São Luís, capitale du Maranhão, capitale rêvée de la France équinoxiale
p. 193-202
Texte intégral
1En décembre 1997, à Naples, le comité du Patrimoine mondial prenait la décision d’inscrire la ville de São Luís do Maranhão, plus exactement son centre historique, sur la liste du Patrimoine mondial de l’Humanité établie par l’UNESCO. Certes, cette inscription n’était pas la première décision concernant un bien culturel du Brésil : sept villes avaient déjà été inscrites dont trois avaient exercé une fonction de capitale. Par exemple, l’ancienne capitale de la capitainerie du Minas Gerais, Ouro Preto (1980), l’ancienne capitale du vice-royaume du Brésil, Salvador de Bahia (1985) ou encore l’actuelle capitale de la République fédérale du Brésil, Brasília (1987), avaient déjà été distinguées par l’UNESCO.
2Cette inscription représentait, pour Roseana Sarney, alors gouverneur de l’État du Maranhão et fille de l’ancien président du Brésil, José Sarney (1985-1990), « la reconnaissance par la plus importante entité culturelle du monde de notre patrimoine et des efforts entrepris pour sa préservation1 ». La ville de São Luís do Maranhão concentrait ainsi les projecteurs de l’actualité culturelle mondiale : elle était devenue, selon le représentant de l’UNESCO, « référence culturelle pour le monde2 ». L’originalité de son architecture et son cadre urbain des xviiie et xixe siècles constituaient le fondement de son classement.
3Cependant, dans le volumineux dossier envoyé par les autorités brésiliennes expertisé par l’UNESCO, il était explicitement rappelé qu’à l’origine de la création de cette « ville équatoriale » se trouvait une « expédition française » et que, le 8 septembre 1612, « le port et le village de Saint-Louis ainsi nommé en hommage au roi saint et au jeune Louis XIII » avaient été fondés3.
4Dès 1947, l’anthropologue Pierre Verger avait témoigné de cet héritage du roi de France dans la mémoire patrimoniale des cultes afro-brésiliens de São Luís. Constat était alors fait que le roi saint Louis, réincarné dans le corps d’une fille-de-saint de la Maison des Nagos, dansait au Maranhão. Comme le soulignait l’historienne Andrea Daher, « tous les ans le 25 août, Saint-Louis, roi de France s’incarne dans le corps des fils-de-saint des temples afro-brésiliens de la vile de São Luís do Maranhão, dans le nord du Brésil4 ». Certes, entre Louis IX le juste alias saint Louis, roi de France de 1226 à 1270, et Louis XIII, roi de France de 1610 à 1643, la mémoire immatérielle s’était construite sur une équivoque, mais la référence à la fondation de la ville, d’origine française, ne faisait aucun doute.
5Pourtant, dans l’historiographie luso-brésilienne, toute allusion à un événement autre que d’origine portugaise dans la formation historique du Brésil se voyait assimilé à une « invasion » : tel était bien le cas des invasions « française » ou « hollandaise ». Aussi, attribuer explicitement la création d’une ville brésilienne, mondialement reconnue dans le domaine culturel, à une « expédition française » apparaissait comme une entorse exceptionnelle à l’uniformité du discours de construction « nationale ». En revendiquant l’exception historique de sa fondation française, São Luís confirmait son ambition d’être un « carrefour des cultures », selon la terminologie de la publication officielle de l’ouvrage de référence de son inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO5. N’était-ce pas une manière de rappeler, qu’avant d’être la capitale du modeste Etat du Maranhão du Brésil, São Luís avait été la « capitale rêvée » d’une utopie, l’accomplissement messianique de la « monarchie du Lys », qui avait pu exister à un moment de son histoire6 ?
La France équinoxiale et l’origine de la fondation de Saint-Louis du Maragnan
6Certes, entre juillet 1612, lorsque débarquèrent sur l’île de Maranhão Daniel de la Touche, seigneur de La Ravardière, François de Razilly et Nicolas de Harlay, les chefs de l’expédition, accompagnés de quelques cinq cents hommes et quatre missionnaires capucins, et la capitulation de La Ravardière, le 4 novembre 1615, devant les troupes portugaises commandées par Jerônimo de Albuquerque et Alexandre de Moura, l’expédition française de la France équinoxiale au Maranhão ne dura qu’un peu moins de trois ans et demi. Mais ces trois années marquèrent l’histoire de São Luís à tel point que furent fondés le fort de Saint-Louis, à l’origine de la ville, et le port de Sainte-Marie, en hommage à Marie de Médicis, la reine mère, qui assurait alors la régence de Louis XIII.
