Les élus socialistes en Bretagne au temps de la SFIO
p. 83-93
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Texte intégral
1Après la Seconde Guerre mondiale, les élus constituent le cœur de l'organisation socialiste. J'ai montré à travers plusieurs études et communications à des colloques1 que leur place relative n'a cessé de se renforcer dans le parti, même durant les vingt-cinq dernières années de la SFIO, du fait du repli militant. La part majeure prise par les élus fait encourir le risque d'une contradiction entre la prétention du PS à offrir l'image d'un parti populaire, ou en tout cas démocratique, et la réalité d'un parti de « notables ». Qu'en est-il en Bretagne ? Jusqu'à la disparition de la SFIO, celle-ci a été une « terre de mission » pour les socialistes au même titre que l'Ouest intérieur, la Normandie et l'Est du pays. Puis, après Épinay, la formidable progression socialiste dans les années 1970 et surtout 1980, s'est certes affirmée par un afflux de militants, mais surtout au plan électoral, avec la conquête progressive de trois départements sur quatre par les élus socialistes – le dernier département devant bientôt tomber, semble-t-il — et la région a basculé déjà. Y a-t-il une continuité entre les deux périodes ? Où est-ce que cette progression s'expliquerait par le ralliement de nouveaux milieux, essentiellement chrétiens ou par la puissance de l'exode rural et la rapide modernisation de la région ? Pourtant Frédéric Sawicki2 l'a montré, pour l'Ille-et-Vilaine tout au moins, la part de l'apport SFIO a été importante et le développement du PS s'est construit autour de celui-ci. De quel héritage socialiste ancien partait le PS en Bretagne ? Quelle est l'importance du réseau d'élus nationaux et d'élus locaux du PS qui lui a été transmis par la SFIO ? Ce réseau d'élus a-t-il d'ailleurs connu une progression en Bretagne comparable à celle constatée au plan national, ou relève-t-on un autre modèle d'implantation ?
2Sur cette longue séquence de soixante-cinq années qui sépare le congrès d'unité de 1905 des congrès constitutifs de 1969 qui voient la disparition de la SFIO, il est possible de comparer l'implantation des élus en fonction des différentes échelles d'élections sur le plan régional. Cette réflexion sur les élus SFIO dans cette région est guidée par une série de questions classiques. Peut-on parler d'une faiblesse générale des édiles et élus départementaux et nationaux ? Certains niveaux sont-ils mieux représentés que d'autres ? Si oui, lesquels et où se situent-ils ? La Bretagne constitue-t-elle un ensemble cohérent, homogène dans l'implantation de ses élus, ou trouve-t-on plusieurs formes d'implantation ? Peut-on encore dresser une typologie des fédérations ? L'échelle départementale est-elle pertinente ou ne doit-elle pas être dépassée ? Mon approche est enfin fondée sur la question du particularisme : existe-t-il une spécificité des élus bretons par rapport à l'ensemble des élus en France ou sommes-nous dans un « territoire inventé » ?
3Naturellement, je ne peux prétendre examiner dans le cadre de ce papier l'ensemble des élus socialistes se réclamant de la SFIO, d'autant plus que les sources actuellement à ma disposition ne le permettent pas. Je procéderai donc par coups de projecteur, comparaisons et hypothèses. Pour amorcer cette étude, je propose donc une vue cavalière de ces grands élus de Bretagne au temps de la SFIO, parlementaires et conseillers généraux. Pour les élus locaux, les informations disponibles étant plus parcellaires, l'enquête nationale du ministère de l'Intérieur sur les élus municipaux en 1953 (elle a l'intérêt d'être exhaustive et ayant travaillé sur d'autres régions, elle me fournit la base pour des comparaisons) livre une riche matière pour une étude de cas à partir de laquelle je peux dans un second temps proposer quelques pistes3.
