Chapitre IV. Une amitié américano-cubaine, une conspiration internationale à Cuba et les prémices de la Destinée Manifeste, 1841-1844
p. 113-146
Texte intégral
1L’amitié qui se noua entre le Cubain Del Monte et l’Américain Alexander Hill Everett pourrait, à première vue, paraître anecdotique. Elle eut pourtant des répercussions directes sur l’attitude de l’administration américaine vis-à-vis de la Perle des Antilles, d’autant qu’elle se tissa dans un contexte d’agitation politique qui allait mener à des événements tragiques sur l’île, entre 1843 et 1844. Ce qui se déroula alors dans cette île que les voyageurs européens et américains voyaient comme un lieu paradisiaque était en réalité bien plus proche de l’Enfer que de l’Eden. Ces événements, qui marquèrent l’histoire cubaine au fer rouge, avaient une dimension véritablement transatlantique. Ce sont ces ramifications internationales qui nous intéressent et en particulier la façon dont cet épisode sanglant de l’histoire cubaine s’insère dans le contexte américain. Car cette amitié et les événements cubains coïncidèrent avec le début de « la tempête » expansionniste américaine qui allait bientôt s’abattre sur le reste du continent et sur Cuba. Aux États-Unis, la conjoncture politique était en effet très favorable à l’idéologie expansionniste avec l’arrivée au pouvoir d’une administration dominée par des Sudistes pro-esclavagistes expansionnistes. Autrement dit, le mouvement expansionniste très agressif qui s’amorça aux États-Unis au cours des années 1840 ne doit pas simplement se comprendre dans le cadre politique intérieur. L’action des Britanniques contre la poursuite de la traite à Cuba et les pressions de certains Cubains jouèrent également un rôle non négligeable dans la mise en place de l’idéologie de la Destinée Manifeste.
Quand un réformiste cubain et un annexionniste américain se rencontrent
Premiers contacts à Cuba
2Rappelons qu’Alexander Hill Everett avait été envoyé à La Havane au cours de l’été 1840 par le président Van Buren suite aux nombreuses plaintes que l’administration avait reçues au sujet du consul Trist. Everett avait donc pour mission d’enquêter sur l’affaire Trist mais également de se renseigner sur l’état économique et politique de l’île car cela pouvait directement affecter ses relations avec l’Union.
3En décidant d’envoyer Everett, Van Buren n’avait pas choisi n’importe quel émissaire. Né à Boston en 1792 d’un père pasteur, et diplômé d’Harvard en 1806, Alexander Hill Everett avait été le plus jeune de sa promotion mais aussi le premier. Après ses études, à partir de 1808, il commença l’étude du droit dans le cabinet de John Quincy Adams, avec qui il entretint de très fortes relations. En 1809, Adams l’emmena d’ailleurs avec lui en Russie lorsqu’il y prit ses fonctions de ministre. Everett fut son secrétaire personnel pendant deux ans1. En plus d’être un homme politique respecté aux États-Unis pour ses positions sur la guerre de 1812, qu’il avait encouragée, Everett était un fin diplomate, un homme de lettres respecté et un grand connaisseur de la langue espagnole qu’il maîtrisait parfaitement. En effet, sa maîtrise de la langue de Cervantès ainsi que sa relation quasi-filiale avec John Quincy Adams le portèrent de 1824 à 1829, sous la présidence de ce dernier, au poste d’ambassadeur des États-Unis à la cour d’Espagne. Il y entretint d’excellentes relations avec les officiels espagnols, notamment avec le capitaine général de Cuba de l’époque, le prince d’Anglona. Tout comme son mentor, Everett était convaincu que la possession de Cuba était indispensable à la sécurité de l’Union. Il profita donc de sa fonction d’ambassadeur à Madrid pour commencer des négociations officieuses avec le gouvernement espagnol en vue d’acquérir l’île et fit part de ses intentions dans une lettre privée qu’il adressa le, 30 novembre 1825, à John Quincy Adams. Il est indispensable de se pencher sur le contenu de cette lettre car elle révèle les convictions du personnage et montre que sa présence à La Havane en 1840 n’avait rien d’anodin.
4Everett y relate les conversations qu’il a eues avec le ministre espagnol des affaires étrangères Zea Bermudez au sujet des relations américano-cubaines. Sa missive révèle qu’il était un adepte convaincu de la thèse du « prolongement naturel » (natural appendage) pour reprendre la terminologie de Weinberg. Il était donc convaincu que, de par sa position géographique, l’île faisait naturellement partie de l’Union et que son annexion devait logiquement suivre celle des deux Florides. Se projetant dans l’avenir, il prédit que l’île n’allait pas longtemps rester une colonie espagnole étant donnée l’agitation indépendantiste causée par les guerres de libération sur le continent latino-américain. Cependant, rejetant la possibilité qu’elle pût être annexée par la Colombie ou le Mexique, ou acquérir son indépendance, il en conclut que les États-Unis se devaient de l’annexer. Ainsi écrit-il :
« De ces principes, il semble découler, comme une conclusion nécessaire, qu’il est du devoir, et des principes politiques des États-Unis, d’essayer d’obtenir la possession de l’île immédiatement et de façon pacifique. S’ils n’y parviennent pas, il est moralement certain qu’ils se verront forcés, de façon imminente, à atteindre le même objectif d’une manière plus déplaisante et au risque de se brouiller avec certaines des grandes puissances de l’Europe. »
5La prochaine étape de son raisonnement consistait à trouver un moyen pacifique pour que Madrid leur cédât le fameux bijou. Son plan consistait à profiter du mauvais état des finances espagnoles pour proposer à la couronne un prêt garanti par « la cession temporaire de Cuba aux États-Unis ». Everett était persuadé que l’Espagne serait incapable de rembourser sa dette, en conséquence de quoi Cuba tomberait directement dans l’escarcelle de l’Union. Une telle transaction était tout à l’avantage des États-Unis : tant que l’Espagne leur devait de l’argent ils avaient la garantie que l’île ne passerait pas entre d’autres mains. De plus, un tel prêt était une garantie presque certaine qu’à terme Cuba ferait partie de l’Union2.
6Cette offre qu’Alexander Everett fit en son nom propre et de façon totalement officieuse fut rejetée par le ministre espagnol et, bien qu’Everett ne prît pas la réponse de Bermudez pour définitive, Adams ne donna aucune suite à son plan. Cuba resta donc sous la souveraineté espagnole. Cette missive est toutefois intéressante pour plusieurs raisons : elle révèle un homme profondément déterminé à ce que son pays acquière la Perle des Antilles, sans toutefois recourir à la violence. Elle révèle aussi la fibre d’un véritable diplomate, qui sait ménager « l’adversaire » afin de servir au mieux les intérêts de son pays. Néanmoins, il y avait une faille dans le raisonnement d’Everett : il avait sous-estimé l’intelligence des officiels espagnols ainsi que la détermination de la Couronne à rester maîtresse de ce paradis qui s’était transformé en une véritable mine d’or.
7Alexander Hill Everett était donc un fervent adepte de l’expansion des États-Unis et croyait fermement en l’idée que son pays était le modèle et le garant de la liberté dans le monde occidental. Par conséquent, au début des années 1840, il était devenu très proche du parti démocrate, expansionniste, et était régulièrement en contact avec l’homme qui inventa l’expression Manifest Destiny, John Louis O’Sullivan, un autre fervent adepte de l’annexion de Cuba. Mais nous reviendrons sur ce dernier point dans le prochain chapitre. Pour en revenir à notre diplomate, d’aucuns pourraient penser que son désir d’annexer une île au système économique fondé sur le travail servile faisait de lui un défenseur de l’institution particulière. En réalité, sans être un apologiste de l’esclavage, il n’était pas non plus un abolitionniste patenté comme nous pourrons le constater plus avant3.
8Voilà donc en quelques mots l’homme qui débarqua pour la première fois à La Havane au début de l’année 1840. Il y rencontra Domingo Del Monte au cours d’une réunion entre amis où les deux hommes discutèrent littérature. Il semble bien que sa réputation d’homme de lettres avait précédé Everett. En effet, à son retour d’Espagne en 1829, il devint propriétaire de la North American Review dont il fut aussi le rédacteur en chef jusqu’en 1835. Il contribua régulièrement à la revue sur des sujets aussi divers que la littérature française, la vie de Voltaire, Jean-Jacques Rousseau, l’œuvre de Lord Byron ou le système américain. Mais bien avant cela il avait publié trois ouvrages politiques qui eurent beaucoup de succès en Europe. Il s’agit plus particulièrement de Europe, or a General Survey of the Political Situation of the Principal Powers, with Conjectures on their Future Prospects (1822) qui fut traduit en plusieurs langues dont l’espagnol, New Ideas on Population, with Remarks on the Theories of Malthus and Godwin (1823) et America, or a General Survey of the Political Situation of the Several Powers of the Western Continent, with Conjectures of their Future Prospects, by a Citizen of the United States (1827)4. Aussi, dans une lettre écrite à Matanzas le 1er mai 1840, l’écrivain José Antonio Echevarría (1815-1885) exprime à son ami Del Monte sa jalousie à son égard pour avoir eu le privilège de rencontrer un homme de la stature intellectuelle d’Everett. Il lui demande aussi de l’envoyer du côté de Matanzas afin que lui et ses amis pussent se mesurer à lui et lui montrer que les Créoles avaient aussi des intellectuels de qualité. Everett ne se rendit pas à Matanzas. Néanmoins lui et Del Monte devinrent immédiatement amis. Les deux hommes avaient beaucoup de respect l’un pour l’autre et, pendant le séjour d’Everett, leurs échanges épistolaires tournaient essentiellement autour de la littérature. Et si Echevarría n’eut pas l’occasion de se mesurer intellectuellement à l’officiel américain, ce dernier eut accès à la production littéraire de l’île. En effet, à peine s’étaient-ils rencontrés que Del Monte lui offrit livres et recueils de poèmes comme marque de sa sympathie. Il lui prêta des revues littéraires comme l’Haguinaldo Havanero ou la Revista Bimestre Cubana, fondées par le petit groupe de costumbristas, ainsi qu’un mémoire sur l’éducation à Cuba qu’il avait écrit et qu’Everett lui demanda la permission d’emporter avec lui aux États-Unis afin de le publier dans une revue sur l’éducation5.
9Avant de retourner une première fois aux États-Unis le 13 juin 1840, Everett lui envoya une missive où il exprimait avec ferveur tous ses sentiments d’amitié pour Del Monte, lui offrant son aide au cas où ce dernier en aurait eu besoin. Cette proposition n’était pas tombée dans l’oreille d’un sourd ainsi que nous le verrons plus loin6. Lorsque Everett revint à La Havane quelques mois plus tard, les rencontres et échanges épistolaires entre les deux intellectuels reprirent. Mais cette fois c’est Everett qui, en remerciement de l’accueil chaleureux de son ami lors de sa première visite, lui offrit des livres parmi lesquels se trouvait le récit de voyage de Joseph John Gurney, celui-là même où l’auteur avait consacré un chapitre entier à l’implication américaine dans la traite illégale d’esclaves à Cuba7. On ne sait rien d’autre sur les raisons qui poussèrent Everett à lui donner cet ouvrage si ce n’est que cela faisait suite à une conversation qu’ils avaient eue la veille et au cours de laquelle l’officiel américain avait mentionné l’ouvrage. On peut toutefois supposer que c’est le problème de la traite qui avait suscité la mention de l’ouvrage de Gurney, car on sait désormais à quel point la poursuite de ce trafic déplaisait aux intellectuels créoles et l’on connaît leurs efforts pour y mettre fin. De plus, dans la lettre qui accompagnait l’ouvrage, Everett demandait à son ami de l’aider à se procurer deux travaux sur la traite : un mémoire écrit par Francisco de Arango y Pareño et un autre par José Antonio Saco8.
10Cette correspondance montre que, par le biais de ses échanges littéraires avec Del Monte, Everett était entré de plain-pied dans les débats politiques qui animaient le cercle des costumbristas. Elle souligne aussi une nouvelle fois à quel point littérature et politique étaient intimement liées à Cuba. Selon Robert Paquette, la traite, l’esclavage et l’annexion de l’île aux États-Unis furent souvent mentionnés au cours de ces réunions. Et les intellectuels créoles exprimèrent souvent, semble-t-il, le désir d’être annexés à l’Union car ils craignaient que la violente campagne abolitionniste britannique ne finît par leur nuire9. Même s’ils étaient de fervents adeptes de la fin immédiate de la traite, ils craignaient aussi le zèle de certains agents britanniques, comme Richard Madden, et surtout David Turnbull, dont l’arrivée coïncida avec le second séjour d’Everett à La Havane. Ils pensaient en effet qu’au-delà de la fin du trafic illégal, la Grande-Bretagne visait l’abolition immédiate de l’esclavage. Or, pour ces Créoles, l’idée que leur île fût à moitié peuplée de gens de couleur libres leur déplaisait au plus haut point. Leur programme consistait en effet à se débarrasser progressivement de la population noire pour faire de Cuba une nation libre blanche, peuplée uniquement de travailleurs libres blancs.
11Robert Paquette explique quant à lui que, s’il est difficile de savoir ce que les Créoles voulaient exactement, à cause de la multiplicité des points de vue, la plupart des planteurs aux idées libérales étaient sans doute pour l’abolition de la traite – du moins en théorie. Mais en pratique, ils auraient eu beaucoup de mal à remplacer les esclaves par une main-d’œuvre blanche qui pouvait à tout moment refuser le travail ; sans compter que le prix des esclaves aurait augmenté avec la fin de la traite, portant ainsi un coup dur à leurs investissements et à leurs finances10. Cette attitude complexe des intellectuels créoles vis-à-vis de l’esclavage joua sans doute en leur faveur dans l’opinion et le cœur d’Alexander Everett. Elle fut aussi sans doute un facteur important dans le fait que son amitié naissante avec le chef des costumbristas se poursuivit au-delà de ces quelques mois passés à La Havane.
Alexander Hill Everett, apôtre de la cause cubaine…
12Car lorsqu’il quitta définitivement La Havane en février 1841, Everett avait la ferme intention de donner à ses amis expansionnistes au pouvoir une image positive de la population cubaine. Cependant, à son retour, Van Buren n’était plus président. Son successeur, John Tyler, un Virginien défenseur du droit des États (states’ rights) et de l’Institution particulière, avait accédé à la présidence en avril 1841 après la mort subite du président William Henry Harrison, élu sur une plateforme Whig. Il s’était donc retrouvé à la tête d’une administration Whig, notoirement anti-expansionniste et en faveur du maintien du statu quo dans l’île. Compte tenu de ses positions expansionnistes, Everett ne pouvait espérer faire partie du nouveau gouvernement. Il décida alors d’accepter le poste de président de Jefferson College, nouvellement fondé en Louisiane, dans le Sud pro-esclavagiste. Il occupa ce poste de 1842 à 1844. Everett ne retourna plus jamais à Cuba. Toutefois, il poursuivit sa correspondance avec Domingo Del Monte, lui demandant, entre autres choses, de s’atteler à l’écriture d’une histoire cubaine qui aurait couvert les vingt années passées. En outre, bien qu’il eût officiellement quitté la scène politique, il n’en était pas moins déterminé à œuvrer en faveur de ses amis Créoles et, bien entendu, en faveur de l’Union11.
