Chapitre I. Comment le Parti républicain est devenu Le parti de la révolution conservatrice
p. 21-60
Texte intégral
1Révolution conservatrice. L’oxymore illustre bien les tensions qui habitent les conservateurs américains. Il impose de repenser le terme même de révolution, un concept presque galvaudé à force d’être employé pour décrire le moindre changement. Si par révolution on entend généralement une rupture radicale avec l’équilibre politique et institutionnel, il paraît difficile de rendre un tel projet compatible avec un conservatisme défini instinctivement comme une posture de défense du statu quo. Pour sortir de l’impasse sémantique, il faut comprendre que c’est contre un nouvel ordre établi que les révolutionnaires conservateurs se dressent. En ce sens le mouvement conservateur américain est une réaction, une révolte1, une contestation2, contre-révolutionnaire face à des changements institutionnels et politiques fondamentaux représentés initialement par le New Deal.
2Il est également impératif de se doter d’une définition plus souple du conservatisme. En introduction à son histoire des intellectuels conservateurs, George H. Nash explique qu’il est impossible, voire contreproductif, de tenter de rassembler les diverses idées des conservateurs américains dans une définition3 et que leur histoire s’est construite autour de l’effort même d’autodéfinition par ces intellectuels4. Pour comprendre les idées et les actes des révolutionnaires autoproclamés de 1994, on choisit généralement de classer comme conservateurs les penseurs et acteurs politiques qui se sont définis comme tels au cours du siècle dernier. On cherchera généralement à éviter de parler de droite extrême, ou de droite radicale. Ces termes sont souvent employés pour décrire certains groupes au sein du mouvement conservateur. Ils impliquent une représentation spatiale des forces politiques issue de la tradition des démocraties parlementaires qui peut parfois entraîner des confusions lorsqu’il s’agit de décrire un régime politique présidentialiste5. En neutralisant les spécificités culturelles de la démocratie américaine, l’utilisation des termes droite et gauche complique bien souvent le travail d’explication.
3Enfin, il est essentiel de noter que les frontières du mouvement conservateur, des intellectuels qui développent l’appareil idéologique aux différents groupes d’activistes qui l’animent, ne correspondent pas nécessairement à celle de la coalition électorale républicaine. Durant la deuxième partie du vingtième siècle on assiste à une convergence entre mouvement et parti. À défaut de pouvoir définir le conservatisme, il est donc possible de s’intéresser aux conservateurs et leur relation complexe au Parti républicain. L’objectif n’est évidemment pas d’offrir ici un traitement complet de cette histoire riche et complexe mais simplement un bref aperçu pour faire émerger les lignes de forces qui lient les acteurs contemporains à leur héritage politique.
4Né en 1854 sur les cendres du Parti whig, le Parti républicain entame sa longue histoire en rassemblant les opposants à l’expansion de l’esclavage dans les États du Nord de l’Union. L’élection d’Abraham Lincoln en 1860, premier candidat républicain à endosser la fonction présidentielle, est rendue possible par un large soutien dans ces États du Nord et de la côte Ouest et par les divisions au sein du Parti démocrate. Un siècle et demi plus tard, le candidat républicain George W. Bush, est réélu à la Maison-Blanche en ne remportant que 3 des 18 États qui avaient permis la victoire de Lincoln en 18606. Entre ces deux dates, les contours géographiques de la coalition républicaine ont été entièrement inversés. Longtemps perçu comme le parti des Yankees de la Nouvelle-Angleterre, le Parti républicain domine désormais de manière presque incontestée dans les anciens États de la Confédération. Du point de vue de la géographie électorale, la révolution est complète.
5Il serait évidemment illusoire de vouloir inscrire un parti sur une ligne politique immuable7. Les circonstances historiques et le contexte socioculturel mouvant assurent un renouvellement régulier des problèmes qui dominent la sphère politique. En gardant à l’esprit les limites des comparaisons entre deux dates si éloignées, on peut noter que, de manière tout à fait prévisible, un déplacement s’est également opéré au niveau des idées portées par le parti. Initialement favorable au protectionnisme, le Parti républicain prône aujourd’hui le libre-échange. Longtemps dominé par un sentiment isolationniste, il est devenu le parti des néo-conservateurs qui veulent une politique étrangère interventionniste et promeuvent le concept de guerre préventive. Né de la volonté de s’opposer à un ordre institutionnel inique puis dominé par des radicaux8 voire des révolutionnaires9, il ne s’est donc pas toujours réclamé du conservatisme mais il devient plus conservateur à mesure que s’éloigne le souvenir de la Guerre de sécession. Dans les faits, il domine Washington jusque dans les années 193010et ce n’est qu’à la faveur d’une fracture entre son aile progressiste et son aile conservatrice qu’il cède temporairement la Maison-Blanche au Démocrate Woodrow Wilson de 1913 à 192111. De nombreux Progressistes ayant alors choisi de prendre leur distance, c’est un Parti républicain résolument conservateur qui reprend alors le contrôle de l’État fédéral pendant les années 1920. La prospérité des années d’après-guerre permet de faire oublier les scandales de l’administration de Warren Harding et assure le maintien d’une majorité républicaine à la Chambre et au Sénat mais aussi l’élection du président Calvin Coolidge puis celle d’Herbert Hoover sur un programme économique de baisse d’impôts et d’un État fédéral à l’influence aussi limitée que possible.
De Hoover à Eisenhower : le conservatisme en exil ?
6L’histoire a voulu qu’Herbert Hoover soit élu quelques mois avant le déclenchement de la crise de 1929 et la Grande Dépression. Quels que soient ses mérites ou sa responsabilité personnelle12, son nom, longtemps célébré13, s’est finalement vu associé à cette période tragique dans l’imaginaire collectif américain. Il a entraîné son parti dans sa déchéance et fit ainsi la fortune électorale d’un Parti démocrate qui installe sa domination aux commandes de l’État fédéral pour de nombreuses décennies.
7Même s’il convient de nuancer la vision biaisée d’un État fédéral historiquement faible prônée par les chantres de l’exceptionnalisme américain14 le New Deal constitue une étape charnière dans la construction de l’appareil administratif et politique américain. L’expansion du champ de l’action de l’État fédéral dans de nouvelles sphères transforme radicalement la vie politique du pays. L’abandon de l’étalon-or, les politiques économiques interventionnistes inspirées des théories de Keynes puis la création d’un programme fédéral d’assurance sociale (Social Security)15, symbolisent l’entrée dans une nouvelle ère. L’État fédéral se fait désormais explicitement le garant de la sécurité militaire mais aussi économique de la nation.
8Le Parti républicain va longtemps peiner à s’insérer dans ce nouvel ordre politique. Il souffre de son association avec les années de crise et ne parvient pas à entamer la stature acquise par le Président Roosevelt au fil de ses quatre victoires en 1932, 1936, 1940 et 1944. Cette performance inédite16 contribue à elle seule à renforcer l’institutionnalisation du New Deal et à écarter toute contestation républicaine. Malgré cela, l’élection triomphale de 1936 constituera le sommet symbolique des réformes rooseveltiennes. À partir de 1938, les progressistes favorables au New Deal au sein du Parti démocrate perdent le contrôle du Congrès au profit d’une minorité unie de Démocrates conservateurs sudistes qui s’allient discrètement avec la minorité républicaine. Ils forment une très informelle « coalition conservatrice »17 qui dominera le Congrès jusqu’aux années 1960.
9Il ne faut donc pas voir dans les revers électoraux du Parti de l’éléphant un rejet du conservatisme à travers le pays. Au Congrès des États-Unis, en dehors de la période exceptionnelle de 1933 à 1936, les idées conservatrices tendent à l’emporter que la majorité soit démocrate ou républicaine18. La coalition conservatrice qui domine le Congrès de l’après-guerre rassemble des profils et des idées très diverses autour d’ennemis communs : Roosevelt et son État fédéral envahissant19, les impôts, les syndicats20, et le communisme.
10Le conservatisme américain « moderne » se construit dans l’opposition aux politiques du New Deal21. Au-delà de ce positionnement prévisible pour un parti d’opposition, les années quarante vont permettre de construire une critique intellectuelle conservatrice. Au printemps 1944, Friedrich A. Hayek, économiste autrichien en poste à la London School of Economics, publie son manifeste libertaire22 The Road to Serfdom. Dans ce pamphlet, Hayek dénonce l’expansion de l’interventionnisme étatique par la planification dans les démocraties occidentales. Il y voit une atteinte insupportable à la liberté individuelle et au bon fonctionnement du libre marché23. Réfutant la possibilité d’un socialisme démocratique, Hayek compare toute tentative de collectivisme à une route menant inexorablement à la servitude. Publié quelques mois plus tard aux États-Unis, le texte connaît un retentissement inattendu et Hayek devient une célébrité invitée à défendre ses thèses par des conférences à travers le pays24.
11Les doctrines économiques libertaires semblent trouver un écho favorable au sein d’une population qui n’a vraisemblablement pas cessé de voir le pouvoir de l’État fédéral avec une certaine suspicion. En ce sens, les libertaires qui se révoltent contre le nouvel ordre économique et institutionnel issu du New Deal et de la seconde guerre mondiale peuvent être décrits comme des conservateurs25. À la suite de Hayek, ils appellent en effet à un retour aux « vérités anciennes » pour rejoindre la « route abandonnée de l’individualisme et du libéralisme classique26 ». La publication de The Road to Serfdom et ses répercussions redonnent confiance à des intellectuels conservateurs qui se sentaient isolés face à ce qu’ils percevaient comme une emprise grandissante des idées progressistes dans les cercles universitaires, politiques et journalistiques27.
12La révolte libertaire n’aurait sans doute pas pu donner naissance à un mouvement politique de masse en dehors du contexte de la guerre froide. Le rejet du collectivisme économique implique a fortiori un positionnement anticommuniste mais il faut attendre le délitement de l’alliance avec les Soviétiques pour que les arguments économiques se voient renforcés par des intérêts géostratégiques. Avec l’entrée dans la guerre froide, l’anticommunisme intellectuel des libertaires trouve une tribune plus large pour propager ses idées et s’allier avec d’autres groupes à l’anticommunisme tout aussi fervent mais aux origines diverses.