7En fait, l’intérêt des Français pour le Maranhão, qu’ils appelaient alors Maragnan, remontait à une quinzaine d’années. Cet intérêt pour le Maragnan était partagé avec l’attrait de la Guyane consacrant l’attraction de cette région entre Orénoque et Amazone. En effet, ni les Espagnols ni les Portugais n’occupaient cette région même si le traité de Tordesillas de 1494 avait établi un compromis entre les deux puissances ibériques pour se partager exclusivement les « terres découvertes ou à découvrir » de l’espace atlantique consécutif à l’expédition de Christophe Colomb et à la bulle pontificale Inter Coetera (1492-1493). Cette immense zone côtière de trois mille kilomètres du Nord de l’Amérique du Sud constituait une sorte de ventre mou des conquêtes des deux monarchies ibériques réunies sous la houlette de l’Espagne depuis l’union des deux couronnes de 1580, dans lesquelles les deux puissances rivales de l’Espagne et du Portugal cherchaient à s’engouffrer.
8Walter Raleigh avait vanté les richesses de cet Eldorado du Nouveau Monde en 1596 dans son ouvrage à succès : The discovery of the large, rich and beautiful empire of Guyana, imprimé à Londres en 1596 à la suite de son expédition de 1595 à la recherche de la ville d’or de Manoa. De son côté, le capitaine Jacques Riffault avait convaincu le gentilhomme tourangeau réformé Charles des Vaux d’explorer cette région de Maragnan dès 1594. Henri IV avait été captivé aussi bien par les récits de Walter Raleigh que par ceux de Charles des Vaux. L’attrait de cette zone côtière était même d’autant plus fort qu’un certain Walter Usselinx avait attiré l’attention des Provinces Unies vers cette région mais les intérêts de la Compagnie hollandaise des Indes orientales, fondée en 1602, avaient été estimés alors prioritaires et la Compagnie hollandaise des Indes orientales ne fut créée qu’en 1621.
9En 1598, avec le rétablissement de la « paix intérieure » dans le royaume de France obtenue par l’édit de Nantes (13 avril) et l’instauration de la « paix des armes » avec Philippe II d’Espagne par le traité de Vervins (2 mai), Henri IV n’allait pas tarder à engager une politique d’expansion outre-mer : le « grand dessein » des « horizons du règne » se dessinait vers l’ouverture aux « horizons du monde » (Yves Cazaux)7.
10En 1603, le gouverneur de Rennes, René-Marie de Montbarrot, lieutenant général en Guyane depuis 1602, sollicita La Ravardière pour conduire en son nom une expédition à destination de l’embouchure de l’Amazone. La Ravardière appareilla de Cancale le 12 janvier 1604, alors qu’un autre noble protestant, Pierre Dugua, seigneur de Mons, s’embarqua à Honfleur à destination de l’Acadie quelques jours plus tard, le 7 avril. On sait comment l’entreprise de Dugua de Mons se transforma en succès dans l’Amérique française grâce aux initiatives de Samuel Champlain et à la fondation de Québec en 1608.
