Introduction de la deuxième partie
p. 119-120
Texte intégral
1En examinant la signification et les limites de la législation, il s’agissait de comprendre les structures et les orientations politiques de la société dans son ensemble. Toutefois, comprendre la mise en place et la nature des processus de marginalisation implique de ne pas se laisser enfermer dans la seule compréhension de ces structures qui dépassent l’individu et le rendent invisible. Au contraire, il faut s’intéresser, de façon simultanée, aux liens sociaux en général, à travers l’appréhension des relations interpersonnelles en particulier. Cette réflexion s’inscrit dans le courant de la science historique qui cherche à prendre une certaine distance critique par rapport à l’approche macrohistorique afin de ne pas « se laisser séduire par la “clarté”, la limpidité rationnelle, du type-idéal1 ». Elle tend en effet, à intégrer le jeu des acteurs sociaux dans les grands mouvements structurels, afin d’éviter de considérer ceux-ci seulement comme des processus anonymes. Il convient alors d’ouvrir cette étude à la connaissance des individus avec l’objectif d’enrichir la vision globale de la société. Cette démarche dite microhistorique cherche à réhabiliter l’individu en tant qu’il participe pleinement aux évolutions sociopolitiques et économiques observées. En adoptant à un moment donné, un point de vue restreint, les actions individuelles apparaissent plus clairement et permettent de mettre en valeur la complexité de certains phénomènes que les seules analyses macro présentent de façon univoque. Comme le souligne Antoine Prost, le cadre limité de la microhistoire permet de « scrut[er] très finement, en croisant une pluralité de sources, [et ainsi d’]analyser les pratiques sociales, les identités et les relations, les trajectoires individuelles ou familiales, avec tout ce qu’elles incorporent de représentations et de valeurs2 ».
2Toutefois, il ne faut pas considérer ces rapports comme exclusifs en les décontextualisant. L’utilisation de données quantitatives, issues essentiellement des recensements qui jalonnent la période, est tout autant indispensable à l’appréhension de la nature des liens qui unissent les individus entre eux. En effet, ces informations permettent de replacer les cas étudiés dans un cadre social élargi, procurant simultanément la mesure de leur validité et de leur signification quant à une compréhension globale de la société.
3Le macro et le micro ne sont donc pas opposés au sein de ce sujet d’étude mais complémentaires, si l’on considère que tous deux permettent une approche différente, et de fait enrichissante, d’un même objet. Michel Vovelle les a même vus irréductiblement liés dans une relation de « va-et-vient dialectique entre la saisie globale, que seule autorise le sériel, et l’exploration en profondeur que l’étude de cas rend possible3 ». Il ne s’agit donc pas ici de privilégier l’une ou l’autre de ces méthodes mais de les utiliser afin de construire cette étude sur une base conceptuelle variée. La multiplication des échelles d’observation sur l’objet permettant de resituer un élément singulier dans son contexte et inversement, de mieux saisir un phénomène global par le biais de l’étude de ses implications concrètes. Dans une perspective d’analyse qui prétend donner une certaine image de la société en général, à travers l’étude d’un phénomène social en particulier, les deux approches sont indispensables et concomitantes.
4Ainsi, l’observation conjointe de la structure et des formes empiriques d’application de la loi de 1894 permet de mettre en évidence une complexité que la seule approche macro ne permet pas de considérer. Il n’y a donc pas contradiction entre ces deux perspectives d’étude, micro et macro, les résultats de l’une n’invalidant pas les données mises en évidence par l’autre, mais, au contraire, complémentarité. Cette variation d’échelle apparaît comme un moyen d’approcher au plus près de la nature et des conséquences concrètes générées par la loi de 1894, afin d’en saisir la substance le plus intégralement possible. En ce sens, cette démarche cherche à enrichir, sans pour autant l’infirmer, la vision univoque d’un règlement difficilement applicable, voire inopérant. Il faut alors mesurer l’influence de l’homogénéisation culturelle sur les conceptions populaires préexistantes à travers l’analyse de la mise en pratique de la législation, afin de comprendre la nature de la construction des représentations collectives de la prostitution. Dans cette logique, l’étude du rôle de l’espace dans la mise en place des processus de marginalisation des prostituées permet d’examiner les conséquences concrètes de l’application du règlement de 1894, tout en observant certaines des réalités quotidiennes vécues par les prostituées. Il conviendra ensuite de mesurer l’influence de cette législation dans la construction des représentations collectives de la prostitution au sein de la population.
Notes de bas de page
1 Marrou H.-I., De la connaissance historique, Paris, Le Seuil, coll. « Points Histoire », 1975 (1954), p. 157.
2 Prost A., 12 leçons sur l’histoire, Paris, Le Seuil, coll. « Points », série Histoire, 1996, p. 231.
3 Vovelle M., Idéologies et mentalités, Paris, Gallimard, coll. « Folio/Histoire », 1982, p. 350.
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