13On peut difficilement mesurer l’ampleur et la virulence du sentiment anticommuniste aux débuts de la guerre froide. Ces années de « maccarthisme » sont celles de la « perte » de la Chine, de la bombe atomique soviétique, des grandes heures de la funeste commission d’enquête du Congrès sur les Activités anti-américaines (House Un-American Activities Committee), des affaires d’espionnage, d’Alger Hiss28 aux époux Rosenberg29, et de l’ascendance confirmée du FBI et son directeur John Edgar Hoover. Les anticommunistes s’appuient parfois sur le soutien de communistes repentis tels Whittaker Chambers, l’accusateur de Hiss, ou le journaliste Frank Meyer. Ils apportent une crédibilité supplémentaire aux discours alarmistes sur la réalité de la menace communiste qui pèse sur les États-Unis. Dans un climat de suspicion généralisée, les accusations presque fantasmagoriques du sénateur républicain du Wisconsin Joseph McCarthy contre « l’ennemi de l’intérieur30 » jettent de l’huile sur des flammes déjà ardentes. Usant de ses apparitions télévisées pour populariser son message, le sénateur du Wisconsin représente un nouvel avatar de la figure du Catholique populiste conservateur et anticommuniste incarnée par le père Charles Coughlin dans les années 193031. Pour McCarthy et le pan de la population qui le soutient, les difficultés de la nation américaine, comme les succès des Soviétiques, ne peuvent s’expliquer que par une conspiration dans les plus hautes sphères. POur lui, cela ne fait aucun doute : « Ce sont les jeunes premiers, ceux qui sont nés avec une cuillère d’argent dans la bouche qui ont le plus trahi32. » Le bon peuple, lui, est toujours vertueux et intransigeant dans son anticommunisme. En traduisant ainsi les idées des anticommunistes conservateurs dans la « langue33 » populiste, le sénateur du Wisconsin apporte une contribution durable au mouvement conservateur en quête de rédemption auprès des masses populaires34.
14L’anticommunisme américain possède d’importantes racines religieuses et morales. La lutte contre l’ennemi extérieur et intérieur ne se limite pas à une compétition économique et politique mais bien à un combat sans merci entre la chrétienté et la « religion de l’immoralisme inventée par Marx et prêchée par Lénine35 ». Lorsqu’en 1958, Robert Welch, fabricant de bonbons à la retraite, décide de former une société secrète pour contrer une conspiration communiste dans l’administration du général Eisenhower, il lui donne le nom de John Birch Society en hommage à un prédicateur baptiste de 26 ans qui aurait été assassiné par des communistes chinois lors d’une mission évangélisatrice en 194536. L’organisation se veut inspirée par les méthodes de l’ennemi communiste avec sa structure hiérarchique mais décentralisée. Chaque section se subdivise en cellules de quelques membres. Au sein de ces cellules, les individus se retrouvent pour échanger des pamphlets qui décrivent l’étendue de la conspiration, organiser la résistance au niveau local, visionner des documentaires sur la menace communiste, et plus largement créer des réseaux de sociabilité qui serviront de base pour des campagnes à venir. La John Birch Society constitue ainsi un lieu de mobilisation d’un mouvement conservateur sur la pente ascendante.
15Les thèses conspirationnistes fantaisistes de Robert Welch sont largement ignorées par les intellectuels progressistes. Ils y voient un mode d’expression politique paranoïaque propre à mobiliser une minorité infime au psychisme presque pathologique37. La John Birch Society connaît pourtant un succès fulgurant. Elle rassemble rapidement des dizaines de milliers de membres très bien organisés38. Comme le montre Lisa McGirr dans son étude du très riche et très conservateur comté d’Orange en Californie, la mobilisation conservatrice ne se limite pas à quelques esprits chagrins fanatiquement hostiles à la modernité et arc-boutés sur leurs convictions religieuses. Bien au contraire, elle est animée par des citoyens des classes moyennes et aisées parfaitement intégrés dans leurs communautés et qui semblent confortablement installés dans la société américaine des années 195039.
16Pour ces Américains, la lutte contre l’ennemi communiste est aussi une lutte par procuration contre certaines évolutions sociales incompatibles avec leurs valeurs fondamentales. Ils s’opposent à ce qu’ils perçoivent comme l’assouplissement des mœurs attesté par la perversion de la culture de masse40. Ils s’offusquent du manque de rigorisme des nouvelles méthodes d’enseignement dans une école publique qui veut inclure des cours sur la sexualité. Ils pestent contre le relativisme moral et le matérialisme aveugle du consumérisme triomphant. Face à ces questions, ils s’appuient sur les réponses offertes par les traditions et la transcendance religieuse. Il existe ainsi une composante clairement réactionnaire dans la nébuleuse conservatrice. Des intellectuels conservateurs traditionalistes comme Richard Weaver41, Leo Strauss42, ou Russel Kirk43 voient dans la situation contemporaine une nouvelle étape dans le déclin séculaire de la civilisation occidentale. Sans avoir nécessairement lu leurs ouvrages, certains citoyens américains observent l’évolution de leur société et jugent que les progrès scientifiques et la prospérité relative ne justifient pas ce qu’ils perçoivent comme une décadence morale. Leur déception ou leur dégoût alimente un retour du religieux attesté par la popularité du prédicateur Billy Graham, et les effectifs grandissants des églises évangéliques. Signe des temps, le 30 juillet 1956, le Président Eisenhower appose sa signature sur un texte de loi qui inscrit la devise « In God We Trust » sur les billets de banque.
17Le mouvement conservateur de l’après-guerre pourrait donc être subdivisé en trois courants : libertaires, anticommunistes et fondamentalistes. L’histoire du conservatisme dans les années 1950 est dominée par les tentatives de « fusion44 » de ces différents courants. Le travail d’unification de la pensée conservatrice représente une préoccupation majeure pour les éditeurs du magazine National Review créé en 1955 par William Buckley45et qui s’installe rapidement comme une référence incontournable dans les cercles conservateurs. Définissant la raison d’être du magazine dans le premier numéro, Buckley offre une image concise de sa vision du conservatisme : une posture intellectuelle qui consiste à « se dresser face à l’Histoire en criant Stop » (« to stand athwart history yelling Stop »). Bill Buckley continue par ailleurs de contribuer à la mobilisation en participant à la formation des Young Americans for Freedom (YAF) pour rassembler et organiser les jeunes conservateurs dispersés sur les campus américains. Les membres des YAF et de la John Birch Society joueront un rôle important dans la campagne de Barry Goldwater en 1964 puis lors de l’élection de Ronald Reagan comme gouverneur de la Californie en 1966. Avant de connaître de tels succès, les conservateurs doivent d’abord parvenir à s’unir pour reprendre le contrôle du Parti républicain.
18En 1952, les militants conservateurs au sein du GOP souhaitaient ardemment confier l’investiture du parti à Robert A. Taft. L’austère sénateur de l’Ohio était idéologiquement si irréprochable qu’on l’avait surnommé « Monsieur Conservateur ». Farouche opposant aux politiques de l’administration depuis son siège au Sénat, il promettait de défaire les institutions du New Deal et ramener à la raison des vérités d’antan l’Amérique perdue dans les méandres du collectivisme46. Malgré le crédit dont bénéficie le Sénateur Taft auprès de la base, les cadres du parti, notamment le gouverneur de New York, Thomas Dewey, ne croient pas que sa candidature permettrait de mettre fin à la longue série de six défaites présidentielles. Pour assurer la victoire, ils jettent leur dévolu sur le Général Dwight Eisenhower. Ce n’est qu’au prix d’une lutte féroce que les puissants soutiens à Eisenhower parviennent à imposer le héros militaire à la convention républicaine de Chicago. Pour apaiser les conservateurs, c’est Richard Nixon, devenu sénateur de Californie, qui est choisi comme colistier47.
19Les deux larges victoires contre le Démocrate Adlai Stevenson en 1952 et 1956 n’atténueront pas la déception initiale des soutiens de Taft. Les soupçons des conservateurs sur le manque de zèle idéologique de celui que l’on appelle « Ike » paraissent confirmés par les actions de son administration. Loin de vouloir bouleverser l’équilibre institutionnel, le général veut incarner un « républicanisme moderne » qui prendrait acte de l’ordre institutionnel hérité du New Deal. Cette position n’est pas du goût de la majorité républicaine au Sénat où les conservateurs dominent. Dans les faits, l’administration se concentre sur le désengagement en Corée et tente de contrôler le niveau des dépenses publiques. Le Président Eisenhower accepte même d’apposer sa signature à une extension du populaire programme Rooseveltien d’assurance sociale (Social Security). Il signe également une loi adoptée par un Congrès redevenu démocrate qui augmente de manière substantielle les subventions de l’État fédéral pour développer un véritable réseau autoroutier à l’échelle de la nation (Interstate Highway Act). Pour les conservateurs, cela représente une nouvelle confirmation que les institutions honnies du New Deal ne pourront être remises en cause tant qu’ils n’auront pas réussi à installer un des leurs à la Maison-Blanche. Cela implique de parvenir à imposer leur candidat au sommet du ticket républicain. La très courte défaite du Vice-Président Nixon face à Kennedy en 1960 va leur en fournir l’occasion.
La défaite en trompe-l’œil de Barry Goldwater
20Dans les années 1950, les différents courants qui forment la coalition conservatrice américaine se sont retrouvés unis par la lutte contre la menace communiste. Dans les années 1960, la révolution des droits civiques, que de nombreux conservateurs voient comme la manifestation d’une machination communiste, leur permet de définitivement rallier à leur cause un nouveau groupe : les Démocrates conservateurs du Sud, plus connus sous le nom de Dixiecrates48
21Les premières tensions au sein de la coalition démocrate sont apparues dès 1948. Lors de la convention d’investiture organisée à Philadelphie en juin, le président Truman accepte d’inclure la défense des droits civiques des Afro-américains dans le programme officiel du parti. Furieux, la plupart des Démocrates conservateurs du Sud quittent la convention. Ils choisissent Strom Thurmond, le gouverneur de Caroline du Sud, comme candidat à l’élection présidentielle de leur parti dissident qu’ils appellent Parti démocrate du droit des États (States’ Rights Democratic Party). Les partisans de Thurmond font campagne pour la défense de la ségrégation raciale dans les États du Sud contre un président sortant responsable de la déségrégation des forces armées49. Ils l’emportent dans quatre États du Sud50. La scission de 1948 ne constitue que le premier épisode de l’aliénation grandissante entre les Dixiecrates et le Parti démocrate. Après avoir déjà soutenu Eisenhower en et 1956, Strom Thurmond, devenu sénateur démocrate de la Caroline du Sord, franchit le Rubicon en 1964. Il rejoint officiellement le Parti républicain pour faire campagne auprès de la nouvelle figure du conservatisme, le sénateur républicain de l’Arizona, Barry Goldwater.
