Chapitre III. Des abolitionnistes britanniques à Cuba en croisade contre l’implication américaine dans la traite transatlantique, 1836-1842
p. 89-112
Texte intégral
1Toute histoire du Sud et des relations américano-cubaines nécessite en effet de ne pas perdre de vue le contexte international et en particulier le rôle prééminent de la Grande-Bretagne dans l’abolition de la traite transatlantique. Si le mouvement britannique contre la traite transatlantique ne concernait pas directement les États-Unis, puisque ces derniers y avaient mis un terme depuis 1808, il avait néanmoins des incidences très concrètes sur leur voisine tant convoitée. Car l’abolition de la traite à Cuba aurait à terme mené à celle de l’esclavage, et beaucoup de Sudistes y voyaient une menace contre leurs intérêts esclavagistes. De plus, la dénonciation virulente de l’implication américaine dans la poursuite de la traite entre l’Afrique et la Perle des Antilles par des agents en poste à La Havane et par des voyageurs anglais de passage à Cuba était non seulement une importante source de tensions entre la Grande-Bretagne et les États-Unis mais révèle de surcroît un autre aspect de la relation très particulière qui s’était établie entre les États-Unis et Cuba.
Le combat de la Grande-Bretagne contre la traite transatlantique
Les traités
2L’offensive britannique contre la traite internationale organisée par les autres puissances européennes commença au moment de la signature du premier traité de Paris datant du 30 mai 1814. Ce traité, signé par la France, l’Angleterre, l’Autriche, la Russie et la Prusse fixait les frontières de la France au lendemain de la défaite de Napoléon I. Les Français avaient alors accepté de se joindre à la Grande-Bretagne pour mettre un terme à la traite internationale, et les deux nations firent alors pression sur l’Espagne pour qu’à son tour elle y mît fin. Le roi Ferdinand VII et ses ministres refusèrent de céder à la pression. Les intérêts esclavagistes cubains étaient en effet très puissants et la traite représentait une source de profits immenses pour un empire en déclin dans les Amériques. Finalement, les Espagnols ne cédèrent que sur la forme, puisque dans le traité de Madrid (5 juillet 1814) ils concédèrent l’inhumanité de la traite, et promirent à l’avenir d’interdire aux sujets de la couronne d’Espagne de fournir des esclaves à leurs colonies. Mais les Britanniques revinrent à la charge lors du Congrès de Vienne de 1815, où ils tentèrent d’obtenir une déclaration visant à l’abolition immédiate de la traite. Dans la déclaration de Vienne en date du 8 février 1815, la Grande-Bretagne obtint des nations alliées une condamnation sans appel de la traite et la promesse de son abolition. Il était néanmoins laissé à la faveur de chaque nation d’y mettre un terme au moment le plus opportun1. Mais George Castlereagh le ministre britannique des affaires étrangères alla plus loin et demanda l’application immédiate de cette déclaration, soit l’abolition immédiate de la traite. Alors que l’Espagne était en train de perdre son empire en Amérique latine, du fait des mouvements indépendantistes, elle était soucieuse de s’assurer la fidélité de ses élites créoles à Cuba et Porto Rico qui profitaient largement de la traite et de l’esclavage. Aussi refusa-t-elle, une fois de plus, l’abolition immédiate de la traite2.
3Ce deuxième refus ne découragea pas non plus les Britanniques qui, sous la houlette de Castlereagh, exercèrent une pression encore plus forte sur l’Espagne. Cette dernière finit par céder et signa, le 22 novembre 1817, le très controversé traité anglo-espagnol dont le but, rappelons-le, était de mettre un terme à la traite transatlantique dans les colonies espagnoles. Selon les termes de ce traité, il était interdit aux sujets et navires espagnols de faire du commerce d’esclaves sur les côtes africaines situées au nord de l’Équateur. La peine encourue par les capitaines de navires capturés en possession d’esclaves était de dix ans d’emprisonnement aux Philippines et la libération des esclaves présents sur les navires. Cette partie du traité fut appliquée dès le mois de décembre 1817. Puis, à partir du 20 mai 1820, les sujets et navires espagnols n’avaient plus le droit de faire commerce d’esclaves sur les côtes africaines situées au sud de l’Équateur. De plus, les navires étrangers qui auraient fait entrer des esclaves dans les colonies espagnoles étaient désormais passibles des mêmes peines encourues par leurs homologues espagnols. Le gouvernement britannique devait par ailleurs payer une indemnité de 400 000 livres à l’Espagne pour les pertes encourues du fait de cette abolition.
4Les règles d’arrestation évoluèrent, se durcissant au fil du temps. Selon le traité de 1817, seuls les navires en provenance d’Afrique et chargés d’esclaves pouvaient être arrêtés. Puis en 1822-1823, le traité fut amendé : désormais la moindre preuve de la présence passée d’esclaves pouvait être un motif suffisant pour capturer les navires en provenance d’Afrique. La simple odeur de présence humaine pouvait suffire. En 1835, le traité fut de nouveau renforcé avec la signature de la Convention Clarendon, en hommage à celui qui en avait obtenu le renforcement, Lord Clarendon, alors ministre britannique à Madrid. Ce nouveau traité comportait une « clause d’équipement » qui rendait passible d’arrestation tout navire à destination des côtes africaines clairement équipé pour la traite, soit tout navire équipé de chaînes, de quantités inhabituelles d’eau, de nourriture, de désinfectant, etc. Enfin, les navires de contrebande capturés en mer devaient être arrêtés et acheminés vers des tribunaux mis en place par le traité de 18173.
5En effet, la mise en place de lois interdisant la traite transatlantique devait s’accompagner de la mise en place d’une infrastructure particulière pour en assurer le respect et l’application des peines. Ainsi, dès 1819 furent mis en place six tribunaux, également appelés Commissions mixtes, en Sierra Leone, au Surinam, au Brésil et à La Havane. Leur mission était de juger les équipages des navires capturés en mer par les patrouilles britanniques, et accusés de s’adonner à la traite de façon illégale. Ces Commissions étaient composées de trois personnes : un juge-commissaire, et deux commissaires d’arbitrage, l’un britannique et l’autre originaire du pays où siégeait le tribunal. Dans le cas de Cuba, le second commissaire d’arbitrage devait être espagnol. Le rôle de ces Commissions était de déterminer si le navire capturé était un navire négrier et soit le condamner et libérer les esclaves trouvés à bord, soit l’acquitter. Toutefois, le jugement des propriétaires, capitaines et équipages de ces navires ne relevait pas de la compétence de ces commissions. En effet, ces derniers devaient être remis aux autorités de leur propre pays pour être jugés. Dans le cas où la commission déterminait que le navire capturé était un négrier, ce dernier était vendu aux enchères publiques, et la somme récoltée partagée entre les deux gouvernements concernés. Par ailleurs, selon l’article 7 du traité de 1817, les esclaves devaient être libérés et délivrés aux autorités du pays où siégeait la commission, pour être employés comme travailleurs libres pendant une période de sept ans avant d’être définitivement affranchis4. Ils devaient être payés pour leur travail, recevoir une instruction religieuse et être préparés à leur futur statut d’hommes libres. Ce type particulier d’esclaves affranchis portait à Cuba le nom d’« emancipados » et, depuis la signature de la Convention Clarendon, un agent britannique, le surintendant aux Africains libérés, devait veiller à ce que leurs droits fussent respectés. Près de 10 000 esclaves furent ainsi émancipés à La Havane entre 1820 et 1871, date à la laquelle ces commissions cessèrent de fonctionner.
6Pourtant, ce chiffre élevé cache une triste réalité : lorsqu’ils étaient pris en charge par les autorités espagnoles à Cuba, les Africains étaient la plupart du temps revendus à des propriétaires d’esclaves qui les exploitaient jusqu’à ce que mort s’ensuivît. Les autorités coloniales, ainsi que nombre de Créoles, les considéraient comme un fardeau, voire comme un danger pour l’ordre social. En 1833, des discussions avec la Grande-Bretagne aboutirent à un accord selon lequel les emancipados seraient envoyés vers la colonie britannique de Trinidad, aux frais de l’Espagne. Quelques centaines d’entre eux y furent effectivement envoyées mais l’arrivée en 1834 du nouveau capitaine général de Cuba, Miguel Tacón, et l’éruption d’une épidémie de choléra qui entraîna l’augmentation du prix des esclaves coupèrent court à cette pratique. La revente de ces malheureux aux planteurs de l’île était donc une pratique courante, bien organisée et très lucrative. Malgré les plaintes continues des agents britanniques en fonction sur l’île, leur sort ne s’améliora guère et était même pire que celui des esclaves5. Selon Arthur Corwin, la question des emancipados marqua le début de la question de l’abolition de l’esclavage à Cuba. De plus, cet article 7 allait servir de prétexte aux Britanniques pour justifier leurs constantes interventions dans les affaires cubaines. Les implications de cet article allaient donc être nombreuses et importantes pour les esclaves libérés mais également pour la politique américaine.