13C’est dans ce but qu’il publia en 1842 un article sur l’état de l’éducation à Cuba fondé sur le rapport que Domingo Del Monte avait écrit et qu’il lui avait prêté lors de son séjour à La Havane12. L’article consistait essentiellement en une recension du rapport Del Monte, accompagnée d’extraits parfois assez longs, et de commentaires personnels d’Everett. Il fut publié dans le premier volume de la Southern Quarterly Review qui, rappelons-le, avait été fondée dans le but d’encourager la production d’une littérature typiquement sudiste, participant ainsi du mouvement nationaliste sudiste, pro-esclavagiste. Everett n’avait donc pas choisi n’importe quelle revue pour publier son article. Il aurait pu l’envoyer à la North American Review, dont il avait été le rédacteur en chef entre 1830 et 1835, ou à une autre revue nordiste. Le fait d’avoir choisi une revue publiée à Charleston, en Caroline du Sud, dans un État où la population était particulièrement sensible aux questions d’esclavage et d’abolition ne semble pas être une coïncidence. Everett était trop intelligent et trop fin stratège pour ne pas être conscient qu’en publiant son article dans la Southern Quarterly Review, il le publiait là où il aurait sans doute eu le plus de résonance. Car le désir d’étendre le territoire américain pour protéger l’Institution particulière était très marqué dans la région depuis le compromis du Missouri, et le désir d’annexer Cuba y était d’autant plus exacerbé que son système esclavagiste était florissant. Il savait donc parfaitement à quel public il s’adressait. Ajoutons que le prêt de Del Monte n’était pas non plus tout à fait innocent. Sans douter de la sincérité de son amitié pour Alexander Everett, il est toutefois important de noter que l’intellectuel cubain savait bien choisir ses relations. Ainsi, sa relation avec Everett était sans doute aussi l’occasion de faire connaître la cause cubaine aux États-Unis. Il devint d’ailleurs pour Everett la principale source d’information sur Cuba.
14L’article commence sur une note positive : dès la première ligne Everett souligne les rapides progrès que connaît la Perle des Antilles depuis son ouverture au commerce extérieur. Mais ce qui l’intéresse par-dessus tout ce sont les progrès effectués dans le domaine de l’éducation. À l’époque les États-Unis développaient leur système éducatif. Depuis le début des années 1830, l’éducation primaire était devenue une préoccupation majeure dans un État comme le Massachusetts dont le secrétaire à l’éducation, Horace Mann (1837-1848), était fervent défenseur d’un système élémentaire gratuit pour tous. Il avait lancé des réformes destinées à améliorer le système éducatif, renforçant la formation des instituteurs et diminuant l’importance de la religion au profit de matières plus « séculaires » telles que l’histoire américaine, la géographie ou l’arithmétique13. L’éducation faisait aussi partie des priorités de Del Monte et de ses amis dans leur programme réformiste destiné, à terme, à conquérir leur indépendance. Autrement dit, ils avaient bel et bien trouvé en Everett un porte-parole de choix pour porter leur message en dehors des frontières cubaines. De plus, montrer que les Cubains avaient les mêmes préoccupations que leurs voisins américains soulignait une proximité de valeurs entre les deux peuples.
15Puis, Everett mentionne deux rapports. Le premier, concernant l’éducation primaire, était celui de Domingo Del Monte ; le second avait été écrit en 1833 par un autre membre éminent du cercle costumbrista, José de la Luz y Caballero, et concernait l’école nautique de Regla qui avait été transformée en institut scientifique. Everett insiste sur le grand talent littéraire de leurs auteurs, soulignant au passage l’immense potentiel littéraire de la Perle des Antilles et le véritable désir de progrès qui animait ses intellectuels14.
16Lançant sa première pique contre l’Espagne, il précise que le rapport de Del Monte n’a jamais été publié. Everett soupçonne la malveillance des autorités espagnoles d’en être la cause, et il ajoute que les projets d’amélioration suggérés par les auteurs avaient été à chaque fois mis en échec par les autorités coloniales. Ayant ainsi donné le ton de son article, il se penche ensuite sur les origines du système éducatif primaire dans la Perle des Antilles et emprunte les mots de son ami pour souligner le paradoxe d’une île qui, malgré son extrême richesse, abritait une population d’analphabètes puisque la grande majorité de ses enfants n’avaient aucun accès à l’école. Tout le long du texte, Everett revient régulièrement sur ce paradoxe comme pour bien faire prendre conscience au lecteur que c’était là une situation scandaleuse à laquelle il fallait absolument remédier. Pour expliquer ce dénuement éducatif, Everett juxtapose des extraits du rapport qui mettent en avant l’extrême pauvreté des habitants des zones rurales. Ces derniers, en dépit de leur bonne volonté et de leurs efforts, ne parvenaient pas à avoir des écoles dignes de ce nom. L’auteur en rejette la faute sur les grands propriétaires terriens qui, en raison de leur absentéisme chronique, ne faisaient pas profiter leurs régions de toutes les richesses qu’elles produisaient. Plutôt que d’investir leur argent là où se trouvaient leurs plantations, ils préfèraient vivre à La Havane et y investir leurs bénéfices. De sorte que les habitants de ces régions sucrières très riches vivaient dans la plus grande détresse matérielle. L’autre obstacle au développement du système éducatif résidait dans la mauvaise volonté des autorités coloniales qui, non seulement ne finançaient que très peu l’éducation de leurs sujets, mais pouvaient aussi faire barrage à la création d’écoles pour d’absurdes raisons administratives15.
17Après avoir décrit le fonctionnement du système éducatif cubain ainsi que le détail du budget et des dépenses des écoles primaires, Everett rapporte les idées d’amélioration proposées par son ami Del Monte. Pour ce dernier, il était de la responsabilité du gouvernement espagnol de prendre en charge l’éducation des enfants car c’était indispensable au bien-être d’une nation. Une population analphabète constituait, à ses yeux, un véritable danger pour la société car tous ces laissés-pour-compte étaient autant d’ennemis potentiels à la paix sociale. Il était donc du devoir de la couronne espagnole de se charger de l’éducation primaire, d’autant plus que Cuba lui rapportait des revenus considérables. Une fois de plus, Everett pointe du doigt la cupidité et l’ingratitude d’un gouvernement riche qui traitait son peuple comme une vache à lait16.
18Malgré la situation désastreuse du système éducatif dans les zones rurales, Everett tient à finir sur une note positive en montrant que Cuba devait l’existence d’un système éducatif de qualité dans les villes à l’initiative de ses habitants les plus riches qui en étaient les principaux pourvoyeurs de fonds. Il met aussi en lumière le dévouement des instituteurs et éducateurs qui travaillaient le plus souvent avec très peu de moyens mais beaucoup de générosité17. Pour finir, il fait l’éloge des habitants de La Havane, et des autres villes cubaines, en raison de leur intérêt pour les arts et la qualité de leurs productions culturelles, souvent méconnus à l’étranger. Il montre en effet que les intellectuels créoles étaient parfaitement au fait des derniers débats philosophiques qui animaient la Nouvelle-Angleterre, et souligne au passage la grande qualité des débats dans les journaux cubains, favorablement comparés à ce qui se passait du côté de Boston. Ainsi écrit-il :
« À notre départ de Boston, nous avions laissé le monde littéraire en plein débat philosophique entre, d’une part, l’école sensualiste et, d’autre part, l’école transcendentaliste. Nous ne nous attendions pas à entendre quoi que ce soit sur le sujet avant notre retour. Quelle ne fut donc notre surprise lorsque, en arrivant à La Havane, nous découvrîmes que le public était agité par la même controverse, celle-ci s’étant même immiscée dans les journaux quotidiens. […] Et selon nous, le débat était mené avec autant d’habileté et d’éloquence que celles démontrées à Boston par les Ripley, Norton, Brownson et Walker18. »
19Après un éloge dithyrambique des intellectuels cubains, Everett clôt son article sur ce qui nous semble être la partie la plus intéressante du texte. La raison n’en est pas le contenu qui est assez proche de sa lettre adressée à John Quincy Adams quelque 17 ans plus tôt, mais c’est ce que le lecteur lit en dernier, et ce qu’il est donc susceptible de retenir davantage. Ainsi, en conclusion de son article, Alexander H. Everett expose les raisons qui l’ont poussé à publier ce texte. Outre son immense respect pour les auteurs du rapport, il avoue avoir écrit l’article principalement en raison de l’intérêt que les Américains portaient à tout ce qui touchait la Perle des Antilles. Faisant l’éloge de l’île et de son grand potentiel, il lui prédit un avenir radieux et annonce qu’elle ne resterait pas indéfiniment une colonie espagnole. Mais, ajoute-t-il, il ne faut surtout pas précipiter les choses en encourageant un mouvement d’indépendance car cela pouvait avoir des conséquences aussi désastreuses que sur le continent latino-américain dont il considère que le mouvement d’émancipation fut un échec. Puis il fait allusion à la Grande-Bretagne dans des termes bien peu flatteurs et, comme beaucoup de détracteurs de la puissante Albion, souligne le paradoxe d’une nation qui, tout en se battant passionnément pour la liberté des esclaves, n’avait aucun scrupule à étendre son empire colonial :
« Il est fort à craindre que le zèle extrême qui anime en ce moment le Gouvernement Britannique pour l’émancipation d’un demi-million d’esclaves à Cuba, ne soit causé, au moins en partie, par le même esprit qui les mena à fixer les chaînes d’un esclavage plus insupportable encore sur les membres d’un million d’Hindous, et qui les pousse à assassiner et à soumettre trois cents millions de Chinois – c’est-à-dire le désir de domination universelle19. »
20Il prévoit toutefois avec certitude l’échec des Britanniques dans l’acquisition de Cuba et assure que deux alternatives se présenteront à l’île au moment de sa séparation avec l’Espagne : l’indépendance ou l’annexion à l’Union. Quand on sait son attachement passé à faire de Cuba une possession américaine, on a du mal à croire Everett lorsqu’il affirme avec détachement qu’il lui importe peu que l’île fût indépendante ou annexée. Une telle déclaration est d’autant moins crédible qu’il reprend l’argument de la « prédestination géographique ». En outre, il consacre une demi-page à expliquer tous les bienfaits que l’île a retiré de ses relations avec les États-Unis depuis son ouverture au commerce extérieur. À ses yeux, tous les progrès de l’île trouvent donc leur origine aux États-Unis.
« Depuis l’ouverture de ses ports au commerce extérieur, [Cuba] a reçu de sa relation croissante avec les États-Unis les principes et les habitudes qui sont les plus favorables à son développement immédiat, et à sa prospérité future. Des émigrants de nos côtes ne cessent de débarquer sur l’île, portant avec eux, comme il se doit, où qu’ils aillent, les vues libérales sur la religion et le gouvernement, et les habitudes industrieuses et entreprenantes qui les caractérisent dans notre patrie. Sous l’influence de ce nouvel état des choses, l’île est déjà en train de changer de visage. L’intérieur, qui fut, jusqu’à présent totalement dénué de tout moyen de communication adéquat, commence à être traversé de chemins de fers, les eaux longeant la côte sont traversées de bateaux à vapeur, de nouvelles plantations sont établies, la population est en augmentation, les arts et les lettres y sont cultivés avec succès, l’éducation commence à susciter l’intérêt de la population, la capitale a complètement dépassé ses anciennes limites étroites, étalant ses faubourgs peuplés et riches dans toutes les directions gagnant du terrain sur la campagne environnante, et elle commence à égaler en civilisation et raffinement les villes les plus célébrées d’Europe et des États-Unis20. »
21On retrouve donc là le porte-parole d’une nation vertueuse, porteuse de progrès institutionnels et moraux. Dans le dernier passage du texte, Everett se fait aussi le porte-parole des intellectuels créoles. Il cite en effet un paragraphe très intéressant de Paralelo entre la isla de Cuba y algunas colonias inglesas, ce texte que José Antonio Saco avait écrit en 1837, pendant son exil, et où il dénonçait la poursuite de la traite transatlantique à Cuba. Dans le passage en question, Saco affirme que si son île devait un jour se détacher de la mère patrie, elle n’irait certainement pas se mettre sous l’emprise britannique. Où pouvait-elle donc trouver refuge et protection ? Où pouvait-elle être assurée de rester libre si ce n’est dans le giron des États-Unis ? C’est donc au sein de cette glorieuse nation que le joyau des Antilles devait révéler toute sa splendeur et toute sa brillance.
22Voilà ce qui allait marquer le lecteur sudiste plus que tout autre chose. Sans doute ce lecteur a-t-il été sensible aux passages sur le mode de fonctionnement du système éducatif et sur le budget annuel des écoles primaires. Mais ces questions préoccupaient davantage le Nord que le Sud, et il est normal qu’un Bostonien tel qu’Everett y eut été sensible. En revanche, le lecteur sudiste allait sans doute être marqué par ces dernières pages où la future annexion de Cuba est considérée comme une certitude et où il est démontré que l’annexion ne serait pas le fait d’une nation colonisatrice mais au contraire une entreprise libératrice qui se ferait avec le consentement de la population créole. La stratégie du texte est imparable et brillante. Elle ne pouvait manquer de convaincre les lecteurs sudistes de la nécessité d’annexer l’île.
… contre une vision négative de l’Amérique hispanique
23Si l’on s’est longuement penché sur cet article c’est pour que le lecteur ait une idée bien précise de cette impression positive qu’Everett voulait donner de Cuba à ses concitoyens. Ses éloges récurrents des intellectuels créoles et de leurs efforts à vouloir sortir le peuple de l’ignorance, ainsi que l’éloge de ce peuple pauvre mais assoiffé de savoir devaient démontrer que le jour où l’Union allait annexer la Perle des Antilles, elle n’allait pas accueillir en son sein une nation d’analphabètes. Il s’agissait donc d’achever de convaincre ses lecteurs sudistes que le peuple cubain était un peuple frère.
24Par ailleurs, l’accent mis sur l’autoritarisme et la cupidité d’un gouvernement espagnol qui maintenait le peuple dans un état de sous-développement intellectuel et matériel devait convaincre le lecteur de la mauvaise gouvernance de l’Espagne. Ce thème récurrent de la rhétorique américaine était directement lié à la Légende Noire espagnole (Spanish Black Legend) qui planait sur l’Amérique du Nord depuis la période coloniale et à laquelle même ce fin connaisseur de la langue et de la culture espagnoles n’avait pu échapper. Le rejet tenace d’une Espagne considérée comme moyenâgeuse, gouvernée par des monarques tyranniques et rongée par un catholicisme fanatique s’accordait parfaitement avec la mystique fondatrice des États-Unis, à laquelle Everett souscrivait complètement – celle d’une nation choisie par Dieu pour montrer au monde le chemin qui mène à la vertu républicaine et à la religion protestante, la seule à pouvoir s’accorder avec les institutions républicaines21.