22Derrière la colossale défaite de Goldwater face au Président Johnson en novembre 196451, on peut voir émerger les contours de la future victoire de Nixon quatre ans plus tard. En effet, en comparant les résultats des présidentielles de 1960 et 1964, on voit combien les Républicains progressent de manière frappante dans le Sud52. Ce ralliement du Sud en faveur du GOP s’explique essentiellement par l’opposition du candidat Goldwater à la fédéralisation de la défense des droits civiques. Un mouvement de désobéissance civile s’était organisé pour qu’enfin les droits des citoyens Afro-américains soient respectés dans tous les États de l’union. La mobilisation expose au grand jour l’ampleur du racisme institutionnalisé dans le Sud. Des années de lutte contre une répression sauvage, les lynchages, les bombes dans les églises, finissent par mettre fin à des décennies de résistance législative par les Démocrates conservateurs du Sud. À l’été 1964, le Congrès s’était enfin résolu à adopter le Civil Rights Act après une bataille parlementaire épique53. Le Sénateur Goldwater avait choisi de voter contre ce texte qui interdit la discrimination raciale dans tous les bâtiments publics. Derrière la protection par l’État fédéral des droits d’une minorité déclassée, Barry Goldwater voit une atteinte aux droits des États fédérés et à la propriété privée. Ce positionnement lui assurera le soutien des électeurs du Sud hostiles aux droits civiques pour d’autres raisons moins avouables54. Quatre ans avant la fameuse « stratégie sudiste » (southern strategy) du candidat Nixon, Goldwater parvient à convaincre les Démocrates conservateurs du Sud de voter en faveur le candidat républicain pour le scrutin présidentiel55.
23Les turbulences des années 1960, de la lutte pour les droits civiques aux émeutes raciales, de la montée du féminisme à la contre-culture et, bien sûr, les conflagrations du Vietnam, entraînent une réaction qui ne se limitera pas au Sud des États-Unis56. Le mouvement de retour de bâton (backlash) contre ces évolutions prend de l’ampleur au fil de la décennie. Dès 1964, certains Américains ne se reconnaissent plus dans une société qui devient plus égalitaire et moins hiérarchisée. Ils critiquent l’État fédéral qui vient perturber les institutions traditionnelles vues par les conservateurs comme des gages de stabilité. Sous l’impulsion d’Earl Warren, la Cour suprême n’a-t-elle pas ordonné la fin de la ségrégation raciale dans les écoles publiques57 puis la fin de la prière dans les écoles58 ? Les conservateurs américains de tout le pays voient dans la candidature de Barry Goldwater à l’élection présidentielle un moyen salutaire de remettre l’Amérique dans le droit chemin.
24De fait, la candidature de Goldwater reflète également la progression des idées conservatrices dans les États de l’Ouest. Cette région des États-Unis est parfois négligée lorsqu’il s’agit de se concentrer sur l’histoire politique au niveau fédéral. Sa faible densité de population la rend a priori moins décisive dans le combat électoral. Elle joue pourtant un rôle essentiel dans l’effort de convergence entre le mouvement conservateur et le Parti républicain. Initialement peuplée de pionniers et d’aventuriers, cette région est une terre fertile pour l’éthique d’indépendance presque autarcique des libertaires. L’État fédéral occupe malgré tout une place essentielle pour aménager le territoire autour des besoins d’infrastructures. Cette partie du pays a donc longtemps été un bastion d’un populisme radical où les grands projets du New Deal étaient plutôt populaires. Cela explique en partie les difficultés du candidat de l’Arizona à connaître un plus large succès dans les États environnants59.
25Héritier d’une famille propriétaire d’un grand magasin à Phoenix, Barry Goldwater fait ses débuts politiques en 1949 comme conseiller municipal de sa ville natale60. Trois ans plus tard, il est élu sénateur de l’Arizona. Son ascension fulgurante est accompagnée de portraits flatteurs dans la presse. Le pilote de chasse, vétéran de la seconde guerre mondiale, est présenté comme l’incarnation moderne du mythique cow-boy de l’Ouest. Avec des convictions libertaires chevillées au corps et un anticommunisme des plus fervents, Goldwater possède les qualifications requises pour rallier les conservateurs républicains en quête d’un nouvel ambassadeur après le décès de Robert Taft en 1953 et l’échec de Richard Nixon en 1960. Sa courte victoire dans des élections primaires extrêmement disputées doit tout à l’engouement qu’il déclenche au sein du mouvement conservateur et au génie organisationnel de ses soutiens61 qui, s’appuyant sur une maîtrise supérieure des règles du parti, parvinrent à soutirer presque subrepticement les rênes du Parti républicain aux élites modérées de l’Est qui dominaient jusqu’alors et préféraient les gouverneurs William Scranton de Pennsylvanie, George Romney du Michigan ou Nelson Rockefeller de New York.
26Le succès de Goldwater pour recueillir la nomination républicaine fut rendu possible par l’abnégation de milliers de bénévoles issus des rangs des organisations conservatrices tels que les Young Americans for Freedom ou la John Birch Society ; ceux que la presse dénigrait comme de dangereux extrémistes. Au moment de son discours d’investiture à la conclusion de la convention de San Francisco, c’est à eux qu’il rend un hommage appuyé lorsqu’il prononce triomphal une phrase qui le rendra célèbre : « Lorsqu’il s’agit de défendre la liberté, l’extrémisme n’est pas un vice62. » À l’image de son discours, la campagne de Barry Goldwater est tout entière consacrée à critiquer l’Administration Johnson dont la politique étrangère, économique et sociale constituent autant d’attaques contre la liberté des individus, des marchés et des États de l’union. Pour étayer ces mêmes thèmes, le candidat choisit de confier à un ancien acteur, Démocrate repenti, le soin de le représenter en prononçant un discours télévisé. C’est ainsi que Ronald Reagan fait son apparition sur la scène politique américaine.
27Intitulé « L’heure du choix » (« A Time For Choosing »), le discours de Reagan, depuis réifié de sorte que les conservateurs ne l’appellent plus que « Le Discours », ne change pas le cours de l’élection. Cependant, le message qu’il développe et surtout le charisme rassurant du messager distillent l’essence même d’un conservatisme américain décomplexé, volontaire et optimiste. Les thèmes développés n’ont pas changé. Ronald Reagan ouvre son discours par une attaque contre le poids étouffant des impôts qui augmentent sans parvenir à combler un déficit qui se creuse et alimente une dette publique qui constitue un crime contre les générations futures. La cause en incombe à un État fédéral gargantuesque, incompétent, hostile aux libertés individuelles des citoyens américains et trop indolent pour les protéger face à l’ennemi communiste à l’étranger. Reagan, comme Goldwater, décrit le monde en termes manichéens : il promet « mille ans de ténèbres » si les Américains ratent leur « rendez-vous avec leur destinée63 ». Cette dernière phrase, empruntée à son héros de jeunesse, le président Franklin Roosevelt, montre également combien Reagan parvient à dépasser les sombres accents de Goldwater. La rhétorique reaganienne est simplificatrice mais chaleureuse. Elle est agrémentée d’anecdotes souvent apocryphes mais néanmoins marquantes qui lui permettent de charmer son auditoire. Ce style moins uniformément apocalyptique contribue à la réception enthousiaste de son discours dans les milieux conservateurs. Aux plus grandes heures du progressisme triomphant de Lyndon Johnson et ses promesses d’une Grande Société, les conservateurs posent silencieusement les jalons d’une future majorité républicaine qui émerge lentement64.
Se défaire du Président Nixon pour redéfinir le conservatisme
28Les conservateurs assistent impuissants à la consolidation et l’extension de l’héritage progressiste du New Deal par le Président Johnson. La « Grande Société » promise dans son discours d’investiture se concrétise en une foule de nouveaux programmes en faveur des populations les plus fragiles65. Après l’école, les lieux publics et le bureau de vote, la question résidentielle est au cœur de la bataille pour la justice raciale. La ségrégation légale avait beau avoir été abolie par la Cour suprême et la loi, il se révélait autrement plus difficile de la combattre dans les faits. Le mouvement de population des citadins les plus aisés vers les banlieues, rendu possible par l’augmentation du niveau de vie, la démocratisation généralisée de l’automobile et le développement des réseaux routiers, prive les municipalités de ressources fiscales critiques. Les forces de l’ordre n’ont progressivement plus les moyens de faire face à une montée de la criminalité dans les quartiers du centre-ville. Les habitants de ces ghettos qui chercheraient à le quitter sont bien souvent confrontés à la violence de la ségrégation de fait (de facto segregation). De nombreux propriétaires de pavillons dans les quartiers résidentiels ou populaires refusent purement et simplement de voir des Afro-américains s’installer dans leur quartier66. Les tentatives de l’État fédéral de légiférer contre le racisme résidentiel67 et la ségrégation de fait qu’elle engendre dans les écoles publiques du Nord et du Sud68 déclenchent une vague de récrimination outrée face à une atteinte de la puissance fédérale contre la propriété privée.69
29Dans ce contexte tourmenté, le pugnace Richard Nixon construit patiemment sa résurrection politique en traversant le pays pour le bénéfice des candidats républicains en vue des élections de 1966. Pour Nixon, la déroute républicaine de 1964 constituait l’ultime étape dans une longue traversée du désert. Après sa défaite face à Kennedy en 1960, il avait subi un nouveau revers en 1962 lorsque les électeurs de sa Californie natale lui avaient préféré le Démocrate Edmund « Pat » Brown pour le poste de gouverneur de l’État. Son objectif non avoué est désormais de reconstruire son capital politique au sein du GOP afin de se positionner au mieux pour l’avenir. En 1968, lorsqu’il s’agira de profiter des déceptions et de la colère sourde qui gronde dans le pays, Nixon sera prêt.
30La campagne de Goldwater avait démontré que, désormais, pour devenir le candidat républicain à la présidentielle, il fallait s’assurer le soutien des éléments conservateurs au sein du parti. Malgré des états de service anticommuniste irréprochables, la candidature de Richard Nixon suscite l’ambivalence dans les rangs conservateurs qui ne le considèrent pas comme un des leurs. Il souffre de son association avec l’administration Eisenhower et ses écarts à l’orthodoxie républicaine en matière de politique économique70. Son point fort consiste à parvenir à faire écho aux angoisses de ceux qu’il appelle la « majorité silencieuse ». En utilisant ce terme, il se fait le porte-parole des classes moyennes blanches du pays, du bastion industriel des Grands Lacs aux banlieues de la Sunbelt71 désemparées et en colère face aux émeutes raciales, le Black Power, les étudiants pacifistes, les impôts qui augmentent et l’inflation. Les mots de Nixon cherchent à mobiliser une majorité qui souffrirait en silence tandis que les Démocrates laisseraient les minorités virulentes profiter de leur labeur. Sa courte victoire en 1968, rendue possible par l’implosion du Parti démocrate à la convention de Chicago, se fait sur les bases d’un discours de retour à l’ordre (Law and Order) riche en insinuations dans un contexte électoral marqué par la rhétorique du ségrégationniste George Wallace.