Les élus nationaux, 1910-1969
4La représentation parlementaire est très limitée en Bretagne au temps de la SFIO qui n'a guère hérité des formations socialistes antérieures sur ce plan. Le premier député socialiste SFIO a été élu en 1910 seulement et l'on compte, durant les soixante années suivantes, quinze députés seulement pour la région et un seul sénateur, qui n'a pas été député auparavant4. Soit en tout et pour tout seize parlementaires, alors que la région en a compté plusieurs centaines5. C'est peu, certes, mais quelques enseignements peuvent être tirés de ce corpus limité.
5Cette représentation parlementaire modeste subit tout d'abord des aléas nombreux. La progression est lente : un député en 1910, trois en 1919, quatre au moment du Front populaire, puis on compte huit élus sur la séquence 1945 et 1946 (six députés et deux sénateurs). Ensuite, la naissance de la Ve République marque une véritable rupture, il n'y a qu'un parlementaire breton SFIO dans les années 1960 : Alainmat, élu en 1967 dans le Morbihan. Certes, on peut lui ajouter dans le Finistère le dissident PSU Tanguy Prigent puis son successeur Roger Prat en 1967 et Yves Le Foll dans les Côtes-du-Nord, mais cela reste très faible. Lors de trois élections (1958, 1962 et 1968), la SFIO n'a eu aucun représentant national dans les quatre départements. Elle en a un (1958, 1968) ou deux (1967) en Loire-Atlantique. Chronologiquement, la présence des parlementaires socialistes s'est donc lentement renforcée, puis s'est effondrée brusquement avec la Ve République, pour se développer ensuite rapidement du temps du PS. Il faudra vérifier si l'on retrouve ces mêmes séquences chronologiques pour les élus locaux.
6La représentation géographique est aussi inégale pour les années SFIO : six élus du Finistère de 1910 à 1969, quatre des Côtes-du-Nord, trois pour chacun des deux derniers départements, soit deux fois moins que pour le Finistère. Leur longévité est aussi très variable : alors que quatre parlementaires n'ont été élus qu'une fois, dont trois pour deux ans seulement (Le Strat, Mao, Quessot), neuf sur seize sont élus dix ans et plus. Finistère, terre fidèle : notons que quatre Finistériens, Goude, Rolland, Tanguy Prigent, Masson sont en place vingt ans et plus, élus au moins à quatre reprises, Tanguy Prigent étant, lui, élu sept fois sous l'étiquette SFIO, puis une fois comme PSU. Moins souvent renouvelé, Masson est parlementaire de 1919 à 1955, avec une parenthèse de dix années de 1936 à 1946. La continuité n'est donc forte que dans le Finistère.
7Si l'on croise les deux informations, provenance et périodes, l'inégalité est encore plus flagrante au profit du Finistère qui a quatre élus entre 1910 et 1940, alors que les trois autres départements n'ont qu'un seul élu chacun avant la Seconde Guerre mondiale. Il faut même attendre la période du Front populaire pour que les Côtes-du-Nord (devenues d'Armor) élisent un SFIO. Et seul le Morbihan a un élu dans les années 1960. Autant dire qu'à la faiblesse de la représentation socialiste s'ajoute au niveau des parlementaires l'inégalité permanente de celle-ci.
8L'image renvoyée, si l'on en reste aux parlementaires, est donc contrastée : faiblesse de la représentation bretonne, avec une domination plus nette du Finistère, le premier département à avoir des élus et qui seul dispose de plusieurs notables solidement implantés jusqu'à l'orée de la Seconde Guerre mondiale.
9Remarquons encore que cette représentation parlementaire régionale faible est aussi originale au regard de la représentation SFIO au plan national. Pour ne prendre que l'exemple de la composition socioprofessionnelle des élus, le corpus des élus bretons comprend sept enseignants (quatre instituteurs et trois professeurs), cinq employés à statut (deux agents de la Marine, deux agents PTT et un cheminot) et quatre agriculteurs (dont trois des Côtes-du-Nord). Par rapport aux études publiées sur les parlementaires6, il y a sur-représentation du monde rural et des enseignants. On ne s'étonnera pas de ne voir aucun ouvrier véritable, à part le cheminot Quessot, mais remarquons l'absence de représentants des commerçants et surtout des professions libérales. Il n'y a, par exemple, aucun médecin, aucun avocat, aucun journaliste, figures si courantes dans les groupes socialistes au plan national. Mais la faiblesse du corpus n'autorise pas des conclusions tranchées.
