1 Ce travail reprend et synthétise, en ciblant la question
de la représentation de l’Indien et de sa place dans le projet libéral
bolivien, différents résultats et réflexions de l’ouvrage Martinez F., « Régénérer la race ». Politique
éducative en Bolivie (1898-1920), Paris, IHEAL-La Documentation
Française, 2010.
2 Quoique
marquant une claire étape de prise en charge, par l’État, de la
diffusion des savoirs formels, l’étape libérale est généralement évoquée
de façon très polarisée. Et c’est notamment la façon dont on considère
que ces élites ont géré ou non « le problème indien » qui semble
justifier ces appréciations contrastées : alors que pour certains, les
libéraux ont inauguré une période riche et féconde en cherchant enfin à
assimiler l’Indien à la nation (E. Finot), pour d’autres ce ne fut
qu’une période de promesses mensongères, d’abus et d’oppression d’une
race indigène méprisée que l’on cherchait juste à réprimer (E. Pérez, R.
Choque, R. Conde Mamani). D’un côté des générations liées au
libéralisme, adhérant au projet de progrès national par l’école et aux
réformes lancées par des hommes comme Montes, Saracho, Bustamante,
Rouma, etc. D’un autre les représentants des deux grandes tendances
majoritaires de la pensée historique de la deuxième moitié du xxe siècle : ceux qui ont puisé
leurs références historiques dans la Révolution nationale de 1952 et ont
appris à diaboliser un siècle d’histoire politique globalement considéré
comme le règne des despotes ; et ceux qui tendent à prôner, depuis les
années 1970, une histoire indigéniste ou indianiste, dans laquelle
toutes les avancées éducatives seraient le fait de mobilisations des
secteurs subalternes, qui ont fait l’histoire de leur éducation. Dans
les deux cas, l’ère libérale reste une ère d’abus de l’élite blancoïde
au pouvoir.
3 Ceux de Peñas, Corocoro
et Ayoayo contre l’armée conservatrice, ou de Mohoza contre un bataillon
libéral. Voir Condarco Morales R., Zárate el temible Willka : historia
de la rebelión indígena, La Paz, Editorial
Renovación, 1983 ; Martinez
F., « La peur blanche : un moteur de la politique éducative
libérale (1899-1920) », Bulletin
de l’Institut Français d’Études andines, t. 27 (2), 1998,
p. 265-283 ; Rodríguez Forest A., Documentos para la historia de la
guerra civil, Sucre, Gobierno municipal, 1999 ; Mendieta P., Entre la alianza y la confrontación.
Pablo Zárate Willka y la rebelión indígena de 1899 en Bolivia, La
Paz, Ifea-Plural-IEB, 2010 ; Gotkowitz L., La revolución antes de la revolución.
Luchas indígenas por la tierra y la justicia en Bolivia 1880-1952,
La Paz, Plural, 2012.
4 Bourdieu P. et Passeron J.-C., Les Héritiers, Paris, Les
Éditions de Minuit, 1964 ; et La
Reproduction, Paris, Les Éditions de Minuit, 1971.
5 Oficina
Nacional de Inmigración, Estadística y Propaganda Geográfica, Censo General de la población de la
República de Bolivia según el empadronamiento de 1° de septiembre de
1900. Nous avons pu consulter et travailler sur sa réédition de
1973 (Cochabamba, ed. Canelas, 2 tomes).
6 Selon la loi des trois états
d’Auguste Comte, toute société s’acheminait progressivement vers un
état scientifique idéal. Pour ce faire, elle passait successivement
d’un état dit « théologique » (celui des sociétés primitives où le
surnaturel domine comme cause et explication de tous les phénomènes)
vers un état dit « métaphysique » ou « critique » (celui des
révolutions, de la formation des partis politiques) pour avancer vers
l’état ultime et idéal dit « positif » (où règneraient enfin la
science et le progrès).
7 Durán J.,
Instrucción pública en Bolivia.
Causas de su estacionarismo. Indicaciones para su mejora,
Cochabamba, Tip. Industrial, 1904, p. 5.
