qui, en 1856, publia la traduction américaine du récit de voyage à Cuba d’Alexander Von Humboldt précédée d’une introduction prônant les bienfaits d’une expansion américaine vers l’île32. Outre La Havane, il existait une activité annexionniste à Puerto Príncipe menée par Gaspar Betancourt Cisneros, dit El Lugareño, incidemment un grand ami de Domingo Del Monte. Enfin, Matanzas, où avaient éclaté le scandale puis la répression de la Escalera, et Las Villas étaient aussi des lieux d’activisme annexionniste33.
34La création du Club de la Habana correspond aussi à la fusion entre le mouvement annexionniste basé sur l’île et le mouvement annexionniste des Cubains exilés aux États-Unis. Cette fusion se concrétisa au mois de janvier 1847 lors d’une rencontre entre Cristobal Madán et Miguel de Aldama où il fut décidé que l’île devait être annexée à l’Union. Deux des journalistes américains les plus en vue de l’époque assistèrent à cette réunion. Le premier n’était autre que John Louis O’Sullivan qui séjournait sur l’île à ce moment-là et accompagnait son beau-frère Aldama à la réunion du Club. Quant au second, il s’agit de Moses Yale Beach, le rédacteur en chef et éditeur du Sun de New York. Beach était alors de passage à Cuba, en route vers le Mexique où il avait des affaires à régler et où il avait été envoyé en mission officieuse par le président Polk pour se renseigner sur la possibilité de négocier un traité de paix avec les Mexicains. Les riches membres du Club de la Habana proposèrent un marché à leurs invités américains : si les États-Unis acceptaient d’acheter l’île à l’Espagne, le Club était prêt à rembourser jusqu’à 100 millions de dollars au gouvernement américain34.
35Aux États-Unis, il existait d’autres groupes dont le but était aussi de propager le message annexionniste ainsi que d’organiser des conspirations pour s’emparer de l’île et en éjecter la puissance espagnole. Ils se trouvaient à New York, à la Nouvelle-Orléans et en Floride. Mais le plus puissant et le plus actif était de loin celui de New York, mené par Gaspar Betancourt Cisneros, José Aniceto Iznaga et Cristobal Madán – autrement dit les mêmes qui menaient le mouvement sur l’île. C’est donc à New York que fut créé en 1847 le Consejo (de Gobierno) Cubano (Conseil de gouvernement cubain) qui devait représenter le Club de la Habana aux États-Unis. Son président n’était autre que Cristobal Madán, l’un des membres fondateurs du Club de la Habana. Ce groupe était tellement actif aux États-Unis qu’il finit par être soutenu par un nombre croissant d’Américains, persuadés que l’idée d’annexion était au moins aussi populaire à Cuba qu’elle l’était aux États-Unis35.
36À son retour de La Havane en janvier 1847, John L. O’Sullivan mena, par l’intermédiaire de son allié le secrétaire d’État James Buchanan, une campagne discrète mais active auprès de l’administration Polk en vue du futur achat de l’île. Il présenta à Polk l’offre de ses amis du Club de la Habana, ce qui souligne une fois de plus la forte influence cubaine sur le mouvement expansionniste américain. Conscient que l’acquisition d’un nouveau territoire esclavagiste allait immanquablement mener à de nouvelles controverses, O’Sullivan mit en avant le fait qu’une telle annexion offrait des avantages à toutes les régions de l’Union. Il souligna aussi la nécessité de procéder à des négociations secrètes et rapides en raison de la faiblesse croissante de l’Espagne et des rumeurs concernant l’intérêt des Britanniques et des Français pour l’île36. Néanmoins Polk fit la sourde oreille car il était préoccupé par la guerre du Mexique qu’il tenait à régler avant de s’attaquer à la question cubaine.
37De plus, O’Sullivan fut pris de cours par Moses Yale Beach qui lança en juillet 1847 une campagne annexionniste de grande envergure dans le Sun. Puis, à partir du 1er janvier 1848, en accord avec le Consejo Cubano à New York, il lança la publication de La Verdad (La Vérité), l’organe « officiel » du Consejo, donc du mouvement annexionniste créole aux États-Unis. Ce bimensuel, qui comportait des articles en anglais et en espagnol, était imprimé sur les presses du Sun, aux frais de Beach, et distribué gratuitement. Destiné à répandre les idées annexionnistes parmi les Américains, il faisait partie de ce que Rodrigo Lazo appelle les « filibustero newspapers » (journaux flibustiers) sur lesquels nous reviendrons plus avant. Cette campagne médiatique était une des tactiques préconisées par le Club de la Habana à la réunion de janvier 1847 pour accélérer l’annexion de l’île, preuve supplémentaire de l’influence tout à fait concrète que les Créoles eurent sur le mouvement expansionniste américain, puisque l’opinion publique américaine fut en partie façonnée par ces propagandistes créoles. Un tel journal était bien entendu censuré à Cuba. Toutefois, les frontières cubaines n’étaient pas complètement étanches, surtout pour une île dont le premier partenaire commercial était le voisin étasunien. Aussi, le journal parvenait-il tout de même à entrer et à être diffusé, grâce aux navires marchands qui amarraient chaque jour dans les différents ports de l’île37. Le financement et la publication du journal par Moses Yale Beach ne sont qu’un des nombreux exemples du réseau complexe de liens qui s’était établi entre les Créoles et les expansionnistes américains où les Créoles purent s’exprimer ouvertement dans le débat américain sur l’annexion de leur île à l’Union. Mais la Verdad, comme les nombreux journaux de ce genre publiés par les exilés cubains, avait aussi pour but d’inspirer la population cubaine à se soulever contre l’Espagne en l’appelant notamment à soutenir les expéditions de flibustiers qui allaient s’organiser dans les années suivantes.
1848 ou la première tentative officielle d’acquisition de l’île
38Jusque-là, en dépit des efforts réels de John L. O’Sullivan pour faire avancer la cause cubaine au sein de l’administration Polk, la conjoncture politique n’était pas propice à un quelconque mouvement vers Cuba. Toutefois, l’idée d’une acquisition faisait son chemin au sein du gouvernement et du parti démocrate. Et le 10 mai 1848, quand la guerre du Mexique fut terminée, les sénateurs démocrates du Michigan, Lewis Cass, et du Mississippi, Jefferson Davis firent des déclarations au Congrès proposant ouvertement l’annexion de l’île. Le jour même de ces déclarations, O’Sullivan rencontrait de nouveau James K. Polk, accompagné du jeune sénateur démocrate de l’Illinois, Stephen Douglas. Ce fut en apparence un nouveau revers pour O’Sullivan car à aucun moment au cours de l’entrevue le président ne donna son opinion sur la proposition d’achat que O’Sullivan et Douglas lui firent. Cependant, le jour même il écrivait dans son journal que, même s’il n’avait exprimé aucune opinion, il était tout à fait décidé à acquérir la Perle des Antilles pour en faire un État de l’Union38. Polk avait alors une autre priorité avant de s’attaquer à Cuba : le territoire mexicain du Yucatán, qu’il espérait acquérir pour le compte de l’Union.
39Vers la mi-mai 1848, lorsqu’il fut tout à fait certain de ne pouvoir annexer le Yucatán, le président des États-Unis était enfin prêt à lancer une offensive officielle sur Cuba. Le 30 mai, il aborda le sujet au cours d’une réunion avec son cabinet et, suivant les termes de la proposition que lui avait faite O’Sullivan, il se dit convaincu de la nécessité d’acheter l’île. Les réactions au sein du cabinet furent diverses. Le secrétaire au Trésor et autrefois partisan de l’annexion du Mexique, Robert J. Walker, était en faveur d’un tel achat, qu’il était prêt à payer au prix fort39. Quant au secrétaire d’État James Buchanan, Philip Foner estime qu’il fit semblant de se montrer opposé à une proposition d’achat. Il insista pour que le gouvernement fût prudent dans ses démarches afin de ne pas gâcher les chances du parti démocrate aux élections présidentielles qui devaient avoir lieu au mois de novembre. De même insista-t-il sur le fait que l’annexion conduirait immanquablement à une guerre avec la Grande-Bretagne et la France. Mais Polk ne croyait pas en la sincérité de Buchanan. Pour Foner, Buchanan désirait tellement annexer l’île qu’il voulait en faire le moment fort de sa propre présidence, et tant que Polk était au pouvoir, il se serait montré opposé au projet. Le 9 juin 1848, Polk demanda à James Buchanan de donner des instructions de négociations au ministre américain à Madrid, Romulus Saunders. Après de longues tractations, Buchanan finit par céder et, le 17 juillet, accorda les pleins pouvoirs à Saunders pour négocier « un accord de vente » avec l’Espagne40.
40Au mois d’août 1848 Romulus Saunders reçut ses instructions. Il était chargé d’offrir cent millions de dollars au ministre des Affaires étrangères espagnol, Pedro J. Vidal, pour l’achat de l’île. Mais il devait le faire en personne car Washington ne voulait pas qu’il y eût de trace écrite. Il devait également suggérer de façon aussi diplomatique que possible que comme l’Espagne risquait de perdre l’île, sous le coup d’une révolution ou sous la pression de la Grande-Bretagne qui finirait par s’en emparer, pour lui éviter la ruine les États-Unis se proposaient de l’acquérir. Mais Romulus Saunders désobéit aux instructions. Au lieu d’agir avec diplomatie, il expliqua très sèchement au ministre des affaires étrangères espagnol que, dans le cas d’une guerre entre l’Espagne et la Grande-Bretagne au sujet de Cuba, si Londres faisait montre de velléités annexionnistes, alors la politique de non-transfert de l’île qui avait été énoncée par la doctrine Monroe conduirait les États-Unis à lancer une guerre contre la puissante Albion. Or, un affrontement avec les Anglais leur aurait coûté trop cher. Aussi étaient-ils prêts à abandonner leur politique de non-transfert pour acheter l’île. Croyant que l’affaire était gagnée d’avance, plutôt que de flatter et de rassurer, il fit l’erreur de souligner la faiblesse de l’Espagne et semblait ainsi révéler l’arrogance de son gouvernement. Le ministre Pedro Vidal se sentit tellement humilié et insulté par l’intervention et l’attitude de Saunders qu’il mit fin à l’entretien avant même que celui-ci ne lui eût dévoilé la somme proposée par son pays. Toute possibilité d’achat de la Perle des Antilles fut ainsi annulée41.
41En cette période fébrile de pourparlers diplomatiques, les hommes d’État n’étaient pas les seuls à s’intéresser à la question de l’annexion et à la nature des liens cubano-américains. Le débat était en effet parvenu à toucher le plus grand nombre par le biais des journaux, comme le Sun et La Verdad. Mais outre ces médias, les récits de voyage qui étaient aussi des vecteurs importants de diffusion de l’information et des tendances idéologiques, ne manquaient pas d’aborder le sujet.
Les relations américano-cubaines vues par les voyageurs anglo-saxons
42Le récit du poète américain William Cullen Bryant est particulièrement intéressant, car l’auteur faisait partie de ces Nordistes « free soilers », qui s’opposaient à l’extension de l’esclavage dans les territoires nouvellement acquis par l’Union. Sans être abolitionnistes, ces Nordistes étaient encore attachés au Sud et avaient choisi de se placer au-dessus des querelles régionales. Bien qu’il soit tombé en désuétude aujourd’hui, Bryant fut un des hommes de lettres les plus célèbres et les plus influents de son époque. Connu pour ses talents de poète mais aussi pour sa carrière de journaliste, de conférencier et de voyageur, il avait ainsi visité de nombreux États du Sud – le Kentucky, la Virginie, le Maryland, les deux Carolines, la Géorgie et la Floride. Il s’y était fait de nombreux amis, tels que William Gilmore Simms, et s’était forgé une image très positive des Sudistes42.
