« Belmopan. A new capital for a new nation. » Pouvoir et ethnicité à l’indépendance1
p. 253-272
Texte intégral
1Le Belize2, petit pays anglophone d’Amérique centrale, a connu trois capitales : Saint George’s Caye, Belize City et Belmopan. Chacune reflète à sa façon des régimes politiques spécifiques liés à des enjeux de pouvoir et à des modèles de développement économique. Dès le début du xviie siècle, marins, pirates et flibustiers s’installent à Saint George’s Caye, petite île idéalement situé dans la baie du Honduras, à huit milles des côtes, à l’abri de la barrière de corail et à l’embouchure de la Belize River, voie de pénétration à l’intérieur du continent. Au cours du xviiie siècle, Saint George’s Caye accueille les premières règles et institutions qui encadrent la formation d’une « nouvelle société » dont les membres sont qualifiés de « Baymen » : Burnaby’s Code et instauration du Public Meeting en 1765, nomination du premier superintendant en 1784. La bataille de Saint George’s Caye, le 10 septembre 1798, entre les puissances européennes (Espagne et Grande-Bretagne), marque l’ancrage du Belize dans l’Empire britannique (Humphreys, 2006 ; Macpherson, 2003 ; Encalada, Awe, 2010). Dans le même temps, le passage d’une société de marins, tournée vers la mer, le commerce et la piraterie, à une colonie fondée sur l’exploitation des richesses forestières (logwood, mahogany puis chicle)3, contribue au déplacement des activités politiques et économiques de l’île de Saint George vers le continent. Belize City (initialement appelée Belize Town), également à l’embouchure de la Belize River, directement connectée à l’extraction de produits forestiers, devient la capitale du Honduras britannique. Elle le restera jusqu’en 1970. Les activités économiques forestières provoquent l’arrivée croissante d’une main-d’œuvre esclave, venue principalement de Jamaïque (Bolland, 1997). Le caractère saisonnier du travail forestier (lié à la succession des saisons sèches et humides) produit des migrations pendulaires entre Belize City et les camps des zones d’exploitation. Siège des institutions politiques, religieuses et éducatives, cœur de l’industrie forestière (bureaux des compagnies britanniques puis états-uniennes, lieu de résidence de la main-d’œuvre esclave puis libre), Belize City concentre le pouvoir, la richesse et la population. Le reste du territoire devenu colonie en 1862 est peu connu et habité par des populations autochtones s’étant réfugiées à l’intérieur des terres ou par des populations migrantes (Miskitos, Garifunas, réfugiés de la guerre des Castes du Mexique, confédérés états-uniens, etc.). La colonie se confond en grande partie avec Belize City qui incarne le pouvoir britannique et la formation d’une « société créole », réduite aux descendants des Britanniques et des Africains. Ainsi, pour Assad Shoman, Belize City constitue « the politico-cultural nation » (Shoman, 2000, p. 124) jusqu’au milieu du xxe siècle.
2Dans ce contexte, les mobilisations indépendantistes qui émergent après la Seconde Guerre mondiale questionnent l’héritage colonial incarné par Belize City. La création d’une nouvelle capitale, qui prendra le nom de Belmopan, située géographiquement au cœur du Belize, devient le cheval de bataille de George Price, principal artisan de l’indépendance, Premier ministre du self-governement de 1964 à 1981 et premier Prime Minister du Belize indépendant (de 1981 à 1984 puis de 1989 à 1993). George Price et son parti, le People’s United Party, font de Belmopan le symbole de la sortie du colonialisme et de la naissance d’un nouveau pays : Belmopan est ainsi considérée comme « The Capital City of the New Belize ». Je me centrerai sur la naissance et le développement de Belmopan, nouvelle capitale du Belize indépendant : « Si la ville est l’espace de prédilection du politique » comme le suggère Laurent Vidal dans l’introduction de cet ouvrage, le projet de construction d’une capitale est le support de « discussions et de débats souvent fougueux sur l’avenir de la nation, du peuple ». L’abandon de l’ancienne capitale, Belize City, port de la côte Caraïbe, remplacée par Belmopan, située géographiquement au milieu du pays, constitue explicitement une rupture avec l’ordre colonial et une volonté de donner naissance à une nouvelle nation reposant sur une intégration plus équitable du territoire et de la population. Hautement symbolique en termes de sortie du colonialisme et d’affirmation d’une unité nationale renouvelée, le transfert de la capitale de Belize City à Belmopan a, on va le voir, des conséquences immédiates sur la définition d’une « identité nationale » émergente, la place des groupes ethniques qui la composent et les tensions entre appartenances caribéenne et centre-américaine du Belize.
3Précisons le contexte dans lequel naît Belmopan : la ville est planifiée à partir de 1961, les travaux de construction commencent en 1965-1966. À ce moment-là, l’indépendance apparaît comme une affaire de jours ou de semaines, au même titre que les autres territoires britanniques de la Caraïbe (Jamaïque en 1962, Barbade et Guyana en 1966). Le slogan « Belize : united, sovereign, independent. One people, one destiny » circule et en 1964 le Belize obtient le self-government. Le thème de l’indépendance est omniprésent dans la presse, dans les discours politiques, dans les mobilisations sociales (Shoman, 2000 ; Hyde, 1970). Pourtant, si Belmopan voit bien le jour en 1970, il faut attendre encore plus de 10 ans pour que le Belize soit indépendant, en 1981. En effet, le Guatemala voisin affirme sa souveraineté sur le Belize au nom de son appartenance historique à la capitainerie générale du Guatemala ; la menace d’une intervention militaire et le long règlement international de ce conflit conduisent à retarder l’indépendance. La nouvelle capitale naît donc orpheline de sa nation. Au travers de l’étude de la fondation et du développement de Belmopan, il s’agit alors de s’intéresser à la difficile émergence d’une société indépendante, qui s’accompagne d’une multiplication et d’une cristallisation des prises de position sur la définition même de la nation.
4Je reviendrai dans un premier temps sur les difficultés de la mise en œuvre pratique (planification, développement, budget) d’un tel projet en analysant les rapports techniques sur Belmopan, qui en contestent la pertinence et la viabilité. Je m’intéresserai ensuite aux tensions qui accompagnèrent la naissance de Belmopan, entre ambitions politiques qui firent de Belmopan un outil et un symbole d’une indépendance proche et conflits opposant les deux principaux partis des années 1960-1970. Ces tensions sont révélatrices de définitions antagoniques de la future nation, juxtaposant affirmation d’une citoyenneté indifférenciée, héritage créole et aspiration à la multiculturalité. Enfin, l’attention portée aux habitants de Belmopan permettra d’interroger, à partir des pratiques de peuplement, l’opposition Créole/Mestizo4, Caraïbe/Amérique centrale, et d’entrevoir, en ce début de xxie siècle, une capitale qui parviendrait enfin à jouer son rôle intégrateur, mais de façon circonstancielle et limitée.
