Chapitre I. L’espace comme acteur de la répression
p. 121-154
Texte intégral
1La conception de la prostituée en tant qu’élément impur, autour de valeurs négatives, n’est pas un phénomène nouveau apparu à la fin du xixe siècle. Toutefois, le contexte particulier de cette période au cours de laquelle est promulguée une série de textes législatifs visant à homogénéiser la société, est propice à l’observation d’une certaine volonté de séparation des parties malades du corps social sain. Après avoir érigé un mur juridique, les autorités entreprennent d’enfermer les femmes considérées comme des prostituées au sein d’institutions telles que les prisons ou les hôpitaux, matérialisant ainsi leur volonté de séparation. La femme corrompue ne doit plus pouvoir entrer en contact avec la femme honnête, encore moins avec la jeune fille pure. En s’appuyant sur l’analyse des types de traitements reçus par ces femmes dans ces établissements, il convient alors de s’interroger sur leur nature et le rôle qu’ils ont joué dans la construction des processus de marginalisation.
Enfermer pour éduquer, punir, effacer
2La prison pour femme de San José a été l’objet d’une étude approfondie. Fondée en 1863, son nom officiel est : Maison Nationale de correction pour femmes mais elle est aussi connue sous le nom de « Algodonera », pseudonyme que l’on pourrait traduire par Cotonnerie. Ce surnom renvoie à l’utilisation massive de cette matière par la fabrique abritée au sein de la prison et dans laquelle travaillent de nombreuses prisonnières. Il donne à cet endroit sombre et insalubre une fausse apparence de pureté et de blancheur. Dans ce lieu se retrouve l’ensemble des femmes ayant commis des délits punis par des peines d’emprisonnement ainsi que les mineures incarcérées à la demande de leurs parents ; mais aussi et surtout, les femmes accusées de prostitution ayant porté atteinte à la morale, ayant manqué aux obligations imposées par le règlement de prophylaxie ou porteuses d’une quelconque maladie vénérienne. Il s’agit alors de s’interroger sur les objectifs de ce lieu d’enfermement à travers notamment l’analyse des textes législatifs concernant le rôle et le fonctionnement des prisons au Costa Rica. À partir de ces documents, il est possible de mieux comprendre la nature officielle de l’acte d’emprisonnement des prostituées. Parallèlement, ces données doivent être mises en perspective à travers l’observation de la réalité de la vie quotidienne des femmes dans les prisons afin de saisir dans sa globalité l’influence de l’institution-prison dans la construction des processus de marginalisation.
Normaliser les prisonnières
L’ordre
3Le règlement de 1864 qui fixe provisoirement les règles de vie régissant la prison pour femmes de San José impose le respect de normes très codifiées :
« Art. 79. – Toutes les femmes placées sous la surveillance de l’établissement doivent être soumises et obéir aux personnes responsables de leur garde ; elles doivent aussi être réservées et correctes envers les autres. Toutes doivent se lever à l’aube, faire leur toilette, faire leur lit et se recommander à Dieu par une courte prière qui sera présidée par la directrice. Par la suite, celle-ci attribuera les tâches qui correspondent à chacune. De sept heures du soir à sept heures et demie, la directrice leur expliquera la doctrine chrétienne et puis, jusqu’à huit heures, heure à laquelle elles doivent se coucher, elle leur lira ou leur fera lire l’œuvre que le gouverneur désigne comme étant adéquate du fait de ses maximes morales ou religieuses et de ses exemples salutaires qui inspirent l’horreur du vice, l’amour de la vertu et le goût du travail1. »
4Il s’agit là de mettre en place un système permettant la rééducation des femmes à partir de l’apprentissage de notions unanimement reconnues par les élites comme étant des facteurs de stabilité sociale : la morale et la religion. Partant du principe que l’oisiveté engendre le vice, tout est parfaitement réglé afin qu’aucun moment ne reste inoccupé et que toutes les occupations participent à la régénération de la prisonnière. Le maintien de l’ordre associé à la discipline qui en découle apparaissent alors comme les armes devant servir à éradiquer le vice.
5Dans cette logique, la désobéissance est punie sévèrement par des peines d’exil. En témoigne le sort de Maria Rojas alias Chincha qui est condamnée à la demande de l’« alcalde2 » de la prison pour femmes de San José à un exil de plus de 16 mois – ce qui équivaut au double de sa peine – dans une zone appelée Golfo Dulce. Les raisons avancées pour justifier ce châtiment révèlent l’importance accordée à l’obéissance et donc à la soumission des prisonnières :
« Mme Maria Rojas (alias) Chincha, qui est détenue dans la maison de réclusion […] se montre insubordonnée et désobéissante et, du fait de son caractère querelleur, elle ne fait que semer le désordre et la discorde entre les autres détenues ; et puisqu’il est impossible d’établir la discipline nécessaire dans cet établissement de détention, en raison de ses scandales, nous vous demandons de prendre les mesures appropriées afin d’éviter un tel préjudice, en vous soumettant l’idée de l’isoler dans un lieu éloigné de la capitale3. »
6La discipline apparaît, à travers ce document, comme un élément indispensable au bon fonctionnement du système carcéral. L’attitude perturbatrice de Maria qui vient rompre avec le modèle mis en place, risque d’enrayer l’ensemble du système et de ce fait, elle est sévèrement sanctionnée par les autorités. En effet, contrairement à ce que pourrait laisser penser la sonorité séduisante du lieu de confinement, Golfo Dulce, il s’agit là d’une peine particulièrement dure, voire disproportionnée, si l’on en croit la série d’articles publiés dans La Prensa Libre au mois de juillet 1894 sous le titre révélateur de « Condenada a muerte4 ». Le journal rappelle la réalité des conditions de vie qu’impliquent la rudesse du climat et la vigueur des maladies existant dans ces lieux :
« Le sort des femmes exilées dans des lieux où règnent la fièvre et d’autres maladies mortelles, est vraiment digne d’attention. N’est-il pas certain qu’il serait facile de modérer cette peine afin qu’elle n’égale pas la guillotine, l’emmurement, la pendaison ou le passage par les armes auxquelles elle serait équivalente5 ? »
7La comparaison entre l’exil et la peine de mort est particulièrement révélatrice de la dureté des peines encourues par les femmes ne respectant pas l’obligation de soumission et d’ordre imposée dans les prisons. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que ce principe de la rééducation par l’ordre perdure tout au long de la période. On le retrouve en 1915 lors de la mise en place d’une législation commune à l’ensemble des prisons du pays, qui permet une uniformisation du système carcéral costaricien autour de certaines règles : l’ordre, à travers notamment l’instauration d’horaires normés, et l’obéissance sont là encore les valeurs clés de ce système :
« Art. 45. – Tous les mouvements pour se lever, se coucher, les repas, les allers-retours au travail, les pauses, elles les exécuteront conformément aux indications établies qui seront données en fonction des horaires.
[…] Art. 55. – Elles doivent obéissance à tous les employés, quelle que soit leur catégorie. Lorsqu’elles considèrent injuste un de leurs ordres, elles ont le droit de s’en plaindre au supérieur mais après avoir exécuté ce qui leur a été ordonné de faire6. »
8Remarquons que ce sont là les mêmes principes fondamentaux qui avaient guidé la mise en place du règlement de 1864, exception faite de l’aspect religieux. En effet, celui-ci n’apparaît plus comme un élément prioritaire de la rééducation des prisonnières, du fait d’une laïcisation générale de la société impulsée par les libéraux depuis 1870. Au contraire, la discipline et l’ordre restent les éléments censés permettre la fabrication de la « femme nouvelle » régénérée par cette « technique de pouvoir spécifique7 ». Il faut alors s’interroger sur la signification particulière du concept de « discipline » qui selon la définition qu’en donne Michel Foucault :
« ne peut s’identifier ni avec une institution ni avec un appareil ; elle est un type de pouvoir, une modalité pour l’exercer, comportant tout un ensemble d’instruments, de techniques, de procédés, de niveaux d’application, de cibles ; elle est une “physique” ou une “anatomie” du pouvoir, une technologie8 ».
9Notion complexe, englobant de multiples réalités, la discipline implique la mise en place d’un système carcéral fondé sur certains éléments considérés comme les clés de la stabilisation sociale par excellence : le travail et la morale
Le travail et la morale
10Que ce soit dans le règlement provisoire de 1864 ou dans le général de 1915, le travail et la morale apparaissent comme des piliers de la vie carcérale :
« Art. 68. – Le travail, bien que souvent ne faisant pas parti de la peine, étant utile et nécessaire à la santé et à la moralité, sera exigé à toute femme qui se trouve sous la surveillance de l’établissement9. »
11« Utile et nécessaire », le travail est conçu comme un élément favorisant la régénération sanitaire, à la fois physique et morale, des prisonnières. En ce sens, pour les autorités, il est un instrument de réadaptation sociale des femmes incarcérées. Comme le note très justement Juan José Marín Hernández10, les prisonnières doivent respecter les mêmes horaires que les ouvriers agricoles : levées à six heures du matin, elles achèvent leur journée au moment du dîner, à quatre heures de l’après-midi. Le temps de travail, entrecoupé des divers repas qui jalonnent la journée, représente donc l’occupation principale des prisonnières.
12Par la suite, au début du xxe siècle, cette vision du travail salvateur s’enrichit d’une composante éducative, et de nombreux documents émanant directement des autorités pénitentiaires prônent la mise en place d’un apprentissage. L’objectif est de donner une formation à ces prisonnières qui bien souvent n’en ont aucune, afin de faciliter leur réinsertion sociale. En 1908, la directrice de la prison pour femmes adresse donc une requête au gouverneur de la province de San José dans laquelle elle demande que la couture soit enseignée aux femmes incarcérées. Cette requête est retransmise en ces termes au ministère de la police dont dépendent les institutions carcérales :
« La directrice de la Algodonera [la cotonnière] m’a adressé une lettre dans laquelle elle manifeste l’importance d’enseigner la couture aux prisonnières, ce qui permettra une amélioration en faveur de la discipline et du profit moral de ces femmes11. »
13Le travail apparaît donc comme un élément essentiel permettant d’éviter l’oisiveté qui engendre le vice et de discipliner les condamnées en les soumettant à des horaires stricts. Il représente un des éléments les plus importants de cette normalisation morale des prisonnières. Il s’agit là d’inculquer des valeurs qui seront nécessaires à la réintégration sociale de ces femmes. Plus généralement, la prison est conçue comme un lieu de rééducation dans lequel, seuls les éléments participant à la régénération morale des prisonnières, ont droit de cité. Cette logique conduit les administrations pénitentiaires à proscrire tout comportement considéré comme « vicié ». Dans ce cadre, l’intimité des femmes incarcérées fait l’objet d’une intense surveillance. Ainsi, leurs concubins, considérés comme des « amitiés illicites », se voient souvent refuser l’accès à la prison. En témoigne le document ci-dessous :
« En tant que directeur de la prison pour femmes, j’ai l’honneur de vous informer que la prisonnière accusée d’incendie, Maria Cano, a eu et a le droit de s’entretenir avec toutes les personnes qui le sollicitent, de même que les autres recluses, conformément à l’article 83 du règlement carcéral de la prison pour femmes. M. Victor Manuel Rojas a été le seul à se voir refuser l’entrée dans cet établissement du fait qu’il n’est ni membre de sa famille, ni un ami et que les seules relations qu’il entretienne avec elle, sont illicites12. »
14Ce rapport est révélateur de la perception générale qui entoure le concubinage qui est associé à une relation illégitime alors même que la loi ne l’interdit pas. Surtout, il met en évidence la nature du contrôle mis en place par les autorités. En effet, qu’il s’agisse de parents ou d’amis, la prisonnière ne peut recevoir de visites que sous la surveillance de la directrice ou d’un gardien. De fait, il leur est donc impossible d’adopter une attitude allant à l’encontre de la morale que ce soit en parole (en provoquant un scandale, une dispute, etc.) ou en acte (en tentant de s’échapper ou en ayant des relations sexuelles avec le visiteur). Ces restrictions démontrent donc, qu’en interdisant la visite du concubin, les autorités cherchent moins à prévenir des conduites immorales, impossibles au vu du contexte général de réception des visites, qu’à stigmatiser certains types de relations en les désignant comme néfastes et en les interdisant. En mettant en place une échelle de valeur entre les personnes appartenant à l’entourage des prisonnières, elles cherchent à inculquer une certaine idée de ce qui doit être considéré comme une relation honnête et participent ainsi pleinement à leur rééducation morale.
