Chapitre IV. De la milpa au field : l’expérience dans les champs californiens
p. 109-136
Texte intégral
« Le lendemain du jour où nous avons réussi à traverser le désert, on nous a emmenés à Lamont ; là, on nous a mis directement dans une renta [une chambre à louer], tous entassés, on était tous des nouveaux. Une fois que tu es à Lamont, ben tu es déjà bien à l’intérieur du pays, comme on dit. Alors ce que tu dois faire, c’est chercher où tu vas trouver du travail, où tu vas trouver une renta, comment tu vas faire pour bouger. “Bon dieu ! Maintenant qu’est-ce que je fais ?”, je me suis dit. Et puis, tu es un peu… un peu méfiant, nerveux ou intimidé, car tu ne connais pas, tu ne sais pas si on va te parler anglais ou espagnol, tu commences à penser à tout ça. Alors, peu à peu tu dois perdre cette peur, cette timidité, sortir de ta chambre louée, aller à une marketa [supérette], quoi » (Oliverio, Mississippi, 2006).
1Un des circuits migratoires suivis par les jeunes de María Trinidad a pour première destination Lamont, un village situé dans le comté de Kern, en Californie, dont la principale activité productive est l’agriculture. Ce comté se trouve à l’extrémité sud de la vallée de San Joaquin ; il est formé de onze villes, de nombreux ranches et petites communautés qui totalisent environ 660 000 personnes (Census Bureau, 2000), en plus d’une importante population flottante de travailleurs sans papiers. Oliverio est arrivé dans cette localité à la fin février 2005 ; au moins 40 jeunes de la même région sont arrivés avec lui et se sont ensuite dispersés aux environs. Le comté de Kern est connu comme « l’empire de l’or californien » car il possède de grandes étendues de terres fertiles1 où l’on produit chaque année des tonnes d’aliments pour la consommation nationale et pour l’exportation.
2Chaque année, la vente des produits agricoles dans l’État de Californie engendre environ 24 millions de dollars de revenus, et neuf des dix comtés les plus productifs des États-Unis se trouvent dans cet État (California Department of Food and Agriculture, 2006). Bien que l’agriculture californienne soit hautement technicisée, les récoltes s’y font toujours à la main, ce qui fait que celle-ci a toujours été liée à la surexploitation de la main-d’œuvre migrante et en majorité sans papiers. Chaque année les travailleurs migrants cultivent, récoltent et emballent des tonnes de fruits et légumes très variés, cultures qui requièrent beaucoup de soin pour leur récolte, et aussi une main-d’œuvre abondante à certaines phases du cycle agricole. Grâce au travail des migrants, les États-Unis sont devenus le principal producteur et exportateur d’aliments à l’échelle mondiale, et des millions de familles américaines ont un accès assuré aux aliments à un prix inférieur à celui d’autres parties du monde2.
Carte 2. – Comté de Kern, de Tulare et de San Joaquin, Californie.
3Depuis le milieu du xxe siècle, dans les champs, on constate une prédominance de la force de travail mexicaine3 qui pendant très longtemps provenait des États de plus longue tradition migratoire, comme ceux de Guanajuato, Jalisco et Michoacán, puis elle a été supplantée par la main-d’œuvre indienne provenant de l’État de Oaxaca. Depuis quelques années on a aussi commencé à voir arriver des centaines de travailleurs de Veracruz puis aussi du Chiapas, ces derniers étant pour la plupart indiens, sans papiers et sans aucune expérience de la migration transnationale4. Comme l’ont montré certains auteurs (Holmes, 2006 ; Nagengast et Kearney, 1990 ; Zabin et al., 1993), le travail agricole aux États-Unis est structuré selon une hiérarchie organisée en fonction de l’appartenance ethnique et de la citoyenneté : ça commence par les citoyens américains blancs, suivi par les résidents d’origine latine, les Mexicains métis sans papiers et enfin les Mexicains indiens sans papiers. Pendant très longtemps, ces derniers étaient en majorité des Mixtèques de Oaxaca, mais maintenant, ce sont aussi des Chiapanèques appartenant à différents peuples mayas, parmi lesquels les Tojolabales.
4Ce chapitre a pour objectif de montrer la façon dont les migrants chiapanèques d’origine tojolabal s’intègrent au marché du travail californien et en viennent à faire partie d’un « salariat bridé », c’est-à-dire une « force de travail captive » dont on empêche, par divers mécanismes – allant de la simple contrainte à différentes formes de dissuasion – la mobilité géographique, professionnelle et sociale (Moulier Boutang, 1998 : 73). Je parlerai aussi du fait que face au contrôle de leur mobilité et vue l’impossibilité d’agir collectivement dans les champs, les migrants du Chiapas optent pour la « fuite » vers d’autres régions et d’autres marchés de travail.
Les migrants dans l’agriculture californienne : une brève histoire
5Depuis le milieu du xixe siècle, époque où ces terres étaient encore mexicaines, les travailleurs mexicains étaient présents dans les champs de Californie où l’agriculture a toujours eu besoin d’une grande quantité de main-d’œuvre permanente et saisonnière. Depuis, des Chinois, des Japonais, des Philippins, des Indiens, des Mexicains, etc., se sont succédé à l’époque des récoltes, toujours dans des conditions de travail d’une précarité extrême, avec des salaires en dessous de la moyenne nationale, de longs horaires et sans aucun droit social, entre autres. À un moment de leur migration, tous ces travailleurs ont été la cible de discrimination et de campagnes racistes qui se sont traduites en attaques verbales et physiques, persécutions et expulsions massives. L’exploitation et le dénigrement social de la main-d’œuvre migrante ont été une constante dans l’histoire californienne. Le mépris social à l’égard de ces travailleurs s’est reflété jusque dans la façon dont les agriculteurs les ont dénommés : vagabonds, errants, clochards et ivrognes, pour ne mentionner que quelques-unes des expressions qui les ont désignés depuis le milieu du xixe siècle (Galarza, 1977 : 4).
6Peu de temps après le commencement de la « ruée vers l’or » en Californie (1848), beaucoup de colons établis dans cette région ont abandonné l’agriculture et les champs californiens se sont retrouvés sans travailleurs. Le manque de main-d’œuvre a été compensé par des migrants chinois, initialement venus travailler dans les mines ou sur la construction de chemins de fer, mais qui peu à peu ont été poussés vers les zones agricoles où ils ont travaillé dans des conditions déplorables pendant trois décennies (1870-1900) [Berlan, 1997 et 1986]. Pratiquement dès leur arrivée, ces travailleurs ont été la cible d’une campagne de haine raciale : on les accusait d’être les responsables du chômage et de la baisse des salaires des travailleurs américains. Cette campagne a donné lieu à une violence physique contre eux, un ostracisme social, des expulsions du territoire et la promulgation de diverses lois discriminatoires qui ont culminé avec la loi du 16 mai 1882 qui, entre autres, interdisait l’entrée d’ouvriers chinois dans le pays (Taylor, 2002). Comme le soutient Berlan (1997), le véritable développement de l’agriculture californienne a lieu dans cette période, à partir du moment où s’établit un système d’exploitation intensif basé sur l’embauche et la surexploitation d’une grande quantité de main-d’œuvre saisonnière dans des conditions précaires.
7Vers la fin du xixe siècle, des milliers de Mexicains sont arrivés aux États-Unis dans l’intention de travailler dans l’agriculture, les mines ou les chemins de fer ; la majorité se sont établis dans les États du Texas, de la Californie et du Nouveau-Mexique, territoires anciennement mexicains (voir Durand, 1994 : 108-110). Puis, avec le déclenchement de la Première Guerre mondiale, les agriculteurs se sont confrontés au manque de main-d’œuvre et ont sollicité du gouvernement des USA un programme d’embauche de journaliers mexicains à court terme, avec obligation de retour. C’est ainsi qu’entre 1917 et 1921, environ 70 000 travailleurs mexicains sont arrivés aux États-Unis. Cet accord est connu sous le nom de « Programme Bracero5 » (Durand, 1994 : 119). Pourtant, quand l’impact de l’après-guerre a cessé de se faire sentir (1921), le chômage est devenu un problème à l’échelle nationale et le gouvernement des USA a déporté un million et demi de Mexicains (Durand, 1994 : 120-126). Les champs de Californie se sont retrouvés privés d’une grande partie de leur main-d’œuvre. Le problème a alors été résolu par les « okies » : paysans et fermiers blancs pauvres provenant d’autres régions des États-Unis (Oklahoma, Arkansas et Texas), fuyant la disette que subissaient leurs régions et qui s’incorporaient en tant que main-d’œuvre à l’agriculture californienne dans les mêmes conditions que les immigrants. À la différence des immigrants, leurs conditions de travail et de vie ont été décrites et diffusées par des photographes, des écrivains et des journalistes comme John Steinbeck et Dorothea Lange.
8Avec la seconde guerre mondiale (1939-1945), l’agriculture dans tous les États-Unis a de nouveau eu besoin de travailleurs ; pour résoudre le problème, le gouvernement américain a proposé au Mexique le deuxième « Programme Bracero » (1942-1964), un accord migratoire permettant d’importer de la main-d’œuvre pour les champs et l’entretien des chemins de fer. Presque cinq millions de paysans mexicains sont arrivés au États-Unis dans le cadre de ce programme. À partir de là, la force de travail qui allait prédominer dans l’agriculture californienne allait être mexicaine (Palerm, 1991 : 2).
9Les braceros, les journaliers, étaient en majorité des paysans provenant du Nord et de l’ouest du Mexique, principalement des États de Guanajuato, Jalisco, Chihuahua, Michoacán, Durango et Zacatecas. Ce programme visait à consolider une migration saisonnière « d’hommes seuls » qui ne durerait pas plus de neuf mois et qui serait limitée à l’agriculture (Durand, 1994 : 132-133 ; Alarcón et Mines, 2002 : 46). Les clauses de l’accord n’ont jamais été respectées par les patrons ; durant plus de vingt ans les braceros mexicains ont subi des abus et, à l’instar des Chinois, ils ont été la cible de campagnes racistes, cette fois menées par des groupes blancs extrémistes comme le Ku Klux Klan. Une décision unilatérale des États-Unis a mis fin à ce programme (Durand, 1994 : 134). Avec le Programme Bracero, on ne cherchait pas seulement à satisfaire la demande de main-d’œuvre agricole, on voulait aussi réduire le nombre de sans-papiers ; cependant le nombre de Mexicains qui essayaient de franchir la frontière de façon illégale s’est accru année après année. En 1954, en réponse à cette situation, l’opération Wetback a été lancée. C’était une campagne visant à déporter les Mexicains qui étaient dans le pays sans autorisation, et à empêcher de nouvelles entrées clandestines. Le nom de cette opération fait allusion aux personnes qui à cette époque franchissaient la frontière par le Rio Bravo et arrivaient littéralement avec le « dos mouillé », « espaldas mojadas » qui a dérivé en mojados. Tous les niveaux de gouvernement y étaient impliqués, le FBI, l’armée et la marine. Grâce à cela, 1 067 168 travailleurs ont été déportés (Samora, 1971).
10Malgré les déportations massives de Mexicains, la main-d’œuvre employée dans l’agriculture reste mexicaine. Durand et Massey (2003 : 154) expliquent que la « mexicanisation de l’agriculture californienne » résulte du profil de cette main-d’œuvre : peu coûteuse, jeune, formée, mobile, sans-papiers et voisine géographiquement, caractéristiques qui intéressent les exploitants agricoles et les fermiers de la région et que d’autres groupes ne possèdent pas.