31Ce Démocrate de l’Alabama avait fait irruption sur la scène politique nationale en 1963. Après son élection comme gouverneur de l’État, George Wallace avait promis dans son discours inaugural qu’il ferait tout son possible pour maintenir : « La ségrégation aujourd’hui, la ségrégation demain, la ségrégation jusqu’à la fin des temps72. » Il s’empressa de mettre en pratique son discours en tentant vainement de résister à l’intégration des premiers étudiants noirs à l’Université de l’Alabama ordonnée par la justice fédérale. Les caméras des télévisions le montrent ainsi défiant les élites de Washington au nom de la défense du peuple, sous-entendu blanc, et de la démocratie entendue comme le droit de fouler au pied les droits des Afro-américains. C’est sur cette image qu’il parvient à réaliser des scores surprenants lors des primaires démocrates de 1964. Ainsi, alors même que le Parti démocrate est censé vivre un moment d’euphorie progressiste, une partie de son électorat déclare son soutien à un ségrégationniste de l’Alabama73. En 1968, Wallace décide de se présenter à l’élection présidentielle comme candidat indépendant. Il parvient à étendre sa popularité au-delà de sa base des États du Sud en s’appuyant sur le soutien de certaines organisations du mouvement conservateur, notamment la John Birch Society74. Son discours d’opposition aux élites bien pensantes et de défense des travailleurs le rend très populaire bien au-delà des frontières de l’ancienne Confédération. De ce point de vue, la campagne de Wallace jette les bases rhétoriques des futures victoires républicaines. Le républicanisme moderne et modéré de Dwight Eisenhower est remplacé par un positionnement ostensiblement conservateur sous l’influence d’une « nouvelle droite75 » qui n’hésite pas à capter l’électorat de George Wallace en lui empruntant son discours aux accents populistes76.
32En 1972, Nixon triomphe face à George McGovern en l’emportant dans quarante-neuf États, recueillant plus de 60 % des scrutins au niveau national. Le Président Nixon avait usé de multiples combines plus ou moins illégales pour tenter de maximiser ses chances en affaiblissant les Démocrates. La plus célèbre restera la tentative de cambriolage contre les bureaux de campagne démocrates installés dans l’immeuble du Watergate. Il entraînera dans sa chute l’image de son parti. En 1972, les Républicains avaient vu leur candidat à la présidentielle remporter la plus large victoire de l’histoire sans parvenir à entraîner dans son élan une majorité au Congrès. Deux ans plus tard, sa déchéance leur coûte une débâcle historique aux élections de mi-mandat de 1974. On comprend que les Républicains cherchent à oublier et à faire oublier Richard Nixon.
33Si le GOP est à terre, le mouvement conservateur demeure. Cette coalition de groupements divers unis sporadiquement par un instinct partagé de réaction face aux évolutions sociales et politiques de l’époque n’avait pas attendu l’affaire du Watergate pour prendre ses distances avec Nixon dont il critique vertement la politique. Confronté, il est vrai, à un Congrès à forte majorité démocrate, il préside, par exemple, à une expansion considérable des régulations fédérales en matière environnementale77et économique. Au final, la contribution du président déchu à la convergence entre le conservatisme et le Parti républicain consiste surtout à avoir consolidé les prémices du ralliement des électeurs conservateurs du Sud dans le camp républicain en déployant une rhétorique populiste qui joue sur les peurs sociales et les préjugés des classes moyennes blanches. De manière plus spectaculaire, c’est en réaction à une nouvelle politique fiscale décidée par son administration que commence la mobilisation politique de la droite religieuse (Religious Right).
34On a souvent tendance à faire remonter l’entrée de la religion sur la scène électorale américaine à la fédéralisation du droit à l’avortement par la Cour suprême en 197378. En réalité, dès juillet 1970, Nixon met le feu aux poudres en ordonnant au fisc américain (Internal Revenue Service) de retirer leur exonération d’impôt aux écoles religieuses qui pratiquent encore la ségrégation raciale. Suite aux décisions de la Cour suprême ordonnant la fin de la ségrégation raciale dans les écoles publiques, ce type d’établissements privés avait commencé à proliférer pour éviter une mixité raciale insupportable aux yeux de nombreux parents. Afin de lutter contre ce phénomène, l’administration décide de cibler le traitement fiscal extrêmement favorable dont elles bénéficient au titre de leur affiliation religieuse. Cette décision, perçue comme une attaque intolérable contre la séparation de l’Église et de l’État, convainc les congrégations évangéliques et fondamentalistes de lancer leurs ouailles dans la lutte politique79. Une fois mobilisées, elles vont s’organiser80 et venir progressivement former les premières lignes sur les différents fronts de la « guerre des cultures » (Culture War) : de la lutte contre l’avortement, l’homosexualité et la pornographie à la promotion de la théorie du dessein intelligent. Leurs effectifs augmentent de manière exponentielle à mesure que se multiplient les conversions de nombreux chrétiens qui se déclarent « born-again » à l’image du nouveau président démocrate Jimmy Carter élu en 1976, « l’année des Évangéliques » pour le magazine Time81.
35En sus de l’arrivée à maturité politique de la droite religieuse, la coalition conservatrice a également recueilli un nouveau groupe d’intellectuels issus des rangs démocrates. Ces « néo-conservateurs » se sentent en porte-à-faux devant l’évolution de la pensée progressiste à l’heure de la nouvelle gauche. Rassemblés dès 1965 autour de la revue The Public Interest, des figures comme Irving Kristol ou Norman Podhoretz utilisent, eux aussi, leur statut de renégats pour donner une crédibilité supplémentaire à la critique conservatrice. Très sceptiques face à l’élargissement des missions de l’État fédéral en matière de politiques sociales et de protection des droits des minorités, ils se trouvent surtout en opposition sur les questions de politique étrangère. Face aux positions conciliatrices voire pacifistes qui prévalent dans le camp progressiste, ils sont favorables à une augmentation des dépenses de défense nationale et une posture agressive sur la scène internationale82.
36C’est donc un mouvement conservateur puissant mais potentiellement divisé qui émerge à la fin des années 1970. Né de la volonté de s’opposer au New Deal et aux communistes pour sauver la civilisation occidentale, il grandit dans la réaction au mouvement des droits civiques et une renaissance du religieux pour contribuer à l’élection de Ronald Reagan en 1980.
L’ère Reagan
37Les huit années de la présidence Reagan sont celles de la rencontre entre les idées portées par le mouvement conservateur et la réalité de la gouvernance au niveau de l’État fédéral. La confrontation entre idéologie et pouvoir va révéler nombre de contradictions au sein du mouvement conservateur revenu au sommet de l’état.
38Président accidentel, Gérald Ford avait accédé à la Maison-Blanche sans avoir été jamais élu par le peuple américain. Représentant républicain modéré de la 5e circonscription du Michigan, sa popularité auprès de ses collègues lui avait permis d’être élu à la tête du groupe républicain alors minoritaire (Minority Leader) en 1965. Lorsqu’en 1973, Nixon doit remplacer son vice-président, Spiro Agnew, embourbé dans des affaires de fraude fiscale, il choisit de proposer la nomination du discret et consensuel Ford afin d’assurer un vote de confirmation sans histoire au Congrès avant que le scandale du Watergate ne le contraigne à la démission. Gerald Ford est installé à la Maison-Blanche autour d’une équipe renouvelée dans laquelle figurent notamment Donald Rumsfeld, Richard Cheney et George H. W. Bush. La légitimité extrêmement fragile du nouveau président est d’emblée mise à mal par sa décision de gracier l’accusé Nixon afin de clore enfin le « cauchemar national83 » du Watergate. La présidence Ford s’ouvre par ailleurs dans un contexte économique très difficile. Le choc pétrolier de 1973 est venu empirer une inflation déjà problématique. En 1974, le pays entre en récession. Les difficultés économiques se doublent de problèmes politiques puisque l’administration doit composer avec un Congrès où les Démocrates dominent sans partage84.
39Au sein même de son parti, les prises de position du Président Ford en faveur de hausses d’impôts, le canal de Panama et la poursuite de la politique nixonienne de « détente » envers l’URSS ouvrent une brèche pour un candidat conservateur dans laquelle Ronald Reagan décide de s’engouffrer. Après son apparition sur la scène nationale à la faveur de son discours de 1964, Reagan était devenu la nouvelle idole conservatrice. Sa popularité lui avait permis d’être élu gouverneur de Californie en 1966 sur un programme de baisses d’impôts, de réduction du déficit et de fermeté face aux mouvements étudiants sur les campus de l’Université de Californie, notamment celui de Berkeley. La manière dont il est parvenu à concilier une rhétorique tranchante et une posture conciliatrice de négociation avec ses adversaires Démocrates à Sacramento font de ses années de gouverneur le prototype de sa présidence85.
40En contestant sa nomination lors des primaires de 1976, Reagan a contribué clairement à affaiblir le Président Ford et permis, ainsi, au Parti démocrate de retrouver le contrôle conjugué du Congrès et de la Maison-Blanche. Condamnés à l’opposition, les Républicains se retrouvent en position idéale pour profiter des échecs du Président Carter. Les problèmes économiques qui avaient affligé Ford se doublent d’une crise énergétique sévère tandis que les Russes envahissent l’Afghanistan et que la révolution Iranienne déclenche une prise d’otages à l’ambassade américaine de Téhéran. À court de réponses, Jimmy Carter choisit de se tourner vers les citoyens pour demander leur aide. Le 15 juillet 1979, dans une apparition télévisée devenue célèbre, il diagnostique une « crise de confiance » généralisée dans le pays avant de proposer des mesures drastiques en matière énergétique. Le candidat Reagan se saisit de ces déclarations pessimistes pour accuser son adversaire de se défausser de ses responsabilités. À l’inverse, lui veut proposer d’incarner une Amérique optimiste, volontaire et sûre de sa force. La perspective de s’asseoir dans le fauteuil présidentiel aiguise les appétits mais l’ancien gouverneur de Californie domine la concurrence pour obtenir l’investiture de son parti et choisit George H. W. Bush, l’un de ses adversaires durant les primaires républicaines, comme colistier.
41Le 17 juillet 1980, devant la convention républicaine réunie à Detroit, Ronald Wilson Reagan accepte la nomination de son parti pour l’élection présidentielle. Son discours reprend les grandes lignes de celui qui l’a rendu célèbre en 196486. Il s’ouvre sur une fresque historique qui insiste sur la tradition de contrat entre gouvernants et gouvernés avant de pointer du doigt les trois dangers mortels qui menacent la nation : « Une économie en lambeaux, une défense nationale affaiblie et une politique énergétique fondée sur le partage de la pénurie87. » Fidèle à sa rhétorique, le candidat dénonce une nouvelle fois des impôts étouffants pour financer les gaspillages d’un État fédéral omniprésent et omnipotent qui vit aux dépens des citoyens américains.