15À l’intérieur même de la prison les relations entre les femmes sont étroitement surveillées. Ainsi, en 1918, Leticia Kristy et Ana Cabezas sont accusées par les autres prisonnières d’entretenir des relations intimes13. À la suite de cette dénonciation, le directeur interdit toute visite à Ana – même celle de sa mère – et les fait enfermer toutes deux aux cachots, avec pour seule nourriture du pain et de l’eau. Ce traitement, particulièrement sévère, révèle la volonté des autorités de punir un comportement jugé moralement inacceptable, mais aussi de faire un exemple afin d’éviter sa propagation. Là encore, la diffusion et la protection d’une morale socialement acceptable apparaissent comme une condition nécessaire à la régénération de ces femmes. Parallèlement, en soulignant l’origine de la dénonciation, ce cas permet de mettre en évidence une certaine assimilation par les prisonnières, ou tout au moins par une partie d’entre elles, de cette morale diffusée dans la prison. S’il ne s’agit pas de penser que ces femmes ignoraient tout des codes sociaux au moment de leur entrée en prison – bon nombre d’entre elles étant parfaitement conscientes des normes qu’elles ont enfreintes – il faut toutefois souligner qu’en dénonçant leurs compagnes de cellule, elles démontrent leur parfaite connaissance, voire leur acceptation, de certaines valeurs socialement reconnues.
16La prison cherche donc à servir de « machine à laver » les vices. Un lieu dans lequel seul le moralement correct peut entrer afin de permettre une régénération totale des prisonnières. La population a d’ailleurs parfaitement conscience de ces objectifs éducatifs et bon nombre de familles en arrivent à penser que l’enfermement de leur fille récalcitrante peut être un palliatif à leur carence éducative.
Assimilation populaire de cet objectif éducatif
17Selon le code civil de 1888, tout parent légitime peut demander l’arrestation et la mise en détention de son enfant mineur pour une période pouvant aller jusqu’à trois mois.
« Art. 131. – L’autorité parentale donne le droit de corriger modérément l’enfant, et dans le cas où ce serait nécessaire, de demander la mise en détention de celui-ci pour une durée de trois mois dans un établissement correctionnel14. »
18L’objectif est alors de permettre aux parents d’utiliser l’institution prison et donc par extension, l’autorité étatique, lorsque leur propre autorité ne suffit plus à mener à bien l’éducation de leur progéniture. Cette mesure témoigne de façon révélatrice de l’objectif de l’État de créer une prison éducative dans laquelle la punition servirait d’instrument de régénération. Dès 1889, le chef de l’agence de police de San José atteste de sa réussite :
« Selon l’article 131 du Code civil l’autorité parentale donne le droit de demander la mise en détention de l’enfant mineur pour une période allant jusqu’à 3 mois. J’ai reçu plusieurs cas concernant cette question et j’ai eu l’occasion de demander conseil pour savoir si je suis moi-même celui qui doit imposer la mise en détention. Mais comme je suis confronté à une grande variété d’opinions, je trouve opportun de demander conseil au gouvernement suprême, par votre insigne intermédiaire, afin de savoir quelle est ma compétence en ce qui concerne cette question ; et de vérifier si la simple demande du père ou de la mère suffit pour mettre la peine en application15. »
19Ce courrier, rédigé à l’attention du gouverneur de la province, souligne la quantité de parents ayant recours à ce système. Il démontre par là même, l’assimilation par les couches populaires des qualités éducatives de la prison. Parallèlement, en s’interrogeant sur la conformité d’une telle disposition, l’agent de police met en évidence la précarité légale de cette disposition qui donne aux parents le droit de s’instituer juges et qui permet une incarcération arbitraire puisqu’elle n’est pas le résultat d’une instruction judiciaire. Cette mesure témoigne donc de l’intérêt que l’État porte à l’éducation des enfants et à la diffusion des normes socialement acceptées. Leur importance est d’ailleurs telle qu’elle en arrive même à évincer le caractère illégitime du procédé.
20De plus, l’existence de documents datant du début du xxe siècle dans lesquels certains parents font part de leur volonté d’utiliser cette disposition législative, témoigne de la pérennité de la loi, mais aussi de son assimilation par la population :
« Silvestre Ramírez Segura, en qualité de père légitime de la mineure Anita Ramírez Ulate, 16 ans, célibataire, s’occupant de travaux domestiques et habitant dans ce voisinage, s’est présenté dans cette agence afin de demander l’incarcération de sa fille dans la prison pour femmes de cette ville, pour une période de 3 mois, afin qu’elle y soit corrigée16. »
21En demandant l’incarcération de sa fille, Silvestre Ramírez pense pouvoir ainsi remédier à ses défaillances éducatives, ce qui est une preuve de la grande confiance qu’il accorde à l’institution carcérale. En mettant l’accent sur cette possibilité offerte par la loi, il s’agissait avant tout de montrer l’importance que les autorités accordent à la part éducative de l’institution prison et de mettre en évidence l’assimilation par la population de ce rôle régénérateur. Toutefois, certaines données ayant trait aux conditions de vie des prisonnières, obtenues à travers ces documents institutionnels, permettent de s’interroger sur les aspects concrets du rôle éducatif de la prison.
Les conditions de vie des femmes en prison
22S’intéresser aux conditions de vie des prisonnières n’est pas chose aisée. Très peu de sources nous permettent de les observer directement. De plus, les femmes incarcérées, souvent analphabètes, pour le moins illettrées, n’ont elles-mêmes laissé aucune source. Seuls des documents administratifs qui nous sont parvenus, nous permettent d’approcher indirectement leurs conditions de vie. Les rapports d’inspection et les plaintes émanant des recluses sont les principales sources d’informations analysées. Ces documents ont permis de réunir quantité d’informations et de reconstruire, en partie, l’environnement dans lequel évoluent les prisonnières. Dans cette perspective, certains éléments tels que l’hygiène et l’alimentation mais aussi la nature des aménagements structurels des prisons, sont apparus comme des données essentielles : à la fois accessibles – la plupart des rapports et des réclamations abordent ces aspects – et particulièrement représentatifs des conditions de détention. Par souci de clarté, et même si dans la réalité ces informations s’entrecroisent, elles seront présentées ici successivement.
L’alimentation, des plaintes constantes
23Le règlement de la prison provisoire pour femmes de 1864 est très clair quant à la nature des aliments qui doivent être donnés aux prisonnières. Il s’agit de leur permettre de se maintenir en vie en leur attribuant le minimum vital :
« Art. 60. – Les aliments des prisonnières condamnées à la réclusion […] seront uniquement ceux fournis par l’établissement et ceux considérés appropriés à leur maintien en vie et en bonne santé. C’est à cela qu’il sera prêté attention et non à leur confort17. »
24Cette mesure réglementaire laisse supposer une alimentation non pas abondante et de qualité mais qui assure tout au moins le nécessaire aux prisonnières. Pourtant, si l’on en croit les rapports remis au gouverneur de la province de San José par les fonctionnaires chargés d’inspecter les prisons, certaines substances essentielles à l’équilibre biologique sont absentes des régimes alimentaires que l’on propose aux prisonniers :
« Les aliments proposés aux détenus et aux prisonniers des deux sexes se composent d’une ration de haricots et d’une “tortilla” de maïs [crêpe de maïs épaisse] qui leur sont distribuées deux fois par jour sans rien d’autre, pas même des assaisonnements. […] Les prisonniers des deux prisons demandent à juste titre qu’on leur procure une portion de viande au moins deux fois par semaine18. »
25Ainsi les aliments d’origine animale, source de protéines, et notamment la viande, n’apparaissent pas au menu des prisons. D’ailleurs, les prisonnières se plaignent régulièrement de la pauvreté des aliments qu’on leur donne :
« Les prisonnières et les détenues ont été interrogées afin de savoir si elles souhaitaient exprimer des plaintes et elles ont manifesté : que les seuls aliments qu’on leur donne sont des haricots et encore en petite quantité ; que du fait de cette alimentation si pauvre, si monotone et si peu nutritive outre qu’elles se sentent gênées par la faim, elles s’affaiblissent chaque jour d’avantage, à tel point que certaines souffrent de douleur stomacale. Avec véhémence, les détenues ont insisté pour que j’expose leurs plaintes à mon supérieur afin qu’il améliore leur triste condition, dans la mesure du possible19. »
26Si la faible qualité des aliments proposés apparaît comme un problème majeur, la revendication principale des prisonnières reste liée à la quantité. La faim tiraille ces femmes souvent déjà bien affaiblies par de nombreuses maladies, leur pauvreté et l’instabilité de leur vie. Malgré ces constantes plaintes et les rapports défavorables que les inspecteurs font de l’alimentation carcérale, l’analyse des documents datant d’après 1910 met en évidence la pérennité de certains problèmes. Certes, comme le démontre le tableau ci-dessous, la qualité nutritionnelle et la quantité des aliments ont augmenté.
Tableau 7. – Alimentation des prisonnières dans la prison pour femme de San José, 191220.
Type de prisonnières |
Saines |
Malades |
6 h 30 |
18 g de café ½ boule de pain |
18 g de café ½ boule de pain |
10 h – Déjeuner |
95 g de riz 90 g de Haricot noir 1 boule de Pain |
Soupe de légumes ou de pain 95 g de riz 120 g de viande grillée 1 boule de pain |
16 h – Dîner |
95 g de riz 90 g de Haricot noir 1 boule de Pain |
Soupe de légumes ou de pain 95 g de riz 120 g de viande grillée 1 boule de pain |
18 h |
80 g d’Agua dulce21 |
80 g d’Agua dulce |
Jeudi et dimanche En plus du régime ordinaire |
Soupe de légumes ou de pain 120 g de viande Légumes + Pomme de terre Chayotte ou banane |
Pomme de terre Chayotte ou banane |
27Désormais, la viande, même en quantité restreinte, fait partie de l’alimentation de base des prisonnières. De plus, une claire distinction est faite entre les nécessités alimentaires des femmes malades et celles des prisonnières saines. Remarquons que les horaires des repas respectent aussi les mêmes contraintes de travail que ceux des « peons » rappelant ainsi l’obligation de travail des recluses.
28Toutefois il ne faut pas se laisser abuser par l’apparente clarté de ce document administratif qui ne permet pas à lui seul de donner une vision globale de la nature de l’alimentation des prisonnières à cette époque. En s’intéressant aux divers rapports et aux plaintes émises par les femmes enfermées, la simplicité de ce tableau laisse la place à une réalité beaucoup plus complexe. En effet, on retrouve en 1912 des plaintes émanant des prisonnières et appuyées par les autorités, après vérifications, étrangement similaires à celles qui ont déjà été mentionnées plus haut :
« Certaines détenues de la prison pour femmes ont manifesté la plainte suivante : “Nous restons sur notre faim car la ration est trop peu abondante et mal assaisonnée, quelquefois même sans sel. Maintenant on ne nous donne plus d’'agua dulce' l’après-midi. Tous les 15 jours à peine, on nous donne une faible quantité de savon, pour nous qui sommes malades et qui en avons besoin à tout moment.” De sorte qu’il a été convenu, après discussion avec l’Alcalde et la directrice, de vérifier, lors de la visite, la distribution des aliments dans l’établissement. Les femmes qui sont simplement en réclusion reçoivent un morceau de pain et une ration de haricots et de riz, les deux choses agréables au goût car nous avons eu l’opportunité d’y goûter. Celles qui sont malades reçoivent un morceau de pain, du riz, un petit morceau de viande et une soupe avec un tout petit peu de pâtes. […] La visite a permis de tirer les conclusions suivantes, que nous transmettons au chef supérieur afin qu’il les prenne en considération dans la mesure du possible :
1°– Il faut augmenter la ration d’aliments surtout aux malades.
2°– Si le système du contrat pour l’approvisionnement alimentaire se maintient, il faut augmenter le budget afin d’améliorer le service et d’éviter de nouvelles plaintes.
3°– Comme les malades ont besoin d’une alimentation spéciale telle que lait, œufs, etc., il faut leur fournir ces aliments sans lésiner sur l’augmentation budgétaire que cela exige, étant donné que l’on oblige ces femmes à rester là uniquement pour qu’elles guérissent22. »
29La dernière remarque de l’inspecteur démontre sa parfaite conscience de l’injustice faite aux femmes emprisonnées pour cause de maladies vénériennes. Enfermées pour éviter tout risque de contagion, la prison devait être le lieu de leur régénération physique. Pourtant, comme le souligne ce fonctionnaire, tous les moyens ne sont pas mis en œuvre pour permettre leur rapide guérison et notamment leur alimentation est négligée, ce qui laisse supposer un certain désintérêt des autorités.
