Rio de Janeiro, une capitale pour la monarchie portugaise : la vision de D. Luís da Cunha à la tête de la vice-royauté du Brésil (1736-1763)
p. 41-58
Texte intégral
1Penser la centralité de l’empire portugais au-delà de son territoire européen1 2, c’était la stratégie proposée par le père Antônio Vieira au xviie siècle3, et mûrie par Dom Luís da Cunha au cours de la première moitié du xviiie qui, de « pure vision » ou rêve, s’est concrétisé avec le transfert de la famille royale et de la cour portugaise à Rio de Janeiro au début du xixe siècle. L’extension vers le Nouveau Monde du rôle de ville-cour européenne était, dans le cas de Rio de Janeiro, une expérience unique, qui faisait de cette ville coloniale d’outre-mer la première capitale extra-européenne de la civilisation occidentale.
2Cet article se propose de réfléchir sur l’idée de transfert de la capitale et de la cour portugaise d’Europe en Amérique – et plus particulièrement de Lisbonne à Rio de Janeiro, telle que l’a conçue l’un des plus remarquables conseillers politiques portugais du xviiie siècle, D. Luís da Cunha, oracle politique de Dom João V. Nous chercherons à dévoiler, ou simplement à soulever des hypothèses sur les raisons qui ont poussé à choisir Rio de Janeiro pour que le rêve devienne enfin réalité : accueillir la cour et faire de cette ville la capitale de la monarchie et de l’empire portugais.
3D. Luís da Cunha est né à Lisbonne en 1662. Fils cadet d’une famille noble, il a suivi à Coimbra les cours des Cânones, obtenant sa licence à 23 ans, en 1684. Il a été nommé à de nombreux postes de la magistrature au Portugal, et entre 1697 et 1712, il a exercé la fonction d’envoyé extraordinaire – sorte d’ambassadeur – auprès de la cour de Londres. En 1712, il est parti en Hollande, où il est resté jusqu’en 1716, jouant un rôle actif dans les négociations de paix à Utrecht, qui ont mis fin à la Guerre de Succession espagnole (1701-1713). Puis il est rentré à Londres, a servi à la cour de Hanovre (1716), est retourné en Hollande (1717-1719), est passé par Madrid (1719-1720), a participé au Congrès de Cambrai et est finalement resté à Paris de 1720 à 1725. Il a résidé à Bruxelles de 1725 à 1728 et, à partir d’alors et ce jusqu’en 1736, il a été ambassadeur à La Haye. Dans ces diverses fonctions diplomatiques au service du Portugal, il a acquis une grande expérience politique. Ces nombreuses années passées au sein de cours étrangères lui ont permis de cultiver un certain cosmopolitisme et de développer un esprit critique et érudit. Mais ces années lui ont surtout donné une vision véritablement « impériale » de la situation du Portugal et de ses territoires d’outre-mer.
4En 1736, à 74 ans, il a commencé la rédaction des Instruções Políticas4 à la demande de Marco Antônio de Azeredo Coutinho, son ami et disciple, qui était en mission diplomatique à la cour de Londres. Mais il n’a jamais pu envoyer ses écrits à son ami, les remettant plus tard à son neveu, D. Luís da Cunha Manuel. Selon Abílio Diniz Silva, qui les a récemment publiées :
« En parcourant attentivement l’importante correspondance diplomatique et personnelle [de D. Luís da Cunha], de 1696 à 1736, rien n’est plus facile que de constater que les Instruções Políticas sont un mélange de ses mémoires, de ses projets pour la revitalisation du Portugal (qu’il rédigeait dans les “heures mélancoliques” sans jamais les envoyer à la cour, afin de ne pas passer pour “planificateur inutile”), et de conseils et d’enseignements d’ordre personnel et politique pour les futurs dirigeants Marco António de Azeredo Coutinho et D. Luís da Cunha Manuel, son neveu » (Silva, 2001, p. 141).
5Ce qu’il faut souligner dans ces Instruções Políticas, c’est ce projet, cher à D. Luís, de transfert de la cour portugaise au Brésil, et plus particulièrement à Rio de Janeiro. Il s’agissait encore sans doute, à cette époque – en 1736 – d’un projet assez visionnaire, mais qui s’avérerait, des décennies plus tard, quelque peu prémonitoire. D. Luís lui-même tournait son idée en dérision quand il affirmait : « Je sais bien que lorsque Votre Seigneurie aura vent de mon idée elle se signera, croyant à une folie, car comment un homme qui a toute sa tête peut seulement imaginer que le roi du Portugal échangeât un jour sa résidence en Europe contre une autre en Amérique » (Silva, 2001, p. 371).
6Mais comment justifiait-il alors ce rêve, cette folie ?
7Dans les Instruções Políticas, D. Luís remontait au début du xviiie siècle, et plus précisément aux négociations de paix d’Utrecht (1713-1715). Il affirmait qu’à cette époque, il s’était souvenu d’un conseil que son arrière-grand-père, D. Pedro da Cunha, avait donné à D. Antônio, prieur du Crato, à l’occasion d’une dispute entre celui-ci et Philippe II de Castille pour la Couronne du Portugal, suite à la mort de Sebastien Ier dans la célèbre bataille de Ksar el-Kébir (1578). Alors que l’avenir du royaume était encore incertain et que le duc d’Alba – général fidèle aux Habsbourg – marchait avec 24 000 hommes contre le Portugal, D. Pedro da Cunha avait conseillé à D. Antônio d’embarquer avec tous ceux qui voudraient bien le suivre à destination du Brésil, « dont l’immensité et les richesses étaient bien celles qu’on lui connaissait alors » :
« Là-bas, non seulement il conserverait son titre de roi du Portugal, mais toutes les puissances d’Europe seraient bien aisées d’entretenir avec lui une bonne correspondance, favorable à son commerce, et il serait évidemment bienvenu que Philippe II ne possédât pas cet État, qui associé à la Nouvelle Espagne serait encore plus formidable qu’il ne l’est déjà » (Silva, 2001, p. 363-364).
8Pourtant, D. Antônio a sous-estimé « ce bon et magnifique conseil » et s’est finalement fait bannir du Portugal ; alors que celui-ci forme désormais aux côtés de la monarchie hispanique l’Union ibérique (1580-1640). D. Luís da Cunha faisait donc, avec plus de cent ans d’écart, la même proposition, affirmant que
« j’ai peut-être considéré d’un œil visionnaire que Sa Majesté était en âge de voir cet immense continent du Brésil, florissant et bien peuplé, si elle voulait bien, en prenant le titre d’Empereur d’Occident, y établir sa cour, emmenant avec elle toutes les personnes des deux sexes qui souhaiteraient l’accompagner, qui ne seraient pas rares, et comptant dans leurs rangs de nombreux étrangers » (Silva, 2001, p. 366).