42Les déboires de l’économie américaine sont présentés comme directement imputables à l’intervention étatique. Ils peuvent être facilement résolus à condition de libérer les énergies du marché et de la concurrence88. La crise énergétique en offrirait l’exemple le plus criant. Les mesures d’économies énergétiques de l’Administration Carter sont jugées inefficaces et injustes en ce qu’elles accusent implicitement le consommateur américain. À l’inverse, la solution doit être d’encourager la production énergétique américaine en faisant éclater le carcan des régulations environnementales. En matière de politique étrangère Reagan se montre particulièrement virulent à l’encontre des Démocrates. Le sortant et ses majorités se seraient montrés incapables de prendre la mesure de la menace soviétique et de défendre la nation en conséquence dans un contexte où les États-Unis perdent du terrain. Pour le candidat républicain, la seule posture à apporter doit être celle d’une opposition permanente et universelle contre ceux qu’il appelle les « ennemis de la liberté89 ». Il faut dès lors démultiplier les dépenses militaires afin de donner à l’armée américaine les moyens d’être, de nouveau, le garant de la paix dans le monde. Concluant son discours sur un appel à une minute de prière pour demander le concours de la providence, Reagan ramène le parti à ses fondamentaux. Toutes les composantes du mouvement conservateur peuvent se réjouir : libertaires, traditionalistes, anticommunistes, néo-conservateurs et évangéliques.
43S’il a pu s’appuyer sur le soutien des conservateurs pour remporter l’investiture républicaine, cela ne peut évidemment suffire à expliquer le succès de Reagan lors de l’élection générale face à Jimmy Carter. Reagan reçoit finalement 50.7 % des suffrages, Carter 41 % et Anderson, candidat Indépendant, 6.6 %90. La courte majorité de Reagan au niveau national se transforme en raz-de-marée au sein du collège électoral puisque le candidat républicain remporte 489 des 538 grands électeurs grâce à ses victoires dans 44 États91. Le succès de Reagan se construit sur les bases géographiques de la coalition construite par Nixon autour de l’incursion de Goldwater dans l’électorat du Sud. En 1976, Carter était parvenu à temporairement ramener Dixie dans le giron démocrate. Quatre ans plus tard le succès de Reagan dans la région augure une période de consolidation. Avec Reagan, les électeurs conservateurs des anciens États confédérés se décident non seulement à voter pour un candidat républicain pour l’élection présidentielle mais surtout à se déclarer comme Républicains. En entraînant une remise en cause de l’affiliation partisane des Démocrates conservateurs du Sud, Reagan ouvre la voie à une transformation durable de la vie politique à tous les échelons administratifs de la région. En 1980, 61 % des électeurs blancs du Sud lui apportent leur soutien. Quatre ans plus tard, le taux s’élève à 72 %.
44Contrairement à Richard Nixon, Ronald Reagan parvient à entraîner les autres candidats Républicains dans son sillage. Sa victoire s’accompagne du retour à une majorité républicaine au Sénat pour la première fois depuis 1954 grâce à un gain de 12 sièges dont quatre parmi les États du Sud92. Les élections de mi-mandat de 1982 confirment la tendance puisque les électeurs de Virginie choisissent d’élire le Républicain Paul Trible après le départ à la retraite du Démocrate conservateur Harry F. Byrd Jr., qui était entre-temps devenu Indépendant93. À la fin du premier mandat de Reagan, la moitié des sénateurs des États du Sud sont affiliés au Parti de Lincoln94. Pendant la présidence Reagan, les Démocrates conservent cependant leur majorité à la Chambre des représentants dont une minorité très conservatrice de représentants des États du Sud qui restent fidèles au Parti démocrate. Ils apportent malgré tout un soutien crucial au programme du Président Reagan dont ils partagent les priorités budgétaires : augmentation des dépenses militaires, baisses des autres dépenses et baisses d’impôts.
45Les gains républicains ne se limitent pas aux États de l’ancienne Confédération. Comme Nixon avant lui, Reagan profite également du désenchantement des classes ouvrières blanches du Nord envers le Parti démocrate pour les attirer au sein du GOP. Lui aussi joue sur leur sentiment de déclassement au profit de minorités présentées comme favorisées par l’action d’un État fédéral aux mains du Parti démocrate. Sa percée notable dans ces sous-groupes amène la presse à parler de « Démocrates reaganiens » (« Reagan Democrats95 ») pour décrire des électeurs conservateurs en matière de politiques sociale et étrangère mais souvent plutôt progressistes en matière de politique économique du fait de leur affiliation syndicale. Reagan parvient aussi à consolider l’alliance conservatrice renouée entre les Évangéliques protestants et les Catholiques américains96. La popularité du président au sein d’un électorat catholique longtemps réticent à rejoindre le parti des élites protestantes affaiblit durablement le Parti démocrate.
46La révolution électorale reaganienne est confirmée en 1984 lorsque Reagan et Bush triomphent avec près de 60 % des voix au niveau national. Seul son Minnesota natal et Washington D.C. offrent leurs grands électeurs au candidat démocrate Walter Mondale et sa colistière Geraldine Ferraro. Bien aidé par une reprise économique à la fin de son premier mandat97, le sortant fait campagne en assurant que « le jour se lève sur l’Amérique » (« Morning in America »). Son succès le plus durable consiste à être parvenu à enfin rallier une très forte majorité de conservateurs blancs au Parti républicain. La présidence Reagan représente donc un moment majeur d’accélération de la convergence entre le mouvement conservateur et le GOP. En 1980, 48 % des électeurs conservateurs blancs se déclaraient Républicains. En 1988, à l’issue de ses deux mandats, le chiffre est désormais de 63 %98. La présidence Reagan permet d’associer durablement conservatisme et Parti républicain dans les esprits comme dans les urnes. Pour ce qui est des politiques publiques, le bilan des années Reagan apparaît moins tranché.
Un goût d’inachevé
47Pour slogan de campagne, Ronald Reagan avait choisi en 1980 de promettre « un nouveau départ » (A New Beginning) aux électeurs américains. Lui-même ne parlait pas de révolution et, dans son discours d’investiture, il ne prononce pas le mot conservatisme. Malgré cela, au soir de son élection, ses lieutenants comme ses adversaires veulent croire en une véritable rupture conservatrice. Le concept d’une « révolution reaganienne99 » soulève un nouveau problème de définition. Si l’on peut contester une appellation qui réduit un mouvement à son porte-parole, il faut reconnaître que le patronyme est devenu synonyme d’une somme de politiques à la fois novatrices et conservatrices. L’ancien acteur de série B, ancien président d’un syndicat d’acteurs, ancien porte-parole de General Electric, accède à 70 ans à la magistrature suprême en promettant à tout le moins un renouveau conservateur. En janvier 1989, au moment de quitter la Maison-Blanche, le Président Reagan explique que, selon lui, ce que certains ont appelé la « révolution reaganienne » est en réalité un retour aux sources, « une grande redécouverte100 ».
48Son avènement représente avant tout un changement de paradigme en matière de politique économique. Sur les questions fiscales, les conservateurs étaient tiraillés entre deux objectifs contradictoires. Ils souhaitaient d’une part une baisse des impôts qui reflèterait une réduction de la place de l’État dans l’économie. De l’autre, ils cherchaient à combattre les déficits publics, symboles d’un État fédéral prodigue et sources d’une dette publique propre à immobiliser des capitaux qui devraient être réservés à la sphère privée. Durant cette période cruciale des premières années de l’Administration Reagan, la rhétorique républicaine évolue sur la question des déficits. L’orthodoxie fiscale les avait conduits à se montrer horrifiés devant les déficits du New Deal puis de la Grande Société. En conservateurs conséquents, les Républicains refusaient absolument d’alourdir la dette publique. Les actions du nouveau président conjuguées à l’arrivée d’une nouvelle théorie économique vont pourtant les amener à réordonner leurs priorités. Progressivement, les baisses d’impôts vont devenir plus importantes que la poursuite de l’équilibre budgétaire101.
49Adversaire de longue date du fisc, le candidat Reagan finit par trouver une théorie économique à même de justifier les baisses d’impôts qu’il appelle de ses vœux sans aggraver le déficit public. Là où les héritiers de John Maynard Keynes insistaient sur la nécessité de soutenir la demande, les théories des économistes de l’offre (supply-side economics) mettent l’accent sur des politiques de promotion de l’offre. Pour favoriser la production, ils préconisent de baisser le taux d’imposition. Certains économistes comme Arthur Laffer vont jusqu’à prétendre qu’il est possible de baisser les impôts tout en augmentant les recettes fiscales. Ils partent du principe que les taux sont actuellement trop élevés. Cela décourage les investissements à même de créer la croissance économique future. Arthur Laffer et ses collègues en déduisent que la perte de recettes qu’entraînerait une baisse du taux d’imposition serait plus que compensée par l’augmentation des recettes fiscales engendrées par l’accélération de la croissance économique. Ces idées permettent donc de concilier les deux objectifs fiscaux a priori contradictoires de baisses d’impôts et de lutte contre le déficit. Le zèle avec lequel Reagan se saisit de ces théories entraîne la création d’un nouveau néologisme : la « reaganomie102 » (Reaganomics). Initialement moquées au sein du parti103, elles sont devenues depuis une nouvelle forme de doxa au sein du GOP.
50Les promesses de baisses d’impôts du candidat Reagan se font dans un contexte national qui confine à la révolte fiscale. L’augmentation des responsabilités étatiques au niveau fédéral et au niveau des États nécessite une augmentation des prélèvements obligatoires104. La forte inflation des années 1970 aggrave le problème. En effet, elle entraîne l’augmentation des taux de prélèvements des revenus des ménages en faisant subrepticement passer une partie grandissante de leurs revenus dans la tranche supérieure du barème (bracket creep). L’exaspération du contribuable américain se manifeste de manière la plus probante en 1978 en Californie. Un référendum d’initiative populaire modifie la Constitution californienne pour limiter de manière radicale les possibilités de financement de l’État. Lancée par Howard Jarvis, un activiste mormon de l’État voisin de l’Utah, la « proposition 13 » (« Proposition 13 ») limite les impôts fonciers à 1 % de la valeur estimée de la résidence. Cette réforme impose de surcroît une majorité qualifiée des deux tiers de l’Assemblée et du Sénat californien pour toute future hausse d’impôts. Elle est adoptée à une très large majorité le 6 juin 1978105. Ce succès fait des émules dans les autres États et augmente encore la visibilité de la rhétorique du candidat Reagan. Il avait lui-même été signataire de la pétition qui avait permis l’organisation du référendum en Californie106.
