Chapitre I. La Perle des Antilles ou la Clé des Antilles ? Cuba, les États-Unis et rivalités internationales, 1760-1830
p. 25-58
Texte intégral
« Philippe
II avait attribué à La Havane un blason
où était représentée une
clé dorée pour signifier
qu’il s’agissait de la clé des Antilles
[espagnoles]1. »
1Les îles des Caraïbes, notamment Cuba et Saint-Domingue, ont été, et restent souvent associées à des noms de pierres précieuses ou à des titres royaux visant à souligner leur beauté et leur importance politique.
2Ainsi en va-t-il de Cuba, tour à tour Reine, Perle ou encore Clé des Antilles. Le nom que les écrivains, poètes, voyageurs et historiens associent le plus souvent à Cuba est celui de Perle des Antilles, en référence à la luxuriante beauté de l’île. Quant à « Clé des Antilles », cette appellation est certes moins usitée, néanmoins elle est, semble-t-il, plus ancienne et tout aussi pertinente, voire plus proche des enjeux géopolitiques que présentait l’île. En effet, comme le souligne la citation mise en exergue, le symbole de la clé fut associé à La Havane dès le règne de Philippe II, soit dès 1558, date de son accession au trône, ce qui avait le mérite de souligner la dimension stratégique de la capitale et, par extension, de toute l’île. De même, ce symbole semblait presque annoncer les convoitises dont elle allait faire l’objet plus tard2.
3Ainsi, pour comprendre l’intérêt des Sudistes pour Cuba à partir des années 1830-1840, il est important de remonter le temps afin de saisir les réalités économiques, politiques et stratégiques de l’île et, par conséquent, les rivalités internationales dont elle fut l’objet avant la période d’expansionnisme agressif des États-Unis.
4Nous nous attacherons donc dans ce chapitre à démontrer que les velléités annexionnistes de l’Union pour la Clé des Antilles remontent à la fin du xviiie siècle, bien qu’à cette époque elles fussent prudentes. En effet, les gouvernements qui se succédèrent alors à Washington désiraient avant tout maintenir le statu quo sur l’île afin de maintenir l’équilibre géopolitique de la région. Il s’agit donc là d’un volet éminemment diplomatique de l’histoire des relations entre les États-Unis et Cuba.
Le nouveau règne économique de la Perle des Antilles
Le développement tardif du sucre
5Avant l’explosion de l’agriculture et de l’industrie sucrière à la fin du xviiie siècle, Cuba n’avait pas vraiment d’importance économique pour l’Espagne. Elle n’avait pas de richesses naturelles qui eussent pu intéresser l’Espagne, à l’époque très friande de métaux précieux. Comme l’écrit Hugh Thomas :
« Contrairement au continent sud américain, l’Espagne n’avait jamais possédé Cuba pour la valeur de ses exportations. Elle n’avait pas d’or et [en réalité] n’avait jamais eu grand-chose à proposer. C’était une colonie de service que l’Espagne gardait comme lieu de transit pour la flotte qui ramenait en métropole les principaux produits impériaux3. »
6Le principal intérêt de l’île était donc d’ordre stratégique puisqu’elle était un important point de convergence pour les navires et les hommes en provenance des différentes parties de l’Amérique espagnole, sans lequel il aurait été difficile pour l’Espagne de poursuivre ses activités commerciales4. Cette position centrale lui conférait donc une importance vitale pour l’économie espagnole en Amérique.
7Et bien que les plantations de sucre eussent existé à Cuba depuis le xvie siècle, la production était marginale, de mauvaise qualité et limitée aux besoins internes de l’île. L’économie de l’île était essentiellement tournée vers la culture du tabac et l’élevage5. La position géographique de l’île dans les Caraïbes poussa l’Espagne à y stimuler la production de denrées autres que le sucre plutôt que d’encourager la production sucrière. En effet, Cuba était voisine d’îles où le sucre était déjà la production dominante empêchant ainsi la culture de denrées nécessaires à la consommation locale. Madrid prit donc une série de mesures pour empêcher l’expansion des plantations de sucre à Cuba et stimuler l’élevage ainsi que la culture du tabac et des denrées facilement exportables vers les îles voisines.
8De plus, la nature de la traite négrière au cours des xvie et xviie siècles semble avoir joué un rôle dans le développement tardif de l’économie sucrière de l’île. En effet, à cette époque, l’Espagne ne disposait pas de comptoirs sur les côtes africaines pour s’adonner à la traite. Par ailleurs, les navires espagnols ne se rendaient pas en Afrique pour s’approvisionner en esclaves. Donc, pour subvenir à ses besoins en esclaves, l’Espagne dépendait d’autres nations, en particulier de l’Angleterre qui dominait alors le trafic négrier. Entre 1713 et 1739, l’asiento, soit le monopole de la vente d’esclaves aux colonies espagnoles, était entre les mains de la British South Sea Company6. Or les colonies britanniques avaient alors un besoin plus important d’esclaves que Cuba. Par conséquent, la traite négrière en direction de Cuba fut freinée, d’autant que la vente ne se faisait pas directement par les Britanniques mais par l’intermédiaire de marchands espagnols, ce qui avait pour effet d’augmenter le prix des esclaves. Lorsqu’en 1755, Madrid obtint que l’asiento du commerce d’esclaves vers Cuba revînt à une compagnie espagnole, la Compagnie de Barcelone, les restrictions commerciales étaient encore trop nombreuses ; ce qui empêchait la compagnie de s’approvisionner directement en Afrique et de commercer librement. Elle se trouva acculée à acheter des esclaves à la British South Sea Company ou à des marchands anglais de Jamaïque pour approvisionner l’île en esclaves7.
Le boom de l’économie sucrière et les relations avec les États-Unis
9Ce n’est qu’au cours du xviiie siècle que la production de sucre augmenta à Cuba, à tel point qu’entre 1760 et 1781 l’île devint le troisième exportateur de sucre de la région caraïbe, après Saint-Domingue et la Jamaïque8 avant d’atteindre la première place dans la dernière décennie du siècle. La condition et à la fois le corollaire de cette explosion de l’économie sucrière fut une explosion de la population esclave.
10Selon la théorie de Rémy Herrera, ce furent trois chocs exogènes qui poussèrent Cuba au premier rang mondial dans la production et l’exportation de sucre9. Tout d’abord, bien que de courte durée, la prise de La Havane par les Britanniques en 1762, pendant la guerre de Sept Ans (1756-1763), marqua le début de l’importation massive d’esclaves et un changement d’échelle du système esclavagiste cubain. Les Britanniques ne furent maîtres de La Havane que durant dix mois, mais ce fut bien assez pour introduire 10 700 esclaves africains durant les cinq premiers mois d’occupation du port10. En tout, les Anglais introduisirent 15 000 esclaves qui vinrent s’ajouter aux 300 000 qui vivaient déjà sur l’île11. Puis entre 1763 et 1793, près de 100 000 esclaves furent introduits à Cuba. Une telle explosion avait également été rendue possible par la politique d’ouverture progressive du commerce des esclaves vers Cuba. Ainsi le 28 février 1789, le roi Charles IV permit aux étrangers et aux sujets espagnols de vendre un nombre illimité d’esclaves dans les divers ports des Caraïbes, y compris à La Havane. Puis en 1792, les marchands cubains furent autorisés à importer des esclaves directement d’Afrique, ce qui changea complètement la situation de l’île12. De plus, si des relations commerciales s’étaient déjà développées entre les colonies britanniques d’Amérique du Nord et La Havane, qui en importait de la farine, ces relations connurent un essor considérable après 1762 car les Britanniques permirent alors l’ouverture du port de La Havane au commerce avec leurs colonies, et en particulier avec celles d’Amérique du Nord, ce qui conduisit au renforcement des liens entre ces deux parties du monde13.
11Puis, la Révolution américaine de 1776 permit la connexion de l’économie cubaine à un marché américain proche et en pleine expansion. Au-delà de La Havane, l’Espagne permit en effet aux ports cubains de s’ouvrir au marché nord américain. À travers ce geste, Madrid avait pour but, d’une part, de soutenir les colonies rebelles qui ne pouvaient évidemment plus avoir accès au sucre des Antilles britanniques, et d’autre part de régler ses comptes avec la Grande-Bretagne. Ces relations commerciales se renforcèrent en 1779 lorsque l’Espagne déclara la guerre à l’Angleterre : la flotte espagnole, affaiblie par le conflit, ne pouvait approvisionner ses colonies américaines en nourriture et en produits de première nécessité, obligeant donc la métropole à suspendre sa politique mercantiliste, notamment vis-à-vis de Cuba.
12Les Cubains furent donc autorisés à importer de la nourriture des États-Unis ainsi qu’à accueillir les navires de guerre et les navires corsaires américains. Grâce à cette ouverture, « la valeur stratégique de Cuba pour les États-Unis était démontrée14 ». Mais cette liberté fut de courte durée puisqu’en 1784, l’Espagne imposa de nouveau sa politique mercantiliste, portant un sérieux coup aux échanges américano-cubains. La période de restriction dura jusqu’en 1793, année où les guerres en Europe obligèrent l’Espagne à ouvrir de nouveau les ports cubains au commerce avec les États-Unis et à permettre aux navires américains de transporter les produits cubains en Europe. Ce schéma d’ouverture-fermeture du marché cubain se répéta jusqu’à l’occupation de l’Espagne par l’armée napoléonienne en 1808 et la chute de la couronne d’Espagne face à Napoléon, qui plaça alors son frère Joseph sur le trône15.
13Enfin, si les deux premiers chocs – prise de La Havane et révolution américaine – avaient effectivement conduit à l’expansion de l’économie cubaine, le troisième choc ou « réveil » cubain fut déclenché en 1791 par la révolution de Saint-Domingue. Celle-ci provoqua la destruction quasi instantanée de l’économie du premier producteur de sucre et de café de la région, laissant la place libre à Cuba, ainsi débarrassée de son principal concurrent. À partir de 1793, la production de sucre et de café à Saint-Domingue connut en effet une chute rapide16. La production et l’exportation de sucre cubain augmentèrent alors de façon fulgurante, notamment du fait de l’immigration massive de planteurs français de Saint-Domingue qui s’installèrent majoritairement à Santiago de Cuba et Baracoa, dans la région de l’Oriente (la plus proche de Saint-Domingue), avec leurs esclaves, leurs capitaux et leur savoir-faire. Ces planteurs, « ancrés » dans la « culture de l’esclavage », trouvèrent à Cuba l’endroit idéal pour maintenir et renforcer le système esclavagiste17. Ainsi, comme le montre Rémy Herrera, c’est bien la production de sucre, étroitement liée à l’esclavage, qui permit l’insertion de Cuba dans l’économie mondiale et, l’on peut ajouter, en particulier dans celle de l’Amérique du Nord. « Ce qu’il faut donc repérer, c’est l’importance tout à fait fondamentale pour Cuba de cette “spécialisation” dans le sucre, qui intervient entre 1750 et 1850, et qui va faire d’elle, dès 1840-1850, le plus grand producteur de sucre au monde18. »
14Néanmoins, si l’expansion de la production sucrière, et par là même l’expansion de l’économie cubaine, fut directement causée par un contexte international particulièrement favorable, les conditions internes de l’île étaient elles aussi favorables à un tel développement. En effet, les planteurs de La Havane, et plus spécifiquement un certain Francisco de Arango y Pareño, virent dans la catastrophe de Saint-Domingue l’occasion rêvée de développer l’industrie sucrière sur l’île. Dès le 24 janvier 1792, en tant que représentant de la couronne d’Espagne à La Havane, Arango y Pareño publia à Madrid Discurso sobre la Agricultura de la Habana y medios de fomentarla, texte resté célèbre où il utilisait l’argument de la révolte de Saint-Domingue pour enjoindre la couronne à appliquer des mesures favorables au développement du sucre à La Havane. Ces mesures incluaient, entre autres, l’ouverture de la traite transatlantique pour fournir les planteurs en main-d’œuvre abondante et bon marché ainsi que l’utilisation de techniques agricoles modernes. Grâce à la conjoncture historique et économique, l’Espagne approuva le texte et les mesures défendues par Arango y Pareño, marquant ainsi le premier pas vers un développement économique sans précédent. Forte de la bénédiction de la Couronne, la nouvelle classe de planteurs de sucre n’eut aucun mal à se débarrasser des planteurs de tabac et des éleveurs, progressivement expulsés de leurs terres par l’avancée écrasante du sucre. La surface dédiée à la culture de la canne à sucre fut ainsi multipliée par seize passant de 10 000 acres en 1763 à près de 160 000 acres en 179219. De plus, par le décret du 10 février 1818, l’île fut ouverte aux navires étrangers. Cette relative libéralisation du commerce joua un rôle non négligeable dans le développement de cette nouvelle économie puisque les Cubains étaient désormais autorisés à commercer avec d’autres nations, tant que l’Espagne pouvait encaisser les taxes douanières20.
15Cependant, ce sont les procédés de culture de la canne à sucre et de fabrication du sucre qui jouèrent le rôle le plus décisif dans la révolution sucrière que connut Cuba21. En effet, dès le départ, les planteurs créoles s’intéressèrent aux dernières avancées scientifiques et technologiques susceptibles d’augmenter la production tout en en diminuant le coût. Ils se mirent à cultiver de nouvelles variétés de canne à sucre plus « performantes » et, dès le début du xixe siècle, se mirent à l’utilisation de la vapeur dans les procédés de fabrication du sucre22. Selon Franklin W. Knight, c’est le chemin de fer qui révolutionna véritablement l’industrie sucrière. En effet, avant la construction de la première ligne de chemin de fer, l’augmentation de la production de sucre dépendait surtout de la multiplication des petites unités de production. Or, une telle multiplication était problématique dans la mesure où les coûts de transport vers La Havane s’en trouvaient augmentés. Mais cette situation changea complètement à partir de 1837, lorsque la première ligne de chemin de fer entre La Havane et Güines fut inaugurée dans le but d’aider au développement du commerce et de l’agriculture. Cette nouvelle invention eut le succès escompté puisque les revenus des compagnies de chemin de fer venaient essentiellement du transport du sucre et de la mélasse. De plus, les planteurs firent construire des lignes de chemin de fer à l’intérieur même des plantations, rendant ainsi le transport de la canne à sucre des champs vers l’usine de raffinage plus rapide. Cela permit d’étendre la surface dédiée à la culture de la canne, d’augmenter la production de sucre, et même d’améliorer le travail à l’intérieur de la raffinerie puisque de courtes lignes de chemin de fer furent aussi construites dans les usines afin d’en relier les différentes sections, dans le but de rendre le travail plus rapide, et d’augmenter la productivité23.
