Chapitre II. Une définition ambiguë de la prostitution
p. 69-84
Texte intégral
1Il ne faut pas attendre 1870 et l’arrivée des libéraux au pouvoir, pour que les prostituées soient perçues de façon négative par la population. Déjà en 1834, il est possible de lire dans la revue La tertulia :
« La prostitution est sans aucun doute un mal ; mais moins grave que l’adultère, le rapt, la force et la séduction qu’elle évite ; et puisqu’elle est inévitable et même convenable car elle évite d’autres maux plus importants, au lieu de l’interdire et de la punir inutilement, le législateur devra s’appliquer à rechercher des mesures diminuant le mal. Leur indication constitue l’objet de cet article. Il est bien connu que dans les grandes villes la solution adoptée est la mise en place de maisons de prostitution ou lupanars suivant certaines règles ; et ailleurs il n’est permis d’exercer cette misérable profession qu’aux femmes ayant fait inscrire leurs noms sur un registre qui aide la police à ne pas les perdre de vue, à veiller surtout à ce que ne se répande pas ce mal funeste qui attaque la population et qui est habituellement le fruit amer de la prostitution. De plus cela permet d’éviter que les prostituées passent dans les rues en provoquant tout le monde et particulièrement la jeunesse1… »
2Cet article s’inscrit dans le courant réglementariste, alors dominant dans le contexte international, selon lequel la prostitution est nécessaire et donc inévitable, car elle permet d’éviter une corruption généralisée des mœurs. Partant de ce principe, elle doit être contrôlée afin d’éviter la propagation des maux qu’elle engendre. En cela, il s’oppose au courant abolitionniste qui demande l’éradication, par la prohibition, de tout type de prostitution. Ainsi la répression de cette pratique qui ajoute l’aspect punitif à la simple notion de contrôle en vu de protéger la population, ne doit pas être pensée comme une nouveauté conçue et imaginée par les élites libérales mais plutôt comme la poursuite d’un processus beaucoup plus ancien. L’arrivée des libéraux au pouvoir en 1870 marque alors le passage de la « simple réprobation sociale » à la « répression institutionnalisée2 ». Dans cette perspective, la mise en place des grandes lois hygiéniques des années 1870-1890 se comprend comme la concrétisation d’une volonté générale préexistante rendue possible par l’instauration d’un contexte favorable.
Le règlement de 1875
Les ambiguïtés de la définition de la prostitution
3Dans le contexte de diffusion systématique d’une certaine morale hygiéniste par les élites libérales et les diverses institutions adjacentes, le péril que représente la propagation des maladies vénériennes devient une préoccupation essentielle. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que la première grande mesure hygiénique adoptée dès octobre 1875, aborde particulièrement le problème des maladies vénériennes. Le texte introductif du « Règlement d’hygiène » atteste parfaitement de l’inscription de ces maux dans le cadre de la préoccupation générale des élites libérales pour la santé morale et physique de la population costaricienne :
« Afin d’éviter les effets funestes du mal vénérien qui, d’après les rapports élaborés par des professeurs de médecine, se développe et se répand de façon alarmante et puisque le Pouvoir exécutif a le devoir de dicter les dispositions visant à préserver la morale et la santé publique, je décrète le Règlement d’hygiène suivant3. »
4À travers ce prologue, le règlement de 1875 semble découler directement de la volonté des autorités de protéger la population contre la propagation des maladies vénériennes. Le premier article de ce « Règlement d’hygiène » annonce donc clairement son objectif essentiel : contrôler les prostituées et surveiller la pratique de la prostitution. Toutefois, il est intéressant de remarquer qu’il laisse dans le vague la définition exacte des femmes soumises à ces nouvelles dispositions :
« Art. 1er. – Dans toutes les capitales de provinces et de régions, un registre sera ouvert sous la responsabilité des Agents principaux de police pour y inscrire les noms des femmes publiques, connues comme telles dans toute l’acception du terme4. »
5Les réalités englobées sous le terme de « femmes publiques » n’étant pas définies rigoureusement par la loi, on observe certaines ambiguïtés lors de la mise en pratique de cette législation. En effet, d’emblée et selon la définition communément admise, le terme de prostituée nous renvoie à la notion de commerce sexuel5. Or, l’analyse de l’application du règlement de 1875 dans les documents montre un élargissement de cette définition jusqu’à y intégrer la notion de concubinage qui s’assimile pourtant plus à une relation maritale non officialisée, sans qu’il soit question de commerce6. La loi de 1875 est en effet utilisée au cours de procès afin de condamner certaines femmes pour concubinage. Ainsi, le 3 mars 1875 s’ouvre le procès de Maria Gonzalez Vargas. Elle est accusée, non pas de prostitution mais de concubinage :
« Madame María González vit publiquement en concubinage avec M. José Varela, ce qui représente un mauvais exemple pour sa fille7. »
6Ce document étant incomplet, il est impossible de savoir si Maria Gonzalez est finalement condamnée. Néanmoins, les récits des témoins sont révélateurs des différentes perceptions existantes dans la société autour du concubinage. Sur les six témoins amenés à déposer, tous reconnaissent la qualité de concubine de Maria Gonzalez mais les avis sont partagés quant à la portée de son comportement vis-à-vis de sa fille. Seulement trois d’entre eux jugent qu’elle est un mauvais exemple. L’existence même de ce type de dossier possède un double intérêt. D’une part, ils prouvent que moralement il y a assimilation entre les différents types de relation intime qui sortent du cadre « normalisé » du mariage. D’autre part, ils mettent en avant le vide juridique qui existe dans la loi puisqu’elle ne définit pas les individus qu’elle cherche à contrôler.