Les élus départementaux, 1910-1969
10Le corpus des élus départementaux de la SFIO est plus important, mais il reste lui aussi modeste comparé à celui du parti socialiste au plan national. J'ai décompté 58 conseillers généraux élus entre 1905 et 1970 sous l'étiquette SFIO, ou ayant siégé un temps au moins sous cette appellation. Plus de la moitié (31) n'a été élue qu'une fois, mais 27 ont connu au moins une réélection7. Notons une spécificité bretonne, pour cette période tout au moins : la quasi-absence d'héritiers (seul à ma connaissance, Louis Morel a eu un père conseiller général).
11L'observation des générations d'entrants aux assemblées départementales bretonnes permet de retrouver à ce niveau aussi l'antériorité finistérienne : avant la Première Guerre mondiale, les deux seuls élus, Goude et Masson, viennent de ce département8. Alors qu'au plan national nous avons décompté 171 élus SFIO dans cette période 1905-1914, la place des départements bretons est bien modeste, avec deux élus pour quatre départements. Cette faiblesse bretonne n'est pas exceptionnelle alors : elle est quasi générale dans le grand Ouest du pays où seuls émergent la Haute-Vienne (onze élus avant 1914) et la Gironde et les Deux-Sèvres (2 élus chacun), sans oublier la Lorraine et la Champagne (à l'exception des Ardennes) qui comptent très peu d'élus départementaux. La Bretagne n'est pas la seule terre de mission du socialisme à cette étape.
12Au lendemain de la Grande Guerre, un seul socialiste, Quessot, d'Ille-et-Vilaine, est élu en dehors du Finistère, département où les deux sortants sont donc reconduits en 1919. Aucun ne participera à la scission de l'année suivante. La résistance des élus au communisme en 1920 et leur place essentielle dans la reconstruction du parti sont bien connues depuis la thèse de Tony Judt. Elles sont confirmées dans le cas breton au niveau des maires9. Mais la question ne se pose guère au niveau départemental du fait de la faiblesse de l'implantation des conseillers généraux. Notons toutefois que le secrétaire de la première fédération communiste du Finistère, Jean Le Treis, était un ancien secrétaire fédéral et conseiller d'arrondissement de la SFIO.
13Les vingt années de l'entre-deux-guerres confirment l'antériorité et l'avance des socialistes finistériens à ce niveau d'élus, comme pour les parlementaires : ils sont neuf conseillers généraux, dont sept nouveaux au cours de la période. Les socialistes du Morbihan obtiennent, eux, quatre élus. Viennent loin derrière les deux autres départements : Quessot reste le seul SFIO à l'assemblée départementale d'Ille-et-Vilaine (il siège en continuité de 1919 à 1940) et les portes de l'assemblée des Côtes-du-Nord restent fermées aux socialistes jusqu'en 1937. Au total, j'ai dénombré 14 conseillers généraux socialistes dans l'entre-deux-guerres pour les quatre départements et 15 élus sous l'étiquette SFIO depuis le début du siècle. Seuls quatre d'entre eux franchiront le cap de la Seconde Guerre mondiale et seront réélus après.
