Chapitre V. Le poids de l’élection
p. 151-188
Texte intégral
1Dans une démocratie, les élus sont censés fonder leur pouvoir sur le soutien populaire. Le respect de ce principe est à l’origine des débats sur le sens du vote. Puisque le système politique américain s’organise autour du duopole que forment le Parti démocrate et le Parti républicain, chaque scrutin doit fournir l’occasion aux deux camps d’ajuster leurs discours et leurs politiques pour mieux répondre à la volonté majoritaire. Les élus devraient ainsi représenter les électeurs comme le reflet d’un miroir. Les électeurs américains semblent pourtant ne pas se reconnaître dans l’image d’eux-mêmes qu’offrent les responsables politiques. D’une manière générale, les citoyens américains semblent partagés entre la volonté de ne pas laisser les élites politiques profiter de leur pouvoir et le désir de ne pas avoir à se préoccuper de participer à la vie politique. Pour décrire cette ambivalence, les politologues américains ont parlé de « démocratie furtive1 » : une démocratie largement invisible mais que l’on peut faire réapparaître s’il le faut. Les bonnes et mauvaises fortunes électorales ne traduiraient qu’un dégoût plus ou moins prononcé face à des élites déconnectées des réalités sociales. La première cause ou le premier symptôme de cet éloignement serait la distance toujours plus grande qui sépare les deux partis, un phénomène que les politologues américains ont dénommé « polarisation » (polarization).
Polarisation : les électeurs contre les élus
2Le système politique américain contemporain est régulièrement décrit et décrié comme malade2. Les critiques sont tentés d’expliquer la faible popularité des institutions politiques en incriminant les blocages institutionnels (gridlock) et les attaques acerbes entre les membres des deux partis. Bien souvent, le résultat et la manière sont vilipendés sans distinction. La maladie présumée est décrite par ses symptômes. On déplore l’agressivité exacerbée du combat politique moderne pour mieux décrire l’influence du découpage électoral au sein de la Chambre des représentants3. On invoque le caractère « hyper-partisan » de l’époque actuelle pour la comparer à la guerre de Sécession4.
3Le terme de polarisation partisane est ainsi devenu le mot pour décrire le mal qui semble affliger le corps politique américain. La prévalence des diagnostics pessimistes impose de définir clairement les termes du débat. Pris dans son acception la plus évidente, il décrit le mouvement de répulsion réciproque entre les deux partis. Le Parti démocrate et le Parti républicain seraient comme les deux pôles d’un aimant attirant auprès d’eux les électeurs et les responsables politiques qui leur ressemblent et repoussant à l’inverse les électeurs et les responsables politiques du pôle opposé. L’image est basée sur une représentation visuelle du politique que l’on suppose assimilable à un axe droite-gauche. Le concept de polarisation implique que les partis se déplacent progressivement vers les extrêmes. Le Parti républicain se déplace vers la droite et le Parti démocrate vers la gauche. L’écart grandissant oblige à définir une ligne politique claire qui s’accompagne d’un phénomène d’homogénéisation des préférences au sein du parti. En clair, la polarisation, ce n’est rien d’autre que « la séparation du politique en deux camps : un camp conservateur et un camp progressiste (liberal5) ».
4Le phénomène de clarification des lignes idéologiques entre les deux partis a nécessité la création d’un nouveau concept car, durant l’essentiel du xxe siècle le clivage droite-gauche ne coïncidait que de manière très imparfaite avec les frontières des partis républicain et démocrate. Le brouillage idéologique était rendu manifeste par la présence d’une aile progressiste au sein du Parti républicain et d’une aile conservatrice au sein du Parti démocrate. Dans un tel contexte, les politologues américains pouvaient à la fois théoriser le combat politique comme la lutte pour le contrôle du centre politique6 et appeler de leurs vœux à une clarification des lignes idéologiques qui devait permettre aux électeurs de mieux évaluer les responsabilités de chacun, et donc voter en conséquence7. La nouveauté présumée de la situation actuelle de polarisation tiendrait ainsi à la superposition de clivages partisans et idéologiques. Les Républicains seraient plus uniformément conservateurs et les Démocrates plus uniformément progressistes.
5Aujourd’hui la réalité de la polarisation n’est pas vraiment en doute8. Difficile de nier par exemple que Richard Russell, sénateur démocrate conservateur de la Géorgie de 1933 à 1971 et ségrégationniste convaincu, ne serait vraisemblablement plus à sa place dans le parti du Président Barack Obama. Un débat vif persiste cependant quant à l’intensité de la polarisation et surtout la portée de ce phénomène9. De manière très schématique, on peut réduire ce débat à deux visions. La première voit dans la polarisation partisane le reflet plutôt fidèle de la division grandissante du peuple américain. Le second décrit plutôt un mouvement qui ne concerne que les élus du Congrès et fait office de miroir déformant d’une opinion publique qui reste solidement ancrée au centre de l’échiquier politique.
Une crise nationale : la polarisation comme phénomène socio-culturel
6La polarisation entre les partis, ce gouffre toujours plus béant entre Républicains et Démocrates, trouve-t-il son origine dans une division équivalente du peuple américain en deux camps ? À en croire les discours de nombreux politologues, des journalistes et des hommes politiques américains, le pays connaîtrait une véritable crise d’identité. Durant la campagne de novembre 2008, Sarah Palin, la candidate à la vice-présidente pour le GOP n’aurait-elle pas déclaré que : « Nous pensons que le meilleur de l’Amérique se trouve dans les petites villes que l’on visite et dans ces merveilleux îlots de ce que j’appelle “l’Amérique véritable”10 » ? De telles déclarations ne reflètent pas vraiment le « vouloir vivre ensemble11 » qu’Ernest Renan postulait comme fondement d’une nation. Dans une étude devenue best-seller, le sociologue Robert Putnam décrit une société américaine en proie à l’isolement individualiste qui entraîne l’érosion de son capital social12. Dans la sphère politique, cette perte du repère communautaire se traduirait par un repli partisan sur l’entre-soi idéologique. Dans un autre ouvrage ayant connu un succès considérable, le journaliste Bill Bishop, bien aidé par le sociologue Robert Cushing, peut ainsi critiquer une homogénéisation géographique grandissante13. Les Américains auraient tendance à s’agglomérer dans des communautés où leurs voisins auraient les mêmes niveaux de vie, les mêmes convictions, et les mêmes affiliations politiques. En se rangeant spontanément avec leurs semblables, les citoyens américains auraient tendance à négliger l’appartenance nationale au profit d’un attachement local. La polarisation résidentielle mènerait ainsi à la polarisation politique.
7Il est indispensable de différencier polarisation idéologique et polarisation partisane. La première évoque un phénomène de radicalisation de la population qui s’éloignerait d’une position centriste modérée pour se rapprocher des idées des extrêmes du spectre politique. Depuis 1952, des politologues collaborent au sein d’un groupe de recherche pour organiser tous les deux ans des sondages approfondis de l’électorat américain. The American National Election Studies (ANES) est le fruit de travaux indépendants, financés notamment par une subvention de l’État fédéral. Ces études fournissent des données scientifiques qui permettent d’établir des comparaisons historiques. Depuis 1972, l’une des parties de l’enquête demande aux sondés de se placer eux-mêmes sur un continuum qui va d’extrêmement conservateur à extrêmement progressiste14. Les réponses à cette question montrent que 5 % des sondés se considèrent comme extrêmement conservateurs ou progressistes, une proportion stable depuis des décennies15.
8En 1994, 14 % des sondés se définissaient comme progressistes16, 36 % comme conservateurs17 et 26 % comme modérés ou centristes (« Moderate, Middle of Road »). Dix années de gouvernance républicaine au Congrès se révèlent marginalement nocives pour la popularité des idées conservatrices dans l’électorat. En 2004, on dénombrait en effet 19 % de progressistes auto-proclamés pour 31 % de conservateurs et 25 % de modérés. En 1994 comme en 2004, un quart des sondés déclaraient ne pas avoir suffisamment réfléchi à la question pour pouvoir se prononcer. En cumulant ce score et celui des modérés on peut donc remarquer que l’électorat américain peut être divisé en deux parties égales. Une partie de la population qui, par manque d’information ou par choix, refuse de souscrire à une vision idéologique du politique et une autre moitié où les conservateurs dominent plutôt confortablement sur les progressistes. La vision idéologique de cette partie active de l’électorat (« the engaged public18 ») semble être reflétée par la clarification des lignes entre les partis politiques. La polarisation idéologique contribue par ce biais à la polarisation partisane.
9La carte électorale des États-Unis est bien souvent réduite à un assemblage d’États colorés en rouge ou en bleu, la plupart du temps sur la base des résultats du scrutin présidentiel. Les « États rouges » (red states) utilisent la couleur traditionnellement associée au Parti républicain pour signifier que le candidat du GOP a reçu une majorité des voix dans cet État. Les États où le candidat démocrate l’a emporté sont eux teintés de bleu. L’image est cependant utilisée pour décrire bien plus qu’un rapport de force politique. Bien souvent, les journalistes utilisent le code couleur pour évoquer des désaccords culturels profonds entre les États rouges et bleus. La « guerre culturelle » (culture war) avait été déclarée officiellement par Pat Buchanan à la convention républicaine de 1992. Dans ce combat douteux, le GOP se faisait défenseur d’une Amérique conservatrice, dévote, patriotique et donc républicaine, face à l’Amérique progressiste, athée, laxiste et décadente du Parti démocrate. Le clivage moral et religieux intégrait également une dimension économique. La rhétorique conservatrice de la guerre culturelle dénonçait les Démocrates comme des élitistes dont la tolérance bon teint avait été inculquée par leurs professeurs, agents de la corruption de l’innocente jeunesse, sur les campus d’universités hors d’atteinte pour les classes moyennes et populaires19. Le prisme de la bataille socio-culturelle permet de mieux comprendre la virulence de l’opposition entre le Président Clinton et les majorités républicaines du Congrès. La procédure de mise en accusation dont il fit l’objet ne visait pas qu’à le démettre de ses fonctions. Pour les conservateurs, Bill Clinton était le symbole ultime des errements du baby-boomer narcissique. En ce sens, son procès dans l’affaire Lewinsky était un jugement culturel.
10La division du pays entre « États rouges » et « États bleus » offre une représentation visuelle des clivages culturels et partisans à l’échelle du territoire. Les discours des politiques peuvent aspirer à transcender cette segmentation pour rassembler une majorité mais, du fait de la polarisation partisane, il devient chaque jour plus difficile de convaincre les électeurs de l’autre camp. L’égalité numérique presque parfaite entre les deux partis au niveau national masque donc une domination nette de l’un ou l’autre dans certaines régions du pays et parmi certaines subdivisions du corps électoral. Politologues, journalistes et consultants ont pris l’habitude de ranger les électeurs de chaque parti dans des coalitions qui agrègent différent groupes démographiques20. Ce travail de taxinomie ne se contente pas toujours de séparer les électeurs en fonction de leur âge, sexe, catégorie socio-économique ou raciale. Un groupe réduit d’électeurs, les mères de famille dont les enfants jouent au football (« soccer moms ») ou encore les pères de famille qui regardent les courses automobiles (« NASCAR dads »), est ainsi régulièrement sorti de la masse. Les observateurs accordent une attention disproportionnée à ces segments démographiques réduits car ils considèrent qu’ils peuvent faire pencher la balance en faveur de l’un ou l’autre parti.
11Parmi les centaines de questions posées par les sondeurs de l’ANES, on demande aux sondés de s’identifier eux-mêmes en tant que Démocrate, Républicain ou Indépendant21. Depuis les premières enquêtes de l’ANES, le Parti démocrate a toujours bénéficié d’un avantage en matière d’identification partisane par rapport au Parti républicain. En 1994, 33 % des sondés se définissaient comme Démocrates contre 30 % de Républicains22. 36 % des sondés préféraient se définir comme Indépendant ou autre. Dix ans plus tard, on retrouve les mêmes pourcentages.
12À la lecture de ces chiffres, on comprend aisément l’intérêt que les deux partis peuvent porter à la portion de l’électorat qui se définit comme « Indépendant ». Puisque chaque camp peut théoriquement espérer recevoir au moins un tiers des voix, l’acquisition d’une majorité impose d’aller chercher le reste auprès de cette catégorie non-alignée. La réalité est cependant plus complexe. Il faut en effet faire le tri entre « vrais » et « faux » Indépendants. Lorsqu’on leur demande s’ils se sentent plus proches du Parti républicain ou démocrate, deux tiers des sondés qui s’étaient initialement déclarés comme Indépendants avouent pencher plutôt pour l’un ou l’autre. Les politologues qui ont étudié le comportement électoral de ces Indépendants qui avouent un penchant partisan (Independent Leaners) ont montré qu’ils étaient en réalité assimilables à des partisans hésitants (weak partisans).
13Bien sûr, dans un système bipartite, à moins de voter systématiquement pour les candidats plus ou moins obscurs que proposent des tiers partis marginaux, les Indépendants sont presque toujours obligés de choisir un camp dans l’isoloir. Il convient de rappeler que l’étiquette constitue un choix qu’offrent certains États au moment de l’inscription sur les listes électorales à des fins d’organisation des élections primaires. Les citoyens qui se déclarent alors « Indépendants » choisissent uniquement de ne pas se déclarer officiellement comme « Démocrate » ou « Républicain » sans que cela ne permette nécessairement de préjuger de leur positionnement idéologique. De fait, lorsque les politologues partent à la recherche des « Indépendants véritables » (pure independents), ils font référence aux personnes susceptibles de voter pour l’un ou l’autre parti en fonction de l’élection, ceux que l’on a parfois tendance à appeler les « électeurs pivots » (swing voters). Eux ne représenteraient pas un tiers de l’électorat mais beaucoup moins. Aux débuts des années 1990, on pouvait estimer qu’à peine un électeur sur dix était un Indépendant pur23. Aujourd’hui, on semble plus proche d’un sur vingt24. La réduction progressive du nombre d’Indépendants mesurée par l’ANES offre une illustration éloquente de la polarisation partisane. L’électorat américain se répartit de manière toujours plus nette entre les deux partis.
Les causes de la polarisation partisane
14Aucune tentative d’explication du mouvement de répulsion mutuelle qui semble caractériser les deux partis depuis les années 1960 ne peut s’envisager sans évoquer la révolution électorale accomplie dans le Sud des États-Unis. Anciennes citadelles démocrates absolument imprenables, les États de l’ancienne Confédération sont devenus un bastion républicain. Il ne faut y voir rien de moins que « le changement le plus important dans le paysage politique américain du xxe siècle25 ». Pour que les descendants des hommes du Général Lee et du président Jefferson Davis rallient le parti du président Lincoln, ce Grand Old Party fondé en 1856, il aura fallu attendre près d’un siècle. Le poids de l’histoire et des habitudes avait enraciné profondément le Parti démocrate dans des terres sudistes à l’idéologie conservatrice. L’érosion du pouvoir démocrate s’explique déjà par des mouvements de populations du Nord, rendus plus aisés par des innovations technologiques, notamment la climatisation26. Les nouveaux arrivants n’avaient pas la même allégeance pour le parti d’Andrew Jackson et Thomas Jefferson. Ils amenaient souvent dans leurs bagages leurs convictions conservatrices qui, chez ces Yankees du Nord, étaient généralement synonymes d’affiliation partisane républicaine. Les effets des mouvements migratoires se cumulent à la protection des droits civiques des Afro-Américains. Lorsque les présidents démocrates Truman, Kennedy puis Lyndon Johnson décident d’attaquer les positions ségrégationnistes de nombreux membres de leurs partis, ils déclenchent un mouvement d’opposition très forte chez nombre de leurs co-partisans. Dans une société toujours obnubilée par le clivage racial, le ralliement des Afro-Américains ne pouvait manquer de causer la défection des électeurs blancs du Sud vers un Parti républicain qui les accueille à bras ouverts. Le travail des élites politiques de la région, elles-mêmes fraîchement converties, permettra de faire progressivement basculer les États du sud du bleu horizon au rouge carmin27.