51Au Congrès des États-Unis, les efforts de réductions d’impôts s’organisent autour des propositions du Représentant Jack Kemp, Républicain de la 38e circonscription de l’État de New York allié à William Roth, le sénateur républicain du Delaware. L’élection de Reagan offre une chance de voir leur proposition d’une baisse de 30 % de l’impôt sur le revenu enfin signée par le président des États-Unis. Pour cela, il faut convaincre une majorité de la Chambre des représentants où les Républicains ne comptent que 191 membres sur 435. À l’instar du Speaker Tip O’Neill, la plupart des Démocrates sont bien décidés à défendre leurs programmes et leurs priorités. Ils s’opposent donc logiquement aux baisses d’impôts proposées par Reagan et Kemp. Pour imposer leurs idées, le nouveau président et ses alliés vont cependant pouvoir s’appuyer sur 38 Démocrates conservateurs sudistes qui, par conviction et par instinct de survie politique, décident de soutenir ce nouveau président si populaire dans leurs circonscriptions107.
52En 1980, le candidat Reagan avait promis que pour retrouver l’équilibre budgétaire à la fin de son premier mandat, il suffisait de combattre « les gaspillages, la fraude et les abus108 » dans le budget fédéral109. Dans les faits, ces problèmes ne représentent qu’une portion infime du déficit. En parallèle aux baisses d’impôts, l’administration doit donc opérer des coupes drastiques dans le budget fédéral. Plus qu’un simple moyen de lutte contre le déficit, la réduction des dépenses devrait permettre de réduire la place de Washington dans l’économie. L’objectif initialement fixé est une réduction des dépenses de l’ordre de 40 milliards de dollars, soit près de 5 % des dépenses totales110. Cette fois, le travail législatif se base sur les propositions de Phil Gramm et de Delbert Latta111. Le premier est alors sénateur démocrate conservateur du Texas, le second est sénateur républicain de l’Ohio. Le plan de réduction des dépenses est en réalité d’autant plus ambitieux que le nouveau président avait promis de ne pas toucher au programme d’assurance retraite (Social Security) qui représente un quart des dépenses et même d’augmenter les dépenses militaires. La contradiction initiale d’un plan de lutte contre le déficit s’appuyant sur un programme de baisses d’impôts se voit donc davantage aggravée par la volonté de Reagan de réduire les dépenses sauf les plus importantes et tout en augmentant d’autres.
53Parvenir à combattre le déficit en augmentant certaines dépenses et en réduisant les recettes, voilà donc la tâche ingrate confiée au jeune David Stockman. Le président a choisi le représentant républicain de la quatrième circonscription du Michigan pour diriger son Bureau du Management et du Budget (Office of Management and Budget). Ancien protégé de John Anderson, le candidat Indépendant des présidentielles de 1980, Stockman va s’appuyer sur son expérience du processus budgétaire au sein du Congrès mais aussi sur des projections économiques irréalistes pour surmonter les réticences des membres de la fragile coalition reaganienne sur la colline du Capitole112. Le 13 août 1981, après une longue bataille législative, le Président Reagan appose sa signature sur les deux propositions de loi113. La première contient une collection de baisses d’impôt dont la diminution du taux de la tranche supérieure de 70 % à 50 %. La seconde prévoit une baisse de plus de 31 milliards des dépenses de l’État fédéral pour l’année fiscale 1982. Les conservateurs peuvent se réjouir. L’État fédéral, hors Pentagone, vient de promettre de réduire simultanément son train de vie et la pression fiscale.
54Ces succès législatifs pour l’Administration Reagan seront pourtant de courte durée. Les conséquences de ces actions sur le déficit, la troisième partie de l’équation, se révèlent vite catastrophiques. Selon les projections initiales, ces lois devaient entraîner une baisse des recettes de 787 milliards de dollars pour une baisse des dépenses de 130,5 milliards sur trois ans114. Le président avait promis que la baisse des recettes fiscales forcerait l’État fédéral à réduire encore davantage ses dépenses. La réalité politique se révéla moins conforme à ses souhaits. Devant l’aggravation exceptionnelle du déficit115, les membres du Congrès, Démocrates et Républicains116, décident dès 1982, de revenir sur les baisses d’impôts prévues par le Economic Recovery Act.
55Les changements de position sur la nocivité relative des déficits au fil des circonstances naissent de la coexistence au sein de la coalition conservatrice de groupes aux priorités contradictoires. Les défenseurs de la théorie de l’offre tendent à se retrouver dans le courant libertaire. La question des déficits leur paraît moins cruciale que la nécessaire baisse de la pression fiscale qui doit libérer les énergies du libre-marché et réduire la place d’un État forcément trop présent. Leur chef de file au Congrès, le Représentant Jack Kemp, peut ainsi déclarer devant la commission du budget : « Nous autres Républicains ne nous prosternons désormais plus devant l’autel de l’équilibre budgétaire117. » Face à eux, des conservateurs plus traditionalistes, ou plus modérés, comme le Sénateur Bob Dole du Kansas, restent farouchement hostiles à l’aggravation du déficit en tant que tel. Ils se montrent donc prêts à augmenter les impôts pour rétablir l’équilibre. Cette attitude leur vaut d’être pris à partie par les opposants plus radicaux qui les accusent de faire le jeu des prodigues Démocrates118. Sur ces questions, le positionnement du Président Reagan évolue au cours de son mandat. La situation politique est d’autant plus inconfortable pour le président que les Démocrates sont ravis d’utiliser contre lui les innombrables discours anti-déficits qu’il avait prononcé par le passé. Sa liberté d’action est de toute manière largement réduite du fait de la reprise en main de la Chambre par les cadres démocrates119 puis la perte du contrôle du Sénat en 1986.
56Au final, le mouvement conservateur ne peut que faire un bilan équivoque de la politique budgétaire sous Ronald Reagan. Les effets de la révolution fiscale initiale sont largement annulés par les redressements successifs120. Les espoirs d’une réduction substantielle de la place de l’État fédéral dans l’économie américaine ne se concrétisent pas121. Pire, le 20 avril 1983, le président accepte de consolider l’institution la plus emblématique du New Deal en signant une loi qui renforce le financement du système des retraites (Social Security Amendments122). Elle reprend dans les grandes lignes les conclusions de la commission Greenspan créée en 1981 par décret présidentiel pour réformer le financement du programme123. Ce n’est finalement qu’après des négociations directes entre Tip O’Neill et Ronald Reagan qu’un accord était intervenu.
57Cependant, derrière ce qui pourrait être perçu comme un retrait par rapport aux ambitions conservatrices dans le domaine économique, on peut percevoir un glissement important des priorités de l’État fédéral. Ainsi, bien que le montant global des dépenses fédérales reste quasi inchangé, les dépenses militaires en absorbent une plus grande part au détriment des autres priorités124. La fermeture de nombreuses niches fiscales inclues dans le Tax Reform Act de 1986125 permet une nouvelle baisse des taux d’imposition qui profitent surtout aux foyers les plus aisés. La baisse même restreinte des capacités de financement de l’État fédéral entraîne une remise en cause de certains programmes. La réduction relative du champ d’action de Washington se double d’un mouvement néo-fédéraliste (New Federalism) de retour des compétences fédérales vers les États. Déjà appelée de ses vœux par le Président Nixon, cette redéfinition du partage des pouvoirs sur l’axe vertical se concrétise sous Reagan. La transformation des mécanismes d’entraide financière de l’État fédéral vers les États constitue l’instrument privilégié de cette réforme126. Dans le discours politique, une partie du Parti républicain paraît désormais ouverte à des programmes de baisses d’impôts au risque d’aggraver les déficits. Cet exemple ne restera pas sans suite.
58Enfin, derrière les grands discours idéalistes, Reagan poursuit avec succès la politique étrangère réaliste de Nixon et son Secrétaire d’État Henry Kissinger127. L’implosion du régime soviétique ne peut s’expliquer uniquement par la rhétorique agressive de Reagan et la course aux dépenses militaires. Quelle que soit leur part de responsabilité, du point de vue symbolique, les conservateurs et leur anticommunisme ostentatoire peuvent pourtant se targuer d’avoir présidé à la défaite de l’ennemi communiste. Si l’affaire Iran-Contra vient gâcher la fin de mandat et confirmer l’impérialisation de la présidence128, elle offre au mouvement conservateur un nouveau martyre en la personne d’Oliver North129. Le témoignage de cet officier des Marines devant la commission ad hoc au mois de juillet 1987 le transforme en icône nationale. Il reconnaît avoir détruit des preuves, menti aux membres du Congrès et fait obstacle au bon fonctionnement du processus judiciaire mais, convaincu d’avoir agi dans l’intérêt national, il se défend avec aplomb. Tout au long de son audience, il répète qu’il n’a fait que suivre les ordres de ses supérieurs et accuse les Démocrates du Congrès de mettre en danger le pays avec leurs procédures tatillonnes130.
59Durant le même été 1987, le Président Reagan déclenche une autre tempête médiatique au Congrès en proposant la nomination du très conservateur Robert Bork à la Cour suprême des États-Unis131. Reagan était déjà parvenu à faire confirmer par le Sénat républicain la nomination des juges Sandra Day O’Connor en 1981 puis Antonin Scalia en 1986. La démission du juge Lewis Powell devait lui permettre d’ancrer la majorité de la Cour suprême dans le camp conservateur pour, enfin, renverser la jurisprudence constitutionnelle, notamment sur la protection du droit à l’avortement. La nouvelle majorité démocrate au Sénat est consciente de l’enjeu et déterminée à protéger les avancées sociales acquises grâce au pouvoir judiciaire. Les sénateurs démocrates s’opposent donc violemment aux positions du juge Bork, figure intellectuelle d’une jurisprudence constitutionnelle conservatrice hostile à l’extension des pouvoirs de l’État fédéral. Le 23 octobre 1987, après des semaines d’audience très médiatisées, sa nomination est rejetée par une majorité de 58 sénateurs. Les conservateurs sont outrés de voir les Démocrates et leurs alliés vouer aux gémonies un juge aux qualifications exceptionnelles et pensent, à tort ou à raison132, que l’épisode marque l’entrée dans une nouvelle ère de combat idéologique autour du processus de confirmation.
60Les confrontations entre le Congrès démocrate et la présidence Reagan permettent de revitaliser un mouvement conservateur qui a atteint sa majorité institutionnelle. En effet, pour une cohorte d’activistes formés à la contestation, les années Reagan offrent la première expérience de l’exercice du pouvoir. Les frustrations générées par un système politique fondé sur l’inertie et les contre-pouvoirs leur permettent de réévaluer la capacité du président des États-Unis à entraîner seul une révolution.