9Le projet de D. Luís, c’était que D. João V élise comme nouveau siège de sa cour – et donc comme nouvelle capitale de son royaume et de l’empire – la ville de Rio de Janeiro, car c’était « le lieu le plus approprié à sa résidence », et qui serait dans très peu de temps « plus opulente que la [ville] de Lisbonne ». Nombreuses étaient les raisons qui, d’un côté, poussaient à faire ce choix, et le diplomate les énumérait en commençant par faire l’éloge du climat, qui « non seulement était très sain et très semblable au nôtre, mais qui rendait également le pays propice à la culture de tous les fruits d’Europe, puisqu’il y existait déjà ceux d’Asie et d’Afrique » (Silva, 2001, p. 366). Et d’un autre côté, la situation géostratégique de la ville s’avérait fondamentale dans la décision finale puisque, « étant si proches des mines d’or et de diamants, il serait plus facile d’empêcher les détournements, et de faire croître leurs découvertes […], ce qui justifiait également le fait d’aller chercher toujours plus de Noirs sur la côte africaine et sur l’île de São Lourenço, pour la culture de tout ce que le Brésil a à produire » (Silva, 2001, p. 366).
10En choisissant Rio de Janeiro comme siège potentiel de la cour, et en démontrant son importance dans le contexte de l’Atlantique-sud, D. Luís exprimait sa vision impériale, soulignant au passage l’efficacité d’une nouvelle capitale pour la monarchie pluri-continentale portugaise, très liée aux ports négriers africains, et à la dynamique de réseaux commerciaux qui reliaient les mers et les ports de l’océan Atlantique à ceux de l’océan Indien. Selon lui, « Sa Majesté aura de même toute convenance pour développer l’État de l’Inde et les établissements qu’elle possède sur ladite côte africaine, favorisant le commerce du Mozambique, de la Chine, de la Perse, du golfe du Bengale et de la côte du Coromandel » (Silva, 2001, p. 366).
11Le problème que son disciple pouvait lui opposer était d’une certaine manière prévisible : « Mais dans ce cas-là, votre Seigneurie, que ferait sa Majesté du royaume du Portugal ? » Anticipant les choses, D. Luís attribuait la représentation la plus audacieuse de l’époque, non seulement pour les étrangers, mais également pour les Portugais eux-mêmes :
« Pour répondre à cette question, il est nécessaire de savoir ce qu’il [le royaume du Portugal] est, si ce n’est (comme je l’ai déjà évoqué) une lisière de la terre, que je peux diviser en trois parties : et la première n’est pas (même si elle pourrait bien l’être) bien cultivée ; la deuxième appartient aux Ordres ecclésiastiques – dont les Ordres monastiques ; et la troisième produit un peu de céréales, qui ne suffit toutefois pas à nourrir ses habitants, sans que l’on en fît venir de l’extérieur » (Silva, 2001, p. 366-367).
12Outre l’abondance des types de cultures que l’on pouvait développer au Brésil – et D. Luís n’aurait pas oublié de citer le blé de Colonia de Sacramento qui était vendu à Rio de Janeiro – il n’existait pas, selon lui, « de mise en œuvre ou d’industries suffisantes pour produire au Portugal ce qu’il y a au Brésil, à savoir l’or et les diamants », puisque « la divine providence a permis un manque réciproque dans l’un et l’autre des hémisphères pour que les nations communiquent et que se forme la Société de la République universelle » (Silva, 2001, p. 367-368). En ce sens, « ce serait donc le Brésil le grenier des marchandises des trois autres parties du monde ; et c’est là-bas que les nations d’Europe viendraient les chercher et les échanger contre de l’or, de l’argent, et des diamants qui, comme je l’ai déjà dit, devraient assurer les rendements riches et précieux de ce pays » (Silva, 2001, p. 368).
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13Pour replacer dans leur contexte les Instruções de D. Luís da Cunha et mieux comprendre la centralité que Rio de Janeiro a progressivement assumée dans la première moitié du xviiie siècle, il faut se concentrer sur le siècle précédent. Tout au long du xviie siècle, Rio de Janeiro est devenu le pôle central et stratégique des grandes questions géopolitiques de la monarchie portugaise. L’histoire de l’expansionnisme de Rio prend ses racines aussi bien en ce qui concerne les problématiques impériales que les vicissitudes internes au territoire américain. Il est devenu de plus en plus proéminent au xviie siècle, grâce à la gestion des capitanias de baixo, ces ports d’entrée et de liaison avec l’Afrique, l’Europe, et le lucratif marché de l’intérieur du territoire américain, dont il était devenu l’épicentre. Pendant la période de l’Union ibérique, des liens commerciaux inter-coloniaux se sont tissés, faisant affluer dans le port de Rio des marchandises, de l’argent et de la main-d’œuvre esclave issue du trafic négrier et des agissements des peruleiros5. Toutefois, la centralité de Rio de Janeiro n’était pas une donnée naturelle, ou un projet préconçu dès les premières heures de sa fondation. C’était simplement le produit d’un long processus et de la complexe dynamique impériale, notamment après la Restauration portugaise, en 1640.
14Salvador Correia de Sá e Benevides, de très nombreuses fois gouverneur de Rio de Janeiro, commandant de l’armée qui en 1648 avait repris l’Angola aux mains des Hollandais, et membre du Conseil d’outre-mer, a été l’un des responsables de la création du triangle commercial Rio de Janeiro – Luanda – Buenos Aires. Nommé gouverneur pour la première fois entre 1637 et 16436, parce qu’il concentrait au sein de sa famille, et principalement sous son propre pouvoir une série d’activités commerciales concernant une région sur l’action il avait largement juridiction, il a démontré le développement du potentiel, inexploité jusqu’à lors, de la place commerciale de Rio, en conséquence de quoi il a donc été l’un des artisans de son importance au sein de l’Amérique portugaise. Il s’est montré habile dans le ralliement, à partir de son gouvernement, des intérêts de sa famille et de ses alliés, avec ceux des plus chers desseins de la Couronne – fondés sur le trafic négrier – sur le marché de l’argent et dans le processus d’intériorisation de la colonisation. Grandes étaient ses prétentions et importants les services qu’il avait rendus au roi, rémunérés a posteriori sous la forme d’une nomination au poste de capitaine-général de la Repartição du Sud.
15Ayant appris l’acclamation de D. João IV, Salvador de Sá s’est chargé de transmettre à Lisbonne l’adhésion de Rio de Janeiro et des capitanias de baixo à la nouvelle dynastie, n’hésitant pas à rentrer au Portugal pour jurer fidélité au nouveau roi. C’est à ce moment-là qu’a été créé le Conseil d’outre-mer (1642), un organe voué à conseiller le monarque sur les questions de politique coloniale, et Salvador de Sá s’est vu élevé à la condition de conseiller. Étant donné les intérêts qui étaient les siens dans le commerce inter-colonial, il a tenté d’élargir sa juridiction administrative à l’ensemble des capitaineries du sud. Au cours de la reconstruction de l’empire maritime portugais, pendant la guerre de Trente Ans, il a présenté à D. João IV et au Conseil d’outre-mer une série de projets pour l’élargissement de ses pouvoirs et la consolidation de l’hégémonie de sa famille et de ses alliés sur la place de Rio. Parmi ces stratégies, on trouve la suggestion de l’aliénation des capitaineries de Rio de Janeiro, de Espírito Santo et des capitanias de baixo du contrôle du gouverneur général de Bahia. Son plan, c’était de faire de Rio de Janeiro la capitale de la Repartição du Sud, et d’assumer lui-même les fonctions de gouverneur et capitaine-général.