16D’un point de vue économique, Cuba avait donc tout l’air d’un modèle. Devenue premier producteur mondial de sucre après la chute de Saint-Domingue, elle avait une agriculture et une industrie sucrière modernes, portées par un système esclavagiste en expansion. Un tel succès économique fondé sur le régime esclavagiste est un élément important pour expliquer l’intérêt croissant des Sudistes pour la Clé des Antilles.
17Il faut toutefois noter que l’importance croissante du sucre dans l’économie cubaine la rendit de plus en plus dépendante des pays voisins pour son approvisionnement en denrées de première nécessité. Cette nouvelle dépendance s’articula plus spécifiquement sur les États-Unis qui, au fil des années, devinrent le principal partenaire économique des Cubains.
18En effet, la conséquence de l’essor spectaculaire des plantations et de l’industrie sucrière fut la transformation de l’économie cubaine en une économie fondée sur une agriculture de monoculture. Dès la deuxième moitié du xviiie siècle, et surtout après 1790, incapable d’assurer son autosuffisance alimentaire Cuba se trouva dans l’obligation d’importer sa nourriture – alors qu’auparavant c’était elle qui fournissait les îles voisines en denrées de première nécessité. C’est donc tout naturellement que les Créoles se tournèrent vers les États-Unis pour l’importation en denrées alimentaires, puisqu’ils s’y fournissaient en farine depuis cinquante ans déjà24.
19Ils durent aussi se tourner vers les États-Unis pour vendre leur production croissante de sucre puisque le marché espagnol était saturé alors que leur très proche voisin nord-américain, était surtout un très grand consommateur de sucre25. Ce nouveau partenariat profitait donc aussi bien aux planteurs créoles qu’aux Américains qui avaient trouvé en Cuba un substitut à leur partenariat commercial avec Saint-Domingue, qu’ils avaient pourtant longtemps convoité et auquel ils mirent fin le 28 février 1806, acculés par les implications qu’aurait eues la reconnaissance de l’indépendance d’une république d’anciens esclaves26. Par ailleurs, selon Hugh Thomas, les Cubains devinrent aussi peu à peu dépendants du monde extérieur pour trouver les capitaux nécessaires à la mise en place de nouvelles plantations27. Au cours de la première moitié du xixe siècle, Cuba développa donc une dépendance économique croissante vis-à-vis des États-Unis. En 1850, selon Rémy Herrera, 65 % des exportations de l’île se faisaient vers les États-Unis. Ce chiffre ne coïncide pas avec celui de Louis Pérez qui considère que la part des États-Unis dans le commerce cubain représentait 39 % des exportations totales en 1850. Néanmoins, ce dernier confirme l’idée selon laquelle les États-Unis étaient bien devenus, à cette époque, le principal partenaire commercial de Cuba28.
L’intérêt de la jeune république américaine pour l’île
20Mais bien avant que l’île ne devînt aussi dépendante des États-Unis, et bien avant qu’elle ne suscitât l’intérêt spécifique des Sudistes, les hommes d’États les plus importants de la jeune république américaine exprimèrent leur intérêt pour la Clé des Antilles ainsi que leur conviction que l’île faisait « naturellement » partie du territoire américain et que son annexion profiterait à une jeune nation qui devait s’étendre vers de nouveaux territoires.
21Autrement dit, l’intérêt américain pour l’île se manifesta très tôt et se développa parallèlement à l’expansionnisme croissant de la nation.
Les visées expansionnistes de la jeune république
22Il est difficile de déterminer le moment exact de l’apparition de l’idée expansionniste chez les hommes d’État américains, mais on peut identifier certains moments importants où ces derniers évoquèrent clairement la question de l’extension du territoire américain.
23L’historien William Earl Weeks soutient même que la nation américaine commença comme la vision d’une union fondée sur la sécurité collective, l’expansion et la prospérité. Selon lui, dès 1751, avant même que la guerre d’Indépendance n’éclatât, dans son pamphlet Observations Concerning the Increase of Mankind, Benjamin Franklin avait dépeint un temps où les colonies nord-américaines auraient été le centre de l’empire britannique et où la population sans cesse croissante de l’Amérique aurait fourni à l’industrie britannique un immense marché. Mais la condition à ce qu’une telle prédiction devînt une réalité était que les colonies s’étendent vers de nouveaux territoires car c’est ainsi, pensait-il, que cette population allait pouvoir se reproduire, augmenter et renforcer la puissance britannique29.
24Benjamin Franklin consacra donc tous ses efforts à la création d’une union politique destinée à peupler les territoires qui se situaient à l’ouest des treize colonies et qui appartenaient à la France. Lors d’un congrès de colons à Albany en juillet 1754, il proposa son plan de confédération des colonies britanniques afin d’en assurer la sécurité et l’expansion le long de la frontière ouest. Mais ce dernier fut rejeté.
25La question de l’expansion fut toutefois ravivée par la guerre de Sept Ans (1756-1763) qui opposa la France et la Grande-Bretagne en raison des conflits entre colons britanniques installés près de la frontière de l’Ouest et les tribus indiennes de la vallée de l’Ohio, à l’époque territoire français. Cette guerre, qui s’était conclue par la victoire des Britanniques et l’expulsion des Français du Canada, permit à la Grande-Bretagne d’étendre son territoire vers l’Ouest en englobant la partie orientale de la Louisiane française. Pour de nombreux colons le retrait de la France signifiait la possibilité de s’installer à l’Ouest. Mais, par la Proclamation Royale de 1763, et en réponse à la résistance des tribus indiennes à l’arrivée de nouveaux colons, Londres limita le peuplement de ces terres aux seuls Indiens. Pour les colons, la mère patrie avait réussi là où leurs ennemis avaient échoué – les empêcher de s’étendre vers l’Ouest et de prospérer. Ce frein à l’expansion vers l’Ouest contribua à la dégradation des relations entre les colonies et la métropole et allait être l’une des principales doléances des colons lors de la guerre d’Indépendance (1775-1783). D’ailleurs en 1783, le traité de paix de Paris constitua une double victoire en ce sens qu’il reconnaissait non seulement l’indépendance des treize colonies mais leur concédait en plus la vallée de l’Ohio et une frontière qui longeait la rive droite du Mississipi, soit ces mêmes terres de l’Ouest où Londres leur avait refusé le droit de s’étendre30.
26Après la Révolution, les dirigeants de la jeune république, fussent-ils fédéralistes ou républicains, s’accordèrent sur le fait que « le meilleur moyen d’assurer la cohésion et la force de la nouvelle nation [était] d’agir pour son expansion commerciale et son expansion territoriale », révélant ainsi une conception particulière de l’expansion : en théorie elle devait être pacifique et naturelle, et s’imposer par le seul biais du commerce31. En 1791, alors que Thomas Jefferson cherchait à obtenir l’ouverture des Antilles françaises, et en particulier Saint-Domingue, au commerce américain, il expliqua à William Short, son chargé d’affaires à Paris, qu’aux yeux des Américains, l’expansion commerciale de la nation ne pouvait être liée à la conquête32. Selon lui, le désir de voir s’ouvrir le commerce entre les États-Unis et les Antilles françaises relevait en réalité du « droit naturel » à commercer avec ses voisins. Toutefois, s’il avait fallu recourir à la force pour faire appliquer ce droit naturel, Jefferson n’en rejetait pas l’usage33. C’est ainsi qu’au cours des années 1790, les Américains menèrent une offensive commerciale qui visait à « accaparer le commerce des Antilles » – celui de Saint-Domingue34, et des Antilles britanniques. Puis leur offensive s’étendit à l’Amérique espagnole et à la Chine. Le but final était la mise en place d’un empire américain, qui aurait été le digne héritier de l’empire britannique, puissant certes mais aussi très étendu35.
27C’est dans le cadre de cette vision d’extension de l’influence américaine par le commerce que vient s’insérer l’intérêt des États-Unis pour Cuba.
Un intérêt précoce pour Cuba
28Tout comme la conviction que les États-Unis deviendraient un empire remonte aux premières heures de la jeune république, l’idée que Cuba deviendrait un jour une possession américaine n’a pas subitement émergé au cours des années 1840. L’idée fit son chemin parallèlement au discours expansionniste « précoce » que nous venons d’évoquer, et son développement était intimement lié au renforcement des liens commerciaux entre les États-Unis et la Perle des Antilles au cours de la seconde moitié du xviiie siècle. Cette période agitée sur le plan international qui vit s’ouvrir les relations commerciales entre les États-Unis et Cuba, fit également entrevoir aux Américains le potentiel économique et stratégique de l’île ainsi que tous les avantages dont ils auraient pu bénéficier si celle-ci était annexée à l’Union36.
29La chute de la couronne d’Espagne en 1808 poussa les Créoles des colonies espagnoles d’Amérique à remettre en question la légitimité politique de la métropole et à se battre pour leur indépendance. C’est dans ce contexte que Thomas Jefferson, alors président des États-Unis, envisagea pour la première fois dans l’histoire de la présidence américaine la possibilité d’annexer Cuba « comme une solution aux problèmes stratégiques et commerciaux37 » que pouvait avoir la jeune république. Si Jefferson fut le premier président à envisager l’annexion de l’île, cette idée ne lui vint cependant pas subitement en 1808. En effet dès les années 1790, le schéma d’ouverture-fermeture des ports cubains au commerce extérieur évoqué plus haut eut le don d’irriter Jefferson. En ardent défenseur du droit naturel à commercer librement, ce dernier ne supportait pas les restrictions que l’Espagne imposait au commerce américain avec ses colonies et son irritation alla croissant jusqu’en 1803. L’achat de la Louisiane fut, semble-t-il, le moment où il commença sérieusement à envisager l’acquisition de l’île, convaincu que l’Espagne continuerait à empêcher les États-Unis de commercer librement avec Cuba.
30C’est d’ailleurs l’ancien gouverneur du Territoire de Louisiane, le général Wilkinson, qui quelques années plus tard proposa à Jefferson d’entamer des négociations pour s’assurer le contrôle d’une partie de l’Amérique latine et des Caraïbes38. Wilkinson, bien au fait des velléités annexionnistes de Jefferson et avant la chute de la couronne d’Espagne, lui adressa deux lettres en mars 1807 où il lui proposait la formation d’une alliance entre l’Union et la Grande-Bretagne destinée à préserver le Nouveau Monde de l’influence de l’Espagne et de Napoléon. Cela aurait ainsi permis de protéger le territoire américain, en y ajoutant Cuba et les deux Florides tout en aidant le Mexique à devenir indépendant. Il lui suggéra ensuite qu’une alliance entre un Cuba, un Mexique et un Pérou indépendants pourraient, avec l’aide des États-Unis, tenir tête aux puissances de l’Europe. Ainsi ce personnage à la sordide réputation fut-il parmi les premiers à avoir pensé ce qui allait devenir la Doctrine Monroe39. Un an et demi plus tard, le 1er octobre 1808, Wilkinson écrivit de nouveau à Jefferson pour lui exprimer sa conviction de l’indépendance imminente du Mexique et du reste de l’Amérique espagnole ainsi que sa peur de voir ces derniers céder aux sirènes britanniques. Il se proposait donc de partir en mission à Cuba, pour prévenir le capitaine général Someruelos, qu’il connaissait personnellement, du danger britannique40. Le 22 octobre 1808, au cours d’une réunion du cabinet présidentiel, il fut convenu d’envoyer un message à Cuba et au Mexique pour exprimer le désir des États-Unis de les voir rester sous tutelle espagnole, et leur mécontentement s’ils venaient à passer sous domination française ou britannique. En somme, Jefferson et son cabinet exprimaient clairement le désir de se débarrasser de toute influence européenne en Amérique, annonçant ainsi la fameuse Doctrine Monroe. Néanmoins, ils n’étaient pas prêts à soutenir un mouvement d’indépendance cubain ou mexicain41.
31Jefferson décida alors de confier au général Wilkinson une double mission. Dans la mesure où, en 1806, Wilkinson avait révélé à Jefferson la conspiration d’Aron Burr, qui consistait à vouloir établir une nation indépendante dans les territoires de l’Ouest, on lui demanda de rassembler des troupes importantes à la Nouvelle-Orléans dans le but de défendre la région contre Aron Burr. Mais avant cela, il devait se rendre auprès de son « ami » Someruelos à La Havane, puis en Floride auprès du gouverneur espagnol Vicente Folch. Sa mission à La Havane fut de courte durée puisqu’il y séjourna du 23 mars au 2 avril 1809, à un moment de grande agitation dirigée contre les étrangers à Cuba42. Au cours de cette semaine il s’entretint et échangea des lettres avec Someruelos où il lui expliquait la position du gouvernement américain telle qu’elle avait été exprimée au cours de la réunion du cabinet du 22 octobre 1808. Wilkinson exprimait donc la sympathie des États-Unis pour l’Espagne mais surtout pour ses colonies. Il expliquait ensuite que le but de sa mission à la Nouvelle-Orléans était uniquement de protéger le territoire américain et non d’occuper la Floride, comme Someruelos et Folch semblaient le penser. Néanmoins, si les Américains étaient attaqués, par la France ou par l’Angleterre, à partir des Florides, ils n’hésiteraient pas à répliquer.
32Selon Isaac Cox, la claire distinction entre l’Espagne et ses colonies pouvait cacher un appel à Someruelos pour qu’il agît indépendamment de la métropole, appel que ce dernier ignora puisque dans sa réponse à Wilkinson il affirmait ne pas avoir l’autorité pour discuter de ces questions et joignit une proclamation qu’il avait faite pour soulever le peuple cubain contre une attaque étrangère. « Il déjoua ainsi la tentative de Wilkinson pour le séduire ou lui faire peur43. » Philip Foner a une lecture quelque peu différente de l’épisode : selon lui Wilkinson proposa clairement au capitaine général de faciliter le transfert de Cuba aux États-Unis, plutôt que son transfert aux Français ou aux Britanniques, si et seulement si l’Espagne se trouvait dans l’impossibilité de garder Cuba en sa possession. Finalement, Foner rejoint Cox sur le dénouement puisqu’il affirme que Someruelos rejeta l’offre américaine et que la mission échoua44. Toutefois l’interprétation de Cox semble plus proche des faits car ce dernier a eu directement accès à la correspondance diplomatique que tinrent les différents acteurs. Les événements qu’il présente sont bien contextualisés dans son article, à la différence de Foner qui est très biaisé et très sélectif car il ne présente pas le contexte qui entoure la mission de Wilkinson et ne sélectionne dans la lettre que ce qui concerne Cuba.