14Avec 27 élus pour la région, on assiste à la Libération à un saut qualitatif indiscutable, par les succès remportés par les candidats SFIO d'une part, mais aussi par le ralliement d'élus venus du radicalisme, d'autre part, dans le Morbihan et surtout dans les Côtes-du-Nord. De ce fait, ce dernier département, avec douze élus départementaux, concentre environ 45 % des élus bretons du moment. François Clech est même président du conseil général des Côtes-du-Nord de 1947 à 1949. Dix de ces douze élus sont des hommes nouveaux, les exceptions étant F. Clech, ancien conseiller d'arrondissement radical, et Louis Morel, ancien conseiller général radical. On trouve par ailleurs six élus pour le Finistère (dont deux sortants, Jean Julien et Tanguy Prigent, et un ancien conseiller d'arrondissement, Postellec), trois pour l'Ille-et-Vilaine et cinq pour le Morbihan (7 avec les radicaux ralliés Bigno et Le Moenic). Parmi les réélus vétérans des luttes socialistes signalons encore Quessot à Rennes et Svob à Lorient. De 1946 à 1958 compris, neuf autres conseillers généraux sont élus sous l'étiquette SFIO.
15Entre 1959 et 1968, alors que la représentation parlementaire socialiste a pratiquement disparu dans la région, le réseau d'élus départementaux résiste mieux puisque l'on compte onze élus SFIO pour la période. Ajoutons qu'il y a parmi eux six nouveaux élus SFIO aux trois scrutins de 1961, 1964 et 1967 : trois dans le Finistère (Boëdec, Huitric, Linement), deux dans les Côtes-du-Nord (Jagoret, Nogues), un dans le Morbihan (Le Moing). De plus, le PSU compte neuf élus, tous anciens SFIO dont cinq anciens conseillers (Jagoret, Le Guyader, Mazier, Morel, Tanguy Prigent) et quatre nouveaux élus (Larher, Le Coquil, Le Foll, Prat). En tout, dix-huit élus SFIO et PSU dans la période, dont dix nouveaux (Jagoret constituant un cas particulier en passant au PSU dans les années 1960).
16Sur les 58 conseillers généraux, nous connaissons la profession de 56. Parmi eux, quinze agriculteurs (la plupart propriétaires-exploitants), dix artisans-commerçants (dont trois charrons), quatorze enseignants (dont six instituteurs), onze employés (dont trois de la marine, deux des PTT, deux employés de coopératives), trois fonctionnaires (dont l'un devint garagiste) et seulement un cadre et trois professions libérales (deux médecins et un notaire). Ces élus ne diffèrent guère des parlementaires, si ce n'est qu'ils sont de milieux encore plus modestes, souvent proches des agriculteurs, qu'ils le soient eux-mêmes ou artisans ruraux, voire instituteurs. On ne trouve toujours pas de représentants des professions indépendantes, très peu de professions libérales, ni hauts fonctionnaires ou professeurs du supérieur, ni avocats. Il y a peu d'ouvriers : Quessot et Postollec, qui a été un temps ouvrier avant de devenir représentant. On est loin ici du modèle du Nord-Pas-de-Calais, où ouvriers et enseignants dominent tour à tour, ou du modèle du Midi, avec de nombreux représentants des professions libérales.
17Sans être très importante, et tout en étant inégalement répartie dans le temps et dans l'espace, la SFIO dispose en Bretagne d'une représentation nationale et départementale qui est loin d'être négligeable. Elle est conforme au terrain, privilégiant des élus venus du monde rural dominant et des deux ports que sont Brest et Lorient, ainsi que, dans une moindre mesure, de Rennes. Au plan de l'assemblée départementale enfin, la SFIO a nettement mieux résisté en Bretagne lors des scrutins locaux. Il semble qu'il en soit de même au plan des municipalités. Les élections municipales de 1953 montrent à ce niveau un maillage local non moins intéressant.
Les maires bretons en 1953
18Les résultats des élections municipales de 1953, situées pratiquement à mi-temps de la IVe République, n'ont rien d'exceptionnel pour la SFIO, tout au moins par rapport aux hautes eaux de 1945 et surtout de 1947. Profitant involontairement de la conjoncture mouvante, les socialistes avaient, selon les cas, participé à leur avantage à des alliances d'Union des gauches, ou au contraire à des alliances anticommunistes. Lors de ce scrutin de 1953, les socialistes subissent un recul relatif, perdant des municipalités importantes dans le Finistère et 238 sièges de conseillers municipaux dans les localités de moins de 9 000 habitants, au profit souvent des radicaux et divers RGR. On peut pourtant considérer que, plus qu'un recul, les élections de 1953 correspondent à un moment de consolidation. Elles permettent donc d'appréhender l'implantation municipale des socialistes à un moment qui n'est pas exceptionnel.
