Chapitre II. Entre « rêve zapatiste » et « rêve américain » : la migration de jeunes zapatistes aux États-Unis
p. 57-86
Texte intégral
Del norte, en dirección a Texas,
Persiguiendo un sueño innombrable,
Inclasificable, el sueño de nuestra juventud,
Es decir, el sueño más valiente de todos.
Roberto Bolaños (Poemas 1980-1998)
1Eugenio a franchi la frontière Mexique-USA en février 2002 à l’âge de 16 ans. C’était le premier jeune de María Trinidad à prendre la route du Nord. Depuis son enfance, sa famille avait fait partie de l’EZLN. Eugenio a grandi dans la lutte, entre conventions nationales, rencontres intercontinentales, dialogues de paix, consultations citoyennes, manifestations, etc. À la fin 2001, son père a informé l’assemblée communautaire qu’il allait envoyer son fils travailler aux États-Unis. L’argument qu’il a donné pour justifier son départ a été de type économique : « J’ai besoin d’argent pour ma maison, pour remettre debout tout ce que l’armée a détruit et l’organisation ne peut pas nous y aider. »
2L’annonce du départ d’Eugenio a causé une forte commotion à María Trinidad ; pourtant, elle n’a surpris personne. Depuis longtemps, beaucoup de jeunes du village avaient en tête l’idée d’émigrer, bien qu’aucun n’ait alors encore osé l’admettre devant l’assemblée communautaire. Depuis la fin des années 1990, les jeunes des communautés non zapatistes de la région avaient commencé à partir pour le Nord et leurs histoires circulaient dans toute la cañada, éveillant la curiosité des rebelles et constituant un imaginaire collectif sur la vie de l’autre côté de la frontière. Cependant, ce n’est qu’en 2000 que les premières bases rebelles ont entrepris également de voyager vers le Nord, et qu’un débat sur l’émigration s’est ouvert au sein de leurs communautés.
3La migration massive en direction des États-Unis représente un énorme défi pour le mouvement zapatiste, non seulement parce qu’elle implique la perte des militants les plus jeunes, ceux qui paraissaient constituer la relève générationnelle « naturelle » du mouvement, mais aussi parce qu’elle introduit de nouvelles valeurs, de nouveaux sens et de nouvelles perspectives, et dispute ainsi au zapatisme l’hégémonie du projet politique et du projet de vie dans la région. Les migrants, même sans s’en rendre compte, diffusent un nouveau style de vie qui a des effets concrets dans les villages en résistance.
4L’objectif de ce chapitre est de contribuer à la compréhension de ce qui se produit à l’intérieur des villages zapatistes qui sont confrontés pour la première fois au phénomène migratoire. La reconstitution du processus migratoire à María Trinidad, permettra de montrer comment, les premiers départs vers le Nord se sont produits au milieu d’un conflit communautaire où deux positions qui semblaient au début irréconciliables s’opposent : ceux qui refusent la migration car ils l’assimilent à une « reddition » et y voient un « danger » pour la communauté, et ceux qui décident d’émigrer et voient dans leur acte migratoire une « nécessité économique », une « aventure », une « libération », une « mode », autrement dit une nouvelle aspiration qui donne un sens à leur vie et dans laquelle ils projettent un désir de reconstruction personnelle. Il s’avère particulièrement intéressant de comprendre ce qui se passe à l’intérieur d’une communauté, vu que jusqu’à présent, l’EZLN n’avait pas de politique migratoire en tant que mouvement s’appliquant uniformément sur tous ses territoires ; les villages zapatistes ont une autonomie totale pour construire leurs accords communautaires sur la migration et prendre les mesures qui en découlent pour affronter le départ de leurs jeunes. C’est pourquoi le milieu communautaire sera privilégié pour comprendre ce qui se produit.
L’émigration transnationale au Chiapas
5Gare routière TAPO, Mexico, 1er août 2005 : « Les passagers à destination de San Cristóbal de Las Casas, Chiapas, départ à 19 h 30, veuillez aborder porte 3. » Parmi les passagers qui montent dans l’autobus se trouve un groupe de 24 jeunes Tojolabales originaires de différentes communautés de la commune de Las Margaritas, passagers peu habituels à bord des autobus Cristóbal Colón. Tous portent des petits sacs de voyage et des casquettes ; ils discutent dans leur langue. Pendant les 16 heures que dure le trajet jusqu’à San Cristóbal, j’entame la conversation avec eux et ils me racontent qu’ils ont été déportés des États-Unis il y a deux jours. Ce matin même, ils sont arrivés à l’aéroport de Mexico avec un groupe d’environ 200 mexicains dans la même situation, la plupart originaires du Chiapas et de l’État de Veracruz. Ça faisait des semaines que tous ces jeunes essayaient de franchir la frontière, mais après plusieurs tentatives infructueuses, ils se sont découragés et ont accepté d’être expulsés vers leur État d’origine (Fragment, Journal de terrain, 01-08-2005).
6Il y a quelques années à peine, la scène que je viens de raconter aurait été impensable. Ce genre de voyageur n’était pas fréquent sur les lignes commerciales qui connectent les principales villes du Chiapas à la ville de Mexico. En réalité, beaucoup de ces jeunes Tojolabales n’avaient jamais l’occasion de connaître la capitale du pays. Aujourd’hui, cela a changé : le Chiapas s’est converti en un nouvel État fournisseur de migrants mexicains à destination des États-Unis et un des principaux récepteurs de l’argent qu’ils envoient.
7Bien que certaines sources attestent de la présence du Chiapas dès 1925 aux États-Unis (Département du travail des États-Unis in Jáuregui et Avila, 2007 : 21), jusqu’à la fin des années 1980, ces déplacements ont été tellement restreints qu’ils sont passés pratiquement inaperçus et n’ont eu aucune conséquence significative pour cet État. Ce n’est que dans les années 1990 que la migration chiapanèque devient visible dans ces flux et le phénomène ne se généralise dans tout l’État et ne devient massif que dans les années 2000 (Jáuregui et Avila, 2007 ; Villafuerte et García, 2006 ; Pickard, 2006)1.
8Pourquoi la migration commence-t-elle si tard dans l’État du Chiapas ? Durand et Massey (2003 : 89) attribuent ce « retard » à deux facteurs ; un système de recrutement de travailleurs qui a opéré uniquement à l’intérieur de l’État (migration interne) et sa participation minime au Programme Bracero (1942-1964). Dans d’autres régions du pays, ce programme a fonctionné comme détonateur de la migration ; ce sont les travailleurs s’y étant incorporés qui ont commencé à migrer vers les États-Unis. Un autre facteur a ralenti le démarrage de la migration au Chiapas : c’est l’indice élevé de pauvreté et de marginalisation qui existe dans cet État ; comme le soutiennent Durand et Massey (2003 : 90), la migration en général n’est pas associée à la pauvreté extrême.
9Le Chiapas est l’État du pays qui connaît l’indice de pauvreté le plus élevé et le plus d’inégalité dans la distribution des revenus (Cortés et al., 2007 : 27). 68% de la population n’a pas un revenu suffisant pour acheter les aliments nécessaires à sa consommation de base en calories et en nourriture – sans parler des frais de préparation des aliments ni des ustensiles, de l’énergie, etc. Au niveau national, ce chiffre est de 24,2 %, ce qui veut dire qu’au Chiapas il y a presque trois fois plus de pauvres que dans le reste du pays. Cela dit, si l’indice de pauvreté inclut aussi dans le panier de base les vêtements, le logement, la santé, l’éducation et le transport public, la population pauvre atteint les 85 %, alors que dans le reste du pays, elle est de 55 % (Cortés et al., 2007 : 25-27).
10Certains chercheurs ont expliqué la migration chiapanèque en mettant l’accent sur les facteurs économico-structurels ; par exemple, Villafuerte et García (2006) argumentent que la croissance de la migration au Chiapas est liée à la crise rurale que connaît cet État depuis 1988, à ses effets sur l’effondrement de l’emploi et à l’exacerbation de l’inégalité sociale à la campagne, tout ceci étant dû aux politiques néolibérales appliquées aux campagnes et à la chute des prix du café en 1989 et 1998. On a expliqué l’accélération du phénomène migratoire comme étant une conséquence des désastres occasionnés dans les zones de l’Isthme, de la Côte et du Soconusco, par l’ouragan Mitch en septembre 1998 et l’ouragan Stan en octobre 2005, qui ont détruit les foyers de centaines de milliers de familles et dévasté des milliers d’hectares de terres cultivées (Castro, 2005).
11D’autres facteurs permettant d’expliquer l’accélération de la migration chiapanèque vers les USA à la fin des années 1990 sont, de l’avis de Diane et Jean Rus (2008) : 1) un accès croissant à l’information en ce qui concerne les mécanismes de l’émigration sans papiers ; 2) une hausse minime de la sécurité économique de certaines familles (grâce à l’accroissement des apports pécuniers des femmes à l’économie familiale et l’accès à certains programmes sociaux) ; 3) des changements dans les attentes des communautés, du fait que beaucoup se sont lassées d’attendre l’aide gouvernementale qui semblait enfin devoir leur parvenir grâce au soulèvement zapatiste.
12Jusqu’à présent, il n’existe pas de donnée fiable sur le nombre de Chiapanèques vivant aux États-Unis, le Conseil d’État de population de l’État du Chiapas (COESPO) calcule qu’en 2005, environ 300 000 Chiapanèques habitaient dans le pays voisin, en majorité des jeunes ayant entre 15 et 35 ans, provenant de zones rurales, bien que, comme cela se produit dans d’autres États de Mexique, la population jeune des villes se joignant à la vague migratoire soit en croissance rapide (Mariscal, 2005).
13Le montant des envois d’argents reçus dans l’État chaque année montre la dimension du phénomène et de sa croissance dans les dernières années. En 1990, le Chiapas occupait le 29e rang des récepteurs de ces envois, un des derniers du pays. En 1995, il est passé au 27e rang, en 2001, il a atteint le 15e rang et en 2003, le 12e, avec 500 millions de dollars (Villafuerte et García, 2006 : 119). Ce chiffre est 42 % supérieur aux revenus obtenus par l’activité touristique, et équivaut à la valeur des grains de base ou des trois principaux produits d’exportation réunis (café, bananes et mangues) [Villafuerte et García, 2006 : 120]. En 2005, la banque du Mexique a informé que le Chiapas avait reçu 655,3 millions de dollars, 31 % de plus qu’en 2004. Ces envois ont multiplié par deux les revenus du tourisme dans cet État et sont près de quatre fois plus élevés que ceux de la production de café (Mariscal, 2006).
14En plus des données économiques, il faut considérer le rôle des réseaux migratoires dans tout l’État. Partout, les agences de voyages et les lignes d’autobus à destination de Tijuana ou Altar Sonora ont proliféré. Pour ne citer qu’un exemple, une quarantaine de cars partent chaque mois de la commune de Frontera Comalapa pour ces deux destinations (Pickard, 2006), et dans vingt communes du Chiapas on peut compter environ 380 agences de voyages improvisées, créées dans les trois dernières années, et qui vendent les billets pour se rendre dans les États mexicains du Nord (Balboa, 2004).
15La migration se produit dans tout le territoire du Chiapas ; les régions ayant les taux de migration les plus élevés sont la Côte, l’Isthme, le Soconusco, la Sierra et la Zone Frontière avec le Guatemala, mais aussi le Haut Chiapas et la Zone Nord. Les destinations des Chiapanèques sont des plus diverses ; elles incluent des États comme la Géorgie, la Californie, New York, la Floride, l’Arizona et la Caroline du Nord (Villafuerte et García, 2006 : 126).
16Les communes zapatistes ne sont pas restées en marge de la dynamique migratoire de l’État ; il leur aurait été difficile d’y échapper alors que ce phénomène tend partout à s’accélérer et à s’intensifier. De plus, même si les communes zapatistes fonctionnent comme des entités territoriales autonomes, elles ne sont pas isolées du reste de la société ; au contraire, dans leurs territoires d’influence une interaction permanente existe entre zapatistes et non zapatistes, qui dans de nombreux cas cohabitent dans les mêmes communautés.