33Mais pour en revenir à Jefferson, malgré l’échec de cette mission il n’abandonna pas son idée pour autant car après avoir quitté la présidence il continua de mener campagne pour l’annexion des Florides à l’Union. Le 27 avril 1809, il écrivit au nouveau président, James Madison, pour lui faire part de sa conviction que Napoléon céderait très probablement les Florides et peut-être même Cuba – bien que plus difficilement – aux Américains si ces derniers acceptaient de laisser le champ libre aux Français au Mexique et dans le reste de l’Amérique latine. James Madison n’était cependant pas convaincu. Il pensait que Napoléon offrirait certainement la Floride pour avoir les mains libres sur le continent latino-américain mais qu’il avait lui aussi des vues sur l’île et qu’il comptait profiter de la présence massive des planteurs français réfugiés à Cuba après la révolution de Saint-Domingue pour arriver à ses fins. Il savait par ailleurs que les Américains auraient besoin d’une flotte importante s’ils envisageaient de se rendre maîtres de l’île. Car une telle acquisition aurait certainement provoqué une offensive de la Grande-Bretagne qui considérait alors la région des Caraïbes comme son terrain de jeu. Or à cette époque les États-Unis ne disposaient pas encore d’une flotte militaire qui leur aurait permis de faire face à d’éventuelles attaques britanniques. Madison était donc en faveur du maintien de la Couronne espagnole à Cuba en attendant des conditions plus favorables à son acquisition par les États-Unis45.
Premiers contacts avec des annexionnistes créoles et la question de l’esclavage
34Néanmoins, à l’instar de Jefferson, Madison avait aussi des visées expansionnistes. C’est d’ailleurs sous sa présidence, en 1810, que fut annexée la Floride occidentale. Lui aussi désirait annexer Cuba. Par conséquent, le consul qu’il nomma à La Havane en 1810, William Shaler, hérita de la même mission que Wilkinson, à savoir exprimer le refus américain de voir l’île transférée à une puissance autre que l’Espagne.
35Il devait en plus « enquêter » sur les dispositions des Créoles à être annexés à l’Union. Shaler y trouva deux groupes révolutionnaires actifs mais aux objectifs radicalement opposés : le premier cherchait à obtenir l’indépendance de l’île et l’abolition de l’esclavage alors que le second était formé de riches planteurs créoles bien éloignés des idées abolitionnistes. Et Philip Foner de conclure que l’expansionnisme avéré de William Shaler le poussa à se mettre rapidement en contact avec le groupe de planteurs créoles. Ces derniers craignaient que l’abolitionnisme de certains et les violences résultant d’une éventuelle révolution ne conduisent à un second Saint-Domingue. Ils préféraient donc l’annexion à l’Union plutôt que l’indépendance, car les États-Unis leur garantiraient le maintien de l’esclavage. Aussi engagèrent-ils des négociations secrètes avec Shaler. Ils proposèrent qu’en échange d’une future annexion à l’Union, l’île pût bénéficier d’un soutien inconditionnel du gouvernement américain si elle venait à être attaquée par la Grande-Bretagne. Ils surent être pragmatiques en montrant qu’une annexion de l’île leur serait certes bénéfique mais qu’elle profiterait également à l’Union. Selon Philip Foner, qui cite les paroles d’un de ces Créoles :
« Les États-Unis auraient [beaucoup à] gagner si Cuba devenait un des États de l’Union. Notre situation [géographique] garantit la navigation du Mississipi ; et nos ports, notre terre, notre climat offrent des ressources incroyables au commerce et à l’agriculture. Et lorsque ces qualités avantageuses de notre île seront développées par un gouvernement tel que le vôtre, en plus de nous rendre riches et heureux, elles constitueront une immense contribution à votre richesse nationale et à votre importance politique46. »
36Shaler leur garantit alors personnellement que son pays les protégerait contre la Grande-Bretagne s’ils se soulevaient contre l’Espagne. Mais il fut désavoué par son gouvernement qui, malgré une ferme opposition à l’annexion de l’île par d’autres puissances européennes, refusait de soutenir une tentative de révolte créole. De plus, les activités de Shaler sur l’île, en particulier ses contacts avec la classe des planteurs dissidents, éveillèrent les soupçons des autorités coloniales espagnoles qui l’arrêtèrent en novembre 1811 et le renvoyèrent aux États-Unis47.
37Le refus américain ne signifiait pourtant pas une perte d’intérêt pour l’île. Il était en fait motivé par ce qu’on pourrait appeler le « spectre de Saint Domingue ». En effet, aux yeux des Américains un mouvement d’indépendance dans les Caraïbes aurait eu des conséquences désastreuses sur leur modèle social fondé sur l’esclavage. Or le souvenir de la révolution de Saint-Domingue était encore bien trop vif pour envisager sans crainte un quelconque changement de statut de l’île. Selon Lester D. Langley, dans la région caraïbe « les implications d’une révolution n’étaient pas seulement politiques – un combat contre le colonialisme – mais également sociales et économiques, une guerre contre une société de classes. [Or] les Américains avaient déjà été témoins de ce qu’ils considéraient comme un [formidable] bain de sang – la révolution haïtienne48 ». Aux yeux des dirigeants américains, Haïti était donc la preuve irréfutable du désastre qu’aurait constitué une autre révolution dans la région caraïbe. La révolte d’esclaves de Saint-Domingue avait en effet laissé une telle impression d’horreur dans les esprits des politiciens américains qu’ils ne voyaient d’autre alternative à la structure politique des Antilles que celle d’une domination espagnole49.
38En somme, alors qu’ils désiraient fortement annexer la Clé des Antilles à l’Union, alors qu’ils étaient persuadés que les États-Unis avaient droit à cette île, Madison et les membres de son Administration avaient cependant publiquement annoncé la neutralité de leur pays dans le conflit qui opposait Napoléon à l’Espagne, ainsi que leur soutien au maintien de l’autorité espagnole en Amérique latine, notamment à Cuba. De même, tout en rendant publique leur volonté de rester neutres, ils espéraient que les colonies espagnoles finiraient par se soulever et se libérer du joug espagnol. Et malgré leurs velléités annexionnistes, leur position fut particulière concernant Cuba : ils continueraient de soutenir le régime colonial, en refusant de prêter main-forte aux planteurs Créoles dans leur tentative de renversement de la couronne espagnole à Cuba. Jefferson lui-même, qui avait pourtant insisté auprès de James Madison en 1809 pour que ce dernier acquière l’île, avait aussi prédit que le moindre bouleversement politique dans les Caraïbes aurait été synonyme de chaos social, économique et politique.
39L’autre terreur de Jefferson, Madison et d’autres hommes d’État américains était qu’une révolution à Cuba ne bénéficiât à une puissance européenne, et plus particulièrement à la Grande-Bretagne qui, selon eux, se serait empressée de se saisir de l’île. C’était pour eux une certitude. Il y avait certes un avantage à ce que Londres s’emparât de Cuba – celui de préserver l’ordre social et de mettre fin à la menace d’une révolution « à la Saint Domingue ». Cependant, il y avait aussi un danger de taille : une annexion par la Grande-Bretagne aurait conduit à la mise en place de barrières commerciales qui auraient alors empêché les États-Unis de commercer avec l’île, devenue un partenaire commercial de choix50.
40La solution ?
41Pour les Jeffersoniens et leurs successeurs durant les trois premières décennies du xixe siècle, la meilleure, et pour tout dire la seule, alternative à un tel casse-tête était de travailler en faveur du maintien du statu quo à Cuba, afin que l’île restât dans le giron espagnol51.
42À la suite du refus américain de les aider, les riches Créoles décidèrent aussi qu’il était préférable pour eux de rester sous domination espagnole. En mai 1810, ils rejetèrent donc l’invitation de Caracas à se joindre au mouvement révolutionnaire d’Amérique latine. La crainte d’une révolte d’esclaves n’était pas la seule raison qui les poussa à refuser de participer à ce mouvement de libération. En effet, son statut insulaire rendait Cuba particulièrement vulnérable car elle pouvait être facilement isolée du reste du continent par la flotte espagnole. De plus, sa taille, infiniment plus petite que les territoires rebelles d’Amérique latine, la rendait encore plus vulnérable aux représailles espagnoles. Par ailleurs, l’arrivée sur l’île de milliers de réfugiés royalistes dès 1810 renforça son allégeance à l’Espagne52. Enfin, le fait que la majorité du clergé cubain était espagnol, donc en faveur de la monarchie, constituait un obstacle de taille car le mouvement révolutionnaire hispano-américain, comme ce fut le cas au Mexique, avait souvent été soutenu, voire dirigé, par des membres du clergé, en général créoles53.
43Malgré le refus de son gouvernement de venir en aide aux Créoles, dès son retour aux États-Unis, Shaler soumit au département d’État un plan de Confédération des États d’Amérique latine où les États-Unis et la Grande-Bretagne se seraient partagé les Caraïbes, assurant aux Américains le contrôle des Florides et de Cuba. Le projet ne vit jamais le jour mais son existence montre que l’intérêt américain restait très vif.
44Par ailleurs, durant cette même période, les Créoles n’avaient pas tous abandonné l’idée d’être annexés à l’Union. En effet, un autre plan d’annexion de l’île fut proposé au gouvernement américain par un natif de Cuba, Don José Álvarez de Toledo y Dubois. Ce dernier, loyal à Ferdinand VII, avait été envoyé aux Cortes de Cadix (le parlement espagnol) pour représenter Santo Domingo de septembre 1810 à janvier 1811. Une fois à Cadix, il avait compris que les colonies espagnoles n’auraient aucun pouvoir au parlement. Il démissionna alors de son poste de député et envoya une lettre où il dénonçait cette situation au capitaine général de Santo Domingo. Toutefois, les autorités espagnoles interceptèrent sa lettre avant qu’elle n’arrivât à destination, et l’accusèrent aussitôt de comploter contre le gouvernement espagnol. Ces accusations le poussèrent à fuir vers les États-Unis, plus précisément vers Philadelphie où il arriva en septembre 1811. Il informa aussitôt James Monroe, alors secrétaire d’État, de sa présence à Philadelphie et fut reçu par ce dernier à Washington. Durant son entretien avec le secrétaire d’État, il lui présenta un plan pour envahir Cuba et organiser, avec l’aide américaine, une révolte visant l’indépendance de l’île. Une fois l’île devenue indépendante, des liens commerciaux forts auraient été établis avec les Américains, avant de l’intégrer à l’Union. Il planifiait aussi d’utiliser Cuba comme la base de formation d’une confédération des Caraïbes, comprenant Cuba, Porto Rico et Santo Domingo qui auraient également été annexés aux États-Unis54. D’après Philip Foner, le plan fut accepté par James Monroe et le président Madison.
45Il est cependant très étrange que Madison ait pu accepter de soutenir un projet visant l’indépendance de Cuba alors même que sa ligne de conduite avait jusque-là été celle d’un soutien officiel à la couronne d’Espagne et le refus de venir en aide aux indépendantistes créoles, même en vue d’une future annexion. On peut donc se demander pourquoi Madison aurait changé d’avis. La réponse à cette question se trouve dans l’ouvrage de Franck L. Owsley et Gene A. Smith, Filibusters and Expansionists. Jeffersonian Manifest Destiny, 1800-1821. Owsley et Smith s’y intéressent à l’expansionnisme de la jeune nation américaine vers les territoires du Sud-Ouest. Dans le chapitre consacré aux prémisses du mouvement expansionniste vers le Texas, nos deux historiens montrent que l’arrivée du Cubain José Alvarez de Toledo y Dubois aux États-Unis correspondait au moment où l’administration américaine s’intéressait de plus en plus au mouvement révolutionnaire mexicain alors représenté par José Bernardo Maximiliano Gutiérrez de Lara. Ce dernier avait notamment proposé aux Américains d’échanger leur aide contre l’annexion du Texas.
46C’est donc dans ce contexte que Monroe avait reçu l’émissaire cubain et accepté de le prendre sous son aile, non dans le but d’annexer Cuba mais dans celui d’avoir encore plus d’influence sur la révolution du Mexique. Car l’expédition pour envahir Cuba n’eut jamais lieu. Il est en revanche avéré que l’Administration américaine mit Toledo y Dubois en contact avec Gutiérrez de Lara. Les deux hommes firent connaissance à Philadelphie en janvier 1812 et Toledo y Dubois se joignit aussitôt à la Révolution mexicaine au Texas. Mais comme l’expliquent Owsley et Smith, Toledo n’était pas un révolutionnaire dans l’âme car après s’être engagé auprès des révolutionnaires mexicains, il changea totalement de camp et s’enrôla aux côtés de l’Espagne contre la cause mexicaine55.
47Cette révolte, qui faisait partie du large mouvement révolutionnaire en Amérique latine, coïncida avec la guerre de 1812 qui opposa les États-Unis à l’Angleterre et mit entre parenthèses tout mouvement étasunien en direction de Cuba.
48Après la guerre de 1812 et à la fin des révolutions hispano-américaines, la prospérité croissante de Cuba provoqua un regain d’intérêt de la part des Américains pour l’île. Selon Foner, cette prospérité économique eut une importance fondamentale dans la politique américaine. Les mouvements indépendantistes sur le continent latino-américain avaient beaucoup réduit le commerce des États-Unis avec ces nouvelles nations, de sorte que leur commerce avec Cuba – et Porto Rico – avait augmenté de façon significative. Aussi :
« Dans ces circonstances il est [fort] peu surprenant que les intérêts marchants et maritimes engagés dans le commerce avec Cuba pussent insister sur le fait qu’on ne fît rien pour provoquer la colère de l’Espagne et risquer l’imposition de restrictions sur le commerce avec l’île. Ces intérêts mettaient particulièrement en garde le gouvernement américain contre les actes suivants : la reconnaissance de l’indépendance des nouvelles républiques d’Amérique latine, malgré un fort soutien populaire en faveur d’une telle initiative ; la guerre avec l’Espagne au sujet de la Floride ; et l’encouragement des mouvements indépendantistes et annexionnistes à Cuba56. »
49Cette dernière mention aux débats sur l’annexion de la Floride n’est pas anodine car la question cubaine émergea de nouveau à l’occasion de l’acquisition de la Floride, elle-même intimement liée à l’essor de l’idéologie de la Destinée Manifeste.
50Il est important ici de redire la difficulté de déterminer l’origine exacte de cette idéologie, mais la possibilité, en revanche, d’identifier des moments où elle fut clairement articulée. L’acquisition de la Floride fut un de ces moments.
La Clé des Antilles, objet de toutes les convoitises
La Floride et les nouvelles tensions internationales autour de Cuba
51Selon William Earl Weeks, l’une des premières grandes déclarations de l’idéologie de la Destiné Manifeste fut celle de John Quincy Adams en 1818, suite aux attaques du général Andrew Jackson contre la Floride, qui était alors sous contrôle espagnol. Andrew Jackson avait agi sur instruction du président James Monroe et du secrétaire d’État à la guerre John C. Calhoun. Ces derniers s’inquiétaient de la fuite d’esclaves de Géorgie vers la Floride espagnole, région mal policée qu’ils considéraient comme un danger à l’intégrité du territoire américain. Voulant mettre fin à cette menace, ils décidèrent de lancer une offensive pour se rendre maîtres de la Floride. En décembre 1817, les forces américaines occupèrent l’île d’Amélia, à la frontière entre la Floride et la Géorgie, afin d’en expulser un groupe de corsaires sud-américains considérés comme des pirates. Mais les Américains avaient besoin d’un grave incident pour obtenir ce qu’ils désiraient.