7Plus généralement, l’observation des applications concrètes du règlement de 1875 révèle certaines carences conceptuelles, la loi ne proposant aucune définition claire des individus qu’elle cherche à contrôler. Dans l’optique de la législation – protection de la morale et de la santé de la population – ce flou est à l’origine d’une assimilation entre les différents types de relations intimes sortant du cadre « normalisé » du mariage. L’objectif est, avant tout, de contrôler le comportement sexuel des individus afin de protéger la morale et d’éviter la propagation des maladies vénériennes. La polyphonie de conceptions que permet cette situation engendre des difficultés à définir et donc à utiliser la catégorie de « prostituée » ce qui empêche le bon fonctionnement du règlement.
Le « reglamento de Higiene » et ses palliatifs législatifs
8On remarque d’ailleurs qu’il n’existe que très peu de dossiers datant d’avant 1894 et abordant directement le thème de la prostitution. Il est bien sûr possible que les documents aient été égarés. Toutefois, l’existence de nombreux documents après 1894, laisse supposer qu’il s’agit moins d’une défaillance technique que de l’illustration de la faible utilisation du règlement de 1875. Au cours des recherches effectuées aux archives nationales du Costa Rica, un seul document témoignant de la mise en application de ce texte législatif, est ressorti : un registre8 commencé à cette date et qui s’achève en 1879. Il a pour vocation de répertorier toutes les femmes considérées comme des prostituées afin de pouvoir exercer sur elles un certain contrôle, en les obligeant notamment à se soumettre à une visite médicale hebdomadaire. Cependant, seules 37 femmes y sont inscrites pour une période de 5 ans. Ce chiffre, mis en perspective avec ceux de la période suivante (débutant en 1894), semble bien en deçà de la réalité. En effet, en se fondant sur les numéros d’inscription des prostituées dans les nouveaux registres mis en place en août 1894, suite à la promulgation de la loi de prophylaxie vénérienne, on remarque que près de 300 femmes sont enregistrées dès le premier mois. Ainsi Maria Luisa Chavez Solis, inscrite le 27 septembre 1894, porte déjà le n° 262. Le registre de 1875-1879 apparaît donc bien incomplet et témoigne de la nature du règlement d’hygiène employé pendant cette période, peu applicable et de fait peu appliqué.
9L’utilisation restreinte de cette législation lorsqu’il faut condamner des femmes dites prostituées, confirme ses lacunes et son manque de maniabilité. Cela ne signifie toutefois pas une négligence du contrôle des femmes aux comportements dangereux pour la morale et la santé publiques avant 1894. Au contraire, on remarque que selon les principes de cette loi, certaines femmes qui seront dès 1894 accusées de prostitution, se trouvent condamnées, avant cette date, pour des fautes diverses. En atteste le graphique ci-dessous qui a été réalisé à partir de données provenant de 33 documents, ayant permis d’observer 98 cas de condamnations différentes. Il ne s’agissait pas de dépouiller tous les fichiers répertoriant les fautes et les délits mais de rechercher les mécanismes répressifs utilisés pour contrôler le comportement social hors normes des femmes, qui seront accusées de prostitution par la suite, lorsque la loi sera mise en vigueur en 1894. C’est pourquoi le choix des documents examinés a été effectué sur la base de données nominales (le nom de prostituées fichées en 1894) ou thématique (dépouillement de tous les dossiers contenant le mot-clef prostitution dans les fichiers manuel et numérisé). Ce graphique ne représente donc pas toutes les occurrences existantes dans les catégories relevées, mais il permet d’observer les types de condamnation ayant été appliqués aux femmes qui seront accusées de prostitution après 1894. On remarque que la somme totale des pourcentages représentés dépasse largement les cent pour cent, du fait qu’une même femme peut avoir été condamnée pour diverses fautes.
Graphique 2. – Types de condamnation observés entre 1870 et 1894.
10Ce graphique démontre que la nature des accusations touchant ces femmes relève d’un comportement social inadapté aux codes moraux : l’utilisation de la violence physique et verbale, une attitude générale scandaleuse, l’oisiveté, l’insoumission à l’autorité et enfin la consommation immodérée d’alcool. Ainsi en mettant l’accent sur la protection de la morale publique, ces condamnations s’inscrivent dans l’esprit de la loi de 1875 présentée plus haut.
11L’accusation de scandale qui ressort très nettement de ce graphique est révélatrice de cette tendance. C’est une notion complexe qui regroupe divers aspects comportementaux. Ainsi, Maria Benegas et Ramona Nuñez sont accusées de scandale en 1882 par leur voisin Ignacio Barquero Aguilar qui déclare :
« Chez Mme Sinforosa habite María Benegas dite “Mosotillo” qui a eu ces jours-ci des problèmes avec Ramona Núñez. Elles les ont réglés de façon bruyante, en s’injuriant au moyen de propos immoraux et indécents et à grands cris au milieu de la rue. De plus, Ramona Núñez a une fille mineure appelée Leonor qui, d’après ce qu’on dit, a été récemment prostituée ou est sur le point de l’être, sa mère le tolérant ainsi9. »
12À travers cette déposition, certains aspects de la notion de scandale apparaissent : l’échange d’injure, l’utilisation d’un vocabulaire non adapté à la morale, les cris mais aussi le mauvais exemple donné aux enfants. D’autres témoins-voisins viennent déclarer, confirmant les dires d’Ignacio, et complexifiant encore d’avantage la signification de la notion de scandale en y ajoutant l’utilisation de la violence physique, l’admission d’hommes dans leur maison… C’est donc d’une façon générale, la « mauvaise conduite10 » de ces femmes, pour reprendre les termes d’un témoin, qui conduit à cette accusation de scandale. En ce sens, cette notion ne renvoie à aucun acte particulier, mais plutôt à un comportement général hors normes portant atteinte à la moralité publique.