Les observateurs britanniques face à la traite illégale à Cuba
7Malgré toutes ces mesures coercitives, la traite négrière était florissante et les esclaves continuèrent à arriver en masse sur l’île où l’économie sucrière connaissait un véritable boom. Ainsi, entre 1821 et 1831, près de 300 expéditions négrières firent entrer 60 000 esclaves sur l’île. Et dans les vingt années suivantes, soit entre 1830 et 1850, environs 200 000 esclaves furent introduits, soit 10 000 chaque année, alors que la traite était totalement illégale6. En fait, la décennie des années 1830 aurait été celle où l’importation d’esclaves à Cuba atteignit son paroxysme. D’après Robert Paquette :
« Cuba importa plus d’esclaves au cours des années 1830 qu’elle ne le fit au cours des décennies précédentes. Et il est très probable que les 560 000 esclaves importés au cours de la première moitié du xixe siècle aient excédé le nombre total d’esclaves importés sur le continent nord américain de 1619, date de l’arrivée des premiers esclaves en Virginie, jusqu’à la fin légale de la traite aux États-Unis en 18087. »
8Sans disposer de tous ces chiffres, Sir Charles Augustus Murray, l’un des nombreux voyageurs britanniques à Cuba notait en 1836 que, malgré le traité de 1817, le prix des esclaves sur le marché cubain avait diminué de 20 à 25 pour cent. La logique aurait voulu que, là où l’importation d’esclaves était interdite et où l’économie sucrière était en pleine expansion, le prix des esclaves augmentât. En d’autres termes, puisqu’ils étaient devenus une denrée rare à cause du traité anglo-espagnol, les esclaves auraient dû avoir bien plus de valeur qu’ils n’en avaient alors. Il en conclut que de tels prix ne pouvaient se pratiquer que parce que la traite se poursuivait normalement à Cuba. Et la traite pouvait en effet se poursuivre parce que les moyens mis en œuvre pour y mettre fin étaient insuffisants : les navires de la Royal Navy qui surveillaient les côtes africaines pour empêcher la poursuite de ce commerce n’étaient pas assez nombreux. Pour les années 1820 à 1823 par exemple, l’Espagne ne disposait que de deux navires pour arrêter les bateaux qui entraient à La Havane, et la Grande-Bretagne ne disposait également que de deux navires pour patrouiller le long des deux mille kilomètres de côtes africaines8. Plus intéressant encore est le raisonnement qui conduit Murray à faire le lien entre la traite illégale à Cuba, le prix des esclaves aux États-Unis et l’existence d’une traite « cubano américaine » illégale dont le point de transition était le Texas. D’après lui, le prix des esclaves aux États-Unis, dans le cadre du commerce interne, était tellement élevé que les marchands d’esclaves espagnols ne pouvaient passer à côté d’une telle aubaine et allaient certainement se lancer dans la vente d’Africains aux États du Sud :
« Lors de mon séjour dans cette partie du monde, la valeur d’un nègre en bonne santé en Louisiane et dans les états esclavagistes des États-Unis, était à peu près le double de celle d’un individu du même type à Cuba, étant entre 450 et 500 dollars dans cette dernière, et entre 900 et 1 000 dollars aux États-Unis. Peut-on imaginer que la cupidité des marchands d’esclaves espagnols d’une part, et la spéculation d’autre part, laisseraient un domaine aussi lucratif pour la contrebande ? Ou si les autorités à la Nouvelle-Orléans et Charleston empêchaient consciencieusement l’importation d’esclaves, les embouchures du Rio Grande, de la Sabine, du Brasos et d’autres fleuves qui traversent le Texas et d’autres régions adjacentes, ne présentent-elles pas d’innombrables occasions pour débarquer ces chargements humains, et par conséquent leur faire traverser la frontière pour entrer aux États-Unis9 ? »
9Charles Augustus Murray pouvait se permettre la comparaison puisqu’il avait aussi séjourné aux États-Unis, notamment dans le Sud dont il avait souligné les paradoxes, décrivant une société sudiste républicaine au sein d’une nation marquée par la valeur d’égalité et qui pourtant retenait en servitude près de deux millions d’hommes et de femmes. Cet aristocrate faisait partie d’une classe de happy few, à la fois grand voyageur et romancier à succès puisque ses œuvres furent traduites en allemand, hollandais, et autres langues européennes. Outre sa carrière littéraire, il fut aussi employé à la cour d’Angleterre puis occupa des fonctions diplomatiques, notamment au Caire et en Perse. Son voyage en Amérique du Nord dura près de trois ans. Néanmoins son séjour à Cuba ne dura pas plus d’un mois, soit entre janvier et février 183610.
10Dans le contexte de son séjour en Amérique, Charles A. Murray était un voyageur au sens strict du terme et ses observations sur l’existence d’un trafic d’esclaves entre Cuba et le Texas étaient le fruit de ses conjectures et non d’informations obtenues de source sûre. Néanmoins, ses soupçons sont confirmés par le consul britannique à Mobile en Floride, James Baker qui, dans son rapport annuel au Foreign Office, souligne le risque d’un commerce interlope entre Cuba et le Texas :
« J’ai donné pour instructions à Mr O’Hara11 d’observer très attentivement tout commerce suspect entre le Texas et l’île de Cuba. La proximité de Key West par rapport à La Havane offre de multiples occasions de s’adonner à un tel trafic. […] Il y a un désir très fort de la part desTexans de poursuivre ce commerce en collaboration avec les Citoyens de Louisiane et de l’Alabama. Et l’on pense que dans les deux cas d’introduction illégale d’Africains au Texas découverts il y a peu, des résidents des États-Unis étaient largement impliqués. J’ai toujours manifesté ma détermination, si je venais à obtenir la preuve d’une participation aussi ignoble, à poursuivre en justice toutes les parties concernées […]. Le crime étant à présent qualifié de piraterie par les lois des États-Unis12, les citoyens américains éviteront à l’avenir de s’engager dans cet abominable trafic13. »
11Toutefois, ni Murray ni le consul Baker ne s’étendirent davantage sur le lien entre Cuba, le Texas et les États-Unis. Les commissaires britanniques à La Havane, en revanche, mentionnèrent les faits assez souvent pour en souligner l’importance. En effet, le 1er janvier 1836, ils informèrent le Foreign Office de l’augmentation de la traite illégale à La Havane et de l’impossibilité d’y mettre un terme, d’autant que des navires américains étaient impliqués et qu’ils ne parvenaient pas à obtenir la collaboration du gouvernement américain. Ils suspectaient aussi l’existence d’un trafic d’esclaves entre La Havane et le Texas, malgré l’abolition de la traite par le gouvernement mexicain. Enfin, tout comme Murray, ils soupçonnaient ces esclaves d’être destinés à la revente sur les marchés du Sud des États-Unis. Voici le récit détaillé qu’ils firent à leur ministre de tutelle :
« Au cours du printemps de l’année dernière, un agent américain du Texas acheta à La Havane 250 Africains nouvellement importés à 270 dollars par tête. Et il les emmena avec lui vers ce district du Mexique après s’être procuré ici les certificats de leur liberté auprès du consul américain. Cela n’aurait sans doute pas été digne de mention à votre Excellence n’était le fait que nous ayons appris au cours des six dernières semaines que des sommes d’argent considérables avaient été déposées par des citoyens américains auprès de certaines maisons marchandes de La Havane dans le but de faire des achats supplémentaires de bozals pour le Texas. Selon les lois du Mexique nous pensons que ces Africains sont libres, qu’ils soient en possession de certificats de liberté ou pas. Toutefois nous soupçonnons fortement cette liberté de n’être que nominale sous l’autorité de leurs maîtres américains ; à moins que tout le système ne soit fondé sur un plan qui consisterait à leur faire traverser illégalement la frontière vers les États esclavagistes de l’Union. Quoi qu’il en soit, cela encourage fortement la poursuite du trafic illicite de La Havane, et il n’est pas facile pour nous de déterminer à quel gouvernement il faut adresser des remontrances sur le sujet puisque les colons américains du Texas sont tout aussi indépendants de l’autorité américaine qu’ils le sont du gouvernement mexicain. Par ailleurs, ces gens sans foi ni loi affirmeront sans le moindre doute qu’ils achètent des Noirs à La Havane avec l’intention de les émanciper. Nous pensions que la première expérience n’avait que peu d’importance, mais à présent que nous avons noté l’arrivée de nouvelles commissions à La Havane destinées à l’achat d’Africains, nous ne pouvons nous empêcher d’attirer l’attention de votre Excellence sur ce fait comme étant une autre cause de l’augmentation de la traite négrière à La Havane14. »
12Pour bien comprendre ce passage, il faut préciser que l’esclavage avait été aboli au Mexique en 1810. Cependant, dans le but de peupler la province du Texas, le Mexique y avait encouragé l’immigration. Et, comme parmi les premiers immigrés se trouvaient de nombreux Américains propriétaires d’esclaves, le gouvernement mexicain leur assura qu’ils pouvaient garder leurs esclaves en changeant toutefois leur statut d’esclave à celui de « domestiques indenturés à vie15 ».
13Par ailleurs, la date du séjour de Murray à Cuba et celle des dépêches des commissaires britanniques sont importantes car l’allusion au Texas à ce moment précis n’est pas anodine. L’année 1836 correspond en effet à la révolution du Texas qui, suite à la bataille de San Jacinto au mois d’avril 1836 et la victoire de Sam Huston sur les troupes du général mexicain Santa Anna, aboutit à la proclamation de l’indépendance de la république du Texas. Cette révolution fut très populaire parmi les propriétaires d’esclaves américains qui s’étaient installés dans la province. Ces derniers, en réponse aux ordres du général mexicain Santa Anna d’augmenter la surveillance militaire, de mettre fin à l’immigration américaine, à l’introduction d’esclaves et à l’esclavage dans la province du Texas, fournirent des hommes, des capitaux et des armes pour soutenir la révolution. Cette révolution était aussi perçue d’un assez bon œil par l’opinion publique des États esclavagistes et des hommes d’État sudistes qui y voyaient un premier pas vers l’annexion de la province à l’Union. Le président Andrew Jackson, propriétaire d’esclaves et expansionniste notoire, en est un parfait exemple puisqu’il reconnut l’indépendance de la république en 1837. Celle-ci ne tarda d’ailleurs pas à réinstaurer l’esclavage16.
14L’un des deux commissaires britanniques à La Havane, Edward Schenley, consacra aussi à la question une dépêche séparée de quatre pages qu’il adressa au ministre des affaires étrangères, Lord Palmerston, au mois de juin 1836. Il y explique que l’ordre du général Santa Anna d’émanciper les esclaves du Texas avait porté un coup sévère aux spéculateurs de La Havane, provoquant une forte chute du prix des esclaves et mettant fin aux contrats par lesquels les marchands de La Havane s’engageaient à fournir aux Texans de grandes quantités de « bozales », c’est-à-dire des esclaves venus directement d’Afrique. Selon ses informateurs, Santa Anna agissait de la sorte en représailles à l’aide que la Louisiane et les États du Sud prodiguaient à la révolte texane. De même, les Mexicains semblaient être sur le point de fournir des armes aux Indiens qui vivaient le long de la frontière des États-Unis et étaient révoltés par les persécutions que leur faisaient subir les Américains ainsi que par les manœuvres de déplacement du gouvernement américain. Toujours selon ces informateurs, Santa Anna avait déjà mis ce plan à exécution en Floride, où les Indiens avaient subi nombre d’exactions de la part des Américains notamment au moment de la guerre des Séminoles menée par Andrew Jackson en 1818. Schenley trouvait la résistance indienne très intéressante car, disait-il, elle allait montrer aux esclaves combien il était facile de défier les Blancs. Sans le dire de façon explicite, il considérait que cela pouvait les inspirer à se révolter plus efficacement qu’ils ne l’avaient fait jusqu’alors. Schenley était convaincu que si révolte d’esclaves il y avait aux États-Unis, l’île était assez éloignée pour être épargnée. Néanmoins, il espérait que l’agitation de la région aurait assez de résonance pour qu’il fût enfin mis un terme au « dégradant trafic de Noirs17 ».
15À lire Schenley on a cette impression que Cuba, le Texas et les États-Unis faisaient partie d’une même entité et que, comme par un effet domino, tout ce qui se passait au Texas et dans le Sud des États-Unis se répercutait d’une façon ou d’une autre sur la traite illégale et sur Cuba. Et de son point de vue, tout était lié à la traite et à l’esclavage.