30Ce document démontre que malgré les améliorations observées, l’alimentation carcérale reste une source de conflits avec les prisonnières. La quantité autant que la qualité des aliments proportionnés suscitent leur mécontenttement. Une série de documents datant de 1915 remet d’ailleurs en cause le travail de Doña Francisca Cartin Viuda de Garcia, cuisinière en chef de la prison. Les prisonnières se plaignent du manque d’hygiène des aliments qui leur sont proposés. Le directeur de la prison pour femmes lui-même adresse une note au ministère afin de dénoncer ce problème flagrant et d’améliorer leur qualité :
« Samedi dernier la plupart des prisonnières n’ont pas pu déjeuner car il y avait des cafards dans les haricots et hier, dimanche, la même situation s’est reproduite du fait qu’il y avait un ver bien cuit dans la soupe.
Au vu de cette situation, les juges m’ont accusé de distribuer une mauvaise alimentation, problème dont je ne suis pas responsable En effet, dans mon dernier rapport, je vous ai informé qu’il était urgent d’exiger que les aliments soient élaborés dans cet établissement afin de pouvoir contrôler leur propreté et leur hygiène23. »
31Il apparaît clairement que les restrictions budgétaires qui conduisent le ministère à recruter la cuisinière la moins onéreuse engendrent des problèmes quant à la qualité des aliments octroyés. Ce fait apparaît alors comme un révélateur de la place occupée par ces femmes dans la société : ni la cuisinière qui ne prête aucune attention à la qualité des aliments qu’elle fournit, ni même l’État dont l’objectif principal est de faire des économies en restreignant au maximum son budget, ne s’intéressent réellement au sort des femmes emprisonnées. Seul le directeur, témoin quotidien de leur misère, directement impliqué, dénonce cet état de fait pour essayer d’obtenir de meilleures conditions. Malgré cela, loin de s’améliorer, les documents montrent que le problème de l’alimentation persiste et même s’amplifie. Il est alors intéressant de remarquer que cette détérioration est, à partir de 1918, un fait exprès, le résultat de la volonté des autorités comme l’explique le directeur de la prison pour femmes, suite à la plainte de deux prostituées :
« Les prisonnières Maria Rosa Castro et Lucila Bermúdez, ont déclaré qu’à 10 h 25 du matin, heure à laquelle elles exposent ces faits, elles n’ont encore rien pris, ni café, ni “agua dulce”, alors même qu’on les oblige à se lever avant 6 h du matin et à rester en plein air dans une cour humide et qu’en plus elles n’ont droit qu’à une demi-gamelle de nourriture ; elles ajoutent que, par curiosité, elles ont compté les haricots qu’on leur donne et ils sont au nombre de 400 ; la Bermúdez dit qu’elles sont amenées ici pour y mourir de faim.
Ces mesures ont pour origine la décision du directeur de la prison de mettre fin à l’abus commis par bon nombre de femmes, lesquelles, sous prétexte d’ivresse ou de ne pas être inscrites sur les registres, avaient transformé la prison en domicile personnel et en hôtel, quelques-unes depuis plus de 20 ans. Le directeur, ayant exposé ces faits et les ayant prouvés en montrant des papiers qui attestent de cette situation, a décidé, d’un commun accord avec l’ancien gouverneur, M. Ernesto Ortiz, de faire un essai consistant à soumettre ces prisonnières au régime d’une demi-gamelle de nourriture. Le résultat est que sur les 60 prisonnières qu’il y avait, il n’en reste actuellement que 8 car elles ne reviennent plus à la prison avec la même fréquence24. »
32Ce document présente un double intérêt. D’une part il rappelle la misère de ces femmes qui en arrivent à utiliser la prison comme un refuge afin de ne pas mourir de faim et d’avoir un endroit où dormir. D’autre part, il permet de s’interroger sur la réalité des objectifs officiels de la prison. En effet, en prônant l’utilisation de la contrainte comme un moyen d’éviter que les prisonnières ne se servent de la prison comme un « hôtel », le directeur de cette institution nie sa fonction régénératrice. Il ne s’agit alors plus de chercher à rééduquer les recluses afin de leur permettre de se réintégrer dans la société à leur sortie mais de faire de la prison un répulsif permettant d’éviter la récidive, surtout volontaire.
33L’alimentation carcérale, soumise aux contraintes budgétaires, au désintérêt des autorités et de la société en général, est loin d’apporter le minimum vital aux prisonnières comme l’exige la loi. Bien au contraire, les quantités et la qualité des aliments restent trop inappropriées aux nécessités des femmes même si elles sont physiquement saines. L’alimentation dispensée aux malades, bien que favorisée par un régime particulier plus riche, reste elle aussi en deçà du nécessaire vital. Cette déficience alimentaire est symptomatique du peu d’importance que les autorités accordent aux prisonnières, et plus généralement c’est l’hygiène et la santé de ces femmes qui sont négligées.
L’hygiène et la santé négligées
34De nombreux rapports d’inspection signalent, très tôt au cours de la période étudiée, les mauvaises conditions d’hygiène des prisons. Ainsi en 1891, après une visite d’inspection à la prison pour femmes de San José, l’inspecteur rapporte :
« J’ai fait une visite d’inspection à la prison pour femmes. Outre les mauvaises conditions hygiéniques et de sécurité du bâtiment, je ne peux que souligner la négligence de la tenue des registres de la prison. Ce dernier point m’a obligé à rappeler à l’ordre l’alcalde en ce qui concerne l’accomplissement de ses obligations25. »
35Ce document est doublement intéressant. Tout d’abord, il confirme l’existence de mauvaises conditions d’hygiène dans les prisons. L’inspecteur montre d’ailleurs qu’il est parfaitement conscient de la non-conformité des lieux avec ce que devrait être une prison. Mais surtout, en mettant l’accent sur les négligences commises dans la tenue des registres de la prison plus que sur les déplorables conditions sanitaires régnant dans son enceinte, ce document confirme le peu de cas que les autorités font des conditions de détention des prisonnières. Ce sont d’ailleurs les failles administratives et non les carences sanitaires qui valent au directeur de la prison d’être rappelé à l’ordre par les autorités.
36Plus généralement, il faut s’interroger sur la santé des prisonnières pour comprendre l’inhumanité de leur condition de vie. Dès 1864, la théorie législative exposée dans le règlement provisoire de la prison pour femmes, contraint le médecin en charge des recluses à une obligation d’assistance médicale :
« Art. 14. – Il est du devoir du médecin : 1. De visiter l’établissement deux fois par semaine et chaque fois que le gouverneur, l’alcalde ou la directrice de la prison le sollicitent du fait de la maladie d’une des personnes qui y résident26. »
37Cet engagement législatif est renforcé par l’article n° 24 du règlement de prophylaxie vénérienne de 1894 qui prévoit une attention médicale constante :
« Art. 24. – Lorsqu’il y aura des femmes malades dans la prison, le médecin directeur sera dans l’obligation de leur rendre visite sur place et de leur envoyer, depuis l’hôpital correspondant les médicaments nécessaires27. »
38Ces deux articles témoignent de la volonté des autorités de faire jouer à la prison un rôle hygiénique afin de permettre à ces femmes de réintégrer la société sans être un danger sanitaire. Pourtant, l’observation de la vie des prisonnières témoigne des nombreuses négligences sanitaires dont elles sont victimes. Ainsi, alors que l’enfermement des prostituées répond à une volonté de protéger la population de la propagation des maladies vénériennes, les autorités signalent un manque d’attention médicale :
« J’ai été informé qu’il y a plus de huit jours, plusieurs des prostituées malades qui étaient à l’hôpital, ont été emprisonnées, en punition, sans pour autant qu’elles aient continué à recevoir des soins.
Je me permets de porter à votre connaissance la situation que je viens d’exposer afin que l’on continue à soigner ces malades ; ne rien faire en ce sens, serait invalider en grande partie les objectifs poursuivis par la loi28. »
39Ce document témoigne des écarts abyssaux existant entre la théorie législative qui prévoit deux visites hebdomadaires d’un médecin voire plus si nécessaire et la pratique réelle dans laquelle des femmes malades sont abandonnées à elles-mêmes. Ce défaut d’attention médicale est d’ailleurs une constante tout au long de la période et touche toutes les prisonnières, comme en témoignent les extraits des deux documents qui suivent. Remarquons que les plaintes émanent autant des femmes recluses que des institutions ce qui renforce le caractère véridique de ce problème sanitaire :
« L’alcalde m’a informé que le médico del pueblo ne se rend presque jamais dans cette prison alors même qu’il n’est pas rare que les détenues tombent malades. Je considère qu’il faut adopter les mesures nécessaires afin que les conditions hygiéniques des deux prisons soient rapidement améliorées et que le médico del pueblo s’y rende quotidiennement29. »
« Les détenues et les prisonnières ainsi que l’alcalde ont été interrogés pour savoir s’ils avaient quelque plainte à faire. Ils ont répondu par l’affirmative, disant que le médico del pueblo ne se rend jamais dans cet établissement et que, dans la plupart des cas, lorsqu’il est appelé pour s’occuper d’une prisonnière malade, comme c’est le cas maintenant qu’il y en a deux, il répond qu’il s’y rendra immédiatement et cependant, les jours s’écoulent sans qu’il n’apparaisse30. »
40Ainsi la prison est présentée, autant par la direction que par les recluses, comme un lieu abandonné des médecins. En manquant à l’obligation légale qui lui est faite de soigner les prisonnières, le corps médical participe à la dégradation de leur état de santé et contribue ainsi à la détérioration de leur qualité de vie. Outre l’aspect inhumain de laisser les prisonnières croupir sans soin dans leur cellule, les médecins vont à l’encontre de la législation en ne permettant pas aux femmes incarcérées et malades de recevoir les soins appropriés à leur guérison. Ainsi, la théorie législative qui faisait de l’enfermement de ces femmes une réponse à un problème sanitaire ne trouve qu’un faible écho dans la réalité. La volonté de les guérir afin de permettre leur réintégration sociale sans danger pour la société, s’estompe devant ce désintérêt généralisé.
41Si la prison n’apparaît alors plus comme un lieu de régénération physique, il est intéressant de remarquer qu’au contraire, de nombreux documents la présentent comme un lieu de propagation de maladies infectieuses. Dans un rapport datant de 1895, le directeur du département de prophylaxie vénérienne dénonce d’ailleurs le mauvais état de la prison comme responsable de la propagation de la fièvre typhoïde parmi les prisonnières :
« Je crois qu’il est de mon devoir de vous informer qu’une autre femme sortie récemment de prison est atteinte de fièvre typhoïde ; j’attribue cela aux mauvaises conditions d’hygiène des toilettes de cet établissement31. »
42Les conditions insalubres régnant dans l’enceinte de la prison sont donc ici directement mises en cause dans la propagation de cette maladie. Malgré ces constantes dénonciations et les risques infectieux importants, les conditions sanitaires ne s’améliorent pas et encore en 1917, une note du ministère de la police dénonce la carence en médecins des prisons :
« nous vous notifions que le médecin de prophylaxie ne se rend qu’une fois par semaine dans cet établissement et que le médecin des prisons ne rend pas régulièrement visite aux recluses. J’ai l’honneur de vous communiquer que cette information a été signifiée au gouverneur de cette province afin qu’il ordonne la mise en place de toutes les mesures permettant de remédier aux carences soulignées32 ».
43Là encore la théorie législative se heurte à la réalité et nous présente un sombre tableau des conditions de détention des prisonnières. Les documents qui témoignent des diverses insuffisances hygiéniques des prisons, accompagnées d’un défaut permanent d’attention médicale, sont particulièrement révélateurs du peu d’importance accordée à la santé de ces femmes. En négligeant de passer régulièrement pour apporter les soins nécessaires aux prisonnières, les médecins font fi de leur devoir d’assistance dans les prisons. Les autorités quant à elles signalent, mais ne condamnent pas, ce manquement au règlement et se contentent de noter les problèmes hygiéniques.