13Ainsi, il ne s’agit pas de penser que les prostituées ne commencent à être contrôlées qu’en 1894, mais plutôt d’observer la nature évolutive des moyens de contrôle mis en place en fonction des possibilités offertes par la législation. Dans cette perspective, l’accusation de vagabondage, qui apparaît aussi clairement dans le graphique ci-dessus, est particulièrement révélatrice.
Utilisation de la « ley de vagos » dans le contrôle des prostituées
14La mise en place de la loi sur le vagabondage de 1887, qui répond à la fois à une volonté d’homogénéisation culturelle et à la nécessité de canaliser la force de travail de la population costaricienne afin de poursuivre le développement agricole et commercial du pays, se traduit sur le plan moral par la répression systématique des comportements sociaux nuisant à la stabilisation de l’homme autour de ses responsabilités familiales (alcoolisme, abandon, etc.). Plus généralement, ce sont tous les individus, hommes et femmes confondus, ne participant pas à la croissance économique du pays, qui sont stigmatisés sous la dénomination de vagabonds, coupables de malhonnêteté morale et économique.
15Remarquons toutefois qu’il existe une différence significative entre la façon d’appréhender le vagabondage masculin et féminin. En effet, si pour les hommes cette désignation est directement liée à un refus de travailler, pour la femme la nature de son comportement social joue un rôle déterminant dans sa mise en accusation :
« Seront considérés comme vagabonds :
4e – Ceux qui n’ont pas de métier, de profession, de rente, de salaire, d’occupation ou de moyen licite de subsistance…
8e – Les femmes provoquant des scandales à cause de leurs mauvaises mœurs ou fréquentant des maisons de jeu, des tavernes ou d’autres endroits suspects11. »
16Ainsi, répondant au paragraphe introductif du « règlement d’hygiène » de 1875, il s’agit là encore de protéger la moralité et la santé publique en évitant la propagation d’un comportement social féminin hors normes. Concrètement à partir de 1887, les femmes accusées de vagabondages, selon les normes fixées dans le paragraphe 8 de l’article 1, sont soumises à diverses règles :
« Art. 5e. – Les femmes dont parle l’alinéa 8 de l’article 1er se consacreront, si elles sont majeures, à des tâches appropriées dans la prison pour femmes, pendant une période ne pouvant être inférieure à trois mois ni supérieure à un an. Si elles ne se montraient pas de bonne volonté dans le travail ou si elles étaient indisciplinées ou insubordonnées, elles seront envoyées à Talamanca ou dans un autre endroit écarté pendant le double du temps restant pour purger leur peine.
Dans le cas où elles seraient mineures, elles travailleront, tout le temps de leur minorité, dans une maison respectable dont le propriétaire devra les nourrir, les éduquer et les corriger ; elles pourront aussi être mises à disposition d’un établissement de bienfaisance ou de charité. Si elles n’étaient pas admises dans des maisons particulières ou de bienfaisance ou si elles venaient à s’enfuir ou étaient renvoyées pour désobéissance, négligence ou vices, elles seront envoyées dans une prison pour femmes jusqu’à leur majorité et là, elles seront consacrées à des tâches appropriées ou à l’apprentissage d’un métier12. »
17Le graphique présenté plus haut, reflète l’effectivité de la mise en application de cette législation puisque tous les cas d’accusation pour vagabondage observés et relevés correspondent à des dates ultérieures à 1887. Ainsi, l’incapacité de la loi de 1875 à permettre la répression des femmes ayant un comportement social répréhensible est palliée, à partir de 1887, par la promulgation de ce texte législatif qui permet de les inculper pour vagabondage. Contrairement au règlement d’hygiène qui était resté lettre morte, les documents de police consultés rendent compte d’une application effective de cette nouvelle loi qui fait évoluer les formes de contrôle. Nombre de femmes détenues avant 1887 pour des fautes diverses, répertoriées dans le graphique 2, sont désormais inculpées pour vagabondage. Ainsi Elena Vega Pacheco condamnée à diverses reprises pour ébriété, est à nouveau arrêtée en mai 1887 :
« Elena Vega n’a ni biens ni métier pouvant lui procurer des moyens licites de subsistance. Elle s’enivre très souvent donnant alors lieu à de fréquents scandales13. »
18On remarque que le même type d’accusation pèse sur elle : là encore elle est accusée d’ébriété. Mais cette fois, elle va être jugée et incarcérée pour une période de 3 mois comme le prévoit la loi sur le vagabondage de 1887 :
« Étant donné qu’Elena Vega n’a pas fourni de preuves contre son accusation de vagabondage, conformément à l’article 5 de la loi du 27/04/1887, elle est condamnée à 3 mois d’emprisonnement dans l’établissement correspondant où elle se consacrera à des tâches appropriées à son sexe ; elle est prévenue que si elle ne montre pas de bonne volonté dans ce travail ou si elle est désobéissante ou insubordonnée, elle sera envoyée à Talamanca pendant le double du temps restant pour purger sa peine14. »
19Ce document est intéressant à plusieurs niveaux. Il montre les aptitudes de cette nouvelle législation à réellement condamner les fautes commises, en prévoyant des peines d’emprisonnement concrètes et temporellement déterminées. Ce n’était pas le cas lors des condamnations antérieures d’Elena qui n’avaient jamais excédé un mois et se réduisaient souvent à un enfermement momentané visant à lui permettre de dessoûler. Ce document met aussi en lumière la complexité des réalités regroupées sous la notion de « vagabonds ». Dans ce cas précis, Elena est accusée de vagabondage du fait de son oisiveté certes mais aussi à cause de son état d’ébriété fréquent et des scandales, au sens propre du terme, qu’elle provoque. La notion de vagabondage est donc entendue dans un sens très large, regroupant d’autres réalités que le seul refus de travailler.