16Les arguments de Salvador de Sá se fondaient sur le danger que couraient les territoires au sud de l’Amérique portugaise, face à une possible invasion hollandaise. Selon lui, le territoire américain était bien trop vaste pour n’être administré que par le seul gouverneur-général de Bahia. Pour mieux défendre et maintenir l’intégrité de la région, il proposait donc une nouvelle division de la région, outre celle qui avait déjà été réalisée en 1621, lorsqu’a été créé l’État du Maranhão et du Grão-Pará. Il acceptait que la supervision de la zone méridionale soit confiée à un gouverneur qui aurait autorité et qui serait indépendant du gouverneur-général, qui connaîtrait bien ce territoire et qui résiderait à Rio. Il a également soumis au monarque le projet de la fondation d’une nouvelle capitainerie entre São Vicente et le Rio de la Plata, sur laquelle lui et ses héritiers revendiquaient une pleine juridiction7.
17Edval de Souza Barros souligne l’importance conférée à la défense des capitanias de baixo et à la proéminence de Rio de Janeiro dans l’intense débat qui a éclaté au Conseil d’outre-mer, et dans ses délibérations sous la Restauration, alors que Luanda – capitale de l’Angola et grand port exportateur d’esclaves – était aux mains des Hollandais (1641-1648). En 1646, la discussion quant au choix d’un nouveau gouverneur pour Rio de Janeiro a été exténuante. Ces disputes biaisées pour un plus grand statut politique ne donnaient que des avis divergents sur le nom de celui qui pourrait représenter les intérêts de la Couronne à la tête d’une capitainerie qui était de plus en plus reconnue dans l’Atlantique sud.
18Avec la sortie du gouverneur précédent, Francisco de Souto Maior (1644-1645), Salvador de Sá a chaudement recommandé son oncle, Duarte Correia Vasqueanes, pour le remplacer au gouvernement de Rio. Malgré l’opposition du Conseil d’outre-mer à la toute-puissance des Correia de Sá, l’argument majeur des conseillers, c’était surtout que l’importance de cette place commerciale exigeait que le roi nomme, pour sa sécurité, une personne de confiance et expérimentée dans la guerre du Brésil. On exigeait du nouveau gouverneur une grande habilité dans la pratique de l’administration, étant donné l’importance stratégique de la ville dans la conjoncture des conflits européens et ultramarins. Le Conseil craignait de devoir choisir Salvador de Sá une fois de plus ; mais comme ils n’avaient pas d’autre alternative et qu’ils avaient déjà perdu assez de temps comme cela, ils ont finalement accepté la candidature de son oncle, Duarte Correia Vasqueanes. En tant que membre du Conseil, le vœu de Salvador de Sá était que
« le gouvernement de Rio de Janeiro compte parmi les plus importants que sa Majesté possède dans les conquêtes de ce royaume, grâce à l’emplacement de cette place commerciale, et grâce au fait qu’elle est à la tête de la Repartição du Sud et que ses habitants sont des gens très belliqueux, raison pour laquelle ce gouvernement a obtenu d’importantes juridictions et a été plusieurs fois séparé de celui de Bahia, mais comme cet État est gouverné par des personnes puissantes, elles ne l’ont pas seulement unifié, car cela aurait limité leur juridiction et de fait les personnes qui accède à ce gouvernement ne veulent pas y arriver par l’assujettissement et la limitation des pouvoirs, et aujourd’hui avec grand excès, et celles qui en ont l’intention, ce faisant, démontrent le besoin qui les oblige à l’État du Brésil, comme Votre Majesté le sait et moi-même, Salvador Correia le sais d’expérience » (Apud, Barros, 2008, p. 289-290).
19Les incessantes discussions entre Salvador de Sá, le gouverneur-général de Bahia et les ministres du Conseil d’Outre-mer, ainsi que la décision finale de D. João IV sont très importantes car elles révèlent, d’un côté, la grande expérience et la capacité manipulatrice des Correia de Sá, et de l’autre, la centralité politique et stratégique que Rio de Janeiro s’octroyait en se déclarant en faveur de l’indépendance portugaise et de l’acclamation de la dynastie de Bragance. Rio de Janeiro devenait, dès lors, un des pôles vecteur de la vassalité et de la fidélité du nouveau roi, ce qui était en soi une donnée irréfutable du calcul des artisans de la politique d’outre-mer, disposés à sauver les territoires distants et menacés de l’empire, tout en travaillant à l’expansion et à la reconquête de la souveraineté contestée du roi du Portugal. Dans le même temps, sa position géographique favorable à l’articulation du commerce inter-colonial avec le trafic des esclaves a élevé la ville à un statut politique et économique qui dépasserait, au cours du siècle suivant, celui de tous les autres territoires de l’Amérique portugaise.
20À la fin de l’année 1646 est arrivée à Lisbonne la nouvelle du mouillage dans le port de Recife d’un navire hollandais potentiellement capable de causer « de grands dommages, en particulier dans la Repartição du Sud, dont le chef-lieu était Rio de Janeiro » (Barros, 2008, p. 293). Il était urgent de fortifier et de renforcer sa garnison à tout prix, à cause de sa position stratégique pour l’approvisionnement et la réclamation des possessions ultramarines attaquées par l’ennemi batave. Salvador de Sá, qui se trouvait encore à Lisbonne à ce moment-là, a été chargé de prendre le commandement des troupes de renforts avec le grade de général des flottes du Brésil. À Rio, il a également été chargé d’aider et de superviser les forces expéditionnaires destinées à la reconquête de l’Angola.
21Alors que sa première revendication – d’être nommé gouverneur de la Repartição du Sud – n’avait pas été acceptée par la Couronne, il s’est empressé de récupérer Luanda et après la victoire, d’assumer la fonction de gouverneur d’Angola. Ce n’est qu’après la mort de D. João IV que Salvador de Sá est rentré à Rio de Janeiro, en 1658, dorénavant nommé à la fonction de gouverneur et capitaine-général de la Repartição du Sud, disposant effectivement de grands pouvoirs et d’une juridiction indépendante du gouvernement-général de Bahia. C’est à cette époque qu’il s’est repenché sur ces anciens plans, qui n’avaient jusqu’à lors pas été autorisés par la Couronne : la création de la capitainerie de Santa Catarina entre São Vicente et le Rio de la Prata, la possibilité de rétablir la contrebande entre Rio de Janeiro et Buenos Aires, et l’intention de découvrir de l’or et des métaux précieux sur le territoire de São Paulo. Mais encore une fois, ces projets sont restés sans réponse à Lisbonne. La reine régente Louise-Françoise de Guzmán n’est pas arrivée à se décider quant à donner son approbation ou pas. En outre, la nomination de Salvador de Sá au grade de gouverneur et capitaine-général de la Repartição du Sud n’a en rien mis fin aux disputes et aux conflits juridictionnels entre le gouvernement de la capitainerie de Rio de Janeiro et le gouvernement-général du Brésil (Boxer, 1973, p. 318).