17Dans la région où j’ai fait mon enquête, les bases zapatistes ont été les derniers à prendre la route du Nord. Pendant plusieurs années, le zapatisme a réussi à contenir la migration de centaines de jeunes qui conservaient l’espoir de voir leurs revendications satisfaites à moyen terme par le biais du dialogue avec les autorités gouvernementales et la société. Quand le gouvernement de Fox, avec le soutien des trois partis principaux (Parti révolutionnaire institutionnel, Parti action nationale et Parti de la révolution démocratique), a approuvé une loi indienne trahissant ce qui avait été signé lors du Dialogue de San Andrés, il est alors devenu clair que la négociation ne serait pas la solution et que la victoire était encore loin. C’est à ce moment-là que la migration est devenue une nouvelle alternative pour beaucoup de jeunes zapatistes.
18À María Trinidad, les premiers départs vers les États-Unis ont eu lieu quelques mois après le retrait de l’armée fédérale de plusieurs positions militaires occupées depuis 1995 dans la région, et le retour des familles du village sur leurs terres après six années d’exil. En revenant, entre autres changements, ils ont constaté la migration des jeunes des communautés voisines ; les histoires de migrants ont commencé à faire partie des conversations quotidiennes et à occuper toujours plus d’espace dans les imaginaires collectifs. Il est aussi devenu fréquent que les jeunes d’autres villages viennent à María Trinidad raconter leurs histoires de migration et les invitent à entreprendre le voyage. C’est ce que relate Chepe, un jeune zapatiste du village :
« Pleins de gens sont venus ici pour m’inviter à partir vers le Nord. Des cousins ou des amis que j’ai dans d’autres villages, qui ne sont pas zapatistes, viennent me parler ; ils veulent me convaincre, comme s’ils me mettaient à l’épreuve parce qu’ils savent que je suis dans la résistance, ils m’ont même offert de m’avancer le prix du passage de la frontière, comme ça, sans intérêts. Mais moi, je leur dis que ça ne m’intéresse pas, que je suis dans la lutte » (Chiapas, 2006).
19À cette époque (2002), les polleros2, les passeurs, les prêteurs sur gage et même les agences de voyages ont proliféré dans toute la région ; l’information sur la migration s’est transmise de bouche-à-oreille dans toute la cañada. Tout le monde sait dans quels villages on peut trouver les polleros, combien ils demandent, quels jours partent les autobus vers Altar Sonora ou Tijuana, etc. La route du Nord est accessible à tous ceux qui veulent se lancer dans l’aventure migratoire. Dans toute la région, un réseau migratoire fournissant aux acteurs les moyens – matériels et symboliques – nécessaires pour émigrer s’était déjà tissé. Dans certains villages, la seule chose qui manquait pour déclencher le phénomène, était que quelqu’un fasse le premier pas ; c’est-à-dire qu’il s’incorpore au réseau migratoire régional et commence à former une filière au sein de son village.
Qui s’en va ?
20Comme on l’a dit, à María Trinidad, Eugenio a été le premier à partir « au Nord ». Ce jeune n’avait que 16 ans à cette époque. Dans les communautés zapatistes comme dans le reste de l’État, ce sont surtout des hommes jeunes de 15 à 35 ans qui émigrent. À des fins d’analyse, je vais distinguer deux profils différents de migrants : les Zapatistes de « seconde génération » comme Eugenio (que je vais appeler « Zapatistes de berceau ») et les Zapatistes de la « génération 1,5 » comme Oliverio. Il est important de faire cette distinction, car l’expérience au sein du mouvement est différente dans chaque cas, de même que la place occupée par le militantisme dans leurs vies et le type d’engagement militant qu’ils ont eu dans le mouvement. Quand je parle de « génération », ce n’est pas dans un sens biologique, réduit à un critère d’âge ; je me réfère plutôt au type d’expérience militante qui leur a été donné de vivre. Dans cette perspective, les différences générationnelles dépendent moins de l’âge que des différences de contextes social et historique dans lequel les militants ont grandi, et qui leur ont permis d’avoir une expérience militante similaire.
21La « génération 1,5 » est celle qui se situe entre les fondateurs du mouvement – première génération – et les Zapatistes de « deuxième génération », dont nous avons parlé au premier chapitre. Il s’agit en général de jeunes nés entre 1970 et 1980 et qui avaient en 1994 entre 14 et 24 ans. Cette génération a pu connaître la vie dans la région avant le soulèvement : ils ont fait des études dans les écoles du ministère de l’Éducation nationale (SEP), ont connu les fonctionnaires gouvernementaux, ont été témoins des difficultés auxquelles se sont confrontés leurs parents pour régulariser leurs terres et commercialiser leur café, et parfois ils ont même participé aux organisations paysannes. Ces jeunes ont grandi avec encore l’espoir de pouvoir bénéficier de la répartition agraire. Pourtant, cet espoir s’est évanoui quand le gouvernement a réformé l’article 27 de la Constitution et mis fin à la répartition des terres. Ils ont tous dû se résigner à travailler sur des terrains prêtés et dans le meilleur des cas, ils ont reçu en 1994 des terres « récupérées » par l’EZLN.
22Dans cette génération, on trouve aussi bien des jeunes s’étant intégrés au mouvement à l’époque de la clandestinité que des jeunes l’ayant rejoint un peu après le soulèvement. Beaucoup sont entrés dans l’EZLN en qualité de miliciens et ont reçu une formation encore politico-militaire. Ils ont presque tous participé activement aux Groupes juvéniles zapatistes. Pour eux, l’EZLN a été comme une « école » où ils se sont politisés ou, comme ils le disent, où « leurs yeux se sont ouverts ».
23Dans tous ces cas, l’adhésion au zapatisme a été le résultat d’une décision personnelle motivée par différentes attentes que les militants espéraient combler par cette voie, par exemple : améliorer leur situation économique, obtenir des terres, obtenir une reconnaissance, transformer leur environnement politique, etc. Le militantisme dans le zapatisme a occupé pendant plusieurs années une place centrale dans leur vie, et a été une source de sens. C’est une génération qui a cru au « rêve zapatiste », qui a projeté son avenir dans le mouvement et a été convaincue que son militantisme dans l’EZLN était le meilleur moyen d’obtenir ce qu’elle voulait.
24La deuxième génération ou « zapatistes de berceau » est formée par tous ceux qui ont vécu leur enfance et leur adolescence dans la période d’après le soulèvement (après le 1er janvier 1994). Cette génération n’a pas connu la vie telle qu’elle était dans la Forêt avant la rébellion et l’établissement des communes autonomes. Depuis leur enfance, la région est contrôlée par l’EZLN, ce qui fait qu’ils n’ont jamais eu à travailler sous les ordres d’un patron, qu’ils n’ont jamais eu à traiter avec les fonctionnaires gouvernementaux et n’ont pas non plus suivi les cours à l’école du gouvernement. Ils ont tous étudié dans les écoles autonomes et ont été soignés dans les hôpitaux zapatistes. C’est une génération née « dans » le zapatisme, de sorte que sa participation au mouvement ne vient pas d’une décision personnelle, c’est une adhésion héritée de leurs parents et renforcée par un entourage familial et communautaire où tout le monde est zapatiste. La lutte imprègne tous les recoins de leur vie quotidienne. D’ailleurs, dans certaines communautés, même les activités auparavant familiales comme semer le maïs, se collectivisent après le soulèvement afin de pouvoir « mieux résister » dans la lutte prolongée.
25Dès leur petite enfance, tous ces jeunes se sont impliqués dans diverses activités du mouvement ; ils accompagnaient par exemple leurs parents aux réunions de l’organisation et assistaient aux festivités ou aux événements proposés par l’EZLN. Beaucoup d’entre eux, tous petits encore, ont participé à la première rencontre entre l’EZLN et la société civile en août 1994.
26Ces jeunes ont tous vécu un zapatisme « civil », dans lequel prendre les armes avait cessé d’être le moyen de lutter. Ceci a des répercussions sur le type d’engagement militant qu’il suscite, car la plupart se sont intégrés à la structure civile de l’EZLN. À la différence de ce qui est arrivé aux générations précédentes, pour ces jeunes, devenir soldat n’a jamais eu aucun sens ; ils ont toujours participé au mouvement en tant que bases de soutien. Bien que cette génération grandisse dans un milieu très politisé, elle ne reçoit pas une formation politique comme celle de la génération précédente. C’est une étape où tous les efforts du mouvement se centrent sur la négociation avec le gouvernement fédéral et l’application des accords de San Andrés, la construction de liens avec la « société civile » nationale et internationale et la formation de ses communes autonomes. En revanche, la formation de nouveaux cadres rebelles est peu à peu laissée de côté. En effet, ils ne vivent plus aussi activement l’expérience des groupes juvéniles, un espace central de politisation.
27Il convient enfin de signaler que, bien que ceux qui émigrent soient en majorité des hommes, les femmes aussi ont commencé à partir vers le Nord. Le pourcentage est encore très faible, mais, comme ça s’est produit dans d’autres régions de l’État, il tend à s’accroître. De María Trinidad, il n’y a actuellement qu’une seule jeune femme qui vit aux États-Unis ; cependant plusieurs ont déjà émigré vers des villes de l’État du Chipas (Las Margaritas et Tuxtla Gutiérrez) ou vers des villes d’États voisins (Cancún et Ciudad del Carmen). La migration féminine dans l’État a commencé à l’époque de l’exil, quand la situation économique des familles de María Trinidad était très dure. Pou la majorité, ce sont des jeunes femmes célibataires qui, pour des raisons personnelles, ont éprouvé des difficultés à faire leur vie au sein du village3.
Le conflit communautaire face à la migration
28Quand le père d’Eugenio a annoncé qu’il allait envoyer son fils aux États-Unis, la nouvelle a causé une grande émotion dans la communauté. Les bases zapatistes ne savaient ni comment réagir, ni quelle position adopter face à cette décision. La migration transnationale était quelque chose d’inconnu au village, ça ne faisait pas partie de leurs répertoires d’action, elle n’était assimilée ni comme une stratégie économique ni comme un mode de vie. Jusqu’alors, la seule sorte d’émigration qu’ils connaissaient avait pour destination Cancún ou Ciudad del Carmen, elle s’étendait sur de très courtes périodes – trois à quatre mois – et avait lieu avec l’accord préalable de la communauté. De fait, à ce moment-là, seules les communautés non zapatistes connaissaient des départs pour les États-Unis. Face au départ d’Eugenio et à celui d’autres jeunes, la position prise par la communauté a été d’interdire la migration ; ils ont pensé qu’en adoptant une position dure, ils allaient pouvoir éviter de nouveaux départs, comme l’explique un homme du village :
« On avait peur que tous les jeunes s’en aillent parce qu’on avait vu (dans d’autres villages) que la migration c’est comme une drogue, quand on y goûte, on ne peut plus s’en passer. Alors on s’est fermés, on a été durs, on a dit : “personne ne part”, on a pensé que comme ça, on allait pouvoir la stopper ; mais non, ça a été pire, on dirait que ça a donné aux jeunes encore plus envie de partir » (Chiapas, 2006).
29Effectivement, quelques mois après le départ d’Eugenio pour les États-Unis, d’autres jeunes du village ont commencé à préparer le leur. Le durcissement des positions a seulement fait que les jeunes partent en mauvais termes et que les tensions au sein de la communauté s’exacerbent. À ce moment-là, deux positions qui semblaient inflexibles se sont affrontées : les militants qui voyaient dans la migration de leurs compagnons une reddition, un abandon de la lutte et un danger pour la communauté ; et ceux pour qui la migration ne signifiait pas une reddition mais une façon légitime de se procurer des ressources économiques et de vivre d’autres expériences. Les tensions internes se sont accrues, le conflit s’est aggravé, et finalement, ceux qui avaient décidé d’émigrer ont dû quitter le mouvement, il était impossible d’émigrer et de militer en même temps. Le militantisme dans le zapatisme était vu comme une pratique, une action quotidienne, un mode de vie, et pas seulement un sentiment, une affiliation ou une idéologie qui pourrait se maintenir sans une action quotidienne.