Richard Robert Madden ou l’infatigable combat pour la justice
Richard Robert Madden : voyageur et représentant officiel de la Grande-Bretagne à Cuba, 1836-1839
16C’est dans ce contexte qu’entra en scène un autre voyageur britannique, le nouveau collègue d’Edward Schenley, Richard Robert Madden. Le 7 juillet 1836, le gouvernement britannique le nomma surintendant des Africains libérés à La Havane, un poste qu’il fut le premier à occuper jusqu’en 1839. En plus d’être chirurgien, cet Irlandais était un écrivain prolifique, un humaniste et un défenseur infatigable de la justice et des droits de l’homme18. Parallèlement à sa carrière de chirurgien à Londres, Madden avait entamé une carrière de journaliste parlementaire pour le journal londonien Morning Herald. Il voyagea aussi beaucoup en Europe et dans le Moyen-Orient, publiant les récits de ses voyages dans les journaux et revues britanniques19. Rappelons que le début des années 1830 correspondait à une période très active du mouvement pour l’abolition de l’esclavage en Grande-Bretagne et, selon les dires du fils de Madden, en raison de son incroyable soif de justice et de sa haine de l’oppression, Richard Robert Madden se plongea à corps perdu dans cette cause20. Il devint alors un membre actif de la British Anti-Slavery Society ce qui lui permit d’être en contact avec des figures importantes de l’abolitionnisme britannique tels que William Wilberforce, Joseph Sturge, Thomas Clarkson, Thomas Fowell Buxton et d’autres.
17Lorsque l’esclavage fut aboli dans les Antilles britanniques en 1833, Madden décida de poursuivre le combat : il abandonna sa profession de médecin pour se consacrer entièrement à la cause abolitionniste internationale. En cette même année 1833, il fut nommé à la fonction de magistrat spécial (Special Magistrate) en Jamaïque, pour y faire appliquer l’Acte d’Émancipation. Ses idées abolitionnistes et le fait d’avoir été parachuté par un gouvernement honni pour faire appliquer une réforme qu’ils détestaient le rendirent particulièrement impopulaire au sein de la classe des anciens planteurs jamaïcains. Très hostiles à l’Acte d’Émancipation, ceux-ci eurent recours à tous les moyens possibles, allant jusqu’aux agressions physiques, pour l’empêcher d’appliquer la loi. Leur opposition et leurs attaques furent telles que Madden démissionna en novembre 1834, bien que ses supérieurs eussent été satisfaits de son travail et eussent insisté pour qu’il continuât son travail en Jamaïque21.
18Néanmoins, sa mauvaise expérience jamaïcaine ne le découragea pas puisqu’il poursuivit la lutte contre la traite transatlantique et l’esclavage. À son retour à Londres en 1835, Thomas F. Buxton lui demanda de l’assister dans la campagne qu’il avait lancée pour mettre fin à la traite négrière transatlantique, qui se poursuivait de façon illégale dans les colonies espagnoles. Et c’est ainsi qu’au début de l’année 1836, Lord Palmerston nomma Madden surintendant des Africains libérés à Cuba. Peu de temps après cette première nomination, le 7 juillet 1836, il fut aussi nommé commissaire d’arbitrage intérimaire à la Commission mixte de La Havane. Avec son tempérament sans concession, ainsi que sa double fonction de surintendant et de commissaire, Madden allait sérieusement ennuyer le gouvernement colonial espagnol et les autorités américaines22.
19Dès son arrivée à La Havane, Robert Madden adressa, au mois d’octobre 1836, deux dépêches au Foreign Office sur la situation au Texas. Dans la première, on apprend qu’après avoir quitté la Jamaïque, Madden avait passé trois mois aux États-Unis, entre la fin de l’année 1834 et le début de l’année 1835, dans l’intention de se rendre ensuite au Texas. Finalement, il n’alla pas au Texas, mais se rendit de nouveau aux États-Unis en juin 1836, soit après la proclamation de l’indépendance de la république du Texas, au moment où la question de la reconnaissance du Texas par les États-Unis était mise en avant par Henry Clay au Sénat. Madden s’était alors enquis de la question du rétablissement de l’esclavage dans la nouvelle république. Depuis, sa présence à La Havane lui avait permis d’obtenir de plus amples renseignements qu’il désirait communiquer au Foreign Office. Il déplorait le rétablissement de la traite et de l’esclavage au Texas, qu’il attribuait non pas aux résidents américains du Texas, mais aux planteurs et propriétaires d’esclaves sudistes désireux, selon lui, d’annexer davantage de territoires esclavagistes pour retrouver plus de poids au sein de l’Union. Ces déclarations montrent à quel point Madden souscrivait à la thèse, très en vogue parmi les abolitionnistes, du complot de « l’esclavocratie » (slavocracy) selon laquelle tout ce qui s’était passé au Texas, de l’immigration des premiers Américains à l’indépendance, était le résultat d’un complot ourdi par les intérêts esclavagistes américains dans le but d’étendre leur influence et leur institution « malfaisante23 ». En tant que représentant officiel de la couronne son point de vue révèle aussi les soupçons que le gouvernement britannique quant aux velléités expansionnistes américaines. Il montre également à quel point traite, esclavage et expansion américaine étaient inextricablement liés aux yeux des Britanniques. C’est d’ailleurs une époque où la littérature de voyage britannique était très critique à l’égard des États-Unis, ce dont ces derniers ne manquaient pas de se plaindre. Ainsi, dans sa recension du récit de Charles Augustus Murray, le rédacteur en chef du Southern Literary Messenger souligne bien souvent les attaques des voyageurs britanniques contre les Américains, qu’ils méprisaient au plus haut point dans leurs écrits ne parvenant pas à dépasser leur défaite dans la guerre de 1812. Un passage du même ouvrage sur le mauvais traitement des esclaves sur une plantation de Virginie fit polémique et suscita la colère et l’indignation d’un des planteurs chez qui Murray avait séjourné24.
20Par ailleurs, Madden confirmait ce que Murray et Schenley avaient dit du trafic illégal d’esclaves entre Cuba et le Texas. Ne pouvant donner de chiffre exact sur le nombre d’esclaves transportés de Cuba vers le Texas par des marchands américains, il insistait néanmoins sur la fiabilité de ses sources d’information et sur le nombre important de ces déportés. Il dénonçait aussi l’hypocrisie du gouvernement texan qui, tout en continuant de traiter illégalement avec Cuba, tenait à préserver des apparences de légalité en désignant les Africains destinés à la vente par le terme « d’apprentis ». Ces Africains étaient donc transportés de Cuba vers le Texas en qualité d’apprentis, mais une fois arrivés à destination, ils étaient revendus (et Madden souligne le terme) comme de simples esclaves, ce qu’ils étaient en réalité. Ce non-respect des lois espagnole et mexicaine par des citoyens américains avait alors été dénoncé au consul américain de La Havane, Nicholas Philip Trist qui, en guise de réponse aux doléances des agents britanniques fit afficher le 23 février 1836 une note sur les murs du consulat américain à La Havane. Le texte adressé aux citoyens américains disait en substance que les autorités consulaires savaient que de nombreux navires américains avaient été affrétés pour le transport d’esclaves africains de Cuba vers le Texas et rappelaient l’illégalité de cette pratique puisque la Constitution interdisait aux navires américains le commerce international d’esclaves, que ce fût entre Cuba et le Texas, ou entre les côtes africaines et Cuba.
21En d’autres termes, le consul américain ne faisait que constater un fait, sans prendre de mesure concrète pour mettre fin à cette pratique. D’après Robert Madden, cette note était encore placardée sur les murs du consulat américain à La Havane au moment où il écrivait sa dépêche, soit plus de six mois après son affichage, preuve selon lui que si le trafic dénoncé n’avait pas réellement existé elle aurait été arrachée depuis bien longtemps. Après l’affichage de cette note, le trafic entre La Havane et le Texas s’était semble-t-il arrêté. Cependant, Madden était persuadé qu’il se poursuivait par le biais d’autres villes portuaires de l’île. Il conclut sa lettre sur une note pessimiste et très critique vis-à-vis des Texans qu’il considère comme de vulgaires hors-la-loi dont on ne pouvait attendre qu’ils eussent le moindre respect pour des lois qui les empêchaient de s’adonner à un commerce très lucratif25.
22On a donc affaire à un Madden très critique des Texans, des Sudistes et des navires américains mais c’est une critique encore assez modérée dans la mesure où elle était essentiellement dirigée contre un certain type d’individus. Madden ne s’attaquait pas encore directement aux autorités américaines.
23Tout ce qu’évoquait Madden dans les deux précédentes dépêches avait eu lieu avant son arrivée à Cuba. Mais aussitôt installé dans ses fonctions, les relations entre lui (et plus largement la Commission mixte) et le consul américain à La Havane allaient fortement se dégrader autour de la question de l’implication américaine dans la traite illégale à Cuba. Mais avant de poursuivre, un mot sur le consul américain Nicholas P. Trist s’avère nécessaire, car bien qu’il soit tombé dans les limbes de l’oubli, Trist fut une figure importante de l’expansionnisme américain, puisqu’après son passage à La Havane, il allait jouer un rôle important dans la guerre du Mexique (1846-1848).
24Si l’on se fie à toute la littérature sur le Sud, Nicholas P. Trist en était, sous certains aspects, un représentant typique. Né en Virginie en 1800, il avait entamé des études, qu’il n’acheva jamais, à l’académie militaire de West Point, où il fit la connaissance d’Andrew Jackson Donelson, le neveu du futur président Jackson26. Outre cette amitié qui se révéla fort utile à la carrière de Trist, ce dernier avait épousé la petite fille de Thomas Jefferson, Virginia Jefferson Randolph. C’est par l’intermédiaire des relations de cette dernière, et plus spécifiquement grâce à Henry Clay, que Trist se vit offrir un poste d’employé de bureau au département d’État, plusieurs mois avant l’arrivée au pouvoir d’Andrew Jackson, dont il fut brièvement le secrétaire particulier au cours de l’année 1829. De cette période date une profonde amitié entre le président et Trist, amitié grâce à laquelle il fut nommé consul à La Havane, le 24 avril 1833, poste qui devait lui permettre de faire fortune. Toutefois, non seulement il n’y fit pas fortune, mais il eut en plus des ennuis avec la communauté marchande américaine et les autorités britanniques27.