15Le Sud était comme un poids mort au cœur de l’échiquier politique. Composante longtemps inébranlable du Parti de l’âne, ses électeurs et leurs représentants étaient bien souvent très loin de partager les convictions progressistes des New Dealers du Président Franklin Roosevelt. Leur présence institutionnelle apportait une influence conservatrice modératrice à la coalition démocrate. L’alliance inconfortable entre progressistes et conservateurs au sein du Parti démocrate était nécessairement reproduite au sein du Parti républicain. Exclu du Sud, le GOP ne pouvait l’emporter qu’en ralliant des électeurs dans toutes les catégories de population du Nord, bien au-delà de sa base conservatrice. La modération des deux partis était donc liée à l’existence d’un Parti démocrate conservateur hégémonique dans le Sud. Sa disparition permet de rassembler les familles conservatrices et progressistes chacune autour d’un parti plus homogène idéologiquement comme si deux montgolfières retenues par le même lest s’étaient affranchies de leurs liens pour suivre des trajectoires opposées.
16Le réalignement partisan dans le Sud s’accompagne d’un phénomène de stratification socio-économique de l’électorat28. Le niveau de revenu d’un électeur est progressivement devenu un facteur essentiel qui permet de prédire si cet électeur votera plutôt républicain ou démocrate. Les catégories aisées votent de plus en plus systématiquement pour les candidats républicains tandis que les électeurs les plus modestes choisissent les candidats démocrates. La polarisation partisane vient ici rejoindre la polarisation économique puisque depuis les années 1970, on assiste à une aggravation des inégalités entre les ménages les plus pauvres et les ménages les plus riches29. De nombreux travaux s’appliquent à débusquer les effets de causalité derrière l’apparente corrélation. Le professeur Larry Bartels a ainsi dénoncé une « démocratie inégalitaire » en soulignant le rôle joué par les politiques fiscales proposées par les présidents Républicains et l’attention disproportionnée que les élites politiques accordent aux électeurs les plus riches30.
17Ses collègues Nolan McCarty, Keith T. Poole et Howard Rosenthal lient l’augmentation des inégalités économiques à l’importante vague d’immigration entamée dans les années 1960. Flux migratoires et creusement des inégalités se joignent dans une « danse » où ses forces agissent de concert31. La libéralisation des politiques d’immigration décidée depuis 1965, s’est traduite par l’augmentation du nombre de résidents américains non-citoyens32. Les chercheurs suspectent qu’elle soit venue perturber les mécanismes de représentation partisane. Le creusement des inégalités sociales à l’échelle du pays ne se retrouve pas à l’échelle des électeurs car, en réalité, les plus pauvres n’ont pas le droit de participer aux élections. Au bas de l’échelle sociale, on ne trouve pas des citoyens à même de faire entendre leurs demandes de protection sociale, mais bien plutôt des immigrés exclus de la citoyenneté américaine. Puisque ces populations n’ont pas le droit de vote, les élus politiques peuvent d’autant mieux ignorer leurs revendications et leurs besoins. Le développement de l’immigration permettrait ainsi d’expliquer en partie le manque de volonté politique pour combattre le creusement des inégalités économiques. Puisque les inégalités économiques semblent inextricablement liées à la polarisation partisane, l’immigration devient un facteur additionnel de la division grandissante du corps politique.
18Des causes structurelles profondes pourraient ainsi offrir une première explication aux divisions majeures qui semblent traverser la société américaine contemporaine. Les citoyens des États-Unis se rangent plus volontiers dans le camp démocrate et républicain à mesure que ces derniers leur offrent un choix politique clair, débarrassé du brouillage idéologique que représentait la faction Sudiste conservatrice du Parti démocrate. Les inégalités économiques grandissantes viennent depuis alimenter les clivages partisans.
La représentativité des membres du Congrès en question : polarisation partisane et élites politiques
19Le concept même de polarisation partisane fut construit pour décrire non pas l’écart entre les électeurs républicains et démocrates mais bien leurs élus à la Chambre des représentants. Dans les années 1970, les politologues américains Keith Poole et Howard Rosenthal ont mis au point un outil de placement idéologique des membres du Congrès. En utilisant les votes enregistrés sur des milliers de propositions de loi, ils sont parvenus à classer les membres de du Congrès les uns par rapport aux autres sur un axe idéologique gauche-droite33. Pour chaque Congrès, il devient alors possible d’assigner un score idéologique à chaque membre. Une représentation graphique de ces scores permet de visualiser le degré de division idéologique entre les deux partis. Le résultat est net : on voit des points bleus rassemblés sur la gauche du schéma et des points rouges sur la droite. Il devient également possible de faire des comparaisons dans le temps. Jusque dans les années 1980, le résultat ressemble à une tâche au milieu du schéma. Les représentants sont agglutinés au centre et l’on peut voir de nombreux chevauchements : des points bleus dans la masse de rouge (des Démocrates conservateurs) et quelques points rouges dans la masse de bleu (des Républicains modérés). On observe ensuite un glissement progressif des points bleus, les représentants démocrates, vers la gauche, et un déplacement net des points rouges, les représentants républicains, vers la droite. Entre les deux pôles émerge un espace de plus en plus béant : le centre de la Chambre transformé en no man’s land idéologique perdu entre les tranchées démocrates et républicaines34. Les chiffres viennent ici renforcer les intuitions des divers commentateurs qui déplorent la désormais impossible coopération entre les membres des deux partis au Congrès. Bien qu’ils s’en défendent, il semble que les critiques appuient leur démonstration sur le contraste implicite avec un hypothétique âge d’or durant lequel la modération et la coopération bipartite auraient été la norme35.
20L’ampleur du phénomène est telle que personne ne conteste la réalité de la polarisation partisane au Congrès ; le débat porte sur son caractère représentatif de la population et sur la profondeur réelle des divisions. Sur ce point, le politologue Morris Fiorina et certains de ses collègues se montrent éminemment sceptiques. Ils sont convaincus que la polarisation partisane des membres du Congrès ne se retrouve que de manière superficielle dans l’électorat. Une frange de la population américaine constituée d’hommes et de femmes politiques professionnels, d’activistes, de groupes d’intérêts et d’une partie des journalistes s’est polarisée et, en réponse, les électeurs se rangent de manière plus clairement idéologique entre les deux partis. Ce phénomène de « classement » (sorting) doit cependant être bien distingué d’une hypothétique polarisation populaire (« popular polarization ») qui viendrait diviser la nation américaine en deux camps36. Le débat intense entre des élus qui se déchirent au Congrès ne serait pas représentatif d’un électorat où les étiquettes partisanes masquent la concorde latente. Le problème de l’éloignement entre les électeurs et leurs représentants viendrait du fait que la vaste majorité centriste ne s’implique pas suffisamment dans la sphère politique pour reprendre le contrôle des mains des activistes extrémistes.
21Pour expliquer la radicalisation des élus républicains et démocrates, on a coutume de pointer du doigt le « charcutage électoral » (gerrymandering). Les sortants s’arrangent pour choisir leurs électeurs en dessinant des circonscriptions acquises à la cause de leur parti. Assurés d’être réélus, ils peuvent largement s’affranchir de l’opinion modérée de leur électorat, des soutiens du parti adverse et des indépendants, pour suivre librement leurs instincts polarisants37. En réalité, les politologues démontrent que, contrairement à ce que l’on peut entendre régulièrement, le découpage électoral ne constitue pas un facteur majeur de la polarisation partisane38. Pour s’en convaincre, on peut rappeler le fait que le Sénat semble se polariser de manière tout à fait similaire à la Chambre alors que ses circonscriptions, les limites des États, ne sont bien évidemment pas soumises à un redécoupage décennal. Pour surmonter cette difficulté, certains chercheurs ont voulu démontrer qu’en se faisant élire au Sénat, les anciens membres de la Chambre emportaient avec eux leurs réflexes partisans39. La polarisation partisane de la Chambre aurait ainsi contaminé la chambre haute. Une cohorte de « sénateurs de Gingrich » (Gingrich senators), des hommes et des femmes élus à la Chambre après 1978, aurait incubé la maladie par contact prolongé avec le représentant de la Géorgie avant de s’en faire les vecteurs infectieux dans les travées sénatoriales. Cet effet indirect ne convainc pas tous les chercheurs40. Une étude récente s’est intéressée aux effets du redécoupage électoral au niveau des assemblées d’États41. Les conclusions se révèlent tout aussi sceptiques quant au lien entre redécoupage et polarisation. De manière surprenante, on observe une polarisation partisane plus importante dans les États où le redécoupage est assuré par une commission d’experts indépendants que lorsque ce sont les législateurs eux-mêmes qui dessinent les cartes42.
22Si le découpage électoral ne peut expliquer à lui seul la polarisation partisane, peut-être faut-il chercher en amont les raisons qui pourraient pousser les élus à se positionner toujours plus loin du centre. On peut supposer que les élections primaires qui permettent de déterminer qui sera le candidat de chaque parti dans la circonscription jouent un rôle dans le processus de radicalisation des candidats. Cela permettrait notamment d’expliquer pourquoi le phénomène toucherait aussi bien les représentants que les sénateurs. À mesure que les activistes des deux partis se radicalisent, ils choisissent des candidats toujours plus extrémistes avec lesquels l’électorat de l’élection générale, qui se tient largement à l’écart des élections primaires, est forcé de composer. Par le biais de la primaire, la polarisation des activistes est transmise jusqu’au Congrès. Le problème de cette explication tient au fait que les élections primaires sont loin d’être une invention récente puisqu’elles ont été mises en place au tournant du xixe siècle. Elles peuvent donc difficilement être mobilisées comme un facteur explicatif du mouvement de polarisation partisane au Congrès entamé depuis seulement quelques décennies. Le caractère plutôt indirect de l’influence supposée des élections primaires dans l’accélération récente de la polarisation amène certains spécialistes à mettre en doute cette explication43 ou au moins à souligner son caractère secondaire44.
23Si ce n’est en réponse à leur électorat des élections générales ou bien primaires, peut-être les hommes et femmes politiques épousent-ils des positions progressivement plus éloignées du centre de gravité idéologique national pour plaire à leurs généreux donateurs. Il est toujours difficile de dénouer les liens étroits qui lient argent et politique mais, depuis les années 1970, on assiste indéniablement à une explosion des dépenses de campagne45. L’impérieuse nécessité de lever sans cesse toujours plus de fonds rend les élus d’autant plus attentifs aux groupes d’intérêts qui peuvent s’offrir des lobbyistes pour défendre leurs intérêts et décider d’alimenter ou non les comptes de campagnes de l’élu par le biais d’un comité d’action politique. Face aux allégations de corruption pure et simple, les chercheurs semblent plutôt montrer des effets de renforcement idéologique. L’argent deviendrait ainsi un levier de la polarisation partisane. En effet, contrairement à ce que l’on pourrait croire, les lobbies passent le plus clair de leur temps et de leur argent avec des législateurs alliés et non pas avec ceux qui sont en désaccord avec leurs positions46. Les groupes d’intérêts préfèrent collaborer avec des législateurs alliés pour leur fournir des statistiques, des études voir des propositions de lois prêtes à être déposées pour influer, par leur biais, sur le contenu de la loi. Ils contribuent aux comptes de campagnes des législateurs qui sont proches de leurs positions afin qu’ils continuent à propager leurs idées. L’argent n’achète pas de vote mais il permet de s’offrir les lobbyistes les mieux introduits auprès des législateurs les plus influents pour tenter de les convaincre de défendre la position souhaitée au risque de ne pas continuer à bénéficier du soutien du généreux donateur. De manière assez paradoxale, on peut alors voir la polarisation partisane comme une manifestation de l’affaiblissement des partis. Face à l’influence grandissante des groupes d’intérêts extérieurs hyper-partisans focalisés uniquement sur la défense de leurs intérêts particuliers47.
24L’argent et les lobbies alimentent également la polarisation par le biais des médias48. Depuis des années, ils sont accusés de souffler sur les flammes de la lutte partisane, tournant le moindre accrochage en bataille et le premier soupçon d’affaire en scandale pour doper leur audience et ainsi augmenter leurs revenus49. En 1996, Rupert Murdoch, le magnat australien de la presse, installe Roger Ailes, l’homme qui avait réussi à vendre le « nouveau » Nixon en 1968, à la tête d’une nouvelle chaîne de télévision : Fox News. Plus d’une décennie après la création de Cable News Network (CNN) par Ted Turner, cette chaîne d’information continue veut se poser en concurrent direct. Fox News est officiellement neutre mais sa ligne éditoriale penche indéniablement à droite50. Le succès grandissant de la chaîne lui permet de rapidement éclipser CNN. À partir de 2002, Fox News s’installe en tête sur ce segment dont l’influence dépasse largement les audiences limitées51. Les émissions de ses animateurs les plus populaires comme Bill O’Reilly rassemblent régulièrement plus de 3 millions de téléspectateurs, soit près de deux tiers de l’audience sur le segment en prime time52. Il crée des émules puisque la même année, Microsoft et NBC lancent MSNBC pour faire concurrence à Fox en offrant une vision plutôt progressiste de l’actualité. Les relais d’information se sont donc visiblement polarisés entre des chaînes spécialisées qui proposent chacune une vision idéologiquement marquée sur l’actualité. Les personnes qui s’intéressent à la politique auront alors tendance à se tourner vers les sources d’information dont ils partagent le point de vue et leurs convictions seront ainsi régulièrement renforcées53.
25La polarisation serait ainsi entretenue dans une partie de la population par une couverture médiatique engagée en faveur d’un camp plutôt que l’autre. Les électeurs des décennies précédentes se retrouvaient autour des journaux télévisés des grandes chaînes historiques des réseaux hertziens et disposaient ainsi d’un socle commun pour engager le débat politique. La perte de ce lieu symbolique rituel contribue à la polarisation54. Elle entraîne une double division. D’abord, entre une majorité qui se détourne du politique et une minorité qui peut choisir d’y consacrer une attention perpétuelle. Ensuite, au sein de cette minorité, qui se tourne vers des médias partisans dont le modèle économique impose de se montrer plutôt complaisant avec un camp et agressif envers l’autre. Les deux mouvements tendent à se renforcer dans la mesure où l’apathie des uns rend plus saillant et donc influent l’activisme des autres.
26Depuis les années 1970, les journalistes ont développé une approche toujours plus critique envers les élites et notamment le Congrès55. Un journalisme d’investigation sceptique et inquisiteur a pris la place d’un journalisme de complaisance basé sur des relations de confiance entre un petit groupe d’envoyés spéciaux à Washington et leurs sources à la Maison-Blanche ou sur la colline du Capitole. Les scandales qui ont émaillé l’histoire politique moderne ont contribué à ébranler la confiance des citoyens envers les institutions creusant davantage le fossé symbolique entre les élites politiques et leurs électeurs56. On reproche aussi aux médias de préférer la confrontation de la compétition électorale, jugée plus attrayante pour le lecteur ou téléspectateur, à la coopération qu’impose la gouvernance, trop ennuyeuse et donc nocive pour l’audimat57. Mais si les médias tendent également à se focaliser sur la bataille électorale permanente, c’est aussi car elle se révèle le plus souvent extrêmement serrée. Certains chercheurs se sont appuyés sur ce fait pour proposer une hypothèse supplémentaire et expliquer la polarisation partisane de ces dernières années. À mesure que les élections deviennent plus disputées, les deux partis tendent à se différencier plus nettement. De manière assez surprenante, les circonscriptions les plus compétitives, celles ou les électorats démocrate et républicain sont de taille quasiment identique, sont souvent représentées par des membres bien plus marqués idéologiquement58. Plutôt que de donner lieu à l’élection d’un candidat centriste, la compétition électorale intense dans une telle circonscription donnera plutôt lieu à une alternance entre un Démocrate très progressiste et un Républicain très conservateur.