30D’autre part, l’absence d’accord sur la migration est liée au fait qu’au moment où les premiers départs aux États-Unis se sont produits, quelques familles venaient de quitter le mouvement. Une grande confusion régnait et, finalement, la migration et la défection ont été assimilées et traitées comme un même processus. Personne ne voyait clairement si les personnes quittaient le mouvement parce qu’ils voulaient émigrer ou s’ils émigraient parce qu’ils voulaient quitter le mouvement et que c’était le seul moyen qu’ils avaient de recomposer leur identité.
31Le conflit sur la migration traduit la friction qui existe actuellement entre deux logiques distinctes qui cohabitent au sein de certains villages : la logique militante et la logique migrante. Dans la première, l’action collective pour le bien commun occupe une place centrale, et la communauté ainsi que l’organisation collective sont ce qui importe le plus. Dans la logique du migrant, le projet de l’action collective est éclipsé par un projet personnel ou familial, il passe derrière une recherche qui lui est propre ; même si, dans cette perspective, la communauté est toujours un référent important, elle n’est plus le centre ni la principale source de sens pour les acteurs.
32Le conflit survenu avec la migration nous parle aussi de la nécessité de renouveler un modèle de militantisme qui a très bien fonctionné pendant presque deux décennies, mais qui, face au phénomène de la migration massive, s’est avéré trop restreint. Comme les Zapatistes ont réussi à le faire dans d’autres régions, il est nécessaire d’assouplir les manières de participer au mouvement pour que les jeunes des deuxième et troisième générations qui aspirent autant à émigrer qu’à rester zapatistes, puissent avoir un espace pour le faire.
33Malgré les multiples tensions provoquées par les premières migrations vers les États-Unis, celles-ci ont permis de rendre évident un problème dont on ne parlait pas mais, qui était déjà présent dans tout l’État, et ont ouvert un espace pour la délibération à l’intérieur des communautés. Comme le soutient Alberto Melucci (1999), le conflit fait apparaître au grand jour ce que le système ne dit pas de lui-même, autrement dit il indique au groupe qu’il y a un problème concernant tous ses membres qui fait surgir de nouveaux codes, de nouvelles significations et de nouvelles formes de pouvoir. En l’occurrence, il a permis l’ouverture d’un espace pour négocier les modalités des départs, ainsi que les significations qu’on leur donne. Comme nous le verrons dans le reste de ce chapitre, alors que les uns voient la migration comme quelque chose de positif, les autres y voient quelque chose de négatif.
La position du Conseil de Bon Gouvernement face à la migration
34Jusqu’à présent, la question de la migration des militants zapatistes a uniquement été traitée au niveau communautaire, et non au niveau du mouvement. Autrement dit, les villages zapatistes ont eu une autonomie totale pour construire leurs accords communautaires et prendre les mesures qui en découlent lorsqu’ils sont confrontés au départ de leurs jeunes. Comme l’affirme un des membres du Conseil « Vers l’Espoir » dont María Trinidad fait partie : « Chaque village a ses accords, et nous ne pouvons pas nous en mêler. »
35Le Conseil est conscient qu’il serait difficile de tenter d’appliquer dans les villages zapatistes des mesures standardisées pour gérer l’émigration, étant donné que chaque communauté a ses propres façons de s’organiser et de résoudre ses problèmes, et parce que zapatistes et non zapatistes cohabitent dans beaucoup de communautés. L’important pour le Conseil, c’est que les communautés arrivent à construire des accords pour que « le sens communautaire ne soit pas rompu ».
36Le Conseil « Vers l’Espoir » considère aussi qu’il ne peut pas interdire les départs de ses militants parce qu’il n’a pas la possibilité d’offrir une alternative de travail ou un quelconque soutien pécunier à tous ceux qui présentent leur départ comme une « nécessité économique » ; comme ils l’expliquent dans une interview : « Nous ne pouvons pas leur interdire de partir parce qu’au Conseil nous ne pouvons rien leur donner et s’ils s’en vont, ils disent que c’est par nécessité. » D’ailleurs, la stratégie du mouvement zapatiste pour s’assurer la fidélité de ses militants n’a jamais été la répartition de prébendes ou de programmes d’aide, comme c’est le cas pour d’autres organisations paysannes et pour tous les partis politiques. D’autre part, jusqu’à aujourd’hui, les projets lancés dans le cadre de l’exercice de l’autonomie zapatiste – au moins dans la région où se trouve María Trinidad – se sont principalement centrés sur l’éducation et la santé, et bien que certains projets productifs fonctionnent, ils ne constituent pas une option d’emploi pour tous les jeunes.
37Même s’il n’a pas de politique migratoire, le Conseil de Bon Gouvernement a une position claire face à ce phénomène : « Nous, ici, au Conseil, nous sommes contre la migration, contre les “coyotes4”, les trafiquants, pas contre les migrants, parce qu’ils ont besoin de partir. » Ce qui s’est passé dans les villages non zapatistes ayant commencé à émigrer dès la fin des années 1990 – c’est-à-dire l’augmentation de l’alcoolisme, l’introduction des drogues, l’abandon de familles, l’abandon des travaux communautaires – a contribué à donner une image très négative de la migration pour de nombreux militants. Enfin, la signification et les imaginaires de la migration se construisent dans des contextes d’expérience et d’apprentissage spécifiques liés aux différentes histoires migratoires (Ramírez et Ramírez, 2005).
38Comme nous le verrons dans le reste de ce chapitre, il existe une dispute sur le sens donné à la migration. Bien que les autorités zapatistes reconnaissent la dureté des conditions économiques dans leurs territoires, elles considèrent que les jeunes ne vont pas aux États-Unis seulement par nécessité, car il y a des alternatives ; par exemple : la plantation de café ou l’émigration pour de courtes périodes vers des États voisins comme le Yucatán ou le Quintana Roo. Dans la perspective du Conseil, la migration est étroitement liée à « la paresse » et à « l’ambition ». Dans toute la région des rumeurs circulent sur la « facilité » avec laquelle on gagne de l’argent dans le Nord et les migrants qui reviennent de leur premier voyage renforcent ce genre d’idées : « là-bas, ce n’est pas dur de gagner de l’argent » ; « il suffit de tendre la main » ; « on gagne sans suer et en restant à l’ombre » ; « l’argent se gagne en restant assis ». C’est ce qui nourrit l’idée que les gens s’en vont par « paresse », parce qu’ils « veulent gagner de l’argent facilement » alors que dans la région, il faut travailler dur pour vivre. C’est ce qu’explique le témoin suivant :
« Certains frères, ce n’est plus la nécessité, c’est l’ambition, ils veulent avoir plus, ils ne se contentent pas de ce qu’ils ont, mais ce ne sont pas les frères zapatistes, ce sont les PRI-istes. Ce sont les frères qui ne sont pas de l’organisation qui sont habitués à voir l’argent des projets du gouvernement et ils veulent avoir de l’argent dans la poche. C’est pour ça qu’ils vont au Nord, ils se sont habitués à avoir de l’argent facilement » (Pedro, Chiapas, 2006).
39Le Conseil n’a mené aucune action pour empêcher la migration de ses militants ; cependant il a pris des mesures pour combattre le trafic illégal de personnes sur ses territoires. En août 2004, dans un communiqué5, les communautés zapatistes on fait connaître certains accords entre les différents Conseils. L’un d’eux se référait au trafic de sans-papiers6, étant donné que depuis quelques années, ils ont commencé à voir des groupes de personnes « étrangères » traversant leurs territoires. Ils se sont rendu compte ensuite qu’il s’agissait de « sans-papiers » provenant d’Amérique centrale et guidés par des polleros, qui essayaient de traverser le pays pour arriver à la frontière avec les États-Unis.
40Dans ce communiqué, les Conseils ont déclaré que le trafic de personnes dans le territoire zapatiste était un délit grave et ils ont demandé aux autorités de tous les villages de surveiller leurs territoires pour que les polleros n’y transitent pas. Ils leur ont aussi demandé de veiller à ce qu’aucun militant zapatiste ne protège ces trafiquants sous peine d’être expulsé du mouvement. Les Conseils ont convenu que les trafiquants qui seraient découverts seraient obligés à rendre l’argent aux personnes affectées et en cas de récidive, seraient détenus par le Conseil pour les punir ou les remettre aux autorités gouvernementales. En ce qui concerne les sans-papiers, le communiqué dit que toutes les personnes transportées clandestinement seront libérées et, dans la mesure du possible, assistées par des soins médicaux, hébergement et alimentation temporaire ; on leur conseillera également de ne pas se laisser abuser et de retourner dans leur pays. Enfin, il est aussi établi que sur le territoire zapatiste, il est totalement interdit de faire des profits sur le passage des sans-papiers et de leur fournir nourriture, eau ou logement à un prix élevé.
41Tous les Conseils ont détecté des incidents en rapport avec le trafic de personnes ; par exemple, tout au long de l’année 2003, le Conseil « Vers l’Espoir » a arrêté plusieurs polleros qui transitaient par le territoire zapatiste. Ils relatent que la première fois qu’ils ont attrapé un groupe de migrants, personne ne voulait désigner le pollero, les gens avaient peur d’être emprisonnés ou qu’on les renvoie dans leurs pays d’origine – car ils venaient d’Amérique centrale. La première chose qu’a faite le Conseil a été de leur parler de la lutte zapatiste et de leur expliquer qu’ils ont le droit de transiter librement dans les territoires rebelles, mais pas le pollero parce que ce qu’il fait est un délit et qu’en plus « il abuse des gens dans le besoin ». Après un moment, le groupe a indiqué qui était le pollero, les autorités lui ont confisqué l’argent qu’il avait et l’ont réparti à parts égales entre les migrants pour qu’ils puissent continuer leur route. À cette occasion, ils n’ont pas arrêté le pollero mais l’ont averti que s’ils le reprenaient à faire la même chose, ils allaient le punir.
La migration vue comme un abandon, une reddition et un danger
42Durant la phase où les premiers départs vers le Nord ont eu lieu, une interprétation négative de la migration a prédominé. Les militants zapatistes ont vu le départ de leurs compagnons comme un triple abandon : celui qui émigre laisse ses charges et obligations communautaires, il laisse aussi un projet entrepris collectivement dans lequel tous avaient investi un gros effort et il abandonne également sa famille. En même temps, la migration est vue comme une « reddition », une façon de se laisser vaincre par le découragement et la fatigue suscitée par la guerre. Enfin, elle est aussi perçue comme un « danger » pour la communauté, c’est-à-dire comme un phénomène qui met en péril non seulement l’ordre et les valeurs communautaires, mais aussi les membres de la communauté.
43Quand la migration est interprétée de cette façon, l’image sociale du migrant se construit aussi en termes négatifs. Les migrants sont stigmatisés comme des personnes « irresponsables », « dénuées de conscience » et « ambitieuses », opposés à l’image du militant ou compañero, figure hautement positive parmi les paysans de María Trinidad7. Pendant toute la première étape de la migration ces deux figures antithétiques se sont opposées en personnifiant la tension entre deux logiques qui coexistent maintenant dans de nombreuses communautés : une logique centrée sur l’action collective et le bien commun, et une autre centrée sur l’action individuelle ou familiale et l’autonomie personnelle.
44La méfiance provoquée par la migration n’est pas seulement une conséquence de la peur de l’inconnu ; elle résulte aussi de ce qu’on a observé dans d’autres villages de la région, où la migration a fonctionné comme une « prophétie » annonçant ce qui pourrait arriver peu après dans les communautés rebelles : abandon des villages, affaiblissement de l’organisation communautaire, introduction de nouvelles valeurs et styles de vie opposés aux valeurs communautaires, désintégration familiale, abandon de l’agriculture, alcoolisme, drogues, délinquance et enrichissement personnel, entre autres.