De la catastrophe naturelle à l’échec urbain
5Le 31 octobre 1961, l’ouragan Hattie détruisait une grande partie de Belize City, laissant sur son passage de nombreux morts et familles sans logement, et conduisant à la désorganisation de l’administration du pays. Hattie est présenté comme l’acte de naissance de Belmopan. Un acte de naissance dramatique sans doute, mais aussi doublement performatif. Il donne tout d’abord à Belmopan un caractère d’évidence, de nécessité absolue, incontestable, dont l’origine se situerait dans les forces de la nature, au-delà de tout jugement humain ; il inscrit le projet, ensuite, dans une émotion partagée et lui confère une portée consensuelle et collective. Belmopan renverrait ainsi à une sorte d’impératif transcendant les conflits politiques et les choix de société. Pourtant, les discussions autour de la construction d’une nouvelle capitale sont antérieures à l’ouragan et répondent avant tout à une stratégie politique, destinée à consacrer l’indépendance, tant vis-à-vis de l’extérieur (Grande-Bretagne) que dans une logique partisane interne5. Je m’arrêterai tout d’abord sur les aspects techniques de l’émergence de la nouvelle capitale. Ils permettent en effet de mieux comprendre le contexte et les enjeux du projet Belmopan tout en dessinant le cadre empirique de naissance et de développement de la ville.
6En effet, ce mythe fondateur correspond bien peu à une naissance marquée par les hésitations, les divisions et les contradictions. Les rapports techniques ayant précédé et suivi la construction de la ville illustrent à quel point Belmopan témoigne de la mise en place d’un Etat faible, largement dominé par l’administration britannique, incapable de promouvoir un projet national fédérateur. Les enjeux politiques semblent l’avoir largement emporté sur les considérations pratiques de faisabilité et de développement de la future capitale, révélant ainsi un décalage entre la nation rêvée et son incarnation empirique, et questionnant la capacité du recentrage géographique de la nouvelle capitale dans l’intégration territoriale et démographique de la nation.
7Le rapport Pearl, en février 1962, est le premier à évoquer directement la question d’une nouvelle capitale administrative. Ses principales conclusions appellent à diminuer la taille de Belize City, à créer une nouvelle ville pour être le siège du gouvernement et à mettre en place un établissement de gestion. Des premières négociations ont lieu entre le Colonial Office et le gouvernement du Belize afin de déterminer le montant d’une future aide anglaise et de la participation du gouvernement bélizien. Il n’est alors question que d’une ville administrative réservée aux civil servants (fonctionnaires), qui doit s’accompagner d’un nouveau plan de développement de Belize City, cette dernière conservant son rôle de principale ville du pays. De fait, le rapport est sans appel : il est impossible de construire une « vraie » nouvelle ville ailleurs. En 1963, un rapport est signé de Scott & Wilson, Kirkpatrick & Partners, Preece, Cardew & Rider, Norman & Dawbarn, Widnell & Trollope (Scott & Wilson, 1963), tous Crown Agents for Oversea Governments and Administrations, ingénieurs et urbanistes qui élaboreront les plans de Belmopan. Ce rapport est beaucoup plus pratique et définit déjà les contours de la nouvelle ville. Les consultants doivent confirmer la faisabilité de la capitale : il semble donc que la création de Belmopan soit désormais acquise et, contrairement au rapport Pearl, celle-ci prend déjà la forme d’une « vraie » ville avec ses quartiers, son système piétonnier, ses cinémas, ses églises. Le rapport Grier et Prosser (s. d.), sans doute écrit en 19696, précédant de peu l’inauguration de Belmopan, met davantage l’accent sur son rôle dans le développement futur du pays, notamment pour dynamiser l’agriculture. C’est un changement fondamental : la dimension nationale de Belmopan, si elle était bien présente dans les discours politiques de l’époque, était jusqu’alors absente des projets techniques empiriques. Néanmoins, les conclusions ne sont guère encourageantes : construire une nouvelle capitale sur un site vierge à 50 milles de Belize City a « quelque chose d’irréel » et constitue un exemple flagrant de « out of sight, out of mind » (Grier et Prosser, s. d., p. 2). De même, dans une recherche menée 16 ans après la création de Belmopan, S. Davis considère que la ville a été construite sur des « attentes irréelles et une architecture surréaliste » (Davis, 1991, p. 37). John C. Everitt (1984, p. 139) précise quant à lui que l’isolement géographique et le faible peuplement de la région de Belmopan vouaient les ambitions agricoles et industrielles à l’échec.
8On le voit, les objectifs du projet ont évolué avec le temps. Alors que le premier texte disponible, le rapport Pearl de 1962, se centrait avant tout sur Belize City dans une logique de déconcentration de la population et des activités et d’amélioration des infrastructures d’une ville aux conditions sanitaires misérables (Kearns, 1973, p. 149), Belmopan va progressivement construire sa légitimité sur un rééquilibrage démographique et économique national, sur le développement de l’agriculture, sur le soutien à la population rurale, etc. Autant d’arguments qui sont aisément mobilisables, en termes politiques, par George Price et le PUP, mais qui ne se matérialisent pas directement dans les plans d’urbanisme. Ainsi, le rapport Pearl, centré sur Belize City, sert de base aux projets ultérieurs, ayant pourtant des objectifs complètement redéfinis et s’intéressant désormais à Belmopan. Une situation d’urgence, qui oblige notamment à reloger 3 000 personnes (Dimond, s. d.) au lendemain de l’ouragan Hattie, se transforme en un projet à long terme, dont la justification et la viabilité sont contestées par ses propres bâtisseurs. En 1974, une évaluation ex-post de Belmopan est faite (Ministry of overseas development, 1974). Elle est extrêmement critique, dénonçant une décision politique, l’ambition démesurée du projet, l’insuffisante analyse de sa faisabilité, des coûts trop élevés par rapport au budget disponible, des délais non respectés. Il semble donc qu’une décision politique portée par le gouvernement bélizien, et timidement soutenue par la Grande-Bretagne, ait initié la mise en place d’un chantier dont la validité sera régulièrement contestée sans pour autant qu’il puisse être suspendu. Aussi bien, le budget accordé pour la construction de Belmopan est de 20 millions de dollars béliziens alors que le budget calculé estimait le total des dépenses à 40 millions. Dès son origine, Belmopan devra s’accommoder d’un budget diminué de moitié, qui donne encore aujourd’hui à la ville son caractère inachevé. Cette quête permanente de ressources nouvelles laisse aussi penser que les dépenses faites à Belmopan le sont au détriment d’autres projets, plus directement utiles au développement du pays.