27On pourrait élargir ce constat en remarquant que, le fait même que les marges dont dispose chaque parti soient si réduites rend chaque élection extrêmement critique. La majorité du Congrès est presque toujours en jeu. La crainte intense de perdre leur influence et l’espoir raisonnable de la reconquérir incite chaque camp et tous leurs candidats à faire le maximum pour augmenter ses chances électorales. Dans le contexte électoral moderne, cela donne lieu à ce que l’on a appelé la « campagne permanente59 ». Chaque acte de gouvernance, chaque proposition de loi est envisagée à l’aune de ses probables retombées électorales. Les élus du Congrès sont, quant à eux, constamment en train de quémander des contributions pour leurs fonds de campagne, ce qui, on l’a vu, les rend d’autant plus attentifs aux priorités des groupes d’intérêts qui les poussent vers les extrêmes.
28Si elle est effectivement réduite aux élites, la polarisation partisane devrait entraîner un éloignement entre des électeurs qui se déclarent plutôt attirés par la conciliation, hostiles aux conflits et à l’animosité, et des élites politiques qui semblent prendre un malin plaisir à attaquer l’adversaire60. Dans cette optique, la polarisation politique se nourrirait de la méfiance de l’électorat envers des élites qui ne partagent pas les mêmes idées et usent de méthodes qui leur déplaisent61. En réalité, on remarque que, depuis 1994, à mesure que le système politique devenait plus polarisé, les citoyens participaient davantage aux élections. « Même s’ils prétendent ne pas aimer les discours hostiles et les actions qui les accompagnent, les Américains semblent avoir répondu de manière positive à un environnement polarisé62. » Il devient alors possible d’envisager la polarisation comme un phénomène positif qui permettrait de mobiliser une partie de l’électorat en offrant un choix clair et conséquent entre deux partis bien distincts63. S’il semble que, là encore, on retrouve l’idée d’une division grandissante entre une partie du public très informée et engagée idéologiquement et une autre qui ne consacre qu’un intérêt sporadique à la chose publique, il faudrait se féliciter que la polarisation gonfle les rangs du premier groupe aux dépens du second.
Les Républicains : agents de la polarisation
29Le mouvement de polarisation partisane est enclenché dès le début des années 1970 mais il semble s’accélérer après 1994. Cela amène logiquement à s’interroger sur une possible spécificité du Congrès républicain. La polarisation partisane est souvent présentée uniquement comme un phénomène exogène. Les élus républicains et démocrates seraient victimes de forces qu’ils ne contrôlent pas et qui les éloigneraient respectivement les uns par rapport aux autres. Remettre en cause une passivité supposée des acteurs politiques permet de mieux comprendre le caractère asymétrique de la polarisation partisane, une facette importante du phénomène qui n’a pas encore été évoquée ici. En mesurant la manière dont les membres du Congrès sont attirés par les extrêmes, on remarque très vite que la force d’attraction paraît plus forte à droite qu’à gauche. En clair, les élus du Parti républicain se sont déplacés très nettement vers la droite tandis que les élus du Parti démocrate se déplaçaient seulement légèrement vers la gauche64. De fait, l’aggravation de la polarisation partisane est presque entièrement imputable aux élus républicains qui se sont clairement éloignés du centre65.
30Comment expliquer la trajectoire contradictoire de la révolution conservatrice au Congrès des États-Unis ? L’idéal démocratique veut que les représentants soient élus pour traduire en actes la volonté de la majorité. Dans ce cas, les changements importants dans les actions des représentants et des sénateurs républicains entre 1994 et 2006 reflètent des changements réguliers dans la majorité de l’électorat. En ce sens, le système marche, le Congrès répond encore : les électeurs adressent des signaux que les hommes et les femmes politiques interprètent correctement. L’histoire de l’évolution du Parti républicain au Congrès durant ces années ne serait qu’un écho des rapports de force mouvants au sein de l’électorat. Les électeurs auraient utilisé les scrutins qui jalonnent la période pour alternativement forcer les Républicains à plus de modération ou les encourager à garder le cap avant de finalement les sanctionner lorsqu’ils se seraient trop écartés de leur « mandat » initial.
31Le concept de « mandat » (mandate) est une figure imposée du politique. Après chaque élection, vainqueurs et vaincus débattent pour interpréter les résultats dans un sens qui leur est favorable. Les vainqueurs prétendent que leur victoire constitue une ratification populaire des positions qu’ils ont développées durant la campagne. Les vaincus préfèrent le plus souvent parler d’un vote sanction qui s’explique par le rejet du sortant mais ne vaut pas ralliement. Le fait pour un homme politique de prétendre avoir reçu un mandat des électeurs pour mettre en application la politique qu’il souhaite est considéré comme une partie intégrante du métier. La fonction de représentation implique une forme de ventriloquie qui doit permettre d’assurer la légitimité de l’élu et la stabilité du système politique66. Les politologues se montrent pourtant assez sceptiques sur la possibilité même de construire une préférence collective complexe et encore plus de la deviner sur la base d’un ressenti même agrémenté de sondages. Sans aller jusqu’à évoquer un « public fantôme67 », des travaux plus récents que ceux de Walter Lippmann montrent que le débat reste entier sur la rationalité de l’électorat68.
32Même en admettant que les décisions des électeurs ne sont pas rendues irrationnelles par un déficit d’information ou inintelligibles par leur agrégation, le verdict des urnes conserve sa part de mystère pour les hommes politiques adoubés par leurs concitoyens. « La faiblesse des résultats électoraux en tant qu’enseignement pour les responsables présomptifs vient du fait que les élections ne sont spécifiques que sur un seul point : qui a gagné et qui a perdu. Pour tout le reste et tout particulièrement pour ce qui est de préciser pourquoi certains candidats ont gagné et d’autres ont perdu, les élections sont comme des oracles. Les messages qu’elles émettent sont vagues et donc sujets à interprétation69. »
33À la différence des politologues et des commentateurs, les acteurs politiques ne peuvent pas se contenter de noter la difficulté puis décortiquer après les faits les ressorts du vote par des études statistiques complexes, coûteuses et chronophages. Au soir de l’élection, le vainqueur est appelé devant les caméras pour expliquer les raisons de sa victoire. Dans la compétition politique moderne, le sens de l’élection fait l’objet d’une lutte d’influence entre vainqueur et vaincu arbitrée par des journalistes qui opinent régulièrement en faveur des uns ou des autres. Le contexte impose de se présenter devant les électeurs pour leur expliquer le sens de leur vote.
34Les acteurs politiques ont bien évidemment tout intérêt à faire correspondre le sens de ce vote avec leurs préférences propres et ce quel que soit le sentiment populaire. « Peu importe que les électeurs signalent consciemment leurs préférences. Les hommes politiques pensent parfois que les électeurs leur ont envoyé un message. [...] Cette croyance est une construction sociale, une conclusion partagée façonnée par les interactions publiques sur le sens des élections. Une conclusion partagée constitue une forme de réalité élusive. Elle n’est pas tangible comme un pourcentage des votes exprimés ou le nombre de sièges remportés ou perdus. Il demeure que les êtres humains agissent en fonction de croyances. De ce fait, les croyances sur le monde politique comptent, qu’elles soient correctes ou erronées70. » En ce sens, on pourrait parler d’une mystique du mandat. Les responsables politiques se font prophètes pour tenter de transformer leurs préférences en réalité politique.
35Le risque inhérent de l’entreprise consiste à dévoyer le sens de l’élection. Volontairement ou involontairement, les décideurs politiques peuvent « céder à la tentation » et se détacher si complètement de la volonté majoritaire que l’électorat, vexé, aura tendance à sanctionner cette incompréhension lors du prochain scrutin. La thèse de « l’emballement » (overreach) implique une mauvaise lecture de la volonté majoritaire qui amène les élus à trahir la confiance placée en eux en poursuivant une politique impopulaire. Pour les élections au Congrès des États-Unis, le risque est accentué par le caractère très local de l’élection. La majorité issue des urnes est un résultat dérivé sur lequel les électeurs de chaque représentant n’ont qu’une influence extrêmement limitée. Les élections au Congrès sont donc des élections hybrides, à la fois locales et nationales71. Les responsables de la Chambre et du Sénat qui vont devoir fixer l’agenda politique après les élections ne voient la nation que par la lorgnette de leur circonscription. Le vote de leurs collègues leur confère un pouvoir dérivé. Pour comprendre et donner un sens à l’élection ils peuvent consulter leurs collègues mais leurs priorités politiques les amènent nécessairement à une écoute sélective.
36Le concept de mandat offre une grille de lecture dynamique des élections qui rythment la vie politique du Congrès républicain. Les révolutionnaires et leur guide Newt Gingrich avaient voulu voir dans l’élection de 1994 un appel historique à réformer en profondeur l’État fédéral. En 2006, les majorités républicaines sont délogées par une vague démocrate. Il faut donc étudier quel sens les acteurs et les commentateurs ont donné à ces mandats qui ponctuent la période. Entre deux raz-de-marée électoraux, les autres scrutins ont été perdus ou gagnés à la marge. On verra que lorsque les résultats ne sont pas probants, l’interprétation qui en est faite peut se révéler encore plus importante.
1994-1998 : Idéologie et responsabilité électorale
Le malentendu de 1994 : Un référendum anti-Clinton ?
37L’élection du 8 novembre 1994 est exceptionnelle à plus d’un titre. Le taux de participation est relativement élevé pour une élection de mi-mandat ce qui offre une première indication sur la motivation des électeurs et qui semblerait indiquer qu’il ne s’agit pas uniquement d’un vote de rejet72.
38Le système électoral offre aux adversaires du président un moyen efficace de faire entendre leur différence dans les urnes par le biais de nouvelles élections. Deux ans après son investiture, tous les membres de la Chambre des représentants et un tiers des sénateurs doivent se présenter de nouveau devant les électeurs. Ces élections sont dites de mi-mandat car elles interviennent au milieu des quatre années du mandat présidentiel. Le nom révèle bien l’ombre portée du président sur des élections auxquelles il n’est pourtant pas candidat. La tendance historique lourde veut que le parti du président perde des sièges lors des élections de mi-mandat.
39Deux ans après la défaite de 1992, le calendrier électoral offre donc au Parti républicain une opportunité d’entamer les majorités démocrates au Congrès. La cote de popularité du Président Clinton étant très basse, son parti s’attend bien sûr à perdre des sièges. Les Démocrates espèrent tout de même que cette tendance séculaire sera contrebalancée par une autre : la domination ininterrompue de leur parti à la Chambre des représentants depuis 1954. En 1994, ils ne s’imaginaient pas céder le contrôle d’une assemblée où, sur la décennie précédente, le taux de réélection des sortants avait atteint 95.7 %. Le caractère improbable de la défaite explique en partie l’apathie de certains candidats démocrates qui mettent du temps à réaliser l’ampleur du danger.
40Le National Republican Congressional Committe (NRCC) commission chargée de faire élire des Républicains à la Chambre dirigée par Bill Paxon, le représentant de la 27e circonscription de New York décide de placer des candidats dans presque toutes les circonscriptions. Du fait du découpage électoral, chaque parti dispose de circonscriptions imprenables pour l’adversaire. La stratégie habituelle consiste donc plutôt à concentrer ses ressources financières et logistiques sur les circonscriptions dans lesquelles le GOP a une chance de l’emporter. Pour pouvoir être véritablement compétitif sur un scrutin, il faut recruter un candidat qualifié et lever des fonds pour l’aider à financer sa campagne. Ici, le contexte est essentiel. Plus la majorité au Congrès est en difficulté, plus nombreux sont les candidats qualifiés pour faire campagne pour le parti adverse. On comprend mieux pourquoi la minorité fait tout son possible pour miner la légitimité de l’institution aux mains des Démocrates.
41Nationaliser l’élection signifiait également organiser une campagne au niveau national. Les élections des représentants sont traditionnellement dominées par les enjeux locaux. Dans chaque district, les candidats insistent sur leurs attaches dans la communauté, et tâchent de se montrer le plus à l’écoute et le plus proche de leurs concitoyens. En 1994, les Républicains décident de tenter de synchroniser les thématiques des 435 campagnes locales. C’est la raison d’être du « Contrat avec l’Amérique ». Dans des partis politiques aux contours idéologiques flous, l’étiquette du candidat était souvent une coquille vide. Le « Contrat » permet à certains candidats néophytes de pouvoir présenter un programme cohérent de ce qu’ils souhaiteraient faire une fois élus. Le fait que les candidats républicains à la Chambre signent ce contrat permet alors d’établir un lien explicite qui doit guider le choix des électeurs.
42Outre la fin du statut minoritaire du Parti républicain à la Chambre, il faut d’abord noter l’ampleur de la victoire du GOP qui enregistre un gain net de 8 sièges au Sénat et 54 sièges à la Chambre des représentants. Depuis des décennies, les élections à la Chambre ne modifiaient que de manière marginale la taille de la majorité73. Le Parti démocrate gagnait ou perdait une dizaine de sièges d’une élection à l’autre sans que le GOP ne parvienne à mettre en danger la majorité. Le gain net de 54 sièges pour les Républicains fut rendu possible par une conjonction de facteurs. La majorité démocrate du 103e Congrès comptait 258 membres. On comprend le scepticisme des collèges de Newt Gingrich quand il leur avait annoncé dès 1993 sa conviction qu’ils gagneraient en 199474 puisque pour récupérer la majorité, soit 218 des 435 sièges que compte le Congrès, les stratèges du GOP devaient assurer la réélection de tous les sortants républicains et trouver 30 circonscriptions gagnables.
43Le premier objectif ne posait pas de problème insurmontable vu le taux de réélection des sortants75. Cependant, les sortants démocrates étant tout aussi indéboulonnables que les Républicains, le second objectif était plus complexe. La tâche était toutefois rendue plus simple par le grand nombre de nouveaux élus issus du scrutin de 1992. L’avantage électoral des sortants varie en fonction de leur ancienneté. À mesure qu’ils remportent des élections successives, les représentants deviennent plus difficiles à déloger. En novembre 1992, on avait assisté à un très important renouvellement des membres de la Chambre avec 110 nouveaux membres. Les 63 nouveaux membres démocrates76 constituaient donc autant de cibles potentielles.
44Le climat national influe sur le scrutin par le truchement des choix stratégiques des candidats potentiels77. La perception que certains sortants sont vulnérables convainc des candidats de qualité de se lancer dans la course à l’investiture républicaine. Les études des politologues montrent que le contexte politique joue fortement sur la décision des professionnels expérimentés et notamment les élus dans les assemblées d’État de se porter candidat. Un candidat expérimenté a de bien meilleures chances de se montrer compétitif et de lever les fonds suffisants pour se faire connaître. Le manque de popularité du Président Clinton et du Congrès démocrate contribue à convaincre 31 sortants démocrates de ne pas se représenter. Ils ne sont que 21 Républicains à annoncer leur départ du Congrès à la fin de la session ce qui donne un total de 52 circonscriptions « libres » (open seats) pour lesquelles la concurrence entre les deux partis n’est pas biaisée par l’attachement des électeurs de la circonscription pour l’homme ou la femme qui les représente depuis si longtemps.
45Les candidats républicains l’emportent dans 39 des 52 circonscriptions où il n’y avait pas de sortant dont 22 circonscriptions précédemment représentées par un élu démocrate. Ce bon résultat est rendu exceptionnel par l’exploit que constituent les 34 sièges arrachés à des représentants démocrates candidats à leur propre réélection. Parmi les victimes illustres de la vague républicaine, on trouve Dan Rostenkowski, représentant de l’Illinois président de la Commission des Moyens budgétaires et souvent présenté comme le Démocrate le plus influent du Congrès, battu par Michael Patrick Flanagan78, un parfait inconnu qui ne s’était jamais présenté à aucune élection. Symbole de la faiblesse démocrate, pour la première fois depuis 1862, le Speaker de la Chambre, Tom Foley, ne parvient pas à se faire réélire dans sa circonscription79.