43Par ailleurs, Bryant était sans doute bien au fait de la problématique cubaine, puisqu’il avait traduit trois des poèmes du célèbre poète cubain José María Heredia, qui était aussi l’un des premiers intellectuels à avoir résisté au régime colonial espagnol et à s’être exilé pour ses opinions subversives. Heredia avait en effet participé en 1821-1822 à l’organisation de la conspiration des Soles y Rayos de Bolívar qui, s’inspirant du mouvement indépendantiste mené par Simon Bolivar, avait eu pour but de renverser le régime colonial espagnol et de conquérir l’indépendance de l’île. Mais lorsque les autorités coloniales découvrirent l’existence de la conspiration ils s’en prirent à ses principaux organisateurs. Heredia s’enfuit alors aussitôt pour les États-Unis, puis s’installa au Mexique où il passa le restant de sa vie jusqu’à sa mort en 1839. De par son œuvre engagée et sa résistance à l’Espagne, Heredia devint ainsi une des figures cubaines les plus vénérées au panthéon de la lutte pour l’indépendance43.
44Publié en 1850, l’ouvrage de Bryant, intitulé Letters of a Traveller; or Notes Seen in Europe and America, est une anthologie des chroniques de voyages qu’il avait publié entre 1836 et 1849 dans The New York Post dont il fut le rédacteur en chef pendant trente ans44. L’écriture, journalistique, se veut donc objective. L’auteur n’exprime pas d’opinion et reste dans la description « neutre » de ses impressions de voyage. Certaines des lettres qui traitent du Sud, où Bryant put observer le fonctionnement de l’esclavage, n’en donnent toutefois pas une image négative – ce que l’on comprend mieux quand on connaît les opinions de Bryant sur la région et ses habitants.
45Quant à son séjour à Cuba au mois d’avril 1849, il donna lieu à quatre lettres : trois adressées de La Havane et une de Matanzas. Ayant fait le circuit classique effectué par les visiteurs étrangers, avec les visites habituelles de plantations de café et de canne à sucre, ses chroniques étaient aussi des plus classiques puisqu’il y décrit le port de La Havane, les plantations, etc.
46Mais certaines de ses remarques sur la société et la mentalité cubaines méritent qu’on s’y intéresse. Tout d’abord, Bryant souligne l’importance des liens culturels entre les Américains et les Cubains. La description de sa rencontre avec un planteur de café créole éduqué à Boston est tout à fait différente des portraits classiques, qui présentent en général le planteur cubain comme quelqu’un de cordial, chaleureux et généreux. Bryant en revanche décrit un personnage froid et distant :
« Nous rencontrâmes, avant de retourner à notre auberge, le propriétaire, un personnage à l’allure délicate, avec de fines mains blanches, qui avait fait ses études à Boston et parlait anglais comme s’il n’avait jamais vécu nulle part ailleurs. Ses manières, comparées à celles de son régisseur, étaient extrêmement froides et inhospitalières. Et lorsque nous lui fîmes part de la courtoisie avec laquelle nous avions été reçus, à sa réaction nous eûmes l’impression qu’il aurait souhaité qu’il en eut été autrement45. »
47Pour avoir une idée de cette perception classique, il faut lire le récit d’un compatriote de Bryant, Benjamin Moore Norman, qui décrit l’hospitalité et la générosité des planteurs cubains de la même façon qu’un voyageur dans les États du Sud aurait loué l’hospitalité légendaire des planteurs sudistes. Moore fait même la comparaison de façon très explicite lorsqu’il écrit :
« Je ne connais rien au monde de comparable à l’hospitalité ouverte, généreuse et pleine de grandeur d’âme que le marchand ou planteur [cubain], quelle que fût son importance, prodigue à ceux qui lui sont recommandés par une introduction respectable provenant de l’étranger. Avec un tel passeport, il n’est plus un étranger, mais un frère ; et c’est la faute de son propre cœur s’il ne se sent pas aussi bien au sein de la famille et sur le domaine de son ami que s’il s’agissait de son propre foyer. Il n’y a rien de forcé, rien de contraint dans tout ceci. C’est clairement naturel et sincère et l’on ne peut le vivre sans ressentir, aussi modeste que l’on puisse être, que l’on est en train d’accorder une faveur plutôt que de la recevoir. Cette remarque peut être appliquée, avec presque autant de force, à de nombreux planteurs de nos États du Sud, et des autres îles des Antilles46. »
48Le parallèle que Moore fait entre l’attitude des planteurs cubains et celle des planteurs sudistes est tout à fait intéressant, car elle met en lumière de façon explicite les points communs entre les membres d’une même classe sociale vivant pourtant dans des pays et sous des régimes politiques différents. Partant de cette remarque, le lecteur est alors susceptible de se demander : « S’ils se ressemblent tant que cela, pourquoi ne pas les réunir ? » Pour en revenir à Bryant, si son planteur cubain ne correspond pas à ce que l’on a l’habitude de lire et a des manières plus proches de celles de la figure du Yankee que du Cavalier sudiste, il est pourtant bien proche des États-Unis. En précisant que cet homme parlait anglais comme s’il avait toujours vécu aux États-Unis et qu’il avait fait ses études à Boston, il souligne le lien culturel entre les États-Unis et la Perle des Antilles. Et pour Bryant, ce « Yankee cubain » en quelque sorte est tout à fait rassurant.
49L’exemple de ce planteur permet d’évoquer un phénomène assez répandu au sein de cette classe, à savoir le fait pour les riches créoles d’envoyer leurs enfants étudier aux États-Unis plutôt qu’en Espagne, ce que la logique coloniale aurait normalement dicté. L’Espagne était d’ailleurs tout à fait consciente de ce phénomène, et des idées subversives d’indépendance ou d’annexion qu’une éducation aux États-Unis pouvait engendrer chez ces étudiants. Aussi en 1849, le capitaine général Concha interdit-il aux Créoles d’envoyer leurs enfants étudier à l’étranger en évoquant clairement le danger que représentait un tel phénomène : « Les jeunes gens […] reviennent au sein de leur patrie avec des idées révolutionnaires qu’ils répandent parmi les membres de leur famille, leurs amis et leurs connaissances47. » Ce phénomène révèle également une certaine dépendance éducative vis-à-vis de l’Union qui fonctionnait un peu comme une métropole par rapport à sa colonie. De même que de nombreux colons anglais envoyaient leurs enfants étudier à Oxford, Cambridge et Édimbourg pendant la période coloniale, les riches Cubains préféraient envoyer leurs enfants étudier aux États-Unis plutôt que dans la « vraie » métropole. Cela montre que les liens avec les États-Unis étaient de plus en plus étroits. Par ailleurs, même si les perceptions de Norman et de Bryant sont différentes, d’une certaine façon ils parviennent à la même conclusion, à savoir la similitude, voire la fraternité, entre l’élite créole et au moins une partie du peuple américain.
50Outre cette relation culturelle, le lien de dépendance le plus évident qui est observé par nos voyageurs était la dépendance économique de l’île vis-à-vis des États-Unis. Une des premières visions qu’eut Benjamin M. Norman lorsqu’il fit son entrée dans le port de La Havane fut celle de la domination des mats arborant le drapeau américain. Autrement dit, sans se lancer dans des analyses statistiques très pointues la force des liens économiques et commerciaux de la Perle des Antilles avec son voisin nord-américain sautait littéralement aux yeux48. Richard R. Madden va plus loin lorsqu’il explique que Cuba devait sa prospérité à deux facteurs essentiels : la poursuite de la traite et l’investissement de capitaux américains dans la production de sucre. Outre ces investissements, Madden estime que les Américains étaient à l’origine de la modernisation de l’île et par conséquent de sa compétitivité croissante sur le marché international. Rappelons en effet que la première ligne de chemin de fer cubain, construite entre La Havane et Güines en 1837, l’avait été par les Américains – avec l’apport de capitaux anglais. Les Américains avaient aussi introduit la machine à vapeur dans le processus de fabrication du sucre. Ainsi écrit-il : « Cuba leur doit donc les multiples améliorations dans la fabrication du sucre et dans les modes de transport du produit de ses plantations, ce qui permet aux propriétaires d’être très compétitifs par rapport aux planteurs des colonies anglaises. Cuba, depuis que je la connais, s’est américanisée de façon constante49. » Rappelons également les chiffres avancés au début du chapitre i : en 1850, 65 % des exportations de l’île se faisaient vers les États-Unis qui achetaient aux Cubains la plus grande partie de leur production sucrière50.
51Ces témoignages semblent ainsi participer d’un effort similaire à celui d’Alexander Hill Everett, qui cherchait à démontrer dans ses articles sur Cuba que les Créoles étaient des gens tout à fait valables, même très proches des Américains, et qu’ils avaient donc parfaitement leur place au sein de l’Union. Toutefois, comme chez Everett, le discours de ces voyageurs est un peu plus complexe et ambigu qu’il n’y paraît car, si d’un côté ils montrent que la classe la plus aisée parmi les Créoles était assez proche des Américains, les mêmes auteurs pouvaient tenir, dans le même texte, un discours inverse.
52Revenons pour cela à Bryant qui, sur quatre lettres entièrement consacrées à Cuba, n’en consacre qu’une seule à l’esclavage et à l’annexion de Cuba aux États-Unis. Il est aussi surprenant que, dans cette lettre longue de douze pages intitulée « Negroes in Cuba – Indian Slaves », le sujet de l’annexion n’occupe que trois paragraphes à la fin du texte51. Le sujet était tellement présent dans les esprits des Américains, et en particulier des New Yorkais très sollicités par la propagande des Moses Yale Beach et John Louis O’Sullivan, qu’il est étrange que Bryant n’en parle pas davantage. C’est d’autant plus surprenant que lui-même était rédacteur en chef d’un journal renommé et qu’il était parfaitement au courant de ce qui se passait chez lui. Ainsi lorsqu’il écrit : « Aux États-Unis, on entend de temps à autre parler de l’annexion de Cuba à notre confédération52 », on a l’impression que l’actualité politique ne faisait pas partie des préoccupations d’un homme dont c’était pourtant le travail. Plus surprenante encore est sa façon de sonder l’opinion des habitants de l’île sur la question de l’annexion. Plutôt que d’aller directement à la source et de faire témoigner un Cubain, il nous offre le témoignage anonyme d’un Européen. Sans préciser sa nationalité, il souligne tout de même que ce dernier a longtemps vécu sur l’île, ce qui sous-entend qu’il pouvait être considéré comme un représentant fiable de l’opinion publique cubaine. Comparé à un natif de l’île, un expatrié européen pouvait être considéré comme un interlocuteur idéal car n’étant pas directement concerné par la question de l’annexion il pouvait constituer une source d’information plus fiable, d’autant que l’atmosphère politique de l’île empêchait les Cubains d’exprimer librement leurs opinions. Une telle audace leur aurait coûté leur liberté. Par conséquent, les origines nationales de ce témoin passaient probablement aux yeux de Bryant pour la garantie d’un témoignage neutre et impartial. Bien entendu il était tout sauf impartial et exprima contraire de nombreux préjugés à l’égard des Cubains – préjugés au demeurant en phase avec l’époque.