9Autre caractéristique importante de ces rapports : ils révèlent la multiplicité des acteurs en présence et leur absence de coordination. Le gouvernement du Belize, le gouverneur du Belize, Recondev7, différents consultants, le constructeur (Pauling and Co.), le Colonial Office, l’assistance technique britannique, la Regional Developement Division. Cette situation donne naissance à certaines confusions en termes de partage des responsabilités. Le Belize est à la fois client et mandataire, alors que les consultants et le constructeur ne rendent de comptes qu’à la couronne britannique et au Secretary of State for the Colonies (Ministry of overseas development, 1974, p. 47 ; Scott et Wilson, 19638). Simultanément, on constate l’absence de toute institution bélizienne non gouvernementale (entreprise de construction, cabinet de consultance, syndicat). D’éventuels effets d’entraînement (formation, transfert, dynamique économique) d’un tel projet pour l’économie locale ne semblent pas avoir été pris en compte, alors que les instances du pouvoir bélizien ont été réduites à jouer un second rôle au niveau des décisions techniques. Alors que les Britanniques sont plutôt hostiles aux premières évocations de la nouvelle capitale, la force politique du PUP les convainc de soutenir et financer le projet. En contrepartie de l’aide financière britannique, l’entreprise responsable du projet devra être britannique9. De fait, le Belize ne possède pas alors d’entreprise d’une telle envergure. En outre, le secrétaire exécutif de Recondev, institution censée garantir la participation bélizienne à la construction de Belmopan, est également un Britannique, ce qui fera dire à Philippe Goldson, leader de l’opposition, que sa présence est un affront « aux intérêts et à la dignité de la population de ce pays » : « Le parti au pouvoir parle de nationalisme mais pratique le colonialisme » (Belize Billboard, 13 décembre 1970).
10De fait, l’accumulation des difficultés en vint à menacer l’avenir même de Belmopan. Pour la Regional Development Division (Grande-Bretagne) : « À moins de mobiliser désormais une assistance technique considérable pour sauver les Béliziens d’eux-mêmes, la possibilité d’un fiasco est de plus en plus grande » (Ministry of overseas development, 1974, p. 27) et le gouvernement britannique aurait même craint un scandale politico-financier. Selon un de mes interlocuteurs, sans la victoire du PUP aux élections de 1974, le projet Belmopan n’aurait peut-être jamais été mené à son terme. Loin du consensus Hattie, cette première phase de l’histoire de Belmopan est un échec en termes de planification modernisatrice du développement (Everitt, 1984) et annonce les difficultés et incertitudes que l’on retrouvera ultérieurement.
Identités conflictuelles : quelle capitale pour quelle nation ?
11George Price, figure tutélaire de l’indépendance bélizienne, fait de Belmopan le symbole de la future intégration nationale, reléguant les affiliations ethniques et les divisions territoriales à un héritage colonial. Pourtant, cette logique de construction d’une citoyenneté indifférenciée, qui serait a-ethnique ou dépasserait les appartenances identitaires, aboutit à un résultat inverse : en déplaçant les frontières entre les groupes, en modifiant les rapports de force, elle contribue au contraire à une ré-ethnicisation des débats politiques.
Projet national et citoyenneté indifférenciée
12Belmopan est, avant tout, un projet politique, porté tout à la fois par George Price, principal personnage politique du pays et « père de l’indépendance », le PUP, People’s United Party, principal parti politique à l’époque, et le gouvernement bélizien, qui jouit du statut de self-government depuis 1964. Le PUP s’en fait le porteur infatigable, notamment dans sa lutte partisane. Dans le même temps, plusieurs publications gouvernementales sont directement consacrées à Belmopan et donnent des informations régulières permettant de rendre compte « des progrès » dans la nouvelle capitale : « The New Capital for Belize », publié par le Government Printer à partir de 1967 ; « Belmopan is coming to life. Come and see for yourself », est publié par le Belmopan Information Service for Reconstruction and Development. On trouve aussi des rubriques directement consacrées à Belmopan dans des publications plus larges comme par exemple la revue « The New Belize » publiée à partir de 1971 par le Government Information Service « to record the story of our achievements and accomplishments in the peaceful constructive Belizean Revolution ». Ces brochures donnent des informations pratiques sur Belmopan, sur le budget dépensé, sur la future extension de la ville, etc. Surtout, elles véhiculent le slogan du gouvernement : « Start a new life in Belmopan. A new capital for a new nation. » Et s’adressent directement aux nouveaux habitants qualifiés de bâtisseurs de la nation : « Someone has to pioneer the New Capital and these are the people who will build a community life for others to join. Those who are proud of their Nation will want to be proud of their Capital. »
13De fait, Belmopan s’apparente à un projet politique venu « d’en haut », visant à donner vie à une nation qui n’existe pas encore, comme si la fondation de la capitale justifiait et nécessitait une indépendance qui peine à se matérialiser. Rappelons notamment que, jusqu’à son inauguration, Belmopan n’avait pas de nom et était appelée « New Capital Site », comme si l’enjeu n’était pas tant la ville et ses habitants que l’affirmation de l’existence de la capitale, elle-même annonciatrice de la nation en devenir. Belmopan a été portée par George Price et le PUP, qui ont fait du projet de nouvelle capitale un outil politique : montrer que l’indépendance est possible10. Pour le PUP, Belmopan devient tout à la fois un argument politique contre le parti d’opposition, le NIP, National Independence Party11, une preuve de son engagement pour l’indépendance, une vitrine de ses compétences pour gouverner la future nation. Ainsi la mise en place d’un comité (Belizean New Capital Committee) devant décider du meilleur emplacement pour la ville serait le signe d’un processus à la fois démocratique et s’appuyant sur des choix objectifs12. Juste après l’installation du gouvernement à Belmopan, le Belize Time, journal associé au PUP, rappelle que la ville est le fer de lance de l’indépendance, elle constitue « a new dimension in the revolution » (Belize Times, 10 octobre 1970). La capitale sans nation en appelle ainsi naturellement à la future nation : « Belmopan proved that a Belizean revolution is more than a possibility ; it is a reality […]. Belmopan is the first tangible fact in the Belizean revolution » (Belize Times, 10 octobre 1970).
14Et cette nation, incarnée par Belmopan, vise à intégrer les multiples groupes ethniques et à abandonner la politique britannique coloniale du « divide and rule », marquée par une gestion ethnique du territoire et de la population (Cunin, Hoffmann, 2012). Pour George Price, le Belize indépendant doit désormais dépasser les différences ethniques dans une citoyenneté commune : « There are no Caribs, no Creoles, no Kekchi, Maya, Spanish Indians. There are only citizens of our country in our own right » (discours prononcé en 1962, Galvez et Greene, 2000, p. 89). Il évoque également « a magnificent mixture of people that unite the flesh and bone of Africa, Asia, Europe and our Garífuna and Maya roots, and that today are one people that must remain united to build our new Central American nation of Belize » (discours de 1965, Galvez et Greene, 2000, p. 103). De fait, la planification de la ville se base exclusivement sur des critères socioéconomiques et ne fait aucune référence à une éventuelle appartenance ethnique de ses habitants13.
15Pourtant, ce projet intégrateur géographiquement et indifférencié ethniquement va, au contraire, mettre en lumière et aviver les tensions sur la définition de l’identité nationale, sur la place des différents groupes ethniques, sur l’opposition entre ancrage caribéen et centre-américain du Belize. De fait, le dépassement du « divide and rule » apparait, aux yeux de ceux qui profitaient de ce système, les Créoles, comme une remise en cause de leur statut dominant et, au-delà, des caractéristiques sociohistoriques (récit fondateur, rôle de Belize City, lien avec la Grande-Bretagne, identité caribéenne) qui justifiaient ce statut.