46Au Sénat, les sortants démocrates subissent également la colère de l’électorat. Le Parti de l’âne disposait d’une majorité confortable de 58 sièges au 103e Congrès. Sur les 35 sièges en jeu le 8 novembre 199480, 22 étaient détenus par des Démocrates. Seuls neufs de ces sièges étaient « libres » car six sortants démocrates81 et seulement trois sortants républicains82 avaient préféré ne pas se représenter. En remportant les neuf sièges libres, un exploit inédit depuis quarante ans83, les sénateurs du GOP retrouvent la majorité qui leur échappait depuis 1987. Cerise sur le gâteau, ils s’offrent deux sièges défendus par des sortants démocrates. Jim Sasser, le sénateur du Tennessee qui aspirait à devenir le nouveau leader des Démocrates, est battu par le Républicain Bill Frist, lui-même futur leader de la majorité de 2003 à 2006. De son côté, Harris Wofford, sénateur démocrate de Pennsylvanie est battu par Rick Santorum, ancien allié de Gingrich à la Chambre et futur candidat à l’investiture républicaine pour les présidentielles de 2012.
47En clair, les Républicains raflent l’écrasante majorité des sièges à pourvoir et parviennent à reprendre aux Démocrates un nombre de sièges suffisant pour faire pencher la balance en leur faveur dans les deux chambres. Le succès exceptionnel du GOP aux élections du Congrès s’accompagne de victoires tout aussi historiques dans les États. Pour la première fois depuis 25 ans, la majorité des gouverneurs sont Républicains84. Parmi les nombreux nouveaux élus aux fonctions exécutives dans les États, on compte George W. Bush qui remplace Ann Richards comme gouverneur du Texas. Les Républicains prennent le contrôle de la majorité des assemblées législatives des États. Les résultats révèlent une tendance lourde qui permet de mieux comprendre la conviction qui anime Newt Gingrich de se retrouver propulsé à la tête d’une majorité historique. Selon lui : « Si cette élection ne constitue pas un mandat pour aller dans une direction précise, j’aimerais bien que quelqu’un m’explique à quoi ressemble un mandat85. »
48Le fait que le GOP l’ait emporté à tous les niveaux à travers tout le pays donne de l’épaisseur à leur revendication d’un mandat en faveur de leurs idées. Sans surprise, le Speaker présomptif choisit de voir dans chaque vote exprimé en faveur d’un candidat républicain un vote de soutien pour l’adoption de son « Contrat avec l’Amérique86 ». Impossible de dissocier la part de conviction réelle d’un discours qui sert aussi clairement ses intérêts politiques. Force est de constater que c’est sur la base de cette lecture d’une élection en forme d’appel à une révolution conservatrice que le Speaker va entamer son mandat à la tête de la Chambre. La décision stratégique d’une lutte sans merci avec l’administration et la ferveur des nouveaux élus républicains découlent de la conviction qu’ils partagent d’être les instruments de la volonté populaire exprimée clairement dans le rejet des Démocrates. Les résultats des prochaines élections auront à charge de déterminer si le mandant est satisfait du travail du mandataire.
49Entraînés par leur propre élan ou grisés par le manque d’expérience, les révolutionnaires de la majorité républicaine du 104e Congrès commettent une première erreur lorsqu’ils interprètent les résultats des urnes comme une invitation à transformer en profondeur l’État fédéral. De ce péché d’orgueil originel découlent les autres erreurs stratégiques dans la manière dont ils tentent d’imposer leurs vues aux autres participants. C’est parce qu’ils pensent que la majorité de l’électorat partage leurs idées qu’ils décident de fermer temporairement les agences de l’État fédéral pour forcer la main du Président Clinton. C’est parce qu’ils se sentent investis d’un mandat populaire pour leurs idées qu’ils ignorent largement les appels du Sénat à accepter de modérer leurs propositions de lois sous peine de les voir péricliter.
50L’apprentissage des rigueurs de la gouvernance se révèle encore plus douloureux pour les 73 nouveaux élus républicains de novembre 1994. La plupart d’entre eux étaient arrivés à la Chambre avec des convictions chevillées au corps et un dédain, voire un dégoût pour les arrangements politiques traditionnels. Ils s’étaient fait élire pour combattre le système et s’étaient rapidement organisés pour se faire entendre87. Ils entretenaient avec le Speaker Gingrich une relation complexe qui rappelait par certains aspects celle du Docteur Frankenstein et sa créature88. Pour ceux qui s’étaient lancés dans une croisade presque mystique contre les déficits publics, tout compromis était vu comme une compromission. Une telle attitude finit par montrer ses limites dans un système politique fondé sur la nécessaire coopération entre plusieurs centres de pouvoir.
51Guidés par Newt Gingrich, les Républicains sont parvenus à saisir le contrôle de la Chambre des représentants après avoir longuement bataillé pour miner la respectabilité des majorités démocrates. À force de dénoncer ce qu’ils décrivaient comme d’insupportables scandales et abus de pouvoir, les membres du GOP avaient réussi à convaincre les électeurs de leur confier les rennes d’une institution qu’ils avaient largement contribué à décrédibiliser. La crise de confiance est antérieure à leur prise de fonction et elle concerne les trois pouvoirs89 mais on peut cependant remarquer que, plutôt que de tenter de défendre l’institution, les Républicains n’ont fait montre que de peu de scrupules à profiter du mécontentement et même à souffler sur les flammes.
52Afin de mieux profiter de l’élan créé par la candidature de Ross Perot aux présidentielles de 1992, ils avaient ainsi décidé d’inclure la promesse d’un vote sur la limitation des mandats dans le « Contrat avec l’Amérique ». Un mouvement d’opinion en faveur d’une limitation du nombre de mandats successifs des législateurs avait amené le Parti républicain à inscrire cet objectif dans le programme officiel du parti dès 198890. Une organisation de citoyens avait été fondée pour propager cette idée et l’inscrire dans la Constitution des États de l’Union avant que la Cour suprême n’intervienne pour interdire cette pratique jugée anticonstitutionnelle91. La popularité du mouvement pour la limitation des mandats s’appuyait clairement sur la défiance envers les hommes et les femmes politiques. Présumés corrompus ou au moins éloignés des préoccupations du peuple par leur séjour trop prolongé dans la capitale fédérale, ils devaient être utilement remplacés par des citoyens-législateurs, amateurs désintéressés92. Une fois élus, les Républicains ne semblent pourtant pas tous si convaincus de la nécessité de céder les sièges qu’ils ont durement acquis93. Le 29 mars 1995, la courte majorité des 227 membres de la Chambre qui votent en faveur de la proposition est insuffisante94. L’article 5 de la Constitution prévoit en effet qu’il faut une majorité des deux tiers, soit 288 voix, pour proposer une modification du texte constitutionnel.
53189 Républicains avaient voté en faveur du texte, quarante avaient voté contre95. Les proportions étaient presque inversées du côté démocrate. Un tel résultat pourrait être analysé comme symptomatique de l’influence d’une certaine idéologie libertaire antiétatique dans l’esprit de nombre de ces révolutionnaires conservateurs. Ils avaient internalisé le précepte reaganien selon lequel, la plupart du temps, les problèmes de la société sont créés par l’État et notamment l’État fédéral. Cela peut les amener à ne pas se montrer très intéressés par le bon fonctionnement d’une mécanique étatique qui ne peut bien faire. Leur détachement institutionnel est facilité par la promesse que certains d’entre eux ont faite aux électeurs de limiter eux-mêmes le nombre de mandats consécutifs qu’ils exerceront à la Chambre. Un représentant qui sait qu’il ne va rester au Congrès que pour deux mandats consécutifs n’éprouve aucun remords à sacrifier la recherche du consensus sur l’autel de la pureté idéologique. Élus contre le Congrès et déterminés à le quitter au plus vite, les révolutionnaires républicains sont indifférents aux incitations à la tolérance et la coopération que ressentaient les représentants de générations précédentes. On ne brûle pas une maison dans laquelle on aimerait s’installer. La prudence la plus élémentaire devrait donc amener les professionnels politiques à ne pas se montrer trop impulsifs dans leur utilisation du pouvoir ou trop cruels envers la minorité afin d’éviter de se trouver dans la posture de la victime si la prochaine élection inverse les rôles ; sauf s’ils n’ont pas l’intention de s’éterniser.
1996 : la coexistence imposée
54Les Républicains pouvaient espérer que 1994 ne serait qu’un prélude. Ils pensaient que le verdict sévère des électeurs sur la présidence Clinton serait confirmé deux ans plus tard et qu’il rejoindrait ainsi Jimmy Carter dans les annales des présidents défaits après un mandat. Après avoir surmonté les réticences des membres les plus conservateurs de son parti96, le Sénateur Dole avait finalement obtenu l’investiture républicaine. Le candidat indépendant Ross Perot décide de se présenter de nouveau. Son bon score de 1992 avait été construit sur le mécontentement des électeurs inquiets de l’état de l’économie. En 1996, la bonne santé de l’économie américaine entraîne assez logiquement un reflux électoral97. Il récolte 8,4 % des suffrages à l’échelle nationale sans que sa présence n’influe fondamentalement sur le résultat final. La victoire de Clinton est rendue plus facile par les dysfonctionnements de la campagne présidentielle du vétéran Bob Dole98. Le septuagénaire souffre d’un décalage générationnel et idéologique avec son parti. Il ne parvient pas à se défaire de son image de législateur qui fait de lui un piètre candidat pour la Maison-Blanche99. Avec seulement 51,7 % des électeurs potentiels, le taux de participation pour une élection présidentielle a atteint son nadir. Dans une apathie généralisée, Bill Clinton manque de peu la majorité absolue des suffrages au niveau national mais il triomphe dans le collège électoral avec 379 grands électeurs sur 538100.
55Pour les Démocrates, la joie de la victoire présidentielle est cependant gâchée par le maintien des majorités républicaines à la Chambre et au Sénat. L’effet « queue-de-pie » (presidential coattail) selon lequel le président en campagne est censé entraîner dans son sillage les candidats de son parti est complètement désactivé. Pour la première fois depuis 1916, un président démocrate est élu sans une majorité démocrate à la Chambre et au Sénat. Les équilibres de 1994 ne sont pas fondamentalement bouleversés par ce nouveau scrutin. Les représentants républicains voient leur majorité de 230 amputée de seulement 4 membres. La perte du statut majoritaire avait encouragé 10 Démocrates à ne pas se représenter en 1996. Il y avait au total 52 circonscriptions « libres » et les candidats républicains l’ont emporté dans 29 d’entre elles101. Le GOP a sauvé sa majorité à la Chambre en gagnant dans les circonscriptions libres car ses sortants et notamment les nouveaux élus de 1994 ont subi le contrecoup de l’impopularité de Newt Gingrich. Parmi les 73 représentants républicains élus pour la première fois en novembre 1994, 11 ne parviennent pas à se faire réélire. Sur les 20 sortants qui ne parviennent pas à être réélus, 17 sont des Républicains.
56Au Sénat, le sénateur républicain Larry Pressler est battu par Tim Johnson dans le Dakota du Sud. Il est le seul sortant qui ne parvient pas à être réélu. Malgré cela, les résultats sont très positifs pour le GOP puisque la majorité républicaine de 53 sénateurs du 104e Congrès (1995-1996) est renforcée de deux membres supplémentaires pour le 105e (1997-1998). Sur les 34 sièges en jeu102, 19 étaient détenus par des sénateurs républicains et, à l’exception de Pressler, tous parviennent soit à être réélus soit à transmettre le témoin à un collègue républicain. Les gains de la majorité sont à créditer aux trois candidats Républicains qui parviennent à l’emporter dans des États laissés libres par la retraite de leur occupant démocrate103.
57Le verdict des élections de 1996 apparaît bien contradictoire. Les mêmes électeurs ont choisi de confirmer le Démocrate Clinton tout en maintenant les majorités républicaines au Congrès. Un consensus semble se dégager rapidement. En se prononçant de la sorte pour confier conjointement la direction de l’État fédéral aux deux partis, les électeurs américains avaient voulu adresser un message de modération à leurs dirigeants104. À l’instar des thèses du politologue Morris Fiorina sur les électeurs éclairés qui partagent leur vote entre les partis (split ticket), les observateurs expliquaient que le choix actif d’une cohabitation à l’américaine devait être vu comme un mécanisme d’équilibrage volontaire pour compenser les positions extrêmes des deux partis (policy-balancing model of ticket-splitting105). S’il est vrai que le système politique américain semble s’accommoder de la cohabitation entre deux partis différents à la Maison-Blanche et au Congrès106, le degré de sophistication politique qu’implique le modèle a cependant entraîné certains critiques à remettre en cause ses conclusions107.
58Pour expliquer le résultat de 1996, il est sans doute préférable de mettre en avant la bonne santé de l’économie qui tend à favoriser tous les sortants et l’avantage structurel dont disposaient les Républicains. Parti majoritaire, ils n’avaient aucun mal à recruter des candidats de qualité et lever des fonds de campagne auprès des industries qu’ils avaient désormais la charge de réguler. Le redécoupage électoral de 1990 leur avait été favorable et les gains qu’il leur a permis d’accumuler en 1992 et 1994 leur offraient un matelas suffisant pour survivre à l’inévitable emballement initial et la déception qu’il ne manquera pas de susciter. Grâce en partie à l’outil du redécoupage ils peuvent assurer leur domination pour deux années de plus108.
59Certains élus de 1994 sont sanctionnés par des électeurs qui n’avaient visiblement pas souhaité voir leur vote d’opposition au Président Clinton transformé en blanc-seing pour une révolution conservatrice. Ceux qui survivent lors des élections de 1996 se montrent ainsi beaucoup plus circonspects quant à un éventuel « mandat » et moins enclins à pratiquer la politique de la terre brûlée109.
1998 : La défaite inattendue
601998 devait être une année républicaine. Le parti présidentiel souffre toujours dans les élections de mi-mandat et encore plus lorsqu’il s’agit de son second mandat. Cette fois, la popularité du Président Clinton ne se dément pas. Durant toute l’année il dépasse les 60 % d’opinions favorables. Le chômage est faible, la croissance forte, l’inflation négligeable et le budget en équilibre. Malgré cela, les dirigeants du Parti de l’éléphant abordaient le scrutin avec un certain optimisme, convaincus que l’affaire Lewinsky finirait pas miner le crédit que les électeurs américains portent à celui qui incarne le Parti démocrate110. Le jour de l’élection, le Speaker Newt Gingrich prédisait encore des gains d’une trentaine de sièges111. Du côté du Sénat, les Républicains se prenaient à rêver d’une majorité de 60 sénateurs qui leur permettraient de surmonter les flibustes démocrates112.
61Le résultat final vient doucher les espoirs républicains. Les gains espérés se transforment en recul de quatre sièges à la Chambre et un maintien de l’équilibre ex ante au Sénat. Sur les quarante nouveaux représentants élus on dénombre 23 Démocrates pour 17 Républicains113. Conformément à la tendance habituelle, la quasi-totalité des sortants sont réélus114. Avec 223 membres, le GOP possède une majorité très fragile. Sur chaque vote, les Républicains ne peuvent se permettre de perdre plus de cinq voix. La cohésion au sein du parti devient dès lors une nécessité absolue.
62Au Sénat, trente-quatre sièges étaient à pourvoir dont 18 détenus par le Parti de l’âne. Au final, six sièges changent de main et de parti mais le statu quo est maintenu car les Démocrates gagnent trois sièges républicains et les Républicains trois sièges démocrates. Trois sortants sont battus dont deux Républicains. Le sénateur républicain de New York, Alfonse (« Al ») D’Amato doit céder sa place au Démocrate Charles E. (« Chuck ») Schumer. Son collègue Lauch Faircloth, sénateur républicain de Caroline du Nord est battu par le futur candidat à l’investiture présidentielle démocrate et futur repris de justice, John Edwards. Côté démocrate, la seule Afro-Américaine du Sénat, Carol Moseley-Braun, sénatrice de l’Illinois, est battue par le Républicain conservateur Peter G. Filtzgerald. Trois autres sièges passent dans l’autre camp après la retraite de leur occupant. Le sénateur républicain de l’Indiana Dan Coats est remplacé par le Démocrate Evan Bayh tandis que les sénateurs démocrates Wendell Ford du Kentucky et John H. Glenn de l’Ohio laissaient place respectivement à Jim Bunning et George Voinovitch. Deux autres nouveaux élus115 rejoignent le plus petit contingent de néophytes à la chambre haute depuis 1990116 ce qui ne laisse pas augurer de changements radicaux au cours du 106e Congrès.