19Si on se livre à l'inévitable critique des sources, on signalera que les classements politiques établis par les préfets sont discutables dans le détail : ainsi, la nuance politique des maires est généralement bonne, quand celle des conseillers municipaux comporte sans doute une part d'estimation. On sait ainsi que, pour s'en tenir aux socialistes, tous les « SFIO » retenus par la préfectorale n'ont pas leur carte du parti, même certains maires, et que, à l'inverse, certains se déclarent « divers gauche » pour mieux se faire élire, alors qu'ils sont adhérents et votent sans faille pour les candidats socialistes aux sénatoriales. On observe d'ailleurs que les résultats des élections au Conseil de la République des années 1950 confirment les chiffres globaux d'élus socialistes et mieux même car de nombreux « divers gauche » votent dès le premier tour pour les candidats SFIO. Les déclarations en préfecture sont donc globalement acceptables et constituent un geste politique significatif. Examinons-les en commençant par les maires.
20On compte 182 maires étiquetés SFIO après les municipales de 1953 dans les quatre départements bretons : 72 dans les Côtes-du-Nord, 63 dans le Finistère, 25 en Ille-et-Vilaine et 22 dans le Morbihan. Soit pratiquement un rapport de un à trois entre les deux premiers départements cités et les deux derniers. Observons leur répartition en fonction de la taille des communes.
21Les socialistes ne gèrent en 1953 qu'une seule grande ville — Lorient, qui dépasse les 50 000 habitants mais se trouve être l'exception dans son département et plus encore dans la région. Puis viennent trois villes de plus de 10 000 âmes, Landerneau, Quimperlé et Concarneau. Au total, on trouve 50 communes de plus de 2 000 habitants10, contre 132 de moins de 2 000 habitants. En 1953 le socialisme breton est essentiellement rural et pratiquement inexistant, en dehors de deux départements et de la région de Lorient.
22Ce poids du rural se retrouve naturellement dans la composition sociologique des édiles. Les agriculteurs, au nombre de 83, représentent de loin le premier groupe d'élus (45 % des édiles). Leur statut est généralement précisé : il y aurait 40 propriétaires exploitants, mais pratiquement autant de « fermiers » (39) et seulement un ouvrier agricole. Puis on trouve 33 commerçants-artisans (18 %), dont nombre de charrons, forgerons, patrons pêcheurs, boulangers. Ces deux catégories d'agriculteurs et de commerçants-artisans représentent donc les deux tiers des maires. Viennent ensuite une cinquantaine d'élus regroupant les autres professions : 17 employés11, 11 enseignants, 10 fonctionnaires, 10 professions indépendantes, 4 cadres (dont trois spécialisés dans les domaines du monde rural), 3 ouvriers seulement et 8 retraités ou sans profession. Plus que le petit nombre d'ouvriers – qui est classique pour les élus en dehors des bassins miniers —, on remarquera le faible nombre d'enseignants et de fonctionnaires. Toutes catégories confondues avec les employés des collectivités locales, ils représentent environ 15 % des édiles. Nombre très restreint, surtout si l'on se réfère aux quelques listes de secrétaires de sections. Ainsi, pour le Finistère, les instituteurs semblent majoritaires parmi les secrétaires de sections alors qu'ils ne sont que deux à administrer une commune12. Par contre, les enseignants représentent plus du tiers des maires du Morbihan, département pour lequel le combat laïque est essentiel. Notons, enfin, la présence exceptionnelle de femmes : deux dans les Côtes-du-Nord et une dans le Finistère. Il n'y a là encore rien d'exceptionnel par rapport aux socialistes des autres régions et aux édiles des autres partis, en Bretagne ou ailleurs.