Ethnicisation des antagonismes politiques
16Loin d’incarner l’union nationale ou la marche consensuelle vers l’indépendance, la naissance de Belmopan est marquée par une confrontation violente entre les deux principaux partis politiques de l’époque, le PUP et le NIP (ancêtre de l’actuel UDP). De fait, le NIP a une position beaucoup plus modérée sur l’indépendance, que l’on retrouve dans sa critique ouverte du projet Belmopan. Je m’intéresserai ici aux discours de ces deux partis, à travers l’étude des deux périodiques qui leur sont directement liés, le Belize Times (PUP) et le Belize Billboard (NIP). Je me centrerai sur la période charnière de la fin des travaux de construction de Belmopan, de l’inauguration de la ville et de l’arrivée de ses premiers habitants, c’est-à-dire les années 1969, 1970, 1971.
17Pour promouvoir la ville, certains aspects sécuritaires sont mis en avant (ouragans), ainsi que le développement économique (agriculture, industrie), mais surtout le fait que la capitale est au centre du pays et doit ainsi bénéficier à tous les habitants. « No true development can take place on the fringes. It must be in the heart » (Belize Times, 13 mars 1970). Or ce rééquilibrage passe par une remise en cause, jugée problématique par l’opposition, de l’hégémonie de Belize City. De fait, le pays est alors presque exclusivement centré sur Belize City, où se trouvent les institutions gouvernementales, les activités économiques, la majorité de la population. Pour justifier cette relocalisation géographique, le Belize Times n’hésite pas à l’inscrire dans une réinterprétation de l’histoire nationale. La bataille de Saint George’s Caye, consacrant la victoire des Britanniques, accompagnés d’esclaves et de descendants d’Africains libres, sur les Espagnols et faisant figure d’acte de naissance de la société bélizienne, est l’objet d’une révision critique. Elle n’incarne pas suffisamment une nation composée certes de Créoles, dans le sens de descendants de Britanniques et d’Africains, mais aussi de Garifunas, Chinois, Mayas, Indiens (d’Inde), Mennonites, etc. et même de Mestizos, descendants d’Indiens et des Espagnols chassés lors de la bataille de Saint George. Belmopan ne symbolise donc pas seulement le projet national en suspens, elle est également implicitement porteuse d’une remise en cause du statut dominant des Créoles, comme uniques représentants de la future nation. Le journal propose en effet de définir « What is a nation » :
« The Battle of St. George’s Caye is an essential part of our national celebration, not just because it prevented an oppressor from ravaging our early settlements, but also because all elements of the settlement, black and white, slave and free fought side by side as equals, which set a precedent which has survived as an unique institution of our society. But the Battle of St. George’s Caye is not the sum total of our nationalism. Ancient Maya settlements in our land connect us to the pre-Columbian heritage of America. Spanish and Indian settlers have developed sugar and other agricultural industries in our land. Many immigrants from all over the world have helped to develop this country » (Belize Times, 5 août 1970).
18Le nom même de Belmopan, créé à partir des termes Belize et Mopan, renvoyant à la population Maya Mopan originaire de la région, ainsi que le style architectural des bâtiments gouvernementaux inspirés de motifs mayas, rendent bien compte de cette volonté d’imposer un nouvel imaginaire national, qui met en avant le passé précolonial du Belize en valorisant la présence autochtone, « oubliée » dans le récit colonial associé à une société créole14.
19Cette réécriture de l’histoire est interprétée par les leaders du NIP comme une remise en cause directe du rôle des Créoles dans l’histoire locale. De la même façon que projets de nation, de capitale et du PUP se confondent, le NIP est tout à la fois porteur d’une critique de l’indépendance, de la nouvelle capitale et du PUP. Le Belize Billboard, organe de presse du NIP, véhicule les messages du parti, entre stratégie politique et véritable conflit idéologique sur la nature du Belize.
20La tension entre PUP et NIP passe donc par la définition même de l’histoire nationale et la place des différents groupes. Pour le NIP, il s’agit de revenir à l’histoire officielle du Belize, célébrant la Bataille de Saint George’s Caye en 1798.
« Belize City is the oldest city in our country, founded by the first settlers themselves. The history and personality of our country is stamped on the face of the city. In these times we cannot forget that it was here in this city that the great decision was taken at a public meeting in 1797, that this country is worth fighting for. Because of that historic decision, taken in that historic city, our country today stretches from the Hondo to the Sarstoon15 » (Belize Billoard, 30 août 1970).
21Le Belize Billboard en vient à proposer le nom de « Afro-Honduras » pour remplacer ceux de British Honduras ou de Belize et ouvre ses pages à Evan X Hyde, leader charismatique et radical de l’organisation UBAD, United Black Association for Development. Le conflit politique entre PUP et NIP se cristallise autour d’une opposition définie en termes géographiques et ethniques entre Mestizos, originaires du Mexique et d’Amérique centrale, et Creoles, marquant l’appartenance à la Caraïbe. Le NIP et le Belize Billboard reprochent de fait au gouvernement et au PUP de favoriser les populations d’origine hispanique et maya, tout en marginalisant les descendants d’Africains dont ils se font les porte-parole. Pour le Belize Billboard, alors que les Mestizos ou Latinos ont investi l’économie (fermiers au Nord, pêcheurs sur les îles, cultivateurs de riz dans le sud), les populations noires doivent conserver le pouvoir politique, acquis auprès de l’autorité coloniale (Belize Billboard, 11 août 1970). La menace d’une invasion du pays par le Guatemala est alors mobilisée pour réaffirmer l’ancrage caribéen, voire le maintien d’un lien avec la Grande-Bretagne, contre le danger d’une inscription centre-américaine qui signifierait la disparition du Belize. Le journal ne manque pas de souligner que Belmopan ne se situe pas seulement au milieu du pays, mais rapproche surtout son centre de gravité de la frontière avec le Guatemala. Un éditorial s’intitule ainsi : « Belmopan: 30 miles to Guatemala. Is it an accident? » Et continue : « Residents may awaken one morning and find themselves surrounded by Guatemalan soldiers who took only minutes to reach there from the border » (Belize Billboard, 30 juillet 1970).
22Ces visions concurrentes de la nation atteignent leur expression maximale dans la compétition entre Belize City et Belmopan. La rivalité entre les deux villes renvoie de fait aux enjeux évoqués précédemment sur la définition même de la nation, notamment dans sa dimension ethnique : d’un côté, Belize City est considérée comme une ville créole, tant du fait de sa composition démographique que de son histoire, de l’autre Belmopan souhaite s’imposer comme la capitale reflétant la diversité du pays. Des élections ont lieu en 1969, juste avant l’achèvement des travaux de construction de Belmopan. Alors que le PUP publie un manifeste où il évoque la nouvelle capitale comme une réalité incontournable, le NIP s’engage lui du côté de Belize City et appelle à la mobilisation autour de « a modern Belize City » (Belize Billboard, 12 avril 1969). Il faut également rappeler que, à la fin des années 1960 et au début des années 1970, « l’effet Hattie » est passé : le relatif consensus de 1961-1963 pour déplacer le siège du gouvernement (la côte étant directement menacée par un nouvel ouragan) a laissé place pour certains à une volonté de favoriser le développement de Belize City. Les assurances ont permis la reconstruction de la ville, on assiste à l’instauration de programmes de réhabilitation de Belize City (eau, égouts, port) qui s’écartent des plans d’urgence adoptés au lendemain d’Hattie (Everitt, 1986). Aussi bien, les investissements réalisés à Belmopan sont considérés comme autant de ressources en moins pour Belize City alors même que l’enthousiasme initial pour Belmopan s’épuise. Un éditorial du Belize Billboard de 1970 (11 août 1970) titré « The orphan city » s’inquiète : « 332 years after the first settlement in 1638, Belize City has ceased to be the capital of British Honduras » et dénonce un George Price « now, sitting in the Belmopanian heights [where] he can issue orders to the subject people through the rubberstamp Ministers surrounding him16 ». L’argument du PUP est renversé : Belmopan n’assure pas le développement de tout le pays, mais s’enrichit au détriment du pays.