11Durant presque tout le xxe siècle, les Mexicains émigrant aux États-Unis provenaient principalement du Nord et de l’Ouest du Mexique. Au terme d’une longue expérience, une grande partie des travailleurs agricoles migrants se sont définitivement établis en Californie entre 1975 et 1985. La prolifération et l’expansion de plusieurs cultures exigeant une main-d’œuvre nombreuse pour la récolte est ce qui a permis leur installation (Palerm, 1991 : 7). De plus, beaucoup de ces travailleurs ont réussi à bénéficier de l’amnistie accordée dans le cadre de l’Immigration Reform and Control Act (IRCA) de 1986, ce qui leur a permis d’améliorer leur situation économique et d’occuper de meilleurs postes de travail (opérateurs de machines, superviseurs, mayordomos6, etc.).
12À partir des années 1980, des migrants mixtèques de l’État de Oaxaca ont commencé à arriver en Californie, et un nouveau cycle de substitution ethnique s’est ainsi ouvert (Zabin et al., 1993). Dans les années 1990, les Mixtèques sont devenus une composante importante de la force de travail, surtout pour des produits qui requièrent un travail intensif, comme la fraise, la tomate, le raisin, les fruits à noyau et les agrumes (Runsten et Kearney, 2004 : 56). Comme c’est le cas pour chaque nouvelle migration, les Mixtèques sont venus occuper l’échelon le plus bas de la hiérarchie sociale dans l’organisation du travail de l’agriculture californienne : ils se sont chargés des travaux les plus durs et ont reçu les salaires les plus bas. Comme l’expliquent Zabin et al. (1993), les nouveaux migrants arrivaient avec plus de handicaps que les métis ayant émigré plusieurs décennies auparavant : certains ne parlaient pas espagnol (et encore moins l’anglais), ils se trouvaient dans des conditions économiques plus désespérées, la majorité était sans papiers, et, parce qu’ils étaient indiens, c’était un groupe doublement discriminé – par la société américaine et par les métis mexicains.
13Vers la fin des années 1990 on a commencé à voir arriver dans la région des milliers de jeunes originaires des États du Chiapas et de Veracruz, dont beaucoup d’Indiens7. Ils représentaient la dernière réserve de main-d’œuvre mexicaine, provenant des quelques États du pays qui jusqu’aux années quatre-vingt-dix ne connaissaient que peu d’émigration vers les USA. Le profil des travailleurs chiapanèques est le même que celui des autres travailleurs mexicains, c’est-à-dire des travailleurs forts, sains, dans l’étape la plus productive de leur vie, ayant de l’expérience dans les travaux agricoles, sans papiers et pouvant se déplacer là où il y a du travail, car ils ne voyagent pas avec leurs familles. Aux yeux des agriculteurs américains, ils ont en outre l’avantage d’être arrivés récemment et de ne pas disposer de réseau migratoire solide, ce qui en fait une main-d’œuvre plus disciplinée et vulnérable, au moins pendant les premières années de leur migration.
L’entrée dans le marché du travail
« Le deuxième jour où j’étais ici, aux États-Unis, un ivrogne est passé à la pension où j’étais et nous a dit : “Hé les gars, vous ne voulez pas aller travailler ?” “Bien sûr, c’est pour ça que je suis venu”, je lui dis. “Alors viens, je t’embarque, l’ami.” “Et tu vas m’emmener travailler à quoi ?” “Eh bien, je vais t’emmener dans les asperges parce qu’hier on m’a dit qu’ils veulent des gens pour l’asperge.” Alors je rentre dans la maison et je dis aux autres compagnons : “Qui d’autre veut aller travailler ? Il y a un raitero, allons-y !” Et à quatre, on est montés dans la voiture. Le monsieur nous demande : “Et vous êtes là depuis combien de temps ?” “On vient d’arriver il y a deux jours.” “Ne vous en faites pas, je vais vous emmener au travail […]. Ici, n’ayez pas peur, ni de la police ni de rien ; ici vous êtes aux États-Unis, ça y est, vous avez gagné” » (Mississippi, 2006).
14Aussitôt après être arrivé en Californie, Oliverio a commencé à travailler dans un ranch proche de la ville d’Arvin, dans le comté de Kern même. Vu l’absence d’un réseau migratoire solide, son entrée sur le marché du travail s’est réalisée par le biais d’un enganchador8. Pour les migrants récemment arrivés, il s’avère difficile d’avoir un contact direct avec un employeur, car le système de l’agriculture californienne est fait pour fonctionner au moyen de différents types d’intermédiaires ; de plus, les nouveaux migrants ne parlent pas anglais, ne connaissent pas le fonctionnement du système et n’ont pas les contacts nécessaires. Les enganchadores sont le dernier chaînon de ce système d’embauche, il s’agit presque toujours d’autres journaliers agricoles, qui sont dans la région depuis longtemps et qui profitent de leurs contacts avec les mayordomos pour gagner des revenus supplémentaires, mais qui n’en vivent pas. Les enganchadores, en plus d’introduire les migrants dans le marché du travail, leur apprennent comment effectuer les différentes tâches de journaliers, car, bien qu’une bonne partie des nouveaux arrivants soient des paysans, ils ne connaissent pas les cultures pratiquées dans la région et ne sont pas habitués à ce mode de production.
15S’il est vrai qu’Oliverio est parvenu à rapidement s’insérer dans le marché du travail grâce à ces enganchadores, il l’a fait dans des conditions de dépendance totale des mayordomos qui l’ont embauché, et il a dû se séparer des autres jeunes de María Trinidad, qui se sont dispersés dans d’autres ranches de la région selon les opportunités qu’ils ont pu trouver. Il est courant, pendant les premiers mois de migration, de voir les jeunes Tojolabales se disperser et, une fois qu’ils parviennent à payer leur dette et à stabiliser leur situation économique, ils font un effort pour se réunir à nouveau, même si ce n’est que provisoire.
16La première rencontre d’Oliverio avec ce qui serait pour un temps son « nouveau foyer » a été décevante ; c’était un ranch assez isolé, où l’on ne pouvait accéder qu’en voiture et où ne vivait aucun autre travailleur. Quand ils y sont arrivés, il faisait nuit, tout était sombre et silencieux ; on n’entendait que les cigales. Oliverio raconte que, lorsque le mayordomo leur a montré la traila9 dans laquelle ils allaient vivre, la première chose qu’il a pensée, c’est que ce n’était pas un « logement digne » comme celui pour lequel il avait lutté quand il était zapatiste ; il a dit que « c’était sale, il n’y avait pas de toilettes, il n’y avait même pas une “fichue” ampoule, ni d’eau potable, il n’y avait rien, c’était pire que la porcherie de mon cuch [cochon] ». La déception des nouveaux arrivants a été telle qu’une partie du groupe a aussitôt pensé retourner à Lamont ; cependant comme il faisait sombre et qu’ils ne connaissaient pas le ranch, ils n’ont finalement pas pu prendre la fuite. Le lendemain très tôt, le mayordomo est venu pour les emmener dans les champs où ils devaient travailler ; sa première expérience a été d’étayer la vigne et peu de jours après, l’asperge. Ainsi les jours se sont écoulés et, comme l’explique Oliverio :
« Peu à peu on s’est habitués, on s’est adaptés et on a connu plus d’amis qui venaient au travail ; certains des collègues étaient de Veracruz, la majorité du Chiapas, d’autres du Guatemala, de tout. Ils ont commencé par nous payer 6 dollars et demi de l’heure, on travaillait huit, dix heures ; alors il [le contremaître] a commencé à nous arranger la traila, l’eau chaude, la lumière ; alors moi aussi je me suis adapté peu à peu au mayordomo, j’ai commencé à me faire des amis. Donc, peu à peu, on s’est familiarisés avec le travail, le travail collectif de l’asperge, parce que finalement après le travail d’étayer la vigne, on a commencé à cueillir les asperges et pareil avec toutes les cultures, la cherry, l’orange, l’artichaut, tout. Et comme je te dis, peu à peu on a connu Arvin » (Mississippi, 2006).
17Oliverio n’est pas resté longtemps au ranch ; en entrant en contact avec les autres travailleurs présents en Californie depuis plus longtemps, il s’est aperçu que son mayordomo le payait un salaire en dessous de la moyenne et que pour le même loyer qu’il leur faisait payer, il pourrait vivre dans la ville d’Arvin dans un meilleur logement. De plus, dans le ranch, Oliverio se sentait comme prisonnier, car le manque de véhicule l’obligeait à passer des semaines entières dans le field. En outre, il s’est rendu compte que pour avoir son autonomie de travailleur, il était indispensable de connaître différents ranches et faire connaissance avec beaucoup de mayordomos :
« Je n’ai pas duré longtemps avec chaque patron, j’en changeais ; c’est-à-dire que ce que je voulais, c’était connaître un réseau de mayordomos et voir où on payait mieux, et si ici ça ne me convient pas, je sais que je peux aller ailleurs. Pourquoi ? Parce que si ici on ne te paie pas bien, il faut que tu bouges et je suis arrivé à gagner 10 dollars de l’heure, grâce au fait que j’ai bougé et qu’ils ont vu mon travail, et ils me payaient dix de l’heure à cueillir la mandarine » (Mississippi, 2006).
Le système de sous-traitance de la main-d’œuvre
18L’agriculture californienne est étroitement liée à un système de sous-traitance de main-d’œuvre bon marché. Dans différentes régions du monde, ce système a facilité le développement de l’exploitation capitaliste dans les cultures se caractérisant par l’utilisation intensive de la main-d’œuvre à certaines périodes du cycle agricole. En Californie, l’indice de sous-traitance de l’embauche est bien plus important que dans le reste du pays ; actuellement 40 % des travailleurs font appel à un intermédiaire pour obtenir un emploi, et ce chiffre augmente chaque année (Ahn, Moore et Parker, 2004)10. Avec le système de sous-traitance, on cherche à assurer la disponibilité de travailleurs bon marché durant toute l’année et en particulier à l’époque des récoltes. Ce système est formé par l’articulation de deux niveaux d’intermédiation qui ensemble, assurent le fonctionnement de l’agriculture californienne. Au sommet du système se trouvent les entreprises chargées de l’embauche, qu’on appelle Farm Labor Contractors (FLC) ; en bas, les intermédiaires traditionnels connus comme mayordomos, qui très souvent font appel à leur tour aux enganchadores. En mettant en relation ces deux systèmes de sous-traitance, on combine des mécanismes modernes et traditionnels pour exploiter et contrôler le travailleur en offrant d’énormes avantages à la production commerciale de fruits et légumes.
Les Farm Labor Contractors
19La première fois qu’il est allé en Californie, Oliverio travaillait pour la famille Gallardo, trois frères originaires de Guanajuato qui vivaient depuis des décennies dans le comté. La famille Gallardo illustre très bien comment fonctionne le système de sous-traitance en Californie, car elle permet d’observer la façon dont s’imbriquent les deux systèmes. Le frère qui a passé le plus de temps aux États-Unis est un contratista, propriétaire d’une Farm Labor Contractor (FLC), c’est-à-dire une entreprise de sous-traitance de la main-d’œuvre. La fonction principale de ces entreprises est de prendre en charge une partie des activités et des responsabilités des agriculteurs, en particulier le recrutement de la main-d’œuvre, la supervision du travail dans les champs, le paiement des salaires et le contrôle de la force de travail. L’agriculteur est ainsi libéré d’une partie importante de son travail, et cela lui permet aussi d’échapper à ses obligations légales en tant qu’employeur à l’égard des travailleurs et vis-à-vis de l’État.
20Tout au long de l’année, la FLC de la famille Gallardo fournit la main-d’œuvre à sept agriculteurs en moyenne ; pour cela elle a recours aux services de cinq mayordomos. Leur quantité de travail dépend du nombre de contrats annuels qu’ils parviennent à obtenir ; leurs gains aussi car l’accord avec les agriculteurs est qu’ils recevront des « commissions » sur les récoltes effectuées, et le montant en varie d’une culture à l’autre. Comme le montrent certains spécialistes, ces accords n’ont pas de cadre légal, en effet, 80 % d’entre eux ne sont que des accords verbaux (Villarejo, 1992). Cet auteur signale que la plupart de ces entreprises sont petites, quoique certaines puissent gérer des fiches de paie dont le total dépasse le million de dollars annuel.