20Plus précisément, l’accusation qui pèse sur Laura Rojas est révélatrice du lien existant entre comportement social hors normes et accusation de vagabondage. En effet, Laura est condamnée pour vagabondage alors qu’elle est accusée explicitement et uniquement de prostitution. Ce document le confirme :
« Étant donné que cette autorité est informée que Mme Laura Rojas, majeure, célibataire et demeurant dans cette ville, est une femme prostituée dont les mauvaises mœurs scandalisent, une information judiciaire pour vagabondage doit être levée15. »
21Dans cet acte d’accusation, seul son comportement scandaleux est condamné, illustrant ainsi l’importance de ce facteur dans la stigmatisation d’une femme comme vagabonde. De sorte que depuis 1875, la mise en place de législations de plus en plus efficaces, témoigne d’une incontestable évolution, autant théorique que pratique, dans la volonté institutionnelle de lutter effectivement contre certains comportements jugés néfastes pour la santé morale et physique de la population. Toutefois, ces divers règlements sont soient trop lacunaires (législation de 1875), soient conceptuellement trop vastes (législation de 1887), pour permettre une répression efficace de la prostitution. Face à la propagation des maux physiques et moraux engendrés par cette pratique, ces diverses défaillances législatives apparaissent avec d’autant plus de force. De ce fait, dès 1894 d’autres lois, plus précises, viennent remplacer ces règlements.
Protection de la santé publique et répression de la prostitution à partir de 1894
Contexte de la mise en place du règlement de 1894
22Il faut attendre presque vingt ans après la publication du Règlement d’hygiène de 1875, pour que le gouvernement, prenant visiblement conscience de ses lacunes et de son incapacité à résoudre les problèmes, le remplace par une nouvelle législation qui pose une définition concrète de la prostitution, le Règlement de prophylaxie vénérienne. En effet, malgré les possibilités de répression de la prostitution permises par la « loi sur le vagabondage », les journaux n’ont de cesse d’appeler à une action spécifique du gouvernement à l’encontre des prostituées. Ainsi en mars 1889, suite à une bagarre entre deux de ces femmes, le journal La República conclut en ces termes : « Il devient aujourd’hui nécessaire de prendre des mesures sérieuses contre ce genre de femmes16. » Si cette remarque reste floue quant au type de mesures qui doivent être prises, elle témoigne de l’existence dans l’opinion publique d’une conception de la législation comme trop laxiste. Il s’agit alors d’exiger la mise en place d’une répression efficace des prostituées, déjà perçues comme une catégorie à part, dans un objectif de protection de la morale publique.
23De plus, à partir des années 1890, la préoccupation causée par la propagation des maladies vénériennes se fait de plus en plus présente. Les médecins sont nombreux à alerter les divers ministères des dangers que représentent ces maladies et les journaux n’ont de cesse de réclamer la mise en place d’une protection efficace. En juillet 1890, le médecin en chef chargé de la province de San José, écrit au ministère de bienfaisance pour lui faire part de son inquiétude :
« tous les médecins qui exercent dans cette capitale ont remarqué que la syphilis, chez les individus des deux sexes, se répand de façon alarmante, particulièrement dans cette ville ; qu’à leur avis, l’absence de surveillance des femmes publiques contribue à ce problème ; que sans aucun doute la manière d’arrêter quelque peu cette maladie serait la création d’un hospice de santé où les femmes infectées pourraient être soumises à la surveillance d’un médecin, obligées à suivre le traitement nécessaire en vu de leur guérison et enfin, l’inspection régulière des femmes inscrites en tant que publiques17 ».
24Ce texte met en évidence à la fois la conscience des médecins des dangers que représentent la diffusion de ces affections au sein de la population mais aussi et surtout le lien qu’ils établissent entre prostitution et maladies vénériennes. On retrouve cette préoccupation comme une constante dans différents mémoires du ministère de la police qui font très régulièrement état du lien étroit entre la propagation des maladies vénériennes et la « dégénérescence de la race » :
« L’éducation sexuelle à la maison et à l’école ; la conférence et le livre ; la multiplication des cliniques antisyphilitiques gratuites ; le concours de la société, en particulier des médecins et des autorités, sont à mon avis les moyens de protection contre les maladies vénériennes et leurs conséquences terribles pour l’individu et pour la race18. »
25Ces préoccupations gouvernementales s’inscrivent dans un contexte international de protection de la race nationale. Il s’agit toutefois moins d’institutionnaliser une attitude raciste que de mettre en place une série de mesures correspondant à ce que Michel Foucault a répertorié sous l’expression de biopolitique. L’objectif premier est alors de contrôler l’existence des individus afin de favoriser la vie face à tous les éléments la mettant en péril, notamment les maladies. Dans cette logique, au Costa Rica, dès les années 1890 mais aussi tout au long de la période, la conception de la prostituée en tant qu’agent potentiel de propagation des maladies vénériennes et de menace pour la morale sociale, engendre un contexte social favorable à un accroissement de la surveillance.