52En 1818, sous le commandement du général Andrew Jackson, ils pénétrèrent en Floride et lancèrent une offensive contre les Indiens Séminoles, dans le but de mettre fin à leurs nombreuses attaques contre les établissements frontaliers américains. Le général Jackson réussit à maîtriser les Indiens et à mener l’armée américaine jusqu’à Pensacola. Cependant, son incursion conduisit les Espagnols à suspendre toute forme de négociation avec les Américains. Aussi Calhoun et le secrétaire au Trésor William Crawford conseillèrent au président Monroe de désavouer Jackson et de rendre les territoires conquis. Mais John Quincy Adams, alors secrétaire d’État, n’était pas d’accord : il estimait qu’un tel désaveu aurait donné l’image d’une nation faible et n’aurait fait qu’encourager l’intransigeance de l’Espagne vis-à-vis des États-Unis. Il réussit donc à convaincre Monroe de défendre Jackson. En novembre 1818, dans une lettre qu’il adressa à George Irving, le ministre américain à Madrid, il rejeta toute la responsabilité de cet incident sur l’Espagne, l’accusant de n’avoir pas été capable de contrôler les Indiens de Floride qui représentaient une menace à la sécurité des États-Unis. Dans cette lettre, il défendait aussi Jackson avec ferveur57. Lorsqu’elle fut publiée en décembre 1818, la lettre fit sensation, notamment auprès de Thomas Jefferson.
53William Earl Weeks considère cette lettre comme l’une des premières grandes déclarations de Destinée Manifeste car elle permit de faire passer le discours américain « du droit international et du scrupule constitutionnel à un récit sacré du “bon droit” américain contre les fautes de l’Espagne, des Indiens et des Britanniques58 ». Et pour John Quincy Adams, le traité transcontinental de 1819 par lequel les États-Unis acquirent les deux Florides et étendirent leurs intérêts en Oregon ne fit que confirmer que les États-Unis étaient destinés par Dieu à devenir un jour l’empire du Nouveau Monde59. À en croire Weeks, il n’est absolument pas étonnant que l’une des formulations les plus fortes de l’idée d’une destinée manifeste ait été le fait de John Quincy Adams. Ce dernier avait une foi inébranlable dans l’idée que Dieu avait élu les États-Unis pour être « la nation rédemptrice » (redeemer nation) destinée à montrer l’exemple d’un gouvernement républicain vertueux, et par conséquent à étendre son influence sur le reste du monde60.
54Mais alors quel rapport entre la Floride et Cuba ? En quoi l’acquisition de la Floride pouvait-elle affecter les relations internationales autour de Cuba ?
55Comme l’explique Lester Langley dans la préface de son ouvrage Struggle for the American Mediterranean, si les Américains cherchaient à s’étendre sur leur continent vers le Sud et le Sud-Ouest ils ne perdaient pas non plus de vue ce qu’il appelle la région du golfe des Caraïbes (Gulf Caribbean61) marquée par une présence européenne séculaire62.
56Or l’acquisition de la Floride en 1819 ouvrit la voie à la reconnaissance de l’indépendance des républiques latino-américaines par les États-Unis et fut aussi la source de tensions accrues entre les États-Unis et la Grande-Bretagne car en étendant leur territoire sur la Floride, les États-Unis avançaient vers les Caraïbes – et surtout vers Cuba – jusque-là considérées par les Britanniques comme leur terrain de jeu. D’après Foner, l’avancée des frontières américaines « en vue des côtes cubaines » horrifiait la presse britannique qui demandait que Londres prît immédiatement possession de l’île afin de rétablir l’équilibre brisé par l’annexion de la Floride à l’Union. Pour la presse britannique, c’était le seul moyen d’arrêter la marche des États-Unis vers les Caraïbes63. Le gouvernement britannique voyait également en Cuba la prochaine étape d’un mouvement américain d’expansion vers le marché du sucre des Antilles. Mais plutôt que d’annexer l’île, ils préféraient défendre la colonie espagnole contre les avancées américaines.
57En réalité, pas plus qu’en 1810, les États-Unis ne cherchaient à se rendre maîtres de l’île. Selon Lester Langley, ils y acceptaient encore la présence espagnole comme un mal nécessaire qui les protégeait contre les dangers de rébellions esclaves dans les îles voisines64. Tout autant que le gouvernement britannique, ils désiraient donc le maintien du pouvoir colonial espagnol. Mais, comme chacune des deux nations avait des forces navales à proximité de l’île, et comme chacune avait peur que l’autre n’intervînt précipitamment dans le cas d’une révolte sur l’île, leur stratégie fut de s’assurer que l’Espagne tenait parfaitement sa « Clé » en main pour empêcher la moindre possibilité de révolte.
58Il semblerait que dans cette guerre des nerfs, l’Espagne ait tenté de tirer le plus d’avantages possibles de la rivalité anglo-américaine. Selon Lester Langley, elle aurait mis à profit cette rivalité pour servir ses propres intérêts. En effet, dans le but de maintenir son contrôle sur l’île, Madrid aurait propagé des rumeurs d’agitation politique à Cuba, affirmant que les instigateurs de ces troubles appartenaient à une loge maçonnique liée à Philadelphie. Pour John Forsyth, alors ministre américain à Madrid, il ne s’agissait là que de mensonges fabriqués de toutes pièces par l’Espagne, et qui pouvaient avoir des conséquences désastreuses pour les États-Unis, car les Britanniques pouvaient croire à leur bien fondé et par conséquent occuper l’île. Au même moment, le ministre britannique à Madrid faisait pression sur le gouvernement espagnol pour obtenir un traité commercial et la reconnaissance par l’Espagne d’une médiation britannique entre les nouvelles républiques indépendantes d’Amérique latine et l’ex-métropole. Forsyth en conclut que ces rumeurs cubaines n’étaient que l’un des maillons d’un grand complot qui visait à évincer les Américains de la région65.
59Il semble que Forsyth et ses supérieurs à Washington avaient vu juste quant à la stratégie britannique de contrôle économique des Caraïbes, mais qu’ils se soient trompés quant aux intentions agressives de la Grande-Bretagne. Selon Lester Langley, pour le ministre britannique des affaires étrangères de l’époque, Georges Canning, l’occupation de l’île par la Grande-Bretagne n’aurait été qu’un dernier recours. Il pensait en revanche que les États-Unis pouvaient s’emparer de l’île pour se débarrasser des pirates qui circulaient dans la région. Une fois installés à La Havane, ils y seraient restés, mettant ainsi un terme à la domination britannique dans les Antilles. Par conséquent, Canning pensait que le meilleur moyen d’empêcher l’occupation de l’île par les Américains était d’y soutenir le gouvernement colonial espagnol66. Étant donnés la puissance de la Grande-Bretagne et le désir de l’administration américaine de garder des relations apaisées avec cette dernière après la guerre de 1812, un soutien britannique au régime colonial espagnol à Cuba maintenait les Américains à distance.
60Finalement, comme le montre Langley, il y eut un malentendu entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, chacun pensant que l’autre cherchait à annexer l’île immédiatement, alors qu’en réalité ils avaient tout deux le même but : le maintien du statu quo.
61Mais c’était sans compter avec les tentatives créoles d’annexion aux États-Unis.
Esclavage, traite et dissidence créole, 1820-1823
62En effet, les Créoles étaient bien conscients de ces rivalités internationales. Et sous les apparences de leur proverbiale loyauté à l’Espagne se cachait un fort mécontentement vis-à-vis de la métropole. Aussi n’hésitaient-ils pas à jouer de ces rivalités pour servir leurs intérêts.
63L’un des facteurs fondamentaux de leur mécontentement était lié au traité anglo-espagnol de 1817 que l’Espagne avait signé sous la pression de la puissante Albion. Le mouvement pour l’abolition de la traite transatlantique avait débuté en Grande-Bretagne au milieu des années 1760 au moment même où cette dernière atteignait l’apogée de sa domination sur ce type de commerce. Sous l’impulsion de Granville Sharp, Thomas Clarkson, William Wilberforce et du groupe des Quakers – fortement influencés par leurs confrères nord-américains – le mouvement anti-traite prit de l’ampleur et gagna en popularité auprès des Britanniques. Aussi, après de longues années de propagande et de batailles parlementaires, ce premier groupe d’abolitionnistes finit par obtenir gain de cause avec l’abolition, en 1807, de la traite transatlantique dans les colonies britanniques. Mais ce n’était là que la première étape d’un mouvement qui se tourna ensuite – surtout à la fin de la guerre de 1812 – vers l’abolition définitive de la traite internationale67. C’est dans ce contexte que fut signé le traité anglo-espagnol, qui avait pour but de mettre un terme à la traite transatlantique dans les colonies espagnoles. Or, comme l’Espagne était en train de perdre son empire dans les Amériques, l’économie sucrière florissante de la Perle des Antilles, fondée sur le régime esclavagiste lui-même fondé sur l’arrivée massive et continue d’esclaves africains, était devenue vitale pour ses finances68. L’arrivée continue d’esclaves en provenance d’Afrique était également la meilleure arme de l’Espagne pour garantir la fidélité des marchands et planteurs à la couronne à un moment où les idées d’indépendance et de république se propageaient parmi les Créoles. En effet, comme la fortune de cette classe dépendait de la traite, elle s’insurgea contre la signature d’un tel texte et demanda même à ce qu’il fût abrogé. Bien qu’il fût maintenu, cela n’empêcha pas marchands et planteurs de le violer, avec la bénédiction de la Couronne. Mais ils comprirent vite qu’il s’agissait là d’un stratagème de l’Espagne pour maintenir l’île sous son joug.
64L’Espagne jouait ainsi un double, voire un triple jeu : elle avait signé ce traité pour « faire plaisir » au Anglais, faisait croire aux Créoles qu’elle était de leur côté en les autorisant à le violer allègrement, alors qu’en réalité elle ne servait que ses intérêts. Ainsi, le nœud du problème entre la métropole et sa colonie, et la clé pour comprendre les enjeux politiques de l’époque n’était autre que la question de la traite transatlantique et son corollaire, l’esclavage. Comme écrit Arthur Corwin : « La conservation de Cuba, la conservation des revenus cubains, et le maintien de l’esclavage allaient former l’inextricable écheveau de la politique étrangère de l’Espagne69. » La question de l’esclavage expliquera aussi les interactions futures entre Créoles et Américains.
65Signé en 1817, le traité anglo-espagnol devait être appliqué à Cuba à compter de l’année 1820, soit au moment des débats et de l’adoption du compromis du Missouri qui admit le Missouri dans l’Union comme État esclavagiste mais empêchait en même temps l’extension de l’esclavage vers l’Ouest au-delà de la ligne du 36°30’, marquant ainsi une étape importante dans la division des États-Unis autour de la question de l’esclavage.
66Or, en cette même année, de l’autre côté de l’Atlantique, des événements importants eurent lieu qui affectèrent directement Cuba et, par ricochet, les États-Unis. L’année 1820 marqua en effet le triomphe des libéraux en Espagne. Ils forcèrent le roi Ferdinand VII à restaurer la Constitution de 1812, changeant ainsi le statut de Cuba de simple colonie à celui de province, ce qui permettait à l’île d’être représentée aux Cortes par ses propres députés, donc d’avoir son mot à dire dans toutes les décisions qui la concerneraient.
67L’année 1820 marqua également le début de l’application du traité anglo-espagnol de 1817. La classe des planteurs se lança alors dans deux actions simultanées mais relativement opposées. D’une part, grâce à leur représentation aux Cortes, ils espéraient se débarrasser du traité anglo-espagnol. Aussi, dans les instructions qu’ils donnèrent à leurs députés pour la session parlementaire de 1822-1823, ils demandaient à ces derniers de faire leur possible pour obtenir la révocation du traité, ou au moins un sursis de six ans avant son application pour permettre l’entrée d’un nombre maximal d’esclaves70. Mais c’était sans compter avec la présence parmi ces députés du père Félix Varela, un ecclésiastique et professeur de philosophie au collège de San Juan à La Havane. Ce dernier considérait l’esclavage comme une institution malsaine qui maintiendrait l’île dans un état de sous-développement si elle n’était pas abolie. Faisant fi des instructions des planteurs, il proposa plutôt une abolition progressive de l’esclavage71. Sa proposition eut l’heur d’être approuvée par les Cortes, mais pour des raisons que nous évoquerons plus loin, elle ne put être appliquée.
68Pour l’heure, intéressons-nous à l’autre action entreprise par les planteurs cubains. Car outre cette tentative de faire abroger le traité de 1817, ces derniers se lancèrent presque simultanément dans une tentative d’annexion aux États-Unis. Il est possible que la « trahison » du père Varela ait joué un rôle dans leur démarche. Pour Philip Foner cela ne semble pas être le cas. D’après lui, l’émergence de ce groupe annexionniste est directement liée à celle de groupes abolitionnistes indépendantistes. Il explique en effet qu’au moment où la Constitution fut restaurée en Espagne et dans ses colonies, Cuba assista à l’émergence d’un mouvement mené par des intellectuels abolitionnistes qui militaient aussi pour l’indépendance de l’île, inspirés par le combat mené sur le continent latino-américain et par la Révolution américaine. Foner fait le récit de quatre conspirations indépendantistes organisées pendant les années 1820, et souligne qu’elles accueillirent favorablement la participation de Noirs libres et d’esclaves, leur promettant l’émancipation dans la future république indépendante. En d’autres termes, dans leurs discours, les meneurs de ces conspirations avaient appelé les Noirs libres et esclaves à se joindre à eux, ce qu’ils ne manquèrent pas de faire. L’un de ces mouvements organisé en 1826, avait même deux chefs, un créole et un noir libre de Camagüey dénommé Manuel Andrés Sanchez72.
69Selon Foner, ces conspirations ne purent être organisées que grâce à la création d’une série de sociétés secrètes à Cuba entre 1820 et 1823, dont beaucoup était des ordres « fraternels » liés à des loges maçonniques américaines, colombiennes et mexicaines. Bien qu’elles fussent secrètes, les autorités espagnoles connaissaient leur existence et allèrent jusqu’à accuser la loge maçonnique de Philadelphie de les utiliser pour fomenter une révolution sur l’île. Sur ce dernier point Foner et Langley divergent, ce dernier considérant que l’existence de mouvements indépendantistes liés aux francs-maçons n’était que pure fiction politique. Dans la mesure où l’ouvrage de Foner est très spécifiquement consacré aux relations entre Cuba et les États-Unis, et où le type de sources qu’il étudie est plus varié que Langley, on est enclin à donner raison à Foner.