11L’expédition de La Ravardière, pour sa part, fut de retour à Cancale le 15 août 1604. La Ravardière était accompagné de Jean Mocquet, le futur garde du cabinet des Singularités du Roi, dont le récit enchanta Henri IV8. Le 3 juillet 1605, Henri IV nomma La Ravardière lieutenant général « en la terre d’Amérique depuis la rivière des Amazones jusqu’à l’île de la Trinité ». Mais l’organisation de l’expédition de La Ravardière mit quelque temps à être mise en œuvre et ce ne fut qu’en juillet 1609 qu’il lança son projet équinoxial en direction du Maragnan. Il se proposait de rendre compte de son entreprise de colonisation, à son retour à Cancale le 1er mai 1610, lorsque fut connue la nouvelle de l’assassinat du roi, le 14 mai. Dès lors, sauvegarder cette entreprise du Maragnan obligeait La Ravardière à prendre de nouvelles orientations9. Si Marie de Médicis le confirma, au nom du jeune roi Louis XIII, à sa lieutenance générale, il fut contraint de s’associer dès le 6 octobre 1610 à un noble catholique François de Razilly puis à Nicolas de Harlay en septembre 1611, le principal financeur de l’entreprise de colonisation du Maragnan. Tous trois se retrouvèrent désormais « lieutenants généraux pour Sa Majesté aux Indes Occidentales et Terres du Brésil ». Ils furent ainsi associés dans cette expédition de cinq cents hommes qui partit de Cancale le 1er mars 1612 accompagnée d’une mission de quatre membres de l’ordre des Capucins, les pères Yves d’Évreux, Claude d’Abbeville, Arsène de Paris et Ambroise d’Amiens. En effet, les supérieurs de la province de Paris avaient désigné Yves d’Évreux comme le supérieur de la mission. Le couvent des Capucins de Paris, fondé en 1575 par Marie de Médicis, bénéficiait au début du xviie siècle d’un grand prestige et François de Razilly avait sollicité Marie de Médicis pour que l’ordre puisse envoyer ses représentants implanter la foi catholique au Brésil. Comme le constata Andrea Daher, « l’occasion est ainsi offerte aux capucins d’étendre leur tâche missionnaire au-delà des limites de la France, et de se lancer pour la première fois vers des missions lointaines10 » et le protestant La Ravardière s’était trouvé dans l’obligation d’accepter cette réorganisation pour mettre en œuvre son entreprise de colonisation.
Saint-Louis, capitale du spectacle de la cour de france
12Cette entreprise dont la fondation du fort Saint-Louis le 8 septembre 1612 fut le point d’ancrage de la France équinoxiale, connut pendant 2 ans son heure de gloire. Elle fut portée par une véritable « campagne publicitaire » (Andrea Daher) dans le royaume de France11. Puis elle connut non seulement une défaite de ses principaux acteurs sur le territoire du Maragnan en novembre 1615 mais surtout elle fut victime d’une tentative de « damnatio memoriae » de la part des principaux dignitaires de la monarchie des Bourbons.
13En 1613 et 1614, la France équinoxiale de Saint-Louis du Maragnan trouva une place de choix dans la « propagande de la foi » mise au point par l’ordre des Capucins et par les échos médiatiques d’une cour de France que Marie de Médicis s’efforçait de promouvoir pour faire de Paris, à l’instar de Florence, selon l’expression de Sara Mamone, une « capitale du spectacle12 ». Ainsi entre le 12 avril et le 24 juin 1613, le Maragnan fut un de ces spectacles parisiens.
« Le vendredi 12 avril 1613, commente Maurice Pianzola d’après le récit du Père Claude d’Abbeville, une petite troupe se présente à l’entrée du faubourg Saint-Honoré où l’attendent quelque cent à cent vingt capucins… On forme une procession qui s’approche en chantant des portes du couvent où se trouva un grand nombre de personnes de qualité qui rendaient hommage du contentement qu’elles avaient de notre sainte et heureuse conquête, étant toutes bien aise de voir ces pauvres sauvages revêtus de leur beau plumage, tenant leur maracas à la main. La foule est si dense que le cortège pénètre avec peine dans l’église, se faufilant entre les deux rangées des Pères qui les protègent, étant donné le nombre de princesses, de dames et autres personnes de mérite qui s’étaient là trouvées. On est obligé de se retirer à l’intérieur du couvent, mais le nombre de curieux augmentant sans cesse, le Roi fait lui-même placer des gardes à l’entrée du bâtiment… “Incontinent après notre arrivée, le Révérend Père Commissaire – le Révérend Père Archange de Pembroke –, accompagné sur sieur de Razilly et de moi, conduit les susdits Indiens au Louvre où selon les anciennes cérémonies de France, ils firent hommage à notre roi très chrétien, soumirent leur terre et leurs personnes à son sceptre.” »
14Et Maurice Pianzola de préciser :
« C’est vraiment l’événement parisien de la semaine. Ce qu’on vient voir en foule, ce sont des hommes qui surgissent d’un monde inimaginable, des sauvages vivant, parlant, chantant et dansant, c’est en un mot notre image inversée, l’exotisme appuyé sur un rêve politique13. »
15Après avoir décrit cette arrivée au couvent des Capucins des six Indiens « ambassadeurs tupinambas à Paris » ramenés par François de Razilly et le Père Claude, Maurice Pianzola présente en ces termes la réception « des hommes nus au Louvre » : « Pendant cette cérémonie, l’Indien Itapoucou prononce une harangue dans sa langue, remerciant le Roi et le priant d’envoyer au Maragnan encore plus de prophètes et de grands guerriers, l’assure qu’eux-mêmes demeurent ses très humbles sujets et les fidèles amis de tous les français. » Le roi, qui n’a que douze ans, visiblement ému, ordonne spontanément « de leur faire entendre qu’il les conserverait contre tous comme ses propres sujets », et la reine ajoute qu’elle enverra de nouveaux prophètes, et « nombre de Français généreux pour les maintenir et les défendre14 ».
