Intervention orale de Marylise Lebranchu, députée du Finistère
p. 297-299
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Index géographique : France
Texte intégral
1Contrairement à Bernard Poignant et à François Cuillandre, moi « je suis tombée dans la politique quand j'étais petite ».
Origines familiales
2Je suis née à Loudéac en 1947 dans les Côtes-du-Nord, actuelles Côtes d'Armor où mon père était instituteur. Ma famille est originaire du Nord de la France, d'Étaples-sur-Mer et mon grand-père, marin-pêcheur, avait une famille nombreuse (12 enfants). Il y avait une ambiance de tribu. C'était une famille de tradition très catholique. Quelques-uns étaient communistes et ma grand-mère ne voulait pas les recevoir. Les enfants ont dû travailler jeunes (ramasser les balles de tennis à 6 ans par exemple) pour avoir un peu d'argent et faire des études. En 1940, à 18 ans, mon père était à l'École normale d'instituteurs d'Arras. Avec les bombardements la maison familiale a été détruite et mon père s'est replié dans les Côtes-du-Nord. Il a été hébergé par une famille d'agriculteurs moyens, dans un milieu social qu'il ne connaissait pas, différent des marins et des ouvriers du Nord. Très vite, comme on manquait d'instituteurs à cause des nombreux prisonniers en Allemagne, mon père a enseigné dans les Côtes-du-Nord. Il sera ensuite professeur de collège. C'était un matheux, un scientifique qui aurait voulu faire de l'histoire. Pendant environ 10 ans, notre maison est devenue le lieu de rendez-vous, de réunions et de discussions des gens de la gauche non communiste de Loudéac (une douzaine de militants), de la SFIO, du PSA puis du PSU. J'ai baigné dans ce milieu socialiste et comme il n'y avait que des filles dans la famille, mon père souhaitait que je reprenne le flambeau.
La formation
3À partir de l'âge de 10 ans environ, j'ai écouté les discussions politiques chez mes parents notamment Antoine Mazier, le leader du PSA et du PSU de Saint-Brieuc, et j'ai aussi rencontré Tanguy Prigent et j'ai beaucoup appris. Dans le Centre Bretagne, la révolution agricole est en marche dans les années 1960. Pour répondre à l'action des milieux catholiques et des patronages, les militants laïques ont développé une éducation populaire agricole. Mon père a créé un CETA laïc et organisé des conférences de formation agricole et un ciné club. À partir de l'âge de 13 ans, j'ai été autorisée à passer les films comme projectionniste après avoir assisté aux cours agricoles. C'était une vie très militante. Dans le pays de Loudéac, il y avait quelques points d'ancrage à la campagne. Par exemple, un facteur a organisé une section dans sa commune.
4On voulait m'envoyer à l'École normale mais je n'avais pas envie d'être enseignante. J'ai été collée volontairement au bac math élem par choix avec 18 en philosophie et 4 en maths. J'ai ensuite fait une classe préparatoire aux grandes écoles et des études d'histoire et de géographie. Pendant un an, j'ai été proche des marxistes-léninistes du PCMLF mais je n'ai pas adhéré à ce parti d'extrême gauche car il fallait une longue période d'apprentissage avant d'y entrer1.
5Je suis arrivée à Morlaix en 1972 où mon mari a trouvé du travail, au départ pour un an. Le socialiste Jean-Jacques Cléac'h a été élu maire de la ville où la gauche l'a emporté un an auparavant. Entre la fin du PSU et la mise en place du nouveau PS, entre les anciens de la SFIO, les PSU et le nouveau PS, l'ambiance est alors désagréable à Morlaix. De toute façon, j'ai trouvé un emploi dans une des sociétés dirigées par Alexis Gourvennec et le patron impose un strict devoir de réserve sur le plan politique. C'est pendant cette période que j'ai fait la connaissance de Marie Jacq, maire de Henvic dont je deviendrai l'assistante parlementaire.
L'engagement au PS et dans l'action politique
6Dans le Trégor finistérien marqué par l'héritage de Tanguy Prigent, héritage d'ailleurs mal revendiqué par les laïcs et les progressistes, les choses commencent à bouger notamment dans l'opposition entre laïcs et catholiques même si le cléricalisme reste fort dans le Léon. Si dans les années 1970, le rocardisme semble aller de soi dans le Finistère, à Morlaix lors du congrès de Metz en 1979, c'est douloureux : il y a de très fortes tensions entre les mitterrandistes et la majorité du PS et les rocardiens. Dans les meetings de Mitterrand et de Rocard, il y a deux publics bien identifiés.
7Marie Jacq m'a fait adhérer au PS en 1973 et en 1978, j'ai été responsable de sa campagne électorale. Progressant au 1er tour sur 1973, elle est élue de justesse au second alors que la gauche échoue au niveau national et elle est, avec Louis Le Pensec, la deuxième députée PS du Finistère. Je deviens son assistante parlementaire. En 1983, je suis élue au conseil municipal de Morlaix dans la municipalité de Jean-Jacques Cléac'h et je deviens présidente du syndicat intercommunal. En 1989, la liste Cléac'h est battue dès le premier tour2. En fait, ce jour-là on solde les vieux comptes au sein de la gauche socialiste et du PS morlaisien car il n'y a jamais eu de réconciliation entre les ex-SFIO et les ex-PSU. En 1995, on est reparti d'un bon pied et on a repris la mairie à un candidat centriste et à la droite.
8En 1993, j'ai été la candidate du PS aux élections législatives. Grâce à tous les militants, la campagne s'est déroulée dans une bonne ambiance. Certes, dans le contexte général de 1993, j'ai été battue mais nous étions majoritaires sur Morlaix. Et en 1997, nous l'avons emporté et je suis entrée dans le gouvernement de Lionel Jospin jusqu'en 2002. Aujourd'hui, en décembre 2005, le climat politique est très différent de celui des années 1970-1980 : il y avait de l'enthousiasme, l'espoir fort de changer les choses, l'internationalisme, le souvenir encore actif de 1936 et de 1945. Il y a eu en 1983-1984 le tournant majeur du réalisme face à l'utopie. La politique perd son langage et est beaucoup plus compliquée. Au pouvoir, la technicité politique remplace le discours politique.
9Intervention orale enregistrée, transcrite et résumée par Christian Bougeard.
Notes de bas de page
1 Le PCMLF est un parti marxiste-léniniste « maoïste » fondé en 1967 et dissous lors des événements de mai-juin 1968. Il se reconstitue clandestinement et s'exprime au travers du journal et de l'organisation L'Humanité Rouge. Ce parti d'extrême gauche connaît des scissions en 1969-1970. En Bretagne, les groupes Le Travailleur de l'Ouest et Drapeau Rouge-Rennes révolutionnaire sont issus du PCMLF au début des années 1970.
2 En 1990, au congrès de Rennes, Marie Jacq, députée de Morlaix et Jean-Jean Cléac'h, conseiller général de Morlaix soutiennent la motion Rocard.
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