70En tout état de cause, la perspective d’une émancipation d’esclaves à Cuba ne pouvait qu’horrifier les planteurs créoles, les exclure d’un tel mouvement et les pousser à chercher une annexion à l’Union. L’Espagne n’était pas assez puissante à leurs yeux pour protéger leurs intérêts. Une alliance avec l’Angleterre ou la France, bien trop attachées aux idées abolitionnistes, risquait au contraire de leur nuire73. Restaient alors les États-Unis vers lesquels ces conservateurs se tournèrent logiquement, puisque l’esclavage y était en vigueur et qu’ils savaient les Sudistes aussi déterminés qu’eux à empêcher l’émancipation des esclaves à Cuba.
« Les planteurs cubains savaient que les propriétaires d’esclaves sudistes tenaient tout autant qu’eux à empêcher la libération des esclaves à Cuba. Finalement, la fermeture officielle de la traite à Cuba en 1820, bien qu’elle ne fût pas appliquée, fit voir aux propriétaires d’esclaves cubains l’avantage de s’unir aux États-Unis où, contrairement à Cuba, il existait un commerce interne florissant d’esclaves, alimenté par les États de Virginie et du Maryland74. »
71D’une certaine façon, tout comme les Américains, les riches planteurs créoles étaient en faveur du maintien du statu quo. Mais, pour eux, le statu quo signifiait le maintien de l’esclavage et pas forcément le maintien de leur statut colonial, qui à leurs yeux présageait la fin imminente de l’esclavage. D’où leur demande d’annexion à l’Union en 1822 par l’intermédiaire de Barnabé Sanchez75. Arrivé à Washington en septembre 1822, ce dernier représentait une classe de Créoles « respectable et influente, » selon James Biddle, le capitaine du navire américain Macedonia stationné près de Cuba. Dès le mois d’août, Biddle avait informé l’administration Monroe de l’existence de ce groupe annexionniste en route vers Washington pour y rencontrer le président américain. Au nom des planteurs créoles, Sanchez offrit donc au gouvernement américain l’annexion de l’île à l’Union.
72La discussion au sein du cabinet Monroe fut retranscrite par John Quincy Adams dans son fameux journal. Les points de vue sur la position à adopter étaient assez divergents. Le secrétaire d’État à la guerre, le Carolinien du Sud John Caldwell Calhoun, était très en faveur de l’annexion : il pensait qu’elle empêcherait un second Haïti aux portes du sud esclavagiste. En fervent porte-parole des intérêts esclavagistes, Calhoun, lui-même propriétaire d’esclaves, exprimait aussi certainement la peur des planteurs sudistes, effrayés par la série de révoltes d’esclaves qui avait frappé le sud des États-Unis depuis le début du siècle76 et dont l’apogée fut la conspiration la plus élaborée de l’histoire américaine, celle qui fut organisée par l’ancien esclave Denmark Vesey en 1822 à Charleston, en Caroline du Sud77. En revanche, John Quincy Adams, alors secrétaire d’État, était persuadé qu’une telle annexion conduirait à une guerre avec la Grande-Bretagne ce qui à ses yeux était pire qu’une révolte d’esclaves78. Il insista donc pour que les États-Unis soutiennent la Couronne espagnole, ce qui aurait eu pour effet d’améliorer leurs relations avec l’Espagne, de diminuer les soupçons des Britanniques concernant les velléités américaines d’annexion de l’île, et de convaincre les révolutionnaires créoles qu’ils n’avaient aucune chance de succès. Finalement, c’est Adams qui eut le dernier mot : Calhoun prit conscience que le moment d’annexer l’île n’était pas encore arrivé, s’alignant ainsi sur la position du secrétaire d’État.
73Les Américains rejetèrent donc l’offre créole, du moins officiellement. En effet, leur rejet fut accompagné d’une requête secrète : ils demandèrent à Barnabé Sanchez des informations plus concrètes sur l’assise du mouvement annexionniste cubain sur l’île et sur ses chances de succès. Ainsi que l’écrit Philip Foner, « le projet d’annexion ne fut pas abandonné, il fut simplement différé79 ». Mais en attendant, la classe de planteurs créoles avait échoué sur tous les fronts. Leur proposition d’annexion aux États-Unis rejetée, et l’approbation par les Cortes de la proposition du père Varela rendaient la fin du régime esclavagiste imminente à Cuba.
74Or, un retournement de situation s’opéra une fois de plus de l’autre côté de l’Atlantique et mit fin à toute perspective d’abolition. En avril 1823, commissionnée par la Sainte Alliance (composée de la France, de la Russie, de la Prusse et de l’Autriche), la France envoya près de 100 000 soldats en Espagne pour y rétablir la monarchie absolue. La Constitution de 1812 fut remisée, Cuba retrouva son statut de colonie et les positions abolitionnistes du père Varela lui valurent d’être condamné à mort par contumace pour trahison. Il était donc condamné à l’exil80.
75Cette condamnation à mort fut une étape importante dans le développement de liens forts entre la dissidence cubaine et les États-Unis. Varela choisit en effet de s’installer à Philadelphie, marquant ainsi le début du premier mouvement d’exilés cubains vers les États-Unis81. Philadelphie, berceau de la République américaine et centre intellectuel de taille, était également un foyer abolitionniste important. La Pennsylvanie étant l’État fondé par et pour les Quakers, opposés au maintien de l’esclavage, sa capitale était devenue le siège de la première et très influente société anti-esclavagiste, The Society for the Relief of Free Negroes Unlawfully Held in Bondage créée en 1775, puis refondée en 1785 à la suite de la guerre d’Indépendance sous le nom de Pennsylvania Society, for Promoting the Abolition of Slavery, for the Reflief of Free Negroes Unlawfully Held in Bondage, and for Improving the Condition of the African Race82. Au moment où Varela s’y installa, la ville était aussi le centre d’activité d’une loge maçonnique anti-catholique secrète qui œuvrait contre l’Espagne et la monarchie. Selon Joseph McCadden, cette loge finança la propagande anti-espagnole et plus spécifiquement El Habanero, le magazine édité par le père Varela à partir de 1824. Ce magazine écrit en espagnol mettait l’accent sur l’oppression et l’instabilité politique à Cuba et prônait l’indépendance de l’île. Bien évidemment une telle ligne éditoriale l’empêchait d’être vendu sur l’île et d’avoir un effet sur l’opinion publique. Cependant, il circulait sous le manteau. Et bien que sa publication eût été de courte durée, puisqu’il n’en fut édité que six numéros, El Habanero peut être considéré comme l’ancêtre des « filibustero papers », ou « journaux flibustiers ». Ces périodiques, publiés aux États-Unis entre la fin des années 1840 et le début des années 1860, par des groupes d’exilés cubains aux États-Unis, étaient destinés spécifiquement aux Cubains mais probablement aussi plus largement à la communauté hispanique et hispanophone vivant dans l’Union. El Habanero correspond très exactement à cette définition, à cette exception près qu’il fut publié un quart de siècle plus tôt. De ce fait, le père Varela peut être considéré comme un pionnier de la lutte cubaine contre l’Espagne à partir du territoire américain. Nous verrons plus loin que c’est un personnage d’autant plus important qu’il fut le mentor de la génération suivante de dissidents créoles, dont la plupart furent condamnés à l’exil et s’installèrent aux États-Unis, à l’instar de leur mentor83.
76Mais pour en revenir à la restauration de la monarchie en Espagne, un tel événement pouvait avoir des conséquences immédiates lourdes pour Cuba, et pour les États-Unis. En effet, l’administration américaine se sentait doublement menacée. D’une part, elle pensait que la France, en échange de son aide à la restauration de la monarchie absolue, pouvait demander à l’Espagne de lui céder Cuba. D’autre part, elle pensait aussi que les libéraux espagnols demanderaient l’aide de la Grande-Bretagne pour rétablir la Constitution de 1812. Si la Constitution était rétablie grâce à l’aide des Britanniques, l’administration Monroe craignait que Cuba ne fût la récompense de leur soutien84. Quoi qu’il arrive, les Américains semblaient persuadés que la Perle des Antilles irait sertir l’une ou l’autre des couronnes européennes.
77Aussi, malgré ce deuxième rejet d’annexion, certains membres du cabinet Monroe n’avaient pas abandonné l’idée d’annexer l’île et étaient peut-être encore plus déterminés à la voir faire partie de l’Union. En mars-avril 1823, au moment des troubles en Espagne, Calhoun suspectait la Grande-Bretagne de travailler à l’annexion de l’île et avait de grandes craintes quant à l’abolition imminente de l’esclavage, car c’était aussi le moment où les Britanniques avaient repris leur activité abolitionniste. Aussi se prononça-t-il en faveur d’une guerre contre la perfide Albion si celle-ci annexait Cuba. Mais il ne fut pas suivi par le reste du cabinet. Plutôt que de déclarer la guerre, l’administration Monroe envoya un agent secret à La Havane, Thomas Randall, pour mener l’enquête sur le climat politique à Cuba. Il devait aussi transmettre aux Créoles le message selon lequel toute proposition de coopération américano-cubaine visant à changer le statut de l’île serait rejetée. Préfigurant la doctrine Monroe, il devait également expliquer que les États-Unis s’opposeraient à un transfert de l’île à une puissance européenne autre que l’Espagne. Cette dernière position fut en même temps soutenue par John Quincy Adams dans une lettre désormais célèbre qu’il adressa le 28 avril 1823 au ministre américain en Espagne85. L’importance de cette lettre réside dans la théorie de « prédestination géographique », selon l’expression de l’historien Albert Weinberg, qu’il y développa et qui allait guider pendant plusieurs années la politique cubaine des États-Unis. D’après cette théorie, Cuba était un prolongement naturel (natural appendage) des États-Unis et finirait forcément par tomber dans leur escarcelle. Selon John Quincy Adams :
« Il est difficile de résister à la conviction que l’annexion de Cuba à notre République fédérale sera indispensable au maintien de l’intégrité même de l’Union. […] Tout comme existe une loi de la gravité physique il existe une loi de la gravité politique. Si une pomme arrachée de son arbre par une tempête ne peut avoir d’autre choix que de tomber à terre, alors Cuba, vigoureusement séparée de son lien contre nature avec l’Espagne, et incapable de se prendre en charge par elle-même, ne peut que graviter autour de l’Union nord-américaine qui, par la même loi de la nature, ne peut la rejeter86. »
78L’expression loi de la nature (law of nature) évoque immanquablement l’invocation au droit naturel faite par Thomas Jefferson dans son désir de justifier le droit des États-Unis à commercer avec leurs voisins. Cependant, droit naturel et loi de la nature n’ont pas tout à fait la même signification. Dans son analyse des différents concepts de l’idéologie de la Destinée Manifeste, Albert Weinberg explique qu’après l’achat de la Louisiane en 1803, le désir d’expansion des Américains était toujours aussi vif, mais qu’ils avaient besoin de mettre la morale de leur côté afin d’atteindre leur but. Selon Weinberg, la doctrine du droit naturel, héritée des Lumières et propre au xviiie siècle, était devenue obsolète. Aussi durent-ils changer de méthode sans pour autant abandonner « la nature » comme moyen de justifier leur expansion, passant du droit naturel humaniste à une conception plutôt « scientiste ». C’est ainsi que :
« Plutôt que d’interpréter la loi de la nature d’abord à partir du cœur humain, les expansionnistes l’interprétèrent principalement à partir de la configuration de la terre. Cela n’était pas destiné à dissocier la nature de la raison mais plutôt à supposer que les préceptes politiques étaient écrits dans les fondements territoriaux de la vie nationale. Les expansionnistes ajoutèrent à l’idée de frontière naturelle un dogme métaphysique qui le convertit en une théorie que l’on pourrait appeler de prédestination géographique. Curieusement, ils soutinrent que la nature, ou l’ordre naturel des choses, destinait des frontières naturelles aux nations en général et aux États-Unis, la nation à la destinée spéciale, en particulier87. »
79Ils développèrent donc cette rhétorique de la « nécessité géographique » pour la première fois après l’achat de la Louisiane, lorsqu’ils voulurent justifier leur désir d’annexer les Florides, affirmant que la position géographique des Florides en faisait tout naturellement un territoire américain88. C’est cette même théorie dont se servit John Quincy Adams pour justifier l’annexion de Cuba. La proximité géographique de l’île, ou ce qu’Albert Weinberg désigne par « le principe de proximité » (the principle of propinquity), qui en faisait pour ainsi dire un prolongement du territoire nord-américain, était le principal argument invoqué par Adams.
80Au fond, John C. Calhoun et John Quincy Adams étaient d’accord sur la nécessaire annexion de Cuba. Leur désaccord portait essentiellement sur le choix du moment opportun : alors que Calhoun, en digne représentant des Sudistes, voulait une annexion immédiate, Adams voyait plutôt les choses sous l’angle d’une froide logique tactique89.
La Doctrine Monroe en question et le maintien du statu quo à Cuba, 1823-1826
81Toutes ces tractations avaient lieu en pleine période révolutionnaire dans l’Amérique espagnole et ces mouvements de libération jouèrent un rôle important dans les relations entre la jeune république et les grandes puissances européennes, et sur l’attitude du gouvernement américain vis-à-vis de Cuba.
82En mars 1822, après de nombreuses années de tergiversations, lorsqu’il devint clair que les révolutionnaires latino-américains auraient le dernier mot, le président Monroe recommanda au Congrès de reconnaître l’indépendance des nouvelles républiques d’Amérique latine. La Grande-Bretagne vit ce geste d’un mauvais œil car il menaçait ses intérêts commerciaux dans la région – tout autant d’ailleurs qu’un retour de la monarchie absolue. Londres pensait en effet que les États-Unis, désormais forts de leur position diplomatique vis-à-vis de l’Amérique latine, en profiteraient pour étendre leur influence sur le continent et vers les Caraïbes, en particulier vers Cuba. Aussi, en août 1823, soit quelques mois après la fameuse lettre de John Quincy Adams et l’envoi de Thomas Randall à Cuba, le nouveau ministre des affaires étrangères britannique, Georges Canning, engagea une série de rencontres avec le ministre américain à Londres, Rush, lui proposant une déclaration commune de la Grande-Bretagne et des États-Unis où ils reconnaîtraient conjointement l’indépendance de l’Amérique hispanique, et affirmeraient leur renonciation mutuelle à toute annexion de ces territoires ainsi que leur refus de les voir annexés par une des puissances européennes90.