44Dans cette logique, les problèmes posés par les défaillances des installations de la prison viennent renforcer ce panorama. À partir de 1914, on trouve de nombreux documents faisant état du mauvais aménagement des cellules. Remarquons que ces rapports proviennent de hautes autorités ce qui tend à démontrer l’importance du problème. C’est d’ailleurs le gouverneur de la province de San José lui-même qui, en 1914, prévient le ministère des problèmes posés par la défaillance des équipements de la prison pour femme. :
« J’ai l’honneur de m’adresser à vous afin de vous informer que le peu de lits qu’il y a dans cette prison pour femmes, se trouvent en très mauvais état. Pour cette raison, les recluses se voient obligées de dormir par terre, sans couverture car il n’y en a aucune dans cet établissement et je trouve que cela est une nécessité33… »
45Sachant que l’emplacement de la prison se situe près de la rivière Torres34, soit dans une zone marécageuse, insalubre, humide et nauséabonde aux alentours de la capitale, il est facile d’imaginer les conditions détestables dans lesquelles les prisonnières doivent passer la nuit. Soumises à de telles conditions, dormant à même un sol humide et froid, il faudrait aux recluses une bonne condition physique pour ne pas tomber malade. Malgré cette réalité et les divers rapports émanant directement du gouverneur de la province, on retrouve le même type de revendication encore en 1926 :
« La directrice de la prison pour femmes et de l’asile Buen Pastor, dans une note datant du 1er de ce mois, demande l’autorisation de construire dans les installations de cet établissement carcéral qui est sous sa responsabilité, 40 ou 50 lits en bois pour le grand nombre de recluses et de prisonnières détenues ici. En effet, elles sont nombreuses à devoir dormir à même le sol […] qui est très froid et pour cette raison, mauvais pour la santé35. »
46Le froid, l’humidité et l’insalubrité en général sont toujours au centre des préoccupations des autorités en charge de la prison plus de dix ans après le premier cri d’alarme. L’apparition tardive de ces problèmes dans les registres – les premiers documents abordant ce sujet datent de 1910 – résulte plus de la lente prise de conscience des autorités que d’une détérioration des installations au fil du temps. Il ne faut donc pas imaginer que les aménagements des établissements pénitenciers étaient de meilleure qualité au cours de la période précédente mais plutôt que les autorités ne prêtaient alors aucune attention aux conditions de vie des prisonnières. De sorte que malgré le peu de cas qui est fait de ces dénonciations, leur seule existence est déjà significative d’une plus grande prise en considération des prisonnières.
47Néanmoins, malgré les affirmations théoriques spécifiées dans la législation et de nombreuses déclarations officielles, l’observation de la réalité vécue par les femmes emprisonnées démontre un manque d’investissement flagrant des autorités. Les conséquences de ce désintérêt sont difficiles à imaginer sur la simple base de ces documents administratifs qui démontrent parfaitement le peu de cas que la société fait de l’état de santé des prisonnières en général, sans pour autant nous permettre d’observer concrètement le vécu de ces femmes. L’intérêt du cas d’Ermelinda Espinosa est, justement, de témoigner de toute l’atrocité des conditions de vie ou, pour être plus exact, de mort d’une prisonnière malade. Ermelinda a 17 ans lorsqu’en août 1897 elle est inscrite dans les registres de prophylaxie vénérienne. Dans les mois qui suivent, elle est hospitalisée trois fois de suite afin de suivre un traitement contre une maladie vénérienne non déterminée. Elle n’apparaît plus dans les registres jusqu’en 1914 où, alors âgée de 34 ans, elle meurt des suites d’une syphilis dans des circonstances particulièrement douloureuses. Écoutons le secrétaire de la chambre d’appel de la Cour suprême décrire son calvaire après sa visite d’inspection dans la prison :
« Dans le département de prophylaxie vénérienne de cette prison pour femmes se trouve le cadavre vivant d’Ermelinda Espinosa, déjà presque défait à cause de la syphilis qui la ronge. Cette pauvre malade demande son transfert au Lazareto pour y terminer ses jours et pour bénéficier, en attendant, d’une certaine liberté. Nous estimons qu’il faut prendre des dispositions à ce sujet, par charité et par humanité. En effet, l’état de cette pauvre femme afflige la personne la plus sceptique : son nez a disparu de son visage ainsi que ses lèvres supérieure et inférieure et ses gencives laissant à découvert les dents jusqu’à leur base ; l’os de la mandibule gauche est visible jusqu’à sa jonction avec l’os temporal ; son front est un nid de microbes et elle n’a plus que la peau sur les os. Il suffit juste de dire cela pour se faire une légère idée de l’état terrible de Mme Espinosa. La science n’ayant pas pu contenir l’avancée de la maladie, il nous semble juste d’attirer l’attention de la cour sur la question de son transfert car il y a un risque de contagion, non seulement pour les autres recluses mais aussi pour les employés de l’établissement. Nous avons reçu des rapports signalant que le lit de cette malheureuse est plein de punaises et qu’à travers la piqûre de cet insecte ainsi que celle de la puce, la transmission du virus de la syphilis est imminente. C’est à votre seul jugement qu’il revient de décider d’éloigner ce danger de la prison36. »
48L’intérêt de ce document est double : il nous met directement en présence avec la tragédie que représente le désintérêt des autorités pour la santé des prisonnières. Plus qu’une simple déficience administrative, le problème sanitaire apparaît alors dans toute son inhumanité. À un autre niveau, il nous permet aussi d’observer une évolution chronologique dans la façon dont les autorités perçoivent l’hygiène dans les prisons. En effet, si on ne note pas une réelle amélioration des conditions sanitaires et hygiéniques dans les prisons, à partir des années 1910 les autorités font néanmoins preuve d’une réelle préoccupation pour ce problème. Toutefois, comme le montre ce document il s’agit alors moins de s’intéresser au sort des prisonnières elles-mêmes que de prévenir la propagation de maladies contagieuses.
49Ainsi, l’ensemble de ces informations permet de se faire une idée des conditions sanitaires déplorables dans lesquelles vivent les détenues. L’état de santé mais aussi l’alimentation et les conditions générales de vie des prisonnières, négligés tout au long de la période, témoignent du manque d’intérêt des autorités pour répondre aux besoins des prisonnières et nous laissent entrevoir une réalité misérable. De sorte que cette volonté de « régénération » par l’enfermement, qui légitime officiellement l’emprisonnement, s’efface devant le désintérêt des autorités et de la société en général pour les femmes incarcérées. On peut alors s’interroger sur la véritable vocation de la prison qui, loin d’être un lieu de guérison, se transforme en un foyer d’infection.
50En effet, plus que les intentions théoriques qui présentent une prison idéalisée jouant un rôle régénérateur, l’observation des conditions de vie des recluses met en évidence une tout autre réalité. En liberté, les prisonnières représentent un danger social omniprésent. Une fois enfermées derrières les épais murs de la prison, isolées à l’autre extrémité de la ville, l’intérêt qu’elles suscitaient s’estompe et les autorités ne prêtent plus aucune attention à leur traitement, encore moins à leur régénération. Pour autant, aucun document ne permet de déduire des affreuses conditions de vie auxquelles sont soumises les prisonnières, une simple volonté de châtiment. Ce serait réduire la prison à un lieu de punition, en oubliant son aspect normalisateur qui, malgré ses défaillances, reste l’objectif théorique de l’enfermement. Pour les autorités, la prison répond moins à une volonté de guérir moralement et physiquement ces femmes afin de permettre leur réintégration sociale que de séparer les parties malades du corps social sain. Il s’agit d’effacer l’existence sociale de ces prisonnières, femmes accusées de prostitution pour la plupart mais aussi délinquantes en tout genre, afin d’éviter tout risque de contagion physique ou morale.
51Dans cette perspective, l’analyse du rôle joué par l’hôpital est doublement intéressante : elle permet tout d’abord de renforcer l’idée d’un désintérêt généralisé pour la santé des prisonnières. Ensuite, elle met en évidence les nombreuses similitudes qui permettent d’assimiler ce lieu de guérison par excellence, à un lieu d’enfermement proche d’une prison.
L’hôpital, une prison améliorée
52Dans un contexte où l’enfermement répond avant tout à une volonté de protection sanitaire, les femmes porteuses de maladies vénériennes sont fréquemment traitées comme des délinquantes. Ainsi, dans de nombreuses instructions judiciaires, l’agent de prophylaxie se fonde sur la récurrence de ces affections chez une femme pour demander son inscription dans les registres ou pour empêcher sa désinscription. C’est le cas de Maria Vargas Solano, prostituée inscrite depuis mars 1897, qui demande à être libérée des obligations imposées par son inscription en décembre 1898. Elle fonde sa requête sur l’honorabilité de son travail de servante et sur son mode de vie « humble et décent37 ». L’agent de prophylaxie s’oppose à cette sollicitude en s’appuyant sur ses nombreuses hospitalisations pour diverses maladies vénériennes depuis son inscription. En effet, depuis mars 1897 Maria a été hospitalisée pour une leucorrhée, des chancres, une blennorragie et à de nombreuses reprises pour syphilis (à divers stades de la maladie38). Il est intéressant de remarquer que l’agent principal de police de la ville de San José rejette la demande de désinscription de Maria en s’appuyant uniquement sur son impressionnant palmarès médical, sans même entendre la déclaration de ses témoins de moralité. Il démontre ainsi le rôle essentiel joué par les hospitalisations dans la prononciation d’un verdict de culpabilité.
53Dans cette même logique, certains documents révèlent l’importance que la population en général accorde aux maladies vénériennes. Sur les neuf plaintes de clients qui ont été analysées, six ont pour origine la transmission d’une maladie vénérienne. Écoutons celle de Belarmino Campos Quiros à l’encontre de la prostituée Sebastiana Vargas Varela qui est particulièrement révélatrice de ce phénomène d’assimilation :
« Il est de notoriété publique à San Pedro del Mojón que Mme Sebastiana Vargas Varela est une prostituée clandestine car c’est en cette qualité que le déposant l’a utilisée. En conséquence des relations charnelles qu’il a eues avec la susdite Vargas Varela, il est à présent atteint de blennorragie. Le déclarant affirme ne pas avoir eu de relations avec une autre femme 15 jours avant et 15 jours après avoir fait un usage charnel de la susmentionnée Vargas39. »
54Pour Belarmino, la maladie vénérienne que lui a transmise Sebastiana est un argument supplémentaire qui confirme son statut de prostituée. Parallèlement, sa propre contamination le place dans une position de victime, témoignant ainsi d’une perception sexuellement connotée de ce problème sanitaire. Alors même que les deux sexes peuvent potentiellement propager ces maladies, la femme porteuse est considérée comme coupable, responsable de sa disgrâce, alors que l’homme est traité en victime.
55Ces deux cas permettent de mettre en évidence le rôle prédominant que jouent les maladies vénériennes dans la désignation d’une femme comme prostituée. Logiquement, cette assimilation des femmes porteuses de ces affections « infâmes » à des prostituées, amène les autorités à considérer les maladies vénériennes comme des délits et les porteuses comme des délinquantes. Ainsi, dans un document récapitulant les transferts de prostituées atteintes d’une de ces maladies depuis les provinces du pays jusqu’à la ville de San José où elles doivent être soignées, diverses notes témoignent de ce phénomène.