21Comme dans le cas des Gallardo, la plupart de ces entreprises appartiennent à des Mexicains ayant obtenu la résidence ou la citoyenneté américaine ou à des citoyens américains d’origine hispanique. Ceci est dû à leurs liens avec des réseaux migratoires en permanente rénovation leur facilitant le recrutement de la main-d’œuvre d’une part, et d’autre part au fait de parler espagnol, langue dominante dans les champs cultivés. Presque tous les contratistas ont une grande expérience du travail agricole car dans le passé, ils ont eux-mêmes travaillé en tant que superviseurs, mayordomos, contremaîtres, enganchadores ou même journaliers. Selon les travaux de Villarejo et Runsten (1993 : 30), en Californie chaque FLC fonctionne en moyenne avec huit mayordomos, un superviseur de terrain, trois employés administratifs et fait travailler environ 280 journaliers en pleine saison ; il est fréquent qu’une partie des employés de l’entreprise soient de la famille du contratista. Dans le cas des Gallardo, c’est tout à fait évident ; sur les sept mayordomos, six étaient de la famille, des frères ou des neveux ; par ailleurs, d’autres postes étaient occupés par des cousins ou des amis proches de la même origine. Les seuls à ne pas faire partie de la famille étaient les travailleurs, qui souvent utilisaient un numéro de sécurité sociale appartenant aux filles de leur mayordomo, et recevaient chaque mois un chèque au nom de ces jeunes filles que le mayordomo leur changeait ensuite en liquide.
Les Mayordomos
22Dans le contexte quotidien, les mayordomos représentent le second niveau d’articulation du système de sous-traitance ; en général, ils travaillent pour l’entreprise d’un contratista, bien que certains proposent directement leurs services aux fermes. Leurs fonctions consistent à recruter les travailleurs, les entraîner, les répartir dans les champs, leur assigner les tâches, superviser leur travail, les payer ainsi que tout ce qui a trait à l’organisation du travail dans les champs cultivés. On pourrait dire que ce sont eux qui se chargent d’appliquer la politique du droit du travail à l’égard des ouvriers.
23Les mayordomos représentent un type d’intermédiaire caractérisé comme « traditionnel », parce qu’à l’instar des anciens enganchadores des plantations de canne à sucre de l’époque coloniale, ils créent des relations de dépendance avec les travailleurs pour garder la main-d’œuvre assujettie (Sánchez, 2001). Contrairement au contratista, les mayordomos entretiennent une relation personnalisée avec le travailleur qui ne se limite pas au travail ou à l’argent.
24Quand Oliverio venait d’arriver par exemple, il a dû faire un emprunt à son mayordomo, car il n’avait « même pas une couverture pour se couvrir la nuit », « ni de vêtements de rechange » car il avait perdu le peu qu’il possédait dans le désert. Cette dette n’est pas seulement économique, elle est morale et inaugure l’instauration d’une relation de pouvoir où le travailleur est toujours dominé. En échange de ce genre de « services », on fait pression sur les travailleurs pour qu’ils « y mettent du leur au travail », ce qui pour les mayordomos veut dire : travailler plus vite, accepter les bas salaires, faire des heures supplémentaires, ne pas prendre de jour de repos à l’époque des récoltes, etc.
25En plus de recruter la main-d’œuvre et de surveiller son bon fonctionnement dans les champs, les mayordomos sont les fournisseurs obligés d’une série de services de base sans lesquels les migrants ne pourraient accéder au marché du travail ni survivre dans un milieu qui leur est inconnu (Sánchez, 2001). Ils leur procurent par exemple logement, transport et crédit, et ils les aident dans des situations diverses de la vie quotidienne, comme pour envoyer de l’argent, passer des appels téléphoniques, allez chez le médecin et autres. Ces « services » permettent aux mayordomos de gagner davantage et d’exercer un contrôle plus efficace de la force de travail, tout en mettant le travailleur dans une situation de dépendance totale.
« Parfois c’est le mayordomo qui fournit le logement, qui fournit le transport, parfois ils font ça comme pour attirer les gens, comme pour les tenir là, parce que des fois ils ne trouvent personne et alors ils nous disent : “Écoute, tu n’as pas de logement ? Là, il y en a un.” Alors c’est comme ça qu’ils accrochent les gens, qu’ils t’attrapent » (Oliverio, Mississippi, 2006).
26Les mayordomos ont aussi pour fonction de discipliner la force de travail, c’est-à-dire d’éviter non seulement qu’il y ait des conflits dans les champs, surtout sur des questions de travail, mais aussi évidemment, que les travailleurs s’organisent ou se syndicalisent. Pour ce faire, ils utilisent des mécanismes de contrôle dus aux relations familières entre paisanos, « compadres11 » ou amis qu’ils établissent avec le travailleur. Par exemple, il est fréquent que certains mayordomos offrent à des travailleurs de leur « arranger leurs papiers » s’ils « y mettent du leur » ou s’ils les mettent en contact avec d’autres travailleurs de la même origine. Ce type de proposition s’adresse fréquemment aux Chiapanèques qui, vu leur peu d’expérience, ne savent pas que ce sont des promesses à double tranchant, comme le relate Oliverio :
« Un jour, ce mec [le mayordomo] me dit : “Oliverio, viens, je t’apporte un petit plat que ma fille a préparé, ma fille a fait les tortillas aussi.” Et je lui ai dit en riant : “Eh bien, je ne me vends pas.” “Sérieusement, je t’invite à la maison”, il me dit, et alors quand je suis allé chez lui, il m’a proposé le truc des papiers, il me dit que si je veux faire passer ma famille, il me donne la signature, que c’est en tant qu’amis, que si j’ai d’autres parents du Chiapas, qu’ils viennent travailler avec lui » (Mississippi, 2006).
27Dans un premier temps, Oliverio s’est fait des illusions, mais très vite il s’est rendu compte du piège ; ce qui intéressait le mayordomo, c’était d’éviter qu’il se syndicalise, car il a fait sa proposition peu de jours après la visite dans le champ des activistes de l’Union. Par ailleurs, Oliverio a su que c’était un mayordomo qui avait l’habitude de « tromper les gens » et qui « finissait toujours par leur devoir de l’argent », d’ailleurs la rumeur circulait que c’était ainsi qu’il avait réussi à acheter plusieurs petits ranches dans la région.
Les conditions de travail dans les champs
28Arvin, Californie, 13 juillet 2005. Comme tous les jours, Oliverio s’est levé à l’aube pour préparer son déjeuner et s’apprête à aller au travail. À quatre heures du matin, on a entendu le klaxon de la camionnette du mayordomo indiquant qu’il était temps de partir. Au bout d’une heure de route, ils sont arrivés aux champs, le mayordomo a indiqué à chaque équipe de travailleurs leurs tâches pour la journée et la partie du champ à couvrir. On aurait dit un jour comme les autres : dix heures de travail intense, chaque travailleur sur sa ligne, avançant rapidement, sans pause, sous la pression du mayordomo, leurs corps pliés, endoloris, en sueur, sous des températures pouvant dépasser les 40 degrés centigrades. Alors que le soleil tapait fort, Oliverio a trouvé dans un sillon le corps d’un travailleur qui, il l’a su par la suite, était mort d’insolation.
29Cet été 2005, la nouvelle que plusieurs paysans des comtés de Kern et de Fresno étaient morts à cause de la chaleur a filtré dans la presse : Salud Zamudio Rodríguez est mort le 13 juillet après avoir travaillé dans un champ de piments près d’Arvin ; Ramón Hernández est mort un jour après dans un champ de melons du village de Huron, à l’ouest du comté de Fresno ; Agustín Gudiño est mort le 21 juillet dans un champ de tomates propriété des vignobles Guitarra ; Constantino Cruz est mort après s’être effondré dans une plantation de tomates près de Shafter (Martínez, 2006).
30Les rudes conditions de travail sur les terres agricoles aux États-Unis ont été décrites depuis plusieurs décennies par des journalistes, des chercheurs, des syndicats et des ONG. On retrouve toujours les mêmes constantes : un travail dur, des journées de plus de dix heures, des températures élevées, l’exposition aux pesticides, la pression, les mauvais traitements, la discrimination et les bas salaires. Tout cela se traduit par une vie précaire, des accidents, des maladies et parfois même la mort. Comme le montrent certains rapports, le travail agricole est une des occupations les plus dangereuses aux USA ; les journaliers s’exposent à de plus grands risques de lésions et de dommages que les travailleurs d’autres branches (Oxfam, 2004). La mortalité moyenne des travailleurs agricoles en Californie notamment, est cinq fois plus élevée que dans d’autres industries (Ahn, Moore et Parker, 2004).
31Le risque élevé auquel sont exposés les journaliers agricoles durant le travail n’est pas tant lié à la nature de ce type d’activité mais aux conditions de travail déplorables. Par exemple, certains accidents ou certaines maladies, causés par la chaleur pourraient être évités si les employeurs appliquaient les mesures indispensables stipulées par la loi – toilettes, eau potable, verres jetables, eau pour se laver, ombre pour se reposer entre autres. Ce qui caractérise le travail dans les champs et qui est source de danger permanente pour le travailleur, c’est la pression exercée pour qu’il exécute son travail rapidement.
« Dans le field on est toujours pressés, les mayordomos nous mettent la pression et c’est ce que ceux de l’Union ne veulent pas. Par exemple, dans les vignes il y a beaucoup de pression ; ce qui m’est arrivé, c’est que c’était mon tour d’emballer et le mayordomo m’a dit : “Tu sais quoi ? Il me faut 45 caisses de raisins chacun.” Dans l’équipe, on est quatre, 45 caisses chacun, c’est ce que je devais emballer. Mes collègues étaient dans le sillon en train de cueillir, ils m’apportent le raisin et me le laissent et moi, il faut que je l’emballe à toute blinde, que je le mette dans la caisse, que je la scelle, la pèse et la mette sur la pile. Il fallait que je fasse plus de 180 caisses environ, c’était la moyenne que je devais emballer, mais normalement on en emballait 125 » (Oliverio, Mississippi, 2006).
32Cette hâte ne vient pas seulement du besoin inhérent à l’agriculture de ramasser rapidement les récoltes pour qu’elles ne se perdent pas, elle a aussi à voir avec la façon dont on organise la production, comme me l’a expliqué le mayordomo d’Oliverio : « Nous, on nous paye par tonne ramassée. » Ce qui fait que ce qui les intéresse, c’est de ramasser le plus de tonnes en un minimum de temps et avec un minimum de travailleurs. Ce mode de travail implique une pression sur les journaliers au détriment de leurs conditions de travail et de leur santé. Chaque mayordomo a sa propre manière de faire pression sur les travailleurs, « ça dépend des caractères », dit un jeune de Veracruz. Oliverio en a connu beaucoup, entre ceux qui lui disaient : « Mettez-y du vôtre, les gars, sinon l’asperge va monter en fleur », et ceux qui lui criaient : « Grouillez-vous, flemmards. » La pression subie par les travailleurs migrants ne vient pas que des mayordomos ; la nature sporadique de leur emploi de journaliers agricoles exerce une pression supplémentaire ; elle les oblige à travailler à un rythme accéléré, beaucoup d’heures par jour, car ils savent que c’est la seule façon d’arriver à optimiser leurs revenus et à compenser les mois où ils seront sans emploi (Bade, 2004).