45Le départ des jeunes est vécu douloureusement, car pour n’importe quelle communauté indienne, perdre sa population active masculine constitue une grave menace pour sa reproduction. Ce secteur de la population se charge non seulement de pourvoir la nourriture et les autres ressources des familles, mais il doit aussi fournir les services communautaires et les travaux collectifs nécessaires au bon fonctionnement de la communauté. Dans le cas zapatiste, il s’agit d’une double menace, car le départ des jeunes met en danger d’une part, la reproduction communautaire et d’autre part le fonctionnement des communes autonomes et des différents projets qui ont été développés.
46Quand la migration a commencé, le premier problème affronté par les villages a été le manque de citoyens pour prendre en charge tous les « services » et travaux collectifs nécessaires. Ceux qui sont restés ont dû assumer les tours de leurs compagnons absents, ce qui, en plus d’éreinter plus encore les membres zapatistes toujours en résistance, a introduit des tensions et des conflits importants au sein du village et suscité une hostilité à l’égard de ceux qui sont partis. En 2005 par exemple, un des trois promoteurs d’éducation d’une communauté proche de María Trinidad est parti à l’improviste aux États-Unis, ce qui a provoqué de graves problèmes dans son village, comme nous explique un autre promoteur :
« Comme mon copain s’est fait la malle, moi, maintenant, je ne peux pas bien faire mon travail, je dois m’occuper de son groupe, je me suis retrouvé avec tout le travail. À quoi ça a servi, tous ces cours qu’on a pour se former, tous ces efforts de la communauté pour nous soutenir puisqu’il allait s’en aller de toute façon ? En plus, comme d’autres compañeros ont aussi filé, moi et l’autre promoteur qui est resté, on va devoir aller aider aux champs parce que les hommes sont débordés. Les enfants vont se retrouver sans classes, ce n’est pas juste ; moi aussi j’ai des besoins, j’ai mon bébé et ce n’est pas pour ça que je m’en vais » (Elmer, Chiapas, 2006).
47La migration est perçue comme une dangereuse menace pour un des piliers du projet zapatiste : le travail collectif. Alors qu’elle était dans la clandestinité, L’EZLN promouvait déjà parmi ses militants la formation de collectifs pour le développement de divers travaux – épiceries communautaires, coopératives de femmes, groupes de broderie, restaurants, et même des collectifs pour cultiver la terre et pour le transport. Quand beaucoup de gens s’en vont, les collectifs de travail cessent de fonctionner parce qu’il n’y a pas suffisamment de main-d’œuvre pour y arriver. De plus, avec les envois d’argent, certaines familles ont tenté de monter des « négoces » personnels entrant en concurrence avec ceux des projets collectifs communautaires8. Sur ce point, deux façons différentes de concevoir l’organisation de la communauté s’opposent : l’une vise à la collectivisation du travail et l’autre promeut son aspect familial.
48La migration est aussi vue comme un danger communautaire parce qu’elle permet l’accumulation de capital individuel, ce qui peut provoquer une différenciation sociale marquée à l’intérieur des communautés rebelles. Dès son origine, le projet zapatiste (et aussi celui de l’Église de la théologie de la libération) a aspiré à la construction de sociétés égalitaires ; de fait, l’ordre communautaire se fonde sur un principe d’égalité, et c’est pourquoi il existe plusieurs mécanismes internes qui empêchent ou rendent difficile l’enrichissement personnel, entre autres l’organisation collective du travail, la propriété collective de la terre, la promotion de projets productifs collectifs. Avec la migration aux États-Unis, certaines familles ont commencé à accumuler des excédents (surtout celles qui prêtent de l’argent avec intérêts) et, bien que, pour le moment, on ne voie pas de grandes différences au sein des communautés, il se peut que cela change dans un avenir proche.
49La migration est aussi perçue comme une menace à l’intégration familiale, ce qui dans la logique communautaire n’est pas un problème privé, mais public, car la communauté est responsable de tous les membres du groupe et c’est elle qui devra résoudre les conflits au sein des familles. Ce sont les femmes qui perçoivent surtout la migration comme une menace pour leurs familles, car il y a eu plusieurs cas d’abandon de la part de l’époux migrant. Voilà comment l’explique une dame :
« Je prie beaucoup pour qu’il n’ait pas lui aussi (mon mari) l’idée d’aller aux États-Unis. Comme tous ses amis sont là-bas, je vois bien qu’il doit y penser. Mais moi, dès que j’en entends parler, je m’énerve, je ne supporte même pas qu’il le mentionne, parce que j’ai déjà vu comment ils s’y prennent, ceux qui s’en vont ; ensuite ils se cherchent une femme, ils nous oublient, nous et leurs enfants » (Luci, Chiapas, 2006).
50Finalement, nous observons que la migration est aussi perçue comme un danger pour les jeunes. Les migrants qui sont revenus sont, en soi, un « message » annonçant ce qui peut se passer. La migration est associée, d’une part, au fait de tomber dans le « vice » – comme la cigarette, l’alcool, les drogues –, et d’autre part, à l’adoption de valeurs et de comportements négatifs pour la communauté, comme la perte du respect pour les parents et l’autorité communautaire, les réticences à participer aux travaux collectifs, le refus de cultiver les terres, le mépris à l’égard de leurs familles, l’abandon de la langue maternelle, la perte de certaines habitudes alimentaires, etc.
La migration comme nécessité économique
51Dans les communautés de la région, toutes les significations attribuées à la migration ne sont pas négatives. Face à la vision de la migration comme un abandon, une reddition ou un danger, les migrants ont produit une image positive, par laquelle ils justifient leur acte migratoire : la migration comme nécessité économique ; c’est-à-dire comme un moyen légitime de « gagner sa vie », « progresser », « aller de l’avant », « améliorer sa situation », « s’en sortir un tant soit peu ».
52Comme on l’a dit auparavant, dans le cadre du retour de l’exil, certains militants de María Trinidad ont présenté leur départ vers le Nord comme la seule possibilité d’obtenir les ressources dont ils ont besoin pour reconstruire leurs maisons et leur village dévastés par l’armée. Au moment de justifier leur départ devant l’assemblée communautaire, les futurs migrants invoquent leur difficile situation économique, le manque d’emploi dans la région et leur droit à tenter d’échapper à cette situation et de « faire progresser » leur famille, comme l’explique Oliverio :
« Nous avons décidé d’émigrer parce qu’on avait besoin d’améliorer la situation de nos familles vivant dans la pauvreté, pour avoir quelque chose, améliorer les conditions économiques, le rêve d’avoir une petite maison, bref faire quelque chose de plus pour les enfants. On a tous un but ; certains se décident pour avoir une voiture ou pour avoir une maison, pour acheter du bétail, d’autres pour s’acheter un terrain qui manque. Avant, c’était le café qui nous rapportait de l’argent ; autrement dit, on récoltait le café et chaque année, on savait qu’on avait de l’argent pour entretenir nos familles, pour acheter quelque chose ; mais ça, c’est fini, parce que tous ces travaux ne rapportent plus rien. Maintenant pour se procurer de l’argent on n’a pas de travail ; il n’y a pas d’emploi dans la région, c’est pour ça que beaucoup ont décidé d’émigrer dans le pays et d’autres ont décidé de venir ici [aux États-Unis], comme je dis, pour avoir un peu d’argent pour pouvoir faire vivre la famille » (Californie, 2005).
53Les migrants essayent de montrer que la migration n’est pas tant un désir personnel mais une « obligation » imposée par leur situation économique difficile, c’est une exigence morale à laquelle ils doivent faire face à cause de leur famille. C’est ce qu’affirme un autre jeune de María Trinidad : « Je ne pensais même pas à émigrer, mais c’est la situation qui y oblige ; à cause de la famille, il a bien fallu que je vienne. » Les futurs migrants utilisent ce type d’arguments parce qu’ils savent que, dans la communauté, personne ne va s’opposer à leur tentative de « faire progresser leur famille » ; finalement, aux yeux de tous, c’est un objectif légitime. Le problème, c’est que dans un contexte où tout le monde vit dans les mêmes conditions économiques et où on aspire à l’égalité, il n’est pas facile de convaincre les opposants à la migration que celle-ci est la seule alternative existante pour gagner sa vie dans la région.
54Dans la dispute pour définir le sens de l’acte migratoire, à l’image de la migration comme « une nécessité », on a confronté une autre image : celle de la migration vue comme « une ambition ». Certains rebelles soutiennent que le départ de leurs compañeros n’a rien à voir avec la pauvreté, elle est plutôt liée au désir d’avoir de l’argent et d’accéder à un autre style de vie ayant pour modèle le mode de vie des hautes classes urbaines. Comme ils l’expliquent eux-mêmes, « ils s’en vont au Nord par ambition, pas tellement par nécessité », « ils s’en vont parce qu’ils veulent vivre comme des riches ». Cette dispute sur le sens de la migration, a ouvert une discussion au sein des communautés sur ce que signifie avoir des « besoins » et sur le type de vie auquel on aspire.
55Ils sont tous d’accord sur le fait qu’ils se trouvent dans une situation économique précaire, comme ils le disent eux-mêmes, « on avait des raisons pour prendre les armes ». Mais pour certains, durant l’étape de résistance, il est possible et préférable de vivre sur les ressources de leurs villages. Au contraire, pour d’autres, la seule issue est l’émigration aux États-Unis. Ce qui varie d’une famille à l’autre, ce n’est pas la situation économique réelle, mais plutôt l’évaluation qu’ils font de cette situation, leurs aspirations personnelles et le fait que ce soit le meilleur moyen de « s’en sortir ». En d’autres termes, ce ne sont pas ceux qui ont « le plus de besoins » qui s’en vont mais ceux qui rêvent de ce que le Nord peut leur offrir. Alors, tandis que les militants zapatistes continuent à penser que la lutte et l’organisation collective sont la meilleure voie pour transformer leurs conditions de vie et « s’en sortir », les migrants considèrent que la lutte n’a pas eu les effets espérés et que, dans le contexte régional, la meilleure option pour gagner sa vie est de migrer aux États-Unis où, en quelques jours de travail, les migrants peuvent gagner ce que dans leur région ils gagneraient en un mois.
56Zapatistes et migrants aspirent tout autant à une « vie meilleure », mais il existe des divergences sur le sens qu’ils donnent à cela. Par exemple, pour les militants zapatistes, avoir une bonne vie, c’est : « travailler sans patron », « avoir suffisamment de terres », « être organisés », « êtres unis », « être avec sa famille » et pas tellement avoir de l’argent ou un autre type de biens associés à la vie urbaine, comme l’explique une femme zapatiste :
« On dit parfois avec mon mari que certains vont au Nord par ambition, parce qu’ils ne se contentent pas de ce qu’il y a ici, nous, on préfère l’amour, la vie, et on vit comme ça, avec ce qu’on a ; l’argent n’est pas tout. Pour nous, le maïs, les haricots, c’est la vie ; alors pourvu que nous ayons du maïs et des haricots, on peut vivre, en affrontant les problèmes, en luttant, parce qu’on est zapatistes » (Chiapas, 2006).
57Pour cette femme, la migration aux États-Unis n’est pas due à des raisons économiques, mais à « l’ambition », à la « paresse » ou au fait qu’« ils ne se contentent plus de ce qu’il y a dans les villages » et veulent avoir accès à des biens « de riches », des articles dont, jusque-là, on avait pu se passer dans la région. En revanche, ceux qui partent vers le Nord expliquent que s’ils restaient dans leurs villages, même s’ils allaient pouvoir survivre, ils n’allaient pas pouvoir « améliorer leur situation » ni « réussir », comme l’explique Ernesto, un jeune zapatiste de María Trinidad travaillant aux États-Unis depuis 2004 :
« Si on reste [dans la communauté] et qu’on travaille dur, on finira par pouvoir avoir quelque chose, mais ça va nous prendre des années, peut-être toute notre vie, comme nos parents. Par contre, si on va au Nord, en deux ou trois ans, on a fait quelque chose si on travaille vraiment dur, si on pense à notre famille, à notre avenir » (Mississipi, 2006).