8 « Tout établissement d’instruction, à tous ses
degrés d’enseignement, officiel, libre, civil ou religieux, relevant
d’un régime spécial ou général, est soumis aux lois et aux décrets
dictés par les pouvoirs législatif et exécutif, au plan scientifique
comme au plan disciplinaire ou économique » (Anuario de Leyes, Decretos y
Resoluciones Supremas de 1900, La Paz, Imp. Los debates,
p. 124).
9 Le cancelario
était un représentant direct du ministre de l’Instruction
publique dans les régions, responsable de l’éducation, au sein d’un
district dépendant d’une université. À partir de 1905, il fut désigné
sous le nom de rector (en
excluant ce titre pour les chefs d’établissement, qui étaient désignés
comme directores).
10 Cf. Martinez F., « L’Église et les
congrégations religieuses à l’épreuve du libéralisme bolivien :
débats, résistances et tolérances éducatives », in T. Gomez (éd.), La laïcité dans le monde ibérique
et ibéro-américain et méditerranéen : idéologies, institutions et
pratiques, Paris, université Paris X, 2007,
p. 279-294.
11 Les investissements très limités les premières années
(la guerre de l’Acre explique que le budget éducatif ait même été en
baisse en 1903) n’ont de cesse de croître, à partir de
1905.
12 Ils représentaient 2 % du budget national à la fin du
gouvernement de José Manuel Pando, puis ils furent multipliés par 7
entre 1904 et 1905 et continuèrent d’augmenter de 20 % en moyenne
jusqu’à la fin du ministère de Juan Misael Saracho, en 1909, où ils
étaient déjà supérieurs à 10 % du budget national.
13 Il est à noter que si le matériel scientifique venait
d’Europe (lunettes, microscopes…), les textes et le mobilier (chaises,
pupitres) venaient des États-Unis, confirmant les registres
différenciés de ces modèles, soulignés par Denis Rolland, avec une
Europe plus « élitiste » et des États-Unis plus « démocratiques », in
La crise du modèle français.
Marianne et l’Amérique latine. Culture, politique et identité,
Rennes, PUR, 2000, p. 28.
14 « Informe del Comisionado boliviano sobre estudios de
instrucción pública en el extranjero », in Mensaje del presidente
constitucional de la República al Congreso Ordinario de
1906.
15 Il y
eut 90 écoles primaires publiques créées sous le ministère de Juan
Misael Saracho. À la fin de ce ministère nous avons pu vérifier que 65
fonctionnaient bien en août 2008, quand il n’en existait que 74
(publiques) en 1903.
16 Wilson
Baronne (de), América en
fin de siglo, Barcelone, Imp. de Henrich y Cía, 1897,
p. 270.
17 « Llevarle la cartilla civilizadora » selon
l’expression de Misael
Saracho J., in Memoria del Ministro de Justicia e
Instrucción pública (J. M. Saracho) al Congreso Ordinario de
1906, La Paz, 1906, p. 30.
18 Selon l’expression de Jean Meyer
in Historia de los cristianos
en América Latina, Mexico, Vuelta, 1989, p. 18. Voir García Jordán P., « Yo soy libre y no indio : soy
guarayo » : Para una historia de Guarayos,
1790-1948, La Paz, IFEA, 2006.
19 Pour plus de détails sur cette
expérience, cf. Martinez
F., « La création des “escuelas ambulantes” en Bolivie (1905) :
instruction, éducation, ou déculturation des masses indigènes ? », in A. Redondo (dir.), Relations entre identités
culturelles dans l’espace ibérique et ibéro-américain. II : élites et
masses, Cahiers de l’UFR d’Études ibériques et latino-américaines
n° 11, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1997,
p. 161-171.
20 Nous avons travaillé à partir
des journaux de tendance libérale (La Mañana de Sucre et El Diario de La Paz), de
journaux conservateurs ou « libéraux critiques » (La Industria de Sucre et La Época de La Paz) et
d’autres dits indépendants comme El Comercio de La Paz, dont
les articles éducatifs de la période libérale ont été systématiquement
compulsés, de même que pour les revues éducatives comme la Revista de Instrucción du
Colegio Nacional de Junín de La Paz, la Revista Escolar des écoles
municipales de Cochabamba, la Revista de Instrucción
Primaria de Potosí.