33Les travailleurs doivent aussi supporter les conflits surgissant entre mayordomos, contremaîtres, contratistas et propriétaires des ranches, qui n’ont pas toujours les mêmes intérêts et donnent souvent des consignes de travail contradictoires aux journaliers. Comme le résume Oliverio, en faisant référence à son expérience de militant zapatiste : « Ils commandent mais ne savent pas obéir. » Ce matin-là, il devait travailler dans un vignoble. Tandis que ses compagnons d’équipe la vendangeaient, Oliverio triait, emballait, pesait et empilait les grappes de raisin qui allaient être mangées quelques jours plus tard par des centaines de familles américaines. Normalement, ils arrivaient à emballer 80 à 90 caisses à l’heure, car c’était un travail très laborieux, les raisins de table ne devant pas être abîmés ; cependant, ce jour-là le mayordomo a exigé d’eux qu’ils en emballent 180 caisses à l’heure. Comme ce mayordomo savait que c’était impossible, il a dit à Oliverio de ne plus trier les grappes pour aller plus vite. Oliverio lui a obéi, mais quand le superviseur s’est rendu compte qu’il y avait des raisins abîmés dans les caisses, ça a créé un problème :
« Un moment après un autre connard de superviseur vient vérifier les caisses et me crie : “Regarde il y en a des trop mûrs.” Pour quelques raisins trop mûrs, ils me retirent toute la foutue caisse de la pile. “Il faut que tu reprennes ça”, qu’il me dit. Et il me jette la caisse par terre et il me crie : “Recommence !” Alors du coup, toi, ce que tu fais, c’est que tu t’énerves avec eux parce qu’avant on t’a dit autre chose. Et alors tu commences à râler, c’est pour ça que je te dis qu’ils commandent mais ne savent pas obéir ; les patrons, c’est comme ça. […] Alors tu t’expliques avec eux, mais ils ne comprennent pas ; ce qu’ils font, c’est qu’ils te renvoient, ils te disent : « Bon, demain tu ne viens pas. » Alors je lui dis : “Mais, pourquoi ? Tu ne peux pas me renvoyer comme ça, j’ai fait ce que tu m’as dit” » (Mississippi, 2006).
34Les mayordomos exigent d’aller à toute vitesse pour ramasser les récoltes et emballer les produits parce qu’ils sont payés à la tonne. Les superviseurs suivent les consignes des propriétaires et exigent de la qualité pour que leur produit réponde aux standards du marché. Les travailleurs se retrouvent ainsi pris entre deux consignes auxquelles il est impossible d’obéir, mais qui les poussent à un rythme de travail beaucoup plus rapide que celui d’un travailleur légal et syndicalisé. En fin de compte, patrons et mayordomos tirent profit de cette situation, parce que, comme l’explique Oliverio lui-même :
« Quand on se dépêche, c’est comme si on leur faisait cadeau de notre travail, parce qu’on travaille à l’heure, et si on me demande de la qualité, je peux faire 80 caisses et pas 180. Mais comme ils te mettent la pression pour les 180 caisses, alors ce qu’ils veulent c’est que tu leur offres ton travail ; et après l’autre superviseur arrive et te jette ta caisse et te renvoie pour avoir répondu, pour avoir expliqué, pour t’être défendu ; et alors ils te renvoient » (Mississippi, 2006).
Exposition aux pesticides : l’histoire de José
« Mon frère, José, n’est resté que deux mois aux USA, il a dû revenir parce qu’il est tombé malade, il était couvert de boutons, il avait très mal à la tête, partout. Ils disent qu’un jour, il était même en train de suffoquer, là-bas dans le champ où il travaillait, ils pensaient qu’il allait mourir » (Hernán, Chiapas, 2005). José a 25 ans, c’est un jeune zapatiste d’une communauté voisine de María Trinidad ; début 2006, après avoir obtenu la permission de sa communauté, il a émigré aux États-Unis. Comme beaucoup de jeunes, il est arrivé à Lamont et a commencé à travailler dans différents ranches du comté de Kern. D’après les symptômes décrits par son frère, il est très probable qu’il ait été intoxiqué par des pesticides.
Entre 1997 et l’an 2000, on a signalé une moyenne de 475 cas par an d’empoisonnement par des pesticides dans l’État de Californie, la plupart ont eu lieu dans les comtés de la Vallée Centrale de Californie, comme Kern, Tulare et Fresno12.
Nausées, irritation des yeux, maux de tête et éruptions cutanées sont certains des premiers symptômes de l’empoisonnement. Par ailleurs, ces substances hautement toxiques peuvent provoquer de l’asthme ou d’autres dommages qui tardent des années à se manifester comme le cancer, les malformations des nouveau-nés, la stérilité, la neurotoxicité ou un retard de croissance chez les enfants (CPR, 2002). José a commencé à présenter des symptômes d’empoisonnement après avoir travaillé dans des vignobles récemment traités13. Pendant plusieurs semaines, il a supporté la douleur, mais voyant que sa santé empirait et qu’il lui était impossible d’accéder au service médical, il a décidé de rentrer au Chiapas, malgré la dette importante contractée pour franchir la frontière et qu’il n’avait pas encore fini de payer. José est rentré, mais il est fréquent que les travailleurs supportent en silence le malaise et la douleur provoquée par les intoxications dues aux pesticides comme si c’était un risque inhérent à leur travail.
L’exploitation dans les champs
35Durant les deux dernières décennies, le secteur agricole américain a connu une croissance explosive de la production et des ventes ; dans la même période, la situation des travailleurs s’est précarisée (Oxfam, 2004). Oliverio a commencé par gagner six dollars de l’heure14, mais son salaire a varié au cours de l’année en fonction : de la saison productive, de la quantité de main-d’œuvre disponible dans la région, du type de culture et de s’il était embauché à l’heure ou à la tâche15. Selon les résultats de l’enquête NAWS (DOL, 2005), les revenus annuels des travailleurs agricoles varient entre 10 000 et 12 999 dollars par an, alors qu’aux États-Unis, le revenu moyen d’une famille oscille entre 15 000 et 17 999 dollars ; d’autres études donnent un chiffre bien inférieur16. Oliverio a pu gagner jusqu’à 400 dollars par semaine, mais il y a eu des périodes où il n’a gagné que 160 dollars. Selon son estimation, ses revenus annuels n’ont pas atteint les 9 000 dollars.
36À l’époque des récoltes, Oliverio a travaillé de 10 à 12 heures par jour, sept jours sur sept, sans évidemment toucher d’heures supplémentaires. En revanche, il était sans emploi à d’autres époques de l’année. En moyenne, les ouvriers agricoles travaillent 34 semaines et demie par an dans les champs ou les fermes (66 % de l’année), environ cinq semaines dans des activités non agricoles (10 %) et le reste du temps (24 %), ils sont sans emploi (DOL, 2005). L’accroissement de la durée de la journée de travail et la diminution de la valeur de la force de travail sont les pièces-clefs du système de production californien ; il y a cependant beaucoup d’autres mécanismes par lesquels mayordomos, contratistas et patrons s’approprient le travail des journaliers agricoles. Le témoignage suivant rend compte de quelques-uns des mécanismes d’exploitation des travailleurs :
« L’exploitation commence à partir du moment où le mayordomo te dit : “Mettez-y du vôtre, les gars ! Mettez-y du vôtre parce qu’à midi l’asperge monte en fleur et ne vaut plus rien !”Parfois le mayordomo te parle gentiment ; c’est comme le “gabacho” [équivalent de gringo, Américain] qui te dit “good” et te donne une petite tape dans le dos et toi, tu es reconnaissant parce qu’il t’a dit “good”, “enchanté”, “thank you”, “merci beaucoup”. Comme si toi, avec ces mots qu’ils te disent, tu te sens reconnaissant et tu vas à toute berzingue dans le field. Alors, sans que tu t’en rendes compte, eux, ce qu’ils veulent, c’est que leurs travaux avancent, et en fin de comptes, même si tu y mets du tien, c’est pareil, ils ne vont pas te payer plus » (Oliverio, Mississippi, 2006).
37Comme on le voit dans ce témoignage, une pratique habituelle des mayordomos et des patrons est d’intensifier le rythme de travail des journaliers à des niveaux bien supérieurs à une journée de travail normale. Pour cela ils recourent à divers moyens ; par exemple, les mayordomos font jouer les dettes morales ou économiques que les travailleurs ont envers eux. Ils mettent aussi en concurrence les différentes équipes de travailleurs, regroupant en général les gens de même origine. Les mayordomos s’appuient sur certains groupes pour accélérer le rythme des travaux des champs, ils profitent par exemple de la main-d’œuvre récemment arrivée, qui est la plus vulnérable et donc facile à discipliner. D’autres mayordomos profitent des réseaux des migrants eux-mêmes pour exercer une pression sur leurs membres ; comme de nombreux spécialistes l’ont démontré, les propres réseaux de solidarité des migrants disposent de mécanismes de coaction qui peuvent être mis à profit par les mayordomos pour le contrôle des travailleurs et pour maintenir un rythme de travail élevé (Krissman, 2002).
38Les mayordomos et contratistas savent que leurs gains dépendent du temps de travail non rémunéré qu’ils arrivent à obtenir des journaliers ; il existe pour cela différentes stratégies ; par exemple, les chèques des travailleurs couvrent toujours moins d’heures que celles qui ont été faites en réalité. Comme l’explique Oliverio : « Parfois ce n’est pas grand-chose, une heure, deux heures par semaine, mais à tous les coups, il faut toujours qu’ils t’en enlèvent. » Quand le travailleur ose réclamer, les mayordomos justifient ces réductions en disant que c’est le temps qu’ils ont pris pour aller aux toilettes, faire des pauses ou passer d’un champ à l’autre. C’est la même chose quand ils sont embauchés à la tâche ; certains mayordomos ne notent pas tout ce que chaque travailleur a réellement fait et s’approprient ainsi une part de leur travail.
« Par exemple, dans le raisin, eh bien les mayordomos doivent faire les comptes ; alors si tu as fait cette rangée, ils mettent ton nom sur le poteau et sur leur carnet, ils notent au fur et à mesure combien de rangées tu fais et ils font leurs comptes. Mais toi aussi, tu dois compter, tu cueilles et tu fais tes comptes ; mais on sait bien que de toute façon, ils t’arnaquent, ils t’arnaquent de dix, douze plants, qui vont se garder pour eux » (Oliverio, Mississippi, 2006).
39Il est aussi commun que les mayordomos paient avec du retard ou qu’à la fin de la récolte ils doivent encore plusieurs semaines de salaire aux journaliers. D’après la loi californienne, les mayordomos doivent payer chaque semaine, mais certains ont pour particularité de payer avec plusieurs semaines de retard, afin de maintenir la main-d’œuvre immigrante à leur disposition, ce qui est profitable quand elle manque. D’autres ont l’habitude de garder pour eux les salaires des travailleurs, surtout s’il s’agit de sans-papiers récemment arrivés, étant donné qu’il leur sera difficile d’exiger ce qui leur revient.
La rencontre avec « l’Union »
« Ça faisait à peine une semaine que je travaillais au ranch de “l’Indien” et une fille est arrivée avec sa petite auto, les cheveux courts et son badge et son carnet à la main, comme toi. On était en train de nettoyer tout le champ et quand on a eu fini d’arranger, alors cette fille est arrivée ; je crois qu’elle nous a vus et alors elle nous a demandé : “Les gars, avec qui vous travaillez ?” “Eh bien, avec la famille Gallardo.” “Comment ils vous traitent ?” “Jusqu’à maintenant ils m’ont bien traité.” “Et ils vous payent ?” “Oui, ils nous ont bien payés, jusqu’à présent on n’a pas de problème ; il nous a aidés et tout.” “C’est bien”, elle a dit, “je ne suis pas contre, mais s’ils ne vous payent pas, vous trompent ou vous maltraitent, je suis à votre service, je suis là pour vous aider”. Un contact de plus ! C’étaient ceux de l’Union de César Chávez » (Mississippi, 2006).