22Malgré tout, ces disputes n’ont pas empêché Salvador de Sá d’atteindre de nouveaux objectifs. Son ambition de raviver le mythe hispanique de l’El Dorado et de découvrir enfin les forêts d’Esmeraldas et de Sabarabuçu ne s’était toujours pas épuisée, malgré ses échecs passés. Les voyages de son grand-père et de son père avaient nourri ses croyances en l’existence de mines de métaux précieux que l’on n’aurait toujours pas découvertes. Quasiment deux décennies s’étaient écoulées depuis la Restauration portugaise et les prétentions de conquêtes de Buenos Aires et de réactivation du commerce avec le Rio de la Plata étaient désormais des idées de plus en plus lointaines. Cependant, sa nomination en tant que gouverneur de la Répartition Sud marquait la reconnaissance des services fournis et de son pouvoir, ainsi que celui de la Couronne, sur une vaste région dont l’épicentre – ou la « tête » comme on disait alors – était Rio de Janeiro.
23Les difficultés imposées à la continuité du commerce inter-colonial, notamment dans la région du Rio de la Plata, ont provoqué une réduction significative des afflux de minerais en Amérique portugaise, ce qui avait encouragé une recrudescence de la recherche, sur son propre territoire, de gisements d’or et d’argent. Le « Voyage des Esmeraldas » emmené par Salvador de Sá, accompagné de son fils, a été un échec cuisant. Apprenant la nouvelle prometteuse de la découverte de métaux précieux dans la région de Paranaguá, le gouverneur a passé les rênes de l’expédition à Tomé Correia de Alvarenga. L’imposition de nouveaux tributs, les conflits juridictionnels entre São Paulo et Rio de Janeiro, et le contrôle des Sá et de leurs alliés sur les plus importants postes administratifs de la capitainerie de Rio, ont entraîné en 1660, l’éclatement de la Révolte de la Cachaça (Figueiredo, 1996 ; Caetano, 2009). Après avoir été destitué du gouvernement de Rio suite à l’exécution sommaire de l’un des chefs de la révolte, Salvador de Sá est rentré au Portugal, d’où il ne repartirait plus jamais.
24Cependant, en ce qui concerne l’argument crucial explicité ici au nom de sa localisation stratégique, poussé par ses échanges commerciaux avec l’intérieur du continent américain et le continent africain, Rio de Janeiro s’est fait une place de choix dans la période de récupérations des possessions impériales portugaises après la Restauration et tout au long de la guerre des Trente Ans. Les victoires successives découlant des services fournis à la dynastie de Bragance par les habitants de la ville – en grande partie coordonnés par le clan des Sá, et principalement par Salvador Correia de Sá e Benevides – ont été fondamentales à sa proéminence impériale. De telle sorte que la petite place de Rio a réussi, tout au long du xviie siècle, à devenir l’une des villes les plus prometteuses de l’empire portugais – par sa position géographique, politique et économique, et pour des raisons inhérentes à une conjoncture impériale spécifique. La centralité – ou la capitalité – atteinte par cette ville a été cruciale pour la réalisation des intérêts de ses dirigeants et de ses élites agricoles et marchandes. Le maintien du contrôle sur la Repartição du Sud, dont le siège se trouvait à l’épicentre des communications entre les océans Atlantique et Indien, a garanti à Rio de Janeiro une importance sensible dans la dynamique des possessions ultramarines portugaises. Selon Luiz Felipe de Alencastro, « peu à peu l’hégémonie du port de Rio se dessine […]. Rio de Janeiro consolide sa vocation océanique, réaffirmée au xviiie siècle par sa position de pôle commercial du Minas Gerais et de capitale du vice-royaume (1763) » (Alencastro, 2000, p. 203).
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25Incontestablement, le xviiie siècle témoignerait d’une nouvelle force centrifuge qui attirerait Rio de Janeiro vers les sertão loin de la côte, sans pour autant porter de coup à son statut de place commerciale et maritime, lui conférant même bien au contraire, une plus grande importance et une plus grande centralité dans la région centre-sud de l’Amérique portugaise. La découverte de l’or par les habitants de São Paulo inaugurerait un nouveau siècle ainsi qu’une nouvelle conjoncture impériale, multipliant les sens et l’étendue de la portée des routes parcourues par les hommes, les navires et les marchandises qui transitaient au départ, ou à destination, de Rio de Janeiro.
26En 1693, les premières nouvelles de la découverte de l’or sont arrivées si vite à Lisbonne que la Couronne a octroyé à ses gouverneurs une vaste juridiction pour tout ce qui concernait ces mines récemment découvertes. Artur de Sá e Meneses, nommé le 12 janvier 1697, a été le premier à jouir de cette vaste juridiction sur les mines. En novembre 1698, la capitainerie de São Paulo est passée sous le contrôle du gouverneur de Rio, sauf pour ce qui était de la Justice, qui relevait toujours de la compétence de la cour d’appel de Bahia. En novembre 1699, cela a été au tour de la colonie de Sacramento de passer sous le contrôle du gouvernement de Rio. Une nouvelle lettre royale, datée du 10 décembre 1701, confirmait que les territoires et les capitaineries du sud – dont São Vicente, São Paulo, Santos et les mines récemment découvertes – seraient désormais régis par le gouvernement de Rio de Janeiro.
27Selon Felisbello Freire, ancien historien de la ville, à la fin du xviie siècle, « Rio était la métropole, la vie administrative et politique du Sud » (Freire, 1912, p. 303). En novembre 1709, la capitainerie de São Paulo et du Minas Gerais a pourtant été créée, et son gouvernement a été confié à Antônio de Albuquerque Coelho de Carvalho.
28C’est ainsi qu’est apparu, pour paraphraser Luiz Felipe de Alencastro, le trépied Rio de Janeiro – Minas – colonie de Sacramento, qui a finalement créé de nouveaux moules et une nouvelle importance politique et économique que la ville n’avait jamais connus auparavant : le triangle négrier Rio de Janeiro – Luanda – Buenos Aires (Alencastro, 2000, p. 45). C’est à partir de cette époque et pendant tout le xviie siècle que s’est constitué le port de Rio de Janeiro, principale destination finale d’esclaves et de marchandises européennes et asiatiques, et plus grand pôle d’écoulement des richesses coloniales, devenant ainsi « l’un des plus beaux joyaux de la couronne de Sa Majesté », comme l’affirmaient, dans une lettre datée du 20 avril 1712, les ministres du Conseil d’outre-mer (AHU, RJ, Avulsos, cx. 9, doc. 4). Pour les mêmes raisons, il deviendrait également la cible de tous les intérêts et de toutes les convoitises des autres monarchies européennes.