« Belmopan is a parasite city latched onto the body of a poor and destitute country. It cannot survive unless it feeds on the resources of the rest of the country […]. It is our opinion that fleeing to this parasite city, the Premier and Ministers are fleeing from more than the hurricanes. They are fleeing from the harassments of the citizens in Belize City and the rest of the country to whom they have promised so much and delivered so little » (Belize Billboard, 23 août 1970).
La capitale habitée
23Capitale d’une nation en devenir, siège du gouvernement, symbole de l’indépendance, Belmopan est aussi… une ville. Au sein de laquelle les premiers habitants sont avant tout préoccupés par des questions quotidiennes, qui fondent la possibilité même d’un vivre ensemble. Au-delà du conflit politique et idéologique entre PUP et NIP qui déchire la presse, le peuplement et le développement de Belmopan sont également révélateurs des incertitudes qui caractérisent la naissance de la nouvelle nation. Les Créoles, largement majoritaires dans l’administration, rechignent à quitter Belize City pour Belmopan et, par là même, à incarner la nation en devenir. Dans le même temps, la situation politique et économique en Amérique centrale provoque une importante migration de population mestiza vers le Belize et, en particulier, Belmopan. La capitale incarne alors un « ethnic shift » concomitant de l’indépendance et la nation qui s’imaginait créole se découvre mestiza. Pourtant, passées les polémiques des années 1970-1980, Belmopan semble aujourd’hui commencer à jouer son rôle, sinon d’intégration nationale, au moins de point de rencontre entre les espaces et les groupes de population du pays.
La banlieue de Belize City et la réticence des civil servants créoles
24Dans un premier temps (années 1970), Belmopan peine à se peupler : ses premiers habitants, les ouvriers ayant construit la cité et les expatriés britanniques ou du Commonwealth, ne s’y attardent guère17. Aux côtés de quelques commerçants, les fonctionnaires (civil servants) viennent à contrecœur s’installer à Belmopan, dont la population est bien loin d’atteindre les chiffres annoncés par les planificateurs et urbanistes18. Projet politique, pensé par des ingénieurs, la ville n’a pas véritablement pris en compte les besoins de ses futurs habitants (aucune enquête auprès de la population n’a été réalisée, contrairement à la reconstruction de Corozal, suite à l’ouragan Janet de 1955). Si les premiers habitants de Belmopan sont les porteurs de la nouvelle nation, on ne peut pas dire qu’ils aient incarné une citoyenneté recherchée et valorisée, la ville semblant n’exister que par les primes données par le gouvernement à ses fonctionnaires. La participation à la construction de la nation a ses limites et ne va pas jusqu’à accepter un déménagement à Belmopan ! Il aura même fallu un ultimatum de G. Price, menaçant les civil servants récalcitrants de perdre leur emploi, pour que la migration de Belize City à Belmopan devienne une réalité (Kearns, 1973, p. 159).
25Un des thèmes centraux abordés par Vanguard, la revue des civil servants, publiée par la Public Officers Union et créée en août 1969, concerne le montant et la nature des primes accordées aux nouveaux venus. D’une manière générale celles-ci semblent avoir été très avantageuses : grande facilité pour devenir propriétaire, aide pour le loyer, le déménagement, le transport, l’éducation, etc. Les incitations accordées pour attirer les civil servants ont même abouti à modifier la semaine de travail : les journées sont allongées pour bénéficier du samedi matin et ainsi rentrer à Belize City pour le week-end. Le déménagement signe en effet pour beaucoup l’abandon d’une maison à Belize City, la perte de réseaux sociaux, la coupure avec les liens familiaux, l’inquiétude concernant la scolarité des enfants, l’arrivée dans une ville à peine sortie de terre, possédant le minimum vital et sans aucune activité de loisirs. « La boue » est le premier terme généralement prononcé par mes interlocuteurs lorsqu’ils évoquent leurs souvenirs de Belmopan, qui apparaît alors comme une ville située « en dehors de la civilisation ». Le contraste est fort entre le projet national imaginé et le projet national vécu, entre le discours venu d’en haut et la pratique des habitants, entre l’ambition collective et l’hostilité individuelle19.
26En 1974, 80 % des personnes travaillant et habitant à Belmopan sont employées par le gouvernement ou des administrations paragouvernementales (Electricity Board par exemple) (Ministry of overseas development, 1974, p. 31). Contrairement aux annonces de George Price, il n’existe aucun projet d’usine ou de développement de l’agriculture : la ville est faite et pensée pour les fonctionnaires. Or les civil servants sont principalement créoles, en raison de l’héritage de la division du travail imposée par les britanniques mais aussi du fait de la concentration des établissements éducatifs à Belize City, elle-même majoritairement créole. On peut d’ailleurs s’interroger sur la volonté du gouvernement d’attirer une population plus variée, qui refléterait la composition de la société dans son ensemble comme le laissent entendre les discours de George Price ou du PUP. D’un côté, les témoignages des habitants de l’époque rapportent qu’il était très facile d’obtenir la maison de son choix et que de nombreuses maisons restaient inoccupées. D’un autre côté, il semble pourtant que les demandes de logement furent très nombreuses : Recondev, l’organisme chargé de la construction de la ville, en enregistre 2 999 (Reconstruction and Development Corporation, 1963), dont 2 701 émanent de personnes qui ne sont pas fonctionnaires et ont, dans leur grande majorité, de faibles revenus (non-propriétaires). Ces habitants potentiels ne sont visiblement jamais arrivés à Belmopan. De la même façon, les contrats des ouvriers embauchés à la construction de la ville stipulaient qu’ils devaient obligatoirement retourner chez eux à la fin des travaux. C’est en raison d’un choix explicite que la capitale demeure réservée à des civil servants peu enthousiastes, car d’autres secteurs de la population semblaient disposés à s’y rendre.