53D’après ce témoin, en raison des avantages évidents qu’ils en auraient retirés, les Créoles auraient été contents de faire partie de l’Union. Certains l’auraient même ardemment désiré. Cependant, il était peu probable que cela eût jamais lieu. Arrêtons-nous un instant sur ses paroles car elles sont intéressantes :
« Les Créoles seraient sans doute très contents de voir Cuba annexée aux États-Unis, et beaucoup le désirent ardemment. Cela les soulagerait des nombreux fardeaux bien lourds qu’ils ont à porter, ouvrirait leur commerce au reste du monde, les débarrasserait d’un gouvernement tyrannique et leur permettrait de gérer leurs propres affaires à leur façon. Mais l’Espagne tire de la possession de Cuba des avantages bien trop importants pour être abandonnés. Elle dégage de Cuba un revenu de douze millions de dollars et son gouvernement envoie sa noblesse pauvre, et tous ceux dont il a la charge, occuper des postes lucratifs à Cuba. Ainsi, les prêtres, les officiers militaires, les autorités civiles et tout personne qui détient un poste judiciaire ou d’employé de bureau vient de la Vieille Espagne. Le gouvernement espagnol n’oserait abandonner Cuba quand bien même il y serait enclin.
De même que le peuple de Cuba ne ferait aucun effort pour s’émanciper en prenant les armes. Le combat avec le pouvoir espagnol serait sanglant et incertain, même si la population blanche était unie. Mais le manque de confiance réciproque entre planteurs et paysans rendrait une telle entreprise encore plus incertaine. À présent, il ne serait pas sûr pour un planteur cubain de s’exprimer publiquement sur l’annexion aux États-Unis. Il courrait le risque d’être emprisonné ou exilé53. »
54Ainsi, outre l’image désormais classique d’une Espagne tyrannique le témoin, et partant Bryant, donne aussi aux lecteurs l’image d’un peuple divisé, lâche et bien trop timoré pour se battre pour sa liberté. Cette même idée est développée par l’Irlandais Richard Robert Madden dans son récit de voyage à Cuba de 1849 lorsqu’il évoque une tentative de soulèvement avortée en 1822. Il écrit :
« Et quel fut le résultat de tout ce mouvement belliqueux ? Tout se termina de façon pacifique – ainsi que les habitants pacifiques de l’île s’y attendaient, connaissant leur propre caractère – avec de la nourriture et du vin, des rires et des cris. Après une courte saison de fanfaronnade, chacun vaqua à ses occupations, ou ses vices. Tel est le caractère cubain, docile ou puérile, le caractère anti-révolutionnaire d’un pays esclavagiste, ce que Tacón n’avait pas compris. Une émeute de trois jours à La Havane, et au quatrième, la vie reprit son cours normal, sans qu’une seule goutte de sang eût coulé. Et tout ceci prit fin sans la moindre intervention du gouvernement : tous cédèrent au vieil instinct naturel de peur et de protection, commun à tous les résidents de la classe blanche de l’île de Cuba, ils cédèrent à une discrète sympathie pour des intérêts fortement liés et entretenus avec soin, les intérêts de l’égotisme, qui poussent les intérêts sociaux à être repoussés aux calendes grecques, si tant est que de tels intérêts fussent connus à Cuba54. »
55John Glanville Taylor, un autre visiteur britannique de l’île, fait à peu près le même type de remarque. Contrairement aux deux voyageurs précédents, Taylor n’était pas un intellectuel. Il s’était rendu à Cuba en 1842 pour y chercher de l’or et y passa quatre ans du côté de Santiago, dans la partie orientale. C’était assez inhabituel pour l’époque car la majeure partie des étrangers ne visitait que la partie occidentale où se situe la capitale et ne connaissait donc pas le reste du pays. Taylor en revanche ne s’était jamais rendu à La Havane et en était très fier. Cela le distinguait des autres voyageurs qu’il considérait comme des privilégiés n’ayant aucune idée du véritable visage de la Perle des Antilles. Son récit, publié en 1851, est une œuvre posthume car l’auteur est mort à Ceylan peu avant la publication de son ouvrage. Taylor se distingue aussi des autres voyageurs britanniques par le fait de ne pas avoir eu une position abolitionniste aussi tranchée qu’un Madden ou un Turnbull. Contrairement à ces derniers, il prône en effet un processus d’abolition progressive de l’esclavage et il est tout à fait conscient que ses idées auraient été très mal accueillies par ses compatriotes abolitionnistes, qu’il ne semble d’ailleurs pas beaucoup apprécier. Sur la question de l’annexion de l’île par les États-Unis, il a aussi une position fort peu orthodoxe pour un Anglais car il y est tout à fait favorable et ne doute pas que, tôt ou tard, cela allait se produire. Il pense que l’annexion aurait eu des répercussions positives sur l’île car contrairement aux Espagnols les Américains faisaient partie d’une race supérieure et leurs intentions de s’étendre vers cette partie du monde étaient des plus nobles. Il n’oublie pas d’ajouter que toutes les avancées qu’a connues l’île n’ont pu se faire que grâce à l’influence bénéfique des États-Unis – et plus généralement grâce à la race anglo-saxonne55.
56L’Américain Bryant est plus précis quant au genre de répercussions bénéfiques qu’une intégration à l’Union aurait eu pour l’île. Toujours selon son témoin européen :
« Bien sûr, si Cuba venait à être annexée aux États-Unis, la traite négrière avec l’Afrique cesserait immédiatement, bien que sa suppression totale serait difficile. Les nègres seraient importés en grand nombre des États-Unis, et les planteurs émigreraient avec eux. Des institutions éducatives seraient introduites sur l’île, le commerce et la religion se pratiqueraient librement, et le caractère des habitants de l’île serait grandement amélioré par les responsabilités qu’un gouvernement libre leur donnerait. Les planteurs toutefois adopteraient sans doute des lois assurant la perpétuation de l’esclavage. Dès que le pouvoir leur serait donné de formuler des lois pour l’île, ils annuleraient très certainement les facilités que les lois actuelles donnent aux esclaves pour effectuer leur propre émancipation56. »
57Si l’Européen semble critiquer l’esclavage américain, plus dur que le système cubain qui permet une émancipation plus facile des esclaves, on voit bien qu’à ses yeux, le progrès de l’île et l’amélioration des conditions de vie pour la population blanche ne pouvaient venir que des États-Unis, ce qui souligne la ténacité des préjugés négatifs à l’égard des peuples hispaniques.
58Outre la couardise et le sous-développement qu’ils considèrent innés chez le peuple cubain, nos voyageurs anglo-saxons ne manquent pas de noter le manque de sensibilité, voire la cruauté, des Cubains à l’encontre des esclaves. En ouverture de sa longue lettre sur le régime esclavagiste cubain, Bryant décrit l’exécution publique d’un esclave, condamné à mort pour avoir tué son maître. C’est une scène édifiante qui décrit la cruauté du procédé de l’exécution et montre en plus le manque total de sensibilité de la foule cubaine face à la torture et à la mort de cet esclave. Le passage le plus intéressant est le suivant :
« Je n’avais jamais vu, et n’avais jamais eu l’intention de voir une exécution. Mais l’étrangeté de cette façon d’infliger la mort et le désir d’être le témoin du comportement d’une assemblée du peuple cubain en une telle occasion vinrent à bout de ma détermination initiale. L’horreur du spectacle me fait à présent regretter d’avoir fait partie d’une foule attirée par le spectacle par pure curiosité.
[…] Mon attention fut attirée par un bruit qui ressemblait à celui d’une gifle et une voix larmoyante près de moi. Je jetai un coup d’œil et vis deux hommes debout à côté de moi, un petit garçon blanc à leur côté et, devant eux, un garçonnet noir ayant à peu près le même âge, tenant son chapeau à la main et pleurant. Ils essayaient de diriger son attention vers le spectacle qui se déroulait devant ses yeux et qu’ils considéraient comme tout à fait sain. “Mira, mira, no te hará daño” dirent-ils. Mais le petit garçon refusait catégoriquement de regarder dans cette direction, bien qu’il eût été clairement terrifié par quelque menace d’être puni et que ses yeux se remplirent de larmes. Le trouvant décidément obstiné, ils cessèrent d’insister, et je fus édifié de voir le petit homme continuer à détourner le regard du spectacle qui attirait tous les regards sauf le sien57. »
59L’insistance des deux hommes blancs à ce que le petit garçon noir regarde lui aussi, alors qu’il est clairement terrorisé, semble être le comble de la cruauté. On peut en effet imaginer que ce petit garçon faisait partie des esclaves de la maison et qu’il était le compagnon de jeu du petit maître blanc. Par conséquent, le « no te hará daño », qui signifie « cela ne te fera pas de mal », peut être interprété de deux façons. On peut le comprendre dans son sens le plus littéral, ce qui serait une preuve de plus de l’inconscience et du manque de sensibilité de ces deux hommes. Mais on peut aussi le comprendre comme une façon de le mettre en garde sur le sort qui l’attendait s’il avait le malheur de se retourner un jour contre ses maîtres. Bryant en tout cas décline tout commentaire. Il se contente de dépeindre la scène, laissant le lecteur libre de l’interpréter à sa manière. L’image de cette foule complètement hypnotisée par le spectacle sanglant, à l’exception du petit garçon noir qui regarde ailleurs, est également très forte. Même si Bryant ne fait aucun commentaire personnel, on imagine aisément le malaise d’un lectorat nordiste, à la fois de plus en plus acquis à la cause abolitionniste mais baignant aussi dans la propagande raciste de l’époque. Ce genre de scène ne pouvait que nourrir les préjugés racistes de ses lecteurs et rendre les Cubains particulièrement antipathiques à leurs yeux.
60La cruauté du traitement des esclaves à Cuba est ensuite explicitement affirmée par un témoin anglais qui a longtemps vécu sur l’île. D’après lui, l’institution y est bien plus cruelle qu’aux États-Unis car la majorité des esclaves sont Africains et par conséquent moins dociles mais aussi, selon la logique de l’époque, bien moins intelligents que leurs « confrères » américains, nés sur le continent58.
61Dans le même ordre d’idée, l’Anglais John Glanville Taylor estime lui aussi que l’intégration de l’île à l’Union aurait sans doute perpétué l’esclavage. Mais loin d’y voir quelque chose de négatif, il estime au contraire que ce serait une bonne chose car cela aurait le mérite d’améliorer le quotidien des esclaves qui seraient bien mieux traités sous un régime esclavagiste américain que s’ils étaient libérés par les Anglais59.
62Ces remarques à l’égard des Cubains tendent à souligner la force et la ténacité des préjugés racistes des Anglo-Saxons. Reginald Horsman n’explique-t-il pas que l’une des raisons pour lesquelles les tensions anglo-américaines au sujet de l’Oregon ne donnèrent pas lieu à une guerre entre les deux nations tenait en partie au respect qu’éprouvaient les Américains pour une race sœur ? Or à travers les remarques de ces auteurs britanniques, on voit bien se dessiner une certaine fraternité raciste anglo-saxonne contre les Cubains. Ce qui ressort de ces témoignages est une sorte de classification de la population cubaine avec, d’un côté, des Créoles aisés culturellement proches des Américains et, de l’autre, la masse populaire, qui semble indigne de la grandeur américaine. De même que ces remarques racistes servaient le discours expansionniste, comme ce fut le cas pour le Mexique elles pouvaient aussi constituer des arguments contre l’annexion de l’île. C’est ce que nous verrons plus en détail au cours du prochain chapitre. Mais avant cela, revenons aux différentes tentatives annexionnistes qui furent lancées de part et d’autre de la mer des Caraïbes.