63Cette élection sans relief est marquée par le désintérêt du public. La participation chute encore puisqu’ils ne sont que 38,1 % des électeurs potentiels à se déplacer pour aller voter. En sus de la négation du déclin du parti présidentiel dans les élections de mi-mandat, le résultat bouscule une autre idée reçue du politique américain selon laquelle une faible participation devrait normalement bénéficier au Parti républicain117. Les électeurs républicains sont généralement plus riches et plus âgés, deux sous-catégories qui votent très régulièrement alors que le Parti démocrate doit compter sur le soutien des populations jeunes, les milieux défavorisés et les minorités ethniques, des groupes qui ont tendance à voter de manière moins systématique.
64Les intentions des électeurs qui se décident à participer au scrutin font une nouvelle fois l’objet de diverses spéculations. Les journalistes analysent le maintien du statu quo comme un nouvel encouragement à toujours plus de modération118. Dans les rangs républicains, les modérés accusent les conservateurs d’avoir affaibli le parti en s’entêtant sur la voie de la mise en accusation du président. La chasse aux sorcièrex orchestrée par le procureur indépendant Kenneth Starr avec l’encouragement de la majorité républicaine aurait fait fuir les électeurs modérés, centristes et indépendants vers les candidats du Parti démocrate. Les conservateurs fiscaux et les traditionalistes préfèrent pointer du doigt le recul sur les baisses d’impôts et les compromis injustifiés avec la Maison-Blanche qui auraient sapé le moral des électeurs républicains décidant alors de rester chez eux119. L’analyse des politologues semble donner raison aux modérés, au moins en ce qui concerne les élections au Sénat120.
2000-2004 : La sécurité de l’emploi
65Au sortir des élections de 1994, les dirigeants de la nouvelle majorité républicaine pensaient que les électeurs venaient de leur confier un mandat pour une révolution conservatrice qui réduirait fortement la place de l’État fédéral dans la société américaine. Les résultats mitigés des élections de 1996 et décevants de 1998 sont alors interprétés comme une tentative d’apporter un correctif à ce mandat fantôme. En réélisant Bill Clinton et en réduisant les marges de la majorité, le peuple américain aurait émis un appel à la modération et son soutien pour une ligne centriste sur laquelle les deux partis doivent collaborer. L’électorat serait anxieux de préserver l’équilibre politique pour ne pas bouleverser l’équilibre économique qui caractérise les années de collaboration forcée entre Clinton et les Républicains.
66Le choix de l’indécision se manifeste de la manière la plus flagrante en novembre 2000 lorsque l’électorat semble se partager en deux camps de tailles égales. L’arrivée à la Maison-Blanche de George W. Bush puis les attaques terroristes du 11 septembre mettent un terme à cette parenthèse fragile en permettant au GOP de reprendre le contrôle total de l’État fédéral puis de le consolider. En 2002 et 2004, les Républicains vont enchaîner les victoires en s’abritant derrière un président chef des armées et symbole de l’union nationale. Ils n’hésiteront pas à exploiter les thèmes de la sécurité nationale pour asseoir leur position dominante dans un contexte institutionnel ou la prime au sortant vient renforcer cette « sécurité de l’emploi ».
Le bug de l’an 2000
67L’élection de novembre 2000 a fait couler beaucoup d’encre. À l’échelle nationale, Al Gore, vice-président sortant et candidat du Parti démocrate recueille finalement 530 893 suffrages de plus que son adversaire, le gouverneur du Texas, George W. Bush121. Toutefois, aux États-Unis, le président n’est pas élu directement à l’échelle nationale mais dans les États par l’intermédiaire du collège électoral. La différence entre les deux candidats se réduit à mesure que les bulletins sont comptés et au lendemain de l’élection on ne sait toujours pas qui a remporté le plus de voix en Floride et donc qui a été élu président. Pendant de longues semaines, les deux partis se livrent une bataille féroce pour savoir quel candidat récupérera les voix des grands électeurs de Floride. Le 26 novembre l’administration du gouvernement de l’État, Jeb Bush frère cadet de George W. déclare le candidat républicain vainqueur122. Al Gore conteste la décision devant les tribunaux et après plusieurs circonvolutions judiciaires, la Cour suprême se saisit de la question. Le 12 décembre 2000, les cinq juges de la majorité décident d’interrompre les opérations de recomptage des voix déclarant Bush vainqueur en Floride et donc élu président123. Selon le décompte officiel final, sur 6 millions de scrutins, Bush recueille 537 voix de plus que son adversaire124.
68Tandis que tous les regards sont concentrés sur les opérations de décompte des voix pour ou contre Gore en Floride, les élections sénatoriales sont largement éclipsées alors qu’elles offrent un spectacle tout aussi captivant. Dans ces élections « fantômes125 » l’égalité presque parfaite entre les deux partis crée un Sénat où chaque camp compte 50 sénateurs. Les Démocrates partaient avec un léger avantage dans la mesure où, sur les 34 sièges à pourvoir, 19 étaient occupés par des Républicains et 15 par des Démocrates. Cependant, quatre sortants démocrates et seulement un élu républicain avaient décidé de ne pas se présenter de nouveau devant les électeurs. La retraite annoncée du sénateur républicain de Floride Connie Mack ouvre la voie du succès pour le Démocrate Bill Nelson. Cela permet de rendre la défaite de Gore sur les terres du gouverneur Bush un peu moins amère. Surtout, les candidats Républicains ne parviennent à l’emporter dans un seul des quatre sièges « ouverts » par le retrait d’un Démocrate126. Tous les sortants démocrates sont réélus à l’exception du Sénateur Chuck Robb, battu par George Allen en Virginie.
69Si le groupe républicain perd cinq sièges, c’est parce que cinq sortants du GOP sont battus par des challengers. Leur leader décrit un « bain de sang127 ». Dans le Missouri, le Sénateur John Ashcroft peinait dans sa campagne face au populaire gouverneur de l’État Mel Carnahan. Le scrutin avait pris une tournure dramatique lorsque le candidat du Parti démocrate périt dans un accident d’avion à trois semaines de l’élection. Sa veuve Jean Carnahan accepte de terminer la campagne en son nom pour siéger à sa place et le sortant est battu par un homme mort puisque les bulletins n’ont pas pu être imprimés de nouveau dans un délai si court. Dans le Delaware, Tom Carper gagne son duel face au sénateur républicain sortant William Roth tandis que, dans le Minnesota, Mark Dayton écartait Rod Grams. Dans le Michigan, Debbie Stabenow parvient de justesse à déloger le Républicain Spencer Abraham. Le recomptage des bulletins de Floride s’accompagne d’un recomptage de bulletins dans l’État de Washington où la Démocrate Maria Cantwell réussit l’exploit de sortir le Sénateur Slade Gorton avec une majorité infime de 2 229 voix128. Cela porte le contingent démocrate à cinquante sénateurs qui vont devoir collaborer avec cinquante sénateurs républicains, une situation inédite dans l’histoire de la république américaine.
70À la Chambre des représentants, malgré tous leurs efforts, les Démocrates ne parviennent pas à faire mieux que de réduire de deux sièges la majorité républicaine. Le GOP conserve de justesse le contrôle de la Chambre alors que les Démocrates espéraient pouvoir profiter des 26 sièges laissés « ouverts » par des retraits ou des défaites de sortants républicains dans les primaires. Les candidats du Parti de l’âne ne parviennent à en récupérer que six et, dans le même temps, les candidats républicains sont élus dans six circonscriptions laissées vacantes par l’absence de sortants démocrates.
71Lorsque le 107e Congrès s’ouvre, le GOP contrôle la Chambre par une très courte majorité, et les deux partis sont à égalité au Sénat ce qui donne de fait un contrôle précaire aux Républicains grâce au vote décisif du Vice-Président Cheney élu avec le nouveau président par une minorité du pays et l’intervention de la Cour suprême. Avant que le résultat final ne soit connu, les journalistes appelaient déjà le vainqueur éventuel à faire preuve de la plus grande retenue dans un contexte où il ne pouvait décemment pas prétendre que le public soutenait son programme avec la plus grande ferveur129. L’administration décidera de s’en tenir à ses priorités en écartant d’un revers de manche les considérations statistiques pour ne considérer que la victoire. Le dévissage économique et surtout les attentats du 11 septembre viennent transformer radicalement le contexte électoral et quel qu’ait été le message confus des élections de 2000, le nouveau monde politique qui s’ouvre en septembre 2001 défie les règles habituelles.
2002 : Dans l’ombre présidentielle
72Les élections de 2000 avaient été exceptionnellement indécises. Les résultats de 2002 sont éminemment clairs. Ils sont de surcroît en opposition complète avec la tendance historique. Le parti du président perd généralement des sièges aux élections de mi-mandat. Cette fois le GOP du Président Bush connaît un succès qui ne souffre d’aucune contestation.
73À la Chambre des représentants, les Républicains ont pu faire campagne derrière la bannière du commandant-en-chef pour consolider leur courte majorité avec 8 membres supplémentaires par rapport au résultat de novembre 2000. Ils ont également été avantagés par un redécoupage électoral plutôt favorable130. Au Sénat, ils devaient défendre 20 sièges contre 14 pour les Démocrates. À l’exception du sénateur de l’Arkansas, Tim Hutchinson battu par le Démocrate Mark Pryor, tous les sénateurs républicains sont réélus. Surtout, le GOP parvient à replacer des Républicains dans les sièges laissés vacants par des membres de leur parti en Caroline du Nord et dans le New Hampshire tout en se saisissant de trois sièges détenus par des sortants démocrates. Les Républicains récupèrent ainsi la majorité de la Chambre haute avec 51 sénateurs.
74Les efforts des Républicains pour mobiliser leurs électeurs se montrent payants131. 39,5 % des électeurs potentiels se sont déplacés, un taux de participation en légère hausse par rapport aux dernières élections de mi-mandat. À l’inverse, certains commentateurs critiquent le manque de pugnacité du Parti de l’âne, résigné à ne pas marquer sa différence idéologique pour ne pas effrayer les électeurs indépendants132. Les avis sont unanimes pour reconnaître l’importance des questions de sécurité et le talent présidentiel pour en récolter les fruits politiques. L’effet d’union nationale (rally-round-the-flag) souvent observé lorsque le pays est engagé dans des opérations militaires semble avoir joué à plein.
75Le résultat des élections de mi-mandat de 2002 est exceptionnel car le Président Bush choisit une tactique inhabituelle en engageant sa crédibilité, aidant financièrement et matériellement des candidats à la Chambre et au Sénat de manière tout à fait substantielle. Le président s’était notamment déplacé pour faire campagne auprès des candidats républicains dans 23 circonscriptions. Le résultat fut sans appel puisque 21 de ces candidats furent finalement élus133. Ce capital politique investi pour le compte des représentants saura être rappelé aux bénéficiaires lorsque le président aura besoin de leur appui pour faire adopter ses projets à la Chambre134. En s’insérant de manière si flagrante dans les élections du Congrès, le président peut également tirer profit des victoires pour enfin revendiquer un mandat des électeurs en faveur de son programme135. Avec deux ans de retard, l’administration et nombre de commentateurs analysent le scrutin de 2002 comme la résolution du non-choix de 2000136. La conviction d’avoir reçu le soutien populaire entraîne le corollaire inévitable de tout « mandat », le risque « d’emballement ». Les critiques attendent que ceux qui se sentent pousser des ailes soient rattrapés par les lois de la gravité électorale137. Leurs espoirs seront douchés par les résultats de novembre 2004.
2004 : La consécration
76Dix ans après la déferlante républicaine sur le Congrès, un président républicain est élu de manière nette. Sa victoire s’accompagne d’une consolidation des majorités de son parti à la Chambre et au Sénat. Le triomphe conservateur semble alors total ; le chantier prophétique de Karl Rove, qui œuvre depuis des années pour construire une majorité républicaine permanente138, en passe d’être achevé.
77À la Chambre des représentants, on assiste au scrutin le moins compétitif de l’histoire139. 400 représentants cherchent à se faire réélire. 393 y parviennent avec un écart moyen de 40 % d’avance sur leur plus proche concurrent140. Sur les 33 sièges laissés « ouverts » par l’absence d’un sortant, seuls 3 changent de main : deux sièges républicains sont remportés par des Démocrates et un siège démocrate par un Républicain. Le taux de réélection des sortants atteint un niveau record. Si le GOP augmente sa majorité de trois sièges supplémentaires, c’est uniquement grâce à un redécoupage extrêmement agressif dans les circonscriptions du Texas. En 2003, Tom DeLay, le leader de la majorité républicaine à la Chambre, a orchestré en sous-main ce redécoupage qui donne lieu à une bataille juridique141. Le succès dans les urnes est lui sans appel. Quatre sortants démocrates sont battus et cinq nouveaux représentants républicains viennent grossir les rangs de la majorité. Au 108e Congrès (2003-2004), la délégation Texane à la Chambre des représentants comptait 17 Démocrates pour 15 Républicains. Au 109e Congrès, ils seront 21 Républicains pour 11 Démocrates.
78Au Sénat, le résultat ne doit cette fois rien au découpage électoral. Les Républicains partaient avec un léger avantage dans la mesure où ils ne devaient défendre que 15 sièges contre 19 pour les Démocrates. Les Démocrates ne désespéraient pourtant pas de retrouver une majorité en l’emportant dans des États où aucun parti ne disposait d’un avantage trop net142. Leurs efforts sont annihilés lorsque le GOP engrange un gain net de 4 sièges qui élargit sa majorité à la chambre haute. Au 109e Congrès, ils seront 55 sénateurs républicains contre 44 Démocrates alliés à l’Indépendant Jim Jeffords du Vermont.
79Tous les sortants républicains sont réélus, ce qui constitue un exploit rare. Pour augmenter leur majorité, les Républicains capturent les cinq sièges laissés vacants par des retraits démocrates. Les électeurs démocrates avaient décidé de confier l’investiture à un nombre exceptionnel de femmes mais elles ne sont pas parvenues à empêcher le GOP de consolider sa position presque hégémonique dans le Sud. Le plus grand succès républicain de la soirée est à mettre au crédit de John Thune qui réussit l’exploit de battre le leader de la minorité démocrate, le Sénateur Tom Daschle, qui n’avait eu de cesse de gêner l’Administration Bush durant tout son premier mandat143.
80Rare satisfaction dans cette soirée cauchemardesque pour les Démocrates : à l’exception de leur leader Tom Daschle, tous leurs sortants se maintiennent sans trop de difficulté. Surtout, ils récupèrent deux sièges laissés vacants par des retraits républicains. Dans l’Illinois, la décision du sortant Peter Fitzgerald de ne pas se présenter pour un second mandat permet à un jeune sénateur de l’État d’être promu au Sénat des États-Unis en l’emportant très largement face à Alan Keyes, un candidat républicain très conservateur. En se faisant élire sénateur de l’Illinois, Barack Obama continue la fulgurante ascension qui le mènera à la Maison-Blanche avant même la fin de son premier mandat.
81En janvier 2005, le GOP contrôle tous les leviers de l’État fédéral et le Président Bush possède désormais toutes les cartes en main pour enfin combler les attentes des conservateurs. Le comité éditorial conservateur du Wall Street Journal l’encourage après l’élection à tenir ses promesses envers ses électeurs en nommant des juges très conservateurs dans les tribunaux fédéraux, en confirmant l’engagement américain en Irak et en faisant adopter son plan de comptes-épargne retraite individuels. Ils sont convaincus que les électeurs viennent de lui confier un mandat pour concrétiser ces projets qu’ils cherchent à concrétiser depuis si longtemps144. Leur vision d’une Amérique entièrement acquise aux idéaux conservateurs est remise en cause par d’autres qui insistent sur le caractère très étriqué de la victoire républicaine à l’échelle nationale comme à la Chambre. Dans les faits, le Président Bush est réélu à l’instar de la quasi-totalité des présidents sortants dans la même situation145. Rappelant que le Président Bush est le sortant le plus mal réélu depuis Woodrow Wilson en 1916, ils appellent à la prudence face au risque d’emballement146. Leurs réserves sont ignorés et l’administration en paye les conséquences. Le président dilapide son capital politique sur un projet de réforme d’envergure de la Sécurité Sociale qui ne mène nulle part tandis que sa politique en Irak ressemble de plus en plus à un enlisement qui fera la fortune électorale du Parti démocrate aux élections de mi-mandat de 2006.