27Les entretiens réalisés avec les premiers habitants de Belmopan rendent compte d’une certaine homogénéité, d’une solidarité du « nous », d’une petite communauté de proches. Si les nouveaux habitants de Belmopan « font la nation », celle-ci est largement dominée par l’« entre soi » plutôt que par une quelconque logique d’intégration. Ils mettent en avant la sympathie des habitants, la coopération, la sécurité, le fait que tout le monde se connaisse ; les souvenirs sont largement partagés : la boue, la ville fantôme les fins de semaine, les fêtes entre amis, le jardinage, la baignade dans la rivière, le cinéma, le seul restaurant (Yellow Bird), etc. Les références aux ragots et au contrôle social font penser à une vie de village. Dans les entretiens, mes interlocuteurs sont généralement capables de citer, 40 ans après, tous les noms des personnes vivant dans leur rue.
28Vanguard nous aide à mieux comprendre l’expérience vécue par les premiers habitants de Belmopan. Il est intéressant de souligner que le journal contient de nombreux textes sur le rôle des civil servants, sur leur responsabilité nationale, sur la construction de la nation. Les articles appellent ainsi à « achieve a well trained and efficient service capable of sustaining an independent Belize » (mai 1970). Les interrogations qui reviennent le plus concernent le futur de Belmopan comme capitale d’une nouvelle nation. « The concept of the rolling Maya hills and the verdant pastures around are wonderful but not as inspiring as concerted actions defining the scope and purpose of the New Capital » (octobre 1969). Elles reflètent bien la confusion inhérente à Belmopan : il s’agit à la fois de construire une ville, une capitale et une nation. Et le constat est assez amer : comment une ville qui est elle-même principalement habitée par la même catégorie sociale, économique, ethnique de la population pourrait-elle symboliser la nation ? « Most important, it must serve as a focus for unifying the diverse interests – cultural and economic – of the national “whole”. In short, it is the “people” that will determine the success of the New Capital and lamentably, “people” have not been sufficiently projected in the scheme of things so far » (novembre 1969). Finalement, dans ce cri de détresse lancé dans les pages de Vanguard (janvier 1970) par les épouses des civils servants se perçoit l’incrédulité des habitants de Belmopan, considérée non pas comme l’avenir du pays, mais comme un lieu de relégation : « We the wives of public officers would never be happy living under such conditions. We form a great part of the nation. »
Le refuge de l’Amérique centrale
29Il faut attendre la fin des années 1980, avec l’arrivée des migrants centre-américains, pour que la population de Belmopan commence à croître (13 351 habitants selon le recensement de 2010), pour que la ville s’étende (intégrant les nouveaux quartiers de Salvapan, San Martin, Maya Mopan, Las Flores) et pour que l’économie se diversifie (agriculture, travailleurs indépendants, commerçants). Si, comme on l’a vu, les habitants, majoritairement créoles, de Belize City, ont longtemps rechigné à s’installer à Belmopan dans les années 1970, préférant même faire des allers et retours entre Belize City et Belmopan20, les années 1980 sont marquées par une migration « massive » (en relation à la faible densité démographique du Belize) de réfugiés centre-américains fuyant la situation politique et économique de leur pays21. Belmopan et ses environs (le camp de réfugiés de Valle de Paz se situe à une vingtaine de kilomètres) accueillent une grande partie de cette population, qui est elle-même regroupée, dans les pratiques administratives et les interactions quotidiennes, sous le terme générique de « mestizos22 ». Dix ans après son indépendance, le Belize, qui se pensait créole, se découvre mestizo : lors du recensement de 1991, la population mestiza dépasse en nombre la population créole, avec 43,6 % pour les Mestizos contre 29,8 % pour les Créoles. Ne maîtrisant pas encore ses outils de pouvoir, l’État bélizien fait face à une « société inattendue », marquée par ce que les observateurs appellent un « ethnic shift ». Plusieurs interprétations catastrophistes sont faites de ce recensement, s’exprimant ouvertement sous la forme d’une « menace latine » qui viendrait remettre en cause l’« identité créole » du Belize. Harriet Topsey (1987) la formule en référence à une « guerre ethnique ». Quelques années plus tard, Joseph Palacio (1996) se demande s’il y a encore une place pour ce qu’il qualifie d’« africanness » au Belize. Simultanément, le caractère extensif et ambigu de la catégorie « mestizo » dramatise ce qui est perçu comme le basculement du pays dans l’espace centre-américain.
30Dans le même temps, les migrants centre-américains donnent vie à une ville qui n’était jusqu’alors qu’une périphérie peu attractive de Belize City. Par leurs activités agricoles (principalement à l’ouest vers la frontière avec le Guatemala, mais aussi au sud et au nord de la capitale) et la vente de leurs produits sur le marché de Belmopan, ils articulent la ville à sa région environnante ; par leur travail de maçons, de charpentiers ou de plombiers, ils contribuent à la croissance urbaine de Belmopan. Au niveau administratif, la ville sort également de son statut particulier : Recondev (Reconstruction and Development Corporation), organisme chargé de mener la construction de Belmopan, est devenu gestionnaire de la ville depuis sa naissance jusqu’en 2000. Le rôle de Recondev est souvent critiqué, du fait de son absence de moyens et de personnel, mais aussi en raison de pratiques guidées par l’opacité et les faveurs politiques. Se justifiant à l’origine par le statut de la majorité des habitants (les civil servants n’ont pas le droit de voter), cette situation fut visiblement assez populaire car elle permettait de ne pas payer d’impôts locaux. En conséquence, Recondev n’avait d’autres ressources à investir dans la ville que celles qui provenaient des locations immobilières ou de fonds gouvernementaux. Le statut ambigu de Belmopan, entre village, ville et capitale, se retrouve ainsi dans sa gestion même : il faudra attendre 2000 pour qu’elle obtienne une autonomie administrative et organise ses propres élections municipales, après avoir été administrée pendant 30 ans par un organisme paraétatique.
31Au-delà des polémiques des années 1980, particulièrement vives puisqu’elles accompagnent la naissance de la nation, les migrants centre-américains ont pourtant été bien accueillis, avec un accès relativement aisé au logement et à la terre, aux services de santé et éducatifs, au statut de résident voire à la nationalité (Palacio, 1990), dans un pragmatisme économique (besoin de main-d’œuvre) et démographique (apport d’habitants), non dépourvu de certains intérêts politiques (futurs électeurs). Aujourd’hui, les enfants de ces réfugiés sont Béliziens, parlent anglais à l’école, créole dans la rue et espagnol en famille. Les liens sont maintenus avec le pays d’origine, au travers d’échanges économiques (remesas), de visites à la famille mais aussi d’accueil, au Belize, de nouveaux migrants, dont le flux continue même s’il est aujourd’hui moins important et médiatisé23. Le Belize en général et Belmopan en particulier deviennent ainsi une plaque tournante entre l’Amérique centrale et les États-Unis ou la Riviera Maya dans le Mexique voisin, dont les activités touristiques attirent une main-d’œuvre centre-américaine nombreuse, bien plus qu’avec la Grande-Bretagne ou les anciennes colonies anglaises de la Caraïbe (sur les échanges commerciaux du Belize, voir Pisani, 2007).