16Quelques semaines plus tard, le 24 juin 1613, l’autre grand spectacle parisien fut la cérémonie de baptême de trois des six tupinamba. En effet, les Tupinamba ne furent que trois à avoir survécu à « l’air de Paris ». Le père Claude évoqua le baptême sur « un ton édifiant15 ». Non seulement la « campagne publicitaire » des Capucins reproduisit cet événement grâce à l’imprimerie et de façon écrite mais, conformément aux techniques de communication en cours en ce début du xviie siècle, elle s’efforça de frapper les imaginations en utilisant les images, et comme se plut à le souligner Serge Gruzinski dans son essai sur « la guerre des images ».
17Et Andrea Daher de préciser :
« Sur la gravure qui représente le baptême solennel dans l’Eglise de la rue du Faubourg Saint-Honoré, les trois indiens sont agenouillés, tournés vers la droite, face à l’Evêque de Paris, qui était accompagné d’un diacre, d’un porte-croix et de trois Pères Capucins. Marie de Médicis et Louis XIII sont représentés avec leur suite plus en avant, entourant les trois Tupinamba. Le sens spatial, scénique, de la cérémonie est restitué au travers de l’image et garanti par la description16. »
18La publication, au début de l’année 1614 de l’Histoire de la Mission des Pères Capucins en L’Isle de Maragnan et terres circonvoisines : ou est traicte des singularitez admirables et des Meurs merveilleuses des Indiens habitants de ce pays… du père Claude d’Abbeville a constitué le point culminant de cette campagne médiatique relatif à la France équinoxiale. Cet ouvrage faisait suite à la publication de cinq lettres largement diffusées dont la première fut imprimée dès août 1612 et les quatre autre en 1613. Andrea Daher constatait alors : « La mission brésilienne est devenue l’objet d’une véritable campagne publicitaire au nom, d’une part, de la gloire du zèle apostolique de l’Ordre des Capucins et, de l’autre, de la prospérité du projet colonial du Brésil17. » Le fort Saint-Louis apparaissait donc bien comme la « capitale rêvée » de la France équinoxiale. Mais le rêve s’écroula en quelques mois.
De la « capitale rêvée » à la « capitale abandonnée »
19La capitulation de La Ravardière, le 4 novembre 1615, en fut l’illustration. Mais avant même cette capitulation, son écroulement avait été scellé sur le plan médiatique. Le spectacle brésilien était terminé. La destruction, dans les ateliers mêmes de l’imprimeur François Huby, des exemplaires de l’ouvrage, pourtant publiés « avec privilège du Roy », et comprenant une dédicace explicite à Louis XIII, du père Yves d’Évreux intitulé : Suite de l’histoire des choses plus mémorables advenues en Maragnan, ès années 1613 et 1614. Second traité fut la preuve symbolique, plus que la capitulation, de l’écroulement de ce rêve équinoxial.