L’apostasie du Président George H. W. Bush
61Aux yeux de nombreux conservateurs, George Herbert Walker Bush n’offrait pas suffisamment de garanties de rigueur idéologique. Héritier d’une grande famille républicaine du Massachusetts133, le vétéran de l’aviation marine diplômé de Yale avait fait fortune dans les affaires au Texas avant de devenir représentant de la septième circonscription de l’État. Après un échec aux élections sénatoriales, il avait poursuivi sa carrière en occupant des postes à hautes responsabilités au sein des administrations Nixon et Ford134. En 1980, après une campagne convaincante dans les primaires républicaines, Reagan avait choisi Bush comme colistier afin de rallier les élites aisées du Nord-Est qui l’avaient soutenu.
62En 1988, le vice-président souffre de son image d’héritier et de modéré. Il lui faut mettre en avant ses galons conservateurs pour distancer son principal adversaire dans les primaires, le Sénateur Robert J. Dole du Kansas. Lors du premier scrutin dans l’Iowa, George Bush termine troisième, derrière Bob Dole et le télévangéliste Pat Robertson dont la présence témoigne de la place grandissante des évangélistes au sein du mouvement conservateur et du GOP. Bush parvient à renverser la tendance dans le New Hampshire et scelle sa victoire en raflant les délégués des États du Sud au moment du Super Tuesday en mars 1986. Dans son discours devant la convention républicaine réunie à la Nouvelle-Orléans, il cherche à vaincre les dernières réticences conservatrices en répétant à l’envie qu’il s’opposerait résolument à toute hausse d’impôts. Empruntant une réplique à l’inspecteur Harry, le viril justicier incarné par Clint Eastwood, il promet de répéter aux membres du Congrès qui souhaiteraient augmenter les prélèvements : « Lisez bien sur mes lèvres : pas de hausses d’impôts135. » La phrase produit l’effet escompté mais elle lui causera de nombreux problèmes par la suite.
63En prévision de l’élection générale, le candidat Bush cherche ensuite à prendre un peu de distance par rapport à Reagan en annonçant qu’il souhaite une Amérique « plus douce136 ». Dans les faits, sa campagne contre le gouverneur du Massachusetts Mickael Dukakis ne se caractérise certainement pas par sa douceur. Dukakis cherche à se positionner comme un démocrate centriste en matière de politique économique. Sur les conseils de Lee Atwater, un professionnel du combat politique ayant fait carrière sous les ordres de Strom Thurmond en Caroline du Sud, Bush choisit d’attaquer sur les questions d’ordre public. Il utilise l’exemple d’un fait divers tragique pour peindre son adversaire comme un dangereux gauchiste. William J. Horton, un citoyen afro-américain avait été condamné à la réclusion à perpétuité pour homicide volontaire par l’État du Massachusetts. En juin 1986, le gouverneur Dukakis lui avait signé une permission pour un week-end. Le détenu avait profité de la permission pour s’enfuir. En 1987, il était finalement arrêté dans le Maryland après avoir agressé un homme et violé une femme. Durant les dernières semaines de la campagne, grâce au soutien financier de groupes favorables au candidat Bush, Atwater décide de diffuser des spots de campagne attaquant le gouverneur Dukakis pour son opposition à la peine de mort en insistant sur le rôle du gouverneur dans le crime perpétré par Horton. Les Démocrates accusent Bush de jouer sur les peurs raciales en utilisant une photographie menaçante de celui que les spots télévisés appellent Willie Horton. La campagne officielle prend ses distances avec ces spots mais se montre ravie d’en récolter les fruits médiatiques et électoraux. Outre le manque de scrupules de Lee Atwater, l’épisode semble révéler surtout la nouvelle influence des positions et des tactiques héritées des conservateurs du Sud sur les questions raciales.
64Les élections de 1988 coïncident avec la diffusion à l’échelle nationale de l’émission de radio du conservateur Rush Limbaugh. L’animateur de radio rencontre un succès croissant avec son « Rush Limbaugh Show ». Aujourd’hui encore, il rassemble une quinzaine de millions d’auditeurs réguliers entre midi et 15 heures137. Le format est typique du très politisé genre de la « talk-radio » qui se développe après l’abandon par la FCC (Federal Communications Commission) de la « doctrine de l’équité » (fairness doctrine) en 1987138. Diffusé sur la bande AM qu’avaient délaissée les stations consacrées à la musique, ce type d’émission est centré autour de la figure de l’animateur qui commente les actualités sportives, culturelles et politiques. Ses monologues sont entrecoupés de réactions des auditeurs qui interviennent par téléphone. Personnage très controversé, Rush Limbaugh défend avec véhémence des positions ultra conservatrices sur les questions économiques, politiques et sociales139. Le succès de son émission le rend très populaire auprès des hommes politiques conservateurs souvent avides de s’assurer le soutien de ses auditeurs. Les animateurs les plus populaires de la « talk-radio » se décrivent tous comme très conservateurs. Le genre est régulièrement crédité comme un facteur important de la consolidation du mouvement et du discours conservateur140. La création d’un personnage dont la voix les accompagne chaque jour dans leur quotidien permet de créer un sens de communauté chez les auditeurs qui constatent que leurs idées pas toujours avouables sont partagées par d’autres.
65Le résultat des élections présidentielles de 1988 confirme la consolidation du Parti républicain à travers le Sud. Bush et son colistier Dan Quayle l’emportent largement dans tous les États de l’ancienne Confédération141. Au niveau national, avec plus de 53 % des suffrages, ils enregistrent une victoire probante. La résistance démocrate se confirme au Congrès puisque le Parti de l’âne parvient non seulement à conserver sa majorité mais il l’augmente de deux sièges à la Chambre et d’un siège au Sénat. La confirmation de cette situation de cohabitation à l’américaine entre une majorité démocrate au Congrès et un président républicain142 ne laisse pas présager de changements radicaux durant les premières années de la présidence Bush.
66Pour les activistes du mouvement conservateur, le mandat du nouveau président entraîne une série de déceptions. Ils se retrouvent paradoxalement victimes de leur succès. Les libertaires ont gagné leur combat contre l’inflation et réduit le caractère progressif de l’impôt sur le revenu en allégeant nettement les taux d’imposition des foyers les plus aisés. Les anticommunistes ont gagné la bataille contre l’empire soviétique. La fin de la guerre froide met à mal l’unité d’une coalition conservatrice qui doit trouver une nouvelle raison d’être alors qu’elle a perdu son meilleur porte-parole en la personne de Ronald Reagan.
67Bush tente de donner des gages aux conservateurs traditionalistes et au courant religieux par le biais de ses nominations à la magistrature fédérale. En 1991, le Congrès confirme de justesse la nomination du juge Afro-Américain Clarence Thomas en remplacement du légendaire Thurgood Marshall, premier noir à siéger à la Cour. Au-delà de ses positions ultra-conservatrices sur la jurisprudence constitutionnelle, la nomination du juge Thomas déclenche la polémique lorsqu’Anita Hill, l’une de ses anciennes collaboratrices au sein de l’Administration Reagan, l’accuse de harcèlement sexuel. Après la nomination avortée de Robert Bork, ces nouvelles audiences publiques hautement médiatiques sont perçues par les conservateurs comme une énième machination contre l’un des leurs. Clarence Thomas n’hésite d’ailleurs pas à renverser les accusations de racisme latent adressées habituellement par les Démocrates aux impétrants conservateurs et rendues cette fois inopérantes143. Le climat délétère qui entoure le processus de confirmation du juge Thomas permet de révéler une nouvelle fois comment le mouvement conservateur semble se nourrir d’un sentiment de persécution à des fins de mobilisation.
68Les néo-conservateurs parviennent eux à s’octroyer les premiers rôles dans une Administration Bush qui compense son manque de marge de manœuvre en politique intérieure par une politique étrangère très active. Toutefois, le succès de la guerre du Golfe ne permettra pas à Bush de compenser l’abandon de sa promesse de ne jamais augmenter les impôts. Confronté à l’alourdissement du déficit fédéral hérité des années Reagan ainsi qu’au refus du Congrès Démocrate de tailler plus en avant dans les dépenses publiques, Bush doit finalement se résoudre à revenir sur sa parole et à accepter d’augmenter les impôts. En réduisant les recettes tandis qu’il augmentait largement les dépenses militaires, le Président Reagan avait alourdi un déficit record.
69L’annonce du revirement présidentiel sur la question fiscale déclenche une révolte au sein du Parti républicain. Inspirés par les critiques acerbes du Vice-Président Quayle et du Représentant Gingrich, les Républicains conservateurs au Congrès refusent de voter en faveur du compromis144. Ils sont d’autant plus frustrés qu’ils pensent assister durant la présidence Bush à un recul face au Léviathan étatique. Avant d’augmenter les impôts, le président n’avait-il pas déjà accepté de signer une nouvelle extension des droits civiques145 pour lutter davantage contre les discriminations au travail ? N’avait-il pas déjà étendu la protection de l’État fédéral aux droits des personnes handicapées146 ? Le 5 novembre 1990, le président accepte de signer les hausses d’impôts, confirmant ainsi les pires craintes des conservateurs. Cette décision difficile fragilise son parti et amoindrit ses chances de réélection en 1992.
Les leçons de 1992
70Les élections de 1992 se révèlent exceptionnelles à plus d’un titre. Pour la première fois depuis Herbert Hoover, un président républicain ne parvient pas à se maintenir à la Maison-Blanche pour un second mandat. De manière encore plus surprenante, un candidat indépendant à l’élection présidentielle parvient à obtenir un score suffisant pour réellement influencer le cours de l’élection. En récoltant 18,9 % des suffrages au niveau national Henry Ross Perot, candidat Indépendant, réalise le meilleur score pour un tiers parti depuis Théodore Roosevelt et ses 27,4 % en 1912. Le mouvement électoral qu’il déclenche contribuera paradoxalement à la fois à la défaite de Bush en 1992 et à la victoire républicaine de 1994.