Un mouvement populaire : les expéditions de flibustiers, 1849-1851
Chroniques d’expéditions avortées
63À peu près au même moment où l’administration Polk avait décidé de lancer des négociations en vue d’acheter l’île, soit le 23 juin 1848, James K. Polk recevait le sénateur du Mississippi Jefferson Davis et trois opposants cubains qui venaient lui faire part d’une révolte qu’ils préparaient sur l’île. Ils demandèrent à Polk que des troupes américaines fussent envoyées à Key West dans le but, disaient-ils, de protéger les citoyens américains. En réalité, ils cherchaient surtout à ce que l’armée américaine leur vînt en aide. N’ayant aucune intention de les aider Polk avait déjà prévu de saborder la révolte, de peur qu’elle ne vînt gâcher les négociations qu’il devait entamer avec l’Espagne. Il fit donc en sorte qu’aucun soldat américain ne se rendît à Cuba. Ainsi, il ordonna que les vaisseaux qui ramenaient des troupes américaines devant quitter le Mexique à partir de Vera Cruz, suite à la fin de la guerre, évitent les ports cubains.
64Ces instructions n’étaient pas uniquement la conséquence de l’entrevue que Polk avait eue le 23 juin 1848 avec les dissidents cubains. Robert E. May explique en effet que, dans les derniers mois de la guerre, des milliers de volontaires étaient rendus à la vie civile tandis que leurs officiers voyaient leurs chances de promotion disparaître avec la fin des hostilités. Aussi y eut-il un mouvement de désertion au sein de l’armée. De nombreux soldats se tournèrent vers la province du Yucatán qui avait fait sécession avec le Mexique en 1846, et était restée neutre durant le conflit américano-mexicain. Dans le même temps, un conflit civil s’y était déclenché entre la population indienne maya et la classe dominante blanche qui entra en contact avec les militaires américains en poste au Mexique pour obtenir leur aide dans son combat contre les Indiens. Outre le Yucatán, ces soldats pouvaient poursuivre leur carrière et leurs rêves de destinée manifeste à Cuba.
65C’est dans ce contexte qu’un agent du Club de la Habana du nom de Rafael de Castro fut envoyé à Jalapa, au Mexique. C’était également en juin 1848, soit au moment où les dernières forces d’occupation américaines, menées par le général Jenkins Worth, étaient sur le chemin de Vera Cruz pour embarquer vers les États-Unis. Castro devait se mettre en contact avec le général Jenkins Worth et lui proposer 3 millions de dollars pour recruter une armée de flibustiers constituée de 5 000 soldats américains, mener une invasion de l’île et écraser les troupes espagnoles. Le général s’était semble-t-il montré prêt à accepter cet accord aussitôt qu’il aurait démissionné de ses fonctions au sein de l’armée. Mais aucune expédition n’eut lieu à cette époque.
66Outre l’interdiction faite aux navires américains de passer par Cuba sur le chemin du retour, Polk ordonna également au consul américain à La Havane, Robert B. Campbell, de décourager les citoyens américains sur l’île de participer à une quelconque révolte. Et pour montrer aux Espagnols, avant d’entamer les négociations d’achat de l’île, que les intentions américaines étaient des plus honorables, Polk fit prévenir Madrid qu’une révolte se préparait sur l’île60.
67Il s’agissait là d’un projet différent de celui du Club de la Habana. Il était mené par un certain général Narciso López qui, dans les mois suivants, allait acquérir une grande popularité aux États-Unis. Fils d’un riche planteur, ce général né au Venezuela en 1797 avait été un membre éminent de la vie politique et militaire espagnole. Il avait en effet combattu dans les rangs de l’armée espagnole pendant les guerres d’indépendance en Amérique latine et avait ainsi accédé au grade de général de l’armée espagnole. Il était aussi représentant de la ville de Séville aux Cortès. En 1840, lorsque Gerónimo Valdés, un de ses supérieurs dans l’armée, fut nommé capitaine général de l’île de Cuba, López y occupa des fonctions officielles importantes. Mais, lorsqu’en 1843 le gouvernement libéral du général Espartero tomba, et avec lui le capitaine général Valdés, López perdit ses entrées au gouvernement – ainsi que ses illusions lorsqu’il vit la façon dont la métropole administrait sa colonie.
68C’est alors qu’il changea de camp et se retourna contre l’Espagne. Il commença à rassembler des volontaires dans diverses régions de l’île pour organiser une révolte, sous le nom de Conspiracy of the Cuban Rose Mines, dont le but était de conquérir l’indépendance de l’île. Au même moment, soit au cours des mois de mai-juin 1848, des rumeurs commencèrent également à se propager sur l’île à propos d’un plan mis au point par le Club de la Habana pour recruter un général de l’armée américaine afin qu’il menât une invasion de l’île. En juin 1848, Narciso López rencontra plusieurs membres du Club qui lui confirmèrent la véracité de ces rumeurs. Il fut ensuite introduit auprès du consul américain Robert B. Campbell qui lui confirma les plans du Club mais lui fit également savoir que les États-Unis n’avaient pas l’intention de soutenir un quelconque soulèvement anti-espagnol. Comme le Club avait besoin de temps avant d’obtenir la réponse du général Jenkins Worth, et qu’ils craignaient aussi que la rébellion de López ne provoquât une révolte d’esclaves, ils lui demandèrent de retarder l’exécution de son projet. Mais le 6 juillet 1848, avant de lancer la moindre révolte, López reçut l’ordre de comparaître devant le gouverneur de la province de Cienfuegos. C’était sans doute la conséquence des informations que Madrid avait reçues du gouvernement américain. Prévenu qu’il avait été trahi, il s’enfuit vers les États-Unis et arriva dans le port de Bristol, dans le Rhode Island, le 23 juillet 1848. Puis il élut domicile à New York où, avec la complicité de José María Sanchez Iznaga et de l’écrivain Cirilo Villaverde, il fonda La Junta Cubana (la Junte Cubaine), un groupe dont le but était d’organiser et de conduire une expédition armée vers Cuba en vue de la libérer. Entre-temps, l’Espagne le condamna à mort par contumace61.
69Au mois d’août 1848, le Club de la Habana envoya un autre de ses membres à Washington afin d’y rencontrer le général Jenkins Worth qui était rentré du Mexique. Cet émissaire, Ambrosio Gonzalez, devait une fois de plus convaincre le général de mener l’invasion. Ils lui offrirent à nouveau 3 millions de dollars en rétribution de ses services. Worth, qui n’avait ni démissionné de l’armée ni mené la moindre expédition vers Cuba, continuait toutefois de porter de l’intérêt au projet. Il accepta de négocier avec les Cubains et envoya même un agent sur l’île afin d’estimer l’étendue du soutien qu’il pouvait espérer de la part de la population cubaine. Finalement, aucune expédition n’eut lieu. Il existe deux versions sur les raisons de cette défection. D’une part Robert E. May soutien qu’il hésita à accepter officiellement la proposition du Club et qu’au mois de décembre 1848, il fut nommé commandant du département militaire du Texas et du Nouveau-Mexique. En acceptant cette nomination, il abandonna ainsi le projet cubain. D’après Chaffin en revanche le général Worth était tout à fait prêt à mener l’expédition mais mourut du choléra le 7 mai 1849 avant de pouvoir mener la moindre expédition62. S’il est pour le moment difficile de savoir lequel des deux détient la vérité, force est de constater que les efforts du Club de la Habana pour recruter des volontaires au sein de l’armée américaine échouèrent.
70Toutefois les membres du Club n’avaient pas dit leur dernier mot. Au printemps 1849, Ambrosio Gonzalez alla rejoindre Narciso López à New York. Il portait un message du Club de la Habana qui proposait à López la somme de 60 000 dollars pour l’aider à financer une expédition new yorkaise si ce dernier acceptait de trouver un général américain pour la mener. Bien avant d’être contacté par le Club, López avait bien tenté d’obtenir à Washington le soutien de personnages importants du gouvernement. Il avait par exemple contacté Calhoun qui, malgré son soutien officieux et son désir de voir l’île devenir un territoire américain, avait refusé de le soutenir publiquement. Il s’était ensuite tourné vers le sénateur démocrate du Mississippi, Jefferson Davis, qui lui refusa aussi son soutien tout en lui suggérant de se mettre en contact avec le capitaine Robert E. Lee qui refusa également de l’aider. López comprit alors que pour pouvoir mettre en place son projet il lui fallait se tourner vers New York. La ville était alors en plein essor économique et représentait une véritable mine pour qui cherchait à recruter des jeunes hommes en mal d’aventures. D’une part, elle abritait une importante population d’exilés cubains. D’autre part, elle avait des liens économiques et financiers directs avec la Perle des Antilles qui en était le principal fournisseur en sucre. De nombreux marchands new-yorkais avaient aussi des établissements commerciaux sur l’île et les financiers de la ville avaient fini par contrôler les planteurs cubains. Nombre de notables new-yorkais avaient donc des intérêts directs dans l’économie de plantation cubaine. C’est aussi à New York que López rencontra son allié le plus précieux en la personne de John Louis O’Sullivan qui, au cours des mois suivant sa rencontre avec López, voyagea à travers les États-Unis pour faire la promotion de l’entreprise de flibuste auprès de ses contacts démocrates63.
71Les efforts de López finirent par payer puisqu’il réussit à enrôler le colonel louisianais George W. White, autre vétéran de la guerre du Mexique, qui consentit à mener l’expédition. Grâce à une campagne publicitaire de grande envergure menée dans la presse américaine au cours de l’été 1849, López parvint aussi à recruter des centaines de volontaires. Les rumeurs de la conspiration n’avaient bien évidemment pas échappé à la nouvelle administration Taylor qui envoya alors des agents fédéraux pour enquêter sur ce phénomène. Ces derniers rapportèrent la présence de 600 hommes recrutés, semble-t-il, à la Nouvelle-Orléans, et regroupés sur l’île de Round Island, au large de la côte du Mississippi, où ils attendaient que le Fanny, un navire qui stationnait à la Nouvelle-Orléans, vînt les chercher pour les emmener à Cuba vers la fin du mois d’août 1849. Ils estimaient aussi que 800 hommes supplémentaires, venant de la Nouvelle-Orléans, devaient se joindre à ce groupe et que le même nombre de volontaires avait été recruté à Boston, New York et Baltimore64.
72Toutefois, López avait peu de chances de réussir. En effet, contrairement à son prédécesseur James K. Polk, le nouveau président Whig, Zachary Taylor, n’était pas un expansionniste acharné. Il était très attaché au respect de l’Acte de Neutralité de 1818 qui interdisait aux citoyens américains de rejoindre les mouvements indépendantistes d’Amérique latine. Aussi, lorsqu’il fut mis au courant de l’expédition, au mois d’août 1849, le président envoya de nombreux navires militaires afin de faire un blocus de Round Island jusqu’à ce que la faim et l’ennui se fussent emparé des volontaires, les poussant à quitter l’île et à abandonner leur projet. Le plan de Taylor s’avéra efficace puisqu’en octobre 1849, tous les flibustiers avaient fini par se rendre. Les agents fédéraux à la Nouvelle-Orléans saisirent le Fanny. À New York on saisit trois autres navires, dont un qui transportait des armes. C’était là la fin de la première tentative « d’invasion-libération » du général Narciso López. Tom Chaffin attribue l’échec de l’entreprise au manque de pragmatisme de O’Sullivan qui avait fait beaucoup trop de bruit pour un projet incompatible avec l’anti-expansionnisme avéré de l’administration de Taylor65.