20Alors que le père Claude d’Abbeville n’était resté que quelques mois au Maragnan et se trouvait de retour en France en avril 1613, le père Yves d’Évreux y resta deux ans. Son ouvrage se présentait comme une suite à celui du père Claude : il débutait par une lettre à Louis XIII rappelant l’honneur des rois de France et la figure de saint Louis, l’amour naturel des « sauvages » envers les Français et leur « haine » des Portugais, puis il développait aussi bien des aspects messianiques de la nouvelle stratégie de conversion des Indiens spécifique à l’ordre des Capucins et dont, évidemment, bénéficia l’entreprise de colonisation française si différente de celles des Espagnols et des Portugais.
21Mais le contexte politique n’était plus favorable à cette entreprise française du Maragnan. L’époque du soutien d’Henri IV aux projets de La Ravardière ainsi que son héritage au tout début du règne du jeune Louis XIII était bien oubliée : l’alliance avec l’Espagne de Philippe III, l’espagnol honni, avait fini par devenir une marque de la nouvelle politique de la reine mère régente Marie de Médicis. Et le mariage de son fils, Louis XIII, avec la fille de Philippe III de Habsbourg, l’infante Anne d’Autriche, envisagé dès 1612, concrétisa cette alliance : le mariage finit par se réaliser à Bordeaux fin novembre 1615. La capitale parisienne du spectacle ne pouvait donc plus tolérer une quelconque offense envers le monarque espagnol devenu aussi, depuis Philippe II, roi du Portugal.
22Malgré les efforts désespérés du protestant La Ravardière et du catholique François de Razilly, malgré l’engagement de l’ordre des Capucins dans leur projet messianique de conversion des Indiens Tupinamba dans la foi catholique portée par la monarchie du Lys, la France équinoxiale et le Maragnan ne pouvaient plus être soutenus. La « capitale rêvée », Saint-Louis du Maragnan, ne pouvait que se transformer en « capitale abandonnée ». En 1615, La Ravardière ne reçut pas les renforts encore promis l’année précédente. Et il ne subsista que trois exemplaires de l’ouvrage du père Yves dont Ferdinand Denis en retrouva un par hasard en 183518.
De Saint-Louis du Maragnan à São Luís do Maranhão, seconde capitale de l’Amérique portugaise
23Qu’advint-il de Saint-Louis, la capitale « rêvée » de la France équinoxiale après la capitulation de La Ravardière ? Les troupes portugaises, commandées par Alexandre de Moura et Jerônimo de Albuquerque, occupèrent l’île de Maranhão à partir du 4 novembre 1615. Les Portugais poursuivirent leur occupation du littoral nord de l’Amérique du Sud vers l’Ouest en 1616, jusqu’au Pará et à l’embouchure de l’Amazone, où ils construisirent le fort de Presépio, noyau de la future ville de Belém. Une entreprise de colonisation du Maranhão se dessina et l’ingénieur Francisco de Frias de Mesquita dessina un plan d’urbanisation à caractère géométrisant de la ville de São Luís dès 1615.
24Certes, les nouveaux conquérants s’efforcèrent de donner un nouveau nom, celui de Philippe, au fort construit par les Français. Mais si le nom de Sainte-Marie donné au port de l’île de Maragnan en l’honneur évidemment de la Vierge mais aussi de la reine mère Marie de Médicis tomba dans l’oubli, celui de saint Louis fut sauvegardé par les populations locales, et « lusitanisé » en São Luís. Celui de Philippe fut abandonné.
25São Luís devint la capitale d’une nouvelle entité de l’Amérique portugaise en 1621, la capitainerie de l’État du Maranhão. La décision d’établir ce nouvel État, distinct de l’État de Brésil, par la Carta Regia du 13 juillet 1621 de Philippe III d’Espagne, Philippe II au Portugal, impliquait la mise en place d’une liaison directe entre São Luís et Lisbonne, sans passer par Salvador de Bahia. En 1654, après la difficile épreuve pour le Portugal du Brésil hollandais où São Luís fut à nouveau occupé, l’État du Maranhão fut transformé en État du Maranhão e Grão Pará (Carta Régia du 25 août). São Luís demeura la capitale de cet Etat qui traduisait l’impact de la poussée brésilienne vers l’Ouest et le réseau fluvial amazonien jusqu’en 1722 où l’État du Maranhão e Grão Pará fut subdivisé en deux États administrativement distincts (Carta Régia du 20 août) : au Grão Pará était adjoint la capitainerie de São José de Rio Negro et le Piauí était rattaché au Maranhão dont São Luís demeurait la capitale.