« Sous bonne garde et en vu de son internement dans l’établissement prévu à cet effet, je vous envoie la prostituée Barbanera Rojas qui a été déclarée malade par le médecin de cette zone40. »
56Atteinte de maladie vénérienne, Barbanera est donc bien considérée comme une malade devant être soignée. Or, en lui imposant un internement hospitalier et en la plaçant « sous bonne garde » lors de son transfert, les autorités mettent en avant sa position de prisonnière. Plus généralement, il ne s’agit pas simplement de traiter les malades comme des prisonnières mais bien, dans de nombreux cas, de faire de ces malades de véritables prisonnières. En effet, il n’est pas rare de trouver des femmes enfermées dans la prison de la ville de San José, dont le seul délit est d’être porteuses d’une maladie vénérienne. Une note émanant de la police de San José, adressée au directeur général du bureau de prophylaxie de la ville, atteste d’ailleurs de l’existence de ces emprisonnements pour cause de maladie vénérienne :
« M. le médecin du Département de prophylaxie vénérienne est prié de signaler si certaines des prostituées qui se trouvent dans la prison sont déjà rétablies ou si elles doivent y rester pour cause de maladie, conformément à la loi de prophylaxie vénérienne41. »
57Même si les autorités témoignent d’une certaine conscience de la nécessité de soigner ces femmes, les traitements qu’elles subissent démontrent qu’elles sont plus considérées comme des délinquantes que comme des malades. En effet, à la fin du xixe siècle les traitements visant à soigner la syphilis notamment, mais aussi toutes les autres maladies vénériennes, restent très archaïques et provoquent d’intenses souffrances. Ils faisaient appel à diverses tisanes, à des poudres et à divers produits chimiques injectés directement dans l’urètre tel que le nitrate d’argent, le permanganate de potassium et surtout le mercure qui provoquaient de violentes irritations, comme en atteste cet article de La Gaceta médica :
« Le nitrate d’argent et le permanganate de potassium injectés dans l’urètre qui constituent les antiseptiques les plus efficaces que l’on possède contre le gonocoque, présente l’inconvénient d’exercer une action irritante sur la muqueuse de l’urètre42. »
58Toutes ces souffrances faisaient parfois apparaître le mal moins pénible que son remède. De plus, il faut ajouter à la douleur provoquée par la nature même des produits utilisés, les maux engendrés par les méthodes employées. En effet, les opérations effectuées, dans des conditions hygiéniques douteuses, et la cautérisation des plaies suppurantes, rendaient les traitements d’autant plus douloureux. Face à la nature de ces traitements, les femmes malades devant se soumettre à ces méthodes apparaissent plus coupables que victimes. L’objectif est de les soigner certes mais sans pour autant s’émouvoir de leur souffrance qui est conçue comme un juste châtiment en réponse à leurs « péchés ». Le traitement apparaît alors comme une sorte de purgatoire terrestre, une douleur nécessaire à la purification du corps et, en ce sens, il fait entièrement partie du « programme » de rééducation. Restant dans cette logique de punition aux vertus régénératrices, l’hospitalisation imposée aux femmes souffrant de ces affections s’apparente alors rapidement à un emprisonnement suite à un délit. L’hôpital devient alors une prison dans laquelle la femme malade se voit contrainte de se soigner.
59Plus généralement, l’hôpital sert de lieu de traitement aux recluses dont la maladie ne peut être traitée en prison. Il ne s’agit donc plus d’y enfermer les femmes atteintes de maladies vénériennes mais de soigner les prisonnières avant ou pendant qu’elles purgent leur peine. Là encore les liens entre ces deux institutions sont très étroits. La législation vient d’ailleurs très tôt réglementer la nature de ces rapports. Comme le stipule le règlement provisoire de la prison pour femmes de 1864, les recluses dont la maladie requiert des soins particuliers ne pouvant pas être dispensés en prison, peuvent être transférées dans un établissement sanitaire spécialisé :
« Art. 86. […] et les femmes malades dont la guérison s’avérerait difficile dans cet établissement, d’après l’avis du médecin exprimé dans un certificat, doivent être autorisées […] à être traitées en dehors de l’établissement, au sein duquel elles devront retourner une fois rétablies43. »
60Ainsi l’hôpital prend l’aspect d’une prison dans lequel la malade se retrouve enfermée, volontairement ou non. Paradoxalement, l’hôpital ne se substitue aucunement à l’institution carcérale : une fois la malade soignée, elle redevient la prisonnière à part entière et doit purger le reste de sa peine au sein de la prison. En 1894, le règlement de prophylaxie vénérienne, vient renforcer encore davantage le lien entre la prison et les hôpitaux :
« Art. 20. – Tant qu’il n’y aura pas d’établissements spéciaux consacrés au traitement des femmes porteuses de maladies vénériennes, les municipalités respectives passeront des accords avec les administrations des hôpitaux existant dans les capitales des provinces, afin d’y guérir et d’y traiter les femmes isolées par les autorités d’hygiène44. »
61Les hôpitaux deviennent alors des lieux habilités à recevoir les femmes arrêtées pour être porteuses de maladies vénériennes. Au cours de la période d’étude, c’est l’hôpital San Juan de Díos qui fait office de centre de traitement des maladies vénériennes pour la province de San José. Les condamnées souffrantes doivent d’abord être soignées à l’hôpital avant de purger leur peine à la prison. Parallèlement, les femmes qui tombent malades dans la prison et ne peuvent y être soignées, sont conduites à l’hôpital afin d’y recevoir les soins nécessaires. Ainsi, en 1905, Juana Matamoros est enfermée pour outrage à agent et condamnée à 15 jours de réclusion. Dès son arrivée en prison, Juana est déclarée malade par un médecin qui demande son transfert à l’hôpital afin qu’elle y reçoive des soins appropriés. Pourtant, huit jours plus tard, elle est toujours emprisonnée et doit, elle-même, présenter une sollicitude45 auprès des autorités afin que son transfert soit effectué. Si ce dossier confirme l’existence concrète de va-et-vient de prisonnières entre la prison et l’hôpital, la lenteur administrative dont Juana est victime confirme le manque d’intérêt des autorités pour l’état de santé des prisonnières. La réponse à cette demande, reproduite ci-dessous, est quand à elle révélatrice des liens qui unissent les deux institutions :
« Vu la demande et le certificat du médico del pueblo, conformément à l’article 86 du Règlement de la prison de femmes du 28-07-1864, la prisonnière Juana Matamoros est autorisée à sortir de l’établissement pénitencier dans lequel elle se trouve en vue de sa guérison ; ladite prisonnière est prévenue qu’une fois guérie, elle doit retourner dans ce lieu pour y purger sa peine46. »
62Une fois guérie, elle doit rejoindre la prison pour terminer de purger sa peine. L’hôpital permet donc de recevoir les prisonnières malades afin de les soigner. Pour autant, le temps qu’elles passent à l’hôpital, n’est pas décompté de leur peine ce qui met en évidence la différence théorique essentielle entre la prison et l’hôpital.
63Concrètement, il faut remarquer que les conditions de vie à l’intérieur de l’hôpital sont bien meilleures que dans la prison. Le tableau ci-dessous qui présente le type d’aliments offert aux malades, permet de mettre en évidence des ressources alimentaires plus complètes et équilibrées que dans la prison. Surtout, il met en évidence une constante amélioration de la qualité et de la diversification au cours des années.
Tableau 8. – Alimentation des malades de l’hôpital San Juan de Dios47.
Aliments |
1872 |
1894 |
1902 |
Pain |
X |
X |
X |
Lait + Beurre |
X |
X |
X + Fromage |
Protéines animales |
Os + Œuf |
Viande + Œufs |
Viande + Poulet + Œuf |
Haricots |
X |
X |
X |
Pommes de terre |
X |
X |
X |
Riz/Pâtes |
X |
X |
X |
Café |
X |
X |
X |
Sucre/Amidon |
X |
– |
X et manioc |
Condiments |
X |
X |
X |
Légumes/Maïs |
X |
X |
X |
Vin |
– |
– |
X |
64Ce tableau récapitulatif montre une nette amélioration de l’alimentation des malades. Entre 1872 et 1894, la viande est venue remplacer les os qui servaient à faire des bouillons. À partir de 1902, on trouve même deux types de viandes au menu des malades, montrant ainsi un certain souci de la diversification alimentaire. Des denrées fines comme le vin et le fromage font même leur apparition au début du siècle.
65De plus, les nombreuses évasions qui ont lieu depuis l’hôpital, laissent supposer une plus grande liberté de mouvement ou tout au moins une surveillance moins lourde que dans la prison. La vie à l’intérieur de l’hôpital apparaît donc comme moins contraignante que dans la prison. C’est tout au moins ce que laissent supposer les dossiers administratifs observés même si aucun document relatant concrètement les conditions de vie des femmes internées n’a permis de confirmer ces informations. Certes, l’hôpital n’applique pas les mêmes méthodes que la prison, mais il reste un lieu d’enfermement.
66L’ensemble de ces documents permet donc d’effectuer un rapprochement entre ces deux institutions ordinairement distinctes mais dont les fonctions sociales se raccordent dans un contexte de développement des politiques hygiénistes. La malade est alors considérée comme une « prisonnière sanitaire » tandis que l’hôpital devient une « prison hygiénique ». L’intérêt de ce rapprochement est de permettre la mise en évidence d’une contradiction entre, un discours officiel qui prône la régénération morale et physique des femmes dont le comportement ne correspond pas aux modèles établis, et la réalité concrète qui démontre un certain désintérêt des autorités pour leur sort. La prison et l’hôpital apparaissent alors moins comme des institutions de rééducation que comme des lieux de confinement permettant de séparer physiquement ces femmes, aux comportements dangereux, du reste de la société.
67Paradoxalement, cette détermination à empêcher les contacts entre la population « saine » et ces femmes s’accompagne d’une nécessité d’identification. Il faut en effet circonscrire le groupe des femmes devant être considérées comme des prostituées à certains critères, afin de rendre possible leur éloignement voire leur enfermement au sein d’institutions appropriées. Cette démarche vise à éviter la propagation autant des maladies vénériennes hautement contagieuses que des comportements sociaux jugés amoraux.
68Plus généralement, cette volonté d’effacer socialement ces femmes se retrouve dans la mise en place d’un rapport à l’espace discriminant. En effet, les archives policières mais aussi la presse et la législation, mettent en avant un certain rejet de la prostitution qui se traduit dans les faits par une volonté affichée de cloisonner l’espace de la capitale selon divers schémas. Dans cette perspective, le rapport à l’espace est apparu comme un facteur essentiel permettant d’observer à la fois la nature de la stigmatisation populaire, les conséquences d’une stigmatisation légale et les imbrications entre les deux. Suivant ce raisonnement, cette analyse cherche à comprendre la construction des représentations collectives de l’espace et l’influence de celles-ci dans l’évolution des processus de marginalisation.
Cloisonner l’espace de la ville
69Le rapport entretenu par les femmes accusées de prostitution avec l’espace public est révélateur des liens qui les unissent avec la société dite « saine ». Dans ces lieux fréquentés par tous, ces marginales côtoient les autres. Elles sortent de leur monde, des lieux qui leur sont réservés et viennent se mêler aux gens « normaux » suscitant alors d’intenses réactions. C’est notamment à travers l’analyse des réactions populaires mais aussi des décisions législatives que cette rencontre engendre, qu’il est possible d’appréhender les diverses relations que la communauté entretient avec les prostituées. Dans cette logique, l’observation du rôle joué par les conceptions coutumières de l’espace dans la stigmatisation des prostituées s’est effectuée autour de certains aspects. Cette première étape a été suivie par l’analyse du contexte législatif auquel ces conceptions coutumières donnent naissance et dans lequel elles évoluent. À partir de là, il s’agissait de comprendre la construction des représentations collectives de l’espace, en tant que résultat d’interpénétrations entre la coutume et le droit, afin de saisir la nature et la signification de leur participation aux processus de marginalisation.
Une conception coutumière d’un espace sexué
La maison symbole de la vertu féminine
70Alors que la femme, au sein du foyer, se consacre à ses travaux domestiques, l’homme occupe un emploi rémunéré afin de pourvoir aux nécessités de la famille. Cette conception communément admise est caractéristique des sociétés patriarcales et, en ce sens, elle a déterminé les relations entre les deux sexes au Costa Rica encore à la fin du xixe siècle. Dans son article « Liberalismo, políticas sociales y abandono infantil en Costa Rica (1890-1930) », Osvaldo Barrantes met en avant le poids de l’éducation dans la diffusion de ce modèle à partir de l’exemple de l’instruction impartie dans l’asile pour orphelins de San José :
« L’idée implicite dans cet enseignement est de soumettre les marginaux à la discipline du travail ; quant à la femme, on voit clairement l’idée de la domesticité à travers l’imposition de fonctions consistant à s’occuper des enfants, du foyer et de son mari. Cette perception de la femme qu’ont les Vicentines, renforcée par l’Église, reflète l’esprit de l’époque, saturé de traits patriarcaux48. »
71La jeune fille est ainsi éduquée afin de pouvoir assumer son rôle au sein du foyer, ce qui illustre parfaitement la correspondance entre la maison et un certain idéal féminin qui domine la période. On retrouve cette même conception d’une séparation sexuée des lieux de vie quotidienne dans la littérature. En 1909, Manuel Gonzalez Zeledón, écrivain « costumbrista » et homme politique costaricien, publie son œuvre maîtresse La propia49. C’est un conte moraliste qui dépeint les « funestes » conséquences que peut engendrer l’émancipation de la morale et des traditions. L’argument est simple : un riche homme marié s’éprend d’une de ses employés et durant trois ans va vivre une relation adultère avec elle. Provoquant sa jalousie, celle-ci le conduit à commettre un meurtre, précipitant ainsi sa chute. L’intérêt de cet ouvrage est de présenter un schéma, certes très manichéen des relations sociales, mais représentatif des valeurs dominantes à la fin du xixe siècle. Comme le fait remarquer Margarita Rojas Gonzalez dans une analyse de l’œuvre :
« Le monde de La propia se définit essentiellement comme un espace moral. Les valeurs y sont organisées autour d’une opposition qui qualifie positivement les personnages renforçant la structure familiale et négativement ceux qui la détruisent50. »
72Dans cette perspective moraliste, le seul personnage sortant indemne du drame est l’épouse légitime qui a su conserver sa place dans la maison conjugale malgré le comportement du mari. Le foyer représente alors la vertu tandis que le monde extérieur, source de tentation et finalement responsable de la déchéance du protagoniste, devient le symbole du vice.