58Donc, bien que le travail leur apporte le nécessaire pour se nourrir, ce n’est pas suffisant ; les jeunes ont besoin d’argent pour construire leurs maisons et acheter des produits de base quotidiens tels que savon, sucre, huile, farine pour faire du pain, vêtements, chaussures, outils de travail, etc. De plus, la mondialisation introduit dans les villages zapatistes de nouveaux désirs et de nouveaux besoins, beaucoup de jeunes veulent acquérir certains biens de consommation dont ils se passaient jusqu’à présent et qui étaient inaccessibles, mais qui sont peu à peu valorisés et incorporés à la vie communautaire grâce aux envois d’argent.
59Le fond de ce débat révèle comment la migration introduit inévitablement au sein des communautés des disputes symboliques au sujet du type de vie auquel on aspire, de ce que l’on considère indispensable pour vivre, du type d’objets et d’activités qu’on valorise. Dans une certaine mesure, ces disputes se traduisent aussi par un conflit générationnel entre la première génération de zapatistes et leurs descendants. Pour illustrer cette situation, je présente ici deux témoignages à opposer, le premier est de Don Rómulo, un homme de 50 ans, zapatiste convaincu depuis le temps de la clandestinité. Le second est de son fils, Ernesto, lui aussi zapatiste, mais ayant d’autres aspirations :
« Les jeunes ont une autre idée maintenant, ce n’est plus la même que nous, alors bien qu’on pense qu’on a raison, eux ils pensent maintenant à faire autre chose. Par exemple, on a nos maisons ; on les a construites comme tu les vois et nous, on les trouve jolies, on pense qu’elles sont bien comme ça ; mais nos enfants arrivent et ça ne leur plaît plus, ils ont une autre idée de comment faire leurs maisons, ils ne trouvent plus notre idée jolie. C’est comme ça pour tout, même pour la lutte » (Chiapas, 2006).
« Moi, mon état d’esprit, c’est de m’en sortir, de faire mieux que mon père, de faire quelque chose pour lui et pas le contraire, je pense à l’avenir. Par exemple, mon objectif est de faire une maison qui en vaille la peine, qui dure pour toujours, pour qu’on sache ce que je suis venu faire ici au Nord. Pas celle de mon père, faire une autre maison, que ce soit moi qui la fasse, pas mon père, la faire comme je veux, parce qu’une maison c’est pour toujours, elle va durer à jamais ; comme ça, je saurai toujours ce que je suis venu faire ici ; c’est ce que je pense » (Mississippi, 2006).
La migration comme soulagement ou libération
60Bien que jusqu’à présent l’argument économique soit le seul socialement accepté dans les communautés zapatistes pour justifier la migration, pour ceux qui s’en vont, le départ vers le Nord représente beaucoup plus qu’une décision utilitaire. Pour beaucoup des migrants par exemple, elle est vue comme une sorte de « libération », et ceci dans trois sens différents, chacun d’eux étant associé à des situations concrètes de la vie quotidienne. Dans le premier cas, la migration est vue comme une façon de se libérer de certaines normes communautaires qui les restreignent, en particulier la prohibition de la consommation de boissons alcoolisées ; le Nord est imaginé comme un espace de liberté totale où ils vivront sans aucune contrainte. Dans le second cas, la migration est associée à la « liberté de mouvement » et à la possibilité de connaître des endroits où ils ne sont jamais allés. Enfin, dans le troisième cas, la migration est vécue comme la libération de certaines obligations liées aux travaux et aux charges que les communautés ou le mouvement assignent à tous les citoyens.
61Cela pourrait paraître absurde, mais il est possible que l’interdiction de vendre ou de consommer de l’alcool soit la loi zapatiste ayant suscité le plus de mécontentement parmi certains de ses membres. Avant la mise en marche des communes autonomes, l’alcoolisme était un problème généralisé dans tous les villages de la région ; de fait, c’est toujours le cas au niveau de l’État. L’alcoolisme est un grave problème de santé publique qui provoque chaque année des centaines de morts, d’accidents et de cas de violence familiale dans l’État. Après le soulèvement zapatiste, les militants rebelles ont réussi à contrôler la consommation d’alcool ; cependant, ça a toujours été une source de conflit avec les communautés non zapatistes et avec certains militants qui aimaient boire. Bien que les militants rebelles soient d’accord sur l’effet négatif de l’alcool au sein de leurs villages, cette prohibition en dérange certains. Quand certains jeunes zapatistes arrivent à l’adolescence, ils sont curieux de « s’enivrer » ; la tentation est plus grande quand les villages sont divisés et qu’ils cohabitent quotidiennement avec des jeunes non zapatistes à qui il n’est pas interdit de boire.
62La migration est vue comme la possibilité de se débarrasser de cette restriction. Je ne veux pas dire par là que les jeunes « émigrent pour boire », mais plutôt que la migration est vue comme la possibilité de se libérer de certains contrôles communautaires et familiaux. Javier par exemple, 20 ans, appartient à la génération des « Zapatistes de berceau », il a quitté le mouvement en 2003 et a alors émigré aux États-Unis. Javier explique que ce qui lui plaît de la vie « au Nord », c’est que « là-bas, on est son propre maître, on peut faire ce qu’on veut ; si je veux boire, je bois ; si je veux fumer, je fume ; si je veux vivre avec une femme, je le fais ». Dans l’imaginaire des communautés de la région, le Nord est associé à un espace « sans contrôle », où « tout est permis », ou « chacun fait ce qu’il veut » et où ni la communauté ni la famille ne peuvent régir la vie du migrant. Voilà comment l’explique ce jeune :
« Moi, ça me plaît de boire, pourquoi je raconterais des histoires ? D’ailleurs, dans ce village, ça nous plaît, mais ici, ça fait des problèmes ; on ne peut pas te voir avec une bouteille, même vide, parce qu’on t’embête aussitôt. Alors que là-bas, personne ne te dit rien, chacun est son propre maître » (Chiapas, 2005).
63La migration est aussi associée à l’idée de « liberté de mouvement », dans le sens d’échapper à un « confinement » en quelque sorte, imposé par la présence de l’armée. Jusqu’en 2001, il y avait dans toute la cañada, de nombreux barrages militaires qui empêchaient la libre circulation et soumettaient en permanence la population à des fouilles et interrogatoires. Chaque communauté contrôlait les sorties de ses militants afin de veiller à leur sécurité, et pour se déplacer, il fallait demander l’autorisation.
64Enfin, la migration est aussi vécue comme « une libération », mais dans le sens de « se décharger », c’est-à-dire pouvoir se débarrasser de certaines obligations ou responsabilités liées aux charges et travaux assignés par la communauté ou par le mouvement. L’exercice de l’autonomie dans les communautés zapatistes exige une grande participation citoyenne. Pour leur bon fonctionnement, les communes autonomes ont créé de nouveaux « postes » de travail : comités, promoteurs d’éducation, promoteurs de santé, responsables régionaux, conseils autonomes, etc. Tous les membres des bases zapatistes ont un poste ou un type de responsabilité ; de plus, on leur demande de participer activement aux célébrations, réunions et assemblées du mouvement. Cette exigence permanente de participation à la vie collective s’avère asphyxiante pour certains zapatistes et peut devenir une motivation pour quitter la communauté. Comme l’exprime un jeune migrant, « il valait mieux que je sorte de l’organisation ; je voulais être libre, sans obligations ».
65Pour la génération de militants qui a commencé le mouvement, il est difficile de comprendre que leurs enfants ou d’autres jeunes voient la migration comme une « libération ». Pour beaucoup d’hommes et de femmes de cette génération, la première « libération » dans leur généalogie familiale a eu lieu au moment où leurs parents ou grands-parents sont partis des haciendas et ont pu construire leurs propres villages sur les terres vierges de la forêt Lacandon. Pour cette génération, être libre signifie surtout « avoir assez de terre à cultiver » et ne pas avoir à travailler sous les ordres d’un patron. Don Jorge (60 ans), intégrant zapatiste de María Trinidad et qui a derrière lui plus de quinze ans de participation active dans le mouvement, commente d’un ton pensif :
« C’est la vie !… On a lutté pour ne pas avoir de patrons et nos enfants s’en vont chercher leur patron au Nord, et ils payent même pour y aller. Je ne comprends pas les jeunes quand ils disent qu’ils veulent la liberté et s’en vont chercher un patron là-bas aux États-Unis, alors qu’ici ils ont tout, ils ont leur propre terre à semer, pour faire ce qu’ils veulent. Là-bas au contraire, ils ne sont pas libres, ils doivent travailler pour un patron » (Chiapas, 2005).
66Pour cette génération et pour beaucoup des jeunes qui n’émigrent pas, la liberté n’a rien à voir avec le fait de « boire de l’alcool », « abandonner leur poste » ou « sortir du village » ; pour eux, ces restrictions sont le résultat d’accords établis entre tous les villages et non d’impositions externes. Dans cette perspective, la liberté est liée à l’accès à la terre comme moyen fondamental pour assurer la subsistance, et aussi à l’exercice de l’autonomie. C’est ce qu’explique un jeune zapatiste de María Trinidad, actuellement membre du Conseil de Bon Gouvernement :
« Ceux qui partent vers le Nord perdent leur liberté ; d’abord parce qu’ils doivent se cacher parce qu’ils n’ont pas de papiers, et ensuite parce qu’ils doivent travailler avec un patron, alors que nous, on est ici sur nos propres terres, on va où on veut, on est nos propres maîtres. Par exemple, si je cultive le café, je sais quand me reposer, je n’ai pas de patron qui vient me dire quoi faire, je prends mon pozol9 quand je veux, si aujourd’hui je suis fatigué, je ne travaille pas, parce que je suis le propriétaire de ma terre. C’est pareil pour la commune, personne ne va venir donner des ordres, on a fait nos accords comme ça nous convient » (Chiapas, 2006).
La migration comme une aventure
67En 2005, alors que je revenais de la Forêt Lacandon, j’ai rencontré dans l’autobus à destination de Mexico, un groupe de paysans de la commune de Las Margaritas qui se dirigeaient vers la frontière nord. L’homme assis à côté de moi a attiré mon attention parce qu’il semblait passablement plus âgé que les autres ; il m’a dit ensuite qu’il s’appelait Vicente et avait 65 ans, un âge auquel bien peu de gens ont l’idée d’émigrer. Je lui ai demandé pourquoi il allait aux États-Unis et voici ce qu’il m’a répondu :
« Je ne m’en vais pas aux États-Unis par nécessité. Ce n’est pas pour me vanter, mais, au village, j’ai une maison en dur, j’ai une épicerie, j’ai des caféiers, des terres, je ne manque de rien. Mes enfants sont grands, je leur ai donné tout ce que j’ai pu. Eux aussi me demandent pourquoi je m’en vais, et moi je leur dis qu’il faut aller connaître d’autres visages, entendre d’autres voix, bouger un peu. Je veux aller apprendre d’autres petits boulots. C’est comme les riches qui ont de l’argent pour partir en vacances, ils peuvent connaître d’autres pays parce qu’ils ont de l’argent, ils ont des papiers ; nous, même si on a de l’argent, on ne nous donne pas de papiers ; alors la seule façon de connaître un peu, c’est avec l’émigration » (Chiapas, 2005).