83D’après Dexter Perkins, Canning avait en tête la possibilité d’une annexion de Cuba par les Américains et espérait pouvoir ainsi y garantir le maintien du statu quo. Mais la question était bien trop sérieuse pour que Rush s’engageât sans en référer à ses supérieurs. Lorsque, au mois d’octobre 1823, le récit de ses entrevues avec Canning parvint à Washington, le secrétaire d’État John Quincy Adams, très soupçonneux des desseins de la Grande-Bretagne vis-à-vis de Cuba, émit l’opinion qu’aucune des puissances européennes n’avait intérêt à restaurer l’autorité espagnole sur le continent américain, car cela aurait porté atteinte à leurs intérêts commerciaux. En revanche, elles étaient capables, pensait-il, de se partager les anciennes colonies entre elles. Dans un tel cas de figure, le seul moyen qu’elles auraient eu d’obtenir l’accord de la Grande-Bretagne sur un tel partage aurait été de lui céder Cuba. Ainsi qu’il l’écrit dans son journal : « Le seul appât qu’ils pouvaient offrir […] était Cuba, que ni [les nations européennes] ni l’Espagne ne pouvaient consentir à lui céder91. » Cette proposition de Canning n’aurait donc été qu’une façon de pousser les Américains à renoncer définitivement à une annexion de l’île. Cependant il avait en face de lui un secrétaire d’État bien décidé à ce qu’un jour les États-Unis en fussent les heureux propriétaires. Aussi l’administration Monroe rejeta-t-elle l’accord proposé par Canning.
84Mais ce n’est pas tout : les propositions du ministre britannique des affaires étrangères parvinrent à Washington au moment où les Russes exprimaient leur refus de reconnaître l’indépendance de l’Amérique hispanique et où des rumeurs de projets français et russes visant à restaurer le régime monarchique dans la région se répandaient. Elles doivent être mises dans le contexte des discussions du cabinet présidentiel autour de la position à adopter vis-à-vis de l’Europe et de l’Amérique latine. Autrement dit, elles participèrent à l’élaboration du principe de non-transfert de la Doctrine Monroe, énoncée par le président dans son message au Congrès en décembre 1823, où ce dernier affirmait le soutien des États-Unis à l’Amérique hispanique indépendante et rejetait toute présence européenne de l’hémisphère occidental. Le message du président n’évoquait certes pas clairement une politique de non-transfert de Cuba, mais la question cubaine avait été au centre des débats. Le but de ce texte était donc non seulement de garantir l’indépendance des républiques latino-américaines, mais aussi de faire en sorte qu’aucune puissance européenne autre que l’Espagne ne prît possession de l’île92.
85Car, alors que le continent latino-américain se libérait du joug espagnol, Cuba et Porto Rico connaissaient le sort inverse. En effet, le retour de l’absolutisme en Espagne en 1823, sous les traits de Ferdinand VII, marqua aussi son retour à Cuba qui avait déjà renoncé à se joindre au mouvement révolutionnaire continental. Plus de représentation aux Cortes pour la Perle des Antilles, mais le rétablissement d’un régime autoritaire en la personne du capitaine général Dionisio Vives. Son arrivée mit fin aux menaces d’indépendance et d’abolition à Cuba – du moins en apparence. Selon Philip Foner, un tel régime ne pouvait que faire le jeu des Américains car le maintien de l’île sous l’emprise espagnole assurait la protection du régime esclavagiste, et de fait la sécurité des États du Sud : « Ceux qui aux États-Unis s’inquiétaient qu’une Cuba indépendante, à 90 miles des côtes de Floride, constituât un danger pour le système esclavagiste du Sud ne virent dans ce régime aucun danger pour l’institution américaine. Au contraire, ils saluèrent Vives comme “une influence constructive dans les Antilles espagnoles”93. » Même le successeur de James Monroe à la présidence, John Quincy Adams, avait semble-t-il de l’estime pour Dionisio Vives. Une telle position n’est pas surprenante s’agissant d’un John Quincy Adams qui, avec le nouveau secrétaire d’État, Henry Clay94, cherchait avant tout le maintien du statu quo à Cuba et à Porto Rico, soulignant ainsi les deux versants de la politique américaine vis-à-vis de l’Amérique latine95. Les efforts de cette administration pour que le statut colonial de Cuba et Porto Rico fût maintenu participaient en effet d’une politique qu’on pourrait qualifier de « non monronienne » en opposition avec leur politique vis-à-vis du reste de l’Amérique latine. Alors que la Doctrine Monroe rejetait toute présence européenne sur le continent latino-américain, il n’en était pas de même pour Cuba et Porto Rico puisqu’il y acceptaient, et soutenaient même, la couronne d’Espagne. Cela peut sembler d’autant plus paradoxal que l’avenir de l’île avait joué une part importante dans l’élaboration de cette Doctrine. Mais le paradoxe n’est qu’apparent. Cuba avait bien trop d’importance sur le plan international et une opposition des Américains à l’Europe aurait entraîné une nouvelle guerre entre les deux continents. C’est donc pour éviter tout bouleversement dans ces joyaux des Caraïbes que les États-Unis cherchaient à parvenir à une entente avec l’Europe96.
86Mais, une fois de plus, c’était compter sans l’activisme des Créoles. En 1823, un groupe de révolutionnaires indépendantistes cubains s’était rendu en Colombie pour des entretiens avec les généraux Santander et Gual, dans le but d’obtenir leur aide pour libérer l’île du joug espagnol. Les généraux colombiens trouvaient la cause cubaine juste mais refusèrent de s’engager dans un tel projet. Simon Bolivar lui-même exprima sa sympathie pour la cause cubaine tout autant que son appréhension. Durant un entretien avec José Agustín Arango, un des membres de l’expédition, il exprima son désir d’aider le peuple cubain tout en soulignant que le moment n’était pas opportun car cela aurait créé de nouvelles tensions avec la métropole et aurait empêché la reconnaissance de leur indépendance par l’Espagne. Il proposa en revanche d’utiliser Cuba et Porto Rico comme moyens de pression contre l’Espagne, pour la pousser à retirer ses troupes du continent latino-américain et à reconnaître son indépendance.
87Mais l’Espagne tardait à reconnaître cette indépendance. Alors Bolivar commença à sérieusement envisager une expédition vers l’île. Pendant ce temps, le gouvernement mexicain arrivait aux mêmes conclusions ; de sorte que le président Guadalupe Victoria approuva la création d’une Junte pour la liberté de Cuba (La Junta promevedora de la Libertad de Cuba), composée de volontaires cubains et mexicains, et envoya un agent à Bogotá pour proposer aux Colombiens d’unir leurs forces à cette entreprise97.
88Or, un tel projet menaçait l’équilibre politique des Caraïbes, si cher à Washington et à Londres. Et voilà qu’au même moment, un autre élément vint menacer l’équilibre de la région : les Français. Au premier semestre de l’année 1825, Londres apprit qu’une flotte française de 27 vaisseaux avait quitté la Martinique en direction de La Havane. Il s’avéra ensuite que le comte François Donzelot, gouverneur de la Martinique, avait été autorisé à envoyer de l’aide militaire aux autorités coloniales à Cuba pour réprimer d’éventuels problèmes internes. La réaction de George Canning ne se fit pas attendre. Il déclara que la Grande-Bretagne ne tolèrerait pas une présence militaire française dans les îles espagnoles des Caraïbes. Et la France répliqua qu’elle n’avait nullement l’intention de s’y implanter.
89La position de Henry Clay ne tarda pas non plus. Il demanda à ce que Paris informât son gouvernement du but de toute manœuvre française dans les Caraïbes. Il réaffirma également que les États-Unis ne toléreraient en aucune façon que Cuba et Porto Rico fussent occupées par, ou transférées à, une puissance européenne autre que l’Espagne. Bien entendu, ces navires n’avaient d’autre but que celui de protéger le commerce français dans l’Atlantique et le Pacifique. Ainsi répondirent les Français98.
90Très constant dans sa politique caribéenne, et nullement découragé par le rejet américain de sa proposition de 1823, George Canning élabora une nouvelle proposition qui parvint à Henry Clay le 7 août 1825. Canning proposait cette fois un accord tripartite entre la Grande-Bretagne, la France et les États-Unis, par lequel les trois nations s’engageaient à ne pas occuper Cuba et à en dénoncer l’occupation par l’une des trois puissances. Selon Langley, ce traité visait surtout à empêcher les Français de s’implanter en Amérique latine, mais John Quincy Adams pensait qu’il avait surtout pour but d’empêcher les États-Unis d’annexer l’île. C’est cet aspect qui poussa l’administration Adams à le rejeter99. Une fois le traité rejeté et le danger français écarté, il ne restait donc plus qu’à anéantir l’expédition mexico colombienne contre les colonies espagnoles des Caraïbes. Les Américains étant déterminés à maintenir le statu quo à Cuba, ils développèrent, selon Foner, une politique à trois volets100.
Chronique d’une expédition avortée
91C’est donc dans une atmosphère trouble et tendue au moment de l’affaire de la flotte française à La Havane que le nouveau ministre américain, Joel Poinsett101, arriva au Mexique. Il devait faire face à un secrétaire d’État mexicain inquiet, qui considérait la présence française comme un acte d’hostilité contre les gouvernements d’Amérique latine, et à un gouvernement mexicain qui envisageait réellement d’envoyer une expédition à Cuba et Porto Rico.
92Effectivement, le 2 décembre 1825, Poinsett informa Henry Clay que le cabinet du président mexicain avait soumis au Congrès un projet pour une expédition militaire vers Cuba dans le but de pousser l’Espagne à enfin reconnaître leur indépendance. La Chambre des représentants et le Sénat mexicains avaient accepté le projet à condition qu’il fût organisé en partenariat avec la Colombie. Ces nouvelles étaient très alarmantes pour l’administration Adams et surtout pour son secrétaire d’État, Henry Clay, qui apparaît là comme le parfait représentant de cette politique américaine à deux versants vis-à-vis de l’Amérique latine. En effet, celui-là même qui fut un ardent défenseur de la cause indépendantiste hispano-américaine à la fin des années 1810, se retrouvait à présent dans le camp opposé s’agissant de Cuba. Ce qui n’est pas tout à fait surprenant pour ce défenseur modéré de l’institution particulière car Clay craignait qu’une telle expédition ne conduisît non seulement à l’indépendance de l’île mais surtout à l’abolition de l’esclavage. Or, la fin de l’esclavage aux portes de l’Union était à ses yeux une véritable menace pour le régime esclavagiste des États du Sud qui auraient alors vécu dans la crainte d’un second Saint-Domingue. Il fallait donc faire en sorte que le projet fût abandonné102.
93Dans un premier temps, Poinsett fit donc part au président Guadalupe Victoria des craintes américaines de voir l’île annexée par le Mexique. La réponse de Guadalupe Victoria ne fit que confirmer que le but de l’expédition n’était pas d’annexer l’île mais de la libérer du contrôle de l’Espagne. Les Mexicains avaient aussi des appréhensions quant aux véritables desseins des Américains, notamment à cause de la publication dans la presse américaine de la nouvelle d’un accord supposé entre l’Espagne et les États-Unis, par lequel ces derniers s’engageaient à garantir la possession de Cuba et de Porto Rico à la couronne si celle-ci reconnaissait l’indépendance de ses anciennes colonies. Ces rumeurs poussèrent le président Guadalupe Victoria à demander aux États-Unis la garantie de l’indépendance cubaine. Lorsque, sur instruction de Henry Clay, Poinsett refusa un tel engagement, le président mexicain refusa à son tour de suspendre l’expédition103.
94Le deuxième volet de la politique américaine consistait à tenter de convaincre l’Espagne qu’elle ne pourrait garder Cuba et Porto Rico que si elle acceptait de reconnaître l’indépendance des nouvelles républiques. C’était là le seul moyen d’éliminer tout motif d’invasion des deux îles. Alexander Hill Everett, le nouveau ministre américain à Madrid – protégé de John Quincy Adams et personnage important de ce récit – devait souligner ce point de façon conciliante, et néanmoins ferme. Il devait aussi assurer les Espagnols que les Américains n’avaient aucune intention d’annexer Cuba et se satisfaisaient de pouvoir commercer librement avec elle. Mais Madrid n’était pas convaincu des bonnes intentions de Washington : les Espagnols voulaient plus qu’une déclaration de principe, ce que les Américains se refusaient à faire. Toute garantie de leur part aurait en effet signifié l’abandon de leur projet d’annexer l’île un jour104. Par conséquent les Espagnols firent la sourde oreille à leur demande de reconnaissance des indépendances latino-américaines.
95Enfin, dans le troisième volet de leur politique les Américains firent appel aux puissances européennes – Russie, France et Grande-Bretagne – pour pousser l’Espagne à reconnaître les indépendances latino-américaines. Elles devaient lui démontrer que ses efforts pour regagner sa souveraineté en Amérique latine seraient le plus sûr moyen de perdre Cuba et Porto Rico. Or, une telle perte conduirait immanquablement à l’abolition de l’esclavage et à un conflit racial semblable à celui de Saint-Domingue. À l’instar de Monica Henry, Foner souligne l’aspect « non-monroenien » de la politique américaine vis-à-vis de Cuba lorqu’il écrit :
« Il est intéressant de noter qu’en dépit de la Doctrine Monroe, les États-Unis étaient assez désireux de voir les puissances européennes s’impliquer dans un mouvement pour empêcher l’indépendance d’une aire géographique américaine. La politique d’Adams et Clay était rien moins qu’un appel à l’aide européenne pour empêcher que le Mexique et la Colombie n’aident Cuba et Porto Rico à obtenir leur indépendance, et à débarrasser enfin le continent américain de la domination monarchique de l’Espagne105. »
96Ce troisième volet diplomatique fut aussi vain que les autres.
97Pourtant l’expédition fut suspendue. Mais ce fut à cause des Anglais qui favorisaient aussi le maintien du statu quo dans la Perle des Antilles. En effet, l’influence britannique sur le gouvernement mexicain était grande106. Or le Mexique aussi bien que la Colombie voulaient éviter un conflit avec la puissante Grande-Bretagne, ce qu’une telle expédition aurait pu provoquer. C’est pourquoi ils acceptèrent de repousser l’expédition jusqu’à ce que les nations réunies au prochain Congrès de Panama eussent exprimé leur position sur le projet.