25Le 17 octobre 1836, les commissaires Schenley et Madden envoyèrent une nouvelle lettre au consul américain où ils l’informaient de façon très précise de l’implication de navires américains dans le commerce illégal d’esclaves avec l’Afrique, ajoutant que si les États-Unis avaient accepté de signer des traités autorisant la Royal Navy à visiter et fouiller les bateaux américains ces navires auraient pu être arrêtés. Cependant, ils n’avaient pas le moindre doute qu’une fois informées de ces faits, les autorités américaines allaient prendre les mesures nécessaires pour mettre un terme à ce trafic et à la « profanation » du drapeau américain28. Car le cœur du problème était le suivant : les Britanniques ne pouvaient que dénoncer les faits aux autorités américaines. Depuis la guerre de 1812 et la capture en haute mer de navires et d’équipages américains par la marine anglaise, les États-Unis étaient restés extrêmement méfiants vis-à-vis de la Grande-Bretagne. Par conséquent, ils avaient constamment refusé de signer le moindre traité de droit de visite et de fouille réciproque, de sorte que les navires américains pouvaient traverser l’Atlantique en transportant des Africains destinés à la vente, de façon tout à fait illégale, sans risque d’être arrêtés ni par la Royal Navy ni par la US Navy29. La France ayant signé, en 1831 puis 1833, une convention accordant aux navires britanniques un droit de visite et de fouille, seule la marine américaine (et portugaise jusqu’en 1839) pouvait donc voguer à sa guise. Cela poussa donc les négriers espagnols à se servir de ces navires pour continuer à approvisionner leur colonie en esclaves. Cette question du droit de visite et de fouille fut une source de tensions constantes entre les États-Unis et la Grande-Bretagne jusqu’en 1862, date à laquelle Abraham Lincoln signa un traité en ce sens en plein milieux de la guerre de Sécession dans le but de s’attirer la sympathie des puissances européennes pour la cause de l’Union30.
26Le 29 novembre 1836, Nicholas P. Trist leur retourna la dite missive accompagnée d’une lettre au ton quelque peu dédaigneux. Il y expliquait que le ministre britannique à Washington avait récemment exprimé le désir de signer un traité de ce type avec les États-Unis, et que ces derniers s’y étaient de nouveau fermement opposés, preuve qu’ils refusaient catégoriquement d’engager la moindre discussion sur le sujet. Les commissaires auraient donc dû être conscients que le consul américain se devait de décliner toute communication portant sur le droit de visite et de fouille. En outre, il ne pouvait entretenir une correspondance sur des questions qui ne faisaient pas partie de ses prérogatives limitées avec les agents d’un gouvernement étranger. Par conséquent, il se trouvait dans l’obligation de leur retourner la lettre et de décliner toute communication portant sur la traite illégale d’Africains par des navires américains31.
27Schenley et Madden en conclurent aussitôt que l’attitude de Trist lui avait certainement été dictée par le gouvernement américain puisque les trafiquants d’esclaves continuaient d’arborer la Bannière étoilée pour poursuivre la traite32. On peut effectivement se demander si la façon cavalière dont Trist traitait les agents britanniques n’était pas une marque de cette anglophobie américaine qui s’était développée au cours de la guerre de 1812, et durant laquelle la puissante Albion était perçue comme une puissance oppressive qui cherchait à empêcher le développement économique et agricole des États-Unis33.
28L’attitude négative du consul Trist poussa alors le Foreign Office, durant les années 1837 et 1838, à transmettre cette correspondance accompagnée de tous les renseignements relatifs à l’implication de navires américains dans la traite d’esclaves à Cuba, au ministre britannique en poste à Washington. Celui-ci devait les montrer au gouvernement américain et souligner le refus de coopération du consul Trist. La Grande-Bretagne espérait ainsi que les Américains agiraient rapidement pour mettre un terme à cette pratique34.
29La correspondance de Madden et Schenley au sujet de l’implication de navires américains dans la traite transatlantique et le trafic d’esclaves entre La Havane et le Texas se poursuivit dans les mêmes termes indignés tout au long de l’année 183735. Mais les choses avaient quelque peu changé. La différence par rapport à l’année précédente résidait tout d’abord dans la peur clairement exprimée de voir La Havane devenir la plaque tournante du trafic d’esclaves vers le Texas. Les deux commissaires étaient également convaincus qu’un tel trafic ne pouvait se poursuivre sans l’approbation des autorités coloniales espagnoles et du consul américain. Autrement dit, ils accusaient désormais un représentant du gouvernement américain d’être complice d’une pratique illégale. Plus précisément, Madden l’accusait de fournir aux négriers américains des certificats attestant que les travailleurs noirs qu’ils transportaient avaient le statut d’apprentis lorsqu’en réalité il savait pertinemment qu’ils étaient esclaves. De plus, il aurait été parfaitement au courant du fait que des citoyens américains s’adonnaient au trafic d’esclaves sur des navires arborant la Bannière étoilée36. Les agents britanniques allaient jusqu’à accuser le gouvernement américain de fermer les yeux sur l’arrivée régulière sur le sol américain d’esclaves en provenance directe de Cuba37. L’une des dépêches de Madden est très précise sur les circuits que suivaient les « bozales » de Cuba vers les États-Unis, en passant par le Texas38. Richard Madden fut d’ailleurs très critiqué par un de ces collègues commissaires, Kennedy qui, dès 1837, suggérait qu’on le remplaçât rapidement car, disait-il à juste titre, son zèle à faire appliquer le traité irritait profondément les autorités espagnoles à Cuba39.
Madden v. Trist : la confrontation se poursuit aux États-Unis
30Mais voilà, Madden, soutenu par ses supérieurs, garda son poste. Et ce fut Nicholas P. Trist qui dut partir. Malgré son refus de coopérer avec les Anglais sur la question de la traite, ces derniers continuèrent à lui envoyer des informations sur l’implication de navires américains. Et le 27 octobre 1839, en réponse à l’une de ces dépêches, Trist leur envoya une lettre de deux cent soixante-seize pages où il rejetait les accusations de son implication directe dans la traite illégale40. C’est une lettre tellement longue et au style si ampoulé qu’il est difficile d’en arriver à bout41. Il n’en fallait pas plus pour déclencher l’ire et la plume acerbe de Madden et pour engager une véritable guerre par lettres interposées, publiées aux États-Unis.
31Madden répondit à cette lettre par un violent pamphlet destiné à régler ses comptes avec le consul américain. Le texte, intitulé A Letter to W. E. Channing… on the subject of the abuse of the flag of the United States in the island of Cuba, and the advantage taken of its production in promoting the slave trade, fut publié à Boston en 1839, au cours d’un séjour qu’il fit aux États-Unis au moment de l’affaire de l’Amistad42.
32Le texte était adressé à William Ellery Channing (1780-1842), célèbre homme d’église, et chef du mouvement Unitarien qui avait vu le jour en Nouvelle-Angleterre dans le premier quart du xixe siècle. Outre sa position éminente au sein des Unitariens, Channing était une figure intellectuelle et politique importante en Nouvelle-Angleterre. Il écrivit de nombreux articles et essais sur l’éducation et la littérature et eut une grande influence sur la nouvelle génération d’écrivains de Nouvelle-Angleterre, tels que Ralph Waldo Emerson, le poète William Cullen Bryant, Longfellow et Holmes. En outre, Channing était contre l’esclavage : conscient de la possibilité d’une guerre civile entre le Nord et le Sud, il publia, dès 1835, des textes dénonçant l’institution particulière. Il s’y adressait moins aux Nordistes qu’aux Sudistes qu’il enjoignait à y mettre fin eux-mêmes43. C’est pourquoi Madden lui adressa son pamphlet : il savait que ce dernier pouvait comprendre son (re)sentiment et, de par son aura, pouvait avoir une influence sur le gouvernement. Bien que le titre ne mentionne pas le nom du consul américain, l’attaque était clairement dirigée contre lui. En effet, plus qu’une lettre c’était un véritable acte d’accusation qui exposait l’implication des Américains dans la traite, rendant la tâche du gouvernement britannique à Cuba impossible. Très structuré, très bien écrit et plein d’ironie, le texte reprend tout ce que contenaient les dépêches envoyées au Foreign Office entre 1836 et 1839, de même qu’il représente le consul Trist comme l’homme le plus odieux et le plus ridicule qui fût. D’ailleurs, dès les premières lignes du texte, Madden s’excusait de sa véhémence auprès de son correspondant.
33Madden parvint non seulement à faire passer l’information concernant l’implication américaine dans la traite, mais aussi à ridiculiser Trist publiquement. L’incidence et le succès éventuels de cette lettre de trente-deux pages restent à déterminer. On peut toutefois imaginer une réception favorable dans les milieux abolitionnistes de Nouvelle-Angleterre. On sait en effet qu’elle ne passa pas inaperçue puisqu’au mois de janvier 1840 le Boston Christian Examiner en fit une recension qui donna raison à Madden contre Trist, trouvant que les preuves apportées par l’agent britannique étaient crédibles44.
34En réponse à cette lettre, un pamphlet écrit sous la plume de « a calm observer » fut publié à Boston en cette même année 1840, alors que Richard Madden avait quitté l’île et ses fonctions à la Commission mixte. Le texte avait été écrit à La Havane au mois de janvier 1840 et était intitulé, sur le modèle de la lettre du Surintendant britannique, A Letter to W. E. Channing in Reply to the One Addressed to him by Richard Robert Madden on the Abuse of the Flag of the United States in the Island of Cuba for Promoting the Slave Trade.
35Ainsi que l’indique le titre, le but du pamphlet était de répondre aux accusations dont le consul américain avait été l’objet. Le ton est donné dès les premières lignes : tout aussi acerbe que Madden, notre « calme observateur » est tout sauf calme. Il ne lésine pas sur les épithètes péjoratives, qualifiant Madden de fanatique et d’hypocrite. Reconnaissant l’existence d’un commerce interlope, il en atténue toutefois l’ampleur pour marquer le manque de crédibilité de l’agent britannique. Ce qui rend ce texte très intéressant c’est de voir que l’auteur s’est appuyé sur l’œuvre littéraire de Richard Madden, notamment sur ses récits de voyage et sur les recensions qui en ont été faites à l’époque, pour juger le personnage, dont il dit du reste qu’il ne le connaissait pas, et montrer que ce qu’il écrivait n’était pas digne de foi. Il finit sa lettre sur l’affirmation que certains individus mal intentionnés étaient en effet impliqués dans la traite clandestine d’esclaves, mais qu’en aucun cas le gouvernement américain n’y avait trempé. Et s’adressant à William Ellery Channing, il l’exhortait à faire tout ce qui était en son pouvoir pour pousser ses concitoyens américains à mettre un terme à cette pratique illégale45. La lettre a beau être anonyme, on est tenté de croire qu’elle est l’œuvre de Trist, en raison de la véhémence des propos et la connaissance détaillée de la correspondance échangée entre le consul américain et ses homologues britanniques. Néanmoins, le style est clair, sans fioriture et le texte relativement court (26 pages), ce qui ne ressemble pas à ce que Trist a pu écrire durant son séjour. La question de l’identité de l’auteur reste donc entière.
36Il est pour le moment difficile de savoir si ce pamphlet eut le moindre retentissement. Mais quelle qu’ait été l’efficacité de ce document à « re-crédibiliser » Trist, on peut tout de même se demander si un gouvernement qui se respecte peut supporter sans broncher de voir un de ses fonctionnaires ainsi mis au pilori, et par là même de se voir ridiculisé ?