73Mais López ne se découragea pas pour autant. Aussitôt après cet échec il se lança dans l’organisation d’une seconde expédition à partir de la Nouvelle-Orléans. D’après Lester Langley, si le climat politique de New York était tout à fait propice à ce genre d’entreprise, López avait plus de chances de succès s’il transférait ses quartiers généraux vers le Sud et plus particulièrement à la Nouvelle-Orléans66. Le choix de la Nouvelle-Orléans pour l’organisation et le lancement d’une seconde expédition n’était pas anodin. Tout d’abord, la ville était un important centre d’activités expansionnistes, avec des liens forts avec la guerre d’indépendance du Texas et la guerre du Mexique. Elle était le centre d’un nationalisme sudiste puissant qui rêvait de construire un empire devant s’étendre jusqu’aux Caraïbes. C’est d’ailleurs là que la fameuse revue De Bow’s Review fut déplacée après sa création à Charleston en 1845, et là qu’elle connut ses plus beaux jours. Le phénomène de la flibuste qui, selon Robert E. May, faisait partie intégrante de la culture américaine y était tellement populaire qu’il était soutenu par les hommes politiques locaux, y compris les Whigs normalement anti-expansionnistes. Ces derniers y voyaient en effet, et à juste titre, une arme électorale de taille sur le plan local.
74La ville portuaire était par ailleurs un centre commercial puissant. Toutefois, sa puissance commerciale commençait à décliner. En effet, au printemps 1850, la concurrence avec les autres ports de la côte est, en particulier New York, commençait à mettre en danger les échanges commerciaux avec l’Europe. Par conséquent, la classe des marchands se voyait bien étendre son activité vers des marchés tels que Cuba d’autant qu’ils commençaient à se sentir plus proches de l’Amérique latine et de l’Ouest des États-Unis. Une entreprise d’invasion de Cuba ne pouvait donc que susciter un très vif intérêt de leur part, d’autant que l’importation de sucre cubain tenait une place de choix dans leurs activités commerciales. L’annexion de Cuba à l’Union aurait aboli les droits de douanes et, avec la consommation croissante de sucre aux États-Unis, aurait fait la fortune des marchands de la Nouvelle-Orléans. La ville était donc un lieu idéal pour la mise en place d’expéditions de flibustiers67.
75Ainsi, dès le mois de décembre 1849, plusieurs nouvelles « conspirations » commencèrent à se mettre en place. Tout d’abord, les membres du Club de la Habana, menés par Cristóbal Madan, et leurs homologues new-yorkais du Consejo Cubano, étaient parvenus à la conclusion que toute expédition armée vers Cuba devait être plus grande, mieux financée et toujours menée par un officier de l’armée américaine. Madan fit alors un voyage dans l’Ouest pour négocier un accord avec un certain colonel John Williams. Il lui promit 8 millions de dollars pour lever une armée de 4 000 soldats, ce que ce dernier n’hésita pas à accepter. D’autre part, Madan et ses acolytes maintinrent le contact avec Narciso López, mais considérant qu’il n’était pas celui qu’il leur fallait pour mener l’expédition, ils lui cachèrent leurs pourparlers avec le colonel Williams et refusèrent de lui fournir des armes.
76Lorsqu’il apprit les démarches de Madan, López, très en colère de n’avoir pas été choisi pour mener l’expédition, refusa d’adhérer au Consejo de Organisación y Gobierno Cubano (Conseil d’organisation et de gouvernement cubain), la nouvelle organisation créée par Madan le 22 novembre 1849. Par ailleurs, le 5 décembre 1849, il publia une proclamation largement diffusée dans la presse, qui établissait un autre groupe : la Junta Promovedora de los Intereses políticos de Cuba (La Junte pour la promotion des intérêts politique de Cuba) avec la complicité d’Ambrosio Gonzalez, Cirillo Villaverde, et José María Sánchez Iznaga. Dans cette proclamation, López sollicitait ouvertement des soldats pour former et conduire une nouvelle expédition. Puis en février 1850, la rupture avec le Club de la Habana fut définitivement consommée lorsque John L. O’Sullivan, qui avait longuement hésité entre son beau-frère, Cristóbal Madan, et son nouvel allié, Narciso López, finit par choisir ce dernier mettant ainsi un terme à son amitié et à sa relation avec Cristóbal Madan.
77Tout en étant conscient que rendre son projet public pouvait nuire à sa cause, comme dans le cas de sa première tentative, López ne recula pourtant pas devant la publication régulière de ses discours et manifestes dans la presse nationale américaine. Selon Tom Chaffin, la publication de la proclamation du 5 décembre 1849 révélait un grand désespoir de la part de López. Ainsi écrit-il : « Le spectacle d’une organisation clandestine publiant des demandes publiques de recrues souligne la situation personnelle désespérée de López. En décembre 1849, sa fortune financière à Cuba était un lointain souvenir et une condamnation à mort lui pendait dessus. Mais une telle effronterie publique met aussi en lumière la politique souvent paradoxale des entreprises de flibuste et du républicanisme du xixe siècle68. » Autrement dit, tout en ayant une dimension personnelle, ces proclamations publiques, inscrivent López dans une tradition de protestation publique (sous forme de manifestations, pétitions, parades, etc.) propre aux pratiques démocratiques des États-Unis. En même temps, Chaffin souligne l’ambiguïté de ces mouvements qui, aux pratiques démocratiques de liberté d’expression mélangeaient celles, arbitraires et illégales, de l’invasion et du coup d’État militaire.
78Le 1er avril 1850, López et Gonzalez arrivèrent à la Nouvelle-Orléans où ils rencontrèrent d’éminents annexionnistes américains tels que Laurent Sigur, le rédacteur en chef du Delta, le juge John Cotesworth Pinkney Smith, de la Cour suprême du Mississippi, ainsi que le général John Quitman, qui avait été un des héros de la guerre du Mexique et occupait alors la fonction de gouverneur du Mississippi. Quitman se vit offrir la somme d’un million de dollars pour lever une armée de 4 000 hommes et mener l’invasion. Malgré son intérêt pour l’entreprise, il refusa de s’engager mais donna son accord pour mener un second assaut si le premier réussissait.
79À la fin du mois d’avril et au début du mois de mai 1850, trois navires qui s’étaient fait passer pour des navires transportant des immigrés vers la Californie quittèrent la Nouvelle-Orléans, avec mille passagers – pour la plupart américains – à leur bord. Ils s’étaient donné rendez-vous au large du Yucatán, où ils s’armèrent avant de se diriger vers Cuba à bord du Creole dans le but de débarquer à Matanzas, à l’est de La Havane. Finalement, plutôt que Matanzas, les flibustiers se retrouvèrent à Cárdenas, soit quelque 80 kilomètres à l’est de Matanzas. Une fois débarqués, ils parvinrent à entrer dans la ville mais, poursuivis par l’armée espagnole, ils durent rapidement rebrousser chemin. Leur bateau, le Creole, parvint à s’échapper et rejoignit Key West le 20 mai.
80De retour aux États-Unis, López se rendit aux autorités américaines à Savannah, en Géorgie, persuadé qu’il ne serait ni jugé ni emprisonné. Effectivement, bien qu’accusé d’avoir violé le traité de Neutralité de 1818, il fut rapidement libéré car la justice de l’État de Géorgie ne disposait pas de preuves formelles de sa culpabilité et ne parvenait pas à trouver des personnes susceptibles de témoigner contre lui. Le même scénario se produisit à Mobile, en Floride, et à la Nouvelle-Orléans. Là, les choses se passèrent différemment puisque le 22 juin 1850, López et treize citoyens américains, dont John Quitman faisait partie, furent jugés coupables par un grand jury d’avoir violé le traité de Neutralité de 1818. Toutefois, aucun d’entre eux ne fut emprisonné et, après la mise en évidence de plusieurs vices de procédure, Quitman, López et leurs acolytes furent libérés. Lester Langley montre que les hauts responsables de l’administration whig étaient bien déterminés à empêcher ces expéditions d’avoir lieu et à neutraliser López. Mais contrairement à ce que clamait l’Espagne, leur incapacité à le faire n’était pas le fait d’un quelconque soutien à ce genre d’expédition. Elle révélait plutôt l’étendue du soutien que López avait au sein de la population américaine, en l’occurrence sudiste69.
81Malgré le second échec de López, les autorités américaines le soupçonnaient de n’avoir pas abandonné son projet d’invasion-libération. Aussi, dans les mois suivant son arrestation le secrétaire d’État Daniel Webster demanda que l’on surveillât un autre navire, le Fanny, qu’il suspectait aussi de transporter des armes pour une nouvelle expédition. Le navire fit son apparition à la Nouvelle-Orléans le 31 janvier 1851. Dès son arrivée, il fut mis sous surveillance par les autorités portuaires locales qui y découvrirent effectivement un chargement d’armes. López était donc bien en train de préparer une troisième expédition. Des rumeurs concernant cette expédition circulèrent pendant des mois. Les autorités américaines étaient sur le qui-vive, prêtes à saisir tout navire suspect. À Cuba, et plus précisément à Puerto Príncipe, un groupe de rebelles avait même choisi le 4 juillet comme date de proclamation de l’indépendance cubaine, annonçant dans le Manifesto of Puerto Príncipe (Manifeste de Puerto Príncipe) que leur but était de placer l’île sous la protection des États-Unis. Ils espéraient en réalité que leur soulèvement coïnciderait avec une invasion générale de l’île par López. Ce dernier, qui espérait également profiter de l’agitation dans l’île, ne put toutefois partir qu’au mois d’août, accompagné de 435 hommes. Lorsqu’il quitta les États-Unis, il ne savait pas que les autorités coloniales espagnoles avaient été mises au courant du projet de révolte à Puerto Príncipe et en avaient décimé les rangs. Aussi, lorsqu’il débarqua à Bahía Honda, lui et ses camarades furent assaillis par des troupes espagnoles bien supérieures en nombre. Une cinquantaine d’hommes, parmi lesquels se trouvait le lieutenant William L. Crittenden, vétéran de la guerre du Mexique et neveu du ministre de la Justice de l’époque John J. Crittenden, furent capturés et jugés en cour martiale à Cuba. Ils furent ensuite exécutés le 6 août. López aussi fut capturé et exécuté le 1er septembre 185170.
82Les nouvelles de l’expédition et de l’exécution de ces cinquante Américains suscitèrent la colère de leurs compatriotes. À la Nouvelle-Orléans, une foule en délire envahit le consulat espagnol et en saccagea les bureaux. On accusa les Espagnols d’avoir commis les pires cruautés sur leurs captifs comme d’avoir coupé les oreilles du lieutenant Crittenden et de les avoir gardés dans une bouteille. On appela alors à une autre invasion de l’île pour libérer le reste des prisonniers cubains et américains. Mais le président Fillmore, qui avait remplacé Zachary Taylor à la mort de ce dernier le 9 juillet 1850, était bien déterminé à poursuivre la politique de son prédécesseur et à éviter à son pays une autre source d’embarras. Le 2 septembre 1851, il fit donc envoyer une circulaire aux ministres de la Justice des États du Texas, de Floride, Géorgie, Louisiane, Caroline du Nord, de Pennsylvanie et du Rhode Island en leur demandant d’être vigilants et de faire à tout prix appliquer la loi afin d’éviter une autre violation du traité de 181871. Le camp démocrate, et en particulier la partie sudiste, mais aussi une grande partie des Américains étaient loin de soutenir la politique de Fillmore72.