98Lorsqu’en novembre 1825, les États-Unis reçurent leur invitation au Congrès de Panama et apprirent que l’expédition mexico colombienne, l’abolition de l’esclavage et les bases de relations diplomatiques avec Haïti seraient à l’ordre du jour, de houleux débats eurent lieu qui divisèrent la nation et le Congrès, en particulier sur la question de l’esclavage. Dans son message au Congrès, le président John Quincy Adams plaida en faveur de l’envoi de deux délégués à Panama, insistant sur le fait que les États-Unis devaient y aller pour veiller à leurs intérêts. Plus spécifiquement, il expliquait que si cette fameuse expédition était approuvée, elle impliquerait certainement l’émancipation de tous les esclaves, une véritable catastrophe pour le Sud des États-Unis. La présence américaine au Congrès de Panama était donc nécessaire si l’Union espérait empêcher une telle expédition. Les journaux sudistes abondèrent dans le sens du président, voyant en effet le Congrès de Panama comme une menace pour l’institution particulière à cause de l’expédition, mais aussi parce que les nouvelles républiques latino-américaines avaient aboli l’esclavage, et parce que l’abolition de la traite négrière allait y être proposée. Mais la réaction des Représentants sudistes au message présidentiel fut tout autre. En s’appuyant eux aussi sur l’argument esclavagiste, ils rejetèrent au contraire la proposition d’Adams, arguant qu’au lieu d’envoyer des délégués, les États-Unis devaient avertir les républiques latino-américaines qu’ils n’accepteraient pas d’intervention sur l’île car cela provoquerait un second Haïti. Par ailleurs, si une telle expédition avait bien lieu, ils n’hésiteraient pas à employer la force pour y mettre fin. Ainsi, qu’ils eussent été pour ou contre l’envoi de délégués au Panama, la position des Sudistes reposait sur la question de l’esclavage avec, en toile de fond, le spectre récurrent de la révolte d’esclaves de Saint Domingue qui hantait encore et toujours leurs esprits. Au bout de quatre mois de débats, les Américains acceptèrent l’invitation au Congrès, avec un bémol toutefois : « Tous les États situés au sud de la ligne Mason-Dixon votèrent contre la mesure, sauf le Maryland et la Louisiane. Le Mercury de Pittsburg commenta : “Les opposants sudistes à la Mission du Panama ont pratiquement formé un parti régional esclavagiste”107. »
99Dans ses instructions aux deux délégués, Henry Clay insistait sur la détermination des États-Unis à ce que l’île demeurât une colonie espagnole et rejetaient toute expédition indépendantiste. Clay n’était absolument pas convaincu qu’une fois libérée Cuba pourrait se gouverner elle-même, sans l’aide d’autres nations108. Il craignait qu’une telle expédition ne provoquât une révolte d’esclaves et un conflit racial qui auraient directement affecté les États esclavagistes de l’Union. Et il n’était pas le seul à entrevoir les conséquences désastreuses d’une telle expédition pour son pays. William L. Brent, un des représentants de la Louisiane au Congrès, affirmait aussi que l’indépendance de l’île ne pouvait se faire sans que la population noire ne prît l’ascendant ; en conséquence de quoi son État aurait alors eu pour voisins les populations noires indépendantes du Mexique, d’Haïti et de Cuba109. Dans un tel cas de figure, « quelle serait la condition des planteurs sudistes ? » se demandait-il. Dans le même ordre d’idées, Alexander Hill Everett, alors ministre américain à Madrid, fit remarquer à Washington, que si Bolivar réalisait son projet d’invasion des deux îles, il ne pourrait le faire sans l’aide de la population de couleur, qui prendrait alors de l’ascendant à Cuba. Or un leader politique tel que Bolivar, à la tête d’une armée noire, était bien le dernier voisin dont les États-Unis avaient besoin au sud110. Les délégués américains devaient donc empêcher qu’une telle expédition ne fût approuvée au Congrès de Panama111. Finalement, ils obtinrent gain de cause puisque le projet de libération de Cuba et Porto Rico fut abandonné, à leur grand soulagement112.
100Ainsi, au cours du premier quart du xixe siècle, la volonté américaine de voir le statu quo à Cuba être maintenu s’accompagna d’une politique internationale très active qui visait à empêcher la Grande-Bretagne, la France, le Mexique et la Colombie de faire la moindre tentative pour se rendre maîtres de l’île ou la libérer de l’emprise espagnole. Cette politique de maintien du statu quo, clairement exprimée par le gouvernement américain à l’occasion de ce dernier épisode mexico-colombien, fut poursuivie au cours de la décennie suivante à cause des dangers qu’une politique agressive d’acquisition aurait fait encourir à l’Union. Tout d’abord, à l’instar d’un John Quincy Adams, les gouvernants étaient désormais persuadés que l’île finirait par entrer en leur possession. Par conséquent, il n’était pas nécessaire de risquer un conflit avec la Grande-Bretagne pour s’en rendre maîtres. Par ailleurs, l’acquisition d’un autre territoire esclavagiste aurait rouvert le dangereux débat sur l’esclavage alors qu’il avait été récemment « résolu » par le Compromis du Missouri. Enfin, selon les observateurs, une libération de l’île nécessitait obligatoirement la participation de troupes d’hommes de couleur armés et libérés de leur servitude. Or, la perspective d’un mouvement de libération mené par des Noirs était impensable pour les voisins sudistes de la Perle des Antilles113.
101Par conséquent, les tentatives d’acquisition de l’île par les États-Unis furent inexistantes ; et, de façon générale, comme l’explique Dexter Perkins, la période qui s’étend de 1825 à l’arrivée de Tyler à la présidence en 1841 fut assez calme au niveau de la politique étrangère américaine : « Les eaux diplomatiques n’étaient en général pas troublées ou n’étaient agitées qu’à la surface. » Même la présidence d’Andrew Jackson est considérée par Perkins comme l’une des présidences les moins mouvementées de l’histoire diplomatique américaine114.
102Mais ce calme relatif n’était qu’apparent. L’Union connaissait des transformations importantes, dont la division croissante entre le Nord et le Sud et la montée d’un discours raciste vis-à-vis de ses populations de couleur n’étaient pas des moindres. C’était en effet l’époque de la montée du nationalisme sudiste et de la construction d’une identité sudiste, en grande partie fondés sur un argumentaire pro-esclavagiste très élaboré.
Notes de bas de page
1 Almon J., Review of Lord Bute’s Administration, Russel N. V., « The Reaction in England and America to the Capture of Havana, 1762 », Hispanic American Historical Review, vol. 9,1929, p. 303, n. 1.
2 Lazo R., Writing to Cuba. Filibustering and Cuban Exiles in the United States, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2005, p. 77.
3 Thomas H., Cuba: Or the Pursuit of Freedom, London, Eyre and Spottiswoode, 1971, p. 27.
4 Russel N. V., « The Reaction in England and America », p. 303, n. 2 ; Knight F. W., Slave Society in Cuba during the Nineteenth Century, Madison, University of Wisconsin Press, 1996, p. 3-4 ; Thomas H., op. cit., p. 1 ; Paquette R. L., Sugar is Made with Blood: The Conspiracy of La Escalera and the Conflict Betzeen Empires over Slavery in Cuba, Middletown, Wesleyan University Press, 1988, p. 31.
5 Knight F., op. cit., p. 3-5 ; Thomas, op. cit., p. 12-26 ; Knight F., « Origin of Wealth and the Sugar Revolution in Cuba, 1750-1850 », Hispanic American Historical Review, vol. 57, 1977, p. 232 ; Opatrný J., U.S. Expansionism and Cuban Annexationism in the 1850s, Prague, Charles University, 1990, p. 29 ; Aimes H. H. S., A History of Slavery in Cuba, 1511 to 1868, New York, Octagon, 1967, p. 11-13.
6 Outre Cuba, les autres colonies espagnoles concernées étaient Porto Rico et les colonies du continent américain, où l’esclavage était de toute façon assez faible. Aimes H. H. S., op. cit., p. 13-26 ; Thomas H., op. cit., p. 31 ; Pétré-Grenouilleau O., Les Traites négrières : essai d’histoire globale, Paris, Gallimard, 2004, p. 162-186. De plus, cet asiento, ne fut pas exactement appliqué de façon continue tout au long de la période mentionné. Chaque fois que l’Espagne et l’Angleterre entraient en conflit, il était suspendu ; ce qui fut le cas en 1718-1721, 1727-1729, et 1739-1748. Et il prit officiellement fin en 1748. Curelly L., « The Origins of the British Transatlantic Slave Trade (1560s-1760s): a Survey and an Assessment », Lejeune F. et Prum M. (dir.), Le Débat sur l’abolition de l’esclavage en Grande-Bretagne (1787-1840), Paris, Ellipses, 2008, p. 18, n. 2.
7 Thomas H., op. cit ., p. 31 ; Opatrný J., op. cit. , p. 29-30.
8 Opatrný J., op. cit. , p. 30-31.
9 Herrera R., « Cuba : base de la reconquête de l’Amérique espagnole. Une réponse esclavagiste à la révolution de Saint-Domingue », M. Dorigny et M.-J. Rossignol (dir.), La France et les Amériques au Temps de Jefferson et de Miranda, Paris, Collection études révolutionnaires, 2001, p. 128-129.
10 Aimes H. H. S., op. cit., p. 33.
11 Pour un récit de la liesse générale qui se saisit de la Grande-Bretagne aussi bien que des colonies britanniques d’Amérique à l’annonce d’une telle prise voir Russel N. V., « The Reaction in England and America to the Capture of Havana, 1762 ».
12 Aimes H. H. S., op. cit. ; Kipple K. F., Blacks in Colonial Cuba, 1774-1899, Gainesville, University of Florida Press, 1976 ; Rout L. B., The African Experience in Spanish America, New York, Cambridge University Press, 1976, p. 289-290.
13 Opatrný J., op. cit., p. 27-28 ; Thomas H., op. cit., p. 42-57 ; Pérez L. A., op. cit., p. 4.
14 Rauch B., American Interest in Cuba, 1848-1855, New York, Columbia University Press, 1948, p. 12.
15 Thomas H., op. cit., p. 85-88 ; Pérez L. A., op. cit., p. 5-8 ; Rauch B., op. cit., p. 1-15.
16 Rossignol M.-J., Le Ferment nationaliste. Aux origines de la politique extérieure des États-Unis : 1789-1812, Paris, Belin, 1994, p. 233.
17 Herrera R., op. cit., p. 128-129 ; Knight F., op. cit., p. 11-12 ; Thomas H., op. cit., p. 49-77 ; Opatrný J., op. cit., p. 31 ; Pérez L. A., op. cit., p. 4-10 ; Aimes H. H. S., op. cit., p. 56-58. Pour un bref récit de l’odyssée de ces planteurs vers Cuba et/ou la Louisiane, voir Dessens N., From Saint Domingue to New Orleans. Migration and Influences, Gainesville, University Press of Florida, 2007, p. 15-18, 27-28. Elle y explique notamment qu’en 1809-1810, après l’invasion de l’Espagne par Napoléon et la prise du trône par son frère Joseph, les autorités coloniales à Cuba décidèrent de se débarrasser de ces réfugiés français. Ainsi, par le biais d’une proclamation rendue publique le 12 mars 1809, tous les réfugiés qui n’avaient pas d’époux(se) espagnol(e) ou qui n’avaient pas demandé à être naturalisés, devaient quitter l’île, ce qui entraîna le départ d’environs 10 000 réfugiés sur un total de 25 000 individus qui s’étaient installés à Cuba.
18 Herrera R., op. cit., p. 126 ; Knight F., op. cit., p. 3-10 ; Benítez Rojo A., « Power/Sugar/Literature: Toward a Reinterpretation of Cubanness », Cuban Studies, vol. 16, 1986, p. 10.
19 Ortiz F., Los Negros esclavos, La Habana, Editorial de ciencias sociales, 1975, p. 97-101 ; Pérez L. A., Cuba and the United States: Ties of Singular Intimacy, Athens, University of Georgia Press, 1990, p. 7-8. Pour une synthèse sur l’exactitude de ces chiffres et plus généralement sur les problèmes posés par les recensements de population à Cuba durant la période coloniale, voir l’ouvrage de Kipple K. F., Blacks in Colonial Cuba.
20 Herrera R., op. cit., p. 129-130 ; Opatrný J., op. cit., p. 31-32 ; Corwin A. F., Spain and the Abolition of Slavery in Cuba, 1817-1886, Austin, University of Texas Press, 1967, p. 31-33 ; Benítez Rojo A., op. cit., p. 10-13 ; Paquette R. L., Sugar is Made with Blood, op. cit., p. 83-84.
21 Des mesures elles aussi défendues par Francisco de Arango y Pareño.
22 Knight F., op. cit., p. 3-4 ; Thomas H., op. cit., p. 72-84 ; Levine R. M., Cuba in the 1850’s: Through the Lens of Charles DeForest Fredricks, Tampa, University of South Florida Press, 1990, p. 3-4 ; « Cuba – Its present condition – the Revenues – Taxes – Agricultural Industry etc. of the Island », De Bow’s Review, vol. 18, 1855, p. 164.
23 Knight F., op. cit., p. 31-39 ; Corwin A. F., op. cit., p. 48 ; Benítez Rojo A., op. cit., p. 13 ; Zanetti O. et García A., Sugar and Railroads: A Cuban History, 1837-1959, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1998.
24 Opatrný J., op. cit., p. 33.
25 Knight F., op. cit., p. 25-26, 39-45 ; Opatrný J., op. cit., p. 32-36 ; Pérez L. A., op. cit., p. 5-14.
26 Rossignol M.-J., Le Ferment nationaliste, p. 207-239 ; Rossignol M.-J., « À la recherche d’une diplomatie post-révolutionnaire : Louis-André Pichon, chargé d’affaires à Washington, 1801-1804 », M. Dorigny et M.-J. Rossignol (dir.), La France et les Amériques au Temps de Jefferson, op. cit., p. 5-29.
27 T homas H., op. cit ., p. 66.
28 Pérez L. A., op. cit., p. 13-14.
29 Franklin B., The Portable Benjamin Franklin, Ziff L. (ed.), New York, Penguin Books, 2005, p. 328.
30 Weeks W. E., Building the Continental Empire: American Expansion from the Revolution to the Civil War, Chicago, Ivan R. Dee, 1996, p. 3-8.
31 Rossignol M.-J., Le Ferment nationaliste, op. cit., p. 130-131.
32 Pour une idée plus précise de la conception très particulière que Thomas Jefferson avait de l’expansion des États-Unis, voir aussi les chapitres i et ii de l’ouvrage de Owsley F. L. Jr. et Smith G. A., Filibusters and Expansionists. Jeffersonian Manifest Destiny, 1800-1821, Tuscaloosa, University of Alabama Press, 1997.
33 Rossignol M.-J., op. cit., p. 149-150.
34 Ibid., p. 207-239.
35 Ibid., p. 150-152.
36 Langley L. D., Struggle For the American Mediterranean: United States-European Rivalry in the Gulf-Caribbean, 1776-1904, Athens, University of Georgia Press, 1976, p. 39.