25Même après les mouvements de libération qui avaient chassé l’Espagne du continent latino-américain, la Légende Noire avait subsisté et s’était transférée aux peuples hispano-américains. On le constate notamment dans une lettre adressée à Domingo Del Monte par un ingénieur américain nouvellement installé à Cuba et très concerné par l’avenir du régime esclavagiste de la colonie espagnole. Le dénommé Benjamin H. Wright y explique, le plus naturellement du monde, à son correspondant catholique que la poursuite de la traite sur l’île n’était que le triste résultat de la pratique du catholicisme qui, plutôt que de mener à la vertu, poussait au vice. De même, si le gouvernement mexicain avait des problèmes à établir et à maintenir un bon gouvernement, et si l’Espagne était en proie à l’instabilité politique et aux guerres civiles, cela tenait essentiellement à une sorte de malédiction divine frappant les nations qui ne s’étaient pas converties à la vraie parole de Dieu22.
26Cette légende était désormais renforcée par la nouvelle composante de la mystique du peuple élu – à savoir le discours raciste qui, depuis le début des années 1830, s’était retourné contre les populations noires et indiennes, et touchait désormais les peuples hispaniques, en particulier les Mexicains. Reginald Horsman explique notamment que les dix années d’indépendance du Texas (1836-1845) furent décisives dans le renforcement d’une idéologie selon laquelle les Américains de souche anglo-saxonne étaient destinés à dominer tout le continent américain puis à étendre leur empire sur le reste du monde. Selon lui, la rencontre des Américains avec les Mexicains au moment de la révolution du Texas (puis pendant la guerre du Mexique) catalysa cette attitude. En effet, dans la mesure où les Américains désiraient étendre leur pouvoir tout en ayant la conscience tranquille, le meilleur moyen d’y parvenir était d’attribuer l’entière responsabilité de leurs futures conquêtes à l’infériorité raciale des peuples qu’ils s’apprêtaient à dominer plutôt que de reconnaître leur soif inextinguible de pouvoir et de richesses. Aussi « au cours des années 1830 et 1840, lorsqu’il devint évident que les Mexicains allaient souffrir, on leur trouva moult faiblesses innées23 ».
27Or en cherchant à démontrer que les Cubains étaient victimes de l’Espagne, de son autoritarisme et de la négligence des grands propriétaires terriens ; en cherchant à démontrer que les Cubains étaient différents, qu’ils aspiraient à la liberté, à l’ouverture, et à l’éducation, Everett donnait l’image d’un peuple plus proche des États-Unis que de l’Espagne. D’une certaine façon, il s’inscrivait en faux contre l’idéologie dominante. Le passage où il vante la qualité des débats philosophiques dans les journaux cubains, les comparant favorablement aux débats qui se tenaient à la même époque dans les cercles intellectuels bostoniens, participe de cet effort destiné à montrer que les Cubains avaient les mêmes intérêts culturels et philosophiques que leurs voisins Américains, qu’ils étaient culturellement aussi, voire plus, proches des États-Unis que de l’Espagne, donc qu’ils étaient dignes de devenir Américains.
28Néanmoins, ce même passage révèle aussi des sentiments plus ambigus qu’il n’y paraît et montre que, malgré sa sincère sympathie pour le peuple cubain, Everett n’avait pas échappé au racialisme ambiant, qu’il était bien un adepte de ce qu’on allait bientôt appeler la doctrine de la Destinée Manifeste. Sa surprise lorsqu’il constate que les Cubains n’avaient intellectuellement rien à envier à leurs voisins du Nord laisse en effet paraître des préjugés négatifs vis-à-vis de Cuba et de ses intellectuels. De même, le passage où il affirme avec conviction que depuis l’ouverture de la Perle des Antilles au commerce extérieur, tous les progrès et développements qu’elle a connus étaient le fruit de l’influence positive de sa relation avec l’Union, est une preuve de plus de cette condescendance qui caractérisait les ardents défenseurs de la supériorité américaine.
29Ce très long article est ainsi beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Il peut être considéré comme un bon baromètre de la complexité des positions américaines en général, et sudistes en particulier, vis-à-vis du joyau des Antilles. Même les certitudes d’Everett concernant l’échec de la Grande-Bretagne à faire main basse sur l’île ne sont que pures rhétorique et bravade. Car au moment où il avait été envoyé en mission à La Havane, soit quelques mois avant la publication de cet article, le gouvernement américain était très inquiet au sujet des desseins de la Grande-Bretagne et de l’avenir de Cuba. Et ces inquiétudes n’allaient pas tarder à être confirmées par celui-là même qui affirmait le contraire dans son article.
Les dimensions internationales d’une conspiration noire à Cuba et ses répercussions sur l’actualité américaine, 1843-1844
Quand un abolitionniste britannique sème le trouble à Cuba…
30Rappelons que le successeur de Richard Madden au poste de surintendant aux Africains libérés, David Turnbull, était un abolitionniste tout aussi zélé que le médecin irlandais, voire plus encore. Ses fortes positions abolitionnistes, qui étaient connues des Espagnols et des Créoles, furent d’ailleurs à l’origine de sa nomination à ce poste et il était bien déterminé à mettre un terme au système esclavagiste cubain. Sa présence à La Havane constituait donc une véritable menace pour l’Espagne, pour une partie des planteurs créoles ainsi que pour les politiciens sudistes qui, à la simple évocation de la fin de la traite et de l’esclavage chez leur voisin antillais, croyaient entendre sonner le glas de leur propre institution.
31Ces inquiétudes étaient tout à fait claires dans la lettre qu’Alexander H. Everett envoya à Domingo Del Monte le 16 septembre 1842, soit à peine six mois après la publication de son article. Il y demandait à son ami de lui confirmer des informations qu’il avait reçues à propos des activités abolitionnistes du Surintendant britannique à Cuba. La réponse de Del Monte vint confirmer les inquiétudes d’Everett et eut des conséquences concrètes sur la politique extérieure américaine vis-à-vis de l’île. Dès le début, Del Monte exprime l’espoir que les révélations importantes qu’il fait dans sa missive seront prises en compte par son ami et qu’elles inciteront les Américains à agir en faveur de leurs voisins cubains, et dans leur propre intérêt. Il lie ainsi le sort de l’île à celui l’Union, annonçant que la Grande-Bretagne s’est mis en tête de détruire l’île et de mettre un terme au trafic clandestin d’esclaves. Selon Del Monte, face aux réticences de Madrid à faire respecter les traités conclus avec la Grande-Bretagne et à mettre un terme définitif au trafic, le Foreign Office avait décidé de se servir des sociétés abolitionnistes britanniques pour donner une leçon à l’Espagne, envoyant clandestinement des agents abolitionnistes dans son île. Ces derniers auraient promis l’indépendance aux Créoles s’ils se joignaient à la population noire et acceptaient l’abolition immédiate de l’esclavage. Le but de ce plan, selon Del Monte, était de faire de Cuba une république militaire noire placée sous la protection de la Grande-Bretagne. De plus, écrit-il, ces abolitionnistes pouvaient compter sur l’aide de l’armée et de la marine britanniques basées en Jamaïque, où ils étaient aussi en contact avec le général vénézuelien, Santiago Mariño. Le général avait été désigné chef de cette invasion, qui devait aussitôt être suivie d’une insurrection d’esclaves et de gens de couleur libres. Les Britanniques étaient, semble-t-il, parvenus à enrôler les Créoles. Toutefois, Del Monte est convaincu que ces derniers n’étaient que les tristes victimes du plan machiavélique de la Grande-Bretagne24. Il est par ailleurs persuadé que si les abolitionnistes parvenaient à leurs fins, les Britanniques deviendraient les maîtres incontestés des Caraïbes, en fermeraient la navigation aux navires américains, marquant ainsi la première étape vers l’abolition de l’Institution particulière dans les États du Sud25. Il envisage donc la fin de l’esclavage à Cuba comme un véritable cataclysme pour le système esclavagiste américain et montre ainsi que l’île et les États-Unis faisaient bien partie d’une même entité aux intérêts fortement liés.
32Compte tenu de l’accueil enthousiaste que Del Monte et ses amis intellectuels libéraux avaient fait au nouveau Surintendant et Consul, il est surprenant de le voir tenir des propos aussi anglophobes. Lorsque la nouvelle de sa nomination avait été connue, l’un des amis de Del Monte, José Antonio Echevarría, avait exprimé la certitude que lui et Turnbull allaient très vite se lier d’amitié. C’est d’ailleurs par le biais de son ami écrivain Félix Tanco, et sur demande de Turnbull, que Del Monte fit la connaissance du nouveau consul britannique en 1841. David Turnbull était en effet au courant de l’amitié qui liait Tanco et Del Monte et des positions de ce dernier sur l’esclavage. Aussi, le 7 avril 1841, envoya-t-il son secrétaire Francis R. Cocking chez Félix Tanco, dans le but d’obtenir une lettre d’introduction pour rencontrer Del Monte. La réputation du nouveau consul, ses liens avec Lord Palmerston et l’impression positive qu’il eut de Cocking conduisirent Tanco à beaucoup insister auprès de son ami pour qu’il rendît visite à Turnbull et s’en fît un ami. De même, il semble qu’au moment où Turnbull quitta l’île en août 1842, à cause de la mauvaise santé de son épouse, Del Monte avait gardé de bonnes relations avec lui et avec son secrétaire Cocking26. Aussi est-il tout à fait probable que, pour obtenir l’aide des Américains, notre intellectuel créole choisît d’exprimer les inquiétudes des habitants de l’île plutôt que ses positions personnelles. En effet, durant les deux années qu’il avait passées au poste de surintendant aux Africains libérés, Turnbull s’était montré si zélé dans son combat en faveur des emancipados et en faveur d’anciens esclaves jamaïcains soupçonnés par Londres d’avoir été transportés et réduits en esclavage sur l’île, qu’il avait contribué à nourrir les rumeurs les plus alarmantes et une hostilité croissante de la population cubaine vis-à-vis de la Grande-Bretagne. De plus, son comportement peu diplomatique à l’égard des autorités coloniales ne joua pas en sa faveur : ces dernières firent sans cesse obstacle à son travail et Madrid multiplia les interventions auprès du Foreign Office pour s’en débarrasser. Mais tous ces efforts furent vains : si « en privé » Palmerston ne manquait pas de le réprimander, face aux Espagnols, il faisait au contraire montre d’un soutien sans faille. Puis, lorsque Lord Aberdeen succéda à Lord Palmerston au poste de ministre des Affaires étrangères sa seule concession fut de démettre Turnbull de ses fonctions de consul en mars 1842, ne lui laissant que celles de surintendant27.
33Outre l’ire des officiels espagnols, l’abolitionniste s’était attiré les foudres des intérêts négriers. Lorsqu’en 1841 ils eurent connaissance des propositions qu’il avait faites à Londres pour mettre un terme à la traite illégale – et qui lui avaient valu sa nomination à La Havane – les riches marchands et planteurs conservateurs les jugèrent trop extrêmes et les condamnèrent unanimement28. Puis, dès qu’ils apprirent la nouvelle de sa nomination, ils formèrent une coalition visant à faire obstruction à son travail, allant jusqu’à le menacer de mort. Les marchands d’esclaves se lancèrent dans une véritable joute verbale contre les Britanniques, multipliant les publications qui les accusaient de vouloir détruire l’île pour avoir le monopole de la culture du sucre.
34Enfin, après son départ pour les Bahamas au mois d’août 1842, Turnbull était revenu à Cuba au mois d’octobre. Pendant son séjour à New Providence (Nassau), il apprit que plusieurs centaines d’anciens esclaves bahamiens avaient été transportés à Cuba pour travailler comme esclaves sur des plantations qui appartenaient à des Britanniques et qui étaient situées à l’est de l’île dans une région que l’on surnommait English Cuba, entre Gibara et Holguín. Fidèle à sa passion et à son sens du devoir, il monta une expédition et se rendit à Gibara pour réclamer leur liberté. Ce fut un fiasco car il fut aussitôt arrêté et transféré à La Havane avant d’être définitivement expulsé de l’île, contre l’avis des planteurs qui avaient demandé son exécution. Turnbull avait également enrôlé son domestique noir dans cette expédition. Lorsqu’ils furent arrêtés, les autorités locales trouvèrent dans les affaires personnelles du domestique une cinquantaine de prospectus de la Baptist Missionary Society qui commençaient par « Et vous sanctifierez la cinquantième année. Lévitique 25 : 10 ». Le passage de la Bible qui correspond à cette référence est le suivant : « Et vous sanctifierez la cinquantième année, et proclamerez l’affranchissement de tous les habitants du pays. Ce sera pour vous le jubilé, et vous rentrerez chacun de vous dans sa possession et vous retournerez chacun dans sa famille. » Les planteurs créoles acquirent ainsi la conviction que la Grande-Bretagne, par le biais de son Surintendant, planifiait une révolte majeure d’esclaves. Leur conviction était d’autant plus forte que malgré son expulsion de l’île, Turnbull n’était pas allé bien loin. Le 15 novembre 1842, Lord Aberdeen le nomma juge à la Commission mixte de Jamaïque, établie suite à un traité anti-traite signé avec le Portugal29.
35Alors qu’Américains, Espagnols et Créoles s’inquiétaient de l’action de la Grande-Bretagne, les autorités consulaires britanniques à La Havane avaient aussi eu vent de projets de révolte de la population de couleur libre et soupçonnaient les Américains de conspirer à l’indépendance de l’île. En effet, au cours du dernier trimestre de l’année 1842, Joseph Tucker Crawford, qui avait succédé à Turnbull au poste de consul au mois de juin et ne portait pas le personnage dans son cœur, informait régulièrement Londres que de nombreuses sources lui avaient fait part d’un plan de révolte en partie organisé et mené par l’ancien surintendant. D’après le consul britannique, l’intervention américaine, et plus précisément le séjour d’Alexander Hill Everett, avait divisé les Créoles et la population de couleur libre sur la question de l’esclavage. Les alliances se seraient donc forgées selon l’appartenance raciale et sociale. D’un côté, les Créoles, qui refusaient l’abolition du régime esclavagiste, s’étaient ralliés aux Américains qui leur auraient promis l’indépendance sans abolition de l’esclavage. De l’autre, la population de couleur s’était rangée du côté de Turnbull et de son secrétaire Francis R. Cocking qui leur auraient promis liberté et égalité. Crawford accusait aussi le père Félix Varela, en exil aux États-Unis, d’être impliqué dans ce projet30.