29Au début du xviiie siècle, l’Europe a été secouée par la guerre de Succession espagnole (1703-1713). Même si le Portugal a tenté de conserver sa neutralité, le positionnement de la diplomatie de D. Pedro II était inévitable. Toute décision concernant l’Espagne aurait des répercussions immédiates sur sa politique péninsulaire et d’outre-mer. La sécurité des routes maritimes et commerciales dans l’Atlantique et, surtout, la préservation du Brésil étaient des questions décisives pour la politique externe portugaise.
30Dans le contexte de la guerre qui a secoué l’Europe jusqu’à l’océan, atteignant les territoires d’outre-mer des monarchies européennes, des forces militaires venant de Buenos Aires ont pris la colonie de Sacramento dans le but d’étendre la souveraineté de Castille à des régions dont les Portugais du sud du continent américain réclamaient également le contrôle. En 1710 et, de nouveau, en 1711, Rio de Janeiro a été envahi par des corsaires français (Bicalho, 2003, chap. ix). Dans une lettres à D. João V, les élus de la Chambre supplaient, « prostrés à vos royaux pieds, posez votre regard sur ce misérable peuple, et consultez des personnes de confiance quant à son gouvernement […], car sinon votre Majesté mettra en péril, non seulement celle-ci, mais également toutes les autres places du Brésil » (Apud, Araújo, 1820, p. 93-94).
31Les nouvelles arrivant de Rio alarmaient les ministres du Conseil d’outre-mer. Lors de leur réunion du 20 avril 1712, ils avertissaient le roi :
« Seigneur. L’obligation de ce Conseil de chercher un bon gouvernement, une bonne défense, et une bonne préservation des conquêtes […] le pousse dans son entier […] à représenter les pernicieuses conséquences pour le service de Votre Majesté, le bien public du royaume et de toute la monarchie, du retard dans la nomination du Gouverneur de Rio de Janeiro ; car […] cela met en péril cette place, qui est l’un des plus beaux joyaux de la couronne de Votre Majesté, et de sa préservation et de son bon gouvernement dépend la sécurité des mines et du Brésil tout entier… » (AHU, RJ, Avulsos, cx. 9, doc. 4).
32Ce contexte nous permet de mieux comprendre la proposition de D. Luís da Cunha, citée au début de cet article. L’expérience acquise au cours des négociations de paix qui ont entraîné le traité d’Utrecht a été d’une importance fondamentale pour D. Luís, qui est devenu par la suite une sorte « d’oracle politique ». Selon Abílio Diniz Silva, qui a rassemblé et publié ses Instruções Políticas :
« Que ce soit le déroulement de la Guerre de Succession espagnole ou, plus tard, les difficiles et très agitées négociations de paix d’Utrecht, tout cela a eu une influence fondamentale sur les réflexions des D. Luís da Cunha. Notamment parce que cela lui a permis de comprendre que le Portugal […] pourrait difficilement assurer la défense de sa souveraineté et de son indépendance dans la Péninsule ibérique. Il était donc nécessaire de concevoir un nouvel espace géographique pour l’empire portugais, correspondant aux réalités politiques et économiques post-Utrecht, et à son intégration dans l’équilibre européen qui venait de se stabiliser. Et, dans cet espace, il était crucial de définir quel serait le rôle du Brésil. Face à une telle disproportion de forces entre les deux pays ibériques, la seule et véritable garantie de l’indépendance portugaise, c’était l’immense et opulent territoire du Brésil, source de richesses et de prestige international pour la monarchie portugaise » (Silva, 2001, p. 60).
33Ce n’est pas un hasard si, dans ses Instruções Políticas, D. Luís avait affirmé que « les conquêtes, que je suppose être un accessoire du Portugal, en sont en fait son principal, voire garantes de sa préservation, et notamment celles du Brésil » (Silva, 2001, p. 60).
34Au début du xviiie siècle, outre la sécurité des territoires d’outre-mer et tout ce qui y était associé, ce qui était véritablement en jeu, c’était le bon gouvernement des conquêtes. Et c’est la préservation de ces territoires et des vassaux coloniaux, ainsi que le maintien de la souveraineté impériale du Portugal qui constituaient les questions les plus importantes sur lesquelles se fondaient les décisions royales pour la nomination des futurs gouverneurs d’outre-mer.
35Le 13 juin 1714, D. Pedro Antônio de Noronha – 2e comte de Vila Verde, qui après avoir exercé la fonction de vice-roi en Inde avait été choisi pour le Brésil – s’installait au gouvernement de Bahia, avec le titre de vice-roi, et capitaine-général de la mer et de la terre. Entre-temps, ses titres ont été élargis, puisqu’il a obtenu le titre de 1er marquis d’Angeja – digne des rares nobles portugais qui jouissaient d’une position si importante dans le gouvernement des conquêtes (Monteiro, 2001a, p. 249-283). Le premier officier royal de l’Amérique portugaise à avoir reçu le titre de vice-roi et de capitaine-général de la mer, de la guerre, et de la Restauration du Brésil, c’était D. Jorge de Mascarenhas, marquis de Montalvão (1640-1641), qui a joué un rôle important dans le serment d’obéissance et de fidélité des vassaux américains à la Maison de Bragance. Le second vice-roi c’était D. Vasco Mascarenhas, comte d’Óbidos, qui a gouverné entre 1663 et 1667. Et le troisième D. Pedro de Noronha, marquis d’Angeja, a assumé le gouvernement de 1714 à 1718. Les quatre premiers vice-rois du Brésil avaient précédemment gouverné en Inde. Ce n’est qu’en 1720, avec la nomination de Vasco Fernandes César de Meneses, comte de Sabugosa, qui est resté en place jusqu’en 1735, que le titre de vice-roi a été concédé, et ce jusqu’en 1808, à ceux qui gouvernaient l’État du Brésil.
36Même si aucune licence royale ne laissait entendre que l’État du Brésil avait été élevé au rang de vice-royaume, l’attribution du titre de vice-roi à ceux qui ont été successivement nommés à partir de 1720 à ce gouvernement, démontre bien d’un côté, une altération significative du profil des hommes choisis pour cette fonction, faisant systématiquement partie de la noblesse titulaire, et de l’autre la reconnaissance de l’importance économique et politique que le Brésil avait atteint, dès le milieu du xviie siècle, au sein de la monarchie et de l’Empire portugais (Gouvêa, 2003, p. 303). Comparés aux vice-rois de l’État de l’Inde, investis de l’ensemble des regalia maiora ou droits royaux considérés comme privilèges du roi seuls – exercice de la grâce, concession de bénéfices, attribution de fonctions ou de rentes, pardon des crimes – les vice-rois du Brésil avaient des pouvoirs bien plus limités (Santos, 1999, p. 51-52 ; Bicalho, 2007, p. 37-56).