68De même que pour Don Vicente, pour beaucoup de jeunes, la migration représente une « aventure » personnelle et collective. C’est-à-dire une expérience risquée, composée d’événements et de rencontres inattendues, qui sort du quotidien et qui implique une grande incertitude (voir Simmel, 2002). Un événement qu’on ne peut ni planifier, ni mesurer complètement, parce qu’il suppose de se lancer dans l’inconnu, sans savoir quel sera le résultat final. En tant qu’aventure, la migration est une façon de franchir les frontières territoriales, mais aussi les frontières identitaires, culturelles et linguistiques qui les limitent. Comme nous allons le voir dans la troisième partie de cet ouvrage, dans l’aventure migratoire, les jeunes s’exposent à des situations inconnues et risquées, font des rencontres surprenantes avec des personnes différentes, vivent des circonstances inédites et doivent se lancer dans des actions audacieuses. Durant leur voyage, le risque et l’incertitude sont toujours présents : lorsqu’ils franchissent la frontière, quand ils vivent sans papiers, quand ils se trouvent dans un pays dont ils ne connaissent pas la langue.
69Malgré la grande incertitude de l’aventure migratoire, le futur migrant garde toujours confiance pendant son voyage, l’acte migratoire des jeunes de María Trinidad est motivé par l’espoir que « ça va bien se passer », qu’ils sortiront victorieux de leur aventure. Comme le dit Simmel (2002 : 79), l’aventurier se fie à sa propre force, croit en sa bonne étoile, bien que le caractère incertain de son voyage imprègne son aventure d’une certaine dose de fatalisme. Le migrant s’abandonne à ces deux sentiments, confiance et fatalisme ; c’est pourquoi l’aventure migratoire se réalise entre passivité et activité, entre ce que nous conquérons et ce qui nous est donné (Simmel, 2002 : 76). Pendant le voyage, le migrant, tout en étant dans une logique d’action et d’entreprise, s’abandonne à son sort ou destin, car une grande part de cette aventure échappe à son contrôle.
70Quand la migration est vécue comme une aventure, l’image du migrant se charge d’une forte dimension épique opposée à celle du « déserteur ». Le migrant apparaît comme une sorte de héros, son voyage se transforme en odyssée où abondent autant les aventures adverses que celles qui lui sont favorables, et face à elles, le protagoniste doit aller de l’avant. Cette image héroïque se construit en grande partie quand ils reviennent dans leur village, quand ils relatent leurs exploits de l’autre côté de la frontière.
La migration comme une mode
71À mesure que les départs vers les États-Unis se sont généralisés à toute la région de la forêt, un réseau migratoire solide s’est constitué, un répertoire d’action et un imaginaire social positif sur l’autre côté de la frontière ; la migration a fini par devenir une mode, c’est-à-dire un phénomène social complet qui s’impose avec force chez un groupe de personne chaque fois plus grand et pour une période de temps déterminée. Comme un jeune Chiapanèque me l’a dit d’une façon un peu cynique quand nous discutions dans la Vallée centrale de Californie : « Le zapatisme est passé de mode ; maintenant, je suis une autre mode qui est la migration. »
72La mode est toujours traversée par une logique d’imitation et une logique de distinction ; cette dernière permet de satisfaire à la fois un désir d’affiliation et de communauté, et un désir de différenciation et d’isolement ; c’est-à-dire que la mode réalise une synthèse entre le besoin d’acceptation, d’adhésion et de sécurité et le besoin de singularité, de distinction et d’individualisme (Simmel, 1923). Dans cette perspective, la migration serait une tentative de résoudre la tension permanente entre l’individu et la communauté. À travers elle, on cherche à dépasser la tension qui surgit d’une part, entre le désir de se distinguer du groupe, de marquer sa différence, de « sortir du rang », et d’autre part le désir ou le besoin de faire partie d’un groupe, d’être reconnu en tant que membre d’un collectif.
73La tension entre une logique d’imitation – c’est-à-dire un désir d’appartenance – et une logique de distinction – ou désir de différenciation – est très présente dans la vie communautaire. Dans les communautés de la Forêt Lacandon, il y a une recherche permanente de l’égalitarisme qui entre en tension avec le désir de différenciation de certains, ce qui fait que toute mode ou tout changement s’impose avec une grande facilité. Dans le témoignage suivant, un membre zapatiste de la région n’ayant jamais émigré, expose de façon lucide la tension existante entre la recherche de l’égalitarisme et de la différence :
« Ce qu’on voit, c’est que dans les communautés, il existe ce qu’on appelle “l’égalitarisme”. On doit tous avoir la même chose, alors si quelqu’un a l’idée de peindre sa maison, d’autres personnes vont voir ça et vont dire “moi aussi, je veux peindre ma maison” et il va y avoir des gens qui, bien qu’ils n’aient pas d’argent, vont vouloir peindre leur maison parce qu’on veut tous être égaux. Mais je dois analyser, penser que la peinture, c’est superflu, c’est que du luxe, ce n’est plus un besoin, c’est une mode. C’est la même chose pour cette histoire du Nord ; on s’en va, l’autre voit qu’on revient avec quelques petites choses et il va aussi vouloir s’en aller pour avoir la même chose ; mais c’est pareil, c’est du luxe, pas un besoin » (Chiapas, 2005).
74Effectivement, dans les communautés de la forêt Lacandon, on aspire à l’égalitarisme et tout changement ou innovation introduit par quelqu’un pour se distinguer – qu’il s’agisse de son costume, d’objets domestiques, du style de logement, de sa façon de travailler ou de n’importe quel signe extérieur d’une différenciation –, sera immédiatement perçu par le reste de la communauté et en même temps deviendra motif de « critiques » ou sera imité. Cela fera que ce changement se répandra rapidement dans la communauté jusqu’à ce qu’il cesse d’être un signe distinctif. Par exemple, il est assez commun de voir que si quelqu’un dans une communauté a l’idée d’ouvrir une épicerie ou d’entreprendre un type de négoce familial, peu de temps après, tout le monde aura fait de même.
75Les nouveaux départs pour le Nord sont motivés en grande mesure par une logique de « l’imitation ». Quand les jeunes voient que beaucoup de leurs frères, cousins ou amis sont partis aux États-Unis, ils ressentent aussi l’envie de s’en aller, ils rêvent de faire partie d’un groupe de « pollos10 » et de traverser le désert. Comme le relate le journaliste H. Bellinghausen (2005), « dans les villages indiens de la forêt et de la zone frontière, c’est devenu une véritable “mode” de se joindre à une bande de “pollos” ». María Trinidad ne fait pas exception ; de plus en plus souvent, les adolescents rêvent d’aller au Nord pour suivre leurs grands frères ou amis, personne ne veut rester derrière, ils veulent tous « goûter » à cette expérience et faire partie des « Norteños » (gars du Nord), comme l’explique Ramón :
« Je suis venu parce que mon frère Pepe était ici ; c’est un des premiers à être venu, et j’ai vu aussi que plein de “raza” [race, c’est-à-dire gars de la bande] commençaient à venir, et j’ai dit : eh bien, moi aussi je veux aller essayer, il faut aller voir ce que fait la “raza” là-bas » (Mississippi, 2006).
76Mao, le fils aîné d’Oliverio en est un autre exemple. Mao a 19 ans. Depuis que son père est parti, il rêve de franchir la frontière. Quand il explique ses motifs pour partir, à aucun moment il n’a recours à l’argument économique, comme l’ont fait les jeunes qui sont partis dans les premières années ; maintenant l’argument central de sa justification est que « tous mes amis sont déjà partis » :
« Moi aussi je veux essayer, tous mes potes sont déjà partis, ceux qui étaient avec moi à l’école, je suis le seul à être resté, ce n’est plus pareil, c’est triste parce qu’avant, on était toute une bande à aller jouer au football ; maintenant personne n’y va » (Chiapas, 2006).
77Pour Mao et de nombreux autres garçons, la migration semble une façon d’affirmer son appartenance au groupe de « Norteños » qui ont acquis, du moins parmi les jeunes, une certaine popularité associée aux devises qu’ils envoient et aux objets de luxe qu’ils rapportent quand ils reviennent, mais aussi à un tout nouveau style d’habillement, de parole et de comportement qui attirent certains jeunes. C’est ce qu’explique Gabriel, un garçon de María Trinidad qui a franchi la frontière en 2004 :
« Certains, quand ils sont là-bas [dans la communauté], rien que de prononcer le mot “Nord”, c’est comme si tu étais quelqu’un. Rien que de mentionner ce mot, ils pensent qu’ils sont plus importants, qu’ils valent plus que leur famille parce qu’ils ont des dollars, parce qu’ils ont connu ça. Il y a des gens comme ça, rien que parce qu’ils savent que tu as été au Nord » (Mississippi, 2006).
78Alors, bien qu’une image assez négative de la migration prédomine dans les communautés zapatistes, parmi les jeunes, elle est vue comme un moyen d’affirmer leur appartenance à un nouveau groupe jouissant d’un certain prestige – du moins à leurs yeux. De nombreux jeunes migrent à leur tour, motivés par l’idée d’appartenir au groupe des « Norteños ». Ainsi, la mode migratoire provoque un double mouvement : l’inclusion de certains dans une catégorie sociale naissante – dénommée les « Norteños » – et l’exclusion de ceux qui ne font pas partie de cette catégorie.
79La migration ne répond pas seulement à une logique d’imitation, elle répond aussi à une logique de distinction : pour beaucoup de jeunes, émigrer est vu comme une façon de se différencier et d’affirmer leur individualité. Comme je l’ai dit auparavant, bien que les migrants suivent la voie ouverte par d’autres et, bien souvent, se déplacent en groupes, la migration est une expérience individuelle où s’exprime la particularité de chacun. Certains jeunes ont besoin de se distinguer et d’affirmer leur singularité et leur individualité, ce qui n’est pas toujours facile à réaliser au sein de la communauté. La migration est vue comme une opportunité de le faire, comme l’explique Efraín, un autre jeune de María Trinidad : « Je suis venu [aux États-Unis] parce que je voulais sortir un peu des rangs. » Il voit dans la migration un moyen de se distinguer au sein de la communauté, ce qui lui serait beaucoup plus difficile s’il était resté, étant donné que ce sont des communautés où l’idéal à atteindre est l’égalité.
80La « distinction » affirmée avec la migration se réalise non seulement vis-à-vis de la communauté mais aussi des générations précédentes et du mouvement. Elle est liée à l’accès à un nouveau type d’objets ou de biens personnels, mais surtout au type d’expérience vécue ; c’est-à-dire au simple fait de connaître d’autres pays, d’autres emplois, d’autres gens, que personne ne connaît dans le contexte communautaire – sauf ceux qui ont aussi émigré. Quand ils reviennent dans leurs villages, la distinction se traduit par de nouveaux comportements, des vêtements, des nouvelles manières de parler, de danser ; les « Norteños » ont leur style à eux. Comme l’explique Simmel (1923), en adhérant à une mode, l’homme choisit un style de vie qui lui plaît et lui convient. La mode permet à l’homme de se renouveler, de dépasser ses frontières et d’imposer des changements continuels et perpétuels, elle met en question un grand nombre de conventions et de valeurs sociales.
81Comme pour n’importe quelle mode, la « distinction » apportée par la migration est passagère, elle dure le temps que durent ses signes matériels, c’est-à-dire jusqu’à ce que les habits neufs soient usés, les chaussures déchirées, les appareils électriques en panne et les dollars dépensés. Après cela, le seul signe de distinction sera l’expérience vécue. Un membre du Conseil de Bon Gouvernement à qui on pose la question du changement subi par ceux qui vont au Nord l’explique ainsi :
« Le changement est temporaire, ils arrivent avec casquette, grand chapeau, bottes à la mode du Nord, et au bout de six mois, tout ça s’use et il leur faut acheter les mêmes choses que nous et on est de nouveau habillés pareil, avec ce qui se fait dans la région. Ils arrivent vaniteux, gros, ils veulent tuer un poulet tous les jours, mais au bout d’un temps, quand leur argent se termine, ils mangent de nouveau leurs haricots et leur “pozol” [boisson de maïs] tous les jours, pareil que nous. C’est comme ça, ce qui vient du Nord se termine en fumée, tombe en panne et bientôt, on est tous égaux à nouveau. Alors, à quoi ça a servi qu’ils s’en aillent ? » (Chiapas, 2006).