26D’ailleurs, seulement quelques mois avant la promulgation de la loi de prophylaxie vénérienne, le gouvernement ordonne à la police de châtier tous les comportements sociaux qui portent atteinte à la moralité publique. Divers journaux19 se font l’écho de cette décision, qu’ils présentent à leurs lecteurs en reprenant les principales dispositions gouvernementales. Ainsi, La Prensa libre annonce :
« En ce qui concerne les femmes de joyeuse vie, il est ordonné aux fonctionnaires de police de surveiller tout particulièrement les quartiers les plus fréquentés par elles. Ils doivent éviter et punir avec la sévérité nécessaire les scandales qu’elles provoquent, et veiller particulièrement à ce que ces femmes se conduisent avec la réserve nécessaire dans les lieux de réunion, les rues, les promenades publiques, et à ce qu’elles se montrent d’une manière ne portant pas atteinte à la morale publique20. »
27L’accent est ici mis sur la nécessité d’éviter ou tout au moins de châtier, tout débordement public. L’auteur témoigne ainsi de sa préoccupation pour la préservation d’une certaine morale publique mais aussi sa crainte de la voir contaminée par les comportements hors normes de ces femmes. Plus explicitement, El Diarito se réjouit de cette initiative gouvernementale, démontrant ainsi l’approbation d’une partie de la population à la mise en place d’une répression systématique de la prostitution :
« La Gaceta d’hier contient une longue circulaire adressée aux Gouverneurs, que nous considérerons comme l’une des planches de salut pour le Costa Rica. Ladite circulaire a pour objectif l’extirpation de ces lèpres affreuses qui envahissent les sociétés, avec une force contagieuse très puissante, et qui s’appellent le jeu, le vagabondage, l’ébriété et la prostitution ; tous des maux qui, malheureusement et à cause de la tolérance injustifiable observée antérieurement, se sont développés de façon très alarmante21. »
28L’utilisation des nombreux superlatifs visant à souligner le caractère extrêmement dangereux de ces comportements hors normes, vient renforcer la légitimité de leur contrôle. L’ensemble de ces documents témoignent de ce que représente la prostitution pour une grande partie de la société : un péril moral et physique. Paradoxalement, il est intéressant de remarquer que cette conception néfaste se construit conjointement à une vision sacrificielle : la prostituée étant alors perçue comme un être sacrifié sur l’autel des impératifs moraux. En acceptant de se corrompre, de servir de défouloir aux pulsions sexuelles masculines « incontrôlables », elle apparaît comme la protectrice de la moralité et par extension de l’ordre social. Le journal La Prensa Libre est d’ailleurs très explicite à ce sujet :
« Que les femmes publiques disparaissent et, l’honneur des familles sera compromis. L’homme est capable de tout pour satisfaire ses appétits charnels. Il ira surprendre le sommeil tranquille des jeunes filles22. »
29Ainsi l’existence des prostituées ne peut être remise en cause du fait qu’elle protège l’honnêteté et la vertu des autres femmes. Il est toutefois nécessaire de la réglementer afin d’éviter une contagion, physique et morale, du corps social. L’article de El Diarito déjà cité, poursuit d’ailleurs ainsi :
« Les responsables de la morale publique sont appelés à porter remède au mal. L’union de l’homme et de la femme ne peut manquer et celui qui ne l’a pas chez soi, la cherchera chez les autres ; telle est la loi naturelle contre laquelle aucune loi humaine n’est possible. Ce point sera examiné attentivement et puisque, comme nous l’avons dit, il n’est pas possible d’extirper les impulsions naturelles du corps humain, l’union sexuelle sera réglementée de façon à ce qu’elle soit en accord avec la morale et l’hygiène23. »
30En opposant la loi naturelle à la loi humaine, cet article confirme la domination au Costa Rica à la fin du xixe siècle du courant réglementariste selon lequel, les pulsions sexuelles du genre masculin étant incontrôlables, la prostitution devient inévitable.
31La prostituée est ainsi perçue comme une femme sacrifiée qui permet d’éviter, en canalisant les passions inhérentes au sexe masculin, des maux bien plus graves : les rapts, les viols, les adultères etc. Ces deux conceptions de la prostitution, présentées ici consécutivement pour des raisons pratiques, existent pourtant de façon simultanée au sein de la population. Ensemble, elles construisent une vision paradoxale de la prostituée, à la fois dangereuse et nécessaire, corruptrice et salvatrice des « bonnes mœurs ». Cette représentation collective peut expliquer la préférence du gouvernement à mettre en place une législation répressive visant à surveiller plutôt qu’à interdire cette pratique.