37De très nombreux historiens travaillent sur l’hypothèse selon laquelle dans les premières décennies du règne D. João V (1707-1750), un processus de changement politique a été entamé au Portugal, au niveau des circuits de prise de décision comme dans la formulation de la politique d’outre-mer (Almeida, 1995, p. 183-207 ; Monteiro, 2001b, p. 967 ; Monteiro, 2001c, p. 127-148 ; Bicalho, 2007, p. 37-56). À partir d’alors, des gouverneurs et des ministres correspondant à un nouveau profil ont été nommés. Selon Jaime Cortesão, les années 1730 ont été marquées par la nomination d’une « pléiade d’excellents fonctionnaires » pour le Brésil, parmi lesquels le comte de Galvêas au gouvernement du Minas Gerais, le comte de Sarzedas pour São Paulo, Gomes Freire de Andrade pour Rio de Janeiro, Rafael Pires Pardinho à l’intendance du Serro do Frio, et Martinho de Mendonça de Pina e Proença à la surveillance du processus de mise en place de la capitation dans la région minière (Cortesão, 1952, p. 349).
38Dans ce contexte comme dans celui de l’expansion des frontières portugaises pour les régions sud et centre-ouest de l’Amérique, le gouvernement de Gomes Freire de Andrade à Rio de Janeiro (1733-1763) a gagné en importance. Aucun autre gouvernement n’a occupé cette fonction aussi longtemps dans les autres capitaineries du Brésil, ni même ailleurs dans l’empire portugais. À partir de 1735, Gomes Freire a cumulé le gouvernement de Rio de Janeiro et celui du Minas Gerais. En 1748, il est également devenu gouverneur de São Paulo, étendant son administration aux capitaineries récemment créés de Goiás et du Mato Grosso. Fin stratège militaire et homme politique, il a joué un rôle de ministre plénipotentiaire dans les négociations du traité de Madrid – une sorte de négociateur dans les conférences avec le gouverneur de Buenos Aires sur la définition des frontières méridionales de l’Amérique entre les couronnes d’Espagne et du Portugal. Sous son mandat, une nouvelle capitainerie serait créée : celle de Rio Grande de São Pedro.
39La période qui a suivi le traité d’Utrecht (1713-1715) – qui a mis fin à la guerre de Succession espagnole – a définitivement consolidé le rôle de la Colônia del Sacramento en tant qu’axe commercial avec Buenos Aires et, par son intermédiaire, avec tous les autres territoires des Indes de Castille. Au lieu de se faire concurrence, les marchands luso-brésiliens interagissaient et opéraient de manière complémentaire avec les groupes marchands de Buenos Aires et de Montevideo. À partir de la création de la capitainerie de Rio Grande de São Pedro, et de l’importance de l’île de Santa Catarina en tant qu’escale pour la défense de la colonie de Sacramento, l’incertitude quant auquel des deux gouvernements – celui de Rio de Janeiro ou celui de São Paulo – devait être subordonné à ces nouveaux territoires surgissait comme un problème latent.
40L’action de Gomes Freire Andrade au gouvernement de Rio a été fondamentale pour qu’au milieu du xviiie siècle, la ville retrouve son statut d’épicentre d’un vaste et imbriqué réseau de gouvernance, politique et économique qui s’étendait à tout le centre-sud du Brésil ; connectant les routes commerciales de l’Atlantique aux confins de l’Amérique portugaise, limitrophes aux territoires du roi de Castille. En 1737, Gomes Freire écrivait à D. João V, affirmant que
« la partie de la capitainerie de São Paulo qui borde la marine et la Costa do Sul manque tellement d’intérêts qu’une grande partie de ses habitants vivent dans une grande pauvreté, et que j’ai reconnu qu’il serait effectivement mieux que dans cette guerre toute la marine jusqu’à la Colonia [del Sacramento] ne soit que sous un seul commandement, ce qui est extrêmement nécessaire pour que l’on puisse régulièrement porter assistance à l’Île de Santa Catarina » (Reire, 1912, p. 583).
41Ce qui est intéressant, c’est que le gouverneur de Rio avait exactement la même idée quant au retrait de la juridiction dont le gouverneur de São Paulo jouissait sur les étendues de mines de Goiás et de Cuiabá. Il insistait non seulement sur la proéminence de la ville et des affaires commerciales installées à Rio sur les territoires centraux de l’Amérique portugaise, mais également sur la subordination de São Paulo à sa juridiction. Son habilité politique et sa grande capacité de négociation ont fini par convaincre D. João V de la pertinence de concéder au gouverneur de Rio de Janeiro une vaste juridiction sur ce grand, riche et prometteur territoire, qui se ramifiait dans les marines et les possessions du Sud – dont São Paulo – et sur les mines aurifères du Minas Gerais, du Mato Grosso et de Goiás, entre autres.
42En août 1738, une disposition royale a sorti l’île de Santa Catarina et le Rio Grande de São Pedro de la juridiction de São Paulo pour les faire passer sous le gouvernement de Rio de Janeiro afin que tous les ports et lieux de la marine se retrouvent sous un même commandement. En décembre 1740, une nouvelle résolution a retiré Laguna de la juridiction de São Paulo pour la remettre encore une fois au gouvernement de Rio de Janeiro. Le 29 janvier 1748, dix ans après la dernière intervention de Gomes Freire sur l’inutilité d’un gouverneur au rang de capitaine-général à São Paulo, le Conseil d’outre-mer affirmait qu’un gouvernement indépendant n’avait été autrefois nécessaire que pour que « São Paulo soit une voie de communication avec le Minas Gerais », imposant qu’on y nomme un « gouvernement qui puisse facilement aider ces dites mines lorsque les affaires l’exigeraient ». Dans cette conjoncture particulière, on considérait que « l’aide du gouverneur et capitaine-général était aussi superflue » dans cette capitainerie, qu’elle était « indispensable dans les régions de Goiás et de Cuiabá » (Bellotto, 2007, p. 27). Avec l’extinction, en 1748, d’un gouvernement autonome à São Paulo, ses territoires, qui s’étendaient jusqu’aux confins des capitaineries du Minas Gerais, de Rio de Janeiro et de l’île de Santa Catarina, sont passés sous l’administration, pour ce qui était des questions militaires, du gouverneur de la place de Santos. Ce dernier était un subordonné du gouverneur de Rio de Janeiro, Gomes Freire de Andrade.
43La licence du 9 mai 1748 a créé les capitaineries de Goiás et du Mato Grosso, dont les territoires – sortis de la juridiction de São Paulo – sont passés pour un temps sous le commandement de Gomes Freire. À partir de 1752, date à laquelle D. António Rolim de Moura, premier gouverneur du Mato Grosso, est arrivé dans cette capitainerie, la juridiction du gouverneur de Rio s’étendait à tout le centre-sud de l’Amérique portugaise, depuis la Colônia del Sacramento jusqu’aux frontières encore fluides des possessions espagnoles, en passant par Rio Grande de São Pedro, Santa Catarina et São Paulo. Les frontières avec les territoires du roi de Castille, si tant est qu’elles existaient, étaient représentées par les missions du Paraguay au sud, et par les villages de Moxos et Chiquitos à l’ouest.