Conséquences électorales de l’action législative
82Après avoir réussi à conserver un contrôle plus ou moins précaire sur le Congrès, le Parti républicain règne seul à la tête de l’État fédéral entre janvier 2003 et janvier 2007. Durant ce laps de temps, le Président Bush et ses alliés au Congrès étendent la guerre contre le terrorisme au théâtre Irakien tout en adoptant des baisses d’impôts et un coûteux programme de remboursement des médicaments pour les personnes couvertes par Medicare grévant lourdement le budget fédéral. Au moment où ils disposent enfin des leviers du pouvoir les Républicains agissent de manière presque antinomique par rapport aux préceptes conservateurs prêchés par les révolutionnaires qui avaient reconquis le Congrès en 1994.
83Grisés par les victoires successives, les Républicains semblent ainsi avoir peu à peu abandonné une partie de leurs convictions initiales. Dans les faits, la persistance de leur supériorité numérique à la Chambre n’était sans doute pas tant le fruit d’une adhésion claire de l’électorat mais plutôt la conséquence de la quasi-disparition de la concurrence électorale dans la plupart des circonscriptions. Une fois la majorité acquise, le poids de l’inertie qu’engendre la réélection presque automatique des sortants avait suffi pour que le GOP conserve une majorité des représentants. La même force rend bien sûr tout aussi difficile une augmentation de la majorité au-delà de ses frontières initiales147. Il faut donc un revirement considérable, unanimement réparti sur tout le territoire pour défaire ce que les élections précédentes ont construit. Une telle vague de mécontentement avait permis de déloger la majorité démocrate en 1994. Douze ans plus tard c’est une vague démocrate qui s’abat sur les sortants républicains forcés d’offrir une explication au revirement de leurs fortunes électorales.
Retour de bâton électoral
84Le 8 novembre 2006, au lendemain de l’élection, le Président Bush se présente en conférence de presse pour donner sa propre version des faits. Fidèle à son héritage texan, il décrit la défaite républicaine dans des termes imagés148. Les Républicains perdent simultanément leur majorité à la Chambre et au Sénat. Le succès démocrate est si net que, pour la première fois depuis 1922, pas un seul siège démocrate n’est pris par le Parti républicain149. Tous les sortants du Parti de l’âne sont réélus et ceux qui ne se sont pas représentés sont remplacés par des collègues de leur parti.
85Le changement de majorité dans les deux chambres et le retour d’un parti écarté des responsabilités après un long exil rappelle forcément aux participants le scrutin du 8 novembre 1994. Par bien des aspects, les deux élections sont comme des miroirs150. Avec 40,3 % des électeurs potentiels se rendant aux urnes151, la participation s’établit à un niveau élevé comparable à celui de 1994, La défaite de la majorité est d’une ampleur comparable. Les 202 représentants républicains du 110e Congrès seront quasiment aussi peu nombreux que les 204 représentants démocrates qui avaient survécu à la conquête de Newt Gingrich.
86À la Chambre, avec 232 représentants, les Républicains abordaient le scrutin avec leur plus solide majorité. Cette fois, ils ne perdent non pas deux ou trois sièges mais trente. Les Démocrates commencent par rafler 8 sièges « ouverts » précédemment occupés par des Républicains. Contrairement à l’habitude, la déferlante électorale n’épargne pas les sortants. 22 représentants républicains candidats à leur propre réélection sont battus par des candidats démocrates aux quatre coins du pays. 19 candidats du parti de John Kerry parviennent même à se faire élire dans des circonscriptions où Bush avait recueilli une majorité des suffrages 24 mois auparavant152.
87Pour arriver à un tel résultat, les Démocrates ne se sont pas contentés d’attendre tranquillement que les électeurs se retournent contre le Parti de l’éléphant. Ils ont œuvré de manière très active pour concrétiser leurs ambitions majoritaires. Parmi les artisans de la victoire Démocrate, il faut souligner le rôle de Rahm Emmanuel. Le futur directeur de cabinet du Président Obama puis maire de Chicago est alors simple représentant de la 5e circonscription de l’Illinois, élu pour la première fois en 2002. En reconnaissance de ses prouesses dans l’art de lever des fonds et de son hyperactivité, Nancy Pelosi, leader de la minorité démocrate de la Chambre, lui avait confié en 2004 la direction du DCCC (Democratic Congressional Campaign Committee), la commission chargée de faire élire le maximum de représentants démocrates aux prochaines élections153. Armé d’une très forte personnalité, cet ancien de l’Administration Clinton dépense une énergie considérable pour remplir les fonctions traditionnelles du DCCC : appui logistique et financement des campagnes des sortants, communication et surtout recrutement. Rahm Emanuel choisit des profils atypiques, notamment de nombreux anciens combattants des guerres d’Afghanistan et d’Irak pour tenter de changer l’image du Parti démocrate154. Une fois engagés dans la course, les candidats ciblés par cet hyperactif sont harcelés de coup de téléphone pour les encourager, les cajoler et les vilipender dans un langage très fleuri qui a fait la réputation de Rahm Emanuel155. Son acharnement finit par payer puisque 20 des trente sièges capturés au Parti républicain reviennent à des candidats qu’il avait lui-même choisis et accompagnés tout au long de la campagne156.
88En 1994, les hommes de Gingrich avaient leur « Contrat avec l’Amérique ». En 2006, les troupes de Nancy Pelosi font campagne autour d’un agenda en forme de programme très schématique. Les vagues promesses d’un changement de cap (« A New Direction ») sont déclinées en six propositions dans un document intitulé « 6 pour 2006 » (6 for ‘06). Le contenu est beaucoup moins détaillé et ambitieux que le « Contrat » mais l’ambition de nationaliser l’élection autour de thèmes favorables au parti est la même157. La tactique est un succès puisque 34 % des sondés disent que les enjeux nationaux ont été les plus importants pour déterminer leur vote contre 29 % qui se sont basés sur la composante locale158. En 2006, la politique ne se faisait pas au niveau local. Emanuel et les cadres démocrates décident également de s’inspirer de la tactique de la terre brûlée utilisée par les Républicains dans leur phase d’ascendance vers la majorité. Ils n’hésitent plus à peindre les dysfonctionnements institutionnels comme le symptôme d’un déficit moral des représentants républicains tous plus ou moins corrompus159.
89Au Sénat, le tableau est tout aussi sombre pour les élus du GOP. Avant l’élection, ils pouvaient espérer sereinement conserver leur confortable majorité de cinq sièges puisqu’ils n’avaient à défendre que 15 sièges contre 18 pour les Démocrates. Ils perdent finalement six sièges. Là aussi tous les sortants démocrates sont réélus. Les sénateurs démocrates qui ont décidé de quitter la chambre haute réussissent tous à transmettre le témoin à un membre de leur parti. Le Parti démocrate retrouve la majorité en écartant cinq sortants républicains candidats à leur propre réélection. Les victoires sont d’autant plus marquantes qu’elles se font dans des États plutôt conservateurs comme le Missouri, où Claire McCaskill l’emporte sur le Sénateur Jim Talent, ou le Montana, où le Sénateur Conrad Burns est battu par Jon Tester. En Virginie, le Sénateur George Allen est poussé vers la sortie par Jim Webb, ancien combattant de la guerre du Vietnam mais néophyte politique bien aidé par les propos racistes du candidat républicain160. Symboliquement, la victoire la plus satisfaisante pour les Démocrates demeure sans doute celle de Bob Casey Jr. face au sénateur de Pennsylvanie, Rick Santorum. Depuis son accession au Sénat en 1994, l’ancien proche de Newt Gingrich était devenu une figure centrale de l’ordre conservateur à la chambre haute. Douze ans plus tard, il est rejeté sans appel par les électeurs de l’État161. Malgré son positionnement plus modéré, Mike De Wine, son collègue de l’Ohio lui aussi élu pour la première fois en 1994 fait également les frais de la vague démocrate. Il est battu sèchement par le très progressiste Sherrod Brown dans cet État qui fait souvent office de précurseur des tendances électorales nationales (bellwether state). L’élan emporte même le Sénateur Lincoln Chaffee du Rhode Island. Le moins conservateur des sénateurs républicains est populaire auprès de l’électorat de l’État mais le rejet qu’inspire son parti semble finalement prendre le dessus et offrir son siège à Sheldon Whitehouse.
Revers ou rejet ?
90La défaite cuisante que subissent les élus républicains amène nécessairement les stratèges à s’interroger sur les raisons qui ont pu mener les électeurs à leur tourner aussi violemment le dos. Les explications varient entre deux pôles. D’un côté, ceux qui préfèrent voir un accident temporaire qui ne mérite pas de remise en cause profonde de l’idéologie conservatrice, du bilan des années de domination et de la tactique électorale républicaine. De l’autre, ceux qui font une critique plus radicale des errements républicains pour tenter soit de ramener le Parti vers un positionnement plus modéré, soit de l’ancrer encore plus solidement dans le camp conservateur.
91Le GOP devait indéniablement naviguer face au vent de l’histoire dont les prédictions traditionnelles d’un effondrement du soutien présidentiel dans les élections de mi-mandat du second mandat sont cette fois confirmées. Les observateurs ressortent également des cartons l’hypothétique attraction de l’électorat américain pour les freins et contre-pouvoirs. Le contexte politique joue évidemment un rôle essentiel. Durant les derniers jours du mois d’août 2005 l’ouragan Katrina avait semé une destruction incommensurable sur tout le long de la côte du golfe du Mexique. Le 29 août 2005, les digues qui protègent la Nouvelle-Orléans cèdent. Une partie de la ville, notamment les quartiers situés sous le niveau des eaux, est presque instantanément submergée. La lenteur et incompétence de la réponse de l’administration fédérale donnent lieu à des scènes macabres relayées en direct à la télévision. Le bilan humain est terrible et les failles béantes laissées par une politique de désinvestissement étatique sont révélées aux yeux de tous162.
92Pour ce qui est du choix d’aller combattre en Irak, les responsabilités politiques sont beaucoup plus claires. Sur ce point, la colère des électeurs est alimentée bien sûr par la détérioration de la situation sur le terrain mais aussi sur les révélations sur l’étendue des mensonges qui l’ont motivé. Le mois qui précède l’élection est le plus meurtrier pour les troupes américaines depuis le début des opérations. Dans les enquêtes à la sortie des urnes, 57 % des sondés se déclarent contre la guerre163. Face au message unanime des électeurs, le Président Bush semble faire un premier pas en remerciant son ministre de la Défense, Donald Rumsfeld avant d’augmenter encore la présence militaire américaine en Irak. La sanction électorale dépasse pourtant les frontières de l’Irak. La personnalité même du président paraît définitivement entachée aux yeux des citoyens américains qui ne lui accordent plus que 40 % d’opinions favorables à la veille de l’élection164. Les Démocrates utilisent le président comme repoussoir pour convaincre les électeurs de ne pas voter pour les candidats républicains exactement comme les Républicains en 1994 avaient lié le Président Clinton, alors impopulaire, à tous les candidats démocrates.
93Au-delà même de la figure présidentielle, le rejet semble caractériser le parti dans son ensemble165. Les électeurs prennent leur distance devant le dogmatisme idéologique que révèle l’exemple l’intervention des autorités fédérales dans le cas pathétique de Terri Schiavo166. L’image de marque républicaine est surtout ternie durablement par un grand nombre de scandales de mœurs ou de corruption concernant les membres de la Chambre167. 41 % électeurs déclareront que cela a été un facteur important pour faire leur choix168.
94La plus importante affaire concerne le « super-lobbyiste » Jack Abramoff. Figure presque mythique dans les cercles républicains, l’homme au Panama, ancien assistant de Tom DeLay, avait commencé à attirer l’attention des médias lorsque le Washington Post révèle qu’il a touché 45 millions de dollars en trois ans pour représenter quatre tribus d’Amérindiens qui cherchent à protéger les intérêts de leurs casinos169. À mesure que les journalistes puis la justice enquêtent, on découvre un réseau de corruption qui déborde très largement le cadre assez laxiste de la législation sur le financement des campagnes pour tomber dans la criminalité. Le 3 janvier 2006, il plaide coupable pour fraude, évasion fiscale et corruption et le 29 mars, un tribunal fédéral de Floride le condamne à 5 ans de prison170. Dans le sillage d’Abramoff, le puissant Tom DeLay, empêtré dans de multiples affaires au Texas, est contraint d’abandonner son siège de représentant de la 22e circonscription qui sera promptement conquis par le candidat démocrate, Nick Lampson, lors des élections. Dans sa chute le lobbyiste entraîne aussi le représentant de la 18e circonscription de l’Ohio, Bob Ney. Cet élu de 1994 démissionne en août 2006 avant d’être inculpé puis condamné par la justice à 30 mois de prison pour avoir accepté des dons de la part de clients d’Abramoff afin de défendre leurs intérêts en sa capacité de membre du Congrès171.
95Ultime scandale, le 29 septembre 2006, un mois avant l’élection, Mark Foley le représentant de la 16e circonscription de Floride prend une retraite anticipée après que les médias avaient révélé ses messages graveleux en direction des jeunes mineurs qui officient comme stagiaires chargés d’assister les membres du Congrès (congressional pages172). La succession des scandales qui jettent le discrédit sur le Parti de l’éléphant amène Tom DeLay à voir une défaite républicaine plutôt qu’une victoire démocrate173. De leur côté, les Démocrates hésitent à écouter les sirènes de certains éditorialistes progressistes qui parlent d’un mandat pour leurs idées et notamment le retrait d’Irak174. Ils préfèrent rester modestes175 après une élection qui a surtout révélé l’immense impatience du peuple américain envers ses élus176. La facilité avec laquelle les électeurs indépendants se sont éloignés de Bush177 pour les rejoindre dans l’opposition à la guerre en Irak178 peut difficilement être vue comme un appel à reprendre la marche en avant vers la Grande société. La liquidation électorale de l’idéologie conservatrice devra attendre la prochaine élection présidentielle.
96Pendant que les majorités démocrates du 110e Congrès entament un bras de fer plutôt infructueux avec la Maison-Blanche, les débats sur les causes et les leçons à tirer de la défaite de 2006 continuent d’animer les conversations dans les cercles républicains. Les lignes de fracture persistent entre les différentes composantes du mouvement conservateur. Le travail de relecture plus ou moins critique de l’héritage politique laissé par l’administration Bush oscille en fonction des domaines et des affinités idéologiques de chacun179. Devant l’impasse électorale, la tentation est forte de retourner vers la figure conquérante de Reagan180 ou les références intellectuelles du mouvement181 pour retrouver une identité idéologique mise à mal par l’hybridité de « l’interventionnisme conservateur » (big government conservatism) pratiqué durant l’Administration Bush.
97Les résultats électoraux catastrophiques qui ponctuent la période de domination républicaine imposent de soulever la question d’un décrochage entre les électeurs et leurs représentants.