21 Quiconque satisfaisait un vague critère de
« compétence et moralité » exigé par la loi pouvait alors s’improviser
maître d’école.
22 D’une part, on fait venir des
maîtres formés à l’étranger, d’autre part, on envoie des boursiers
boliviens pour se former dans des écoles normales étrangères et
revenir une fois diplômés.
23 En 1900, l’école répondait à une
peur qui était le danger potentiel d’un soulèvement indien (cf. Martinez F., « La peur
blanche : un moteur de la politique éducative libérale
[1899-1920] », Bulletin de
l’Institut Français d’Études andines, Lima, 1998, t. 27 [2],
p. 265-283). Il fallait donc pouvoir « assimiler » ces populations
en tentant de les incorporer à la nation. En 1910, l’école semble
devoir répondre à une autre crainte : l’ascension sociale du cholo, ce métis à mi-chemin
entre la barbarie des Indiens et la civilisation des élites, qui
n’aurait su être placé sur un pied d’égalité.
24 Pour plus de détails sur
cette polémique, cf. « Le renouveau du système éducatif en Bolivie
au début du xxe siècle : la polémique
Tamayo/Guzmán, 1910 », América, Cahiers du CRICCAL,
n° 20, « Polémiques et manifestes », Paris, Presses de la Sorbonne
Nouvelle, 1998, p. 255-264 ; et« Régénérer la race. » Politique
éducative en Bolivie (1898-1920), op. cit.,
p. 255-263.
25 Rouma G., Les Indiens Quitchouas et Aymaras
des Hauts plateaux de la Bolivie, Bruxelles, Misch & Thron
Éd., 1913, p. 67.
26 Pour plus de précisions sur ce thème, cf. Martinez F., « Régénérer la race ». Politique éducative en Bolivie
(1898-1920), op. cit., p. 270-282.
27 « La
educación en Suecia. Informe del Comisionado de Instrucción pública
de Bolivia », Revista de
Instrucción Pública, 1re année, n° 8, avril 1908,
p. 37.
28 « La higiene de los estudios », Revista de Educación
Nacional, 1re
année, n° 1, mai 1910, p. 15.
29 Cf. Martinez F., « Régénérer la race. » Politique
éducative en Bolivie, op. cit. p. 354 et suiv. ;
Quintana J. R., Soldados y ciudadanos,
La Paz, PIEB, 1998, p. 38 ; Dunkerley J., Orígenes del poder militar,
La Paz, Plural, 2006 (1987), p. 119-121.
30 Memoria de
Justicia e Instrucción pública presentada al Congreso Ordinario de
1910 por el Ministro del Ramo Bautista Saavedra, La Paz,
Artística, 1910, p. lxxxv.
31 Discours de rentrée scolaire de 1913 publié
dans la presse sous le titre : « La evolución actual de la
instrucción pública », La
Mañana, Sucre, 8e année, n° 1868,
17 janvier 1913, p. 2.
32 « Una entrevista con Mr
Rouma », La Mañana,
Sucre, 9e année,
n° 2126, 13 février 1914, p. 2.
33 Cf. Eduardo Nina
Qhispe et son Centro Educativo Collasuyo (Mamani Condori C. B., Taraqu, 1866-1935 : masacre,
guerra y « renovación » en la biografía de Eduardo L.
Nina Qhispi. La Paz, Aruwiyiri, 1991) et surtout Elizardo
Pérez, valorisant l’initiative des « écoles ambulantes » mais
considérant pourtant que l’étape libérale avait globalement
davantage cherché à réprimer l’Indien plutôt qu’à l’éduquer. Ils
mettent en place, en 1931, l’école-ayllu de Warisata qui rayonna
comme modèle d’école indigène, jusqu’à sa fermeture en 1940 (Pérez E., Warisata la escuela ayllu,
La Paz, Burillo, 1962).
34 Cf. « Régénérer la race. » Politique
éducative en Bolivie, op. cit., en particulier chap. x, « Les bons rôles et les
bonnes distances ».