Le phénomène de la flibuste textuelle
83Ces entreprises militaires illégales de libération étaient nourries par un discours expansionniste puissant dans la presse nationaliste. Mais elles étaient aussi plébiscitées par ces journaux publiés en espagnol par la communauté de Cubains exilés aux États-Unis et dont La Verdad est l’exemple le plus célèbre. La Verdad faisait en effet partie d’une longue liste de journaux publiés par les Créoles dans le but d’encourager la population cubaine, résidant aux États-Unis et à Cuba, à se soulever contre l’Espagne en soutenant l’annexion par le biais des entreprises de flibuste. C’est ce que le spécialiste d’anglais et de littérature comparée Rodrigo Lazo appelle la « flibuste textuelle » (textual filibustering)73. L’ouvrage de Lazo est tout à fait original. Plutôt que de ne s’intéresser qu’à ces expéditions qui ont déjà fait l’objet d’une importante historiographie, Lazo met l’accent sur ce phénomène très particulier des « journaux de flibuste » (filibustero newspapers). Ces derniers virent le jour avec La Verdad, firent florès pendant toute la période pré-sécessionniste pour ensuite disparaître du paysage médiatique, en même temps que diminuait l’intérêt américain pour Cuba et que les États-Unis se dirigeaient vers la guerre de Sécession. La Verdad est le plus emblématique et le plus célèbre de ces journaux notamment parce qu’il fut celui qui survécut le plus longtemps. Rappelons qu’il fut lancé en 1848 sous l’impulsion du Club de la Habana, avec la précieuse aide logistique et financière du journaliste démocrate expansionniste Moses Yale Beach. Il cessa d’être publié en 1860, à la veille de l’éclatement du conflit civil. D’autres journaux de ce type en revanche ne survivaient parfois pas plus de quelques mois. La Verdad fut également le plus influent de ces journaux car, étant en partie écrit en anglais, il était lu dans les plus hautes sphères de l’administration américaine.
84Outre le fait d’être une mine d’informations sur ces journaux et sur la complexité de la communauté cubaine vivant aux États-Unis à l’époque, l’originalité de l’ouvrage de Lazo réside dans sa démonstration du fait que « la flibuste textuelle » ouvre de nouvelles directions dans l’étude de l’empire américain comme un réseau composé de plusieurs cultures, d’influences multiples et variées allant dans différentes directions74. Autrement dit, il ne s’agissait pas là du mouvement unilatéral d’une puissante nation vers une île dominée. Lazo met l’accent sur le fait que les « écrivains- flibustiers » cubains en exil aux États-Unis contribuèrent certes à la culture cubaine mais aussi à la littérature, à la presse et à la culture américaine. En révélant l’existence de cette communauté et de son activisme au sein de la presse annexionniste américaine, le travail de Lazo vient donc confirmer l’influence qu’exercèrent ces intellectuels et activistes créoles sur le mouvement expansionniste américain vers la Perle des Antilles.
85Même si, au final, ils ne parvinrent pas à influencer les hommes d’État dans le sens de leur cause, même s’ils ne parvinrent pas à pousser les habitants de l’île à prendre les armes et à se révolter, on ne peut et on ne doit pourtant pas les négliger car ils faisaient partie intégrante de l’histoire de la Destinée Manifeste. Profitant de leur présence aux États-Unis ils se servirent de leurs médias, utilisèrent le droit à la liberté d’expression qui leur était enfin octroyé pour défendre leur cause, et se servirent de leurs contacts avec des expansionnistes américains notoires pour faire avancer leur cause. Ces « écrivains-flibustiers » devraient donc occuper une place plus importante dans l’historiographie américaine de l’expansionnisme vers Cuba, ne serait-ce qu’en raison de leur rôle fondamental dans la campagne de propagande en faveur des expéditions de Narciso López, qu’ils contribuèrent d’ailleurs à ériger en véritable héros du combat pour l’indépendance cubaine après qu’il fut exécuté en 185175.
86Il est aussi intéressant de noter que ces écrivains ne se sont pas seulement servi des droits que les institutions américaines leur offraient pour s’exprimer librement. Ils sont allés jusqu’à s’approprier les préjugés américains contre l’Espagne pour servir leurs intérêts. C’est une fois de plus Rodrigo Lazo qui défend l’idée que ces intellectuels cubains se sont servi de la Légende Noire espagnole à leur profit. Ainsi écrit-il :
« Les États-Unis étaient un endroit propice pour les exilés cubains qui y trouvèrent une audience à leurs attaques contre “les tyrans espagnols”. Peut-être n’était-ce pas un hasard si les exilés cubains avaient lancé une guerre de propagande contre l’Espagne qui avait de fortes résonances avec le développement au cours des siècles de la “Légende noire” qui décrivait les Espagnols comme un peuple fanatiquement cruel et avide dans sa conquête des Amériques76. »
87Les intellectuels cubains installés aux États-Unis, toujours sous le joug de l’Espagne, se servirent pour cela du pamphlet de Bartolomé de las Casas, Brevísima Relación de la Destrucción de las Indias (Très brève relation de la destrution des Indes). Publié en 1552, ce texte avait été à l’origine de l’apparition de cette légende car il y faisait le procès de l’Espagne pour la mise en esclavage et la destruction du peuple indien dans ses colonies d’Amérique latine. Ils utilisèrent ces écrits et les préjugés américains pour nourrir leur discours contre le pouvoir espagnol, allant jusqu’à assimiler la façon dont l’Espagne les traitait aux massacres des Indiens au moment de la Conquête.
88Ces exemples permettent de souligner une fois de plus l’activisme des Créoles en exil. Souligner leurs efforts et leur détermination à voir leur projet aboutir est important car ils montrent que loin d’être un mouvement unilatéral le mouvement expansionniste américain en direction de la Perle des Antilles, était largement influencé par l’action de ces influents Créoles. Cet activisme créole vient aussi contredire l’image que les voyageurs occidentaux de l’époque ont souvent donnée de la population cubaine, soit celle d’un peuple passif qui acceptait docilement la servitude imposée par l’Espagne.
La flibuste américaine vue par les consuls britanniques : une occasion de provoquer l’abolition de l’esclavage sur l’île
89Étant donnée leur popularité au sein de l’opinion publique, en particulier dans le Sud, il n’aurait pas été surprenant que ces tentatives militaires de libération de l’île eussent été mentionnées par les représentants officiels de la couronne d’Angleterre dans leur correspondance avec leur ministère de tutelle. Toutefois, seule l’expédition fatale de 1851 est mentionnée et commentée par certains consuls, peut-être parce que ce fut la seule où les flibustiers avaient débarqué sur le sol cubain – pour y connaître un sort tragique. Il est aussi surprenant de constater que le consul en poste à la Nouvelle-Orléans, William Mure, n’ait pas jugé bon de faire cas de ces expéditions alors que la ville était un centre expansionniste très actif et fut le point de départ d’une partie des troupes enrôlées dans les expéditions de López. De même, les consuls Molyneux et Lynn, respectivement en poste à Savannah, en Géorgie, et Galveston, au Texas, furent fort peu diserts sur la question77.
90Les consuls les plus intéressés par ces missions militaires et l’expansionnisme des Sudistes étaient les consuls Mathew et Bunch qui se succédèrent au consulat de Charleston, en Caroline du Sud, là où paradoxalement, selon Mathew, les organisateurs recrutèrent fort peu de volontaires. Leur intérêt tient peut-être au fait qu’ils résidaient dans l’État qui menait la bataille pro-esclavagiste. Ainsi, au cours de l’année 1851, le consul George Mathew envoya six dépêches assez détaillées et bien informées sur le déroulement des opérations dans les États concernés, sur le nombre de volontaires, leurs origines, leurs chefs, etc. Par ailleurs, ses rapports n’étaient pas faits dans le cadre de la correspondance officielle. Ils étaient en effet placés sous le sceau de la confidentialité car tous revêtaient la précision « privé » ou « confidentiel » et, pour les premiers du moins, semblent avoir été le fait de la propre initiative du consul. Ces dépêches révèlent d’une part l’intérêt du consul pour l’actualité politique américaine. D’autre part, sortir du cadre de ses prérogatives officielles pour traiter d’une actualité brûlante qui aurait pu faire le jeu de Londres, pouvait aussi être une façon d’attirer l’attention de ses supérieurs, afin de monter en grade par la suite.
91Car George Mathew ne se contente pas de donner le détail des expéditions mais s’attache aussi à exposer ses opinions, qui allaient dans le sens de ce que Londres souhaitait voir arriver à Cuba, soit la fin de l’esclavage. Ainsi considère-t-il que le Sud et l’esclavage étaient des éléments fondamentaux de ces expéditions. Il commence par faire une claire distinction parmi les volontaires entre les recrues nordistes et sudistes. Il explique très justement que les volontaires recrutés au Nord étaient pour la plupart d’origine étrangère et recherchaient surtout l’aventure. En revanche ceux qui avaient été recrutés au Sud étaient tous natifs des États-Unis s’étaient enrôlés pour des raisons politiques et idéologiques voyant dans cette expédition le moyen d’ajouter à l’Union un État esclavagiste qui aurait permis au Sud de retrouver un équilibre avec les États du Nord au sein du Congrès78. Car si Nord et Sud avaient un nombre égal de sièges au Sénat, il n’en était pas de même à la Chambre des représentants où les Nordistes étaient majoritaires et avaient donc plus de pouvoir. L’accroissement démographique était en effet plus important dans ces États, notamment grâce à l’affluence des immigrants qui s’installaient majoritairement dans le Nord et permettaient d’augmenter le nombre de sièges dont ces États bénéficiaient à la Chambre.
92L’esclavage était aussi central pour une autre raison. D’après lui le maintien de l’institution à Cuba aurait immanquablement mené à son entrée dans l’Union, tandis que son abolition par l’Espagne était la garantie la plus sûre de la non-annexion de l’île aux États-Unis. L’abolition de l’esclavage cubain aurait ainsi mis fin à toute velléité d’annexion de la part des Sudistes qui en seraient alors devenus les plus fervents opposants. Le consul Mathew insiste donc auprès de ses supérieurs sur le fait que seule l’abolition pouvait sauver Cuba des griffes américaines. En témoignent deux passages quasiment identiques. Dans une lettre du 17 avril 1851, il écrit :
« J’ai la conviction que (à l’instar du Texas) rien à l’avenir ne préservera79 Cuba des États-Unis si ce n’est l’émancipation immédiate des esclaves, par proclamation Royale, accompagnée d’une promesse de compensation [faite aux planteurs] pour chaque esclave libéré…
Ceci ne fera pas que mettre fin à la sympathie des États du Sud mais en fera les ennemis80 de tout lien entre les États-Unis et cette l’île81. »
93Quelques semaines plus tard, il ajoute :
« Je ne suis pas, Votre Excellence, en position de connaître les vues du gouvernement espagnol ou américain, mais je suis conscient que certains des hommes d’État les plus éminents de l’Union ont récemment exprimé leur intime conviction que la poursuite des dépenses requises [pour le maintien d’un corps militaire important], et l’inquiétude constante [d’attaques ou de révoltes] pourraient conduire le gouvernement espagnol à envisager l’idée de céder Cuba, de même que le fut la Floride, aux États-Unis.