36En octobre 1842, Crawford informait de nouveau le Foreign Office de l’imminence d’une révolution. Il avait reçu la visite de deux Créoles qui cherchaient à lancer une révolution pour se libérer de l’emprise espagnole et s’étaient adressés à lui dans le but d’obtenir le soutien officiel de la Grande-Bretagne. Ils l’informèrent aussi de l’existence d’un autre groupe révolutionnaire, allié aux Américains et opposé à l’abolition. Tout comme Del Monte dans sa lettre du 20 novembre 1842, Crawford annonçait à ses supérieurs que le général vénézuélien Santiago Mariño avait été recruté pour lancer une expédition à partir de la Jamaïque. Mais contrairement à Del Monte, qui avait accusé les Britanniques d’avoir embauché Mariño pour lancer cette expédition, Crawford soutenait qu’il avait été recruté par les Américains. Quelques semaines plus tard, en décembre 1842, Crawford annonçait à Londres que le nouveau consul américain, le major John Cooke, était un agent secret envoyé à Cuba pour promettre aux Créoles anti-abolitionnistes le soutien de l’Union s’ils se lançaient dans un mouvement indépendantiste. Mais Cooke n’eut même pas le temps de prendre ses fonctions car l’inquiétude des Espagnols quant à l’influence des agents étrangers était telle qu’ils lui refusèrent son exequatur31.
37On constate donc que les témoignages se contredisent. Et il est assez difficile de démêler le vrai du faux. Des générations d’historiens ont débattu de la question sans vraiment parvenir à élucider le problème, et ce n’est pas le but de ce travail que d’apporter la réponse définitive à ce débat. En revanche, il est intéressant de souligner à quel point la situation était tendue pour tout le monde et d’observer que personne, ni parmi les officiels britanniques ni parmi les Américains, n’avait le moindre contrôle sur le déroulement des événements et personne n’était capable d’obtenir le fin mot de l’histoire. Ces deux grandes puissances occidentales, dont une en devenir, se retrouvaient ainsi totalement impuissantes face à la situation cubaine. Aucune ne semblait détenir l’information exacte sur ces plans de rébellion, dont on se demande encore aujourd’hui s’ils avaient la moindre réalité. De plus, il apparaît clairement que les informations que chacune possédait, leur étaient communiquées ou étaient interprétées en fonction de leur position sur l’esclavage. Ainsi les Américains, qui se méfiaient profondément de la Grande-Bretagne, voyaient avec horreur se profiler la fin du régime esclavagiste sous les coups de boutoir de la perfide Albion. Quant aux Britanniques, ils envisageaient avec horreur l’intervention américaine pour maintenir l’esclavage. Et les Cubains jouaient probablement sur les deux tableaux, cherchant du soutien là où se trouvaient leurs intérêts, se révélant très astucieux dans l’art de la manipulation politique.
38Pour en revenir à la lettre de Domingo Del Monte datant du 20 novembre 1842, on comprend aisément qu’un tel personnage, attaché à l’abolition de la traite mais bien loin de promouvoir la fin immédiate de l’esclavage, fût inquiet au sujet des activités abolitionnistes de la Grande-Bretagne. En revanche, on ne peut s’empêcher de se demander si son inquiétude pour l’avenir du système esclavagiste sudiste était sincère ou si, en réalité, il ne jouait pas tout simplement sur les angoisses des Sudistes pour capter l’attention de son correspondant et obtenir des Américains l’aide dont les Créoles avaient besoin pour se protéger des desseins un peu trop radicaux de la Grande-Bretagne qui, si l’on en croit les idées des costumbristas, auraient ruiné leur programme réformiste, mais également l’économie et la paix sociale de l’île. Ces interrogations sont d’autant plus légitimes que, dans sa missive, Del Monte se montre très clair sur l’attitude que les États-Unis devaient adopter : il pense que même si Washington refusait d’agir, l’opinion publique américaine était trop puissante pour ne pas se mobiliser et empêcher un tel cataclysme de se produire et de venir ensuite toucher leur pays. Il se montre même assez directif sur l’attitude que devait adopter la classe politique américaine. Il estime en effet qu’il incombait à Everett et à ses amis d’indiquer à l’opinion publique le chemin à suivre, de lui ouvrir les yeux sur ce qui se passait près de chez elle. En outre, le gouvernement américain se devait d’envoyer de nombreux navires dans les eaux territoriales cubaines afin de prévenir une quelconque invasion. Il pouvait même révéler le plan de la Grande-Bretagne aux autorités coloniales de l’île et s’y associer pour empêcher la puissante Albion de parvenir à ses fins. Il assure par ailleurs que la population blanche de l’île, les Créoles aussi bien que les Espagnols, préfèrait de loin être gouvernée par les États-Unis que d’être protégée par la Grande-Bretagne. Cette dernière partie est si clairement destinée à convaincre Everett de demander l’aide de ses amis politiciens qu’il est bien difficile de croire que Del Monte n’exagérait pas les faits pour obtenir l’aide américaine32. Cette hypothèse est d’autant plus plausible quand on a pris connaissance des positions annexionnistes de Gaspart Bétancourt Cisneros, un des plus proches amis de Del Monte. Il expliquait en effet : « L’annexation n’est pas un sentiment, c’est un calcul, et bien plus encore. C’est l’impérieuse loi de la nécessité. C’est notre devoir sacré pour nous préserver33. »
… et aux États-Unis, parmi les politiciens sudistes
39Quelle qu’eût été la sincérité du chef des costumbristas, sa lettre était si alarmiste qu’il réussit à communiquer ses inquiétudes à son ami. Ce dernier fit exactement ce que Del Monte attendait de lui : il envoya la dite missive au secrétaire d’État Daniel Webster qui décida de mener l’enquête. Webster informa alors Robert Campbell, le consul américain à La Havane, de son contenu. Le ministre américain à Madrid, Washington Irving, en reçut aussi une copie avec pour instruction de vérifier l’exactitude des allégations de Del Monte34. Pour finir, Pedro de Alcántara Argaiz, le ministre espagnol à Washington, fut à son tour informé du complot annoncé dans la fameuse lettre. Ce dernier fit alors circuler des copies de la lettre aux autorités espagnoles à La Havane et à Madrid. Cependant, contrairement à ce qu’espérait Del Monte, tous les rapports qui résultèrent de cette enquête confirmèrent en 1843 que le chef des costumbristas avait exagéré les faits et qu’il n’existait aucun plan d’invasion de l’île à partir de la Jamaïque. Edward Everett, ambassadeur à Londres au moment de la fameuse lettre, confirma à son frère Alexander que Del Monte avait exagéré les faits35.
401843 était aussi l’année où Del Monte dut quitter Cuba avec sa famille sous la pression des marchands d’esclaves et des autorités coloniales qui lui reprochaient ses activités contre la traite transatlantique. Il se réfugia alors aux États-Unis, plus précisément à Philadelphie, devenue lieu de refuge traditionnel pour les dissidents cubains depuis que le père Varela y avait trouvé asile vingt ans auparavant36. Malgré les démentis apportés par l’enquête Webster, Del Monte n’en démordait pas. Ses amis restés à Cuba ne cessaient de lui envoyer des nouvelles alarmantes, qu’il relayait à Everett, persistant dans ses affirmations sur les intentions de la Grande-Bretagne. Cette fois-ci, cependant, il ajoutait que seuls les propriétaires d’esclaves comme John C. Calhoun étaient capables de prévoir qu’une révolte d’esclaves allait immanquablement mener à une annexion de l’île par les Britanniques. La mention de Calhoun nous conduit une fois de plus à nous interroger sur la sincérité de Del Monte : s’identifiait-il réellement aux planteurs sudistes ou mettait-il à profit ses connaissances sur les États-Unis pour manipuler Everett et, à travers lui, les Sudistes ?
41La mention de Calhoun dans ce contexte est en effet loin d’être anodine. Ce dernier était assez représentatif de l’opinion sudiste à l’égard de la politique britannique à Cuba. Calhoun pensait qu’il y avait sans doute une part de sentiments humanitaires dans les positions abolitionnistes britanniques, mais il était aussi persuadé que leur activisme devait aussi servir leurs ambitions impérialistes en leur permettant d’étendre leur pouvoir sur ces contrées encore régies par le système esclavagiste. D’autre part, les Sudistes étaient convaincus que l’émancipation des esclaves dans les colonies rivales des Antilles britanniques, où le système servile avait été banni, devait servir l’économie des colonies britanniques. Le travail servile à Cuba rendait le coût de production du sucre inférieur à celui des Antilles britanniques. Aussi, l’abolition de l’esclavage cubain aurait-elle conduit à l’emploi d’une main-d’œuvre cubaine rémunérée, ce qui aurait augmenté les prix de production et de vente des matières premières de l’île, les replaçant au même niveau que celui des matières premières britanniques. En d’autres termes, cela aurait conduit à une concurrence plus loyale pour les matières premières britanniques37. Enfin, aux yeux des Américains, si les Britanniques parvenaient à faire appliquer le plan d’émancipation proposé par Turnbull, cela allait sans doute mener à une violence similaire à la révolte de Saint-Domingue, détruisant l’économie de l’île, encerclant les États du Sud de territoires peuplés de noirs libérés grâce à la Grande-Bretagne, menaçant l’avenir de l’esclavage au Sud et pour finir empêchant les États-Unis de s’étendre38.
42Plus spécifiquement, en tant que représentant de la Caroline du Sud, Calhoun reflétait l’intérêt tout particulier que son État avait pour l’île. Rappelons la thèse d’Edward Rugemer qui soutient que les ressemblances « institutionnelles » et démographiques entre la Jamaïque et la Caroline du Sud étaient autant de facteurs qui nourrirent le discours pro-esclavagiste de cet État avant, pendant et après l’Acte d’Émancipation de 183339. Ces ressemblances existaient aussi entre Cuba et la Caroline du Sud. Par conséquent, en tant que « leader » du mouvement nationaliste sudiste, qui considérait l’esclavage comme la pierre angulaire de la civilisation, la Caroline du Sud et ses idéologues pro-esclavagistes les plus en vue, tels que William Gilmore Simms ou James Henry Hammond, commençaient à porter un intérêt particulier au sort de l’île et à envisager son avenir sous un angle régionaliste. Quant à Joel Roberts Poinsett, qui fut le premier ambassadeur américain au Mexique (1825-1830) puis secrétaire à la Guerre dans l’administration Van Buren (1837-1841), il était, selon Paquette, très lié au père Félix Varela et accueillait souvent des exilés cubains qu’il présentait à ses amis expansionnistes sudistes. En mettant ainsi en contact politiciens sudistes et exilés cubains Poinsett permettait à ces derniers de prêcher pour leur cause et d’augmenter l’intérêt que le Sud esclavagiste portait déjà pour la Perle des Antilles40.
43Del Monte, qui lisait la presse américaine, avait des correspondants américains et des amis cubains aux États-Unis, était sans le moindre doute au fait des positions sudistes et des débats qui animaient l’Union. De plus, en tant qu’ancien élève de Varela, il était certainement au courant des liens qui se tissaient entre ses compatriotes et les politiques américains. Par conséquent, il est difficile de croire que la mention de Calhoun fut le fruit du hasard. La suite des événements montre d’ailleurs qu’il eut bien raison de mentionner Calhoun dans sa lettre. Ce dernier fut en effet aussitôt informé du contenu de la lettre, vit le danger que Del Monte annonçait et agit en conséquence.
44Il est donc clair que la relation d’amitié entre Domingo Del Monte et Alexander Hill Everett, ainsi que les relations de ce dernier avec Calhoun allaient s’avérer décisives dans la politique cubaine des États-Unis en cette année 1843, particulièrement propice aux conservateurs sudistes dans l’administration Tyler. Durant les premiers mois de sa présidence, Tyler et les Whigs avaient bien cohabité jusqu’à ce que le président s’opposât à la loi pour la création d’une banque fédérale présentée par le whig Henry Clay. Ce geste lui valut d’être expulsé du parti. Ayant ainsi rompu avec son parti et vu tous ses ministres démissionner, mis à part le secrétaire d’État Daniel Webster, Tyler s’entoura alors d’une équipe de conservateurs sudistes et s’appuya désormais sur les représentants démocrates au Congrès. Au milieu de l’année 1843, il décida de lancer une campagne pour l’annexion du Texas, ce qui conduisit à la démission de Daniel Webster, profondément opposé à un tel projet. Tyler le remplaça aussitôt par un « compatriote » virginien, Abel Upshur, propriétaire d’esclaves mais surtout ami et « disciple » de John C. Calhoun. Après avoir eu connaissance de la lettre de Del Monte, Calhoun suggéra à son ami et désormais secrétaire d’État de proposer à la France et à l’Espagne un accord visant à garantir à l’Espagne la possession de l’île contre la Grande-Bretagne. En bon disciple et, comme le démontre Paquette, essentiellement sur la base de la lettre de Domingo Del Monte, Upshur suivit les conseils de son mentor. Le 8 novembre 1843, trois navires de guerre américains arrivèrent à La Havane avec pour instructions de ne reconnaître que l’autorité du nouveau capitaine général Leopoldo O’Donnell et de lui proposer de défendre Cuba contre la Grande-Bretagne41.
45Ainsi, la relation privilégiée entre Del Monte et Everett permit à une certaine classe de Créoles d’influencer de manière subtile mais bien réelle le cours de la politique étrangère américaine. Grâce à la ténacité de Del Monte, leur désir d’échapper à l’influence anglaise, et éventuellement d’être annexés à l’Union, traversa le golfe du Mexique et parvint à faire son chemin dans une administration désormais expansionniste et bien plus sensible aux intérêts sudistes, faisant de l’annexionnisme créole une source supplémentaire pour nourrir les rêves d’expansion de leur voisin. Cela démontre que l’expansionnisme américain vers la Perle des Antilles – qui commençait à prendre des traits de plus en plus sudistes – n’était pas ce mouvement unilatéral que l’on a tendance à dépeindre mais un phénomène qui fut aussi nourri par l’activisme de certains Créoles.
Chronique d’une conspiration avortée…
46Bien évidemment, l’histoire ne s’arrête pas là : le capitaine général O’Donnell, très méfiant à l’égard des Américains, pensait que leur présence dans les eaux territoriales cubaines pouvait au contraire provoquer l’intervention britannique qu’ils cherchaient justement à éviter. L’agitation des esclaves pouvait aussi leur servir de prétexte pour maintenir une force d’intervention permanente sur l’île. O’Donnell rejeta donc l’offre d’Abel Upshur expliquant que son île ne courait aucun risque et qu’il contrôlait parfaitement la situation, ce que Del Monte se refusait à croire42. L’année 1843 avait en effet été marquée par une forte agitation au sein de la population esclave de l’île. Cela avait commencé au mois de mars, quand une révolte importante se produisit du côté de Cárdenas. Puis, tout au long de l’année, de nombreuses plantations et raffineries de sucre à travers l’île furent touchées par des incendies et destructions provoquées par les esclaves. Les planteurs avaient aussi remarqué une plus grande arrogance de la part des esclaves et de la population de couleur libre. Il semble que, outre leur fréquence et leur envergure, la spécificité de ces révoltes résidât dans le fait qu’elles furent provoquées par une conscience de plus en plus exacerbée chez les esclaves cubains de leur droit naturel à la liberté plutôt que par un acte de violence isolé commis par un contremaître particulièrement violent43.