La construction d’une appartenance nationale
32L’opposition Créole/Mestizo, mise en lumière dès les années 1960 par M. G. Smith (1965) comme la spécificité du Belize, doit être à la fois précisée et enrichie : précisée, car elle renvoie, depuis la vague de migration centre-américaine des années 1980, à une catégorie Mestizo polysémique et englobante ; enrichie, car il faut lui ajouter, dans ce pays pourtant peu peuplé, la présence de nombreux autres groupes de population : Mayas, eux-mêmes divisés en Mopan, Ketchi et Yucatèques, Garifunas, Chinois, Taiwanais, Indiens (d’Inde ou West Indians), Mennonites, en plus de quelques Britanniques et Nord-Américains.
33De fait, il n’existe pas de solidarité entre ces Mestizos aux trajectoires migratoires extrêmement différentes (du Mexique au xixe siècle à divers pays d’Amérique centrale à la fin du xxe siècle) contrairement à ce que pourrait laisser entendre la catégorie administrative utilisée dans les recensements ou la catégorie populaire mobilisée pour diaboliser un « ethnic shift ». Au contraire, les logiques de distinction au sein de la population mestiza témoignent de multiples niveaux d’identification à la société bélizienne24. À Belmopan, les premières générations de migrants centre-américains ne manquent pas de se démarquer ostensiblement des nouveaux arrivants, en conversant en créole, en gérant des petits commerces fixes, en investissant sur le long terme dans des maisons. L’espagnol n’est pas systématiquement la langue de communication et est souvent délaissé pour le créole en tant que lengua franca permettant de dépasser les clivages linguistiques, privilégié dans les interactions quotidiennes informelles, ou l’anglais lorsque le contexte est plus institutionnel (administration, école, université). Loin de la psychose de la « latinisation » du pays, les vagues successives de migration ont plutôt renforcé le sentiment d’appartenance de ceux qui sont déjà installés, l’identification à un « nous » national face à un autre étranger (Triandafyllidou, 1998).
34De même, la frontière entre Créole et Mestizo, à Belmopan, est largement perméable et les deux catégories peuvent également se superposer. Ainsi Inés Sánchez, descendant de Mexicains venus au Belize au xixe siècle, pendant la guerre des Castes, un des premiers habitants de Belmopan, fut volontaire pour habiter la ville, à une époque où celle-ci peinait terriblement à se peupler. Un des rares civil servants à ne pas être créole dans les années 1970, il occupera des postes de responsabilité au sein du ministère de l’Éducation nationale (notamment celui de directeur des programmes dans tout le pays). De fait, au-delà de l’absence de commerces et de lieux de loisir, au-delà de l’isolement, Belmopan a été pour lui une ville bien plus accueillante que Belize City, précisément parce que chacun y avait une place alors qu’il se sentait étranger à Belize City. Originaire du nord du pays, trop loin pour faire des aller-retour réguliers, sans véritable attache à Belize City, il incarne cette figure du « pionnier » louée par George Price, venu s’installer à Belmopan dès la naissance de la ville et y résidant encore aujourd’hui. Le projet Belmopan n’a pas été qu’un mythe ou un outil politique mais a aussi favorisé, dans certains cas, une trajectoire d’ascension sociale et d’intégration nationale de ces Béliziens mestizos (mais aussi Mayas, Garifunas, Chinois, etc.). De fait, en tant que Chief Education Officier, il a rédigé de nombreux textes sur la nécessité d’enseigner une histoire nationale qui serait écrite d’un point de vue bélizien, s’associant lui-même directement à cette « révolution pacifique » et à la construction de la nation (voir par exemple Sánchez, 1977).
Conclusion
35Plus de 30 ans après la naissance de Belmopan, un constat s’impose : Belize City reste la principale ville du pays, reléguant Belmopan au rang de ville provinciale. Au recensement de 2010, Belize City comptait 65 042 habitants contre 13 351 pour Belmopan [http://www.statisticsbelize.org.bz/]. Si Belmopan devait accueillir les administrations publiques nationales, celles-ci sont souvent dédoublées, avec un siège à Belmopan et un autre à Belize City, ne facilitant pas leur fonctionnement. Un exemple parmi d’autres du rôle premier que continue à jouer Belize City dans la vie nationale nous est donné par la naissance, en 2000, du Musée du Belize. Accompagnant la marche vers l’indépendance du Belize, le projet de Musée est évoquée par le PUP dès 1969 (PUP Manifesto, 1969-1974), les leaders indépendantistes ayant bien conscience de la nécessité d’affirmer et de mettre en scène une « identité nationale ». Prévu pour être construit à Belmopan dans un discours a-ethnique affirmant l’appartenance nationale, la Musée est finalement installé à Belize City, dans l’ancienne prison coloniale, et met en avant la culture créole, notamment dans son lien avec la présence britannique (Price et Price, 1995 ; Cunin et Hoffmann, à paraître).
36Pourtant, Belmopan est désormais, en termes démographiques, la deuxième ville du pays à égalité avec Orange Walk (13 400 habitants) et devant les capitales régionales25 qui ne dépassent pas 10 000 habitants. Alors que la nation a des difficultés à émerger et que l’État ne contrôle pas des outils par ailleurs extrêmement faibles, la société suit des logiques centrifuges dans un contexte de globalisation et de valorisation de la diversité en décalage avec la construction d’un État-nation. Plus ou moins marquées, dans les pratiques et les représentations, les frontières entre les groupes renvoient à des registres d’appartenance multiples (nation, ethnicité, culture, communauté transnationale) qui se superposent, s’imbriquent ou s’excluent. On peut alors se demander si Belmopan ne joue pas, dans ce contexte, le rôle de plus petit dénominateur commun d’une nation improbable, remplissant ainsi, après bien des hésitations, la fonction d’intégration du territoire et de la population que lui avait réservée George Price.
37La ville est aujourd’hui le centre politique et universitaire du pays. Le transfert de la plupart des enseignements de l’University of Belize de Belize City à Belmopan et la construction d’un nouveau campus dans les années 2000 a ainsi favorisé l’arrivée de nombreux étudiants et professeurs, mouvement qui a lui-même créé des dynamiques inédites : demande de logements, activités culturelles et sportives, émergence de lieux de divertissement, multiplication des transports, etc. Les maisons standardisées des années 1970-1980 ont laissé place à un paysage urbain plus complexe, témoignant des différents stades de développement de la ville et de la présence d’une population plus diversifiée : plusieurs petites maisons cubiques de deux pièces ont été réappropriées avec l’ajout de vérandas, de garages, d’un étage ; les grandes pelouses homogènes ont été divisées en petits jardins coquets ; les quartiers périphériques se sont développés en dehors de toute planification architecturale (maisons en bois, parcelles de tailles différentes, luxueuses demeures). En outre, Belmopan est le point de passage obligé pour aller d’un lieu à un autre du pays : les routes traversant le territoire du nord au sud et de l’est à l’ouest passent toutes par la capitale. La construction d’une déviation sur la Northern Highway reliant le nord du pays (frontière avec le Mexique) à Belize City permet désormais d’aller directement du nord à Belmopan (puis au sud et à l’ouest du pays) sans passer par Belize City. On croise ainsi dans le centre de Belmopan des individus venus de tout le territoire et appartenant à tous les groupes ethniques afin de régler une question administrative dans un des ministères, de vendre des produits agricoles au marché ou pour s’inscrire à une des formations offertes par l’université. Au sein de la mosaïque bélizienne, Belmopan favorise l’émergence de quelques lieux de rencontre et d’interaction, qui restent néanmoins limités et circonstanciels.