37On peut donc supposer que, d’une part les plaintes répétées des Anglais, qui accusaient Trist d’être impliqué dans la traite et d’avoir réduit en esclavage une femme emancipada pour son service personnel, d’autre part celles des marchands et capitaines de navires américains à La Havane, qui trouvaient que le consul ne les défendait pas avec la fermeté requise, mais sans doute aussi le zèle de Madden jouèrent un rôle décisif dans le rappel du consul aux États-Unis, son départ de La Havane le 15 juin 1840 et l’envoi d’Alexander Hill Everett à Cuba46. Ce dernier, fervent partisan de l’acquisition de la Perle des Antilles, y fut envoyé par le président Martin Van Buren en 1840 pour enquêter sur l’affaire Trist et pour « rassembler des informations économiques et politiques sur des questions qui touchaient les États-Unis dans leur relation à Cuba47 ». Lorsque Everett arriva à La Havane, Madden n’y était déjà plus, aussi c’est avec l’un de ses collègues à la Commission mixte, Kennedy, qu’il s’entretint pour les besoins de sa mission.
38L’enquête menée par Alexander Hill Everett innocenta officiellement Nicholas P. Trist. Cela n’empêcha pourtant pas Tyler, nouvellement élu à la présidence, de le démettre de ses fonctions le 15 juillet 184148. On peut donc remettre en question l’argument de l’historien Louis M. Sears qui, s’appuyant sur la lettre que Daniel Webster envoya à Trist le 15 juillet 1841, affirme que le rappel de ce dernier n’avait rien à voir avec ses démêlés à La Havane, mais était plutôt lié à des questions partisanes d’une administration whig fraîchement élue qui préférait voir à ce consulat quelqu’un de proche du parti whig plutôt que le protégé du démocrate Andrew Jackson. Néanmoins, les charges avaient été nombreuses. Par ailleurs, la personnalité peu avenante de Trist l’avait sans doute desservi et exacerbé les tensions déjà existantes entre la Grande-Bretagne et les États-Unis. Aussi a-t-on quelque difficulté à souscrire aux raisons officielles exprimées par Webster, et reprises par un historien qui avait une évidente admiration pour la personnalité de Trist49.
39Mais la dénonciation de la poursuite de la traite ne s’arrêta pas avec le départ de Richard R. Madden. Les Américains n’ayant pas mis fin à leur implication dans la traite illégale, les voyageurs et agents britanniques en poste à Cuba poursuivirent les dénonciations après le départ du fougueux Surintendant.
Le point de vue d’un missionnaire britannique
40Ainsi, le récit du banquier et missionnaire Quaker Joseph John Gurney (1788-1847) est plus détaillé sur la question de l’implication américaine dans la traite que le virulent pamphlet de Madden. En 1837, Gurney partit pour ce qu’il appelait « une mission évangélique » de trois ans au Canada, aux États-Unis et dans les Caraïbes, notamment en Jamaïque et à Cuba50. En d’autres termes, il était parti prêcher la bonne parole de l’abolition de la traite. Une fois sa mission terminée, Gurney publia A Winter in the West Indies and Florida containing general observations upon modes of travelling, manners and customs, climate and production with a particular description of St Croix, Trinidad de Cuba, Havana, Key West, as places of resort for northern invalids. Le récit fut d’abord publié à New York en 1839. Puis une seconde édition fut publiée à Londres en 1840, sous un titre beaucoup plus court et plus accrocheur : A Winter in the West Indies: Described in Familiar Letters to Henry Clay, of Kentucky51.
41Il est très intéressant de constater qu’entre la première et la seconde édition, le titre de l’ouvrage fut changé et raccourci pour faire apparaître le nom du célèbre destinataire des lettres qui le composent. Henry Clay, faisait partie des défenseurs modérés de l’esclavage. Il avait été l’un des membres fondateurs et les plus en vue de la American Colonization Society dont le but était à terme de se débarrasser de l’esclavage et de la population noire. Dans la préface de l’ouvrage, adressée au célèbre abolitionniste britannique Thomas Fowell Buxton, Gurney explique les raisons du choix de Clay comme destinataire de ses missives. Après son séjour aux Antilles, lui et ses amis missionnaires passèrent dix jours à Washington pendant la session du Congrès. Il eut des entretiens privés avec le président, des ministres et des membres du Congrès, au cours lesquels il leur raconta son séjour dans les Caraïbes et leur fit part de ses conclusions sur la supériorité du travail libre. Tous, écrit-il, l’avaient écouté attentivement, mais le plus attentif avait été Henry Clay. Il en conclut que, même si ce dernier était en faveur de l’esclavage, dans la mesure où il en était un défenseur modéré il n’allait pas tarder à se rendre aux arguments des abolitionnistes. Mais si le destinataire de ces lettres était Henry Clay, le souhait de Gurney était surtout de s’adresser à un public aussi large et politiquement varié que possible aux États-Unis, dans un souci de justice et de réforme52.
42L’ouvrage est tout entier écrit sur un ton modéré et courtois. L’auteur se refusait à employer un vocabulaire violent contre les propriétaires d’esclaves car, écrit-il, cela eût été inconvenant et contraire à la religion chrétienne. Par ailleurs, il était persuadé qu’en employant un ton sévère, il se serait aliéné ceux-là mêmes qu’il désirait convaincre. Si le ton est bien différent de celui de Madden et si Gurney semblait bien disposé à l’égard des Américains, il ne les ménage pourtant pas dans son ouvrage53.
43En effet, Gurney consacre environ la moitié du seul chapitre sur Cuba – où il ne résida en réalité que deux jours, du 10 au 12 avril 1840 – à démontrer de façon détaillée l’implication américaine dans le commerce illicite d’esclaves africains. Tout d’abord, selon ses informations, neuf bateaux négriers sur dix étaient construits aux États-Unis, essentiellement à Baltimore, au vu et au su de tous. Étant donnée la structure particulière d’un navire destiné à transporter des centaines d’esclaves, il ne faisait pas le moindre doute que les armateurs étaient au courant de l’usage qu’il en serait fait. Et si, officiellement, ces navires appartenaient à des sujets de la couronne d’Espagne, ils avaient néanmoins des papiers américains et naviguaient souvent sous le drapeau américain. En effet, étant donnés la « clause d’équipement » établie en 1835 par la Convention Clarendon et le privilège des navires américains de naviguer librement sans être menacés d’arrestation par les Anglais, il était prévisible que les Espagnols allaient se tourner vers les Américains pour poursuivre la traite. L’historien José Luciano Franco ajoute que des bureaux de recrutement d’équipages pour les bateaux négriers avaient été établis à Philadelphie, où ces bateaux entièrement équipés étaient aussi vendus à des acheteurs de toutes les nationalités54.
44Par ailleurs, les marchands américains n’hésitaient pas à aider les navires négriers espagnols et portugais. Ces derniers, pour éviter de se faire arrêter en route par les Anglais, quittaient parfois La Havane pour l’Afrique sans le moindre équipement propre aux négriers. Le matériel de la traite était alors transporté de La Havane vers l’Afrique par des navires américains qui, une fois arrivés sur les côtes africaines, remettaient le matériel à l’équipage espagnol. Autre solution : les navires américains embarquaient les esclaves en Afrique, puis les transportaient à Cuba, ou au Texas, voire aux États-Unis55. D’autres circuits et configurations existaient : les négriers quittaient Philadelphie, New York ou Charleston chargés de produits fabriqués aux États-Unis, faisaient escale à La Havane où ils complétaient leur chargement avec du tabac et de l’eau-de-vie qu’ils troquaient contre des esclaves en Afrique. De retour à Cuba, ils revendaient leur chargement d’esclaves56. Pour Gurney, les autorités consulaires américaines à La Havane étaient forcément au courant de toutes ces manœuvres, ce qui lui donne aussi l’occasion de mentionner l’affaire Trist.
45Pour finir, il accuse certains Américains d’investir massivement dans la pratique de la traite. Dans le même ordre d’idée, Richard Madden avait indiqué qu’entre 1836 et 1839 beaucoup de capitaux américains avaient été investis à Cuba dans l’économie esclavagiste. Plus précisément, il explique que pendant cette période environ vingt plantations par an avaient été établies par des Américains, qui contribuaient de cette façon à accroître la demande en esclaves et le dynamisme de la traite illégale, réduisant à néant tous les efforts déployés par la Grande-Bretagne pour y mettre fin57.
46À la fin du chapitre, Gurney s’adresse directement à Henry Clay et aux citoyens américains, leur prodiguant un certain nombre de conseils pour mettre fin à l’implication de l’Union dans cette pratique abominable. Il propose d’abord de faire passer des lois claires et fermes contre la construction de navires négriers sur le sol américain. Il suggère ensuite de doter le consulat américain à La Havane de plus de pouvoir pour mettre fin à la traite. Pour finir, il conseille aux Américains de signer des traités de droit de visite et de fouille pour que les navires américains puissent enfin être arrêtés, ce qui mettrait un terme au transport illégal d’Africains. La fin de la lettre est un mélange d’optimisme et de pessimisme : tout en espérant que ces mots aient de l’effet, il se montre tout de même dubitatif car, selon lui, la fin de l’implication américaine dans cette traite ne serait possible que le jour où l’Union abolirait sa propre institution particulière58.
47Ainsi, la lecture des écrits de ce voyageur confirme l’intérêt des Britanniques pour l’importante implication des Américains dans la poursuite de la traite clandestine à Cuba59. Cela avait pour conséquence de brouiller les relations anglo-américaines. Aussi peut-on supposer que l’envoi d’Alexander Hill Everett pour enquêter sur Trist à la suite du violent conflit qui l’opposa à Madden, puis le rappel du consul, était un geste que le gouvernement américain avait fait pour tenter d’apaiser les tensions avec la Grande-Bretagne. Toutefois, si Trist fut rappelé, Washington ne fit rien d’autre pour mettre un terme à l’implication de ses citoyens dans cette pratique illégale. En effet, nombre de citoyens américains étaient bien impliqués dans la traite, directement et indirectement. Le gouvernement américain était parfaitement au courant de cette pratique, et il en reconnut même l’existence auprès du Foreign Office et de ses représentants60. Si on peut comprendre le gain financier que les individus impliqués y trouvaient, quel était l’intérêt du gouvernement américain dans la poursuite d’un tel trafic ? Pourquoi ne faisait-il rien pour arrêter ces navires et en arrêter la construction puisque tout le monde savait qu’ils étaient destinés à la traite ?