37 Rauch B., op. cit., p. 15.
38 Le choix de Wilkinson n’est pas très évident car c’était un personnage relativement louche. S’il s’était battu dans l’Armée continentale pendant la guerre d’Indépendance, son implication dans un complot pour évincer George Washington de la tête de l’Armée et des accusations de corruption le poussèrent à démissionner. En 1784, il s’installa dans le Kentucky et à partir de 1787 il fit de nombreux efforts pour que l’Espagne accordât au Kentucky le monopole du commerce sur le Mississippi en échange de la promotion des intérêts espagnols à l’ouest. En 1787, il signa même une déclaration d’expatriation et jura allégeance à la couronne d’Espagne. En dépit de cela, il fut de nouveau employé par l’armée américaine en 1791 et gravit les échelons jusqu’à devenir général. En 1803, il fut de ceux qui prirent possession de la Louisiane pour le compte des États-Unis et en 1805 Jefferson le nomma gouverneur du nouveau Territoire de Louisiane. Mais de nombreuses critiques concernant sa gestion despotique de la Louisiane lui coûtèrent rapidement sa place. Cox I. J., « The Pan American Policy of Jefferson and Wilkinson », Mississippi Valley Historical Review, vol. 1, n° 2, 1914 ; Dictionary of American Biography, vol. 10, New York, C. Scribner’s Son, 1958-1964, p. 222-226 ; Owsley F. L. Jr. et Smith G. A., Filibusters and Expansionists, op. cit., p. 32-33.
39 Cox I. A., op. cit., p. 215-219. Sur les prémices de la Doctrine Monroe, voir Perkins D., A History of the Monroe Doctrine, Boston, Little, Brown & Company, 1963, chapitre i.
40 Ibid., p. 217.
41 Ibid., p. 213-214 ; Lipscomb A. A. (dir.), The Writings of Thomas Jefferson, Washington D.C., 1903, vol. 1, p. 483-485.
42 Cette agitation était plus particulièrement dirigée contre les émigrés français de Saint-Domingue que les autorités coloniales espagnoles chassaient en représailles à l’arrivée de Napoléon en métropole.
43 Cox I. A., op. cit., p. 225.
44 Foner P., op. cit., p. 124.
45 Ibid., p. 125-126 ; Cox I. A., op. cit., p. 229 ; Lipscomb A. A. (dir.), op. cit., p. 274-277.
46 Foner P., op. cit., p. 127-128.
47 Rauch B., op. cit., p. 15-18 ; Thomas H., op. cit., p. 87-89 ; Johnson J. J., A Hemisphere Apart. The Foundations of United States Policy Toward Latin America, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1990, p. 154-155.
48 Langley L. D., op. cit., p. 28.
49 Ibid., p. 35-36 ; Child M. D., « “A Black French General Arrived to Conquer the Island.” Images of the Haitian Revolution in Cuba’s 1812 Aponte Rebellion », D. P. Geggus (dir.), The Impact of the Haitian Revolution in the Atlantic World, Columbia, University of South Carolina Press, 2001, p. 135-156.
50 Langley L. D., op. cit., p. 40.
51 Ibid.
52 Entre 1810 et 1826, près de 20 000 réfugiés royalistes en provenance des colonies continentales rebelles débarquèrent à Cuba. Thomas H., op. cit., p. 90.
53 Ibid.
54 Foner P., op. cit., p. 129-130 ; Owsley F. L. Jr. et Smith G. A., op. cit., p. 44.
55 Ibid. Ce dernier point sur la trahison de Toledo y Dubois est mentionné par Foner qui ne précise pas si Toledo a changé de camp au moment de l’expédition du Texas en 1812-1813 ou plus tard. Quant à Owsley et Smith ils décrivent en détail l’engagement de Toledo dans l’expédition du Texas mais s’arrêtent à cet épisode car c’est cela qui les intéresse en premier lieu. Et s’ils font bien état de rumeurs accusant à l’époque Toledo d’avoir trahi la cause mexicaine ils montrent aussi qu’elles étaient infondées. Il est donc bien possible que Toledo ait changé de camps en faveur de l’Espagne. Mais c’est un point que dans l’état actuel de nos recherches nous ne pouvons clarifier. Pour un récit plus détaillé du rôle de Toledo dans la Révolution mexicaine au Texas, voir le chapitre iii de l’ouvrage d’Owsley F. L. Jr. et Smith G. A.
56 Foner P., op. cit., p. 131.
57 Weeks W. E., John Quincy Adams and American Global Empire, Lexington, University Press of Kentucky, 1992, p. 105-126.
58 Ibid., p. 40-47.
59 Ibid., p. 49-53. Sur cet épisode, voir le chapitre viii de l’ouvrage d’Owsley F. L. Jr. et Smith G. A. Quant à la dimension religieuse de l’idéologie de la Destinée Manifeste voir Stephenson A., Manifest Destiny: American Expansionism and the Empire of Right, New York, Hill and Wang, 1995.
60 Weeks W. E., John Quincy Adams, op. cit., p. 8-19. Le chapitre i de cet ouvrage est tout à fait remarquable dans la façon qu’a Weeks de remonter à l’éducation intellectuelle et religieuse d’Adams pour expliquer sa vision de l’Amérique et de sa destinée.
61 Il s’agit de toute l’aire géographique qui comprenait les Caraïbes et le golfe du Mexique.
62 Langley L. D., op. cit., p. ix.
63 Foner P., op. cit., p. 137.
64 Langley L. D., op. cit., p. ix.
65 Ibid., p. 40-41.
66 Ibid.
67 Rossignol M.-J., « Le contexte nord-américain de l’antiesclavagisme britannique : le débat atlantique sur l’esclavage et l’abolition (1688-1787) » ; Ottele O., « Religion and Slavery: a Powerful Weapon for Pro-Slavery and Abolitionist Campaigners » ; Lejeune F., « Thomas Clarkson, ambassadeur et promoteur de la première campagne (1787-1807) », F. Lejeune et M. Prum (dir.), Le Débat sur l’abolition de l’esclavage en Grande Bretagne (1787-1840), Paris, Ellipses, 2008, p. 82-87, 94-101, 103-119.
68 Corwin A. F., op. cit., p. 22.
69 Ibid.
70 Foner P., op. cit., p. 100-102.
71 Voir son texte Memoria sobre la esclavitud, publié en 1822, qui incluait une partie intitulée « Proyecto de decreto sobre la abolición de la esclavitud en la Isla de Cuba y sobre la medios de evitar los daños que pueden ocasionarse a la población cubana » (ou Projet de décret sur l’abolition de l’esclavage à Cuba et sur le moyen d’éviter les maux que pourraient subir la population cubaine). McCadden J. J., « The New York-to-Cuba Axis of Father Varela », Americas, vol. 20, 1964, p. 376-379.
72 Pour un récit détaillé de ces quatre conspirations, voir Foner P., op. cit., p. 111-123.
73 Ibid., p. 140.
74 Ibid. Nous avons ajouté les italiques.
75 Thomas H., op. cit., p. 98-100 ; Rauch B., op. cit., p. 18-22 ; Foner P., op. cit., p. 142-143.
76 L’année 1800 fut en effet marquée par l’une des principales révoltes d’esclaves du xixe siècle aux États-Unis, celle de Gabriel Prosser à Richmond, en Virginie. Bien qu’ayant échoué, le nombre d’esclaves impliqués, soit près d’un millier, était suffisamment important pour provoquer la terreur au sein de la population blanche, et ce d’autant que cette révolte fut organisée en plein milieu de la révolte des esclaves de Saint-Domingue. En 1811, une autre révolte importante eut lieu en Louisiane, menée par Charles Deslandres. Ce fut aussi un échec puisqu’elle conduisit à la mort d’une centaine d’esclaves.
77 Foner P., op. cit., p. 139. Pour un récit détaillé de la conspiration de Denmark Vesey, voir l’ouvrage de Robertson D., Denmark Vesey. The Buried Story of America’s Largest Slave Rebellion and the Man who Led It, New York, Vintage Books, 1999.
78 Foner P., op. cit., p. 141-142.
79 Foner P., op. cit., p. 143.
80 Benitez Rojo A., op. cit., p. 19.
81 Ibid., p. 104 ; McCadden, op. cit., p. 379.
82 Davis D. B., The Problem of Slavery in the Age of Revolution, 1770-1823, Ithaca, Cornell University Press, 1975, p. 216 ; Rossignol M.-J., « Le contexte nord-américain de l’antiesclavagisme britannique », art. cit., p. 68-73.
83 McCadden, op. cit., p. 379-381 ; Benítez Rojo A., op. cit., p. 18-19.
84 Foner P., op. cit., p. 144-146.
85 Ibid.
86 Ford W. C. (dir.), The Writings of John Quincy Adams (1767-1848), New York, Macmillan, 1913-1916, Vol. 7, p. 373. Nous avons ajouté les italiques. Il est intéressant de noter que l’image de la pomme inspira aux historiens cubains l’expression – méprisante selon Foner – de « politique du fruit mûr » pour désigner la politique mise en avant par Adams. Foner P., op. cit., p. 146.
87 Weinberg A. K., Manifest Destiny: A Study of Nationalist Expansionism in American History, Baltimore, The Johns Hopkins Press, 1935 ; réédition, Chicago, Quadrangle Books, 1963, p. 43.
88 Ibid., p. 46-50.
89 Langley L. D., « Slavery, Reform, and American Policy in Cuba, 1823-1878 », Revista de Historia de América, vol. 65-66, 1968, p. 72-73.
90 Perkins D., op. cit., p. 23-26, 34-38.
91 Adams C. F. (dir.), John Quincy Adams’s Memoirs, Philadelphia, 1874-1877, 12 vol. VI, p. 207, Perkins D., op. cit.
92 Foner P., op. cit., p. 146-147 ; Perkins D., op. cit., p. 34-38.
93 Foner P., op. cit., p. 151.
94 Henry Clay (1777-1852) entra en politique grâce à ses talents d’avocat au Kentucky qui lui permirent d’y être élu à la législature. Son travail couronné de succès lui valut d’être ensuite choisi pour représenter son État au Sénat (en 1806-1807 puis en 1810-1811). En 1811, il fut élu représentant au Congrès et choisi pour être Speaker où il eut une grande influence. Il fut réélu à ce poste cinq fois consécutives. Le propriétaire d’esclaves qu’il était avait des positions relativement modérées sur l’institution particulière ; il fut d’ailleurs l’un des fondateurs de la American Colonization Society, dont nous parlerons plus en détail au chapitre suivant. L’emprunte qu’il laissa sur la vie politique américaine est grande : Clay est en effet connu pour être « le maître du compromis », en raison de son rôle dans l’adoption du Compromis du Missouri en 1820 et de celui de 1850. De plus il est l’un des fondateurs du parti Whig en 1836. Pour une histoire du parti Whig, voir Holt M. F., The Rise and Fall of the American Whig Party: Jacksonian Politics and the Onset of the Civil War, New York, Oxford University Press, 1999.
95 Henry M, « Vers une Amérique ? Les Relations entre les États-Unis et les nouvelles Républiques hispano-américaines, 1810-1826 », thèse de doctorat en langues et cultures des sociétés anglophones, université Paris VII-Denis Diderot, 2003.
96 Henry M., op. cit., p. 373-376.
97 Foner P., op. cit., p. 152-153. Pour les autres raisons qui auraient pu pousser le Mexique et la Colombie à favoriser une telle expédition, voir aussi Johnson J. J., op. cit., p. 140-141.
98 Johnson J. J., op. cit., p. 116-127.
99 Langley D., op. cit., p. 37-38, 42-43.
100 Foner P., op. cit., p. 156.
101 Né en Caroline du Sud d’un père médecin, Joel Roberts Poinsett (1779-1851) passa les premières années de sa vie en Angleterre et dans le Connecticut. Il étudia la médecine à l’université d’Édimbourg, puis retourna à Charleston en 1800, où il passa quelques mois à étudier le droit. Il fut ensuite l’un des premiers américains à voyager au Moyen-Orient (1801-1809). À son retour aux États-Unis en 1809, James Madison, alors président des États-Unis, l’envoya en mission en Amérique latine dans le but d’enquêter sur les mouvements révolutionnaires qui s’étaient déclenchés dans la région. Il y passa plusieurs années et retourna en Caroline du Sud en 1815. L’année suivante il fut élu à la Chambre des représentants de son État et en 1821, il devint représentant au Congrès fédéral, ce jusqu’en 1826. Parallèlement à ses fonctions au Congrès, entre 1822 et 1823, Poinsett fut envoyé au Mexique comme agent spécial. Et en 1825, il fut le premier ministre américain à être nommé au Mexique.
102 Foner P., op. cit., p. 153-156 ; Henry M., op. cit., p. 384-388. Pour ce qui est de Henry Clay défenseur de l’indépendance de l’Amérique hispanique, voir Weeks W. E., op. cit., p. 85-104.
103 Foner P., op. cit., p. 156-160 ; Henry M., op. cit., p. 388-390 ; Johnson J. J., op. cit., p. 142-143.
104 Foner P., op. cit., p. 156-157 ; Johnson J. J., op. cit., p. 142.
105 Foner P., op. cit., p. 158 ; Johnson J. J., op. cit., 142-143.
106 Henry M., op. cit., p. 390-396. Johnson J. J., op. cit., p. 144. Elle était importante sur les républiques latino-américaines en général non seulement à cause de sa grande puissance navale, mais aussi à cause des liens commerciaux privilégiés de l’Angleterre avec l’Amérique hispanique. Enfin, il faut ajouter que malgré la neutralité officielle du gouvernement vis-à-vis des insurgés, ces derniers comptaient dans leurs rangs un nombre important d’officiers et de marins anglais qui les aidèrent donc dans leur lutte contre l’Espagne. Johnson J. J., op. cit., p. 115, 135-140.
107 Foner P., op. cit., p. 165.
108 Henry M., « Henry Clay et la South American Question », Transatlantica, 2002, Jeune République [en ligne]. Mis en ligne le 23 mars 2006, référence du 20 janvier 2013 [http://transatlantica.revues.org/document404.html].
109 Il est intéressant de noter que pour ce représentant sudiste la population du Mexique était noire alors qu’en réalité elle était à majorité indienne ; la population noire y étant minoritaire. Qu’il eût vraiment cru que les Mexicains étaient noirs, ou qu’il eût considéré, comme beaucoup à l’époque, que les Indiens faisaient partie des populations à peau noire, ce qui est important dans cet exemple c’est qu’il montre à quel point la perception étasunienne de l’Amérique latine et des Caraïbes était biaisée et à quel point ces amalgames faciles pouvaient servir un discours politique. Sur cette vision racialiste, voir Horsman R., Race and Manifest Destiny. The Origins of American Racial Anglo-Saxonism, Cambridge, Harvard University Press, 1981, p. 121.
110 Johnson J. J., op. cit., p. 73-76, 144-146.
111 Foner P., op. cit., p. 161-165 ; Johnson J. J., op. cit., p. 144-145.
112 Henry M., op. cit., p. 413-418 ; Johnson J. J., op. cit., p. 145-146.
113 Johnson J. J., op. cit., p. 160-161.
114 Perkins D., A History of the Monroe Doctrine, Boston, Little, Brown & Company, 1963, p. 66.
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