98Une révolution conservatrice qui s’empare de l’État fédéral pour lutter contre les pouvoirs de l’État fédéral sur la base d’un mandat ambivalent des électeurs ne pouvait manquer de soulever de nombreuses contradictions. Les Républicains sont parvenus au pouvoir en jouant de la polarisation partisane. Dans la minorité, ils étaient passés experts dans l’art de l’obstruction législative systématique mobilisée à des fins électoralistes. Ils avaient prôné la cohésion du groupe comme moyen de résistance contre les majorités démocrates et l’Administration Clinton. Redevenus majoritaires, ils sont confrontés aux conséquences institutionnelles de la polarisation qui entrave l’action du parti majoritaire au Congrès. Les évolutions de l’électorat et l’activisme du mouvement conservateur ont amené les Républicains à se rassembler sur une ligne radicale. Ultime paradoxe de la polarisation partisane, l’exercice du pouvoir va montrer aux activistes conservateurs qu’à mesure qu’ils entraînent le Parti républicain vers la droite, ils se condamnent à lier leurs destinées politiques à celles du parti. Or, les cadres républicains, à la Maison-Blanche ou au Congrès, sont mus prioritairement par la poursuite de ce qu’ils perçoivent comme leur intérêt électoral. Si cet objectif doit les amener à délaisser leurs convictions conservatrices, ils n’hésiteront pas à la faire et à entraîner dans leur sillage des activistes alors condamnés à se soumettre.
Notes de bas de page
1 Hibbing J. et Theiss-Morse E., Stealth Democracy: American’s Beliefs about How Government Should Work, New York, Cambridge University Press, 2002, p. 2.
2 Andersen K., « Our Politics Are Sick », The New York Times, 19 août 2011.
3 Eilperin J., Fight Club Politics: How Partisanship Is Poisoning the House of Representatives, New York, Rowman & Littlefield, 2006, 192 p.
4 Brownstein R., The Second Civil War: How Extreme Partisanship Has Paralyzed Washington and Polarized America, New York, Penguin, 2008, p. 13.
5 McCarty N., Poole K. et Rosenthal H., Polarized America: The Dance of Ideology and Unequal Riches, Cambridge, The MIT Press, 2006, p. 2.
6 Downs A., « An Economic Theory of Political Action in a Democracy », The Journal of Political Economy, vol. 65, n° 2, 1957, p. 153.
7 American Political Science Association Committee on Political Parties, « Toward a More Responsible Two-Party System: A Report of the Committee on Political Parties », American Political Science Review, vol. 44, n° 3, 1950, Supplement.
8 En ce qui concerne les membres du Congrès, toutes les mesures disponibles en attestent, des scores donnés par les groupes d’intérêts à ceux de l’algorithme DW-NOMINATE. Theriault S., Party Polarization in Congress, New York, Cambridge University Press, 2008, p. 8.
9 Abramowitz A. et Saunders K., « Is polarization a myth? », Journal of Politics, vol. 70, n° 2, 2008, p. 543.
10 Leibovitch M., « Palin Visits a “Pro-America” Kind of Town », [http://thecaucus.blogs.nytimes.com/2008/10/17/palin-visits-a-pro-america-kind-of-town/], consulté le 5 juin 2012.
11 Renan E., Qu’est-ce qu’une nation ? Conférence faite en Sorbonne, le 11 mars 1882, Paris, C. Lévy, 1882.
12 Putnam R., Bowling alone: the collapse and revival of American community, New York, Simon & Schuster, 2000, 541 p.
13 Bishop B. et Cushing R., The Big Sort: Why the Clustering of Like-Minded America Is Tearing Us Apart, Boston, Mariner Books, 2009.
14 The American National Election Studies, « The ANES Guide to Public Opinion and Electoral Behavior », [http://www.electionstudies.org/nesguide/toptable/tab2a_2.htm], Table 3.1.
15 Ibid.
16 Pour obtenir ces chiffres, on a ajouté les scores des personnes s’étant placées dans les catégories « extrêmement progressiste » (Extremely Liberal), « progressiste » (Liberal) et « modérement progressiste » (Slightly Liberal), ibid.
17 Idem pour les personnes s’étant placées dans les catégories conservatrices.
18 Abramowitz A., The Disappearing Center: Engaged Citizens, Polarization, and American Democracy, New Haven, Yale University Press, 2010, chap. 2.
19 Douthat R., « The Changing Culture War », The New York Times, 6 décembre 2010, p. 27.
20 Black E. et Black M., Divided America : the ferocious power struggle in American politics, New York, Simon & Schuster, 2007.
21 La question est formulée ainsi : « D’une manière générale, vous considérez-vous comme un Républicain, un Démocrate, un Indépendant ou autre ? » (« Generally speaking, do you usually think of yourself as a Republican, a Democrat, an Independent, or what? ») Si la personne sondée avait répondu « Républicain » ou « Démocrate » à première question, on lui demandait alors : « Diriez-vous que vous êtes un Démocrate/Républicain convaincu ou un Démocrate/Républicain hésitant ? » (« IF REPUBLICAN OR DEMOCRAT) « Would you call yourself a strong (REPUBLICAN/DEMOCRAT) or a not very strong (REPUBLICAN/DEMOCRAT) ? ») Si la personne avait répondu « Indépendant », « Autre », ou « pas de préférence » à la première question, le sondeur demandait alors « Pensez-vous être plus proche du Parti républicain ou du Parti démocrate ? » (« IF INDEPENDENT, OTHER [1966 and later: OR NO PREFERENCE] ») « Do you think of yourself as closer to the Republican or Democratic party? »), [http://www.electionstudies.org/nesguide/toptable/tab2a_1.htm], consulté le 5 juin 2012.
22 The American National Election Studies, op. cit. Table 2A1.
23 Keith B., Magleby D., Nelson C. et al., The Myth of the Independent voter, Berkeley, University of California Press, 1992, p. 198.
24 Abramowitz A., op. cit., p. 89.
25 McCarty N., Poole K. et Rosenthal H., op. cit., p. 108.
26 Polsby N., How Congress Evolves: Social Bases of Institutional Change, New York, Oxford University Press, 2005, p. 3.
27 Black E. et Black M, The Rise of Southern Republicans, Cambridge, Harvard University Press, 2002.
28 McCarty N., Poole K. et Rosenthal H., op. cit., chap. 3.
29 Ibid., fig. 1.1.
30 Bartels L., Unequal Democracy: The Political Economy of the New Gilded Age, Princeton, Princeton University Press, 2010, chap. 2 et 9.
31 McCarty N., Poole K.et Rosenthal H., op. cit., p. 2-3.
32 Les non-citoyens représentait 2,6 % de la population en 1972 et 7,8 % en 2000, ibid., p. 116.
33 Poole K., Congress: a political-economic history of roll call voting, New York, Oxford University Press, 1997, chap. 4.
34 Pour une autre représentation graphique des mêmes données voir Fiorina M., Culture War? The Myth of a Polarized America, Boston, Longman, 2010, fig. 2.2.
35 Mann T. et Ornstein N., The Broken Branch: How Congress Is Failing America and How to Get It Back on Track, New York, Oxford University Press, 2008, p. 211 ; Eilperin J., op. cit., p. 76-77.
36 Fiorina M., op. cit., p. 61.
37 Eilperin J., op. cit., p. 92.
38 Sean M. Theriault estime que, sur les trois dernières décennies, 10 à 20 % de la polarisation partisane à la Chambre des représentants sont imputables au découpage électoral. Theriault S., op. cit., p. 83.
39 Ibid., p. 197.
40 McCarty N., Poole K.et Rosenthal H., op. cit., p. 65.
41 Masket S., Winburn J. et Wright G., « The Gerrymanderers Are Coming! Legislative Redistricting Won’t Affect Competition or Polarization Much, No Matter Who Does It », PS: Political Science & Politics, vol. 45, n° 1, 2012, p. 39-43.
42 Ibid., p. 43.
43 McCarty N., Poole K.et Rosenthal H., op. cit., p. 69-70.
44 Murakami M., « Divisive Primaries: Party Organizations, Ideological Groups, and the Battle over Party Purity », PS: Political Science & Politics, vol. 41, n° 04, 2008, p. 921.
45 Davidson R., Oleszek W. et Lee F., Congress And Its Members, Washington, D.C., CQ Press, 2009, p. 71.
46 Hojnacki M. et Kimball D., « Organized Interests and the Decision of Whom to Lobby in Congress », The American Political Science Review, vol. 92, n° 4, décembre 1998, p. 784.
47 Connelly W., James Madison rules America: the constitutional origins of congressional partisanship, Lanham, Rowman & Littlefield, 2010, p. 247.
48 Frau-Meigs D., « Le journalisme aux États-Unis : une profession sous influences », Parlement[s], Revue d’histoire politique, n° 2, septembre 2004, p. 64-79.
49 Zelizer J., On Capitol Hill: The Struggle to Reform Congress and its Consequences, 1948-2000, New York, Cambridge University Press, 2006, p. 220.
50 Groeling T., « Who’s the Fairest of them All? An Empirical Test for Partisan Bias on ABC, CBS, NBC, and Fox News », Presidential Studies Quarterly, vol. 38, n° 4, 2008, p. 650.
51 Moins de 2 % de la population adulte regarde les chaînes d’information en continue. Althaus S., « American News Consumption during Times of National Crisis », PS: Political Science & Politics, vol. 35, n° 03, 2002, p. 519.
52 Pew Project for Excellence in Journalism et Tyndall A., « The State of the News Media 2004: An Annual Report of American Journalism », Washington, D.C., Pew Project for Excellence in Journalism, 2004, (« The State of the News Media »), sect. Cable Audience.
53 Jamieson K. et Hardy B., « What Is Civil Engaged Argument and Why Does Aspiring to It Matter? », PS: Political Science & Politics, vol. 45, n° 03, 2012, p. 413.
54 Mutz D., « How the mass media divides us » in Nivola P. et Brady D., Red And Blue Nation?: Characteristics And Causes of America’s Polarized Politics, Washington, D.C., Brookings Institution Press, 2006, p. 233.
55 Zelizer J., op. cit., p. 222.
56 Oren G., « Fall from Grace » in Nye J., Zelikow P. et King D. (éd.), Why people don’t trust government, Cambridge, Harvard University Press, 1997, p. 90.
57 Brownstein R., op. cit., p. 369.
58 King D., « Congress, Polarization, and Fidelity to the Median Voter », Harvard University – John F. Kennedy School of Government, 2003, p. 32.
59 Blumenthal S., The permanent campaign: inside the world of elite political operatives, Boston, Beacon Press, 1980, 264 p.
60 Hibbing J. et Theiss-Morse E., op. cit., p. 122.
61 King D., « The Polarization of Political Parties and Mistrust of Government » in Nye J., Zelikow P. et King D. (éd.), Why people don’t trust government, op. cit., p. 156.
62 Hetherington M., « Turned Off or Turned On? How Polarization Affects Political Engagement » in Pietro S. Nivola et David W. Brady, Red and Blue Nation?: Consequences and Correction of America’s Polarized Politics, Washington, D.C., Brookings Institution Press, 2008, p. 2.
63 Abramowitz A., op. cit., p. 13-14.
64 Ibid., p. 150.
65 Hacker J. et Pierson P., Off Center: The Republican Revolution and the Erosion of American Democracy; With a new Afterword, New Haven, Yale University Press, 2006, p. 29.
66 Kelley S., Interpreting Elections, Princeton, Princeton University Press, 1983, chap. 1 « Introduction ».
67 Lippmann W., The Phantom Public, New York, Harcourt, Brace, 1925.
68 Page B. et Shapiro R., The Rational Public: Fifty Years of Trends in Americans’ Policy Preferences, Chicago, University Of Chicago Press, 1992. Zaller J., The Nature and Origins of Mass Opinion, New York, Cambridge University Press, 1992. Jones D. et McDermott M., Americans, Congress, and democratic responsiveness: public evaluations of Congress and electoral consequences, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2009.
69 Hershey M., « The Constructed Explanation: Interpreting Election Results in the 1984 Presidential Race », The Journal of Politics, vol. 54, n° 04, 1992, p. 944.
70 Grossback L., Peterson D. et Stimson J., Mandate Politics, New York, Cambridge University Press, 2006, p. 14.
71 « Les élections au Congrès sont des événements collectifs et individuels. Lorsqu’on additionne les victoires et les défaites dans chacun des scrutins, la somme détermine quel parti contrôle la Chambre des représentants et le Sénat et la taille de la majorité. Le résultat donne également à tous les responsables politiques au niveau national un sens ou au moins une vague idée de l’état d’esprit du public. Les chiffres bruts et leur interprétation construisent les opportunités et les contraintes qui fixeront le cap de la politique nationale pour les deux années à venir et souvent bien plus longtemps que cela. » Jacobson G., The Politics Of Congressional Elections, New York, Longman, 2001, p. 141.
72 Pitney J. et Connelly W., « “Permanent Minority” No More: House Republicans in 1994 » in Klinkner P., Jones C. (éd.), Midterm: The Elections Of 1994 In Context, Boulder, Westview Press, 1996, p. 47.
73 Haas K., « Statistics of the Congressional Election of November 2, 2010 », Washington, D.C., U.S. Government Printing Office, 2011, p. 60.
74 Drew E., Showdown: The Struggle Between the Gingrich Congress and the Clinton White House, New York, Simon & Schuster, 1997, p. 28.
75 Davidson R., Oleszek W. et Lee F., Congress And Its Members, Washington, D.C., CQ Press, 2009, p. 63.
76 Amer M., « Freshmen in the House of Representatives and Senate by Political Party: 1913-2005 », Washington, D.C., Congressional Research Service, 2005, p. 3.
77 Jacobson G., op. cit., p. 154.
78 Terry D., « Rostenkowski, The Old Lion, Is Defeated By a Cub », The New York Times, 8 novembre 1994, p. 2.
79 Killian L., The Freshmen: What Happened to the Republican Revolution, New York, Basic Books, 1999, p. 19.
80 Les 100 sénateurs sont élus pour six ans mais le Sénat est renouvelé par tiers tous les deux ans, i.e. 33 sièges. Deux élections supplémentaires spéciales (special elections) avaient lieu en 1994. La première pour élire un remplaçant permanent au Vice-président Gore qui avait été réélu sénateur du Tennessee en 1990. La seconde pour remplacer David Boren, le sénateur de l’Oklahoma ayant quitté le Sénat pour la présidence de l’Université de l’Oklahoma.
81 Le leader démocrate George Mitchell, sénateur du Maine, Dennis DeConcini, sénateur démocrate de l’Arizona, Don Riegle, sénateur du Michigan, Howard Metzenbaum sénateur de l’Ohio et Malcolm Wallop sénateur du Wyoming sans oublier Harlan Matthews le remplaçant temporaire du Sénateur Gore.
82 David Durenberger, sénateur du Minnesota et John Danforth, sénateur du Missouri ainsi que David Boren, sénateur de l’Oklahoma.
83 Mattei F., « Eight More in ’94: The Republican Takeover of the Senate » in Klinkner P. et al., op. cit., p. 29.
84 Kenworthy T. et Kamen A., « Republicans Capture Majority of Nation’s Governorships », The Washington Post, 9 novembre 1994, p. A21.
85 Cité in Boyer P., « House Rule », The New Yorker, New York, NY, décembre 2010, p. 61.
86 Dowd M., « The 1994 Election; The House; The Republican Leader; Vengeful Glee (and Sweetness) at Gingrich’s Victory Party », The New York Times, 9 novembre 1994, p. 2.
87 Killian L., op. cit., p. 27.
88 Drew E., op. cit., p. 310-311.
89 Nye J., Zelikow P. et King D. (éd.), Why people don’t trust government, op. cit.
90 Republican Party Platforms: «Republican Party Platform of 1988 », August 16, 1988. Online by Gerhard Peters and John T. Woolley, The American Presidency Project, [http://www.presidency.ucsb.edu/ws/?pid=25846], consulté le 10 juin 2012.
91 U.S. Term Limits c. Thornton, 514 US 579, 22 mai 1995.
92 Boeckelman K., « Term Limitation, Responsiveness, & the Public Interest », Polity, vol. 26, n° 2, décembre 1993, p. 189-205.
93 Wolfensberger D., Congress and the People: Deliberative Democracy on Trial, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 2001, p. 212-214.
94 « Proposing an amendment to the Constitution of the United States with respect to the number of terms of office of Members of the Senate and the House of Representatives », 1995.