23La composition par âge est classique dans le mouvement socialiste pour cette catégorie d'élus dans les années 1950. Au total, les hommes mûrs compris entre 40 et 60 ans rassemblent les deux tiers des édiles13 (126 sur 181 connus) et l'on recense à peine 10 % de moins de 40 ans et plus de 20 % de plus de 60 ans.
24Tous niveaux confondus du maire au parlementaire, la proximité des élus avec leur milieu doit être relevée. La réussite relative des socialistes dans les deux départements du Finistère et des Côtes-du-Nord après 1945 s'explique en partie par leur capacité à s'implanter dans ce monde rural grâce à des représentants issus de ces milieux. En revanche, la faiblesse constatée dans le Morbihan et l'Ille-et-Vilaine se comprend par cette incapacité à sortir véritablement du monde urbain, des villes comme Lorient, Hennebont, Rennes et Fougères où leur présence est liée au monde ouvrier et à celui des fonctionnaires. La représentation des conseillers municipaux n'est pas moins intéressante.
Les conseillers municipaux en 1953
25Les informations sur les conseillers municipaux sont rares, seule leur présence ou leur absence est observable, mais celle-ci apporte des indications précieuses. Il y a 2 473 conseillers municipaux pour 1 319 communes (soit près de deux en moyenne) et au moins un élu socialiste dans 40 % des communes de la région en 1953. Ces chiffres peuvent surprendre par leur ampleur, surtout que près de 800 communes comptant moins de 1 000 habitants n'ont que onze ou treize conseillers municipaux. Ensuite, on constate qu'il y a pratiquement autant d'élus de base que d'adhérents ou plutôt de cartes achetées à la trésorerie nationale (2 473 contre 2 730), soit une différence d'environ 10 % seulement. Cette situation n'est pas totalement exceptionnelle au niveau français, on la retrouve par exemple dans une partie de la Bourgogne. Notons toutefois que dans le Nord le rapport entre les élus et les adhérents est de 1 à 4. Ceci laisse entendre que dans des régions comme la Bretagne, par-delà l'adhésion officielle au parti, existe une revendication socialiste non moins intéressante de nombreux élus de base dont nous pouvons supposer à la lecture du tableau suivant qu'ils appartiennent au monde rural.
26Ce simple constat remet en cause, me semble-t-il, certaines constructions auxquelles j'ai moi-même longtemps adhéré, sur les notions de militants, d'adhérents, d'élus. Il y a, à l'évidence, au moins deux niveaux d'implantation du socialisme en Bretagne qui se recoupent partiellement. Entrons maintenant dans le détail du terrain, en observant le niveau départemental.
27À examiner la Bretagne dans ces limites administratives actuelles, on distingue plusieurs ensembles dans les années 1950.
28Tout d'abord une présence forte de conseillers municipaux dans les Côtes-d'Armor actuelles (il y a au moins un élu socialiste dans plus d'une commune sur deux) et dans le Finistère (au moins un élu dans 40 % des communes) ; de plus, dans ces deux départements, le nombre d'élus est égal ou supérieur à 880. Cette présence est nettement supérieure à celle de l'Ille-et-Vilaine, où certes on compte des socialistes dans plus d'un tiers des conseils municipaux, mais où leur nombre total, 360, est comparable à celui du Morbihan où la présence d'élus socialistes fait exception, les trois-quarts des communes n'en ayant pas.
29Notons encore que les élus socialistes sont présents dans près de la moitié des communes des Côtes-d'Armor de moins de 1 000 habitants (les trois quarts des élus du département le sont d'ailleurs dans les communes de moins de 2 000 habitants). Ils sont à peine moins présents dans les réseaux de villages du Finistère, où ils font élire la moitié de leurs élus municipaux. Mais, dans ce département, les zones de force socialistes se situent dans les communes de taille moyenne, de 2 000 à 9 000 habitants. C'est dire que dès les années 1950 les fédérations socialistes de ces deux départements disposent d'un réseau de correspondants qui leur permet d'aller jusqu'aux plus petits villages, si ce n'est jusqu'aux petits écarts. Le fait mérite d'être noté.