47En avril 1843, un mois après la révolte servile de Cárdenas, le consul britannique Crawford informa ses supérieurs qu’il avait reçu la visite d’un rebelle noir libre du nom de Juan Rodriguez. Rodriguez lui confia que la population de couleur s’était engagée dans un complot dont David Turnbull était la figure de ralliement et le point de contact des Noirs pour tout ce qui touchait à la question de l’émancipation44. Mais ce dernier ayant quitté l’île, il ne leur restait plus qu’à s’adresser au nouveau consul. Crawford tenta de le décourager, lui assurant que la Grande-Bretagne ne s’engagerait jamais dans ce genre de complot. Mais Juan Rodriguez n’abandonna pas et lui rendit une seconde visite. Turnbull nia totalement les faits lorsqu’il y fut confronté par Lord Aberdeen. Le moindre aveu de sa part lui aurait en effet coûté son poste en Jamaïque. Néanmoins, il est tout à fait probable qu’il ait eu des contacts avec Rodriguez car, comme le dit Paquette, ce dernier n’avait aucune raison de mentir sur un sujet aussi grave45. De même, à la fin de l’année 1843, pendant qu’il séjournait encore à Philadelphie, les nouvelles alarmantes qu’il recevait de l’île poussèrent Del Monte à signaler à Alexander Everett que la situation à Cuba était bien plus dangereuse qu’O’Donnell ne voulait bien le reconnaître. Il lui annonça même l’imminence d’une importante insurrection d’esclaves dans la province de Matanzas, similaire à celle qui avait touché Saint-Domingue un demi-siècle auparavant.
48Or, le 5 novembre 1843 marqua le début d’une insurrection de grande ampleur. Ce jour-là, des esclaves de la plantation de canne à sucre El Triunvirato, dans la province de Matanzas, ravagèrent la plantation avant de se diriger vers la plantation voisine d’Ácana où ils brûlèrent des bâtiments, tuèrent six blancs et en blessèrent d’autres au passage. Les esclaves de Triunvirato brûlèrent aussi les possessions des esclaves d’Ácana qui hésitaient à les suivre et les entraînèrent dans leur sillage. Le lendemain, ils arrivèrent à une autre plantation de canne, la Concepción, qui subit le même sort que les précédentes. Le groupe de départ avait recruté d’autres esclaves au passage et poursuivit ses destructions sur deux autres plantations avant d’arriver à la raffinerie de San Rafael, où il fut pris en embuscade par un groupe de rabatteurs et de lanciers venus de la ville de Matanzas. Une bataille de plusieurs heures s’ensuivit, au cours de laquelle 54 esclaves furent tués et 67 capturés. Quant au reste des rebelles, ils finirent par s’enfuir.
49En réponse à ces violentes révoltes, 93 planteurs importants de la province de Matanzas signèrent une pétition où ils rendaient la révolte de Saint-Domingue et l’abolition de l’esclavage en Jamaïque responsables de l’éruption de violence dans la région et demandaient des mesures de protection accrues ainsi que l’arrêt définitif de la traite négrière transatlantique. Mais O’Donnell, qui se méfiait beaucoup de ces Créoles opposés à la traite, voyait en leur demande d’éradiquer la traite une première étape vers l’indépendance et considérait toute pétition comme une menace contre les intérêts de la couronne espagnole. De plus, l’intervention américaine d’Abel Upshur, trois jours à peine après l’importante révolte du 5 novembre 1843, avait contribué à exacerber sa défiance. Paquette soutient que le capitaine général se méprenait sur ces planteurs qui ne cherchaient ni l’indépendance, ni l’abolition, ni même l’annexion aux États-Unis, mais simplement une réforme du système qui les protégeât contre ce genre de révolte. Cependant la suite des événements sembla confirmer tous les soupçons du capitaine général46.
50Après le soulèvement des 5 et 6 novembre, le propriétaire de la plantation de canne Santísima Trinidad, dans la province de Matanzas, Esteban Santa Cruz y Oviedo, un homme notoirement connu des planteurs de la province pour le mauvais traitement qu’il infligeait à ses esclaves, découvrit une conspiration impliquant des esclaves qui lui appartenaient et d’autres qui vivaient dans la région. À la suite de cette découverte, O’Donnell, bien déterminé à se débarrasser de toute forme de dissidence, donna l’autorisation au gouverneur de Matanzas, García Ona, d’envoyer des troupes à Sabanilla et de soutirer la vérité aux conspirateurs. Sous l’effet de la torture, les esclaves accusés d’être impliqués dans la conspiration avouèrent qu’ils préparaient une révolte qui devait éclater la nuit de Noël. Une centaine d’esclaves furent alors condamnés à la prison et seize furent exécutés devant environs mille esclaves rassemblés pour l’occasion par les autorités coloniales. Le résultat de cette vague de torture fut la découverte, au mois de janvier 1844, d’une vaste conspiration d’esclaves désormais connue sous le nom de « conspiration de la Escalera ». Elle avait été inspirée, dit-on, par des agents britanniques qui cherchaient à ruiner la Perle des Antilles en proclamant l’abolition de l’esclavage et l’indépendance de l’île. Outre les esclaves et ces agents étrangers, les soupçons s’étendirent à la population libre de couleur et à la population blanche, en particulier à ceux qui étaient ouvertement opposés à la traite. Selon Robert Paquette, cette méfiance était exagérée. Les soupçons du capitaine général étaient un pur produit de sa paranoïa, qui le poussait à accorder trop d’importance à une série de coïncidences, de ses préjugés raciaux, qui lui faisaient croire que les gens de couleur étaient incapables de planifier une révolte élaborée, et de la pression des marchands d’esclaves, qui offraient de le payer pour maintenir la traite47.
51Que la conspiration eut été réelle ou imaginée, les conséquences de sa découverte furent en revanche très concrètes48. L’année 1844, que les Cubains désignent depuis par l’Année du Fouet (El Año del Cuero), fut en effet marquée par une répression particulièrement violente contre la population de couleur. Dans le but d’extorquer des informations aux esclaves et aux Noirs libres accusés d’être impliqués dans la conspiration, les autorités coloniales eurent systématiquement recours à la torture et à la terreur. Les suspects étaient attachés à une échelle et interrogés à l’aide du fouet, souvent jusqu’à ce que mort s’ensuive, d’où le nom de « conspiration de La Escalera49 » et « d’Année du Fouet ». Les dérives du pouvoir furent si nombreuses, allant de scènes de flagellation collectives à la mise en place d’un vaste réseau d’espions à La Havane, que l’image de l’Inquisition est récurrente dans les écrits de l’époque. Leopoldo O’Donnell accorda aussi les pleins pouvoirs à la Commission militaire autorisant son président, Fulgencio Salas, à étendre l’usage de la violence aux interrogatoires des Noirs libres. Les arrestations furent alors tellement nombreuses que la prison de Matanzas était surpeuplée. La branche de la Commission militaire établie à Matanzas jugea environs 1 770 personnes, en majorité noires et mulâtres. Parmi elles, 78 personnes furent jugées coupables d’incitation à la révolte, condamnées à mort et exécutées, 1 292 autres furent envoyées en prison et 400 furent condamnées à l’exil. Et il ne s’agit là que d’une infime partie des condamnations qui s’étendirent à La Havane et à la province de Cárdenas qui comptaient près de 40 % de la population esclave de l’île50.
52Cette campagne de répression et de terreur toucha aussi les intellectuels et les notables noirs dans le but de laisser la population noire sans guides qui eussent pu l’inspirer et mener une révolte contre le système servile. L’histoire se souvient tout particulièrement du sort réservé au célèbre poète mulâtre libre, Gabriel de la Concepción Valdés, plus connu sous le nom de Plácido. Ce dernier fut accusé d’être le meneur du groupe de Noirs libres impliqués dans ladite conspiration et exécuté par les autorités espagnoles, faisant ainsi de lui un martyr de la liberté et de l’indépendance pour les futures générations51. Un autre poète noir fit aussi partie des victimes de la répression : Juan Francisco Manzano, qui n’avait pas échappé à la campagne de terreur lancée par Leopoldo O’Donnell. Accusé d’être impliqué dans l’organisation de la conspiration en raison de ses liens avec Domingo Del Monte, qui avait permis sa libération, Manzano ne fut pourtant pas exécuté comme son confrère Plácido mais emprisonné plusieurs fois au cours de l’année 1844. Après plusieurs mois passés en prison, le poète fut innocenté et libéré en 1845. Toutefois, il fut tellement traumatisé par la prison qu’il se mura dans le silence jusqu’à la fin de sa vie et mit ainsi fin à une brillante carrière littéraire52.
53Suite à cet épisode, les codes noirs cubains, réputés pour leur relative humanité vis-à-vis des esclaves, furent renforcés et devinrent particulièrement sévères. Les barrières raciales entre Blancs et Noirs furent aussi renforcées. Ainsi que l’explique le poète américain William Cullen Bryant, qui visita Cuba à la fin des années 1840, les Noirs n’avaient désormais plus le droit de se mélanger à la population blanche ainsi qu’ils le faisaient auparavant dans les rassemblements populaires comme les combats de coqs. De plus, les autorités coloniales disposaient désormais de raisons valables pour justifier la revente des emancipados, pratique auparavant courante mais clandestine. Elles se servirent de la conspiration comme la preuve irréfutable que leur libération conduisait à l’augmentation de la population libre de couleur, et par conséquent aux risques de révolte, menaçant ainsi les intérêts de la population blanche et de la Couronne53. Alors que les soupçons qui pesaient sur la population noire, libre aussi bien qu’esclave, auraient pu conduire à une diminution significative du commerce d’esclaves africains, en réalité la traite négrière transatlantique reprit de plus belle sous le règne de Leopoldo O’Donnell. Ainsi, malgré l’opposition croissante des planteurs créoles au maintien de la traite, malgré les pressions des officiels britanniques à Cuba et de Lord Aberdeen pour faire appliquer le traité de 1835, environs 7 000 esclaves furent introduits à Cuba en 1843. Un an plus tard, on en comptait 10 000 de plus54.
54La population noire ne fut cependant pas la seule à être touchée par les représailles espagnoles. Des sujets britanniques installés sur l’île, des citoyens américains travaillant comme ingénieurs de plantation et des notables créoles libéraux furent également accusés de conspirer contre la couronne. Parmi les suspects créoles les plus connus signalons la romancière Gertrudis Gomez de Avellaneda, José de la Luz y Caballero et son ami Domingo Del Monte qui faisaient partie des opposants à la poursuite de la traite transatlantique. Tous les trois se trouvaient à l’étranger au moment des faits et échappèrent à la prison. En revanche, ceux qui étaient restés à Cuba, tels que le romancier Félix Tanco y Bosmeniel, furent emprisonnés. Pour en revenir à Del Monte, lorsque la conspiration fut découverte, il résidait encore à Philadelphie, qu’il quitta en mars 1844 pour se rendre à Paris. C’est là qu’il apprit qu’on l’accusait non seulement d’y avoir participé mais d’en avoir même été l’instigateur. Rappelons que malgré son opposition à la poursuite de la traite, la simple évocation d’une émancipation immédiate donnait à Del Monte des sueurs froides. Il paraît donc peu probable qu’il eût pu participer à un tel plan. Toutefois, la lettre alarmante qu’il avait envoyée à Alexander H. Everett en novembre 1842, puis d’autres qu’il lui envoya au cours de l’année 1843 soulignent qu’il était au moins au courant de l’existence d’un plan de révolte et de l’implication de certains Créoles. Il y informait Everett de ses efforts pour freiner les activités des abolitionnistes britanniques et l’éclatement de la violence parmi les esclaves. Dans une lettre datant du 28 juin 1844, il annonce avoir eu des contacts avec un agent anglais qui lui avait fait part de son plan de soulever les esclaves et avait proposé à Del Monte de mener la révolte, ce que ce dernier avait refusé. Il affirme même avoir réussi à convaincre cet agent ainsi que d’autres jeunes Créoles d’abandonner ces plans. Mais ce fut bien insuffisant au regard de ce qui s’était finalement passé. Il est donc assez difficile de se faire une idée précise du rôle qu’il a pu jouer dans la conspiration.
55Mais il est certain qu’Alexander H. Everett était régulièrement mis au courant de ce qui se passait sur l’île grâce à son ami créole qui fit aussi appel à son aide pour le disculper auprès des autorités espagnoles. Il lui demanda notamment de montrer sa lettre du 20 novembre 1842 au nouvel ambassadeur espagnol à Washington, Angel Calderón de la Barca. Everett accepta gracieusement d’aider son ami et fit de son mieux pour que ce dernier fût innocenté, entretenant une correspondance suivie avec l’ambassadeur espagnol et son épouse, Fanny Calderón de la Barca, et envisageant même d’intervenir auprès de John C. Calhoun ou du président Tyler pour faire avancer les affaires de son ami. De son côté, pour convaincre Madrid de son innocence, Del Monte démarcha l’ambassadeur espagnol à Paris, lui envoyant à cet effet une chronique sur la situation cubaine dont Everett reçut aussi une copie afin de la communiquer à John C. Calhoun55.
56Ainsi, la répression, qui devait éradiquer toute tentative de dissidence, porta un coup sévère à la vie intellectuelle et au discours littéraire dans l’île. Le 9 septembre 1844, l’écrivain Cirillo Villaverde écrivait à Del Monte que la chape de plomb était si lourde qu’il était difficile pour deux hommes de lettres de se rencontrer pour parler littérature56. La répression radicalisa également certains intellectuels et activistes annexionnistes, tout en nourrissant la vague d’immigration d’intellectuels libéraux vers les États-Unis et l’Europe, une vague qui avait commencé vingt ans plus tôt avec le départ du père Félix Varela et du poète José María de Heredia pour les États-Unis. Nous verrons au cours du prochain chapitre que les conséquences de cette répression se feront ressentir de façon très concrète aux États-Unis. Car, à la fin des années 1840, cette communauté croissante d’exilés cubains allait s’avérer très active dans l’organisation des expéditions de flibustiers à partir de l’Union pour libérer l’île de l’emprise espagnole57.
57Mais pour l’heure, il est important de souligner, comme le démontre brillamment Robert Paquette, que cette conspiration avortée et la répression qui s’ensuivit illustrent parfaitement la complexité de la situation de l’esclavage dans la région, où se confrontaient simultanément le puissant abolitionnisme britannique, l’influence américaine et une situation locale explosive. Ces événements finirent de convaincre Calhoun, et les planteurs sudistes, que le processus d’abolition universelle de l’esclavage lancé par la Grande-Bretagne était bien entamé. Ils en vinrent à la conclusion que la politique du statu quo que les États-Unis avaient jusque-là pratiqué était devenue obsolète et qu’il était temps de passer à l’étape suivante. Il fallait donc prendre des mesures concrètes pour enfin annexer la Perle des Antilles. Ainsi que l’écrit Philip S. Foner, « La Escalera fut donc un moment clé dans l’histoire de Cuba et de ses relations avec son voisin nord-américain. Il y eut une vague annexionniste à Cuba et aux États-Unis avec pour objectif commun la protection et la préservation de l’esclavage58 ». Mais avant cela, les États-Unis devaient s’occuper de leur expansion vers l’Oregon et le Texas, qui impliquait aussi la Grande-Bretagne et la question de l’esclavage59.