26Puis, avec la Carta Régia du 6 août 1753, le nord de l’Amérique portugaise se trouvait réunifié dans l’État du Grão Pará e Maranhão dont la capitale devenait Belém do Pará. Une telle situation perdura une vingtaine d’années, marquées par la création d’une grande compagnie de commerce, la Companhia Geral do Comércio do Grão Pará e Maranhão à l’initiative du marquis de Pombal.
27L’État du Grão Pará e Maranhão fut réorganisé en 1774 où São Luís redevint la capitale de la capitainerie du Maranhão. Si la proclamation de l’indépendance du Brésil le 7 septembre 1822 conduisit le Maranhão sur la pente d’une « résistance légitimiste » pendant près d’un an envers Lisbonne, le nouvel empire du Brésil fit de São Luís la capitale de la province du Maranhão en juillet 182319.
28La publication officielle établie à l’occasion de l’inscription de São Luís au patrimoine mondial de l’UNESCO rappelait en ces termes l’évolution de São Luís depuis le dernier quart du xviiie siècle :
« C’est alors que commencent les premiers travaux d’aménagement de la ville. Le plus important fut sans doute celui de la Praia Grande, plage servant d’ancrage aux bateaux, elle fut transformée en port, avec quai. En arrière du quai et du marché couvert le largo do Comercio vint rappeler la glorieuse Praça do Comércio de Lisbonne, qui lui faisait face, de l’autre côté de l’océan. Par ailleurs, le Palais des Lions, siège du gouverneur général, sur l’emplacement de la forteresse fondée par les français, est plusieurs fois remanié et embelli. La fin des travaux de Praia Grande est marquée, en 1805, par l’inauguration du marché couvert, la Feira do Praia Grande ou Casa das Tulhas, dont la restauration en 1981 inaugurera le Programme de Préservation de São Luís20. »
29La construction de ce palais des Lions en 1685 sur l’emplacement du fort Saint-Louis ne pouvait-elle mieux symboliser la rupture avec la « capitale rêvée » de la France équinoxiale et sa renaissance de « capitale abandonnée » en capitale de l’État du Maranhão e Grão Parà, cette seconde Amérique portugaise ?
30En ce sens, la décision de l’Unesco d’inscrire le centre historique de São Luis do Maranhão sur la liste du Patrimoine mondial de l’Humanité a bien permis de rappeler un épisode notable de l’histoire du Brésil, celui d’une ville fondée par les Français à l’époque de Louis XIII. Cette ville fut bien la « capitale rêvée » d’un empire « abandonné ».
Notes de bas de page
1 Préface : « São Luís, Patrimoine Mondial, Patrimoine de l’Humanité », page 9 de l’ouvrage : Centro Histórico de São Luís Maranhão, Brasil. Património mundial, São Paulo, 1998. On consultera aussi la thèse de Marcet S. : La ville en scène : patrimonialisation, fêtes de rues et renouveau des centres historiques de Goías et São Luís do Maranhão au Brésil (1980-2004), université de La Rochelle, 2008, 3 volumes (sous la direction de Laurent Vidal).
2 Idem, p. 9.
3 Ibid., p. 28.
4 Daher A., Les singularités de la France équinoxiale. Histoire de la mission des pères capucins au Brésil (1612-1615), Paris, Honoré Champion, 2002, p. 25. Le témoignage de Pierre Verger se trouve dans Cinquenta anos de fotografía, Salvador, Ed. Corrupio, 1982. D’autre part, de Augras M. : « Le roi Saint-Louis danse au Maragnan », Cahiers du Brésil contemporain, 1988, n° 5, p. 77-90.