30La structure des deux départements les plus pauvres en conseillers municipaux est pratiquement inverse. En Ille-et-Vilaine la majorité des conseillers est élue dans les communes de moins de 1 000 habitants, alors que dans le Morbihan les deux tiers des élus municipaux sont présents dans les villes moyennes de plus de 2 000 âmes (en fait essentiellement dans celles de 2 000 à 9 000 habitants). Le fait est d'autant plus remarquable que contrairement aux deux départements précédents, il n'y a pratiquement pas d'élus communistes et radicaux concurrents ici. La gauche y est surtout représentée par les socialistes SFIO et les divers gauches. Pour ces deux départements de l'Est et du Sud-Est, il y a des quasi-déserts socialistes, l'arrondissement de Vannes dans le Morbihan, celui de Redon et, dans une moindre mesure, celui de Saint-Malo dans l'Ille-et-Vilaine.
31À la limite, en termes de présence des conseillers municipaux, on peut distinguer quatre modèles si l'on s'en tient à l'échelle départementale ; plus encore si l'on descend à celle des arrondissements.
32Sans doute faudrait-il faire une cartographie précise de la présence des élus socialistes pour mieux apprécier les zones d'influence, telles que le Trégor, et les terres de mission véritables, comme le Léon. Mais l'influence inégale des socialistes, la diversité de leurs zones d'implantation en fonction de la taille des communes est encore plus flagrante ici que dans les résultats électoraux aux élections législatives.
33Ce survol du corpus des conseillers municipaux et maires socialistes de Bretagne en 1953 nous permet de voir leur présence, complémentaire et différente sur le terrain de la présence militante traditionnelle qui est, elle, regroupée par sections surtout urbaines. On observe encore une grande variété de types d'implantation, soit au moins un type par département, eux-mêmes composites. Mais, par-delà cette diversité, il apparaît que ce socialisme breton des années cinquante est profondément lié au monde rural, à celui des petites communes, avec des élus représentatifs de ce milieu rural, hormis dans le Morbihan où le socialisme est plus marginal mais aussi plus urbain. On est sans doute assez loin de la situation actuelle. Ce qui confirme, si besoin était, qu'il y a eu différents moments dans l'implantation du socialisme breton et qu'il faut affiner la chronologie, essentielle là aussi.
34La SFIO n'a jamais occupé la première place politique en Bretagne, à l'exception de quelques centres urbains comme Brest ou Lorient et à partir des années 1930 de petites zones comme le Trégor. Pourtant, elle a construit un réseau d'élus conséquent, qui ne se confond pas totalement avec le réseau militant, montrant une capacité certaine d'adaptation au milieu rural dans le Finistère et dans les Côtes-du-Nord après 1945. Dans les deux autres départements, les réseaux d'élus sont plus modestes. Mais ils ont mieux résisté que la représentation parlementaire, plus sensible aux aléas politiques nationaux et balayée pour cela par la vague gaulliste. Dans l'ensemble, un potentiel existait partout qui a fructifié en agglomérant d'autres apports, mais ceux-ci n'auraient peut-être pas suffi sans cette base locale. N'est-ce pas elle qui a manqué justement dans des régions comme la Lorraine ou l'Alsace ?