73C’est aussi cette opposition entre la maison et l’extérieur qui ressort de la description de la société costaricienne que donne José Albertazzi Avendaño en 1936, dans son ouvrage Palabras al viento. Sa présentation est significative de ce qui est alors considéré comme « la femme idéale » :
« Comme notre femme docile, douce, sentimentale et la femme américaine se ressemblent peu ! Et comme notre foyer calme, clos aux vents de la rue, est éloigné de ce contrat que représente le mariage américain, sorte de société visant à apporter de l’argent à la maison51 ! »
74Outre les vertus classiques de la femme, soumission et douceur, Albertazzi souligne l’importance de la séparation entre le foyer et la rue.
75Il ne s’agissait pas ici de répertorier les règles morales et juridiques qui fondent le comportement féminin acceptable, travail déjà maintes fois réalisé52, mais d’illustrer à travers quelques exemples, l’emprise sociale de cette conception du rôle domestique de la femme et plus précisément du rapport fondamental qui lie la femme vertueuse à sa maison. Comprendre le poids de la soumission aux codes établis par la société et notamment l’importance du respect de la séparation entre sphère publique, domaine masculin, et sphère privée, domaine féminin, permet de mieux saisir la signification d’une violation de ces normes. Si la maison représente la femme honnête et vertueuse, par contraste, la rue ne peut être que le repaire de femmes « malhonnêtes » s’adonnant aux vices.
La rue symbole du vice féminin
76Les dossiers de police illustrent largement ce rapport connoté négativement entre la femme et la rue. Dans une lettre interne au département de prophylaxie vénérienne un officier s’indigne :
« Nombreuses sont les femmes qui encore très tard dans la nuit pullulent dans les rues de cette ville, soit parce qu’elles se rendent dans des logements d’hommes, âgés parfois de moins de 17 ans, dans lesquelles certaines passent la nuit, soit en provoquant des scandales du fait de leur conduite licencieuse qui blesse la morale publique, parfois même avec des actes ostensiblement immoraux. Certaines cherchent à se cacher soit à l’ombre des arbres dans les parcs soit dans les recoins des rues publiques. Comme, sinon toutes, au moins la grande majorité de ces femmes sont des domestiques qui passent leurs journées dans les maisons où elles travaillent, d’autres à la campagne ou enfermées dans leurs maisons, elles évitent ainsi d’être inscrites53. »
77L’intérêt de ce document est qu’il met en opposition directe la double vie de ces femmes, articulée autour de leur rapport à la maison et à la rue. En effet, d’un côté leur comportement est ajusté aux critères définis par la morale – elles sont servantes ou s’occupent à des travaux domestiques divers – et de l’autre, elles rompent avec ces schémas de « l’idéal féminin » en « pullulant » dans les rues, s’appropriant ainsi un lieu qui ne correspond pas à leur sexe.
78Plus spécifiquement, cette idée se retrouve dans l’utilisation fréquente de l’expression « mujer de la calle » (femme de la rue) pour désigner les prostituées. Le lien direct entre la rue et la femme considérée comme prostituée apparaît alors comme une évidence. On le relève notamment dans de nombreuses déclarations lors d’instructions judiciaires :
« Je soussignée, Balvanera Rojas Suares, exerçant des tâches domestiques et demeurant dans le voisinage, déclare avec tout mon respect :
1. – Je vis en concubinage avec M. Umberto Azofeifa Mora et je m’occupe actuellement uniquement de travaux domestiques ; je vis avec un seul homme avec qui je mène une vie maritale ; je suis actuellement dans une situation intéressante [elle est enceinte] ; et cependant je me trouve dans la prison de cette ville. […] Je vous prie de bien vouloir me montrer le contenu de l’information judiciaire qui, conformément à la législation, a dû être ouverte contre moi car jusqu’à présent je n’ai vu aucun jugement me déclarant femme de la rue54. »
79Les déclarations de témoins renforcent l’existence de ce lien entre la perception positive que la population se fait de la conduite d’une femme et le fait qu’elle reste dans l’espace privé pour y effectuer des tâches domestiques. Pour exemple, l’un d’entre eux déclare :
« Je suis témoin que depuis un an et demi environ M. Azofeifa vit avec Balvanera Rojas, à qui il fournit ce dont elle a besoin pour sa subsistance et celle-ci effectue tous les travaux au sein du foyer, comme la préparation des repas, laver le linge, etc.55. »
80Ces divers documents mettent donc en évidence l’existence, au sein de la population, d’une conception coutumière d’un espace sexué : l’espace public étant un espace associé au masculin alors que l’espace privé est lié au féminin. Il est alors intéressant de remarquer qu’à partir de là, un glissement s’opère dans la conception que la population se fait du rapport de la femme à l’espace public, qui passe d’une simple connotation négative à une totale assimilation à la prostitution. Dans cette logique, le fait de rester chez soi et donc justement de ne pas fréquenter l’espace public, devient un argument pour prouver sa bonne conduite.
L’espace public, un facteur de marginalisation en soi
81Ce glissement se retrouve dans bien des documents émanant de femmes demandant à être sorties des registres de prostitution mis en place par la loi de prophylaxie vénérienne. Elles montrent ainsi qu’elles ont parfaitement conscience que l’entrée dans la sphère publique constitue une violation des codes moraux établis et explique en partie leur marginalisation sociale. La défense présentée par Maria Vargas Solano en 1898 lors de son instruction en vu de sa désinscription éventuelle est révélatrice de ce phénomène :
« Je sollicite ma désinscription du registre des prostituées et l’annulation de l’acte d’inscription correspondant. Je fonde ma demande sur le fait que depuis plus d’un an, je suis occupée à des travaux honnêtes en vue de mener une vie rangée et digne à tous égards ; pour prouver cet état de fait, je prie MM. Rafael Vargas Rojas et Miguel Mora, tous deux commerçants à la respectabilité reconnue, de déclarer :
b) s’il est vrai que depuis plus d’un an ils savent que je suis occupée à travailler honnêtement chez M. Moisés Blum, commerçant, qui est leur voisin ;
c) s’ils ont remarqué que, pendant ce temps-là, je ne suis presque pas sortie, que personne ne m’a rendu visite et que j’ai vécu d’une manière modeste et décente ;
d) s’ils savent que le travail honnête que je fais chez M. Blum me procure ce dont j’ai besoin pour ma subsistance et me permet de mener une vie irréprochable et sans scandale pour personne56. »
82Maria fait valoir sa claustration volontaire et constante dans sa maison comme un argument attestant de son mode de vie « humble et décent ». Elle lie ainsi, dans une relation de cause à effet absolue, sa permanence au sein de son foyer à son honneur.
83Plus globalement, le tableau ci-dessous présente de façon simplifiée, les arguments mis en avant dans 93 cas de demandes de désinscription effectuées par des prostituées ou leur concubin. On trouve une nette domination de l’argument « rester au foyer » qui se décline sous deux formes principales dans des proportions équivalentes : certaines mettent l’accent sur le travail domestique qu’elles effectuent chez elles, d’autres se contentent de préciser leur présence permanente à l’intérieur du foyer. Parallèlement, un autre argument apparaît relativement souvent dans ces dossiers : sortir de chez soi dans le but d’assumer un travail honnête et donc de subvenir à ses besoins. Ainsi, contrairement au fait de « rester au foyer » qui entre dans les cadres de la « normalité » féminine et en ce sens se passe de précisions, le fait de sortir de chez soi s’accompagne d’explications quant à la nature du travail effectué en dehors de la maison. Cette pratique renforce l’idée selon laquelle, la rue étant un espace connoté négativement et dans lequel la femme est rapidement assimilée à une prostituée, il est nécessaire de légitimer ce passage de la sphère privée à la sphère publique par une explication convaincante.
Tableau 9. – Arguments employés par la défense.
Arguments employés |
Nombre d’occurrences |
||
Rester au foyer |
« Occupée aux tâches ménagères » |
24 |
47 |
« Retirée dans sa maison » |
23 |
||
Dans la rue |
Exerçant un travail honnête |
25 |
|
Autres arguments (concubinage, honnêteté…)57 |
21 |
84L’objectif de ces femmes accusées de prostitution est de montrer leur soumission aux valeurs morales admises par la société afin de donner une image positive de leur comportement social. L’intérêt de cette étude comparée de diverses déclarations est de permettre l’observation d’une certaine permanence dans les arguments qu’elles emploient pour prouver leur bonne conduite. En effet, en articulant leur défense autour d’un point central, le respect du clivage entre sphère privée et sphère publique, elles mettent en évidence l’importance de cet élément dans la représentation générale de ce qui définit la « bonne conduite » d’une femme. C’est aussi, par contraste, ce qui explique l’assimilation entre la prostituée et la rue. Ainsi, pour la femme, le passage dans l’espace public représente en lui-même un facteur de marginalisation.
85Dans cette perspective, les conceptions coutumières de l’espace – sexuellement connoté – participent aux processus de marginalisation qui conduisent certaines femmes à être stigmatisées comme des prostituées. Mais seules, elles ne permettent pas une interprétation globale du rôle de l’espace dans la construction des processus de marginalisation. Il est important de les replacer dans un certain contexte législatif afin de comprendre les mécanismes qui induisent leur évolution.
Rejeter la prostituée hors du territoire « sain »
86Le règlement de prophylaxie vénérienne promulgué le 7 août 1894 détermine une nouvelle façon d’appréhender et de contrôler la prostitution. Dans ce cadre, l’article 14 prévoit les diverses mesures auxquelles doivent désormais être soumises les prostituées et fixe notamment leur lieu de vie :
« Art. 14. – Les prostituées publiques et clandestines sont soumises dans notre pays aux restrictions suivantes.
4e – Aucune prostituée publique ne pourra habiter à moins de 200 mètres des centres éducatifs ou des asiles d’enfants des deux sexes. La Police, en cas de non-respect de cette mesure, pourra avoir recours à la force pour la faire respecter rigoureusement58. »
87Suivant la logique de normalisation sociale engagée par les libéraux autour de valeurs morales et hygiéniques admises par l’Église et la bourgeoisie, cet article a pour objectif d’éviter que la mauvaise influence des prostituées ne vienne affaiblir le travail de l’école. La volonté de séparer la partie malade du corps social sain afin d’éviter tout risque de contagion, apparaît alors clairement. La presse se fait l’écho de cette volonté législative : en témoignent les injonctions que certains journaux adressent à la police, comme celle que l’on peut lire en décembre 1898 dans La Nueva Prensa :
« Dans la rue […] il y a des maisonnettes habitées par des femmes de mœurs légères. Nous espérons que la police agira conformément au droit, d’autant plus que cent verges au sud il y a une école (celle de Sœurs)59. »
88En réclamant une action policière à l’encontre des prostituées cet article démontre à la fois la préexistence d’une connotation négative de ces femmes ainsi que la parfaite assimilation des nouvelles possibilités offertes par la législation. Même si la prostitution revêt une connotation négative bien avant 1894, c’est à partir du moment où ce rejet devient un droit, prenant alors un aspect légitime, qu’un fossé de plus en plus profond se creuse entre la population en général et les femmes perçues comme prostituées qui apparaissent désormais comme un « danger social ». Le cinquième paragraphe de l’article 14 (cité ci-dessous) est d’ailleurs significatif de cet écart :
« Art. 14. – […]
5e – Si des voisins honnêtes se plaignent du mauvais comportement et des scandales d’une prostituée vivant aux abords, l’autorité compétente ouvrira une information à ce sujet et, s’il y a lieu, elle obligera la coupable à déménager et à résider dans un quartier retiré, de préférence celui dans lequel vivent exclusivement des femmes de son genre60. »
89Il met en évidence deux traits caractéristiques d’une certaine façon de concevoir et d’appréhender la prostitution. D’une part, il légalise la supériorité du droit du « voisin honnête » sur celui de la prostituée, légitimant ainsi l’écart de respectabilité entre ces deux catégories de la population. D’autre part, il renforce l’idée de séparation entre ces populations en prévoyant des quartiers réservés. Il y a donc une volonté claire de la part des autorités de séparer les citoyens « normalisés » ou « en voie de normalisation » et les prostituées dont le comportement sexuel n’est pas conforme aux attentes de la société libérale.