La migration comme une reconstruction personnelle
82Leti est née à María Trinidad, c’est la huitième de dix enfants, ses parents sont zapatistes depuis le temps de la clandestinité. Elle s’est mariée très jeune avec un garçon d’une autre communauté ; son mariage n’a pas duré longtemps ; même pas un an après son mariage, elle est revenue vivre avec ses parents parce que son mari la maltraitait. À son retour à María Trinidad, elle s’est impliquée totalement dans le mouvement zapatiste. Pendant quatre ans (1994-1998), elle a participé aux groupes juvéniles, aux groupes de femmes et à toutes les activités organisées par le mouvement (rencontres, cours, bals, manifestations, etc.). Leti garde de bons souvenirs de ses années militantes : « Dans la lutte, j’ai appris beaucoup de choses, je n’avais plus honte de faire un travail dont me chargeait la communauté, ni de prendre la parole, […] c’était très joyeux » explique-t-elle (Mississippi, 2006).
83Pourtant, au fil des ans, sa situation personnelle et son avenir l’inquiétaient de plus en plus. Elle savait que pour une femme qui a déjà été mariée et qui a plus de vingt ans, il n’est pas toujours facile de refaire sa vie affective dans la communauté. Malgré les nouveaux espaces de participation politique que le zapatisme a ouverts aux femmes, leur reconnaissance à l’intérieur des communautés est encore très associée à leur capacité d’être épouses et mères ; c’est-à-dire qu’elles sont valorisées dans la mesure où elles fondent une famille. Les femmes qui ne le font pas doivent vivre dans une sorte de « minorité d’âge » sous la protection de leur père ou d’un frère11. Leti se rendait compte de cette situation et cela l’inquiétait :
« Moi, tous les soirs, je priais et je demandais au petit Jésus de me donner un époux que j’aime, je me sentais je ne sais pas comment, un peu inquiète, je n’étais pas tranquille, je n’étais pas contente, des fois, j’arrivais même pas à dormir à force d’y penser » (Mississippi, 2006).
84Leti savait que si elle restait au village, ses perspectives d’avenir étaient de vivre dans la maison paternelle ou de se marier avec un veuf (ayant certainement beaucoup d’enfants à élever). Aucune de ces options ne l’attirait ; elle voulait se marier « avec quelqu’un que j’aime » ; de plus, elle explique que déjà en ce temps-là, elle rêvait « d’être quelqu’un » :
« Je me voyais gagner de l’argent, monter mon propre négoce, être quelqu’un, quoi, faire quelque chose ; je voulais avoir quelque chose, par exemple de l’argent à la banque, même pas beaucoup, dix mille, quinze mille pesos [environ 900 euros], principalement pour mon père et ma petite maman » (Mississippi, 2006).
85En 1998, Leti a décidé de partir de María Trinidad ; sa première destination migratoire a été la ville de Las Margaritas ; deux ans plus tard elle s’est établie à Cancún et elle a travaillé plusieurs années dans un restaurant. En novembre 2004, elle s’est finalement décidée à émigrer aux États-Unis (où se trouvait déjà son frère cadet) et elle est alors devenue la première femme de María Trinidad à franchir la frontière nord12.
86Leti voit dans la migration une voie pour sa « reconstruction personnelle », c’est-à-dire pour s’affirmer positivement et obtenir une reconnaissance au sein de son village. Elle pense que dans le nouveau contexte, il lui sera beaucoup plus facile de refaire sa vie de couple vu qu’elle ne porte pas le stigmate d’un « mariage raté » ; de plus, elle sait que l’envoi d’argent est une source sûre de reconnaissance familiale et communautaire. La migration est vue comme l’occasion de commencer une nouvelle vie. D’autres jeunes femmes dans la même situation ont aussi opté pour cette solution ; pour le moment, ces déplacements ont eu pour destination des villes de l’intérieur du pays (Las Margaritas, Cancún, Cozúmel, etc.), mais les États-Unis seront certainement la destination finale.
87Le départ de Leti n’a causé aucun conflit à María Trinidad, comme elle l’explique elle-même : « Comme je suis une femme, personne n’a rien dit ; d’ailleurs, les filles qui se marient s’en vont du village. » Effectivement, la migration féminine n’a jamais été un sujet de conflits ou de tensions communautaires, car tout le monde accepte que toute femme se mariant avec quelqu’un d’étranger au village, aille vivre dans le village de son mari. Pourtant, le départ de Leti n’a pas été sans tensions ; comme elle l’explique dans le témoignage suivant, sa mère s’opposait à son départ :
« Nous étions là-bas, en exil, en train de trier le café avec mon père et je lui dis que j’ai su que mes cousines s’en allaient à Margaritas et qu’elles gagnaient 300 pesos, Carla et Flor, Elisa, elles étaient célibataires à l’époque. J’ai entendu dire qu’elles s’en allaient et qu’on les payait très bien, 300 pesos mexicains par mois [environ 20 euros], et j’ai dit à mon père que s’il me donnait la permission de partir un mois, je lui enverrais l’argent que je gagnerais. Mon père m’a dit : oui vas-y, et alors ma mère s’est mise à pleurer, et maman a dit que non, et moi je lui ai dit : si, je vais y aller, papa a dit que j’aille essayer ; et je suis partie avec Carla » (Mississippi, 2006).
88Les femmes ne sont pas les seules à émigrer pour refaire leur vie et reconstruire leur identité personnelle ; les hommes partent pour les mêmes raisons. La plupart du temps, il s’agit de jeunes ayant vécu un chagrin d’amour ou une perte d’estime à l’intérieur de la communauté. Comme on l’a vu dans le premier chapitre, quand certains militants ont quitté le mouvement, ils ont vécu une crise personnelle et ressenti leur départ comme un processus douloureux, non seulement parce qu’il s’est effectué au milieu d’un conflit qui a divisé les communautés et créé d’énormes tensions en leur sein, mais aussi parce qu’il a impliqué un déchirement de leur identité personnelle. Lorsqu’ils ont quitté le mouvement, ils ont perdu une appartenance qui était pour eux essentielle pour se définir et se positionner dans la région, une appartenance qu’ils ont affirmée positivement des années durant et qui a fonctionné comme l’essence de leur respect d’eux-mêmes. Pour presque tous les hommes dans cette situation, la migration est une opportunité parfaite pour récupérer ce respect perdu.
L’ouverture communautaire face à la migration
89Le départ d’Eugenio et celui d’un groupe de huit jeunes ayant émigré en 2003 ont définitivement ouvert la voie vers les États-Unis pour les habitants de María Trinidad. À partir de ce moment-là, les migrations vers le Nord n’ont plus cessé ; chaque départ produit des migrants potentiels car il consolide le réseau migratoire régional, alimente les répertoires d’action migratoire, et aussi les imaginaires sociaux stimulant ainsi le départ d’autres jeunes. À l’intérieur des communautés, l’accélération du phénomène est vécue comme une « maladie contagieuse », contre laquelle personne n’est immunisé, comme l’explique un homme de María Trinidad :
« L’idée du Nord est dans la tête de tout le monde depuis l’enfance ; il faut juste qu’elle se déclare et qu’ils disent qu’ils s’en vont. C’est comme quand on a une maladie, mais qui ne se déclare pas encore ; on peut être comme ça des années, mais la maladie est déjà dedans, et il n’y a qu’à attendre le moment où elle se déclare » (Chiapas, 2006).
90Ce témoignage exprime très bien comment, en moins de cinq ans, la migration est devenue pour beaucoup de jeunes un nouveau choix de vie. Jusqu’à récemment, la migration vers les États-Unis ne faisait pas partie des stratégies économiques familiales, et ne représentait ni un projet personnel ni un style de vie ; personne ne voyait son avenir dans la migration. Aujourd’hui, au contraire, tous sont des migrants potentiels, l’idée d’émigrer est intégrée comme une nouvelle alternative de vie et reste latente jusqu’à ce qu’un facteur la déclenche.
91La plupart des familles zapatistes de María Trinidad se sont finalement confrontées aux dilemmes qui surgissent quand un fils, un frère, un mari ou n’importe quel autre proche parent décide de partir. La migration les place devant un choix difficile : être logiques avec leur position initiale et même refuser la migration de leurs propres enfants – même si cela implique un conflit familial – ou soutenir leurs enfants et négocier leur départ avec la communauté, malgré la perte certaine de cohérence par rapport à leur position initiale que cela suppose. Dans de nombreux cas, même si les parents s’y opposent ou tentent de dissuader leurs enfants, ils n’y parviennent pas ; l’attraction que certains jeunes ressentent pour le Nord est très forte, comme l’explique un membre des bases zapatistes :
« Dans chaque famille il y a toujours un fils qui est rebelle et qui, du coup, ne va pas obéir ; alors même si on leur parle, même si on leur dit de rester, ils vont s’en aller. On leur parle, on leur explique, mais s’ils veulent s’en aller, il n’y a rien à faire. Quand cette idée vient aux jeunes, il n’y a pas moyen. Mais nous, ici, on continue à résister » (Isaías, Chiapas, 2005).
92Les familles dans cette situation ont dû assouplir leur position et accepter le départ imminent de leurs enfants parce qu’il n’y avait pas moyen de les retenir. La communauté se rend compte qu’elle n’a pas la force de stopper le phénomène, c’est pourquoi elle décide de modifier sa position de départ : au lieu d’interdire la migration de ses militants, elle l’accepte, mais elle essaye de la contrôler. Elle sait que si elle ne le fait pas, d’autres militants abandonneront aussi le mouvement. C’est ce qu’explique un militant zapatiste de María Trinidad :
« On a vu que plein de “raza” s’en allaient ; la plupart ne sont pas zapatistes, mais dans le tas, ils en emmènent quelques-uns. Surtout les jeunes, ils ont maintenant une autre façon de penser, et quand l’idée leur vient de s’en aller, il n’y a pas moyen de les convaincre, ni gentiment ni méchamment. Du coup, on a dû lâcher du lest et accepter qu’ils partent » (Don Mauro, Chiapas, 2006).
93À l’intérieur des familles, il se passe la même chose ; les parents doivent négocier avec leurs enfants et les épouses avec leurs maris. Aucun migrant ne veut se lancer dans l’aventure migratoire sans le consentement de sa famille, il sait qu’il a besoin du soutien du noyau familial pour mener à bien son projet ; d’ailleurs, parfois, c’est la famille elle-même qui lui procure les ressources nécessaires à son départ. En outre, dans certains villages de la région, il y a cette croyance que lorsque les parents s’opposent au départ d’un enfant, celui-ci n’arrivera pas à franchir la frontière ou aura beaucoup de difficulté à le faire, comme l’expliquent les migrants de la région : « Si ta maman pleure beaucoup, tu ne vas pas pouvoir traverser, ils vont t’attraper. » Cependant, quand le jeune est décidé à partir, il le fait avec ou sans le consentement familial.
« Mon père m’a dit que j’avais la possibilité de venir un an, mais pas davantage ; il ne voulait pas trop que je vienne, mais comme il a vu que j’étais décidé et que personne ne m’arrêterait, alors ils ont juste établi des règles, rien de plus » (Mississippi, 2006).
94Chaque départ vers le Nord passe par une double négociation : premièrement au sein de la famille et ensuite face à la communauté. Plus les gens s’en vont aux États-Unis, moins la famille et la communauté ont de marge pour négocier, étant donné que le futur migrant peut obtenir de l’aide de ceux qui sont déjà au Nord.