48Plusieurs facteurs permettent d’expliquer l’attitude des gouvernants américains. D’une part, ils cherchaient à ménager les intérêts sudistes fondés sur l’institution particulière. Même si les Britanniques s’attaquaient à la traite et non à l’esclavage, aux yeux des Sudistes l’opposition à la traite n’était que la première étape d’un mouvement plus large qui visait à l’extinction pure et simple du système esclavagiste. Il était donc préférable aux gouvernants américains de fermer les yeux sur ces pratiques illégales plutôt que de créer un incident avec les États du Sud, d’autant qu’à cette époque le secrétaire d’État, John Forsyth (1834-1841), et le ministre américain à Londres, Andrew Stevenson (1836-1841), étaient tous deux sudistes et défendaient donc âprement toute question liée de près ou de loin à l’esclavage. Par conséquent, chaque fois que la Grande-Bretagne leur proposait la signature d’un traité de visite et de fouille, ils rejetaient fermement une telle proposition61. D’autre part, la cause abolitionniste demeurait minoritaire, même dans les États du Nord où un personnage tel que William Lloyd Garrison était considéré comme un fanatique. De plus, rappelons que 1836 marqua la mise en place du « Gag Rule », qui rendit taboue toute discussion sur l’esclavage au sein du Congrès pendant une décennie. Répondre aux exigences de la Grande-Bretagne aurait donc une fois de plus conduit à s’aliéner tous les États du Sud.
49Par ailleurs, les Américains avaient d’autres problèmes, plus importants et plus urgents à régler avec la Grande-Bretagne que cette question de traite illégale : il s’agit plus particulièrement de la question de la frontière du Maine, au Nord. Enfin, rappelons l’existence d’une confrontation politique et idéologique de taille entre les États-Unis et la Grande-Bretagne autour du concept de liberté et des institutions démocratiques. En effet, depuis le succès de leur Révolution, et leur victoire dans la guerre de 1812, les États-Unis se considéraient comme le véritable guide en matière de liberté. La Grande-Bretagne, loin d’être à cette époque considérée comme un modèle de liberté, prit des risques, y compris financiers, pour abolir l’esclavage dans ses colonies et se fit le chantre de la liberté contre des États-Unis qui maintenaient l’esclavage. Toutefois, sous les coups de boutoir d’une Grande-Bretagne abolitionniste, mais aussi pleinement impérialiste en Inde où elle maintenait la population dans un état de quasi-servitude, les Américains ne pouvaient que la renvoyer à ses contradictions et l’inviter à éradiquer la servitude dans ses colonies avant de leur faire la morale62.
50Outre ces facteurs, somme toute assez classiques, une autre explication de l’indifférence des gouvernants américains vis-à-vis de l’implication de leurs concitoyens dans la traite se trouve dans le récit du prochain voyageur.
L’implication américaine dans la traite : un problème majeur des relations anglo-américaines
David Turnbull ou la passion de l’abolition
51Si Richard Madden s’était montré particulièrement féroce contre Trist, il ne fut pas le seul. Son successeur au poste de surintendant des Africains libérés, David Turnbull, se montra tout aussi critique. À l’instar de Madden, cet écossais était un grand voyageur doublé d’un très fervent abolitionniste. Jouissant d’une grande renommée auprès de ses pairs, il était quelque peu tombé dans l’oubli jusqu’à ce que Robert Paquette le réhabilite, dans son remarquable ouvrage Sugar is Made with Blood, et fasse la lumière sur son action comme représentant du mouvement abolitionniste britannique à Cuba. Et ainsi que l’écrit Paquette : « Avant sa mort en 1851, il allait rendre la vie infernale aux planteurs cubains et à l’establishment diplomatique transatlantique63. »
52Avant de prendre ses fonctions de surintendant aux Africains libérés et de consul à La Havane en 1840, Turnbull avait été le correspondant à Paris du Times de Londres pendant de nombreuses années. Durant son séjour à Paris il fréquenta un groupe cosmopolite d’intellectuels libéraux, y compris des abolitionnistes français. En 1837, il quitta le Times et Paris pour entamer un voyage de trois ans dans les Caraïbes, à la recherche de preuves pour soutenir la thèse selon laquelle le travail libre était supérieur au travail servile. Au cours de l’année 1838-1839, il visita Cuba où il fit la rencontre de Richard Robert Madden et avec lequel il se lia d’amitié. Sur le chemin du retour vers Paris, il fit un bref séjour à New York, en mars 1840, où il assista à la réunion du comité exécutif de l’American Anti-Slavery Society en compagnie d’Arthur Tappan, James Birney et d’autres. Son séjour donna lieu à un récit de voyage : Travel in the West. Cuba, with Notices of Porto Rico, and Slave Trade, publié à Londres en février 1840, et dont le but était de présenter à un large public son plan destiné à mettre un terme à la traite illégale à Cuba64. L’ouvrage était d’ailleurs dédié à Lord Clarendon, que Turnbull admirait beaucoup pour son action dans la lutte contre la traite. Aussitôt imprimé, l’ouvrage connut un grand succès en Grande-Bretagne et suscita de nombreux débats dans la presse et les hautes sphères du gouvernement. Il se retrouva aussi très vite sur le bureau du ministre des Affaires étrangères, Lord Palmerston, lui-même très déterminé à faire appliquer les traités anglo-espagnols et tout à fait conscient de la popularité de la cause abolitionniste dans son pays65. Il avait donc fermement défendu Robert Madden contre les attaques des autorités espagnoles. Lorsque Madden quitta ses fonctions, il le remplaça par David Turnbull, sans doute en raison des positions très tranchées de ce dernier, qui lui permettaient à la fois d’envoyer un message clair à l’Espagne sur ses intentions et de se concilier l’opinion publique britannique. Néanmoins, une telle nomination ne lui serait peut-être pas venue à l’esprit si Turnbull lui-même n’avait fait beaucoup de lobbying auprès de Palmerston66.
53En effet, dès son retour des Caraïbes, Turnbull poursuivit sa passion abolitionniste, en proposant de renforcer les pouvoirs de la Commission mixte de La Havane pour lui donner la possibilité d’enquêter sur les esclaves qui se trouvaient déjà sur l’île. Turnbull avait constaté la difficulté de libérer les esclaves une fois qu’ils avaient été débarqués à Cuba, et sa proposition était destinée à pousser les propriétaires d’esclaves à prouver que leurs esclaves n’étaient pas des Africains fraîchement arrivés sur l’île. Il était bien conscient que même si l’Espagne adoptait une telle proposition, il aurait été difficile de la faire appliquer. Mais il pensait surtout que la menace de sanctions provoquerait parmi les planteurs la peur de perdre leurs biens, ce qui aurait provoqué une chute de la demande en esclaves. Or, le faible taux de natalité et le fort taux de mortalité de la population esclave cubaine la rendaient incapable de se reproduire naturellement. Il était donc aisé de conclure que la majorité des esclaves de l’île avait été récemment importée d’Afrique. Un tel projet aurait donc sonné le glas du régime esclavagiste à Cuba. Turnbull exposa ses idées dans des journaux importants de Londres tout au long du mois de mars 1840 puis à la World Anti-Slavery Convention où son ami Madden avait fait une intervention acclamée sur l’esclavage cubain. En même temps que les journaux londoniens publiaient les idées de David Turnbull, ce dernier ne manqua pas de les exposer aussi personnellement à Lord Palmerston auquel il se présenta comme le candidat idéal pour mettre ces mesures en application. Le ministre finit par adhérer à ses positions et demanda qu’on s’en inspirât pour préparer une nouvelle convention à présenter aux Espagnols, provoquant ainsi la propagation de folles rumeurs parmi les Cubains concernant la prochaine abolition de l’esclavage dans leur île67. Bien que persuadé que Madrid n’accepterait jamais un tel plan, Palmerston pensait aussi que s’il était adopté et appliqué, il s’avérerait très efficace. Finalement la pugnacité de Turnbull et, très certainement l’influence de figures importantes de la British and Foreign Antislavery Society ainsi que l’affaire de l’Amistad, qui agitait les journaux anglais depuis 1839, lui valurent d’être nommé à la fois consul et surintendant des Africains libérés à La Havane en août 184068.
54Dans son ouvrage Travel in the West, parmi la dizaine de chapitres qu’il consacre au sujet de l’esclavage et de la traite, Turnbull en consacre un entièrement à Nicholas P. Trist, revenant en détail sur sa conduite vis-à-vis des agents britanniques, sur les accusations concernant son implication dans la traite illégale et sur l’implication de nombreux navires américains dans la traite69. Lui aussi soupçonnait les côtes du Texas, de la Floride, d’Alabama et de Louisiane d’être des lieux de débarquement de cargos d’esclaves fraîchement venus d’Afrique. Turnbull explique que s’il détaillait ainsi les faits c’était pour révéler à l’opinion publique américaine l’existence de ces pratiques illégales. Car si le gouvernement américain était au fait de ce qui se passait, il n’est pas certain que le reste de la population le fût. À la lumière de la résolution adoptée au cours de la World Anti-Slavery Convention concernant l’importance de prêcher le message abolitionniste aux États-Unis par le biais de la littérature anglaise, on peut supposer que le récit de Turnbull participait de cet effort transatlantique visant à toucher l’opinion publique américaine. Turnbull espérait en effet qu’une fois au courant de ce qui se passait, les citoyens américains allaient s’emparer du problème, et auraient peut-être fait pression sur Washington qui aurait alors été obligé de céder, sans pour autant accuser la Grande-Bretagne d’ingérence dans les affaires américaines, comme l’avait fait Trist. Néanmoins, il voyait un obstacle de taille à ses espoirs : les Sudistes. Selon lui, les propriétaires d’esclaves sudistes auraient été terrorisés par une action du gouvernement ; ils auraient aussitôt pensé que la fin de toute implication américaine dans la traite internationale équivalait à l’abolition de l’esclavage à Cuba. Et ils en auraient conclu que c’était là la fin de leur institution particulière70.
La traite illégale à Cuba garante de l’institution particulière américaine
55Ainsi pour un anglais observant Cuba et les États-Unis, les Sudistes constituaient un des obstacles à l’application du traité anglo-espagnol. Autrement dit, ces derniers avaient tout intérêt à ce que la traite illégale se poursuivît vers la Perle des Antilles parce que c’était la garantie du maintien de l’institution particulière à Cuba et par ricochet aux États-Unis. Le sort de l’esclavage aux États-Unis semblait donc intimement lié à celui de la traite et de l’esclavage à Cuba. D’une certaine façon, cela pouvait confirmer à la population américaine l’existence de ce lien organique entre l’Union et la Perle des Antilles que certains grands hommes politiques américains avaient théorisé71.