40La United Farm Workers (UFW), plus connue parmi les journaliers migrants comme « l’Union de César Chávez », est un des plus grands syndicats de travailleurs agricoles des États-Unis. L’Union a pour origine une organisation fondée en 1962 par César Chávez17, un journalier agricole mexicano-américain qui a consacré sa vie à la lutte pour l’amélioration des conditions de travail et de vie des travailleurs dans les champs18. La mission du syndicat était, selon les propos de son leader de : « Produire une nourriture saine dans de bonnes conditions pour les travailleurs ; une nourriture saine pour le consommateur et de bonnes conditions pour le travailleur » (Chávez cité in Cirici, 1993 : 29). Le syndicat revendique les principes de la non-violence mis en pratique par Gandhi et Martin Luther King. Les grèves massives, grèves de la faim, boycotts et manifestations ont été ses formes de lutte pendant presque cinquante ans. Sa première action victorieuse date de 1965, quand les travailleurs de l’Union ont soutenu la grève déclenchée par les travailleurs philippins de l’Agricultural Workers Organizing Comitee (AWOC) contre les viticulteurs de Delano. La même année, ils ont lancé un boycott national et international du raisin de table qui ne porterait pas l’étiquette de l’Union, et au bout de cinq ans, ils ont obtenu des contrats avec les principaux producteurs de raisin en Californie.
41Actuellement la UFW est présente dans dix États du pays et 27 000 journaliers agricoles travaillent sous contrats de l’Union au moins un jour par an ; cependant il y a beaucoup plus de travailleurs affiliés qui ne sont pas sous contrat. En plus d’obtenir avec les agriculteurs des contrats par lesquels ils assurent à leurs affiliés de plus hauts salaires, de plus importantes prestations et de meilleures conditions de travail, l’union lance diverses campagnes en faveur des travailleurs ainsi que des initiatives de réformes légales.
42Peu de jours après qu’Oliverio ait commencé à travailler dans un ranch proche d’Arvin, une activiste de l’Union faisant du travail politique est arrivée. À travers le grillage qui marque les limites du ranch, elle s’est présentée aux travailleurs, elle leur a expliqué qu’elle faisait partie de l’Union et leur a parlé de leurs droits dans les champs. Enfin, elle leur a distribué des brochures et les a invités à participer à une réunion d’information qui allait avoir lieu dans une église catholique d’Arvin. Oliverio et un autre jeune du Chiapas qui avait aussi participé au mouvement zapatiste ont été les seuls à accepter l’invitation.
43« Je voulais connaître mes droits, autrement dit comprendre, quoi, pour qu’on ne m’arnaque pas », m’explique Oliverio. Durant ses années de militantisme dans le zapatisme, il avait appris qu’il était important de connaître ses droits ; Oliverio savait que cela serait un recours précieux pour évoluer dans ce nouveau contexte. Souvent, les migrants qui viennent d’arriver aux États-Unis, pensent qu’ils n’ont aucun droit, du fait d’avoir franchi la frontière sans permis ; cette idée peut être renforcée quand ils se rendent compte que leur personne est réduite à la figure d’« illégal » ou de « sans-papiers ». Le discours de la jeune activiste n’était pas étranger aux idées d’Oliverio ; au contraire, c’était un discours qu’il comprenait et qui avait un sens pour lui, ce qui ne s’est apparemment pas produit pour les autres travailleurs de son équipe qui n’avaient pas eu une expérience de lutte préalable. Le contact d’Oliverio avec l’Union, deux semaines après son arrivée aux États-Unis montre comment, dans un contexte favorable, le capital militant zapatiste peut rapidement se réactiver et se « transposer » à une autre lutte, car, comme l’explique Oliverio : « Ce que j’ai vécu avec l’organisation, personne ne me l’enlèvera ; ça, ça m’est resté. »
44Quelques jours plus tard, la militante de l’Union est venue chercher Oliverio pour l’emmener à la réunion où les activistes de l’Union leur donnaient une conférence sur leurs droits en tant que travailleurs agricoles. C’est là qu’Oliverio a appris que même s’ils n’ont pas leurs papiers, le patron doit leur fournir les conditions adéquates pour effectuer leur travail (toilettes, eau potable, gobelets, eau pour se laver, ombre, etc.) ; qu’il doit leur procurer gratuitement les outils de travail, leur permettre une pause de 10 minutes toutes les 4 heures et demie pour manger ; que s’ils tombent malades ou se blessent au travail, le patron est obligé de leur fournir le service médical et une compensation s’ils perdent plus de trois jours ; qu’il ne peut leur payer moins que le salaire horaire minimum établi pour la Californie et qu’après la huitième heure de travail, il doit leur payer la moitié du temps en plus. Comme l’explique Oliverio : « C’est comme ça que j’ai réuni de l’information et que j’ai commencé à apprendre, que j’ai commencé à m’impliquer. »
45Quand les militants ont vu qu’Oliverio venait du Chiapas et qu’il participait activement à la réunion, ou comme il dit, quand « ils ont vu que j’étais un peu réveillé », ils lui ont demandé s’il était zapatiste ; ce n’était pas la première fois qu’on lui posait cette question, comme il l’explique lui-même : « Eh bien, c’est normal si tu viens du Chiapas, et s’ils voient que tu es un peu réveillé, alors ils te demandent si tu as connu Marcos mais je leur ai dit que non, que je ne le connais pas » (Mississippi, 2006). D’après ce que j’ai pu observer pendant mon travail de terrain, les jeunes zapatistes ou ex-zapatistes de María Trinidad évitent de parler de leur participation à l’EZLN, même dans des milieux ou leur militantisme aurait été valorisé positivement, comme dans le cas de l’Union. Ce n’est guère surprenant, finalement, Oliverio et tous les autres ont appris très jeunes à garder le secret sur leur identité zapatiste et pour toute information concernant l’organisation. Après cette réunion, quelques semaines ont passé et la syndicaliste est revenue au ranch où Oliverio vivait et travaillait. Cette fois c’était pour l’inviter à participer à une réunion régionale qui allait avoir lieu dans la ville de Bakersfield, à une heure d’Arvin. Oliverio a d’abord hésité, parce que ça impliquait la perte d’un jour de travail et peut-être d’avoir des problèmes avec son mayordomo, mais il a finalement accepté ; il voulait connaître ses droits, mais en outre il avait besoin de l’aide de l’activiste : « Je vais à la réunion, mais je veux que tu m’aides pour quelque chose ; écoute, il faut que j’envoie de l’argent à ma famille et je n’y comprends rien. » La jeune femme a accepté. Pour Oliverio il était très important de réaliser le premier envoi d’argent à sa famille, non seulement à cause de la grosse dette qu’il avait à rembourser, mais aussi parce que c’était une façon de démontrer que sa migration portait ses fruits. Il est fréquent que les premiers contacts entre les travailleurs sans papiers et les syndicats se fondent sur des intérêts de type distinct : alors que les travailleurs recourent au syndicat pour résoudre des questions très concrètes qui se présentent à eux dans leur vie quotidienne – et non dans l’esprit d’un militantisme syndical –, les syndicats cherchent à construire une base sociale active.
46Le jour de la réunion du syndicat, l’activiste est venue chercher Oliverio au ranch et de là, elle l’a emmené au parc d’Arvin pour passer prendre d’autres travailleurs.
« On est arrivés au parc et la fille me dit : “Voila des petits drapeaux pour vous, vous les agitez comme ça.” Le petit drapeau est noir et rouge, comme celui des zapatistes. Alors, ce que j’ai fait, c’est que je suis allé planter un petit drapeau au milieu du parc et j’agitais l’autre. Plusieurs personnes se sont approchées et me demandaient : “C’est pour quoi ?” Je leur disais qu’on devait faire une assemblée. Ils se sont approchés de moi et plusieurs se sont joints à moi, ils me demandaient s’il n’y avait pas de problème pour le transport. Non, il y a des camionnettes qui vont arriver, les trocas19 qui nous emmènent à Bakersfield et nous ramènent ensuite. Les trocas sont arrivées et on est allés à Bakersfield. On est entrés dans la salle, on est allés à la table pour inscrire nos noms et tout, ils nous ont donné un petit badge en signe de ton appartenance à l’Union, et alors ils ont commencé à expliquer qui était César Chávez et pourquoi on était là, qu’on devait suivre la même voie que César Chávez ; enfin, ils ont tout expliqué sur l’organisation et les avantages que tu peux obtenir avec eux » (Mississippi, 2006).
47La syndicaliste de l’Union est venue chercher Oliverio au ranch à plusieurs reprises, elle voulait le convaincre de devenir un activiste de l’Union et de les aider à organiser d’autres travailleurs comme lui. Pour l’Union, il s’avérait difficile d’organiser les migrants récemment arrivés et en perpétuel mouvement. Oliverio n’a pas accepté : « Ce n’est pas le moment de me consacrer à la lutte, il faut que je m’occupe de ma famille parce que c’est pour ça que je suis venu, mais ensuite, je pense que ça va me plaire de participer, parce que j’ai vu comment on souffre dans le field, j’ai même vu mourir un travailleur » (Californie, 2005). Quand Oliverio m’a dit ça, il était aux États-Unis depuis six mois et pour le moment sa principale préoccupation était de survivre dans ce nouveau contexte et de travailler pour atteindre ses objectifs et tenir la promesse faite à sa famille. De plus, il n’avait pas encore pu rembourser la dette qu’il avait contractée pour payer le pollero et les intérêts continuaient à s’accumuler. Il n’est pas rare que les travailleurs nouvellement arrivés ne s’impliquent pas dans les luttes syndicales. Les premières années de la migration, il leur faut faire de grands efforts pour stabiliser leur situation économique, comprendre le fonctionnement du système, construire un réseau migratoire, etc. Comme le dit un jeune ami d’Oliverio : « Il n’y a pas de temps pour ça, il faut travailler. » Quand Oliverio a changé de mayordomo, il est parti vivre à Arvin ; il a perdu le contact avec l’Union, il n’est pas redevenu un activiste, et n’a plus participé aux réunions. Tout ce qui lui en est resté, c’est la carte de visite de la fille, qu’il gardait précieusement parce qu’il savait que s’il avait un problème avec les mayordomos ou les patrons, il pouvait demander de l’aide à l’Union.
Le contrôle de la mobilité et la vie en tant que sans-papiers
« Les premiers jours, tu vas dans la rue, mais tu as tout le temps peur parce que tu sais que tu n’es pas légal et les gens te disent que si tu sors dans la rue tu rencontres la migra, ils t’emmènent, ils te renvoient ; et toute cette peur qui est là, toute cette honte que t’as du fait de ne pas avoir tes papiers, il faut que tu t’en débarrasses peu à peu » (Mississippi, 2006).
48Les premiers mois après le passage de la frontière sont marqués par un fort sentiment de peur et de vulnérabilité surtout lié à leur nouvelle condition de migrants en situation irrégulière. En s’établissant aux États-Unis sans permis de résidence, les migrants sont juridiquement classés comme des « illégaux » et socialement stigmatisés comme des « hors-la-loi ». La désignation des migrants comme « illégaux » provoque la mise en jeu d’images négatives au sein de la société, et justifie des mesures visant à prévenir et à résorber cette situation (Fassin, 1996 : 77). Ceci a de profondes conséquences sur la structure de la vie quotidienne des migrants récemment arrivés ainsi que sur la construction de leur nouvelle identité.
49Leur classification en tant qu’« illégaux » produit chez les migrants ce que Fassin et Morice (2001 : 265) appellent un sentiment d’« illégitimité statutaire potentielle », c’est-à-dire le sentiment d’être virtuellement porteur de fautes. Comme l’explique Lino : « C’est très moche de sentir qu’on n’est pas égal, même si on ne fait rien de mal. » Le sentiment d’être « en faute » permanente provoque de l’angoisse, de l’insécurité et de la frustration, car même s’ils s’efforcent d’être de « bons citoyens », ils seront toujours vus comme des « hors-la-loi ». Le sentiment « d’illégitimité statutaire » contribue à faire croire aux migrants récemment arrivés qu’ils n’ont aucun droit ni aucune légitimité pour se plaindre.