Je ne vois certainement aucune autre issue aux exigences qui pèsent actuellement sur l’Espagne pour la protection de Cuba, à moins que, par une émancipation immédiate des esclaves, accompagnée d’une loi agraire qui définirait et ferait respecter les heures de travail et le salaire [des anciens esclaves], le Gouvernement espagnol n’engage les États du Sud comme les opposants les plus fervents82 – au lieu d’être les bailleurs de fonds – à quelque plan d’annexion de cette Île à l’Union83. »
94Puis, lorsqu’il apprit la nouvelle de la mort de López, il envoya une note à Londres, à laquelle il joignit un article sur l’expédition qui soutenait que López avait été attiré dans un piège par le capitaine général et par ceux qu’il pensait être ses amis. Sa décision de lancer une expédition n’aurait donc pas été le fruit de son désir de libérer l’île mais le résultat d’une manipulation et d’une trahison – ce qui semble un peu difficile à présent que nous connaissons le personnage. D’après ce même récit, les soldats espagnols se seraient battus contre lui contre leur gré et si López avait pu obtenir davantage de soutien de la population locale l’expédition aurait pris une autre tournure. Le consul avance ensuite deux raisons pour expliquer le manque de soutien des Cubains pour l’entreprise de López. D’une part, le capitaine général avait menacé d’abolir immédiatement l’esclavage – et de ruiner les planteurs – si la population avait osé participer à une quelconque entreprise de ce genre. D’autre part, il y aurait eut selon lui plusieurs milliers de volontaires pour cette expédition mais le manque d’argent les aurait empêché de s’enrôler aux côtés de López. Pour finir, Mathew répète que la seule façon de sauver l’île de nouvelles attaques sudistes aurait en effet été d’abolir l’esclavage84.
95Sans jamais mentionner dans ses dépêches les efforts répétés de son pays pour mettre fin à la traite négrière à Cuba donc à l’esclavage, on comprend toutefois que ses remarques insistantes sur l’abolition immédiate de l’institution esclavagiste cubaine étaient plus que des opinions formulées de façon anodine. L’abolition immédiate aurait en effet arrangé les affaires de Londres. D’une part, les Britanniques seraient enfin parvenus à faire triompher une cause très populaire au sein de l’opinion publique et pour laquelle ils se battaient depuis longtemps. D’autre part, en se débarrassant de l’esclavage à Cuba, ils se débarrassaient aussi des Américains. Par conséquent, ils seraient restés les maîtres des Caraïbes, ainsi qu’ils le désiraient. Enfin, comme le dit clairement Richard Madden dans son récit de voyage sur l’île, la fin de l’esclavage à Cuba aurait augmenté le prix du sucre cubain et permis une concurrence plus loyale avec la production sucrière des Antilles anglaises. Finalement, cela aurait eu une incidence positive sur l’économie de ces mêmes Antilles et sur l’économie britannique dans son ensemble.
96L’ouvrage de Madden, intitulé The Island of Cuba: its resources, progress and prospects, considered in relation especially to the influence of its prosperity on the interests of the British West India Colonies, fut publié à Londres en 1849, soit avant ces fameuses expéditions. Il commence par une citation du célèbre abolitionniste anglais, Granville Sharp, qui dénonce la cruauté de la traite négrière et celle de l’esclavage. Puis Madden dédie son livre à Sir James Stephens, pour sa longue implication dans les affaires coloniales et son dévouement à l’empire britannique. Le titre et les premières lignes de l’ouvrage montrent que le point de vue est assez différent des écrits qu’il avait publiés sur Cuba auparavant. Cette fois, il s’agit d’étudier la situation économique, politique et sociale de l’île par rapport à sa relation avec la situation économique des Antilles anglaises.
97C’est dans la longue introduction qu’il s’attache à démontrer que l’économie esclavagiste prospère de Cuba et du Brésil avait eu des conséquences négatives sur les Antilles anglaises dont la production sucrière avait particulièrement souffert. Aussi, le gouvernement britannique se devait-il d’examiner la question. Parmi les mesures économiques que Madden préconise pour remettre à niveau les colonies et donc relancer une partie de l’économie britannique, l’abolition de la traite à Cuba et au Brésil occupe une place de choix. Il explique en particulier que la prospérité cubaine est essentiellement due à la poursuite de la traite et à l’investissement de capitaux américains dans la production sucrière, alors que les colonies anglaises manquent cruellement de capitaux, ce qui les empêche de se mettre à niveau et de concurrencer les Cubains et les Brésiliens. Il prédit alors la fin prochaine de l’esclavage à Cuba et, dans cette perspective, préconise la mise en place rapide de mesures économiques efficaces et d’une politique d’immigration de travailleurs blancs dans les colonies anglaises afin de pouvoir reprendre le dessus aussitôt l’esclavage cubain et brésilien abolis.
98Cet argumentaire nous ramène aux dépêches du consul Mathew et à son raisonnement paradoxale sur le fait que la menace croissante de l’annexion américaine pouvait jouer en faveur de la Grande-Bretagne si celle-ci parvenait enfin à faire entrevoir à l’Espagne les bénéfices d’une abolition immédiate. La preuve que les remarques de Mathew intéressaient le Foreign Office et qu’elles correspondaient aux visées de Londres réside dans le fait qu’il reçut l’approbation de ses supérieurs pour ses rapports détaillés, et des encouragements à poursuivre dans cette voie, ce qu’il fit bien volontiers. En effet, en mars 1852, Mathew informa ses supérieurs de visites répétées à Charleston du général Ambrosio Gonzalez, le second de feu Narciso López. Il y aurait rencontré à plusieurs reprises un certain colonel Titus, auquel le consul attribue le recrutement de volontaires en Géorgie et dans le Tennessee pour la dernière expédition de López. Il s’agissait là de signes évidents pour lui qu’une nouvelle expédition était en préparation, pour laquelle les organisateurs n’auraient eu aucun mal à recruter des volontaires parmi la population locale. Cela lui donne l’occasion de réitérer l’idée selon laquelle l’abolition mettrait un terme à ce genre de projet et permettrait à l’Espagne de diminuer ses dépenses militaires sur l’île. D’après lui, les politiques américains étaient pleinement conscients des besoins d’argent de Madrid qui, de ce fait, pouvait répondre favorablement à une éventuelle proposition d’achat des États-Unis85. Cette dernière remarque est tout à fait intéressante car elle montre que Mathew avait des qualités d’observation, et même d’anticipation, très développées. En effet, malgré la tentative infructueuse de l’administration Polk à acheter Cuba, les Américains n’avaient pas abandonné tout espoir d’acquisition et allaient renouveler leur proposition d’achat au cours des années 1850.
99Dans le dernier épisode de la mésaventure de Narciso López, outre la cinquantaine de prisonniers américains qu’elles avaient exécutés, les autorités espagnoles avaient aussi capturé 162 flibustiers qui, après les premières exécutions, furent envoyés en Espagne pour y être jugés. Au mois de novembre 1851, afin de favoriser la clémence espagnole et faciliter leur libération, le secrétaire d’État Daniel Webster adressa à Madrid une longue condamnation de López, dépeint comme un révolutionnaire déviant qui avait trompé ces volontaires naïfs en leur racontant des mensonges. Mais les Espagnols étaient profondément mécontents, à tel point qu’en 1852, ils proposèrent un traité tripartite visant à leur garantir la possession de Cuba, avec l’aide européenne. La France et la Grande-Bretagne étaient d’accord et, en avril 1852, proposèrent un texte à Daniel Webster. Mais la mort de ce dernier à l’automne, laissa l’affaire entre les mains de son successeur Edward Everett, le frère d’Alexander Hill Everett. Bien que membre du parti whig, Edward Everett était tout aussi persuadé que son démocrate de frère que Cuba était destinée à entrer un jour dans le giron américain. Il rejeta donc la proposition d’un accord tripartite et produisit en plus une défense retentissante du droit des États-Unis à s’étendre vers les Caraïbes, s’inscrivant ainsi dans la tradition de John Quincy Adams pour qui Cuba représentait une garantie essentielle à la sécurité nationale américaine86.
100La fin tragique de López et de certains de ces acolytes ne marqua pourtant pas la fin des projets cubains de révoltes-invasion. Des soulèvements annexionnistes et de nombreuses conspirations eurent lieu sur l’île au cours des années 1850. Mais tous échouèrent. Aux États-Unis, les efforts annexionnistes ne s’arrêtèrent pas non plus avec la mort de López. L’administration whig Taylor - Fillmore fut remplacée par une administration démocrate expansionniste, celle de Franklin Pierce, qui lança la dernière tentative diplomatique d’acquisition de la Perle des Antilles avant l’éclatement de la guerre de Sécession. Mais cette perspective, aussi alléchante fut-elle, n’allait pas sans susciter une certaine ambivalence dans les milieux expansionnistes, y compris parmi les Sudistes.
Notes de bas de page
1 Hugues G., Une Théorie de l’État esclavagiste. John Caldwell Calhoun, Aix-en-Provence, Publications de l’université de Provence, 2004, p. 48.
2 Avant d’être gouverneur du Tennessee, de 1835 à 1839 Polk occupa la fonction de Speaker au Congrès, en partie sous la présidence d’Andrew Jackson, dont il était un fervent partisan. Durant son mandat en tant que Speaker, il maintint fermement le « Gag Rule » qui interdisait la mention de toute mesure visant à ‘abolir l’esclavage. Autrement dit, l’Union se dotait une fois de plus d’un président acquis à la cause sudiste. Merk F., « A Safety Valve Thesis and Texan Annexation », The Mississippi Valley Historical Review, vol. 49, décembre 1962, p. 413-436. Pour une biographie de Polk, voir Sellers C. G., James K. Polk, Jacksonian, 1795-1843, Princeton, Princeton University Press, 1957, et Sellers C. G., James K. Polk, Continentalist, 1843-1846, Princeton, Princeton University Press, 1967.
3 Everett to Del Monte, June 19th, 1844, Figarola-Caneda D. (dir.), Centón epistolario, vol. 6, p. 48.
4 Merk F., op. cit., p. 411-413.
5 Everett to Del Monte, August 30th, 1844, Figarola-Caneda D. (dir.), Centón epistolario, vol. 6, p. 95. Nous avons ajouté les italiques.
6 Everett to Del Monte, November 27th, 1844, Figarola-Caneda D. (dir.), Centón epistolario, vol. 6, p. 129-131.
7 Merk F., op. cit., p. 23-24 ; Hugues G., op. cit., p. 48-49.
8 Pratt J. W., « The Origin of Manifest Destiny », American Historical Review, vol. 32, 1927, p. 795-798 ; Horsman R., Race and Manifest Destiny, Cambridge, Harvard University Press, 1981, p. 218-219 ; Johannsen R. W., « The Meaning of Manifest Destiny », S. Haynes et C. Morris (dir.), Manifest Destiny and Empire: American Antebellum Expansionism, College Station, Texas A & M University Press, 1997, p. 7-9.
9 Johannsen R. W., op. cit., p. 9-15. Pour une analyse rapide et claire des origines de cet esprit « missionnaire » chez les Américains, voir Stephanson A., Manifest Destiny: American Expansionism and the Empire of Right, New York, Hill & Wang, 1995, et plus particulièrement le chapitre i.
10 Weeks W. E., Building the Continental Empire: American Expansion from the Revolution to the Civil War, Chicago, Ivan R. Dee, 1996, p. 113-116 ; Chaffin T., Fatal Glory: Narciso López and the First Clandestine U.S. War against Cuba, Charlottesville, University Press of Virginia, 1996, p. 142-156.