… en plein débat sur le Texas
58Pendant que ces événements tragiques se déroulaient sur l’île, les États-Unis étaient eux-mêmes en ébullition. L’année 1844 était en effet une année électorale marquée par un débat passionné sur l’annexion du Texas à l’Union. Rappelons certains faits importants concernant les relations entre les États-Unis et le Texas. Tout d’abord, la France et la Grande-Bretagne avaient respectivement reconnu l’indépendance du Texas en 1839 et 1840, ce qui suscita chez les Américains la crainte de se voir encerclés par ces deux puissances coloniales. Aussi, pour se protéger, voyaient-ils comme une nécessité d’annexer cet immense État. À l’automne 1843, sur instruction du président Tyler qui voulait se faire réélire, le secrétaire d’État Abel Upshur avait donc entamé des discussions avec le Texas dans le but de parvenir à un traité d’annexion60. Mais l’accord du Texas n’était pas suffisant. Tyler avait aussi besoin d’une opinion publique favorable à la ratification d’un tel traité. Or, l’opinion publique dans les États du Nord était très divisée sur la question de l’annexion. Il fallait donc convaincre les Nordistes qu’il était dans leur intérêt et celui de l’Union d’annexer un territoire qui allait surtout servir les intérêts des Sudistes qui y voyaient un moyen d’étendre l’esclavage et de consolider leur pouvoir au sein de l’Union.
59Pour convaincre cette partie réfractaire de l’opinion publique, Tyler fit un choix en apparence paradoxal. Il s’adressa à un représentant du Sud profond, Robert J. Walker, sénateur du Mississippi originaire de Pennsylvanie. Le choix de Tyler ne manquait toutefois pas de cohérence car Robert J. Walker, annexionniste convaincu, ne faisait pas partie des idéologues pro-esclavagistes. Il n’était pas un défenseur inconditionnel de l’esclavage comme « bien positif » et le considérait au contraire comme un problème. Néanmoins, il n’envisageait pas l’Institution particulière comme un problème moral mais comme un problème d’ordre économique qui allait se résoudre par le déplacement progressif et naturel de la population noire vers le Sud puis hors de l’Union. Par conséquent, l’extension de l’esclavage vers l’Ouest était à ses yeux une première étape qui, à terme, devait mener à sa disparition. Cela ne devait donc pas représenter un obstacle à la constitution de l’empire américain61.
60En janvier 1844, Walker publia ses idées dans une lettre de trente-deux pages, Letter of Mr Walker of Mississippi, Relative to the Annexation of Texas (Washington, 1844), éditée à plusieurs millions d’exemplaires, reproduite et résumée dans plusieurs journaux nordistes. Jouant sur l’anglophobie des Américains, il prévenait ses concitoyens que si le Texas n’était pas immédiatement annexé, il allait immanquablement devenir un satellite de la Grande-Bretagne ce qui laisserait tout l’ouest de l’Union à la merci des attaques britanniques et indiennes. Et avec la présence des Britanniques dans la région des Caraïbes, les États-Unis finiraient alors encerclés par la perfide Albion. Cependant, l’aspect le plus important de ce texte, selon Frederick Merk, résidait dans ce qu’il y disait de l’esclavage. Pour rassurer ses compatriotes nordistes, Walker leur présentait l’annexion du Texas non comme un moyen d’étendre les territoires esclavagistes mais au contraire comme l’occasion rêvée, voire indispensable, de faire reculer l’esclavage et, à terme, de l’éliminer complètement du sol américain, en accélérant le processus sociologique et économique déjà à l’œuvre. La position de Walker était tout sauf pro-esclavagiste puisqu’il soutenait que l’esclavage contenait les germes de sa propre destruction. D’après lui, l’émigration de la population esclave des États frontaliers (Delaware, Maryland, Virginie et Kentucky) vers le Sud et l’Ouest étant déjà bien entamée, l’annexion du Texas allait accélérer ce mouvement migratoire.
61Mais si la république du Texas préservait son indépendance, elle deviendrait une annexe de la Grande-Bretagne qui travaillerait alors à l’abolition de l’esclavage, fermant ainsi la porte à l’émigration de la population esclave américaine vers le Texas. Et quand toutes les terres seraient épuisées par l’agriculture intensive pratiquée sur les plantations, que les planteurs se retrouveraient sans autre choix que d’émanciper leurs esclaves, la population servile nouvellement affranchie des États frontaliers se tournerait alors vers le Nord pour trouver du travail. Elle inonderait le Nord, qui avait déjà bien assez de problèmes avec sa population de Noirs libres frappée par la dégénérescence mentale, le vice et la pauvreté. En revanche, si le Texas était annexé, une fois que la population esclave s’y serait concentrée, l’agriculture intensive qui y serait pratiquée finirait par épuiser la terre et il n’y aurait plus de possibilité de travail pour les esclaves. Les planteurs n’auraient alors d’autre alternative que de les libérer. L’esclavage disparaîtrait ainsi définitivement du territoire américain. Une fois affranchis et ne trouvant plus de travail sur les plantations, les anciens esclaves n’auraient d’autre choix que de migrer vers l’Amérique latine. Celle-ci était présentée comme l’endroit idéal pour ces nouveaux affranchis en raison du climat tropical favorable à la race noire mais aussi parce qu’ils y auraient été accueillis à bras ouverts par une population composée à 90 % de gens de couleur. L’annexion du Texas était donc présentée comme la valve de sûreté qui, dans un premier temps, allait assurer l’extension de l’esclavage et, à terme, son éradication pacifique62.
62La thèse de Walker reçut de nombreux soutiens de la part des Démocrates nordistes favorables à l’annexion du Texas. Parmi eux, John Louis O’Sullivan, célèbre journaliste new-yorkais d’origine irlandaise et rédacteur en chef du New York Morning News. Mais O’Sullivan était surtout un des co-fondateurs en 1837 de la revue démocrate The United States Magazine and Democratic Review, publiée à New York depuis 1841. Il en était aussi le rédacteur en chef à l’époque des débats sur l’annexion du Texas et ce jusqu’en 1846. Pendant la période où il fut seul en charge de la rédaction, la littérature occupa une place de choix dans la revue. C’est ainsi qu’il fut le premier à publier des auteurs tels que le poète William Cullen Bryant, son grand ami Nathaniel Hawthorne, Walt Whitman ou encore Ralph Waldo Emerson. Il publia aussi des écrivains du Sud tels qu’Edgar Allan Poe et William Gilmore Simms.
63Les questions de politique intérieure constituaient toutefois le « plat de résistance » de la revue, ainsi que l’écrit Frank Luther Mott63. O’Sullivan était un fervent expansionniste et un partisan passionné d’Andrew Jackson. C’était un homme qui croyait profondément en l’idée que les États-Unis étaient destinés à propager la démocratie et les valeurs républicaines au reste du monde. À ses yeux, l’annexion du Texas faisait partie du processus d’extension de leur empire. En juillet 1844, il écrivit un article où il soutenait la thèse de Walker y ajoutant l’idée qu’une fois l’abolition de l’esclavage acquise, et les anciens esclaves transférés vers l’Amérique latine, le Texas serait alors peuplé par les nordistes blancs. Ceux-ci restaureraient les terres épuisées des anciennes plantations et rendraient le lieu prospère grâce à leur travail intelligent. Ils démontreraient ainsi à l’Amérique que le travail libre était supérieur au travail servile, ce qui en accélèrerait l’abolition aux États-Unis.
64O’Sullivan n’était pas le seul à souscrire à cette thèse. Un autre démocrate expansionniste avec lequel il s’était lié d’amitié professait les mêmes idées : Alexander Hill Everett qui, en l’espace de trois mois, publia deux articles traitant du Texas et de Cuba, dans la revue de son ami64. Le premier article qu’il écrivit, à la demande de John L. O’Sullivan, est une lettre de vingt pages écrite à Springfield, Massachusetts, où il s’était installé après avoir quitté son poste de directeur à Jefferson College en raison des problèmes de santé que lui avait causé le climat louisianais. Le texte, publié en septembre 1844 dans la Democratic Review, est long65. Everett y déploie une logique minutieuse et extrêmement efficace dans la mesure où tout en défendant les bienfaits d’une annexion du Texas et le droit des États-Unis à s’adjoindre cette république, l’auteur se montre aussi relativement respectueux à l’égard des opposants à l’annexion. Dans le premier tiers de l’article, il répond à deux des principaux arguments contre l’annexion du Texas : d’une part, il n’existait aucun élément dans la Constitution qui empêchât le gouvernement fédéral d’annexer ce territoire. D’autre part, si les Texans eux-mêmes désiraient être annexés, puisqu’ils étaient indépendants et souverains, ils étaient libres de le faire sans que les Mexicains se sentent lésés ou insultés. En d’autres termes, l’annexion du Texas ne signifiait en aucune façon un manque de respect des États-Unis à l’égard du Mexique66. S’inscrivant dans la mystique expansionniste, il ajoute que, de toute façon, rien ne pouvait se mettre en travers d’une telle annexion car elle faisait partie de la destinée américaine67.
65Ce sont toutefois les deux derniers tiers de sa lettre qui nous intéressent le plus car ils sont consacrés à la question de l’esclavage et surtout au lien entre le Texas et Cuba. D’abord il explique, à l’instar de ses prédécesseurs, qu’au lieu de mener à l’extension de l’esclavage donc à l’extension du pouvoir des États du Sud, l’annexion allait, à terme, agir contre l’institution particulière. Puis, étrangement, il avance un argument quasiment opposé : l’annexion du Texas était nécessaire à la protection des États du Sud contre l’activité abolitionniste de la Grande-Bretagne dans les contrées voisines. Remontant aux événements majeurs de l’histoire américaine, à commencer par la guerre d’Indépendance, il souligne la duplicité des politiques Britanniques et exprime ses soupçons face aux protestations de la Grande-Bretagne qui se défendait de vouloir interférer dans les affaires texanes et insistait sur ses intentions purement commerciales vis-à-vis de cette jeune république68. Il ajoute que, dans une lettre adressée au gouvernement américain, Lord Aberdeen admettait par ailleurs avoir l’intention de mettre fin à l’institution de l’esclavage au Texas et aux États-Unis mais se refusait à l’usage de moyens malhonnêtes ou qui eussent porté préjudice aux États-Unis pour atteindre son objectif. Cependant, Alexander Hill Everett considérait cet aveu comme la preuve irréfutable de la volonté d’ingérence de la Grande-Bretagne dans les affaires américaines. Et pour répondre aux intentions affichées des Britanniques, il imagine la réaction du ministre des affaires étrangères russe si la reine de Grande-Bretagne annonçait son intention de vouloir mettre fin au système servile en Russie. Selon lui, l’empereur n’hésiterait pas à pointer du doigt la pratique de l’esclavage dans les Indes orientales, ainsi que les guerres de conquête, notamment contre la Chine, ou encore l’oppression que les Britanniques faisaient subir au peuple irlandais. Ce faisant, Everett utilisait un argument classique mais somme toute efficace : avant d’accuser leurs voisins de pratiques inhumaines, les Britanniques auraient mieux fait de « balayer devant leur porte69 ».
66Et comme les actes sont plus révélateurs que les paroles, notre auteur se propose d’examiner scrupuleusement les actions de la Grande-Bretagne pour voir si ses actes et ceux de ses sujets étaient en accord avec les propos du gouvernement. C’est là qu’il fait entrer en scène David Turnbull. Selon lui, sa nomination à Cuba avait clairement révélé que la Grande-Bretagne soutenait et approuvait l’ingérence des abolitionnistes dans les affaires de nations souveraines.
« En exprimant son approbation de façon publique aux actions des sociétés abolitionnistes et en nommant leurs membres les plus éminents à des positions de confiance dans les nations esclavagistes, [la Grande-Bretagne] leur accorde presque toute l’aide dont ils ont besoin en termes d’autorité et de respectabilité qu’ils dériveraient du fait d’agir au nom du gouvernement. Par ailleurs, en confiant à des associations privées le détail des actions à entreprendre, elle assure moralement l’adoption de mesures et la circulation de publications dont aucun gouvernement ne peut assumer la responsabilité70. »
67Ce genre de nomination était bien calculé et reflétait la volonté de la Grande-Bretagne d’agir contre l’existence de l’esclavage sans que le gouvernement britannique ne fût directement impliqué dans des actes que les nations esclavagistes pouvaient considérer hostiles. Son interprétation de la nomination d’agents abolitionnistes à des postes clés, et celle de David Turnbull en particulier, est très bien vue. Elle souligne une fois de plus la clairvoyance du personnage, bien qu’elle fût aussi biaisée par son anglophobie.
68Puis, reprenant les propos de Lord Aberdeen, qui affirmait vouloir éradiquer l’esclavage à travers le monde, Everett choisit une définition assez large du terme pour prendre en compte toutes les formes de servitude. Fort de cette définition élargie, il montre que tout en clamant vouloir combattre l’esclavage où qu’il fût, les Britanniques ne s’intéressaient en réalité qu’à celui des Noirs dans les colonies espagnoles et portugaises et aux États-Unis, sans jamais se soucier de ce qui se passait dans leurs colonies. Sans prononcer le terme hypocrisie ou duplicité et en prenant bien soin de ne pas remettre en cause la sincérité de Lord Aberdeen, c’est pourtant bien cela que notre auteur martèle au fil des pages pour en arriver enfin à Cuba comme l’illustration parfaite des intentions réelles de la Grande-Bretagne. L’observation attentive des actions menées par la Grande-Bretagne dans la Perle des Antilles permettait en effet d’anticiper avec certitude la façon dont les Britanniques pouvaient agir au Texas71.