50La classification des immigrants en tant qu’« illégaux » produit aussi un sentiment d’insécurité et de peur face à une possible déportation, car ils savent tous que l’expulsion du territoire signifie la fin, ou au moins l’interruption, de leur projet migratoire. C’est ce qu’explique une migrante récemment arrivée :
« Au début, ce qu’on ressent, enfin moi du moins, je me sens frustrée par ce que je ne suis pas légale. Même si la police ne t’ennuie pas, peu importe, tu peux même au mieux passer pour une personne légale, mais tu sais que tu ne l’es pas. C’est psychologique, autrement dit, on a peur, tu ne te sens pas comme dans ton pays. Beaucoup de gens me disent : “Ne t’en fais pas, parce qu’ici, ceux qu’ils cherchent, ce sont les bandes” ; mais comme tu sais que tu n’es pas légale, moi, ça me fait peur, t’as pas confiance parce qu’à tout moment, tu peux te faire déporter » (Yuri, Los Angeles, 2005).
51Il est clair dans ce témoignage que pour ceux qui la vivent, l’« illégalité » va de pair avec la crainte d’être expulsé à tout moment du territoire américain (De Genova, 2004 : 206). Étant potentiellement « expulsables », les migrants vivent dans une peur permanente qui rend difficile leur évolution dans un contexte nouveau, comme l’explique un des migrants tojolabales : « Être illégal, c’est comme d’avoir un petit caillou dans ta chaussure qui te gêne tout le temps et t’empêche d’avancer. » De plus, cela les expose particulièrement à l’exploitation et aux situations d’abus. Pour De Genova (2004 : 206), « la production légale de l’illégalité fournit un dispositif apte à renforcer la vulnérabilité et la malléabilité des immigrants mexicains – en tant que travailleurs – dont la force de travail, justement parce qu’elle est expulsable, devient une marchandise hautement disponible ».
52La classification en tant qu’« illégaux » provoque des effets d’ordre subjectif relatifs à l’identité et au sentiment du sujet car il se produit un déphasage difficile à supporter, entre l’identité octroyée et leur propre identité. Aucun des travailleurs immigrants ne s’auto-définit en tant qu’« illégal », comme l’explique Carlos : « Si on franchit la frontière comme ça, ce n’est pas pour le plaisir mais parce qu’on n’a pas le choix ; toi, dis-moi, qui va avoir envie de marcher dans le désert pendant trois jours ? » (Arvin, 2005). Malgré la résistance des immigrants à s’identifier à la catégorie imposée, le fait d’être réduit à n’être qu’un « illégal » ronge peu à peu l’image positive qu’ils ont d’eux-mêmes, et suscite en eux un grand malaise.
53La classification en tant qu’« illégaux » a aussi des effets directs sur l’organisation de la vie quotidienne des immigrants : « Moi, au début, je passais mon temps enfermé, je préférais ne pas sortir à cause de la peur qu’on a de se faire prendre par la migra, j’avais même peur d’aller jusqu’à la supérette pour acheter de quoi manger. » Dans toute cette première étape, les migrants font un grand effort pour mener une vie discrète car ils considèrent que leur séjour dans le Nord dépend en grande partie du fait de passer inaperçus. Quand j’ai effectué ma première saison de travail de terrain, Oliverio n’était arrivé aux États-Unis que depuis six mois ; à cette époque, sa vie s’écoulait entre le travail des champs et son petit logement dans l’arrière-cour de la maison du mayordomo qui l’avait recruté. Oliverio préférait ne pas sortir de chez lui car n’ayant pas de papiers, il se sentait hautement vulnérable ; ce sentiment est souvent confirmé par les nombreuses histoires de travailleurs déportés que lui racontaient son mayordomo ou d’autres migrants présents depuis plus longtemps aux USA.
54Avec le temps et l’expérience, les migrants en arrivent à trouver naturelle leur situation de sans-papiers et ils se débrouillent pour mener une vie « normale ». En outre, beaucoup se rendent compte que même si objectivement, leur situation est vulnérable, les mayordomos ou les autres migrants exagèrent souvent les dangers auxquels ils sont confrontés pour entretenir leurs craintes et tirer profit de cette situation. Voyons comment la perception d’Oliverio a changé en ce qui concerne les dangers auxquels il est confronté en tant que migrant clandestin :
« Ce n’est pas qu’il y ait tellement de dangers, mais ce n’est rien que… je ne sais pas, comment te dirais-je ? C’est pour te faire peur. Les mayordomos ou les compagnons eux-mêmes te disent, te racontent des choses pour que tu te sentes intimidé et que tu dises : “Je ne sors pas, je ne vais pas dans la rue, je n’y vais pas.” Autrement dit, ce qu’ils font, c’est qu’ils te font peur, ils t’en imposent, tu sais pourquoi ? Pour qu’alors ton esprit, ta connaissance n’aille pas plus loin que ça, ils essayent de te faire stagner là. Et effectivement, au début tu stagnes, parce que rien que d’imaginer et de penser que si je sors la “migra” va m’attraper, que si je vais jouer dehors je peux me faire prendre… Alors tu te sens intimidé, mais ce que tu fais, c’est que tu “plonges” et tu sors de l’autre côté, tu ne les écoutes pas, tu te lances et tu t’infiltres par là ; alors, c’est comme ça que tu commences à connaître et tu vas plus loin, tu fais même mieux encore qu’un mayordomo ! En plus, avec le temps, on dirait que tu t’habitues à ne pas avoir de papiers » (Mississippi, 2006).
Les « équipes » et la vie quotidienne
55La vie de tous les jours à Arvin, « eh bien, c’est penser au travail, penser au travail et si t’aimes boire, ben tu bois, il n’y a rien d’autre ! », c’est ainsi qu’un jeune de l’équipe d’Oliverio vivant depuis deux ans aux États-Unis, résume l’existence quotidienne. Durant la saison de travail, les journaliers passent la majeure partie du jour dans les champs ; le soir, ils reviennent chez eux fatigués et dans leurs petites chambres dans les arrière-cours de leur mayordomos, ils préparent à manger, font la lessive, se lavent, téléphonent et se préparent pour se lever tôt le lendemain. Leur vie s’écoule entre les champs et leur petit logement, car en plus de craindre une possible déportation, ils ont peur de la police et des bandes de quartiers qui les attaquent souvent. Pour les travailleurs qui vivent dans les ranches, l’exclusion des espaces sociaux est encore plus marquée, car ils se retrouvent loin des centres urbains et des autres travailleurs.
56Durant ma première phase de travail de terrain, Oliverio louait une chambre dans l’arrière-cour de son mayordomo, sa vie sociale s’écoulait là, aux côtés d’autres travailleurs qui, comme lui, préféraient ne fréquenter aucun espace public de la ville. Ses seules sorties quotidiennes étaient d’aller à une épicerie proche où ils changeaient leurs chèques et faisaient leurs achats. Leurs jours de congé, ils effectuaient certaines tâches domestiques et se réunissaient pour boire de la bière dans le petit patio de la maison. L’alcool a une place centrale dans la vie de bien des migrants, car, n’ayant pas accès à d’autres types d’espaces récréatifs, la seule distraction à leur portée est de boire. Alors que j’étais en train d’organiser ma première visite à Arvin, Oliverio m’a dit au téléphone : « Je vais vous le dire tout net, il vaut mieux que vous ne veniez pas le week-end, parce qu’ici quand vient le samedi, on nous paye et les gens vont directement à la supérette pour changer leur chèque et acheter de la bière, et ensuite ils sont un peu lourds. Venez plutôt lundi, quand les gens vont travailler. »
57La vie quotidienne des travailleurs se passe en étroite cohabitation ; de fait, une des stratégies les plus utilisées pour résister à l’exploitation et à l’exclusion sociale imposée par le nouveau contexte est de se regrouper et de s’organiser dans ce qu’ils appellent des « équipes », c’est-à-dire de petites unités de production formées de trois à six travailleurs à partir desquelles le travail dans les champs s’organise. Les équipes, en plus d’avoir une fonction économique centrale dans la vie des migrants, remplissent de nombreuses fonctions sociales, car pour beaucoup de travailleurs elles sont le noyau primordial de leur socialisation dans le Nord ; comme ils le disent eux-mêmes : « Mon équipe, c’est comme si c’était ma famille, même si on n’a pas le même sang. » En effet, l’équipe devient le foyer de beaucoup de migrants, un foyer très peu conventionnel car il n’est formé que d’hommes sans qu’il n’existe forcément de lien de parenté, et qui souvent ne proviennent même pas de même région. Dans ces groupes des liens forts d’affection et de solidarité se créent car, en plus de partager le même toit et de mettre en commun les frais de la maison, ils ont des rêves et des objectifs migratoires très semblables et sont confrontés aux mêmes problèmes dans le nouveau contexte, c’est-à-dire qu’ils partagent la même expérience d’exploitation et de discrimination. Les équipes ne sont pas des groupes stables et fixes ; au contraire, il est fréquent que leurs membres changent au bout d’un certain temps, étant donné que dans la région, il y a une circulation permanente de travailleurs. Par exemple, pendant l’année où Oliverio a travaillé à Arvin, il n’a jamais passé plus de trois mois avec le même groupe. Les membres de l’équipe partagent une grande convivialité ; non seulement ils travaillent ensemble dans les champs, mais ils partagent aussi le reste de leurs activités quotidiennes, par exemple aller au supermarché, envoyer de l’argent, passer des appels téléphoniques, allez chez le médecin, fêter un événement ou un autre, etc. À titre d’anecdote, je me rappelle que le jour où je suis arrivée à Arvin, toute l’équipe d’Oliverio a manqué le travail pour venir avec lui me recevoir et participer à la rencontre. À la fin de la journée, un garçon de son équipe m’a dit : « C’est bien que vous veniez nous rendre visite parce qu’ici personne ne vient nous voir. » Le fonctionnement en équipes mitige certains effets de l’exclusion et permet aux travailleurs d’avoir une vie sociale au-delà de leur espace de travail. En outre, certaines équipes développent des stratégies collectives pour améliorer leur situation au travail : ils achètent par exemple une camionnette pour aller aux champs et ne pas avoir à payer chaque jour une part de leur salaire au mayordomo sous prétexte qu’il les transporte : « On nous vendait une vieille troca pour 1 500 et on s’est mis d’accord entre tous ceux de l’équipe et on a fait affaire. » En se regroupant pour acheter la camionnette, le prix et les frais d’entretien se réduisent considérablement. Oliverio partageait aussi le téléphone portable avec le reste de son équipe et ils l’utilisaient uniquement pour recevoir ou passer des appels de travail.
La « fuite » de l’agriculture
« En allongeant la journée de travail, la production capitaliste non seulement conduit à l’appauvrissement de la force de travail humaine […], elle provoque de plus l’épuisement et la mort prématurée de cette même force […], le temps de production de l’ouvrier s’allonge durant un certain temps au prix de la réduction de sa durée de vie » (Marx, Le Capital).
58Quelques mois de travail dans les champs ont suffi pour que les jeunes de María Trinidad réalisent ce que disait Marx au milieu du xixe siècle. Comme me l’explique un des jeunes du village : « J’ai pensé que si je restais travailler longtemps dans le field, j’allais m’épuiser totalement, c’est trop galère, c’est pour ça que j’ai cherché comment en sortir » (Pepe, Mississippi, 2006). Dans le même sens, un autre jeune affirme : « Dans les champs, on t’exploite au max, c’est pour ça que je me suis mis à penser : combien d’années je vais pouvoir tenir le coup ? Je ne crois pas que j’arrive à quatre et pourtant je suis habitué au travail des champs » (Ever, Mississippi, 2006). Les jeunes Tojolabales sont embauchés pour les travaux de récolte (cueillette) et pré-récolte (bêchage, taille des fruits et légumes, désherbage, installation de toile plastique, de tuteurs, transplantation) considérés comme les plus durs. Quelques-uns, au bout d’un certain temps, ont réussi à se faire employer pour des activités semi-qualifiées (taille, arrosage, traitement et entretien des vergers) et à l’emballage des produits. Cependant, dans ce secteur de travail, les migrants ont peu d’opportunités de mobilité ascendante ; de fait, je n’ai pas entendu parler jusqu’à présent d’un seul Chiapanèque qui soit devenu mayordomo ou superviseur. À la différence d’autres groupes qui ont passé des décennies à travailler chaque année dans les champs californiens, les jeunes de María Trinidad ont essayé de sortir de l’agriculture. Leur sortie représente une « fuite » pour se libérer du contrôle de leur mobilité.