11 Chaffin T., op. cit., p. 28. Voir aussi Dexter Perkins qui considère aussi la question texane comme un tournant dans l’histoire américaine. Il y voit en particulier le moment où, sous l’impulsion de James K. Polk, la doctrine Monroe fut remise au goût du jour et surtout fit sa véritable entrée dans la rhétorique politique américaine. Perkins D., A History of the Monroe Doctrine, Boston, Little, Brown and Company, 1963, p. 75-93.
12 Pour une étude du discours des hommes d’État sudistes sur l’annexion de l’Oregon à l’Union, voir l’article de Franklin J. H., « The Southern Expansionists of 1846 », Journal of Southern History, vol. 25, n° 3, 1959, p. 323-338.
13 Bailey T. A., A Diplomatic History of the American People, New York, F. S. Crofts, 1947, p. 262-270. D’après Bailey, le jour même où le Congrès donna son accord pour la guerre, Polk avait ordonné qu’on laissât le général mexicain Santa Anna retourner au Mexique. Ce dernier était alors en exil à Cuba et, en février 1840, avant que la guerre n’éclatât, avait fait savoir à Polk que si on le laissait retourner au Mexique, il ferait immédiatement la paix avec les États-Unis et leur vendrait les territoires qu’ils désiraient acquérir. C’est dans cet espoir que Polk avait laissé passer Santa Anna. Mais une fois de retour chez lui, ce dernier changea son fusil d’épaule et encouragea ses compatriotes à combattre l’envahisseur étasunien. Bailey T. A., op. cit., p. 272-273.
14 Pour des récits de la guerre du Mexique voir Pitts Fuller J. D., The Movement for the Acquisition of All Mexico, 1846-1848, Baltimore, Johns Hopkins Press, 1936 ; Price G. W., Origins of the War with Mexico; The Polk Stockton Intrigue, Austin, University of Texas Press, 1967 ; Pletcher D. M., The Diplomacy of Annexation; Texas, Oregon, and the Mexican War, Columbia, University of Missouri Press, 1973.
15 Weeks W. E., op. cit., p. 122. Cela semblait d’autant plus évident que la majorité des cent mille hommes envoyés au combat venaient des États du Sud.
16 Fuller J. D. P., « The Slavery Question in the Movement to Acquire Mexico, 1846-1848 », The Mississippi Valley Historical Review, vol. 21, n° 1, 1934, p. 31-48.
17 Weeks W. E., op. cit., p. 113-139 ; Chaffin T., op. cit., p. 28-30.
18 Horsman R., op. cit., p. 208-217 ; Hietala T. R., Manifest Design. Anxious Aggrandizement in Late Jacksonian America, Ithaca, Cornell University Press, 1985, p. 132-172.
19 Horsman R., op. cit., p. 229-231 ; Fuller J. D. P., op. cit., p. 40.
20 Horsman R., op. cit., p. 220-225. Il faut aussi ajouter que la Grande-Bretagne était très puissante à l’époque, ce qui fut certainement une raison suffisante de ne pas entrer en conflit avec elle.
21 Ibid., p. 151-157, 174-175.
22 Ibid., p. 165-169.
23 Polk lui avait promis que s’il réussissait dans sa mission, il serait choisi comme candidat du parti démocrate aux élections présidentielles qui devaient se tenir en 1848. Mais d’après Sears, Trist était assez peu intéressé par le pouvoir et ne cherchait qu’à servir la nation de façon désintéressée. L. M. Sears, « Nicholas P. Trist, a Diplomat with Ideals », Mississippi Valley Historical Review, vol. 11, n° 1, 1924, p. 91-93.
24 Rappelons que Trist avait épousé la petite-fille de Jefferson, Virginia Jefferson Randolph, et qu’il était particulièrement attaché aux principes et à la pensée d’un des Pères Fondateurs de la nation.
25 Sears L. M., op. cit., p. 93-94 ; Bailey T. A., op. cit., p. 274-276. Pour des données plus récentes et plus complètes, voir Drexler R. W., Guilty of Making Peace. A Biography of Nicholas P. Trist, Lanham, University Press of America, 1991.
26 Madden R. R., The Island of Cuba: its resources, progress and prospects, considered in relation especially to the influence of its prosperity on the interests of the British West India Colonies, 1849, London, Partridge and Oakey, 1853, p. 86-87.
27 May R. E., The Southern Dream of a Caribbean Empire, 1854-1861, 3e ed., Gainseville, University Press of Florida, 1973, p. 22-23.
28 Foner P. S., A History of Cuba and its Relation with the United States, 2 vol., New York, International Publishers, 1962-1963, vol. 1, p. 228.
29 Lazo R., Writing to Cuba. Filibustering and Cuban Exiles in the United States, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2005, p. 10-11.
30 Pérez L. A. Jr. L. A. Jr., Cuba and the United States: Ties of Singular Intimacy, Athens, University of Georgia Press, 1990, p. 45-46.
31 Villaverde fit aussi partie de ces écrivains qui s’exilèrent aux États-Unis où il publia la version définitive de son fameux roman, en 1882, soit plus de quarante ans après la première version.
32 Humboldt A., The Island of Cuba, J. S. Thrasher (trad.), New York, Derby and Jackson, 1856.
33 Foner P. S., op. cit., vol. 2, p. 10-11.
34 Chaffin T., op. cit., p. 9-28 ; Foner P. S., op. cit., vol. 2, p. 20-22 ; Drexler R. W., op. cit., p. 9.
35 Pérez L. A. Jr., op. cit., p. 45-46 ; Foner P. S., op. cit., vol. 2, p. 11.
36 Chaffin T., op. cit., p. 21.
37 Chaffin T., op. cit., p. 9-28 ; Foner P. S., op. cit, vol. 2, p. 11.
38 Cité par Chaffin T., op. cit., p. 31. Voir aussi Foner P. S., op. cit., vol. 2, p. 20-23.
39 D’après Lester Langley, c’est même lui qui aurait proposé la somme de 100 millions de dollars. Langley L. D., « The Whigs and the López Expeditions to Cuba, 1849-1851: A Chapter in Frustrating Diplomacy », Revista de Historia de América, vol. 71, 1971, p. 10-11.
40 Chaffin T., op. cit., p. 35 ; Foner P. S., op. cit., p. 23-29.
41 Ibid.
42 Sa magnanimité ne résistera pourtant pas à la montée des tensions à la fin des années 1850 et à la guerre de Sécession. Floan H. R., The South in Northern Eyes, 1831-1861, Austin, University of Texas Press, 1958, p. 149-163.
43 Foner P. S., op. cit., vol. 1, p. 111-119.
44 Bryant W. C., Letters of a Traveller; or Notes of Things Seen in Europe and America, 2e ed., New York, G. P. Putnam, 1850.
45 Bryant W. C., op. cit., p. 378-379.
46 Norman B. M., Rambles by land and water, or notes of travel in Cuba and Mexico; including a canoe voyage up the river Panuco; and researches among the ruins of Tamaulipas, New York, Paine and Burgess, 1845, p. 32-33.
47 Cité par Foner P. S., op. cit., vol. 2, p. 11. Voir aussi Norman B. M., op. cit., p. 78.
48 Norman B. M., op. cit., p. 28.
49 Madden R. R., op. cit., p. 84. Ce qui est tout à fait vrai, mais cela occulte le fait que les premières mesures de modernisation et le tournant vers l’économie sucrière fut préconisé par des « réformistes » créoles, et en particulier José de Arango y Pareño.
50 Pérez L. A. Jr., op. cit., p. 13-14 ; Herrera R., « Cuba : base de la reconquête de l’Amérique espagnole. Une réponse esclavagiste à la révolution de Saint-Domingue », M. Dorigny et M.-J. Rossignol (dir.), La France et les Amériques au Temps de Jefferson et de Miranda, Paris, Collection études révolutionnaires, 2001, p. 125-135.
51 Bryant W. C., op. cit., p. 389-401.
52 Ibid., p. 399.
53 Ibid., p. 399-400. Nous avons ajouté les italiques.
54 Madden R. R., op. cit., p. 71. Nous avons ajouté les italiques.
55 Taylor J. G., The United States and Cuba: Eight years of Change and Travel (1842-1850), London, R. Bentley, 1851, p. 83-126, 202-212, 216-217, 320-323.
56 Bryant W. C., op. cit., p. 400-401. Nous avons ajouté les italiques.
57 Ibid., p. 392-393.
58 Ibid., p. 394.
59 Taylor J. G., op. cit., p. 320-323.
60 Chaffin T., op. cit., p. 31-33. Pour des informations concernant Robert Blair Campbell, le consul américain à La Havane de 1842 à 1850, voir Biographical Directory of the United States Congress [http://bioguide.congress.gov/scripts/biodisplay.pl?index=C000098], dernière consultation le 21 juin 2013.
61 Langley L. D., « The Whigs and the López Expeditions to Cuba, 1849-1851: A Chapter in Frustrating Diplomacy », Revista de Historia de América, vol. 71, 1971, p. 12 ; Chaffin T., op. cit., p. 30-40.
62 May R. E., « Young American Males and Filibustering in the Age of Manifest Destiny: The United States Army as a Cultural Mirror », Journal of American History, décembre 1991, p. 879-882 ; Chaffin T., op. cit., p 45-46.
63 Chaffin T., op. cit., p. 40-60, 71.
64 Ibid., p. 65.
65 Chaffin T., op. cit., p. 67-71.
66 Langley L. D., op. cit., p. 13.
67 Osterweis R. G., Romanticism and Nationalism in the Old South, New Haven, Yale University Press, 1949 ; Chaffin T., op. cit., p. 86-99.
68 Chaffin T., op. cit., p. 72-79.
69 Langley L. D., op. cit., p. 12-16.
70 Ibid., p. 16-17 ; May R. E., op. cit., p. 879-882.
71 Langley L. D., op. cit., p. 17-18.
72 Ibid., p. 21-21 ; May R. E., op. cit., p. 879-882.
73 Lazo R., op. cit., p. 89.
74 Lazo R., op. cit., p. 89.
75 Lazo R., « Los Filibusteros: Cuban Writers in the United States and Deterritorialized Print Culture », American Literary History, vol. 15, n° 1, printemps 2003, p. 87-106.
76 Lazo R., op. cit., p. 86.
77 Consul Molyneux to Foreign Office, Savannah, May 1st, 1851 ; Molyneux to Foreign Office, Savannah, May 9th, 1851, PRO, FO 5/535, f° 157-163, 164 ; Consul Lynn to Foreign Office, Galveston, August 10th, 1851, PRO, FO 5/536, f° 135-136.
78 Consul Mathew to Foreign Office, May 26th, 1851 ; Mathew to FO, October 18th, 1851, PRO, FO 5/535, f° 88-92, 105-107.
79 Souligné deux fois dans le texte original.
80 Souligné une fois dans le texte original.
81 Consul Mathew to Foreign Office, April 17th, 1851, PRO, FO 5/535, f° 76-79.
82 Souligné dans le texte original.
83 Consul Mathew to Foreign Office, May 26th, 1851, PRO, FO 5/535, f° 88-92.
84 Consul Mathew to Foreign Office, September 9th, 1851, PRO, FO 5/535, f° 99-102.
85 Consul Mathew to Foreign Office, March 18th, 1852, PRO, FO 5/551, f° 115-118.
86 Mr Everett to the Comte de Sartige, Department of State, Washington, December 1st, 1852, Hale E. E. (dir.), Cuba, the Everett Letters on Cuba, Boston, Ellis, 1897.
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