44L’historienne Renata Araújo a utilisé dans son travail sur la capitainerie du Mato Grosso le concept de clé. Selon l’auteure, « en ce qui concerne le Mato Grosso, le concept de “clé du Brésil” existait déjà au xviie siècle, lorsque le Père Simão Estácio de Vasconcelos déclare que les fleuves Amazone et Paraguay [au nord et au sud] sont “deux clés d’argent qui renferment le territoire du Brésil” ». Dans les discussions du traité de Madrid, le Mato Grosso était considéré à la cour de Lisbonne comme la clé de l’intérieur du Brésil, avec laquelle on pouvait ouvrir ou fermer la frontière avec les territoires espagnols. C’était, cependant, « l’espace symbolique de la cohésion du Brésil dans la mesure où il représentait l’union entre le nord et le sud » (Araújo, 2000, p. 41).
45Ce terme de clé était également utilisé par les gouverneurs et les élus du Brésil, et par les ministres lisboètes pour évoquer Rio de Janeiro. Dans leur lettre à Dom José I, le 13 août 1757, les officiers de la Chambre de Rio affirmaient « que cette ville est la plus convoitées des nations car elle est la clé des immenses trésors que la Divine Omnipotence a voulu confier à Votre Majesté sur le vaste continent de ces forêts » (AHU, Códice 234, fls. 328-329). Un an plus tard, le comte d’Oeiras, futur marquis de Pombal, écrivait que Rio de Janeiro était la clé des « très précieux trésors » des mines, qui servait « d’entrepôt au commerce et aux préciosités de la plus importante partie de l’Amérique portugaise » (AHU, RJ, Avulsos, cx. 64, doc. 75 ; et cx. 65, doc. 25). Si lorsqu’il envoyait des instructions à Gomes Freire de Andrade, en pleine guerre des Sept Ans (1756-1763), Sebastião José de Carvalho e Mello se préoccupait des dangers externes, des dommages que les monarchies ennemies pouvaient causer par une invasion ou une mise à sac de la ville, ce statut de clé du gouvernement et de l’administration des richesses qui se concentraient au centre-sud de la colonie était justifié non seulement par l’importance de son port et les affaires qui s’y centralisaient et se diffusaient en l’Atlantique et les mines, mais également par sa position géostratégique dans la construction du territoire et des frontières intérieures qui définissaient les territoires et les souverainetés du Portugal et de l’Espagne au centre-sud de l’Amérique.
46Le 26 juin 1765, D. Luíz Antônio de Sousa, Morgado de Mateus, premier gouverneur nommé, depuis 1748, à la tête de la capitainerie de São Paulo, arrivait à Rio en provenance de Lisbonne. Avant d’effectuer son voyage pour prendre ses fonctions, il avait entretenu une correspondance enthousiaste avec le comte d’Oeiras, futur marquis de Pombal, qui laissait transparaître son admiration pour Rio de Janeiro qui lui avait « apporté une certaine satisfaction, car il fait partie des territoires de notre Auguste monarque ». Il évoquait un processus qui s’est constitué tout au long de la première moitié de ce siècle. Il disait que
« par les nouvelles et les informations de personnes pratiques que j’ai entendues sans discontinuer depuis que je suis arrivé, et par tout ce que j’ai observé, je considère aujourd’hui que Rio de Janeiro et la clé de ce Brésil, grâce à sa situation, à sa capacité, et sa proximité avec les domaines de l’Espagne, et grâce à la dépendance des mines et de l’intérieur du pays qui en font une des pierres angulaires de l’affirmation de notre monarchie, qui y garde une partie principale de ses armées et de ses richesses » (AHU, RJ, Avulsos, cx. 80, doc. 22).
47On qualifie également de « barbacane » de manière récurrente dans ce texte le Mato Grosso et Rio de Janeiro, sur la création des capitaineries de Goiás et du Mato Grosso. Lors de cette réunion, on a affirmé au sujet de cette dernière spécifiquement, qu’« au travers de l’établissement du gouvernement, comme pour tous les autres qui ont lieu, on cherche à rendre la colonie du Mato Grosso si puissante qu’elle tiendrait ses voisins en respect, et servirait de barbacane à tout l’intérieur du Brésil » (Araújo, 2000, p. 99).
48Le 12 avril 1762, Gomes Freire de Andrade – alors déjà récompensé du titre de comte de Bobadela par D. José I – écrivait au comte d’Oeiras, affirmant que Rio de Janeiro était le plus grand « entrepôt du Brésil, car ce port est dans une situation de défense très forte et représente un barrage infranchissable. Les principales forces militaires du Brésil se trouvent là-bas ; là-bas entrent, sortent et se manœuvrent des millions de […] et ce port est sans conteste l’endroit le plus approprié pour envoyer des renforts au Nord et au Sud » (AHU, RJ, Avulsos, cx. 70, doc. 40).
49Il déclarait encore que « les plus grandes causes ou affaires du Brésil sont sans aucun doute liées au mines » et étaient jugées par la cour d’appel de Rio de Janeiro. Et de conclure :
« Cette importante dépendance, associée à celles susmentionnées […] démontre que ce gouvernement est le plus beau joyau de ce grand trésor. C’est ici que se traite et se traiteront encore à l’avenir les plus grandes affaires, qu’elles soient de la Couronne ou de ses vassaux ; c’est pour cela que nous devons le considérer comme la barbacane de ces provinces, à partir d’où on peut secourir et motiver les autres » (AHU, RJ, Avulsos, cx. 70, doc. 40).
50C’est dans ce contexte politique international qu’a eu lieu le transfert de la capitale de l’État du Brésil de Salvador de Bahia à Rio de Janeiro. Même si cette ville connaissait de grandes transformations depuis le xviie siècle, en 1763, elle était déjà le siège du vice-royaume. Les sources concernant cette décision de la couronne portugaise sont très rares et peu éloquentes quant aux raisons qui y ont poussé. Le 16 avril 1761, une lettre royale donnait l’ordre à Gomes Freire de partir à Bahia et d’y prendre la tête de l’État du Brésil. La réponse de Gomes Freire a été ni plus ni moins un refus catégorique de quitter Rio de Janeiro. Le gouverneur essayait de dissuader le roi et son ministre – le futur marquis de Pombal – alléguant que comme le nouveau gouverneur nommé pour le Minas Gerais n’avait pas encore pris ses fonctions, et que les conflits du Sud exigeaient un administrateur habile qui résidât dans les capitaineries centrales, l’idée d’abandonner le gouvernement de Rio de Janeiro
« sans personne à sa tête m’est très difficile à concevoir, étant donné que l’actuel fait preuve de toute la régularité et l’obéissance qu’on attend de lui, et je crains qu’une telle action ne cause le désordre, et dans une province comme celle-ci, qui représente à la fois la source et la fortification du royaume et des conquêtes, cela serait d’un grand péril » (AHU, RJ, Avulsos, cx. 70, doc. 40).