56On peut pousser le raisonnement plus loin et émettre l’hypothèse que la poursuite illégale de cette traite avec la Perle des Antilles était une façon, pas nécessairement consciente d’ailleurs, de maintenir l’île dans une dépendance vis-à-vis des États-Unis. Autrement dit, en plus de dépendre de l’Union pour leur approvisionnement en denrées alimentaires, pour la vente de leur sucre et pour l’investissement de capitaux, à la lecture des écrits de ces voyageurs britanniques, on se rend compte que les Cubains dépendaient aussi beaucoup des États-Unis pour la poursuite de la traite. L’implication des Américains dans la poursuite du commerce interlope participait à nourrir le système cubain d’esclaves, donc à maintenir le régime esclavagiste sur lequel reposait la prospérité économique de l’île. On peut même aller jusqu’à dire que c’était une façon détournée de garder l’île sous influence américaine, et de participer au maintien d’un système auxquels les Sudistes s’identifiaient de plus en plus, le défendant avec une ferveur croissante.
57L’idée que le refus obstiné des dirigeants américains à mettre un terme à cette pratique était largement déterminé par « le facteur sudiste » est confirmée par le fait que le traité de Webster-Ashburton, qui concédait aux Anglais un droit de visite limité aux côtes africaines, fut signé en août 184272, soit quand le département d’État passa entre les mains du whig nordiste Daniel Webster, qui était convaincu qu’il fallait parvenir à un accord et normaliser les relations avec la Grande-Bretagne. À ce moment-là, le nouveau ministre américain à Londres était le frère d’Alexander Hill Everett, Edward Everett, dont les idées sur l’esclavage étaient également bien différentes de celles de son prédécesseur virginien Andrew Stevenson. Edward Everett entretenait par ailleurs d’excellents rapports avec le nouveau Ministre des affaires étrangères, Lord Aberdeen.
58D’une certaine façon, le maintien de cette traite servait donc surtout les intérêts sudistes. Mais en se rendant complices d’une Espagne despotique qui fermait les yeux sur la poursuite de la traite pour maintenir son joug sur l’île, les États-Unis servaient aussi leurs intérêts, fût-ce de façon indirecte. Car à l’époque, ils estimaient qu’il valait mieux pour eux que l’île restât sous l’autorité d’une Espagne certes en perte de vitesse mais esclavagiste, plutôt que d’y voir triompher l’abolitionnisme britannique. Un tel triomphe ne signifiait pas seulement la fin imminente de l’esclavage à Cuba mais l’implantation de l’empire britannique, à un point stratégique que les Américains s’étaient habitués à considérer comme leur terrain de jeux. Par conséquent, de même que l’abolitionnisme des Britanniques avait sans doute des dimensions impérialistes, on peut penser que l’indifférence des gouvernants américains face à l’implication de leurs concitoyens dans la traite illégale était aussi une façon détournée de servir leurs ambitions impérialistes dans cette partie du globe.
59Rappelons que pour mener l’enquête sur Trist, et sur l’implication américaine dans la traite, le gouvernement américain envoya Alexander Hill Everett, un fervent partisan de l’acquisition de l’île par l’Union, ce qui eut, entre autres conséquences, celle de mettre en contact l’annexionnisme créole de Domingo Del Monte avec la politique expansionniste américaine. Cette rencontre, qui eut lieu à la veille de l’ère de la Destinée Manifeste, eut des répercussions dans les plus hautes sphères de l’administration américaine et dans la politique internationale de l’Union. Autrement dit, la forte activité abolitionniste des agents britanniques en poste sur l’île eut une incidence, fût-elle indirecte, sur la politique étrangère américaine.
Notes de bas de page
1 Après l’évasion de Napoléon de l’île d’Elbe où il avait été déporté, les Alliés se réunirent au Congrès de Vienne, entre septembre 1814 et juin 1815. Le 9 juin 1815, quelques jours avant la défaite de Waterloo, fut signé l’acte final du Congrès de Vienne qui redéfinissait les contours de l’Europe, établissait des frontières plus limitées pour la France et condamnait la traite négrière internationale. Puis, la signature du second traité de Paris le 20 novembre 1815 vint confirmer les conclusions du Congrès de Vienne. Drescher S. et Engerman S. (dir.), A Historical Guide to World Slavery, New York, Oxford University Press, 1998 ; Dorigny M. et Gainot B., Atlas des esclavages. Traites, sociétés coloniales, abolitions de l’Antiquité à nos jours, Paris, Autrement, 2006, p. 58-60 ; Soulsby H. G., The Right of Search and the Slave Trade in Anglo-American Relations, 1814-1862, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1933, p. 13.
2 Corwin A. F., Spain and the Abolition of Slavery in Cuba, Austin, University of Texas Press, 1967, p. 17-28 ; Rossignol M-J., « L’Atlantique de l’esclavage, 1775-1860. Race et droit international aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en France », Transatlantica, vol. 2, 2002, Jeune République [http://transatlantica.revues.org/document418.html], dernière consultation le 29 août 2013.
3 Soulsby H., op. cit., p. 14-15 ; Corwin A., op. cit., p. 28-31, 47-67 ; Bethell L., « The Mixed Commission for the Suppression of the Transatlantic Slave Trade in the Nineteenth Century », Journal of African History, vol. 7, n° 1, 1966, p. 85-86 ; Murray D., Odious Commerce: Britain, Spain and the Abolition of the Cuban Slave Trade, London, Cambridge University Press, 1980, p. 72-113 ; Paquette R., Sugar is Made with Blood: the Conspiracy of La Escalera and the Conflict Between Empires over Slavery in Cuba, Middletown, Wesleyan University Press, 1988, p. 135.
4 Robert Paquette, lui, affirme que la période d’apprentissage était de 5 ans et pouvait être prolongée de trois ans maximum.
5 Corwin A., op. cit., p. 39-45 ; Bethell L., op. cit., p. 79-81, 88 ; Paquette R., op. cit., p. 134-135.
6 Corwin A., op. cit., p. 54.
7 Paquette R., op. cit., p. 131-132, 134-136.
8 Soulsby H., op. cit., p. 40-41 ; Corwin A., op. cit., p. 39-40.
9 Murray C. A., Travels in North America, 2 vol., London, Richard Bentley, 1839, vol. 2, p. 267-269. Dans un court paragraphe de leur ouvrage synthétique sur l’histoire de la Destinée Manifeste, David et Jeanne Heidler expliquent que le commerce illégal d’esclaves entre la province du Texas, avant l’indépendance du Mexique, et la Louisiane était monnaie courante. Ils mentionnent l’exemple du Louisianais Jim Bowie qui achetait les esclaves dans le port de Galveston, au Texas, qu’il acheminait par voie terrestre jusqu’en Louisiane où il les revendait. Cependant, ils ne disent pas d’où provenaient ces esclaves exactement et ne donnent pas de source précise qui permette de confirmer leur affirmation. Heidler D. S. et J. T. Heidler. Manifest Destiny, Wesport, Greenwood Press, 2003, p. 97-98.
10 Murray C. A., Travels, op. cit., vol. 2, p. 185-274 ; Olivera O., Viajeros en Cuba, 1800-1850, Miami, Ediciones Universal, 1997, p. 141.
11 Vice-consul à Key West, O’Hara était citoyen américain.
12 La traite négrière transatlantique avait été abolie en 1808 aux États-Unis. Il était donc illégal pour tout citoyen américain d’importer des esclaves en provenance d’Afrique ou de pays étrangers.
13 Consul James Baker to Foreign Office, January 1, 1837, Public Records Office (PRO), FO 5/316 : 60-61.
14 Commissioners Macleay and Schenley, January 1st, 1836, PRO, FO 84/196, 2 : 7-14.
15 King J. F., « The Latin American Republics and the Abolition of the Slave Trade », The Hispanic American Historical Review, vol. 24, août 1944, p. 388-389 ; Henretta J. A., Brody D. et Dumenil L., America. A Concise History, 2 vol., Boston, Bedford/St. Martin’s, 2006, vol. 1, p. 226-228.
16 Toutefois Jackson a toujours refusé son annexion sous sa présidence par crainte de diviser les démocrates sur la question de l’esclavage. Weeks W. E., Building the Continental Empire: American Expansion from the Revolution to the Civil War, Chicago, Ivan R. Dee, 1996, p. 86-92 ; Langley L. D., Struggle For the American Mediterranean: United States-European Rivalry in the Gulf-Caribbean, 1776-1904, Athens, University of Georgia Press, 1976, p. 51-56 ; Barker E. C., « The Influence of Slavery in the Colonization of Texas », Mississippi Valley Historical Review, vol. 11, juin 1924 ; Consul William Ogilby, January 1st, 1837, PRO, FO 5/315, f° 213-215.
17 Schenley to Palmerston, June 22nd, 1836, PRO, FO 84/195, 1 : 128-132.
18 Madden publia en effet une quarantaine d’ouvrages dont les trois plus connus sont The United Irishmen, Their Lives and Times, London, J. Madden and Co., 1843-1846 ; The Life and Martyrdom of Savonarola, London, T. C. Newby, 1853 et The Literary Life of the Countess of Blessington, London, T. C. Newby, 1855. Voir aussi ses mémoires posthumes où il décrit avec beaucoup de passion son combat pour la justice dès l’adolescence : The Memoirs – Chiefly Autobiographical, – From 1798 to 1886 of R. R. Madden. T. More Madden, Ed., London, Ward and Downey, 1891. Mullen E. J., « Introduction », in Juan Francisco Manzano, E. J. Mullen (dir.), The Life and Poem of a Cuban Slave, Hamden, Archon Books, 1981, p. 5-13.
19 Son premier ouvrage était donc un récit de voyage. Madden R. R., Travels in Turkey, Egypt, Nubia and Palestine in 1824-27, 2 vol., London, Henry Colburn, 1829.
20 Madden R. R., Memoirs, op. cit., p. 62. Toutefois, comme le fait justement remarquer David Murray, on ne sait pas exactement quand ni comment il s’est converti à cette cause, puisque Madden n’en parle pas dans ses mémoires, son fils indiquant simplement qu’il y était totalement dévoué. Murray D. R., « Richard Robert Madden: His Career As A Slavery Abolitionist », Studies, vol. 61, printemps 1972, p. 42.
21 D’une certaine façon, il le poursuivit car à son retour, il publia le récit de son séjour en Jamaïque sous le titre de A Twelvemonth’s Residence in the West Indies, during the transition from slavery to apprenticeship, with incidental notices of the state of society, prospects and natural resources of Jamaica and other islands, 2 vol., London, J Cochrane & Co., 1835. Il y dénonçait le système d’apprentissage qui, à ses yeux, n’était que le maintien de l’esclavage sous un nom différent. Il continua aussi à militer pour la suppression de ce système, au sein du Colonial Office. Cet ouvrage, qui fit l’objet d’une publicité importante en Grande-Bretagne, servit ensuite de support à d’autres qui militaient également pour l’abolition de système d’apprentissage. Murray D., Odious Commerce, op. cit., p. 45-47.
22 Madden R. R., Memoirs, p. 62, 75 ; Mullen E. J., op. cit., p. 6-8 ; Foreign Office Slave Trade Draft – Mrs Commissioners – Havana, July 7, 1836, PRO, FO 84/195, 1 : 29-30 ; Murray D., Odious Commerce, p. 42-45.