59Sortir du marché n’est pas facile ; tout est structuré pour qu’ils restent « enfermés dehors » dans ces camps de relégation (voir Kobelinsky et Makareni, 2009) et d’exploitation. Comme le montrent Moulier-Boutang et al. (1986 : 86-87), le contrôle géographique de la mobilité des migrants sans papiers vise aussi à éviter leur mobilité vers des marchés du travail occupés par les citoyens américains ; ce n’est pas par hasard que la migra exerce un strict contrôle sur une étendue de 25 miles autour de la zone agricole, comme si elle cherchait à contenir les migrants sans papiers dans certaines zones agricoles et leur interdire l’accès aux routes vers Detroit ou la côte est, où ils pourraient éventuellement s’incorporer à d’autres types d’emplois (Martin cit. in Moulier-Boutang et al., 1986).
60« Pour sortir de l’agriculture, il faut d’abord sortir du field, autrement dit tu dois demander au mayordomo qu’il te fasse passer à l’emballage » (Ever, Mississippi, 2006) ; ils essayent ensuite d’entrer dans l’industrie alimentaire de la zone ; ce n’est pas chose facile, car ça arrange les mayordomos de placer les nouveaux venus Chiapanèques directement dans les champs, car leur condition de sans-papiers et leur inexpérience en font une main-d’œuvre plus rentable. De plus, les Tojolabales constituent une main-d’œuvre qualifiée car ils sont tous d’origine paysanne, ce qui fait que, selon ces jeunes eux-mêmes, les mayordomos recherchent en particulier les Chiapanèques parce qu’ils disent qu’ils travaillent mieux que d’autres journaliers, comme l’explique Oliverio :
« Au cycle suivant de l’asperge les mayordomos savaient déjà qu’on était de bons cueilleurs, et voilà que le mayordomo vient me chercher et me dit : “Écoute, reviens avec moi à la coupe des asperges, ça commence vers le dix février.” Pour me séduire il me dit : “On va apporter des asperges pour que vous en mangiez ; tu sais, c’est très bon, l’asperge.” Alors je lui dis : “Oui, je vais travailler avec toi, mais, tu sais quoi ? je ne veux plus faire la récolte.” “Alors qu’est-ce que tu veux ?” “Je veux être à l’emballage.” Il ne voulait pas me laisser partir, parce qu’on était de bons cueilleurs et lui, ça lui convient. “Non, pas là”, il me dit. “Si tu ne me laisses pas y aller, je vais parler à ton frère, il faut que j’entre à l’emballage !” Son frère, c’est le contratista. Alors j’ai parlé au frère et je lui ai dit : “Tu nous donnes une chance de travailler à l’emballage ?” “Oui, je vous attends demain.” “Mais… tu sais quoi ? Manuel va se fâcher.” “Envoyez-le se faire foutre, ce n’est pas lui qui commande. Je vous attends ici à l’emballage, j’ai besoin de gens” » (Mississippi, 2006).
61La stratégie d’Oliverio et celle d’autres jeunes Tojolabales a été d’approcher directement les contratistas, ainsi que de se construire un réseau d’amis, de mayordomos et de potentiels employeurs qu’ils peuvent faire jouer pour obtenir un meilleur travail. Si on revient aux récits des jeunes Chiapanèques, on voit qu’étant donné qu’ils ne disposent pas d’un réseau familial ou communautaire, leur capacité à s’insérer dans de bons emplois dépend de leur habileté à « se faire des amis ». Oliverio a eu l’idée pour élargir son réseau, de se faire faire des cartes de visite sur lesquelles il offrait de multiples services ; ce qu’il essayait de faire avec ces « cartes de visite », c’était de mettre en valeurs ses différentes connaissances et aptitudes acquises avant la migration et que le nouveau contexte tend à rendre invisibles dévalorisant ainsi son travail. Il convient de mentionner que beaucoup de ces talents ont été acquis durant son militantisme dans le mouvement.
« Je te dis que j’ai tissé peu à peu des amitiés ; je disais à tous dans quelle spécialité je m’y connais : je peux monter des “blocks”, je peux être maçon de sols, je peux couler une dalle, je peux vous faire une porte, une fenêtre. Je leur donnais une petite carte qui disait mes spécialités pour faire connaissance, alors ils me disaient : “Quand il y aura un petit job à faire, on te prévient.” Et en effet on trouvait des jobs, parce que je te dis que j’ai eu l’intelligence d’aller dire ce que je peux faire, parce qu’on a appris à faire beaucoup de choses là-bas » (Mississippi, 2006).
62La stratégie d’Oliverio et de son équipe a fonctionné ; ils ont d’abord commencé à travailler dans le secteur de l’emballage ; ensuite ils se sont aussi occupés de graisser et d’entretenir les machines, et en même temps, ils ont réussi à trouver des travaux temporaires hors de l’agriculture, comme construire une piste de rodéo, dresser une rambarde, creuser un fossé.
« Alors avec le temps, tu connais mieux et tu dépasses tes limites, parce que je te dis que j’ai travaillé avec un mayordomo et avec un contratista, et des amis s’étonnent parce que ça fait trois, quatre ans qu’ils sont ici et ça les étonne de voir comment on a fait, comment on fait, car eux, ils sont toujours dans les champs, toi tu es dans une usine, ils sont toujours dans les champs, tu es dans l’emballage, tu es dans une maison, dans un magasin, tu apprends à connaître, tu développes ton esprit, tu tisses peu à peu le réseau, tu t’infiltres et tu t’infiltres, et à mesure que tu sors, que tu t’infiltres, ton esprit se développe, tu penses : vaut mieux que j’aille là-bas ! » (Mississippi, 2006).
Les accidents de voiture et le passage par Stockton
63Huit mois après être arrivé à Arvin, Oliverio a dû quitter cette ville à cause de problèmes avec la police : « On est partis d’Arvin parce qu’on a eu un petit problème, un petit ratage avec d’autres du groupe et j’ai pensé : ici, je ne vais arriver à rien ! » (Mississippi, 2006). Le problème a commencé quand un jeune de l’équipe a eu un accident avec la camionnette qu’ils venaient d’acheter en commun. L’accident n’a pas été grave ; cependant la police est allée les chercher au ranch où ils travaillaient et leur a laissé une contravention et une citation à comparaître au tribunal. À partir de là, Oliverio est entré dans une étape de plus grande mobilité et d’instabilité économique. Après ce premier incident avec la police, beaucoup d’autres se sont succédé, et Oliverio est tombé dans un cercle vicieux : il investissait tout son argent dans l’achat de vieilles camionnettes afin de se déplacer plus facilement sans dépendre des mayordomos, et peu de temps après il les perdait dans un nouvel incident avec la police. Selon les travailleurs interviewés, les routes de tous ces comtés étaient très surveillées et il était très dangereux d’y circuler ; ils disent cependant que la plupart du temps, quand la police les arrête, elle leur enlève leurs voitures mais n’appellent pas la police des frontières pour les déporter, ce qui arrive en revanche dans d’autres États du pays. Cela est lié à la double intentionnalité d’une « politique de contrôle » dont l’objectif explicite est d’empêcher la présence de travailleurs sans papiers, mais dont l’objectif caché est de maintenir cette force de travail dans un état d’infériorité juridique qui permette de précariser le marché du travail (Moulier-Boutang et al., 1986 : 87).
64De la ville d’Arvin, Oliverio est parti pour Lamont et de là, il s’est dirigé, avec une nouvelle équipe, vers la ville de Stockton, où d’autres jeunes de son village s’étaient établis. Oliverio était désireux de les rencontrer car cela faisait presque un an qu’il ne voyait personne de sa communauté. En outre, il avait l’espoir de pouvoir trouver du travail rapidement car sa situation économique était intenable. Bien que l’accueil de ses amis ait été chaleureux, Oliverio a été déçu parce qu’il n’y avait pas de travail non plus dans cette région : « Nous sommes arrivés dans l’intention de travailler aussitôt le lendemain, mais ça n’a pas marché, il n’y avait pas de travail, ils étaient tous en train de dormir ; ça faisait vingt jours, quinze jours qu’ils dormaient, couchés là, dans leurs piaules parce qu’il n’y avait pas de travail ; c’était l’hiver » (Mississippi, 2006). Depuis plusieurs mois déjà, Oliverio n’envoyait plus souvent d’argent à sa famille, entre l’achat et la perte de plusieurs autos, le manque de travail et une dynamique de nombreux déplacements, il n’avait rien pu économiser et n’avait pas de quoi manger.
« Alors je leur dis : “Bon, et comment vous mangez ? Qu’est-ce que vous faites ? Pourquoi vous ne m’avez pas dit qu’il n’y a pas de boulot ? Si c’est comme ça, je m’en tirais mieux à Lamont.” Et alors viennent les regrets, parce que je venais dans l’idée de travailler le lendemain. Mais j’avais décidé de venir là sous la pression de ce qui s’était passé avec les voitures. “Ne vous faites pas de souci, la semaine prochaine, le travail commence dans les champs ; et pour la nourriture, il y a de la nourriture ici, ne vous en faites pas”, m’ont dit mes cousins » (Mississippi, 2006).
65Pendant les mois d’hiver, le travail agricole manque toujours et les jeunes de María Trinidad restent presque totalement inactifs. Durant cette période, la solidarité de groupe s’avère particulièrement importante. L’avantage pour les jeunes de María Trinidad est qu’ils étaient ensemble et qu’ils s’organisaient pour acheter la nourriture et cuisiner collectivement. Dans ces périodes de chômage, les jeunes fréquentent aussi une église protestante de la zone qui distribue vêtements et nourriture, et propose certains services pour la communauté à condition que les migrants écoutent leurs discours religieux.
« À cette époque où je ne travaillais pas, il y en a qui me disent ; “Allons à la mission, ils donnent de la nourriture et des vêtements”. Et en effet, comme ça, j’ai fait la queue, et un monsieur me dit : “De quoi tu as besoin ?” “J’ai besoin de chaussures et d’un T-shirt.” “Tu es venu tous les jours.” “Non, c’est la première fois à peine ; je viens par besoin, je ne viens pas vous demander des choses par goût, je travaille.” “C’est bon”, il dit, “écoute, prends une chemise et des chaussettes”. Pendant ce temps, les autres avec qui je viens se font couper les cheveux, arranger les dents, et ensuite tu prends une douche et tu sors après t’être changé et alors tu passes au réfectoire. Là, tu es mélangé avec des “gringos” et un tas de Noirs aussi. À la fin, tu sors bien nourri, avec des vêtements propres, lavé, tondu ou les cheveux coupés et on nous remet un petit paquet avec la parole de Dieu et ton lot de pain de mie, de boîtes de conserve ; ils te donnent un ou deux grands sacs pour que tu manges chez toi » (Mississippi, 2006).