Le règlement de 1894
32Dans ce contexte, l’objectif de la loi est de réglementer la pratique de la prostitution, perçue comme inévitable, afin de prévenir la propagation des maladies vénériennes et la diffusion de comportements moralement répréhensibles. Plus généralement, la situation sociopolitique du Costa Rica de la fin du xixe siècle, marquée essentiellement par la diffusion systématique des valeurs des élites libérales à l’ensemble du corps social, explique la volonté des autorités de protéger avant toute chose, ce qu’ils entendent par normalité. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que le nom même de la loi, « Règlement de prophylaxie vénérienne », renvoie plus directement à l’idée de prévention sanitaire qu’à celle de répression d’un groupe déterminé. Il met en effet en avant la nécessité de se protéger des infections vénériennes sans qu’il soit fait mention de la prostitution ou des prostituées. D’ailleurs, le règlement commence par définir les objectifs et le fonctionnement du système, avant de désigner les populations et les comportements désormais pénalisés par la loi. En témoigne la liste des titres de sections regroupés ci-dessous :
« Section I – Direction et administration.
Section II – Du Directeur Général et des Directeurs locaux.
Section III – Attributions des Directeurs de la Police hygiénique et de ses Agents.
Section IV – Des prostituées.
Section V – Service médical.
Section VI – Peines correctionnelles.
Section VII – Dispositions divers24. »
33L’observation du sommaire de ce texte législatif démontre que les modalités de répression de la prostitution ne commencent à être fixées qu’à partir de la quatrième section. Les trois premières sections s’attachent à définir les divers statuts de ce nouvel organisme. Ainsi, la mise en place de certaines règles garantissant le respect de la moralité telle que la définissent les libéraux, à l’intérieur même de l’institution, semble occuper une place aussi importante sinon plus que la détermination de la nature du contrôle de la prostitution. Dans cette logique, pour pouvoir accéder au poste de Directeur de la Police hygiénique ou même se voir attribuer un poste d’agent, il faut respectivement selon les articles 10 et 11 du règlement « avoir plus de quarante ans et une moralité reconnue25 » et « être marié, avoir plus de trente ans et de bons antécédents26 ». Ces restrictions mettent en avant les critères qui entrent dans la détermination de la « bonne moralité » d’un individu. L’âge, le mariage – conçu comme une preuve de stabilité familiale – et un passé irréprochable, semblent être les garants d’une certaine honnêteté morale. Le titre même du règlement, ainsi que les caractéristiques requises pour travailler au sein de cette police spécialisée, renvoient à une conception précise de la moralité qui prend une place essentielle dans les objectifs de cette législation.
34Il apparaît alors clairement que, dans la même optique que le « Règlement d’hygiène » de 1875, l’objet de la loi est moins la répression en soi de la prostitution que la surveillance de ses conséquences sociales – physiques et morales – néfastes. Les mémoires du ministère de la police de 1897 rappellent d’ailleurs l’importance de ce double objectif :
« Il faut distinguer l’objet presque unique auquel obéit la loi de prophylaxie vénérienne, de l’action moralisante des dispositions visant à réprimer le vice de la prostitution. La première tend directement et exclusivement à éviter la contagion de maladies vénériennes en exerçant une surveillance constante et efficace des personnes qui s’adonnent malheureusement au commerce de leur corps, exposées à des infections et, pour cette raison, puissants agents de la propagation du mal. Par contre, la seconde, très éloignée de tel résultat, a pour objectif premier la moralité sociale. Elle cherche à détourner du vice les personnes à l’aide de moyens appropriés ou à délivrer le plus grand nombre de ses victimes. De toute façon, il serait souhaitable de concilier dans la mesure du possible ces deux objectifs, car il est important de protéger la société aussi bien d’un mal physique que d’un désordre moral27. »
35En explicitant clairement le triple objectif sanitaire, moral et surtout physique, de la loi, ce texte nous engage à orienter l’analyse du contenu et de la signification de ce règlement, en appréhendant les aspects répressifs non comme des finalités en soi mais en tant que moyens de protéger la société.
36Le système coercitif mis en place en 1894 s’articule autour de plusieurs mesures détaillées dans l’article 1428 du règlement. L’objectif est de codifier la pratique de la prostitution depuis le contrôle des lieux de résidence et de travail de ces femmes jusqu’à la surveillance de leurs comportements quotidiens, en passant par l’obligation d’être inscrite dans les registres de prophylaxie vénérienne, de se soumettre à un examen hebdomadaire et à un internement obligatoire en cas de maladie. En limitant ces mécanismes de contrôle hygiénique à la femme déclarée prostituée, sans tenir compte du client/amant pourtant aussi agent potentiel de diffusion de maladies, la législation témoigne de la position de responsable – coupable qui lui est attribuée. De sorte que la surveillance de la pratique de la prostitution vise plus à protéger le client et sa famille, et donc potentiellement la population « respectable », que la prostituée elle-même. Il s’agit d’ailleurs là d’un des arguments mis en avant à la fin des années 1920 par le ministère de la santé publique pour dénoncer l’inefficacité de la législation :
« La réglementation est injuste car elle ne condamne que la femme et laisse sans punition l’homme qui est coresponsable de la prostitution et qui est aussi un agent de propagation constant de la diffusion des maladies vénériennes29. »
37En soulignant l’injustice du règlement, pour qui, seules les femmes prostituées apparaissent comme des vecteurs de diffusion de maladies, le ministère cherche moins à améliorer leur traitement qu’à mettre en évidence les failles de la loi et notamment la coresponsabilité de l’homme en tant que client/amant. Pourtant, au moment de la promulgation de la législation en 1894, la question de la protection sanitaire apparaissait comme l’un des objectifs fondamentaux pour lequel la liberté même des prostituées était sacrifiée. En effet, si l’on observe les dispositions législatives, on remarque que certains éléments qui composent la vie privée de la prostituée sont perçus comme potentiellement capables d’agir de façon négative voire dangereuse pour la société. De ce fait, ils sont légitimement contrôlables par l’État. Ainsi l’article 1430 du règlement, prévoit dans son deuxième paragraphe, l’obligation pour ces femmes de prévenir d’un quelconque changement de domicile. Le troisième les contraint à consulter un médecin et à se faire soigner en cas de maladies. Enfin, le quatrième fixe leur lieu de résidence en leur interdisant de vivre près des centres éducatifs. Et plus encore, l’alinéa suivant leur impose de déplacer leur domicile en cas de réclamations du voisinage. Cet article démontre donc que la vie d’une femme considérée comme une prostituée ne relève plus du domaine privé mais devient une responsabilité publique.