69Après avoir brièvement présenté les différentes étapes du combat de la Grande-Bretagne contre la poursuite de la traite transatlantique à Cuba, et les activités jugées dangereuses de David Turnbull, Everett considère que le départ de ce dernier pour les Bahamas ne l’avait pas détourné de ses objectifs. Il l’accuse en effet d’avoir planifié une insurrection pendant son séjour aux Bahamas. Et c’est dans ce but qu’il avait, dit-il, débarqué quelque temps plus tard à l’est de Cuba. On se souvient pourtant que Turnbull y était retourné pour délivrer des sujets britanniques de l’esclavage auquel ils avaient été soumis. Mais Everett ne mentionne pas une seule fois les vraies raisons qui avaient ramené l’ex-consul à Cuba et se focalise plutôt sur les accusations dont il fit l’objet, le faisant passer pour un dangereux agitateur et un personnage ingrat qui, au lieu de remercier des autorités coloniales assez indulgentes pour le laisser partir sans le sanctionner, avait au contraire poursuivi ses plans de révolte révélés par la découverte de la conspiration de La Escalera. Sous la plume d’Alexander Hill Everett, qui écrit le scénario désormais classique d’un second Saint-Domingue si La Escalera avait réussi, la conspiration apparaît comme le fait des machinations de la Grande-Bretagne. En se fondant sur les confessions obtenues lors de la période de répression, il attribue à Turnbull le rôle de meneur de l’insurrection, et même de chef temporaire de l’île si la révolte avait réussi. En revanche, il ne dit pas le moindre mot sur la façon dont les confessions avaient été obtenues. Bien que la conspiration eût été découverte et réprimée à temps, ajoute-t-il, les risques d’insurrection étaient toujours présents, car la cupidité des planteurs et des autorités coloniales permettait la poursuite de la traite alors que celle-ci devait absolument cesser pour éviter un prochain bain de sang72. Pour finir, il souligne que ces événements concernaient directement les États-Unis, en particulier les États du Sud, et devaient faire l’objet d’un examen minutieux par le gouvernement américain. Utilisant l’image très évocatrice du volcan en éruption, il démontre que l’éruption d’une insurrection sur l’île pouvait très facilement se propager aux États voisins du Sud :
« Cette situation à Cuba […] est l’objet du plus grand intérêt pour ce pays, et pourrait fort bien conduire à une réflexion des plus profondes de la part du gouvernement et du peuple des États-Unis. Il s’agit là d’un volcan moral et politique bouillant, sous les dehors d’un calme forcé, d’un fougueux océan d’insurrection et de massacre, un volcan prêt à exploser à tout moment et à répandre sa lave bouillante sur tout son voisinage, un volcan séparé de nos États du Sud par un bras de mer pouvant être traversé en quelques heures. C’est là un objet auquel les hommes d’État, en particulier les hommes d’État sudistes, ne sauraient être indifférents73. »
70La relation entre les événements cubains et le Texas était donc on ne peut plus claire : le danger des activités abolitionnistes au Texas était encore plus grand dans la mesure où cette république faisait partie intégrante du continent nord-américain et était, d’un point de vue aussi bien géographique que démographique, encore plus proche du Sud que ne l’était Cuba. Selon Everett, les abolitionnistes Britanniques y étant aussi actifs qu’à Cuba, ce qui s’était passé sur l’île donnait la mesure de ce qui pouvait se passer au Texas si les États-Unis ne faisaient rien pour remédier à la situation74. Il était même tout à fait certain que ce qui attendait le Texas était similaire à la conspiration de La Escalera. Comme cela pouvait directement affecter les États-Unis, il était donc indispensable de l’annexer au plus vite. Mais contrairement à ce que l’on pouvait croire, l’idée que l’annexion devait protéger les États du Sud contre l’activité abolitionniste des Britanniques, n’avait pas pour but d’étendre l’esclavage ni de le défendre. Faisant appel aux sentiments nationalistes des Nordistes, il leur explique qu’il s’agissait avant tout de protéger une partie de la population américaine contre un sort désastreux. La seule et unique raison qui rendait le Sud si passionné et insistant quant à l’annexion du Texas était le désir de se protéger de la violence d’une insurrection d’esclaves et de gens de couleur libres. Autrement dit, il tente de convaincre des lecteurs en évacuant les arguments et l’idéologie pro-esclavagistes tout en étant certainement tout à fait conscient que c’était bien la volonté de protéger l’esclavage et de l’étendre qui motivait le Sud75.
71Il clôt son texte sur une critique du traitement de la question par les journaux du Nord qui, en se montrant très critiques à l’égard du Sud, agissaient de la même façon que la Grande-Bretagne se comportait vis-à-vis de l’Union. Il rejette totalement l’idée, alors très répandue au Nord, que le gouvernement était dirigé par les intérêts esclavagistes. Il prend ainsi la défense du Sud en démontrant que ce qui lui avait permis d’être influent était bien moins l’esclavage que les grands hommes politiques qu’il avait donnés à la nation et le fait qu’il défendit toujours les intérêts du peuple américain. Pour finir, il appelle le Nord à désormais traiter le Sud avec la courtoisie et le respect qu’il mérite.
72Deux mois plus tard, en novembre 1844, Everett publiait, dans la même revue, un autre texte, intitulé « Present State of Cuba76 ». Il s’agit en fait d’une traduction du compte rendu que Del Monte avait envoyé au gouvernement espagnol pendant la répression de La Escalera pour plaider son innocence. Il en avait aussi envoyé une copie à Everett sur la demande expresse de ce dernier, qui l’avait à son tour transmis à Calhoun77. Le texte du Cubain est néanmoins précédé d’une introduction de quatre pages où Everett reprend brièvement les arguments qu’il avait présentés dans sa précédente lettre contre l’action abolitionniste des Britanniques à Cuba, sans pour autant évoquer la question texane. Il n’est pas nécessaire de s’attarder sur ce texte qui n’est finalement qu’une répétition de ce qui précède. Toutefois, deux points méritent d’être soulignés.
73D’une part, tout comme le rapport sur l’éducation cubaine qu’il avait publié dans la revue sudiste Southern Quarterly Review lui avait été communiqué par Domingo Del Monte, les informations qu’Alexander H. Everett présente, cette fois au lectorat nordiste, sont en grande partie fournies par l’intellectuel créole. Cette circulation de textes cubains vers les États-Unis révèle que l’influence créole pouvait aisément faire son chemin dans la presse américaine et, d’une certaine façon, s’immiscer dans les débats nationaux américains.
74D’autre part, il faut noter qu’entre le moment où Walker rendit publique sa théorie de la valve de sûreté et le moment où Everett publia ces articles, la situation au sein du cabinet avait changé. En février 1844, le secrétaire d’État Abel Upshur mourut accidentellement. Au cours d’une cérémonie destinée à démontrer la puissance militaire des États-Unis, le canon du vaisseau Princeton explosa devant un groupe d’officiels dont Upshur faisait partie. Il fallait donc rapidement lui trouver un remplaçant. Celui-ci ne fut autre que son mentor, John C. Calhoun, qui prit ses fonctions en avril 1844, non sans avoir rencontré une forte opposition de la part du président Tyler qui voyait en lui un rival de taille au sein de son propre cabinet. Les partisans d’Andrew Jackson et de Martin Van Buren étaient également particulièrement hostiles au meneur de la crise de l’Annulation78. Mais Calhoun fut tout de même nommé et, en sa qualité de secrétaire d’État, il recevait désormais les informations officielles de la terreur instaurée par les autorités espagnoles suite à la découverte de La Escalera79. En tant que chantre de la cause pro-esclavagiste, Calhoun ne pouvait soutenir la thèse de la valve de sûreté, considérant que l’annexion du Texas devait protéger le régime esclavagiste des assauts de la Grande-Bretagne. Sur ce point particulier, sa position divergeait de celle d’Everett. Néanmoins, les deux hommes étaient d’accord sur deux points essentiels : d’une part que l’abolitionnisme britannique était une menace majeure pour les États-Unis et qu’il était par conséquent vital d’annexer le Texas.
75Calhoun pensait fermement que si le Texas restait indépendant, les Britanniques chercheraient à y abolir l’esclavage, pour sauver l’économie de leurs colonies des Caraïbes et rétablir leur compétitivité sur le marché international. Une fois l’abolition au Texas acquise, ils se tourneraient vers son voisin américain pour y achever leur combat contre l’esclavage. L’annexion du Texas était donc une priorité. Mais cela servait avant tout les intérêts de la « nation sudiste » car le Sud n’avait pas de doute sur le danger que posait la politique britannique au Texas. La Caroline du Sud, en particulier, très déterminée à annexer le Texas, semblait mener l’attaque contre la Grande-Bretagne. C’est en tout cas ce que l’on comprend à la lecture de la correspondance d’un des consuls britanniques en poste dans les États du Sud. William Ogilby, consul à Charleston, rend compte de l’hostilité de la Caroline du Sud à l’égard de la Grande-Bretagne. Au cours de l’année 1844, il envoie régulièrement des coupures de presse au Foreign Office qu’il tient aussi au courant de ses efforts incessants pour convaincre ses interlocuteurs en Caroline du Sud des intentions tout à fait honorables de la Grande-Bretagne, en insistant sur le fait que son pays n’avait pas la moindre intention d’interférer dans les affaires texanes80. C’est donc bien le Nord qu’il fallait convaincre du bien fondé d’une telle annexion. Aussi, après avoir lu le texte d’Everett sur la situation au Texas, Calhoun lui envoya une lettre où il le félicitait de son soutien et reconnaissait que sa valeur était d’autant plus grande qu’il venait d’un nordiste. Everett apparaissait ainsi comme un allié de choix au Nord, et Calhoun était persuadé qu’il avait eu raison de souligner le lien intime entre la question texane et la question cubaine. Robert Paquette affirme par ailleurs que les événements tragiques qui avaient frappé l’île en 1844, lui permirent d’accroître ses chances de convaincre l’Union des véritables intentions qui se cachaient derrière l’apparente philanthropie britannique81.
76Les événements cubains eurent donc une incidence sur l’annexion du Texas dans la mesure où la correspondance entre Alexander Hill Everett et son ami Del Monte nourrit le débat dans la presse et au sein du cabinet Tyler. De ce fait, cette correspondance favorisa la cause annexionniste, notamment en raison de la forte diabolisation qui était faite de la Grande-Bretagne autour de la question de l’esclavage et de l’abolition.
Notes de bas de page
1 Pour se faire une idée de la relation entre Everett et John Quincy Adams, voir « Letters of John Quincy Adams tau Alexander Hamilton Everett, 1811-1837 », The American Historical Review, vol. 11, n° 2, janvier 1906, p. 332-354.
2 « Cuba Without War. Letter from Alexander Hill Everett to the President of the United States », Hale E. E. (dir.), Cuba, The Everett Letters on Cuba, Boston, Ellis, 1897, p. 5-14.
3 Paquette R., « The Everett – Del Monte Connection : A Study in the International Politics of Slavery », Diplomatic History, vol. 11, 1987, p. 5-12.
4 Ibid. ; « Alexander Hill Everett » [], dernière consultation, le 3 janvier 2013 (erreur en 2017). Voir également Spengler J. J., « Alexander Hill Everett Early American Opponent of Malthus », The New England Quarterly, vol. 9, n° 1, mars 1936, p. 97-118.
5 J. A. Echevarria a Domingo Del Monte, 1 de Mayo 1840 ; Alexander Hill Everett to Del Monte, May 12, 1840, Figarola-Caneda D. (dir.), Centón epistolario de Domingo Del Monte, 7 vol., La Habana, Imprenta del Siglo XX, 1923-1957, vol. 4, p. 144, 148-149.
6 Everett to Del Monte, June 13th, 1840, Figarola-Caneda D. (dir.), Centón epistolario, vol. 4, p. 156-157.
7 J. J. Gurney, A Winter in the West Indies and Florida containing general observations upon modes of travelling, manners and customs, climate and production with a particular description of St Croix, Trinidad de Cuba, Havana, Key West, as places of resort for northern invalids, New York, Wiley and Putman, 1839.
8 Everett to Del Monte, November 30th, 1840 ; Everett to Del Monte, December 30, 1840, Figarola-Caneda D. (dir.), Centón epistolario, vol. 4, p. 196, 199.
9 Paquette R., op. cit., p. 7-12.
10 Paquette R., Sugar is Made with Blood: the Conspiracy of La Escalera and the Conflict Between Empires over Slavery in Cuba, Middletown, Wesleyan University Press, 1988, p. 93-94.
11 Ibid., p. 192-195 ; Paquette R., « The Everett – Del Monte Connection », art. cit., p. 8-9.
12 « Report on the state of elementary education in the island of Cuba, in 1836, and upon the improvements of which it is susceptible, prepared by order of the section for Education of the Patriotic Society of the Havana, for the information of Her Majesty’s Government, in pursuance of the Royal Order of October 21, 1834, and read at a meeting of the Society: By Don Domingo Del Monte », Southern Quarterly Review, vol. 1, 1842, p. 377-397 ; Everett to Del Monte, May 12, 1840, Figarola-Caneda D. (dir.), Centón epistolario, vol. 4, p. 148-149.
13 Norton M. B. et D. M. Kartzman et al., A People and a Nation. A History of the United States, 2 vol., Boston, Houghton Mifflin, 2005, vol. 1, p. 306.
14 « Report on the sate of elementary education », art. cit., p. 377-378.
15 Ibid., p. 378-380.
16 Ibid., p. 381-389. Il s’agissait bien entendu d’un argument destiné à se concilier les faveurs de la couronne car le véritable danger pour l’Espagne était, à n’en pas douter, l’éducation des masses laborieuses. Un people éduqué ne peut supporter longtemps l’autoritarisme d’un régime réactionnaire. Aussi, garder le peuple dans l’ignorance était-il un moyen supplémentaire de garder Cuba sous le joug de l’Espagne.
17 Ibid., p. 389-392.
18 Ibid., p. 393-394.
19 Ibid., p. 395-396. Voir aussi Gray E. K., « “Whisper to Him the Word ‘India.’” Trans-Atlantic Critics and American Slavery, 1830-1860 », Journal of the Early Republic, vol. 27, automne 2008, p. 379-406.
20 Ibid., p. 396.
21 Johnson J. J., A Hemisphere Apart. The Foundation of United States Policy Toward Latin America, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1990, p. 44-53 ; Lazo R., Writing to Cuba: Filibustering and Cuban Exiles in the United States, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2005, p. 86.
22 Benjamin H. Wright to Domingo Del Monte, August 23, 1837, Figarola-Caneda D. (dir.), Centón epistolario, vol. 3, p. 98-101.
23 Horsman R., Race and Manifest Destiny: The Origins of American Racial Anglo-Saxonism, Cambridge, Harvard University Press, 1981, p. 208-228. Il s’agit d’ailleurs de l’attitude typique des nations colonisatrices, ainsi que l’explique l’écrivain et philosophe Memmi Albert dans Portrait du Colonisé, précédé du Portrait du colonisateur, 1957, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1973.
24 Del Monte to Everett, November 20th, 1842, Everett Papers, Massachusetts Historical Society.
25 Ibid.
26 Echevarria a Del Monte, 27 de octubre 1840, Figarola-Caneda D. (dir.), Centón epistolario, vol. 4, p. 190 ; Félix Tanco y Bosmeniel a Del Monte, 8 de Abril 1841 ; Tanco a Del Monte, 15 de Marzo 1842 ; Tanco a Del Monte, 4 de Agosto 1842, Figarola-Caneda D. (dir.), Centón epistolario, vol. 7, p. 161-162, 169, 171.
27 Félix Tanco y Bosmeniel a Del Monte, 8 de Abril 1841 ; Tanco a Del Monte, 20 de Noviembre 1841, Figarola-Caneda D. (dir.), Centón epistolario, vol. 7, p. 161-164 ; Paquette R., Sugar is Made with Blood, p. 139-146, 152.
28 Paquette R., Sugar is Made with Blood, pp. 97-99. Sa réputation l’avait ainsi précédé, comme l’indique la lettre de J. A. Echevarria à Del Monte. En mai 1840, soit juste au moment de l’arrivée d’Everett et quelques mois avant la nomination de Turnbull à La Havane, Echevarria demandait à son ami si le récit de voyage de l’abolitionniste britannique avait été publié et s’il avait eu l’occasion de le lire. J. A. Echevarria a Del Monte, 1 de Mayo 1840, Figarola-Caneda D. (dir.), Centón epistolario, vol. 4, p. 144.