95 Seelye K., « House Turns Back Measure to Limit Terms in Congress », The New York Times, 30 mars 1995.
96 Woodward B., The Choice, New York, Simon & Schuster, 1996.
97 Rapoport R. et Stone W., Three’s a Crowd: The Dynamic of Third Parties, Ross Perot, & Republican Resurgence, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2005, p. 141.
98 Kurtz H., « The Wreck of the SS Dole; The Drifting Campaign That Sprang A Leak », The Washington Post, 7 novembre 1996, p. 1.
99 Michelot V., L’Empereur de la Maison-Blanche, Armand Colin, 2004, 213 p., p. 59.
100 Il obtient 47 401 898 voix soit 49,2 % des suffrages. Carle R., Clerk of the House of Representatives, « Statistics of the Presidential and Congressional Election of November 5, 1996 », Washington, D.C., Clerk of the House of Representatives, 1997.
101 « The Political Year, 1996. » Congress and the Nation, 1993-1996, vol. 9, Washington, D.C., CQ Press, 1997.
102 Une élection spéciale pour élire le remplaçant permanent du Sénateur Dole vient s’ajouter aux 33 sièges à pourvoir.
103 Jeff Sessions est ainsi élu sénateur républicain de l’Alabama en remplacement du Démocrate Howell Heflin. Le Républicain Tim Hutchinson récupère le siège de sénateur de l’Arkansas qu’occupait le Démocrate David Pryor. Chuck Hagel est élu sénateur républicain du Nebraska pour remplacer James Exon.
104 Kusnet D. et Teixeira R., « Election ‘96: Winners and Weepers: The Liberals: Tuesday’s Secret Result: A Winning Brand of Liberalism », The Washington Post, 10 novembre 1996, p. 4.
105 Fiorina M., Divided government, New York, Macmillan, 1992.
106 Mayhew D., Divided we govern: party control, lawmaking and investigations, 1946-2002, New Haven, Yale University Press, 2005.
107 Born R., « Split-Ticket Voters, Divided Government, and Fiorina’s Policy-Balancing Model », Legislative Studies Quarterly, vol. 19, n° 1, février 1994, p. 95-115.
108 Jacobson G., op. cit., p. 186.
109 Barnett T., Legislative learning the 104th Republican freshmen in the House, New York, Garland Publishers, 1999, p. 11.
110 Mitchell A., « Parties Look to November In Weighing Starr Inquiry », The New York Times, 16 août 1998, p. 1.
111 Gibbs N. et Duffy M., « Fall of the house of Newt », Time, 16 novembre 1998.
112 Abramowitz A., « Explaining Success and Failure in the 1998 Midterm Elections: Comparing the Influence of Swing Voters and Core Party Supporters », PS: Political Science and Politics, vol. 32, n° 1, mars 1999, p. 60.
113 Amer M., op. cit., p. 5.
114 Seuls six sortants ne parvinrent pas à se maintenir à leur poste : 5 Républicains (Jon D. Fox, PA ; Michael Pappas, N.J. ; Bill Redmond, N.M. ; Vincent Snowbarger, KS et Rick White, WA) et 1 Démocrate (Jay Johnson, WI). « The Political Year, 1998 », Congress and the Nation, 1997-2001, vol. 10, Washington, D.C., CQ Press, 2002.
115 Blanche Lincoln remplace son collègue Républicain Fay Boozeman dans l’Arkansas et Michael Crapo récupère le siège de sénateur républicain de l’Idaho de Dick Kempthorne qui avait préféré se faire élire gouverneur de l’État.
116 Amer M., op. cit., p. 5.
117 Berke R., « Democrats’ Gains Dispel Notion That the G.O.P. Benefits From Low Turnout », The New York Times, 6 novembre 1998, p. 28.
118 Neal T. et Morin R., « For Voters, It’s Back Toward the Middle », The Washington Post, 5 novembre 1998, p. 33.
119 Calmes J. et Harwood J., « Say What? Gingrich Gone, GOP Is Still Left Struggling To Craft Its Message – Take Your Pick: Pragmatism Vies With Variations On Old Conservatism – “Ideology Is No Longer Linear” », The Wall Street Journal, Washington, D.C., 10 novembre 1998, p. 1.
120 « Les résultats décevants des Républicains aux sénatoriales de 1998 s’expliquent par le faible soutien de ces électeurs modérés et indépendants qui font pencher la balance et non par le manque de participation des partisans les plus dévoués. » Abramowitz A., op. cit., p. 61.
121 50 996 062 pour Al Gore, 50 465 169 pour George W. Bush. Trandahl J., Clerk of the House of Representatives, op. cit., p. 75.
122 Purdum T., « Bush is Declared Winner in Florida, but Gore Vows to Contest Results », The New York Times, 27 novembre 2000, p. 1.
123 Bush c. Gore, 12 décembre 2000, 531 U.S. 98.
124 2 912 790 pour George W. Bush 2 912 253 pour Al Gore. Trandahl J., Clerk of the House of Representatives, op. cit., p. 12.
125 Daschle T., Like No Other Time: The 107th Congress and the Two Years That Changed America Forever, New York, Crown, 2003, p. 38.
126 Le Républicain John Ensign s’installe dans le siège de sénateur du Nevada laissé vacant par le Démocrate Richard Bryan. Le Parti démocrate se maintient dans le Nebraska où Ben Nelson prend la place de Bob Kerrey, dans le New Jersey ou Jon Corzine succède à Frank Lautenberg et à New York où Daniel Patrick Moynihan transmet le témoin à la Première dame Hillary Clinton.
127 Lott T., Herding Cats: A Life in Politics, New York, ReganBooks, 2005, 312 p., p. 206.
128 Daschle T., op. cit., p. 39-40.
129 The Washington Post, « Handle with Care », The Washington Post, 9 novembre 2000, p. A28.
130 Campbell J., « The 2002 Midterm Election: A Typical or an Atypical Midterm? », PS: Political Science & Politics, vol. 36, n° 02, 2003, p. 203-207, p. 205.
131 Walsh E., « Election Turnout Rose Slightly, to 39.3 %; GOP Mobilization Credited; Participation Was Down in Some Democratic Areas », The Washington Post, 8 novembre 2002, p. A10.
132 Freedman T. et Knapp B., « How Republicans Usurped the Center », The New York Times, 8 novembre 2002, p. 31.
133 Milibank D. et Allen M., « White House Claims Election Is Broad Mandate », The Washington Post, 7 novembre 2002, p. A27.
134 Herrnson P., Morris I. et Mctague J., « The Impact of Presidential Campaigning for Congress on Presidential Support in the U.S. House of Representatives », Legislative Studies Quarterly, vol. 36, n° 1, février 2011, p. 116.
135 Milibank D. et Allen M., op. cit.
136 Will G., « Close, but in Control », The Washington Post, 7 novembre 2002, p. A25.
137 Kristof N., « Be Careful What You Ask For », The New York Times, 8 novembre 2002, p. 31.
138 Allen M., « Rove Trims Sails but Steers for Victory », The Washington Post, 17 octobre 2004, p. A01.
139 Abramowitz A., Alexander B. et Gunning M., op. cit., p. 75.
140 Bendavid N., The Thumpin’: How Rahm Emanuel and the Democrats Learned to Be Ruthless and Ended the Republican Revolution, New York, Doubleday, 2007, p. 17.
141 En 2006, la Cour Suprême valide le redécoupage à l’exception de la 23e circonscription que la majorité déclare contraire au Voting Rights Act car elle porte atteinte à la capacité des électeurs Latinos à élire un représentant de leur choix. League of Latin American Voter c. Perry, 28 juin 2006, 548 U.S.
142 Morgan D. et Edsall T., « Republicans Add to Working Margin; Democratic Losses in Southern and Mid-Atlantic Races Doom Party Plan to Regain Control », The Washington Post, 3 novembre 2004, p. A17.
143 Le représentant républicain reçoit 197 848 suffrages contre 193 340 pour le leader de la minorité démocrate. Trandahl J., Clerk of the House of Representatives, op. cit., p. 52.
144 The Wall Street Journal, op. cit.
145 Abramowitz A., « The Time-for-Change Model and the 2004 Presidential Election: A Post-Mortem and a Look Ahead », PS: Political Science & Politics, vol. 38, n° 01, 2005, p. 31.
146 Hunt A., « An Impressive Victory; No Mandate », The Wall Street Journal, 4 novembre 2004, p. A15.
147 Dodd L. et Oppenheimer B., « The Politics of the Contemporary House », in Dodd L. et Oppenheimer B., Congress Reconsidered, Washington D.C., CQ Press, 2008, p. 37.
148 Bush G.W., « The President’s News Conference », Washington, D.C., 2006.
149 Bendavid N., op. cit., p. 207.
150 Mann T. et Ornstein N., « Is Congress Still the Broken Branch? », in Dodd L. et Oppenheimer B., op. cit., p. 54.
151 La participation était de 41,1 % le 8 novembre 1994.
152 Pearson K. et Schickler E., « The Transition to Democratic Leadership in a Polarized House », in Dodd L. et Oppenheimer B., op. cit., p. 166.
153 Bendavid N., op. cit., p. 14.
154 Dodd L. et Oppenheimer B., « The Politics of the Contemporary House », in Dodd L. et Oppenheimer B., op. cit., p. 36.
155 Bendavid N., op. cit., p. 37.
156 Ibid., p. 211.
157 Les 6 thèmes, dans l’ordre : 1) la défense nationale avec un changement de politique en Irak. 2) Des actions en faveur du pouvoir d’achat, notamment la hausse du salaire minimum. 3) Le développement de l’accès à l’éducation supérieur. 4) La baisse des prix du pétrole par l’encouragement des énergies renouvelables. 5) Une réforme de l’assurance santé qui permet d’en faire baisser les coûts pour les usagers. 6) Le refus de toute privatisation du programme d’assurance retraite. Nather D., « Dems Strike Out Haltingly in “New Direction” », CQ Weekly, juillet 2006, p. 2086.
158 Pew Research Center for the People & the Press, « Election Weekend Poll, Nov, 2006 », Pew Research Center for the People & the Press, 2006.
159 Bendavid N., op. cit., p. 74.
160 Repérant dans la foule un bénévole démocrate d’origine Indienne chargé par la campagne de Jim Webb de filmer tous ses meetings, le Sénateur Allen le prend à partie en le traitant de « macaque » (macaca). Zernike K., « Buzzwords; Macaca », The New York Times, 24 décembre 2006. Les images sur lesquelles on voit l’échange déclenchent une controverse qui coûte cher au sortant dans un scrutin où il n’est finalement devancé que de 9 329 voix. Miller L., Clerk of the House of Representatives, « Statistics of the Congressional Election of November 7, 2006 », Washington, D.C., Clerk of the House of Representatives, 2007, p. 46.
161 Le challenger démocrate recueille 2 392 984 voix soit 59 % des suffrages. Le sortant Santorum doit se contenter de 1 684 778 suffrages. Ibid., p. 37. En 1994 et en 2000, le Sénateur Santorum l’avait emporté avec respectivement 1 735 691 et 2 481 962 voix. Carle R., Clerk of the House of Representatives, « Statistics of the Congressional Election of November 8, 1994 », Washington, D.C., U.S. Government Printing Office, 1995, p. 34. et Trandahl J., Clerk of the House of Representatives, op. cit., p. 53.
162 Huret R., Katrina, 2005. L’ouragan, l’État et les pauvres aux États-Unis, Paris, Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, 2010. Wilentz S., The Age of Reagan: A History, 1974-2008, New York, Harper, 2008, p. 46-47. Select Bipartisan Committee to Investigate the Preparation for and Response to Hurricane Katrina, « A Failure of Initiative: Final Report of the Select Bipartisan Committee to Investigate the Preparation for and Response to Hurricane Katrina », Washington, D.C., 109th Congress, 2005, p. 359-360.
163 Grunwald M. , « Opposition to War Buoys Democrats », The Washington Post, 8 novembre 2006, p. A31.
164 Balz D., op. cit.
165 Toner R. , « A Loud Message for Bush », The New York Times, 8 novembre 2006, p. A1.
166 Terri Schiavo était une citoyenne américaine de 41 ans habitant en Floride. Elle était plongée dans un état végétatif depuis une quinzaine d’années lorsque son mari, Michael Schiavo avait cherché à obtenir de la justice le droit de retirer le tube relié à son système digestif qui permettait de l’alimenter et ainsi de la maintenir artificiellement en vie. Sa démarche allait à l’encontre de la volonté de Bob et Mary Schindler, les parents de sa femme. Le cas attire l’attention des médias et, après une première tentative, l’assemblée législative d’État de la Floride avait adopté une loi spécialement prévue pour maintenir branché le tube de Mme Schiavo. Les avocats du mari avaient saisi les tribunaux. La Cour suprême de Floride avait finalement déclaré la loi contraire à la Constitution et ordonné de retirer le tube le 18 mars 2005. L’affaire aurait pu en rester là sans l’intervention de Bill Frist, alors leader de la majorité républicaine. Le sénateur du Tennessee consulte ses collèges Mitch McConnell, Rick Santorum et certains Démocrates comme le sénateur Harry Reid ou Kent Conrad. Avec le concours de Tom DeLay, encore leader de la majorité à la Chambre, ils parviennent à faire adopter une loi sur mesure pour maintenir en vie Terri Schiavo. Au Sénat, Le texte est adopté à l’unanimité. À la Chambre, la majorité est de 203 voix pour et 58 voix contre. La loi fait intervenir le gouvernement fédéral dans cette tragique affaire familiale en offrant un ultime recours devant les tribunaux fédéraux. Frist W., A heart to serve, London, FaithWords, 2008, p. 300-301. Finalement, la loi ne change rien au sort de la patiente. Une fois saisis, les juges fédéraux décident de garder leur distance et Terri Schiavo meurt le 30 mars 2005. Goodnough A., « Schiavo Dies, Ending Bitter Case Over Feeding Tube », The New York Times, 1er avril 2005.
167 The Washington Post, « The Voters’ Message; Business as usual isn’t an option », The Washington Post, 8 novembre 2006, p. A26.
168 Baker P.et VandeHei J., « A Voter Rebuke For Bush, the War And the Right », The Washington Post, 8 novembre 2006, p. A01.
169 Schmidt S., « A Jackpot From Indian Gaming Tribes », The Washington Post, 22 février 2004.
170 Whoriskey P. et Branigin W., « Abramoff Is Sentenced For Casino Boat Fraud », The Washington Post, 30 mars 2006.
171 Schmidt S. et Grimaldi J., « Ney Sentenced to 30 Months In Prison for Abramoff Deals », The Washington Post, 20 janvier 2007.
172 Sheridan M., « Statutory Implications Of E-Mails Are Murky », The Washington Post, 3 octobre 2006.
173 Wheeler L., « Some Republicans defiant in defeat », USA Today, 11 novembre 2006.
174 Nichols J., « Measuring the Mandate », The Nation, 27 novembre 2006.
175 Zeleny J., « Democratic Leader Reminds Party That Victory Is No Mandate », The New York Times, 3 décembre 2010, p. 38.
176 Hulse C., « On Wave of Voter Unrest, Democrats Take Control of House », The New York Times, 8 novembre 2006, p. 2.
177 Fletcher M. et Cohen J., « Moderate Voters Lean Toward Democrats; Majority Disapprove Of War and Bush », The Washington Post, 8 novembre 2006, p. A30.
178 Zeleny J. et Thee M., « Exit Polls Show Independents, Citing War, Favored Democrats », The New York Times, 8 novembre 2006, p. 9.
179 Scarborough J., Rome Wasn’t Burnt in a Day: The Real Deal on How Politicians, Bureaucrats, and Other Washington Barbarians are Bankrupting America, New York, Harper, 2004. Bartlett B., Impostor: How George W. Bush Bankrupted America And Betrayed the Reagan Legacy, New York, Doubleday Books, 2006.
180 Kristol W., « The Enduring Reagan » in Dunn C. (éd.), The Future of Conservatism: Conflict and Consensus in the Post-reagan Era, Wilmington, ISI Books, 2007, p. 133-139.
181 Berkowitz P., « The Conservative Mind », The Wall Street Journal, 29 mai 2007, p. A15.
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