51Gomes Freire est resté à Rio de Janeiro jusqu’à ce qu’en janvier 1763, il meurt d’une maladie aussi brève que fulgurante. Le 11 mai de la même année, une lettre royale nommait D. António Álvares da Cunha vice-roi de l’État du Brésil, et lui ordonnait de résider à Rio de Janeiro. Le 21 décembre, le comte da Cunha affirmait avoir pris ses fonctions à la tête du vice-royaume, et s’être alors installé à Rio (AHU, RJ, Avulsos, cx. 76, doc. 43). Le transfert de la capitale de l’État du Brésil de Salvador de Bahia à Rio de Janeiro venait corroborer le caractère central de cette ville, et l’importance que ses dirigeants ont assumé à partir de la moitié du xviie siècle, tête ou lieu articulateur de vastes territoires, intérêts, affaires et politiques en Amérique et dans l’Atlantique Sud. En 1808, dans un extraordinaire jeu d’inversion, Rio de Janeiro est devenu la cour et la capitale de la monarchie portugaise, redimensionnant ainsi les éléments et la signification de sa capitalité. Ce qui n’était qu’une « pure vision », un rêve pour D. Luís da Cunha, devenait, enfin, réalité.
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Silva Abílio Diniz (ed.), D. Luís da Cunha. Instruções Políticas, Lisbonne, CNCDP, 2001.
Notes de bas de page
1 Traduit du portugais (Brésil) par Laure Collet.
2 La recherche qui a permis l’écriture de cet article a bénéficié du financement de FAPERJ, bourse Cientista do Nosso Estado, projet Capitalidade, Urbanismo, Sociabilidade e Patrimônio : A cidade do Rio de Janeiro entre 1808 e 1821, et du CNPq (bourse de Produtividade em Pesquisa, projet Labirinto dos Negócios : A dinâmica política e administrativa do Conselho Ultramarino entre comunicação, consultas e papéis de secretaria. Une partie de ces recherches, ainsi que certaines tournures de phrases, reviennent à Daiana Torres Lima, boursière PIBIC/CNPq/UFF, que je remercie pour sa collaboration.
3 C’est ainsi qu’Evaldo Cabral de Mello décrit le projet de retraite de la famille royale vers le Brésil, lors de la guerre de Restauration portugaise (1660-1668), chéri par le père Antônio Vieira : « Selon le jésuite, la nomination de Francisco de Brito Freyre au gouvernement de Pernambuco en 1660 était le résultat de la préoccupation de la reine régente quant à la préparation d’un refuge pour elle-même et pour ses enfants en cas d’invasion espagnole imminente du royaume, car grâce au système de fortification laissé par les Hollandais à Recife, ce dernier s’était gagné la réputation d’être la place-forte la plus sûre de l’Amérique portugaise. Toujours selon Vieira, D. João IV avait recommandé ce projet par écrit de sa propre plume, et le document n’a été retrouvé qu’après sa mort. Cette idée n’avait été abandonné qu’avec la signature de l’accord d’alliance luso-britannique (1661), qui garantissait l’indépendance nationale [du Portugal] », Mello, 2002, p. 67.
4 « Enseignements politiques » (N.D.T.).
5 Nombre d’entre eux étaient responsables du peuplement de l’Amérique portugaise et du processus d’intériorisation : les pionniers, les « crabes », comme les appelaient les occupants de régions du littoral, les jésuites et même les peruleiros, les commerçants luso-brésiliens qui pénétraient sur le territoire établissant des liens commerciaux avec les villes de l’Amérique espagnole. Leur principal objectif était d’atteindre la ville impériale de Potosi, grand centre d’extraction d’argent qui, à cause de l’infertilité des terres, dépendait de réseaux d’approvisionnement externes. Et l’un de ses plus gros fournisseurs, c’était la province de Tucumán, sur le versant oriental des Andes, qui se concentrait sur une série d’activités, comme la production agricole et l’élevage de bétail. Tucumán était une importante place commerciale, aussi bien pour ses produits locaux que pour les marchandises apportées par les luso-brésiliens qui venaient majoritairement de Rio de Janeiro, et qui en entrant par Buenos Aires atteignaient ensuite les mines de Potosi (Alencastro, 2000, p. 199) ; (Ceballos, 2008).
6 Salvador Correia de Sá e Benevides a reçu, alors qu’il était encore un très jeune garçon, en 1618, l’habit de l’ordre de Saint-Jacques de l’épée, et plus tard celui de l’ordre du Christ. En 1627, il a été nommé grand-alcalde de la ville de Rio de Janeiro, suite à la victoire remporté dans une confrontation avec des navires hollandais sur la côte de la capitainerie de Espírito Santo. En 1631, il a épousé une criolla veuve, Dona Catalina de Ugarte y Velasco, héritière de grand prestige et propriétaire de grand domaines agricoles. Par ce mariage, Salvador de Sá a obtenu le contrôle de vastes propriétés de la région de Tucumán, province qui fournissait Potosi, centre des activités commerciales des peruleiros et producteur d’argent en grande quantité. Nommé trois fois gouverneur de Rio de Janeiro (entre 1637 et 1643 ; de janvier à mai 1648 ; et de nouveau entre 1660 et 1662), il a également été gouverneur d’Angola (1648-1652) et a obtenu en 1643 le grade de général des flottes du Brésil. À partir de 1658, il a exercé la fonction de gouverneur et capitaine-général de la Repartição du Sud.
7 Le plan de Salvador de Sá quant à l’établissement d’une nouvelle division administrative basée à Rio de Janeiro était complètement inédit. La Repartição Sul a été créée pour la première fois entre 1574 et 1578, s’étendant au nord jusqu’à la frontière septentrionale de la capitainerie de Porto Seguro ; et une deuxième fois sous le gouvernement de D. Francisco de Sousa (1608-1612), comprenant le Espírito Santo et toutes les capitaineries méridionales. Salvador de Sá e Benevides avait l’intention de récupérer la juridiction dont jouissait son grand-père Salvador Correia de Sá, l’ancien, qui avaient pris la tête de nombreuses expéditions à la recherche d’Indiens et de mines d’or, d’argent, et de pierres précieuses. Correia de Sá, l’ancien, était le neveu de Mem de Sá, et avait été gouverneur de Rio de Janeiro par deux fois (1568-1571 et 1577-1598) ; plus tard, il avait été à la tête de Pernambuco (1601-1602). En 1614, détenteur de grands pouvoirs et privilèges, il a été nommé gouverneur des capitanias de baixo, avec pour objectif d’exploiter les gisements potentiels d’or et d’argent des des terres intérieures environnantes. Dans sa tentative de reprendre les activités de son grand-père, Salvador de Sá e Benevides a soutenu le projet de l’exploitation des mines de São Paulo. Toutefois, ses velléités d’autonomie administrative pour le gouvernement de Rio de Janeiro et l’exploitation des mines de São Paulo se sont heurtées à un veto. Se fondant sur les avis du Conseil d’outre-mer, D. João IV a pris la décision de lui garantir les pleins pouvoirs sur les capitanias de baixo, dont certaines resteraient sous la juridiction de donataires, mais seulement en temps de guerre.
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