5 Centro Histórico…, op. cit., p. 31.
6 Crouzet D. : « À propos de quelques regards de voyageurs français sur le Brésil (vers 1610-1720) : entre espérance, malédiction et dégénérescence », in K. Mattoso, I. Muzart Fonseca dos Santos, D. Rolland, Naissance du Brésil moderne (1500-1808), Paris, Presses de l’université de Paris-Sorbonne, 1998, p. 78.
7 Martinière G., « Dugua de Mons en Nouvelle-France et La Ravardière en France équinoxiale : deux acteurs protestants de la France d’outre-mer au xviie siècle », in M. Augeron, D. Poton et B. Van Ruymbeke (dir.), Les Huguenots et l’Atlantique. Pour Dieu, la Cause et les Affaires, Paris, les Indes savantes, PuPS, 2010, p. 221-230. Dans le même ouvrage, on consultera aussi l’article de Fornerod N., « Daniel de La Tousche, sieur de la Ravardière, et la France équinoxiale du Maranhão », p. 247-26 ainsi que du même auteur : « La France équinoxiale du Maranhão : enjeux et incidences d’un échec colonial », p. 103-125, in J.-Y. Mérian (dir.), Les aventures des Bretons au Brésil à l’époque coloniale, Rennes, Les Portes du Large, 2007 et Obermeier F., « La colonie française du Maranhão (1612-1615), l’importance d’un épisode colonial oublié » p. 127-149. On consultera aussi de Bonnichon P. : Des cannibales aux castors, Paris, France-Empire, 1994, et de Cazaux Y. : Henri IV, les horizons du règne, Paris, Albin Michel, 1986.
8 Mocquet J., Voyages en Afrique, Asie, Indes orientales et occidentales, Paris, Jean de Heuqueville, 1617, p. 69-153.
9 Enfin, dans l’énorme bibliographie concernant Henri IV, voir plus particulièrement : Martinière G., « Henri IV et la France équinoxiale », Avènement d’Henri IV. Quatrième centenaire, colloque Pau-Nérac 1989, Pau, J et D Éditions, 1990, p. 425-483 ; Barbiche B., « Henri IV et l’outre-mer : un moment décisif », in R. Litalien et D. Vaugeois (dir.), Champlain. La Naissance de l’Amérique française, Montréal, Les Éditions du Septentrion, 2004.
10 Daher A., Les singularités de la France équinoxiale…, op. cit., p. 47. Sur l’aspect messianique du projet, voir l’article de Crouzet D. : « À propos de quelques regards de voyageurs français », op. cit., p. 47-117.
11 Idem, p. 80 et p. 246. Il est très intéressant de lire l’article, ancien mais très utile, de Le Gentil G., « La France equinoxiale », Biblos, Publicações do Instituto de estudos franceses, 1933.
12 Mamone S., Paris et Florence, deux capitales du spectacle pour une reine, Marie de Médicis, Paris, Le Seuil, 1990, d’après l’ouvrage original : Firenze e Parigi : due capitali dello spettacolo per una regina, Maria de Medicis, Milan, Amilcare Pizzi S.p.A., 1987.
13 Pianzola M., Des Français à la conquête du Brésil. xviie siècle. Les perroquets jaunes, Paris, L’Harmattan, 1991, p. 23-24.
14 Idem, p. 24. On consultera aussi les commentaires de Daher A., op. cit., p. 241 et suiv.
15 Daher A., op. cit., p. 276.
16 Idem, p. 276. D’autre part, de Gruzinski S., La guerre des images de Christophe Colomb à « Blade Runner » (1492-2019), Paris, Fayard, 1990.
17 Daher A., op. cit., p. 80.
18 On se reportera aux remarques d’Hélène Clastres dans sa réédition de l’ouvrage d’Évreux Y., Voyage au nord du Brésil fait en 1613 et 1614, Paris, Payot, 1985, ainsi qu’aux commentaires de Daher A., op. cit., p. 86.
19 Sur ces différents aspects de l’évolution de l’État du Maranhão et du rôle administratif de sa capitale São Luís, on consultera, parmi de nombreux ouvrages, la synthèse de Meireles M., França Equinoccial, São Luís, Ed. Civilizaçáo Brasileira-Secretaria de Cultura de Maranhão, 1982, p. 117 et suiv.
20 Centro Histórico de São Luís…, op. cit., p. 50.
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