23 Merk F., « A Safety Valve Thesis and Texan Annexation », The Mississippi Valley Historical Review, vol. 49, décembre 1962, p. 413-414.
24 « Murray’s Travels », Southern Literary Messenger, vol. 6, janvier 1840, p. 72-85 ; Murray C. A., « Hon. C. A. Murray – Letter », Southern Literary Messenger, vol. 6, juillet 1840, p. 571-572.
25 Richard Madden to Lord Palmerston, October 21st, 1836, PRO, FO 84/195, 1 : 177-188 ; Havana Commissioners to Lord Palmerston, February 27th, 1836, PRO, FO 84/196, 2 : 170-173.
26 Pour une étude récente de Donelson, voir Cheatham M. R., « “The High Minded Honourable Man.” Honor, Kinship and Conflict in the Life of Andrew Jackson Donelson », Journal of the Early Republic, vol. 27, été 2007, p. 265-292.
27 Dictionary of American Biography, 11 vol., New York, C. Scribner’s Son, 1958-1964, vol. 9, p. 645-646 ; Sears L. M., « Nicholas P. Trist, a Diplomat with Ideals », Mississippi Valley Historical Review, vol. 11, juin 1924, p. 85-98.
28 Schenley & Madden to Nicholas P. Trist, October 17th, 1836, PRO, FO 84/197, 3 : 221-222. Ces mêmes informations furent transmises au ministre plénipotentiaire américain à Londres, Stevenson, afin qu’il en informât le gouvernement américain pour mettre fin à cette pratique. Elles furent aussi transmises au capitaine général de l’île, Miguel Tacón qui y réagit assez mal. Schenley and Madden, November 2nd, 1836 ; Lord Palmerston to Mr Stevenson from Lord Palmerston, December 17th, 1836, PRO, FO 84/197, 3 : 274-281, 339-340.
29 La réalité historique est bien sûr plus complexe que cela : en 1824, les États-Unis avaient été sur le point de ratifier une convention avec la Grande-Bretagne selon laquelle la traite était considérée comme un acte de piraterie par les deux nations, ce qui aurait permis à la Grande-Bretagne d’exercer ce droit de fouille. Néanmoins, 1824 était une année électorale. La présidentielle opposa le secrétaire d’État John Quincy Adams qui, devant l’obstination britannique et surtout sous la pression du Congrès, avait proposé cette convention, et le secrétaire au Trésor, Crawford, qui s’était prononcé contre et s’en servit pour discréditer son adversaire. Le Sénat finit par ratifier le texte mais en y ajoutant tant d’amendements qui le rendaient obsolète que la Convention fut un échec et mit un frein aux tentatives britanniques d’obtenir un accord. Soulsby H., op. cit., p. 13-38.
30 Soulsby H., op. cit., p. 13-39, 46-76 ; Van Alstyne R. W., « The British Right of Search and the African Slave Trade », Journal of Modern History, vol. 2, mars 1930, p. 37-47 ; W. E. F. Ward, The Royal Navy and the Slavers: The Suppression of the Atlantic Slave Trade, London, Allen and Unwin, 1969.
31 Trist to Edward W. M. Schenley and R. R. Madden, November 29th, 1836, PRO, FO 84/195, 1 : 227.
32 E. W. Schenley & Madden, November 30th, 1836, PRO, FO 84/195, 1 : 225-226.
33 Horsman R., Race and Manifest Destiny, Cambridge, Harvard University Press, 1981, p. 221-225 ; Fry J. A., Dixie Looks Abroad. The South and U. S. Foreign Relations, 1789-1973, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 2002, p. 11.
34 FO to Mr Fox in Washington, January 21st, 1837 ; February 28th, 1837 ; August 14th, 1837, PRO, FO 84/225 : 306-310, 312-314 ; FO to Mr Fox in Washington, January 20th, 1838 ; February 13th, 1838 ; May 31st, 1838, PRO, FO 84/259 : 206, 214-215.
35 Ce commerce interlope fut confirmé en janvier 1837 par le consul britannique à Mobile, en Floride. James Baker to FO, January 1st, 1837, PRO, FO 5/316 : 60-61.
36 Schenley & Madden, January 2nd, 1837 ; March 10th, 1837 ; March 29th, 1837 ; 8 April 1837 ; 2 June 1837 ; Madden, 28 April 1837, FO 84/116 : 73-77, 83-85, 239-242, 245-247, 268-273, 350, 282-286.
37 Schenley & Madden, June 2nd, 1837, FO 84/116 : 350.
38 Madden, April 28th, 1837, FO 84/116.
39 Kennedy to FO, December 20th, 1837, FO 84/117 : 342-347.
40 Kennedy & Dalrymple, October 27th, 1839, FO84/274 : 226-362.
41 Le style amphigourique de Trist est confirmé par ses contemporains et par l’historien Louis Martin Sears. Sears L. M., op. cit., p. 88.
42 Ce bateau espagnol, construit à Baltimore, et qui se dirigeait vers Cuba transportait des captifs africains qui s’étaient révoltés et avaient échoué sur les côtes de Long Island avant d’être capturés par les autorités américaines et escortés vers Harford, dans le Connecticut. C’est là qu’eut lieu un long procès sur le statut controversé de ces captifs. Et Richard Madden y fut cité comme témoin. Jones H., Mutiny on the Amistad: the Saga of a Slave Revolt and its Impact on American Abolition, Law and Diplomacy, New York, Oxford University Press, 1987.
43 Dictionary of American Biography, op. cit., vol. 2, p. 4-7 ; Channing W. E., Slavery, Boston, James Munroe & Co., 1835 ; A Letter to the Honorable Henry Clay, on the Annexation of Texas to the United States, Boston, James Munroe & Co., 1837 ; Remarks on the Slavery Question, in a Letter to Jonathan Phillips, Esq., Boston, James Munroe & Co., 1839 ; Emancipation, Boston, E. P. Peabody, 1840.
44 Christian Examiner, vol. 27, janvier 1840, p. 410-411. Cité par Mullen E. J., in J. F. Manzano, op. cit., p. 29, n. 23.
45 Kennedy to FO, June 15th, 1840, PRO, FO 84/312 : 331-348.
46 Kennedy and Dalrymple, January 15th, 1840 ; March 21st, 1840, PRO, FO84/312 : 61-63 ; Sears, op. cit., p. 89-90.
47 Paquette R., « The Everett – Del Monte Connection: A Study in the International Politics of Slavery » Diplomatic History 11 (1987), p. 4.
48 Sears L. M., op. cit., p. 90-91 ; Dictionary of American Biography, p. 646.
49 Dictionary of American Biography, p. 645-646 ; Sears L. M., op. cit., p. 89-91.
50 Olivera O., op. cit., p. 209.
51 Gurney J. J., A Winter in the West Indies: Described in Familiar Letters to Henry Clay, of Kentucky, London, J. Murray, 1840.
52 Ibid., p. xi-xii.
53 Ibid., p. xiii.
54 Franco J. L. « Comercio clandestino des esclavos en el siglo XIX », Islas, vol. 11, n° 3, 1970, p. 48 ; Soulsby H., op. cit., p. 39-77.
55 Gurney J. J., op. cit., p. 216.
56 Franco J. L., op. cit., p. 48-49.
57 Gurney J. J., op. cit., p. 212-218 ; Madden R. R., A Letter to W. E. Channing, p. 5-6.
58 Gurney J. J., op. cit., p. 220-221.
59 Voir aussi les récits de John Glanville Taylor, et James Phillippo qui publièrent leurs ouvrages plus tard mais se montrèrent tout aussi véhéments sur la question de l’implication américaine dans la traite. Glanville Taylor J., The United States and Cuba: eight years of change and travel (1842-1850), London, R. Bentley, 1851 ; Phillippo J. M., The United States and Cuba, London, Pewtress, 1857.
60 Soulsby H., op. cit., p. 46-64.
61 John Forsyth était de Georgie, et Andrew Stevenson de Virginie. Soulsby H., op. cit., p., 43-46, 51-64.
62 Mason M. E., « The Battle of the Slaveholding Liberators: Great Britain, the United States, and Slavery in the Early Nineteenth Century », The William and Mary Quarterly, vol. 59, n° 3, 2002, p. 665-695 ; Gray E. K., « “Whisper to Him the Word ‘India.’” Trans-Atlantic Critics and American Slavery, 1830-1860 », Journal of the Early Republic, vol. 27, automne 2008, p. 379-406.
63 Paquette R., Sugar is Made with Blood, p. 132.
64 Turnbull D., Travel in the West. Cuba, with notices of Porto Rico, and Slave Trade, London, Longman, Orme, Brown, Green, 1840. Outre cet ouvrage, il publia aussi plus tard un ouvrage concernant l’abolition de la traite en Jamaïque : The Jamaica Movement for Promoting the Enforcement of the Slave Trade Treaties, and the Suppression of the Slave Trade, London, C. Gilpin, 1850.
65 Palmerston était aussi très déterminé à obtenir des Américains un traité accordant à la Grande-Bretagne un droit de visite et de fouille des navires américains dans le but de mettre un terme à la poursuite de la traite négrière illégale. Malgré toute la passion qu’il mit dans ce projet, et même sans doute à cause de sa passion selon Hugh Soulsby, Palmerston ne parvint pas à obtenir la moindre concession de la part des États-Unis. Soulsby H., op. cit., p. 52-64.
66 Soulsby H., op. cit., p. 52-64 ; Paquette R., Sugar is Made with Blood, p. 131-133, 136-138 ; Paquette R., « The Everett – Del Monte Connection », p. 9 ; Madden, Memoirs, p. 80 ; Manzano J. F., The Life and Poems of a Cuban Slave, p. 9.
67 Félix Tanco y Bosmeniel a Domingo Del Monte, 13 de Noviembre 1840 ; Tanco a Del Monte, 18 de Noviembre 1840, Figarola-Caneda D. (dir.), Centón, vol. 7, p. 151-152.
68 Paquette R., Sugar is Made with Blood, p. 136-139.
69 Turnbull D., Travel in the West, p. 435-472 ; Olivera O., op. cit., p. 175.
70 Turnbull D., op. cit., p. 158-160, 465-466.
71 Weinberg A. K., Manifest Destiny: A Study of Nationalist Expansionism in American History, Chicago, 1963.
72 Pour le texte du traité, voir The Avalon Project [http://avalon.law.yale.edu/19th_century/br-1842.asp], dernière consultation, le 29 août 2013. Ce sont en particulier les articles VIII, IX et XI qui régulent la coopération maritime entre Anglais et Américains sur les côtes africaines par la mise en place d’un escadron composé d’un minimum de quatre-vingts canons investis de la mission d’arrêter tout navire suspecté de s’adonner à la traite illégale d’africains. Soulsby H., op. cit., p. 78-117.
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