Tableau 10. – Lieux de vie des femmes considérées comme des prostituées dans la province de San José.
Lieux de vie dans la province de San José |
Nombre de résidentes |
TOTAL |
|
Canton de San José |
Centre-ville |
172 |
514 |
Autres |
342 |
||
Autres cantons |
7 |
7 |
|
NSP |
3 |
3 |
90Néanmoins, le tableau 10, réalisé à partir d’une base de données regroupant 523 femmes accusées de prostitution et ayant résidé dans la province de San José entre 1894 et 1898, témoigne de la portée limitée de cette législation qui n’entraîne pas de mouvement massif d’expulsion. Il y apparaît, en effet, que la majorité d’entre elles sont domiciliées dans le canton central et même dans le centre-ville, zone dans laquelle se concentrent pourtant les centres éducatifs.
91La répartition au sein de la ville est certes inégale, le nord-ouest et le sud regroupant les quartiers populaires alors que le nord-est est réservé à l’élite61, mais cela n’enlève rien à la surreprésentation des prostituées dans le canton central.
92Cette permanence des femmes accusées de prostitution, au sein du centre-ville, tend à prouver l’incapacité des autorités à faire appliquer la législation. Suite à cette réglementation initiale, l’existence postérieure de diverses circulaires demandant l’application effective de cette mesure, confirme ces difficultés d’application tout en soulignant la persistance de la volonté étatique. Ainsi, les mémoires du ministère de la police de 1906 rappellent aux gouverneurs de provinces leur obligation à faire appliquer l’article 14 du règlement de prophylaxie vénérienne de 1894 :
« Pour des raisons de moralité largement connues de tous, la loi du 28 juillet 1894, paragraphe 4, article 7, interdit aux femmes auxquelles elle fait référence d’habiter des maisons situées à moins de deux cents mètres des centres éducatifs ou des asiles d’enfants des deux sexes, et autorise la police, en cas de non-respect de cette mesure, à la faire respecter rigoureusement, même au moyen de la force.
[…] Il est évident que, ces dispositions légales, du fait du grand intérêt social qu’elles protègent, ne doivent pas être reléguées. Bien au contraire, il faut les faire respecter à tout prix et en vertu de cela je vous préviens, vous et par votre intermédiaire toutes les autorités dépendant de vous, que vous devez sans délai faire respecter la loi62. »
93Cette circulaire permet de mettre en évidence un décalage, entre l’importance accordée par les autorités à cette mesure visant à empêcher la présence de prostituées aux abords des centres éducatifs, et l’incapacité des agents à la faire appliquer.
94L’examen de textes officiels datant des années 1920 confirme ces difficultés d’application et les limites de la volonté étatique. Ainsi, dans un document de 1922, il est clairement fait état des difficultés rencontrées par les autorités lors de l’expulsion des prostituées des maisons qu’elles occupent. En janvier 1922, le ministère de la Police écrit au gouverneur de la province de San José :
« Des plaintes me sont parvenues concernant le fait que dans une maison appartenant à M. Cercone, située dans la rue 18 Nord, entre les avenues 3e et 5e, habitent des femmes de mauvaise vie, lesquelles non seulement provoquent constamment des scandales mais profèrent aussi des insultes contre des dames et demoiselles du voisinage63. »
95L’intérêt de ce document est de mettre en évidence l’existence d’un rejet réciproque entre les groupes : la présence de prostituées dans le voisinage dérange la quiétude de la vie des « honnêtes gens » mais, réciproquement, en insultant les femmes aux alentours, ces mêmes prostituées rejettent consciemment le monde « normalisé ». Suite à cette information ministérielle, le gouverneur donne l’ordre d’expulsion. Mais à la fin-février celle-ci n’est toujours pas effective et le ministère écrit au directeur de la police :
« Comme malgré les nombreuses réclamations adressées à M. l’Agent principal de la Police de prophylaxie vénérienne ainsi qu’à M. le Gouverneur de cette province, l’ordre d’expulsion décidé par ce ministère contre des prostituées habitant des maisons appartenant à M. Cercone dans la rue 12 – entre les avenues 3e et 5e – n’a pas été exécuté (ordre décidé en vertu de rapports dignes de foi et conformément à l’article 14 paragraphe 5 de la loi de prophylaxie) ; par ailleurs, comme les plaintes se sont succédé, veuillez accorder un délai maximum de 3 jours aux dites femmes pour déménager sous peine d’exécuter cet ordre à l’aide de la police64. »
96Ce document permet d’établir de façon certaine les difficultés rencontrées par la police mais étant incomplet, il nous est impossible de savoir si finalement l’expulsion a lieu. Il n’en reste pas moins que malgré l’intervention du ministère – cas unique parmi ceux recensés lors de mes recherches – il aura fallu plus de deux mois pour que l’expulsion soit ordonnée.
97Les journaux ne se privent d’ailleurs pas de faire remarquer les failles dans l’application de cette loi. C’est notamment le cas d’un article de La Prensa Libre65 dans lequel il est fait état d’une plainte déposée par des voisins. En choisissant de s’adresser à un journal plutôt qu’à la police, ces « voisins » mettent en avant leur manque de confiance quant à l’effectivité de l’action des autorités. L’interpellation finale dans laquelle le journaliste rappelle aux autorités policières l’illégalité de la présence de prostituées près d’institutions d’enseignement, confirme leur inaction ou tout au moins la conviction populaire d’une certaine passivité policière. Là encore on retrouve ces contradictions entre la théorie législative et son application effective qui reste limitée alors même que la législation est effective depuis près de quarante ans.
98Mais au-delà de ce problème, ces divers documents témoignent de l’impact de la législation sur la population et de l’écart important qui s’est creusé entre les individus normalisés « personnes toutes dignes de respect et de considération66 » et les prostituées. Cette implication croissante des « honnêtes gens » dans le contrôle de la prostitution reflète une prise de conscience de la supériorité de leur « valeur sociale » face à la nature répréhensible du comportement des femmes accusées de prostitution. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que ce sentiment de supériorité semble légitimer le rejet généralisé de ces femmes de l’ensemble des événements qui jalonnent la vie sociale. Ainsi, un des rédacteurs de La Prensa Libre se permet de juger « incorrecte » l’assistance des femmes de « mauvaises vies » au théâtre, espace de rencontres sociales par excellence.
« Incorrect. – C’est ainsi que nous trouvons le fait que certaines femmes, qui ne peuvent ni ne doivent fréquenter la bonne société, s’assoient sur des fauteuils d’orchestre pendant les représentations du Théâtre National. Nous le disons parce qu’avant-hier nous avons été témoin d’un exemple de cette nature67. »
99Les femmes accusées de prostitution se retrouvent rejetées, au moins formellement, d’un lieu public par crainte que leur exemple ne vienne contaminer la « bonne société ». En fixant des normes d’utilisation de l’espace qui rejettent les prostituées en tant qu’éléments socialement dangereux, devant être éloignés de certains lieux de vie, la législation participe pleinement à leur marginalisation. De ce fait, la femme considérée comme une prostituée se trouve repoussée autant par les conceptions populaires qui l’assimilent à un espace masculin, lui retirant sa qualité de femme, que par des aspects législatifs qui lui interdisent l’utilisation de certains lieux de vie et légitime ainsi sa faible valeur sociale. De sorte que comprendre le rôle de l’espace dans la construction des processus de marginalisation implique d’aborder ces deux approches, coutume et droit, dans leur complémentarité.
Femmes saines et femmes corrompues dans l’espace
100Si les nécessités pratiques ont conduit à présenter, d’abord les conceptions coutumières et ensuite le contexte législatif auquel elles donnent naissance et dans lequel elles évoluent, il ne faut toutefois pas penser ces deux aspects séparément. Au contraire, c’est à travers l’analyse des rapports dialectiques que les conceptions coutumières et législatives de l’espace entretiennent entre elles, se légitimant et se déterminant réciproquement dans un perpétuel mouvement de va-et-vient, que l’on peut comprendre la formation de représentations collectives visant à stigmatiser les prostituées comme un danger social.
101De par la conception coutumière que la population se fait du rôle de la femme dans la société, une assimilation s’opère entre l’utilisation par une femme de l’espace public et son appartenance à la prostitution. Il ne s’agit pas ici de revenir sur la relation évidente qui lie la prostituée à la rue, ni de penser que toutes les femmes utilisant l’espace public sont considérées comme des prostituées, ce serait une assimilation mécanique bien trop réductrice, mais de remarquer que divers mécanismes conduisent à amalgamer l’insertion de la femme dans la sphère publique à un symptôme de prostitution. Ainsi, il faut noter que cet élément qui ne correspond ni aux textes législatifs, ni aux définitions communément admises de la prostitution, entre pourtant en jeu dans la conception que la population se fait des prostituées. Dans cette perspective, les conceptions coutumières de l’utilisation de l’espace participent aux processus de marginalisation de certaines femmes.
102Outre cette participation directe dans la définition de ce qui doit être considéré comme marginalité, l’existence d’une perception négative commune de la prostitution et d’une normalisation coutumière des formes d’utilisation des espaces, a favorisé, voire impulsé, la mise en place d’une législation répressive visant à éloigner les femmes aux comportements dangereux des centres de diffusion de la morale libérale (les écoles notamment). La législation s’inscrit donc dans un cadre culturel préexistant. Parallèlement, elle s’appuie sur ces conceptions pour devenir effective. En atteste le poids considérable des dénonciations, des témoignages et des déclarations dans la décision finale de toutes procédures. La nature de la législation est donc déterminée par l’existence d’un socle culturel commun à l’ensemble de la population.
103Toutefois, il ne s’agit pas là d’une simple relation de cause à effet. Bien au contraire, une fois en place, les lois agissent en retour sur ces conceptions. Pour observer ces imbrications, la presse qui, à partir de 1898, se fait à la fois le relais des ambitions de l’autorité et le diffuseur d’une certaine morale hygiéniste, est apparue comme un support privilégié. En effet, elle cristallise dans ses colonnes l’opinion d’une certaine partie de la population, permettant ainsi d’approcher la construction de représentations collectives en tant que résultat d’un rapport dialectique entre les conceptions coutumières qui existaient avant 1894 et la législation mise en place à cette date. Par déduction, elle permet aussi de percevoir leur impact sur les populations marginalisées. La Nueva Prensa dénonce ainsi une « invasion » du centre-ville par les prostituées mettant en exergue leur non-appartenance à cet espace urbain :
« Les cocottes ont envahi les quartiers du centre-ville. Certaines vivent déjà parmi des familles de notre société, par exemple, dans la rue entre chez M. Nicomendes Sáenz et M. Héctor Pollini. Nous attirons sérieusement l’attention de la police sur ce point68. »
104Ce texte fait apparaître les prostituées comme des corps étrangers, s’opposant au groupe compact que forment les individus regroupés dans l’expression « notre société ». Plus clairement, dans une autre injonction issue aussi de La Nueva Prensa apparaît l’opposition entre « la respectable famille » et l’« immonde demeure » :
« Madame la Police ! ! Les femmes de mauvaise vie ont à nouveau envahi les rues principales de cette ville. Dans la rue n° 16 Nord, à côté d’une respectable famille cubaine, une de ces femmes possède sa répugnante demeure69. »
105Il est intéressant de remarquer que ces deux brèves ne remettent pas en question l’existence de la prostitution mais stigmatisent négativement les enchevêtrements spatiaux des lieux de vie. Elles témoignent ainsi de la séparation effective entre les populations « respectables » – celles qui s’accordent à la norme socialement acceptée – et les populations dont le comportement est socialement répréhensible. De plus, à travers l’appel adressé directement à la police, elles montrent la parfaite assimilation de la morale libérale par toute une partie de la population. Concrètement, le poids des représentations collectives qui puisent leur force dans leur légitimité culturelle et législative, permet de rendre certains espaces, utilisés par une population « normalisée », difficilement fréquentables par les femmes considérées comme des prostituées.