66Après deux semaines d’inactivité, le travail a commencé dans certains ranches proches de Stockton et Oliverio n’a pas eu d’autre choix que de retourner travailler dans l’agriculture, comme à Arvin ; il a peu à peu établi des contacts avec des mayordomos de la région, il a fait la connaissance de nouveaux amis et a commencé à travailler dans divers ranches du comté : « J’ai dû recommencer dans l’asperge, le raisin, et au même prix. » Bien qu’Oliverio ait travaillé tous les jours, ce n’était que quelques heures, et il n’a rien pu mettre de côté pour envoyer à sa famille ; c’est une époque où il a commencé à boire beaucoup et presque tout son argent partait dans l’achat de camionnettes que la police lui confisquait par la suite, comme il l’explique lui-même :
« C’était de la folie, ce qu’on a fait, acheter des voitures pour qu’ensuite la “plaque20” nous les enlève. Un jour, on partait pour Sacramento toucher un chèque et la “plaque” nous prend notre Mini-van. Alors on a acheté un petit van et quelques jours plus tard, ils nous piquent la voiture encore une fois. On s’est retrouvés de nouveau sans voiture et on est retournés travailler et quand on a eu assez, on s’est racheté une autre petite auto. Je te dis qu’au minimum la “plaque” m’a arrêté sept fois ! » (Mississippi, 2006).
67Oliverio est passé par des dizaines de ranches de la région ; partout il a rencontré à peu près les mêmes conditions de travail qu’à Arvin : bas salaires, aucun droit en matière de travail, journées de plus de huit heures, forte chaleur dans les champs, pression des mayordomos pour qu’ils travaillent vite, hauts risques d’accidents du travail, exposition aux pesticides, etc. Face à ce panorama et voyant le peu de possibilités de changer de secteur, Oliverio et un groupe de jeunes de son village ont envisagé de tenter leur chance dans d’autres États.
« J’ai été à Sacramento, Reucity, Palo Alto et dans les petits ranches de San Francisco, alors tandis que j’apprenais à connaître et qu’on travaillait, on faisait à nouveau des projets, sur où partir, où aller, si on restait ou si on partait ailleurs, essayer de trouver du travail quelque part. Parce que ce qu’on se disait, c’est que si on restait dans les champs, on n’allait arriver à rien ; dans les champs, on tient pas plus de deux ans, ou un an et quelques mois pas plus. Parce que dans les champs, on est plus maltraités, on est plus au soleil, c’est plus dur, plus difficile, on t’exploite plus » (Ever, Mississippi, 2006).
68La destination que les jeunes de María Trinidad avaient en tête était Biloxi, dans le Mississippi. Des frères d’Oliverio et un groupe toujours plus grand de jeunes de María Trinidad s’étaient installés dans cette ville après le passage de l’ouragan Katrina. Le problème était : comment franchir 3 000 kilomètres et sept États sans se faire arrêter par la police ? Il y avait peu d’options : payer un pollero qui leur demanderait 1 500 dollars par personne ou acheter une camionnette et partir à l’aventure. Ils ont tous préféré la seconde option, car l’année précédente plusieurs groupes de jeunes étaient partis de la même façon pour l’État d’Alabama.
« Alors on s’est décidés et on s’est mis d’accord pour acheter une autre caisse pour pouvoir bouger ; donc, on a dit que le chèque qui arriverait cette semaine, c’était pour ça. Résultat, à la fin, on était sept et on a pu se payer une Explorer. Il paraît qu’en demandant on arrive jusqu’à Rome, et c’est ce qu’on va faire. Alors on achète une carte, et en plus on va être en communication avec ceux qui sont là-bas, et comme ils connaissent plus ou moins la route, ils vont nous dire au fur et à mesure par où il faut passer. On est partis ce jour-là et à environ trois heures, voilà qu’on voit la fichue fumée de la caisse. On était en train de monter dans la montagne, il n’y avait plus de villes et il y a de la fumée qui a commencé à sortir, plein de fumée, et on a pensé que la caisse allait brûler. Mais non ; on a vite nettoyé l’huile qui était tombée et on a continué le voyage » (Mississippi, 2006).
69Ils ont mis deux jours et deux nuits pour arriver au Mississippi ; ils ne se sont arrêtés que pour mettre de l’essence dans la camionnette. Le groupe était bien organisé : ceux qui savaient conduire étaient les chauffeurs et les autres, les copilotes ; ils ont établi des tours et se sont relayés à intervalles réguliers. Oliverio s’en souvient comme d’une expérience très gaie : « On discutait, on riait, on déconnait, parce que, tu sais, à María Trinidad, on est des déconneurs. » Le voyage s’est déroulé sans autre imprévu, et sauf quelques confusions au moment de changer de route, tout s’est bien passé et ils sont arrivés à destination.
⁂
70J’ai tenté dans ce chapitre de montrer que, si les migrants chiapanèques s’insèrent dans le marché du travail californien avec une relative facilité, ils le font dans des conditions d’extrême précarité et de dépendance presque totale des mayordomos et autres intermédiaires. De plus, leur insertion implique souvent de se séparer, parfois pendant des mois, du groupe de migrants tojolabales avec lequel ils ont franchi la frontière. De par leur condition de migrants sans papiers, ces journaliers agricoles récemment arrivés représentent le type idéal de « salariat bridé » (Moulier-Boutang, 1998), sans liberté de circulation, sans accès à la citoyenneté et travaillant dans des conditions déplorables. Leur expérience permet d’observer comment opère un système de contrôle de la main-d’œuvre migrante basé sur l’« infériorisation juridique » (Moulier-Boutantg, 1998) – ou comme le dirait De Genova (2004), sur la production de leur « illégalité » – et sur l’utilisation d’un système de sous-traitance de la main-d’œuvre qui combine des mécanismes modernes et traditionnels de recrutement, tout en disposant de travailleurs bien disciplinés à bas coût durant toute l’année.
71Si le système de contrôle de la mobilité des journaliers agricoles laisse peu d’espace à leur autonomie personnelle et à l’émergence d’une action collective contestataire, les migrants tojolabales ont essayé de modifier cette situation. Par exemple, certains se sont rapprochés temporairement des syndicats ou d’autres organisations ; le problème est que, bien qu’ils soient réceptifs à cette forme d’action collective et au discours sur leurs droits, ça ne les intéresse pas à cette étape de leur migration, et ils ne peuvent pas prendre d’engagement politique à long terme. Par conséquent, la plupart des jeunes Tojolabales ont plutôt opté pour la « fuite » des champs, c’est-à-dire qu’ils ont essayé de se déplacer vers d’autres régions ou d’autres marchés de travail qui ne les exposent pas à une situation d’exploitation aussi poussée que dans l’agriculture, car leur travail dans les champs non seulement conduit à la précarisation de leur vie, mais met aussi en danger leur santé physique. Les « fuites » se sont produites dans des conditions de grande fragilité, et n’ont pas toujours été menées avec succès car, pour les nouveaux migrants, il est presque impossible de s’insérer dans de nouveaux marchés de travail saturés par des migrants de plus longue date et par les citoyens américains eux-mêmes. En outre, il n’est pas facile de sortir physiquement de ces champs et de ces camps de confinement patrouillés sur tous leurs axes par la police, qui profite du moindre incident pour arrêter les immigrants et, bien qu’ils ne les déportent pas la plupart du temps, ils leur confisquent toutefois les véhicules qui leur permettraient de réaliser leur « fugue ». Malgré tout, de nombreux migrants tojolabales ont réussi à sortir de l’agriculture et comme nous le verrons au prochain chapitre, se sont insérés dans de nouveaux marchés du travail.
Notes de bas de page
1 Field : anglais pour champ.
2 Les statistiques fournies par l’International Food Council (IFIC, 2004) montrent que les consommateurs américains dépensent 6,4 % de leurs revenus dans leur alimentation, alors qu’au Mexique, les consommateurs dépensent presque un quart (24,0 %) de leurs revenus dans leur alimentation ; en Inde, ils dépensent presque la moitié (48,4 %) et aux Philippines, plus de la moitié (52,9 %).
3 Selon les résultats de l’enquête NAWS de 2005, 75 % des travailleurs agricoles sont nés au Mexique, 23 % aux États-Unis et 2 % en Amérique centrale. Presque tous ceux qui sont nés aux États-Unis sont d’origine mexicaine (DOL, 2005).
4 Ce qui n’est pas seulement le cas pour les Chiapanèques ; selon l’enquête NAWS, 50 % du total des travailleurs agricoles n’ont pas de permis de travail (DOL, 2005).
5 Bracero : de l’espagnol brazo, bras, ouvriers journaliers. On appelle braceros les personnes qui ont travaillé dans le « Programa Bracero » (1942-1964).
6 Mayordomo : dans les communautés indiennes, personne responsable d’organiser les fêtes patronales et d’en couvrir les frais ; dans l’hacienda ou « finca », contremaître aux ordres du patron ; dans le contexte de l’agriculture californienne, intermédiaires chargés d’encadrer les travailleurs agricoles, payés par les entreprises « contratistas » qui sont en contact direct avec les propriétaires des ranches. En plus de recruter les travailleurs, ils se chargent de tout ce qui a trait à l’organisation du travail dans les champs. Fréquemment, ils sont aussi chargés d’offrir aux travailleurs certains services indispensables comme le logement et le transport, dont ils reçoivent le paiement. On les a qualifiés d’intermédiaires « traditionnels » car ils entretiennent des relations personnalisées avec les travailleurs et ont recours à des pratiques clientélistes et paternalistes qui leur permettent une exploitation plus importante, ainsi qu’un plus grand contrôle sur les travailleurs.
7 Selon Jáuregui et Avila (2007 : 18), l’explosion de la migration chiapanèque aux États-Unis peut se situer entre novembre 1997 et novembre 2002.
8 Enganchador : de l’espagnol « gancho », crochet ; dans les anciennes « fincas » et plantations anciennes de canne à sucre, recruteurs des ouvriers agricoles ; dans l’agriculture californienne, personne qui en échange d’une gratification du « mayordomo » recrute les journaliers agricoles. C’est le dernier chaînon du système de sous-traitance de la main-d’œuvre dans l’agriculture californienne.
9 Traila : déformation de l’anglais trailer, remorque, mobile home ou caravane qui sert de logements aux migrants.
10 Au niveau national, selon l’enquête NAWS de l’U.S. Department of Labor (DOL, 2005), 21 % des travailleurs agricoles sont embauchés par le biais d’un contratista. Le nombre d’embauchés par un contratista a augmenté de 50 % entre 1993-1994 et 2001-2002. Dans le cas des migrants tojolabales interviewés, ils ont tous intégré le marché du travail en passant par un contratista.
11 Les relations entre « compadres » (compères) qui lie parents et parrains d’un enfant sont très importantes au Mexique.
12 La majorité des empoisonnements ont été signalés dans le comté de Kern (534) ; la plupart se sont produits dans les champs de coton et les vignobles (CPR, 2002).
13 Un très grand nombre d’empoisonnements ou de maladies dues aux pesticides se produisent dans la viticulture. Ceci est en partie dû aux fréquentes applications de concentrations élevées de soufre. D’autres cultures dangereuses sont les oranges, le coton, les amandes, la luzerne, les plantes d’ornement, la laitue, le citron, le brocoli, la fraise (CPR, 2002).
14 En 2005, le salaire minimum en Californie est de 6,25 dollars de l’heure et le patron doit payer au moins ce montant même s’il fait des contrats de travail.
15 Par exemple, pour attacher la vigne, on paye six centimes par cep, ce qui fait que pour gagner 10 dollars, le travailleur doit faire plus de cent plants (interview de travailleurs, octobre 2005).
16 Le California Institute for Rural Studies (Villarejo et al., 2000) signale que le revenu moyen des travailleurs va de 7 500 à 9 900 dollars par an ; pour sa part, Palerm (1991 : 7) estime ce chiffre à 7 992 dollars.
17 Le nom de cette organisation était National Farm Workers Association (NFWA).
18 En 1965 l’organisation de César Chávez fusionne avec la Agricultural Workers Organizing Comitee (AWOC) et donne ainsi naissance à la United Farm Workers (UFW).
19 Troca : camionnette, déformation de l’anglais truck, camion, utilisée dans les États frontaliers du Nord du Mexique.
20 La « placa » (la plaque), par influence de l’argot américain, désigne le badge des policiers.
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