29 Paquette R., Sugar is Made with Blood, p. 143-157.
30 Ibid.
31 Ibid., p. 154-155, 167-172.
32 Del Monte to Everett, November 20th, 1842, Everett Papers, Massachusetts Historical Society.
33 Cité par Paquette R., Sugar is Made with Blood, p. 103.
34 Il s’agit bien du célèbre auteur Washington Irving (1783-1859). Né dans une famille de marchands new yorkais, il avait été prénommé ainsi en hommage à George Washington, dont il écrivit d’ailleurs une biographie en cinq volumes (1855-1859). Les affaires de sa famille en Europe ayant été mises à mal par la guerre de 1812, Irving s’installa à Londres en 1815 pour sauver l’entreprise familiale. Il y passa les dix-sept prochaines années de sa vie, voyageant entre Londres, Dresde, l’Italie et Paris. Au cours de son séjour parisien, Irving reçut en 1826 une lettre d’Alexander Hill Everett au moment où ce dernier occupait le poste de ministre à Madrid. Dans sa missive Everett demandait à Irving de le rejoindre, en lui expliquant que des manuscrits sur la conquête des Amériques par l’Espagne avaient été rendus publics. Irving s’exécuta et passa ainsi trois années en Espagne pendant lesquelles il écrivit trois ouvrages tirés de ses recherches dans les archives espagnoles. Il s’agit de The Life and Voyages of Christopher Columbus (1828), The Chronicles of the Conquest of Granada (1829) et Voyages and Discoveries of the Companions of Columbus (1831). En 1829, il fut nommé Secrétaire de la légation américaine à Londres, poste qu’il occupa jusqu’en 1831. L’année suivante il retourna aux États-Unis pour y poursuivre sa carrière littéraire jusqu’au moment où il fut nommé ministre en Espagne par le président whig John Tyler. Sa mission consistait, entre autres choses, à négocier des accords commerciaux avec Cuba et à suivre les débats sur l’abolition de la traite aux Cortes. Il est donc intéressant de noter que c’est sa relation avec Everett qui l’amena en Espagne pour la première fois. De même, les fonctions diplomatiques de ce célèbre écrivain soulignent, une fois de plus, le lien entre politique et littérature.
35 Paquette R., « Del Monte-Everett Connection », p. 12-14. Voir aussi Edward Everett to Alexander Hill Everett, April 29, 1843, Figarola-Caneda D. (dir.), Centón epistolario, vol. 6, p. 78.
36 Paquette R., Sugar is Made with Blood, p. 200-201 ; Paquette R., « Del Monte-Everett Connection », p. 14 ; Miguel de Aldama a Del Monte, 9 de Abril 1844, Figarola-Caneda D. (dir.), Centón epistolario, vol. 6, p. 19-22 ; Tanco a Del Monte, 3 de Mayo 1843 ; Tanco a Del Monte, 24 de Agosto 1843, Figarola-Caneda D. (dir.), Centón epistolario, vol. 7, p. 178-181.
37 Ils n’étaient d’ailleurs pas les seuls à penser ainsi : si les officiels britanniques se gardaient bien de clamer de telles opinions, certains sujets de la couronne eux ne s’en privaient pas dans leurs récits de voyage. Voir Madden R. R., The Island of Cuba: its resources, progress and prospects, considered in relation especially to the influence of its prosperity on the interests of the British West India Colonies, 1849, London, Partridge and Oakey, 1853 ; Taylor J. G., The United States and Cuba: eight years of change and travel (1842-1850), London, R. Bentley, 1851 ; Soulsby H., The Right of Search and the Slave Trade in Anglo-American Relations, 1814-1862, Baltimore, The Johns Hopkins Press, 1933, p. 39-42.
38 Paquette R., Sugar is Made with Blood, p. 184.
39 Rugemer E. B., « The Southern Response to British Abolitionism: The Maturation of Proslavery Apologetics » Journal of Southern History, vol. 70, mai 2004, p. 221-248.
40 Ibid., p. 185.
41 Paquette R., « Del Monte-Everett Connection », p. 14-15 ; Merk F., « A Safety Valve Thesis and Texan Annexation », The Mississippi Valley Historical Review, vol. 49, décembre 1962, p. 413-436 ; Alexander Hill Everett to Del Monte, February 8, 1845, Figarola-Caneda D. (dir.), Centón epistolario, vol. 6, p. 158.
42 Paquette R., « Del Monte-Everett Connection », p. 17-18 ; Sugar is Made with Blood, p. 196-198, 212-213.
43 Outre l’existence d’une tradition de révolte parmi les esclaves cubains, notamment sous les traits du marronage, depuis la révolte de Saint-Domingue, la population de couleur de l’île commençait à être au fait des idéologies révolutionnaires et à se forger son propre langage pour combattre l’oppression du régime esclavagiste et s’en libérer. Paquette R., Sugar is Made with Blood, p. 70-77, 209-211.
44 Pour le détail des confessions, voir Paquette R., Sugar is Made with Blood, p. 174.
45 En 1846, l’ancien secrétaire de Turnbull à La Havane, Francis Ross Cocking, tenta également de vendre ses confessions, incriminant Turnbull et lui-même, au Foreign Office. Puis, en 1851, il tenta de vendre ces mêmes confessions aux Espagnols. Mais l’opportunisme du personnage ne lui valut jamais que la suspicion des Britanniques, des Espagnols et des futures générations d’historiens. Paquette R., « The Everett-Del Monte Connection », p. 11 ; Sugar is Made with Blood, p. 158-177.
46 Paquette R., Sugar is Made with Blood, p. 209-214.
47 Paquette R., Sugar is Made with Blood, p. 214-217 ; Miguel de Aldama a del Monte, 10 de Marzo 1844, Aldama a Del Monte, 9 de Abril 1844, Figarola-Caneda D. (dir.), Centón epistolario, vol. 6, p. 11-13, 19-22.
48 Il existe en effet parmi les historiens cubains un vif débat quant à l’existence réelle de cette conspiration, que Robert Paquette présente très brillamment dans l’introduction de son ouvrage. Dans la mesure où il n’existe pas de preuve concrète d’un plan de révolte, le débat historique est partagé entre ceux qui pensent que la conspiration a réellement existé et ceux qui au contraire pensent qu’il s’agissait d’un prétexte inventé par le capitaine général pour réprimer l’ensemble de la population noire de l’île et servir de mise en garde contre toute tentative de rébellion. Paquette R., Sugar is Made with Blood, p. 3-26.
49 « Escalera » étant le terme espagnol pour désigner une échelle. Voir Miguel de Aldama a Domingo del Monte, 9 de Febrero 1844, Figarola-Caneda D. (dir.), Centón epistolario, vol. 6, p. 6-8.
50 Ibid., p. 219-222, 228-229 ; Lazo R., op. cit., p. 10-11. Miguel de Aldama a Del Monte, 10 de Marzo 1844 ; Aldama a Del Monte, 9 de Abril 1844 ; Manuel de Castro Palomino a Del Monte, 9 de Junio 1844, Figarola-Caneda D. (dir.), Centón epistolario, vol. 6, p. 11-13, 19-22, 42.
51 Cependant, le débat historiographique est également très vif quant à sa véritable implication dans la conspiration et son statut de martyr de l’indépendance cubaine. Gaspar Betancourt Cisneros a Domingo del Monte, 6 de Febrero 1844, Miguel de Aldama a del Monte, 9 de Febrero 1844, Figarola-Caneda D. (dir.), Centón epistolario, vol. 6, p. 4-8 ; Moliner I. (dir.), Obras de Juan Franciso Manzano, La Habana, Instituto Cubano del Libro, 1972, p. 229 ; Paquette R., Sugar is Made with Blood, p. 228.
52 Juan Francisco Manzano a Señora Doña Rosa Alfonso, Octubre 5 de 1844, Moliner I. (dir.), Obras, p. 91-96 ; Mullen E. J. (dir.), The Life and Poems of a Cuban Slave, Hamden, Archon Books, 1981, p. 15. Voir également, Ghorbal K., « De la conceptualisation de l’esclave : Juan Francisco Manzano ou la création d’un “personnage conceptuel” au service de l’élite créole réformiste cubaine au cours de la première moitié du xixe siècle », Histoire(s) de l’Amérique latine, vol. 2, mars 2007 [http://www.hisal.org/revue/article/ghorbal2007-1], dernière consultation, 20 janvier 2013 (erreur en 2017).
53 Foner P. S., A History of Cuba and its Relations with the United States, 2 vol., New York, International Publishers, 1962, vol. 1, p. 218 ; Bryant W. C., Letters of a Traveller; or Notes of Things Seen in Europe and America, 2e ed., New York, G. P. Putnam, 1850, p. 398-399 ; Paquette R., Sugar is Made with Blood, p. 231.
54 Paquette R., Sugar is Made with Blood, p. 230.
55 Paquette R., Sugar is Made with Blood, p. 223-226 ; Paquette R., « The Everett-Del Monte Connection », p. 18-20. José Luis Alfonso a Del Monte, 11 de Mayo 1844 ; José Antonio Echevarría a Del Monte, 14 de Mayo 1844 ; Manuel de Castro Palomino a Del Monte, 9 de Junio 1844 ; Alexander Hill Everett to Del Monte, June 19, 1844 ; Everett to Del Monte, July 22, 1844 ; Everett to Del Monte, August 11, 1844 ; Angel Calderón de la Barca a Alexander H. Everett, 17 de Agosto, 1844 ; Calderón de la Barca a Everett, 28 de Agosto 1844 ; Everett to Del Monte, August 30, 1844 ; Everett to Del Monte, November 27, 1844 ; Everett to Del Monte, February 8, 1845, Figarola-Caneda D. (dir.), Centón epistolario, vol. 6, p. 31-34, 42, 45-48, 71, 86-89, 92-93, 93-95, 129-131, 157-158.
56 Cirillo Villaverde a Domingo Del Monte, 9 de Septiembre 1844, Figarola-Caneda D. (dir.), Centón epistolario, vol. 6, p. 101 ; Lazo R., op. cit., p. 11.
57 Paquette R., Sugar is Made witih Blood, p. 224 ; Lazo R., op. cit., p. 10-11. Voir aussi Betancourt Cisneros a Monte, 6 de Febrero 1844 ; Félix Tanco a Del Monte, 3 de Abril 1845, Figarola-Caneda D. (dir.), Centón epistolario, vol. 6, p. 4-6, 177.
58 Paquette R., Sugar is Made with Blood, p. 50 ; Foner P. S., op. cit., vol. 1, p. 228.
59 Alexander Hill Everett a Del Monte, June 19, 1844, Figarola-Caneda D. (dir.), Centón epistolario, vol. 6, p. 46.
60 Everett a Del Monte, June 19, 1844, Figarola-Caneda D. (dir.), Centón epistolario, vol. 6, p. 47-48.
61 Merk F., op. cit., p. 415-416.
62 Ibid., p. 416-421 ; Hietala T. R., Manifest Design. Anxious Aggrandizement in Late Jacksonian America, Ithaca, Cornell University Press, p. 10-54.
63 Mott F. L., A History of American Magazines, 1741-1850, 5 vol., New York, Appleton, 1930-1968, vol. 1, p. 677-681 ; Johannsen R. W., « The Meaning of Manifest Destiny », S. Haynes et C. Morris (dir.), Manifest Destiny and Empire: American Antebellum Expansionism, College Station, Texas A & M University Press, 1997, p. 7-9 ; Chaffin T., Fatal Glory: Narciso López and the First Clandestine U.S War against Cuba, Charlottesville, University Press of Virginia, 1996. La meilleure biographie de John Louis O’Sullivan est celle de Sampson Robert Dean, John L. O’Sullivan and his Times, Kent, Kent State University Press, 2003.
64 Merk F., op. cit., p. 424-429, 431-433 ; Paquette R., « The Everett-Del Monte Connection », p. 5-6 ; Everett to Del Monte, February 8, 1845, Figarola-Caneda D. (dir.), Centón epistolario, vol. 6, p. 158.
65 Everett A. H., « The Texas Question. A Letter From Alexander Hill Everett », United States Magazine and Democratic Review, vol. 15, n° 75, septembre 1844, p. 250-270.
66 Ibid., p. 250-258.
67 Ibid., p. 252.
68 Ibid., p. 260-261.
69 Ibid., p. 262-264. Voir aussi Gray E. K., « “Whisper to Him the Word ‘India’” », art. cit.
70 Ibid., p. 264-265.
71 Ibid., p. 265.
72 Ibid., p. 266.
73 Ibid., p. 267.
74 Voir aussi Alexander Hill Everett to Del Monte, June 19, 1844 ; Everett to Del Monte, July 22, 1844 ; Everett to Del Monte, August 11, 1844, Figarola-Caneda D. (dir.), Centón epistolario, vol. 6, p. 46, 73, 87.
75 Everett A. H., « The Texas Question », op. cit., p. 267.
76 Everett A. H., « Present State of Cuba », United States Magazine and Democratic Review, vol. 15, novembre 1844, p. 475-483.
77 Everett to Del Monte, September 12, 1844 ; Everett to Del Monte, November 27, 1844, Figarola-Caneda D. (dir.), Centón epistolario, vol. 6, p. 106-107, 129-131.
78 Merk F., op. cit., p. 422.
79 Paquette R., Sugar is Made with Blood, p. 222.
80 Consul William Ogilby, March 29th, 1844 ; Ogilby, April 22nd, 1844 ; Ogilby, May 5th, 1844, PRO, FO 5/413 : 206, 210-212, 215-217.
81 Calhoun to Everett, 24 September 24th, 1844, Everett-Peabody Papers, Massachusetts Historical Society, Boston ; Everett to Calhoun, 17 June 1844, Annual Report of the American Historical Associaltion for the Year 1929, Washington, D.C., 1930, Everett to Calhoun, 13 April 1844, Miscellaneous Letters, RG 59, cités dans Paquette R., « The Everett-Del Monte Connection », op. cit., p. 20-21.
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Régimes nationaux d’altérité
États-nations et altérités autochtones en Amérique latine, 1810-1950
Paula López Caballero et Christophe Giudicelli (dir.)
2016
Des luttes indiennes au rêve américain
Migrations de jeunes zapatistes aux États-Unis
Alejandra Aquino Moreschi Joani Hocquenghem (trad.)
2014
Les États-Unis et Cuba au XIXe siècle
Esclavage, abolition et rivalités internationales
Rahma Jerad
2014
Entre jouissance et tabous
Les représentations des relations amoureuses et des sexualités dans les Amériques
Mariannick Guennec (dir.)
2015
Le 11 septembre chilien
Le coup d’État à l'épreuve du temps, 1973-2013
Jimena Paz Obregón Iturra et Jorge R. Muñoz (dir.)
2016
Des Indiens rebelles face à leurs juges
Espagnols et Araucans-Mapuches dans le Chili colonial, fin XVIIe siècle
Jimena Paz Obregón Iturra
2015
Capitales rêvées, capitales abandonnées
Considérations sur la mobilité des capitales dans les Amériques (XVIIe-XXe siècle)
Laurent Vidal (dir.)
2014
L’imprimé dans la construction de la vie politique
Brésil, Europe et Amériques (XVIIIe-XXe siècle)
Eleina de Freitas Dutra et Jean-Yves Mollier (dir.)
2016