38À la fin du xixe siècle, la question de la protection de la santé publique a donc pris une telle importance qu’elle en arrive à modifier la nature de ce qui doit être considéré comme appartenant à la vie privée ou au domaine public. Comprendre la mise en place des processus de marginalisation dans leur ensemble, implique alors d’examiner les mesures législatives qui jalonnent la période, afin d’observer l’évolution de la perception de la question hygiénique par le gouvernement et ainsi d’inscrire le règlement de 1894 dans une perspective plus large. En effet, au cours de la période étudiée, la santé publique devient une question centrale. La promulgation du règlement de prophylaxie vénérienne de 1894 permet de contrôler la pratique de la prostitution et donc de protéger la population de la diffusion massive de ce type de maladies. Mais d’autres mesures viennent le compléter et le renforcer.
Renforcement de la protection sanitaire et morale
39En mai 1918 est créé le « Conseil supérieur de la santé » dont l’objectif est de centraliser le fonctionnement des institutions hygiéniques afin d’en améliorer les performances :
« Art. 1er. – Il est créé un Conseil supérieur de la santé dans le but de s’occuper du service et de l’amélioration des établissements concernant l’hygiène et la prévention sanitaire et de permettre leur développement selon les besoins et en accord avec le Pouvoir exécutif31. »
40Le texte même de la création de ce conseil révèle les faiblesses des législations précédentes dont les insuffisances sont à l’origine de cette institutionnalisation. Surtout, il renvoie à la volonté gouvernementale de rationaliser et de centraliser la question hygiénique afin d’optimiser l’efficacité des diverses institutions existantes démontrant alors l’importance grandissante que les autorités accordent aux problèmes de santé publique. Parallèlement, il faut remarquer que cette régularisation de la santé publique relève toujours d’une volonté coercitive qui s’affiche clairement dans la composition et les fonctions de ce conseil :
« Article 3e. – Le Conseil sera composé comme suit :
1°. – Du Ministre de la police qui en sera le président.
2°. – Du Directeur général de la santé.
3°. – Du Président de la Faculté de médecine.
Art. 4e. – Le Conseil s’occupera de la surveillance des centres suivants :
a) Le corps des “médicos del pueblo”.
b) La prophylaxie vénérienne et les autres établissements d’hygiène32. »
41Ce document est intéressant à un double niveau : en désignant le Ministre de la police comme président du Conseil, le gouvernement ancre définitivement la question de l’hygiène publique dans l’appareil répressif. Ainsi, renforçant un principe déjà présent dans le règlement de 1894, la protection sanitaire de la société costaricienne semble passer inévitablement par la surveillance médicale de la population en général et des individus dangereux en particulier. Dans ce cas précis, « protection » rime avec « répression ». Parallèlement, il démontre la place toujours prépondérante occupée par la prophylaxie vénérienne, seule citée parmi l’ensemble des institutions hygiéniques, comme en attestent d’autre part, les mémoires du ministère de la police :
« Les maladies vénériennes peuvent être considérées de manière juste comme le plus grand fléau des temps modernes, étant réellement un danger pour la santé publique, un danger pour la famille et une menace contre la vitalité, la santé et le progrès physique de la race ; leur prophylaxie est un des problèmes les plus pressants parmi ceux contre lesquels la médecine préventive doit lutter au quotidien33. »
42Ainsi, dans cet extrait, l’importance accordée par le ministère au développement des maladies vénériennes apparaît renforcée par l’emploi d’un vocabulaire excessif. En effet, les autorités faisant apparaître le sacrifice des prostituées en faveur des intérêts de la part respectable de la société comme un acte « juste », elles témoignent de l’existence d’une échelle de valeur sociale entre les différentes catégories de population qui compose l’ensemble social. De sorte que ce texte résume parfaitement la signification sociale du contrôle mis en place contre la propagation des maladies vénériennes : entrant dans le cadre d’une action « juste », parce que dans l’intérêt du plus grand nombre, la surveillance de la propagation de ces maladies acquiert tous les droits.
43Toujours selon cet objectif, le sous-secrétariat d’État de l’hygiène et de la santé publique dans le département de la Police est créé en 1922. Un pas de plus est franchi dans l’institutionnalisation de la surveillance médicale :
« Art. 1er. – Il est créé un sous-secrétariat d’état au Département de la police pour s’occuper exclusivement des affaires liées à l’hygiène et à la santé publiques.