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10.1080/014198798329784 :Notes de bas de page
1 Ce texte reprend une première analyse publiée dans la revue Études Caribéennes, n° 21, avril 2012.
2 Objet de rivalités entre la Grande-Bretagne et l’Espagne, le Belize devient la colonie du Honduras britannique en 1862, puis reprend le nom de Belize en 1973.
3 Une succession de traités autorise les colons à exploiter la forêt et fixe progressivement les limites du territoire sous contrôle britannique : traité de Madrid en 1670, traité de Paris en 1763, traité de Versailles en 1783, convention de Londres en 1786 (voir Toussaint, 1993).
4 Les deux termes sont utilisés dans le sens local de descendants d’unions entre Africains et Britanniques (Créoles) et entre Indiens et Espagnols (Mestizos).
5 Le projet était déjà présent dans le manifeste du PUP, People’s United Party, pour les élections de mars 1961 (quelques mois donc avant l’ouragan Hattie, le 31 octobre) et depuis 1957 dans les débats internes du PUP selon un militant de l’époque vivant à Belmopan.
6 Ce rapport ne comporte pas de date et d’éditeur. Il correspond à un voyage de GrierA. M., General Manager of the Redditch Development Corporation, et Prosser A. R. G., Adviser on Social Development to the Ministry of Overseas Development, au Belize du 30 juillet au 9 août 1969.
7 Côté bélizien, Recondev (Reconstruction and Development Corporation) est l’organisme directement chargé de gérer la construction de Belmopan. Originellement situé à Belize City, Recondev s’occupe des questions de reconstruction dans tout le pays ; son rôle change avec l’ouragan Hattie et la naissance de Belmopan. Il obtient ainsi un statut spécial pour administrer les fonds de la construction de la nouvelle capitale en 1962, puis devient gestionnaire de la ville jusqu’en 2000 (ordonnance de 1970).
8 Ce rapport cite les lettres de mission des ingénieurs : ceux-ci sont placés sous l’autorité du Secretary of State for the Colonies et devront « consulter » le gouvernement bélizien.
9 Il s’agit de Pauling, qui travaille dans toutes les colonies britanniques.
10 Kearns (1973, p. 147) parle ainsi de « calculated gamble ».
11 Ancêtre de l’actuel UDP, United Democratic Party, né en septembre 1973 d’une coalition rassemblant le NIP, le People’s Democratic Movement et le Liberal Party. Pour une présentation des différents partis politiques béliziens, voir Shoman, 1987.
12 Quatre lieux furent proposés : Miles 51 sur la Western Highway près du village de Roaring Creek (site retenu en 1962), qui avait le soutien du gouvernement du Belize et de Henry Fairweather, urbaniste bélizéen ayant coordonné la reconstruction de Corozal quelques années auparavant ; Miles 31 sur la Western Highway près du village de Colonel English Creek, appuyé par des consultants en urbanismes venus de Jamaïque et du Costa Rica ; Stann Creek Valley (village de Pomona) ayant le soutien du Colonial Office ; et une dernière localisation ayant peu retenu l’attention, dans le secteur de Mountain Pine Ridge (près de San Ignacio).
13 La ville a ainsi été planifiée en cinq quartiers (classés de A à E) selon des critères de revenus.
14 En voyage en Angleterre pour convaincre le gouvernement de financer la construction de la nouvelle capitale, George Price aurait ainsi défendu son projet en l’ancrant dans un passé maya jusqu’alors largement minoré. « To impress Sir Anthony and his government, something unusual and memorable had to be done. The answer was a monument, in the form of an ancient Maya Stela at mile 49 on the Western Highway near the present site of Belmopan. The monument marked the year in the characters of ancient Maya language » (Galvez et Greene, 2000, p. 43). Price est également l’auteur d’un poème intitulé The New Capital et célébrant la civilisation maya. Signalons néanmoins que les travaux de nettoyage de la zone ont en grande partie détruit les vestiges archéologiques se situant sur le site de la future ville de Belmopan (Topsey, Awe, Morris, Moore, 1983, p. 12).
15 Noms des deux rivières qui marquent les limites territoriales du Belize, au Nord et au Sud.
16 Contrairement aux conclusions des rapports d’experts, le gouvernement britannique, soutenu par George Price, estimait qu’il fallait considérer Belize City comme une « dying city » dans laquelle seuls les investissements permettant son maintien auraient été autorisés. « The building of a new capital and the replanning of the old capital had become alternative, rather than complementary, courses of action » (Ministry of overseas development, 1974, p. 36).
17 Ces derniers ont d’ailleurs mauvaise réputation, accusés de vivre à l’écart (une rue leur est réservée), de se retrouver dans un club social extrêmement fermé et de symboliser des relations de domination coloniale dont le Belize essaie de se défaire. Davis (1991) parle ainsi de rancune à l’encontre des Britanniques, accusés de ne rien connaitre du Belize.
18 Les projets initiaux prévoyaient une population de 5 000 habitants en 1970, chiffre qui devait être rapidement multiplié par 6 pour atteindre 30 000 habitants. Néanmoins, le 1er août 1970 la ville ne comptait que 1 500 habitants et n’atteignait toujours pas les 3 000 habitants en 1980 (Belize, Abstract of Statistics 2000).
19 Voir aussi les extraits d’entretiens réalisés avec certains des fondateurs de la ville pour son 35e anniversaire (The Belmopan City Council, The Belize Archives Department, The George Price Centre for Peace and Development, 2005). Ou Arana (1995) notamment le chapitre iv intitulé « Hardly anyone wanted to live in Belmopan ».
20 Nombreux sont aussi ceux qui, suite à l’ouragan Hattie, migrent vers les États-Unis (facilité de l’obtention de visa, proximité linguistique).
21 Le nombre de réfugiés est estimé entre 30 000 et 50 000 pour une population totale de 185 970 habitants en 1991 (Collins, 1995).
22 La catégorie « mestizo » est particulièrement ambiguë puisqu’elle renvoie à une différenciation superposant dimensions raciale, ethnique, nationale, culturelle et régionale. Le mestizo, dans le sens qui lui est attribué en Amérique latine en général, est le descendant d’Espagnols et d’Indiens. Au Belize, il intègre à fois les réfugiés centre-américains fuyant, dans les années 1980, les guerres civiles et la crise économique, mais aussi une population arrivée bien avant sur le sol du Belize, chassée par la guerre des Castes, au Mexique, au milieu du xixe siècle.
23 Les individus nés à l’étranger étaient au nombre de 34 276 pour une population totale de 232 111 habitants selon le recensement de 2000.
24 Moberg (1997) montre, dans le cas des bananeraies, au sud du pays, que les rivalités économiques produisent une division des Mestizos en fonction de leur nationalité (salvadoriens, guatémaltèques, honduriens).
25 Le Belize est divisé en 6 entités administratives territoriales appelées « districts ».
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