95Actuellement, dans toutes les communautés zapatistes, les militants ont le droit d’émigrer aux États-Unis à condition qu’ils le fassent avec l’autorisation de la communauté et respectent les accords passés à ce sujet. L’assemblée est l’espace où on négocie les départs et où on élabore les accords sur leurs conditions. Dans ces accords, on établit en général le temps que le futur migrant pourra s’absenter et on définit le montant qu’il aura à payer pour les travaux communautaires qu’il cessera d’effectuer pour son village. La période admise pour s’absenter de la communauté va d’un à cinq ans ; par exemple, à María Trinidad on leur permet quatre ans d’absence, mais dans des communautés où la migration est plus récente, l’autorisation ne vaut que pour un an.
96L’accord n’est pas figé ; quand la situation l’exige, les conditions de départ sont renégociées, car le phénomène migratoire change rapidement. Il s’agit de chercher les meilleures solutions à des situations inédites pour la communauté. Selon un membre du Conseil de Bon Gouvernement, au début, les communautés de la zone frontière avec le Guatemala se sont mises d’accord pour ne fixer aucune limite de temps pour s’absenter du village ; chaque personne définirait individuellement la durée de sa migration. Alors les hommes ont commencé à s’absenter de cinq à six ans, et il n’y avait plus assez de monde pour se charger des tâches communautaires. Ceci les a obligés à revoir l’accord communautaire ; actuellement, l’autorisation est pour deux ans et le migrant a ensuite l’obligation de rester trois ans au village pour y effectuer ses tâches. Il faut signaler que ce sont les migrants eux-mêmes qui ont constaté la nécessité de normaliser les départs pour que leur village puisse continuer à fonctionner. Ce type de convention ressemble beaucoup à celui qu’ont établi certaines communautés de Oaxaca – État voisin du Chiapas – où les taux de migration élevés ont mis en danger le système d’organisation communautaire.
97Le montant que le migrant doit payer va de deux mille à quatre mille pesos par an (de 150 à 270 euros). Cet argent est destiné à couvrir les frais des travaux communautaires que le migrant ne pourra effectuer durant son absence. Le fait de faire payer des « quota » aux migrants est une pratique généralisée dans d’autres communautés indiennes du Mexique où les indices de migrations sont élevés. Ce mécanisme est vu comme une espèce de « paiement d’impôts » pour les services dont profitent les familles des migrants, et a permis à ceux-ci de conserver leur « citoyenneté communautaire ». De cette façon, ils peuvent continuer à influer sur la vie politique et culturelle de leur village. De plus, grâce à ces ressources, beaucoup de communautés sont parvenues à autofinancer plusieurs chantiers de développement social pour répondre aux nécessités premières que l’État n’a pas été capable de satisfaire.
98À María Trinidad, les premiers départs se sont produits sans qu’on ait établi un accord communautaire ; cependant, face aux migrations suivantes, le village a réussi à élaborer un consensus sur certains points, ce qui a permis de désamorcer le conflit. Par exemple, il a été convenu que le temps maximum que peut durer une migration est de quatre ans et que tous les migrants ont pour obligation de couvrir leurs tours de travaux communautaires comme s’ils étaient au village. Sur la base de cet accord, les migrants ont dû chercher quelqu’un qui les remplace dans leurs tâches, en général un parent. Avant d’arriver à cet accord, c’était à ceux qui restaient au village de faire les travaux communautaires, ceux qui s’en allaient étaient mis sur des « listes d’attente » pour qu’ils assument leurs tours de travail par la suite. Plus le nombre de migrants augmentait, moins ceux qui restaient au village arrivaient à assumer toutes les tâches, car ils devaient de plus en plus souvent se charger d’un double travail, et ceci a rendu nécessaire la révision de l’accord établi.
99D’autre part, dans certaines communautés, dès qu’un migrant revient du Nord, on lui attribue en général un poste communautaire. Le but de ce genre de mesures est d’alléger le travail de ceux qui n’émigrent pas, de réinsérer les jeunes migrants dans les tâches de la communauté et d’éviter qu’ils repartent à court terme.
100L’ouverture des bases zapatistes face à la migration s’est traduite non seulement par la construction d’accords communautaires pour arranger les départs, mais aussi par une transformation des perceptions. Peu à peu la migration a cessé d’être assimilée à la reddition et à l’abandon du mouvement, les positions face au phénomène se sont nuancées. Les communautés zapatistes ont ouvert un espace à la migration. Aujourd’hui, presque toutes les familles zapatistes de María Trinidad ont au moins un membre qui travaille aux États-Unis. La migration n’est plus seulement perçue comme la fin du militantisme ou comme une source latente de conflits annonçant la fin des solidarités communautaires. Elle est acceptée comme une nouvelle stratégie pour gagner sa vie et pour les migrants, c’est aussi une manière de refaire leur vie.
⁂
101La migration des Chiapanèques aux États-Unis est un phénomène récent, mais qui a pris une grande ampleur et qui est en train de transformer les dynamiques locales dans presque toutes les communes de l’État du Chiapas. Aujourd’hui, la migration affecte même les communes zapatistes, où les départs vers le Nord avaient été retardés par la conviction de voir satisfaites leurs revendications à moyen terme par la lutte, le dialogue et l’organisation. La migration internationale est en train de devenir un projet qui retire ses militants au mouvement zapatiste, mais qui de plus, est en concurrence avec lui en produisant de nouvelles subjectivités. Ainsi, si dans le passé le zapatisme est entré en compétition avec d’autres projets établis dans la région, comme celui des organisations paysannes ou de l’Église catholique, aujourd’hui son principal antagoniste est la migration, car elle représente une concurrence à la fois pour l’EZLN et pour les autres projets politiques ou religieux de la région Lacandon.
102En reconstituant le début de la migration à María Trinidad, j’ai essayé de montrer que le phénomène migratoire est né au milieu de grandes tensions communautaires et d’un conflit d’où émergent de multiples subjectivités. Certaines de ces subjectivités disputent au mouvement son hégémonie en tant que meilleur projet pour répondre aux demandes des villages, et aussi en tant que projet de vie le plus souhaitable.
103Dans la communauté où j’ai réalisé mon étude, la première vague migratoire a eu lieu dans la période 2002-2003, dans une conjoncture nationale nullement porteuse d’espoir car toutes les instances du gouvernement s’étaient refusé à appliquer les accords de San Andrés. De plus, à ce moment-là, la guerre de basse intensité avait commencé à provoquer les premières défections zapatistes à María Trinidad, ce qui fait que les départs pour le Nord ont coïncidé avec les premières sorties du mouvement.
104L’argument central de ce chapitre est que la migration a provoqué un conflit communautaire confrontant deux types de subjectivités, et où les acteurs se sont opposés sur le sens du phénomène migratoire et la façon de le gérer. D’un côté se trouvent les membres des bases zapatistes définissant la migration comme une reddition, un abandon et un danger pour la communauté et le mouvement, de l’autre, ceux qui la définissent publiquement comme une façon légitime d’obtenir des ressources économiques et qui, de manière privée, lui ont aussi donné un sens de libération, d’aventure, de mode et y ont trouvé une manière de se reconstruire. Ce conflit sur les sens de l’acte migratoire traduit deux projets qui coexistent au sein des communautés rebelles : le projet des autonomies zapatistes, fondé sur l’organisation collective pour le bien commun, et qui aspire à une transformation profonde de la société ; et le projet de la migration aux États-Unis, fondé sur l’action individuelle ou familiale pour la satisfaction de besoins et d’aspirations personnels très concrets.
105Bien qu’au commencement, ces deux projets aient paru irréconciliables – car si le premier requiert la présence et la participation active de ses militants, le second provoque leur absence pendant des périodes prolongées –, aujourd’hui les deux projets coexistent avec des tensions et une négociation permanentes. Les communautés zapatistes ont peu à peu ouvert un espace à la migration et sont passées d’une étape de refus total du phénomène à une étape d’ouverture où elles se sont rendu compte qu’il n’y a pas de raison pour que la migration implique l’abandon du mouvement ni des responsabilités vis-à-vis de la communauté. De fait, différentes expériences dans d’autres régions du pays montrent que la relation des migrants avec leur village d’origine et leur engagement à son égard se maintiennent au cours des années de migration (Fox et Rivera Salgado, 2004). Aujourd’hui au sein des villages rebelles, de nouvelles formes d’engagement militant, de nouvelles relations sociales, de nouvelles « manières de vivre ensemble » sont sans cesse réinventées (Touraine, 1997) pour permettre une connexion entre les aspirations collectives et les aspirations personnelles.
Notes de bas de page
1 Selon les données de l’Enquête sur la migration à la frontière nord du Mexique (Emif), le flux de Chiapanèques qui sont arrivés dans les localités de la frontière nord pour traverser vers les États-Unis est passé de 6 434 dans la période 1994-1995 à 84 693 entre 2002 et 2003 (Jáuregui et Avila, 2007).
2 Pollero : à l’origine marchand de poulet ; personne dont l’activité est le trafic clandestin de migrants sans papiers à travers les frontières ou qui les transporte à l’intérieur du pays et en tire un bénéfice matériel.
3 Il faut signaler que, dans les deux générations, on trouve des milliers de jeunes qui ne sont pas partis aux États-Unis et qui, comme leurs parents, continuent à considérer la proposition zapatiste comme leur projet de vie et participent activement aux communes autonomes.
4 Coyote : personne dont l’activité est d’acheter et d’accaparer les produits des paysans, en général le café, pour le revendre plus cher sur le marché régional ou national ; c’est aussi le terme adopté pour désigner le passeur d’immigrant, en ce sens synonyme de « pollero ».
5 EZLN, « Lire une vidéo. Cinquième partie : cinq décisions de bon gouvernement », août 2004.
6 Les autres accords portent sur la conservation des forêts, le trafic de drogue, la circulation de véhicules dans les territoires rebelles et les élections au niveau de l’État de maires et du Congrès local.
7 Dans un premier temps, la migration a aussi été associée au fait d’« être du PRI » ou d’« être avec le gouvernement », vu que dans la région et pendant plusieurs années seuls les jeunes des communautés non zapatistes émigraient.
8 Par exemple, à María Trinidad on a acheté pour la communauté deux moulins qui fonctionnaient en collectif et dont les profits se répartissaient à parts égales. Par la suite, certaines familles – avec les envois d’argent de la migration – sont sorties du collectif, ont acheté leur propre moulin et ont offert le même service.
9 Boisson à base de maïs très nutritive.
10 Les migrants sont souvent appelés « pollos », poulets, car ils sont transportés par des « polleros », des marchands de poulets.
11 Dans les communautés de toute la région, la plupart des hommes célibataires préfèrent se marier avec des femmes très jeunes et vierges. Les mères célibataires ou les femmes qui ont « raté » leur mariage sont socialement stigmatisées et considérées comme des femmes de « deuxième catégorie », ce qui restreint leurs options matrimoniales.
12 Si Leti n’a pas émigré directement aux États-Unis, c’est parce qu’à ce moment-là, le Nord n’était pas encore une destination possible ; les filières migratoires nécessaires pour entreprendre le voyage et assurer le succès de l’entreprise n’existaient pas.
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2014
Les États-Unis et Cuba au XIXe siècle
Esclavage, abolition et rivalités internationales
Rahma Jerad
2014
Entre jouissance et tabous
Les représentations des relations amoureuses et des sexualités dans les Amériques
Mariannick Guennec (dir.)
2015
Le 11 septembre chilien
Le coup d’État à l'épreuve du temps, 1973-2013
Jimena Paz Obregón Iturra et Jorge R. Muñoz (dir.)
2016
Des Indiens rebelles face à leurs juges
Espagnols et Araucans-Mapuches dans le Chili colonial, fin XVIIe siècle
Jimena Paz Obregón Iturra
2015
Capitales rêvées, capitales abandonnées
Considérations sur la mobilité des capitales dans les Amériques (XVIIe-XXe siècle)
Laurent Vidal (dir.)
2014
L’imprimé dans la construction de la vie politique
Brésil, Europe et Amériques (XVIIIe-XXe siècle)
Eleina de Freitas Dutra et Jean-Yves Mollier (dir.)
2016