106Mais la législation qui se met en place en 1894 ne se contente pas seulement de reprendre des aspects culturels déjà présents dans la population. Elle innove, rendant encore plus perceptible son influence sur les mentalités collectives à travers le soutien qui lui est apporté par l’ensemble social. En effet, la population répond favorablement à l’initiative législative d’interdire aux prostituées de résider près des lieux de diffusion de la morale libérale. Par exemple, l’existence de résidences de prostituées, désignées par le terme très révélateur de « maison de mauvaise vie », face au Collège de jeunes filles de San José, suscite de vives protestations dans les journaux. La Tribuna reproduit la lettre-témoignage du directeur de l’école qui est symptomatique de l’imprégnation des mentalités à ce sujet :
« Depuis de nombreuses années, monsieur, il existe une clameur générale contre cette maison et il est étonnant qu’à ce jour, l’autorité correspondante n’ait pas cherché avec toute son énergie à tirer au clair ce qui est dit et commenté et à faire disparaître d’un seul coup ce mal dans le cas où la véracité des faits indiqués ci-dessus serait vérifiée70. »
107Ici l’objectif n’est plus seulement de séparer les lieux de vie entre les prostituées et la population en général, mais d’empêcher tout contact entre les deux en éloignant les prostituées de certains lieux « honorables » qui ne doivent pas être « corrompus ».
108Si les lois puisent leur légitimité et leur effectivité dans des conceptions coutumières préexistantes, réciproquement, la mise en place d’une législation répressive influence les coutumes populaires. De sorte que législation et coutumes construisent ensemble des représentations collectives de l’espace, engendrant des normes d’utilisation très codifiées. Dès lors, une certaine « politique de l’espace » se met en place qui participe à la construction des processus de marginalisation en renforçant la stigmatisation de la prostituée comme élément négatif. L’interdiction, inscrite dans la législation, d’accéder à certains lieux de vie pour les prostituées, scinde alors la ville en deux espaces distincts : les uns réservés aux populations « saines », les autres accessibles aux femmes considérées comme des prostituées. Ce faisant, elle conduit à une marginalisation spatiale des prostituées qui se décline sous deux formes principales : d’une part, une séparation entre les quartiers de résidence, tendant à protéger les quartiers habités par les classes moyennes et les élites ; d’autre part, à l’intérieur même des quartiers, une interdiction de résider dans certains endroits spécifiques. Cette dernière permet surtout de protéger certains espaces des quartiers pauvres dans lesquels résident la majorité des prostituées : Peor es nada, La Puebla, etc. La marginalisation spatiale dont étaient déjà victimes les femmes considérées comme des prostituées, se trouve ainsi légitimée, renforcée par cette politique globale de l’espace.
109L’expulsion des prostituées répond donc à une volonté institutionnelle d’éviter une « corruption des mœurs ». Mais aussi et surtout, en les stigmatisant comme des vecteurs de vices, des éléments négatifs dans le panorama urbain, elle creuse encore plus l’écart entre ces femmes et la population en voie de normalisation. De sorte que cette politique de l’espace permet aussi de légitimer leur position d’infériorité et de faire évoluer les représentations collectives dans un sens de renforcement de la marginalité. La prostituée, exclue de certains lieux, perd son caractère de citoyenne, elle devient une sous-femme, réduite à sa seule fonction de putain. Ainsi, l’utilisation sociale de l’espace met en évidence l’existence de deux types de femmes que tout oppose : celles dont le comportement permet l’accès à l’ensemble de la ville et celles qui sont rejetées de certains lieux.
⁂
110Cette approche du rapport aux lieux de vie, par le biais des représentations collectives – comprises comme le résultat d’interactions réciproques entre les conceptions coutumières et la législation – permet de faire évoluer le regard porté sur la loi. Si au niveau structurel on a pu observer une incapacité des autorités à faire appliquer efficacement certaines mesures législatives, l’analyse de leur influence sur les représentations collectives permet au contraire de révéler leur importance dans la construction des processus de marginalisation. Autant les institutions d’enfermement – prison et hôpital – que les lois d’éloignement, trouvent un écho favorable dans la société. Il ne s’agit d’ailleurs plus seulement pour la population, d’accepter ou d’approuver les formes de contrôle de la prostitution, mais d’exiger leur mise en place effective. Entre 1894 (parution des règlements) et 1898, nous observons donc une nette diffusion des concepts hygiénistes prônés par l’élite libérale et notamment, pour le cas particulier qui nous intéresse ici, une acceptation et jusqu’à une revendication de la séparation des lieux de vie.
111En conséquence, cette volonté d’effacer l’existence sociale des femmes accusées de prostitution répond à l’homogénéisation du corps social entreprise par l’élite autour de certaines valeurs, tout en s’appuyant sur un socle culturel préexistant, commun à l’ensemble de la population. Dans cette perspective, il ne faut pas s’enfermer dans des oppositions systématiques en réduisant la complexité des interactions culturelles à ce que Michel Vovelle nomme « un affrontement caricatural71 », entre une soi-disant culture populaire conçue comme autonome de celle de l’élite, et inversement. Cette démarche implique de s’intéresser autant aux structures coercitives qu’à la nature des représentations collectives de la prostitution dans la population afin de comprendre la mise en place des processus de marginalisation dans toute leur complexité.
Notes de bas de page
1 ANCR, Leyes y decretos, 1864, p. 140-141.
2 Le terme me semblant intraduisible, j’ai préféré citer la définition qu’en donnent les textes de lois afin de pouvoir laisser le terme original dans le corps du texte : « Il est du devoir de l’Alcalde de : […] 2°. S’occuper de la sécurité, de l’ordre, de l’économie, de la discipline et de la police de l’établissement… », ANCR, Leyes y decretos, 1864, p. 122. La fonction principale de ce fonctionnaire est donc de veiller au respect à la sécurité et de l’ordre au sein de l’établissement pénitencier.
3 ANCR, Policía, 10513, 1894, f. 18v°-19.
4 BNCR, La Prensa Libre, 06/07/10-07-1894.
5 BNCR, La Prensa Libre, 12-07-1894, p. 2.
6 ANCR, Leyes y decretos, 1915, p. 265-266.
7 Foucault M., Surveiller et punir, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1975, p. 200.
8 Ibid., p. 251.
9 ANCR, Leyes y decretos, 1864, p. 138.
10 Marín Hernández J. J., Prostitución, honor y cambio cultural en la provincia de San José de Costa Rica, 1860-1949, San José, Librería Alma Mater, 2005, 404 p.
11 ANCR, Gobernación, n° 16, 1908, f. 105.
12 ANCR, Gobernación, n° 5690, 1914, f. 443.
13 ANCR, Judicial, n° 27822, 1918, f. 256-257.
14 ANCR, Código civil, 1888.
15 ANCR, Policía, n° 4821, 1889, note 308.
16 ANCR, Policía, n° 8069, 1914, f. 1.
17 ANCR, Leyes y decretos, 1864, p. 137.
18 ANCR, Judicial, n° 27948, 1891, p. 80.
19 Ibid., f. 85v°.
20 ANCR, Policía, n° 6241, 1912.
21 Boisson très populaire au Costa Rica et dans de nombreux pays latino-américain, qui est préparée à partir de sucre de canne non raffinée.
22 ANCR, Judicial, n° 27822, 1912, f. 164-165.
23 ANCR, Gobernación, n° 45247, 1915, f. 12-12v°.
24 ANCR, Judicial, n° 27822, 1918, f. 292-293.
25 ANCR, Judicial, n° 27948, 1891, f. 77.
26 ANCR, Leyes y decretos, 1864, p. 124.
27 ANCR, Leyes y decretos, 1894, p. 92.
28 ANCR, Policía, n° 7805, 1894, f. 12.
29 ANCR, Judicial, n° 27948, 1891, f. 79-79v°.
30 ANCR, Judicial, n° 27948, 1893, f. 120.
31 ANCR, Policía, n° 3687, 1895, note n° 79.
32 ANCR, Gobernación, n° 5729, 1917, f. 116.
33 ANCR, Policía, n° 6241, 1914, note n° 23.
34 Voir plan et situation de la prison en annexe IV.
35 ANCR, Hacienda, n° 32993, 1926, note n° 1588.
36 ANCR, Gobernación, n° 33969, 1914, f. 1-2.
37 ANCR, Policía, n° 9744, 1898, f. 1v°.
38 Ibid., f. 3.
39 ANCR, Policía, n° 10845, f. 5v°-6.
40 ANCR, Policía, n° 7805, 1895, f. 25.
41 Ibid., f. 22v°.
42 BNCR, La Gaceta médica, 15-08-1900, año V, n° 1, p. 13.
43 ANCR, Leyes y decretos, 1864, p. 143.
44 ANCR, Leyes y decretos, 1894, p. 91-92.
45 ANCR, Gobernación, n° 28228, 1905, f. 1.
46 Ibid., f. 2v°.
47 ANCR, Beneficencia, n° 356, 1872 – ANCR, Beneficencia, n° 340, 1894 et 1902.
48 Barrantes O. et al., « Liberalismo, políticas sociales y abandono infantil en Costa Rica (1890-1930) », dans E. Rodriguez Saenz, Entre silencios y voces : género e historia en América central (1750-1990), San José, Centro Nacional para el desarrollo de la mujer y la familia, 1997, p. 86.
49 Gonzalez Zeledon M. (Magon), La propia, San José, EUCR, 1984, p. 23-36.
50 Rojas Gonzalez M. et Ovares Ramirez F., 100 años de literatura costarricense, San José, Farben, 1995, p. 48.
51 Albertazzi Avendaño J., Palabras al viento, San José, 1936, p. 66-67.
52 Rodriguez Saenz E., Entre silencios y voces : género e historia en América central (1750-1990), San José, Centro Nacional para el desarrollo de la mujer y la familia, 1997, 170 p. ; Rodriguez Saenz E., Mujeres, Genero e historia, en América central durante los signos XVIII, XIX y XX, San José, Plumsock Mesoamerican Studies, 2002, 240 p. ; Rodriguez Saenz E. et Molina Jiménez I., Familia, vida cotidiana y mentalidades colectivas en México y Costa Rica, siglos XVIII-XIX, Alajuela, Museo histórico Juan Santamaria, 1994, 299 p.
53 ANCR, Policía, n° 3687, 29-04-1895, note 37.
54 ANCR, Gobernación, n° 40153, 25-09-1896, f. 2.
55 ANCR, Gobernación, n° 40153, 25-09-1896, f. 3-4.
56 ANCR, Policía, n° 9744, 10-12-1898, f. 1-1v°.
57 Je ne les ai pris en compte que lorsqu’ils étaient présentés seuls. Toutefois la plupart des demandes de désinscription ne s’appuient pas sur un argument unique.
58 ANCR, Leyes y decretos, 1894, p. 89-90.
59 BNCR, La nueva prensa, 01-12-1898, año I, n° 116, p. 2.
60 ANCR, Leyes y decretos, 1894, p. 90.
61 Marín Hernández J. J., « Prostitución y pecado en la bella y prospera ciudad de San José (1850-1930) », dans I. Molina Jimenez, El paso del cometa, San José, Ed. Porvenir, Plumstock mesoamerican studies, 1994, p. 47.
62 ANCR, Congreso, n° 3854, 1906, p. 112.
63 ANCR, Gobernación, n° 34548, 1922, f. 1.
64 ANCR, Gobernación, n° 34548, f. 7.
65 BNCR, La Prensa Libre, 17-02-1933, año XXXI, n° 9672. Voir annexe V.
66 Ibid.
67 BNCR, La Prensa Libre, 08-09-1898, año X, n° 2807, p. 2.
68 BNCR, La nueva prensa, 16-11-1898, año I, n° 103, p. 2.
69 BNCR, La nueva prensa, 07-12-1898, año I, n° 121, p. 2.
70 BNCR, La Tribuna, 03-06-1920, año I, n° 41.
71 Vovelle M., Idéologies et mentalités, Paris, Gallimard, coll. « Folio/Histoire », 1982, p. 135.
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