35Il apparaît que l'analyse du corpus des élus fournit des indicateurs fiables ou significatifs pour comprendre le développement — ou les difficultés — de ce parti. Il est ainsi évident que le parti socialiste est très faible là où les représentants de terrain ne sont pas présents et qu'il n'existe guère sans eux. On sait que les élus, tous niveaux confondus, représentent aujourd'hui une majorité des adhérents du PS au plan national. Il n'en était probablement guère différemment dans la Bretagne des années 1950, mais est-il sûr que ceci ne doive être vu que de façon négative ? Le socialisme français n'est-ce pas cela au moins autant que sa prétention démocratique de parti de militants qui n'a guère existé, lui, que par exception. Les élus sont la véritable colonne vertébrale du mouvement socialiste, et depuis fort longtemps. Le rapport des socialistes au pouvoir intègre cette dimension du local, mais la prégnance d'une culture étatiste, jacobine et révolutionnaire les conduit à en minorer l'importance. Faut-il être dupe ou regarder ce socialisme français tel qu'il est et non tel qu'il se voit et que la plupart le représentent ?
Notes de bas de page
1 Gilles Morin, « Jalons pour l'établissement d'une prosopographie des élus socialistes, 1905-1971 », dans Jacques Girault et al., L'implantation du socialisme en France au xxe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2001, p. 79-95.
2 Frédéric Sawicki, Les réseaux du Parti socialiste, sociologie d'un milieu partisan, Paris, Belin, 1997, 335 p.
3 Le dépouillement de cette gigantesque enquête se poursuit. Pour une première analyse régionale, voir Gilles Morin, « Le socialisme municipal dans la France septentrionale des années cinquante », Recherche socialiste, n° 23, juin 2003, p. 73-90.
4 Alainmat, Aubry, Goude, Henry, L'Hévéder, Le Coutaller, Le Maux, Le Strat, Mao, Masson, Mazier, Quessot, Reeb, Rolland, Tanguy Prigent, Thomas. Auxquels on pourrait ajouter huit députés de la Loire-Atlantique, dont deux élus en extrême fin de période, en 1967. Étude limitée aux quatre départements de l'actuelle région Bretagne.
5 Rappelons que, sans parler des sénatoriales, il y a eu seize scrutins législatifs entre 1910 et 1968. La région a eu en permanence plus de 25 députés : ainsi, en 1914, il y avait 36 députés en tout, soit 9 députés dans les Côtes-du-Nord, 11 dans le Finistère, 8 dans l'Ille-et-Vilaine et autant dans le Morbihan. En 1936, il y en avait 35, soit un de moins dans les Côtes-du-Nord. En 1945, il y en avait 30, 9 dans le Finistère, 7 dans chacun des trois autres départements. En 1967, il n'y en avait plus que 25, soit 5 dans les Côtes-du-Nord, 8 dans le Finistère, 6 en Ille-et-Vilaine et autant dans le Morbihan.
6 Principalement, Noëlline Castagnez, Socialistes en République. Les parlementaires SFIO de la IVe République, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004, 414 p.
7 Trois ont été élus à trois reprises, cinq quatre fois, trois cinq fois (Jean Coantiec, Hippolyte Masson, Eugène Quessot), trois élus six fois ou plus (Louis Morel, François Manach, François Tanguy Prigent).
8 Parlementaires, ils verront leurs mandats reconduits après le conflit, Masson siégeant de 1910 à 1951 à l'assemblée départementale, franchissant même allègrement le cap de l'après Seconde Guerre mondiale. Philippot étant élu une année seulement.
9 Tout au moins pour le Finistère où en 1919 les socialistes avaient emporté quelques grandes villes, comme Brest et Douarnenez. Voir Christian Bougeard et al., Les socialistes dans le Finistère, 1905-2005, Rennes, Éditions Apogée, 2005, 251 p.
10 Soit, outre les quatre de plus de 10 000 habitants, douze communes de 4 000 à 9 000 habitants, 34 de 2 000 à 4 000 habitants, ces dernières concentrées surtout dans le Finistère et ensuite dans les Côtes-du-Nord.
11 Dont trois employés de collectivités locales et cinq employés à statut tels les employés des PTT.
12 Listes conservées dans les archives de la SFIO déposées à l'OURS, dossier correspondance fédérale Finistère.
13 Les gros bataillons, 70 élus sur 181, ayant entre 50 et 60 ans.
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L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008