Art. 2e. – Ce sous-secrétariat est chargé de résoudre les affaires précitées et de rédiger les règlements qui lui semblent nécessaires pour leur meilleure organisation et mise en application34. »
44En intégrant ce sous-secrétariat au département de police, les autorités renforcent la relation entre police et santé, démontrant la perpétuation de leur volonté de protéger la santé publique moins par la prévention sanitaire que par la répression policière.
45Enfin, en 1927, la question de l’hygiène acquiert une certaine autonomie avec la création d’un secrétariat d’État particulier qui vient remplacer le sous-secrétariat crée en 1922, à l’intérieur du département de la Santé publique et de la Protection sociale :
« Article unique. – Il est créé le Secrétariat d’état au Département de la santé publique et de la protection sociale, dont les fonctions seront les suivantes :
a) Celles qui sont actuellement attribuées par la loi sur la protection de la santé publique au Sous-secrétariat de l’hygiène et de la santé publique.
b) Celles correspondant au secteur de l’aide sociale.
c) Celle correspondant actuellement au Ministère de l’intérieur et de la police en rapport avec l’hygiène locale35. »
46La santé publique est désormais couplée avec la protection sociale et elle n’est plus sous la tutelle du ministère de la Police. Si cela ne signifie pas la fin de toute répression en matière de protection de la santé publique, cette initiative gouvernementale marque, tout au moins, la reconnaissance de la spécificité de la question hygiénique plus encline à prévenir qu’à contrôler et à réprimer.
⁂
47Cette mise en perspective législative visait moins à dresser un bilan exhaustif des législations promulguées et des institutions mises en place pendant la période étudiée, qu’à inscrire la répression de la prostitution telle qu’elle est prévue par le règlement de prophylaxie vénérienne de 1894 dans un contexte plus général : la protection de la santé physique et morale de la population costaricienne. L’intérêt de cette étude est d’éclairer la signification des divers aspects du règlement de 1894 afin de ne pas les aborder de façon univoque, comme le simple reflet d’une volonté répressive, mais de les saisir dans toute leur complexité. Dans ce contexte, entre objectif affiché – le contrôle des prostituées – et objectif sous-jacent – la protection de la population en général –, il s’agit de s’interroger sur la nature et la signification de ce nouveau règlement. Il est alors intéressant d’observer certains cas concrets de mises en application de la loi de 1894 afin de mettre en évidence les difficultés engendrées par les ambiguïtés contenues dans la théorie législative.
Notes de bas de page
1 BNCR, La tertulia, 21-11-1834, n° 35, p. 178.
2 Tabbagh V., « Rouen 1438 : de l’extension du champ de la répression judiciaire en situation de crise », dans Benoît Garnot, De la déviance à la délinquance, xve-xxe siècle, Édition universitaire de Dijon, 1999, p. 13.
3 ANCR, Leyes y decretos, 1875, p. 259.
4 ANCR, Leyes y decretos, 1875, p. 259.
5 Dictionnaire Larousse : « Prostitution : acte par lequel une personne consent à des rapports sexuels contre de l’argent. »
6 Dictionnaire Larousse : « Concubinage : état d’un homme et d’une femme qui vivent ensemble sans être mariés. »
7 ANCR, Serie Policía, n° 10643, f. 2.
8 ANCR, Serie Policía, n° 12706, 1875.
9 ANCR, Serie Policía, n° 9978, 1882, f. 1.
10 ANCR, Serie Policía, n° 9978, 1882, f. 5.
11 ANCR, Leyes y decretos, 1887, p. 48-49.
12 ANCR, Leyes y decretos, 1887, p. 50-51.
13 ANCR, Serie Policía, n° 3442, 1887, f. 1.
14 ANCR, Serie Policía, n° 3442, 1887, f. 1v°.
15 ANCR, Policía, n° 10846, 1888, f. 1.
16 BNCR, La Republica, año III, n° 772, 06-03-1889, p. 2.
17 ANCR, Serie Beneficencia, 408, 03-07-1890, f. 2-2v°.
18 ANCR, Serie Congreso, n° 21424, 1925, p. 580.
19 La Gaceta, El Heraldo, La Prensa libre, etc.
20 BNCR, La Prensa Libre, año VI, n° 1564, 16-06-1894, p. 3.
21 BNCR, El Diarito, año I, n° 153, 16-06-1894, p. 3.
22 BNCR, La Prensa Libre, año VI, n° 1582, 10-07-1894, p. 3.
23 BNCR, El Diarito, año I, n° 153, 16-06-1894, p. 3.
24 ANCR, Leyes y Decretos, 07-08-1894.
25 ANCR, Leyes y Decretos, 07-08-1894, p. 88.
26 Ibid., p. 87.
27 ANCR, Congreso, n° 3529, 1897, p. 56-57.
28 ANCR, Leyes y Decretos, 1894, p. 89-90.
29 ANCR, Memoria, n° 663, 1929, p. xviii.
30 ANCR, Leyes y Decretos, 07-08-1894, p. 89-90.
31 ANCR, Leyes y Decretos, 1918, p. 367.
32 ANCR, Leyes y Decretos, 1918, p. 368-369.
33 ANCR, Memoria, 1919, n° 724, p. xxxvii.
34 ANCR, Leyes y Decretos, 1922, p. 22.
35 ANCR, Leyes y Decretos, 1927, p. 325.
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