71Pour protester contre le positionnement modéré du sortant, Patrick Buchanan, un ancien des administrations Nixon et Reagan décide de contester l’investiture du Président Bush dans les primaires républicaines147. « Pat » Buchanan, devenu entre-temps animateur à la télévision, cherche à représenter l’aile populiste et conservatrice du parti. Il ne parviendra pas à réellement menacer le sortant mais ses résultats inespérés dans le New Hampshire confirment la défiance de la base républicaine envers le vainqueur de la guerre du Golfe. Pour ne pas aliéner davantage les conservateurs, le président doit laisser à Buchanan une place de choix lors de la convention de Houston. Au cours d’un discours à la gloire des années Reagan, l’opposant d’un jour tente de re-mobiliser ses partisans en faveur du candidat de leur parti en insistant sur le contraste avec Bill Clinton, le candidat démocrate. Selon Pat Buchanan, l’enjeu de l’élection dépasse la simple compétition électorale entre deux organisations partisanes. L’objectif est de déterminer l’identité d’une nation américaine que Buchanan décrit comme en proie à une véritable guerre culturelle pour sauver le pays148. Buchanan cherche ainsi à faire oublier l’une des raisons principales de son propre succès. En effet, au-delà de la désaffection idéologique, l’opposition au Président Bush au sein de son parti reflète aussi des difficultés économiques que connaissent de nombreux foyers. L’appel aux armes de la guerre culturelle constitue donc un moyen de contrer ceux qui critiquent le trop distant candidat Bush et son manque de compassion en rappelant qu’il est le dernier rempart qui protège l’âme américaine de la destruction assurée aux mains des Démocrates.
72Buchanan juge nécessaire d’insister sur le fait que les conservateurs doivent se rallier derrière le candidat du GOP en déclarant : « Ce parti est comme ma maison. C’est notre maison et il est l’heure de rentrer. Ne laissez pas quiconque vous dire le contraire149. » Nombre de sympathisants semblent effectivement prêts à faire leurs valises. En plus du Parti démocrate, le GOP doit faire barrage à une nouvelle menace avec la candidature indépendante du milliardaire Ross Perot.
73Le 3 novembre 1992, près d’un électeur américain sur cinq choisit de voter pour Ross Perot, un milliardaire Texan iconoclaste, plutôt que pour le candidat démocrate ou républicain. Perot et ses soutiens refusent généralement de se placer sur l’axe idéologique traditionnel conservateur-progressiste. Leur discours renvoie dos à dos les deux partis et leurs œillères idéologiques à la faveur de solutions pragmatiques aux problèmes de la nation. À l’image des autres candidatures réussies de tiers parti150, le succès relatif de Perot doit autant aux carences des deux principaux partis et leurs candidats qu’à ses qualités propres. Pour bien comprendre les raisons qui poussent ses électeurs à déserter le « duopole151 » qui domine la vie électorale américaine, il faut donc s’intéresser non seulement à ce que propose le candidat indépendant, mais aussi à ce qu’il reproche aux autres partis.
74Au moment de se lancer en politique, Ross Perot est déjà connu du grand public. Figure de l’entrepreneur ayant fait fortune dans la haute technologie, son nom apparaît dans les médias en 1979 au moment de la crise des otages en Iran. Il organise une mission de sauvetage de deux employés de sa compagnie dont le succès contraste cruellement avec les échecs de l’Administration Carter. En 1991, à l’âge de 61 ans, il finit par conclure que le Parti républicain et le Parti démocrate ne sont plus en mesure de répondre aux défis auxquels la nation est confrontée. Sa démarche est encouragée par quelques individus influents152. Le 21 février 1992, alors que Buchanan vient d’écorner l’aura d’invincibilité de Bush dans le New Hampshire où le jeune Bill Clinton a terminé second derrière l’ancien sénateur du Massachusetts Paul Tsongas, Perot est invité sur CNN. Larry King, le journaliste vedette de la chaîne, avait décidé de faire venir le milliardaire pour l’interroger sur les rumeurs autour de sa candidature. Après avoir répondu à deux reprises qu’il ne souhaitait pas être candidat, il finit par se déclarer prêt à franchir le pas, à condition que ceux qui partagent son diagnostic sur la crise du système politique américain parviennent à se mobiliser suffisamment pour officialiser sa candidature dans les cinquante États de l’union153. Ainsi, dès l’annonce de sa candidature, Ross Perot cherche à s’appuyer sur un véritable mouvement populaire. Le ton est clairement populiste et presque paternaliste. Il se présente comme l’instrument du peuple et n’acceptera de faire le don de sa personne que si une armée de volontaires se met en branle154. Dans cette optique, son immense fortune personnelle doit être un moyen de rendre crédible les efforts de ces militants. Elle ne doit théoriquement pas constituer une fin en soi.
75Son appel au peuple devant Larry King ne fait pas les gros titres dans la presse mais il déclenche une pluie de coups de téléphone de la part de volontaires potentiels qui se déclarent prêts à s’engager155. Ils sont attirés par les déclarations tranchées de ce candidat malgré lui sur les problèmes du déficit, de l’emploi et l’incompétence d’élites politiques détachées du peuple. Comme George Wallace avant lui, Perot utilise la rhétorique populiste comme véhicule pour tenter de propulser un tiers parti contre le duopole formé par le Parti démocrate et républicain156.
76Les problèmes sur lesquels Perot se concentre sont autant de marques de rejet des solutions apportées par les deux principaux partis. Les difficultés économiques sont au cœur des préoccupations. L’industrie américaine multiplie les plans sociaux alors même que le Président Bush négocie le traité NAFTA (North American Free-Trade Agreement) pour créer une zone de libre-échange avec le Canada et le Mexique. Le projet est dénoncé par les syndicats qui craignent la concurrence déloyale avec le Mexique où les coûts de la main-d’œuvre sont bien moindres. Le refus de Clinton de faire campagne contre le projet de traité NAFTA ouvre la voie à Perot qui se positionne clairement contre ce projet. Usant des arguments protectionnistes, il prédit que la compétition inégale avec les salaires mexicains ne fera qu’aggraver le problème du chômage. Sur la question du déficit public, Perot peut s’appuyer sur le fait que le trou budgétaire s’est creusé sous la responsabilité conjointe d’un président républicain et d’un Congrès démocrate. Comme l’a très bien montré le professeur Jim Savage, aux États-Unis, la question de l’équilibre budgétaire n’est pas une simple question de politique publique157. Le déficit est vu comme un symbole de l’incompétence ou de la corruption des gouvernants. S’appuyant sur son expérience d’entrepreneur pragmatique, Perot insiste lourdement sur cette idée. C’est d’ailleurs sur cette thématique qu’il va convaincre le plus d’électeurs de voter pour lui158. Pour le candidat indépendant, la reprise en main de l’Amérique passe par le retour à l’équilibre budgétaire. Enfin, Ross Perot capitalise sur le ressentiment des citoyens américains envers leurs hommes politiques en se positionnant en faveur de la limitation des membres du Congrès à deux mandats consécutifs. Cette idée, aussi vieille que la république américaine, avait refait surface à la fin des années 1980. Pour ses partisans, une telle réforme permettrait d’assurer le renouvellement régulier des gouvernants et ainsi assurer leur représentativité au sens propre tout en luttant contre la corruption supposée inhérente à toute carrière politique. Il paraissait naturel pour le candidat indépendant, néophyte face aux professionnels de la politique, de se saisir de cette thématique.
77La force de la candidature de Perot provient des milliers de volontaires bénévoles qui font du porte-à-porte au printemps 1992 et recueillent les signatures nécessaires pour l’inscrire sur les bulletins de vote dans chaque État. Le candidat se retrouve en difficulté lorsqu’il faut canaliser l’énergie de ces volontaires en les faisant encadrer par des professionnels. Les bénévoles se montrent très mécontents face à ce qu’ils perçoivent comme une récupération de leur mouvement tandis que leur candidat refuse les conseils de ces éminences grises et s’agace des critiques grandissantes dans la presse. Après avoir annoncé sa candidature potentielle en février, Ross Perot avait commencé à grimper dans les sondages. À partir de la mi-mai, les sondeurs le donnaient gagnant dans une lutte à trois avec 33 % des intentions de vote contre 28 % pour Bush et 24 % pour Clinton159. Sa courbe de popularité atteint un pic au début du mois de juin avant de commencer à décliner. Le 16 juillet, Perot annonce qu’il jette l’éponge160. En fait d’abandon, il semble que la campagne ait été mise en sommeil. Le 1er octobre, toujours devant Larry King, Perot annonce son retour dans la course.
78Dès l’annonce du retrait de sa candidature en juillet, le Démocrate et le Républicain s’étaient empressés de faire des appels du pied à ses partisans déçus et en colère161. Clinton tentait de les attirer en se plaçant comme le candidat du changement face au sortant. Pour Bush, les électeurs potentiels de Perot étaient en réalité des conservateurs qui partageaient les valeurs de son parti. Dans leur étude des activistes qui se sont engagés auprès de Perot, les politologues Ronald Rapoport et Walter Stone révèlent plusieurs caractéristiques marquantes. Ces bénévoles mêlent des positions progressistes sur certaines questions, tel le droit à l’avortement, et conservatrices sur d’autres comme le port d’arme. Leurs positions apparemment libertaires sont contrebalancées par leur soutien à un programme national d’assurance maladie et à la lutte contre la pollution162. Dans l’ensemble, ils se considèrent comme modérément conservateurs mais ce qui les distingue véritablement c’est la priorité qu’ils accordent aux questions soulevées par la candidature Perot sur la réforme de la vie politique et l’équilibre budgétaire.
79Au final, les 18,9 % des suffrages qu’obtient Ross Perot ne lui permettent pas de rassembler une pluralité des voix dans un seul État. Il ne parvient donc pas à recueillir le moindre grand électeur163. De manière significative, il réalise de très bons scores dans l’Ouest, en dehors des États qui bordent le Pacifique. Il s’agit d’une région plutôt conservatrice et donc favorable aux Républicains mais où l’indépendance est érigée en vertu cardinale164. Toutefois, conformément aux théories sur l’influence des tiers partis, il laisse sa marque dans le jeu électoral en influençant le débat d’idées entre les deux partis et surtout en ouvrant une course à la récupération de ses soutiens. Après la victoire de Clinton, les Républicains n’auront pas à chercher très loin pour trouver un réservoir de voix et de militants prêts à leur tendre les bras pour peu qu’ils acceptent d’intégrer les priorités du milliardaire Texan.
Le combat des Républicains du Congrès contre le Président Clinton
80William Jefferson Clinton est élu président par une minorité d’Américains. Au niveau national il ne recueille que 43 % des suffrages, un score plus faible que celui de Michael Dukakis en 1988. En dehors de son Arkansas natal et de Washington D.C., Clinton ne parvient à obtenir une majorité absolue des suffrages dans aucun État. Cette courte victoire se transforme pourtant en large majorité dans le collège électoral. L’effondrement généralisé du soutien de Bush à travers le pays a été aggravé par le vote en faveur de Perot. Les politologues ont en effet démontré que la candidature de Perot a coûté plus de voix à Bush qu’à Clinton165.
81Le nouveau président est le premier occupant de la Maison-Blanche né après la seconde guerre mondiale. Surtout il est le premier Démocrate de l’histoire américaine à l’atteindre sans rafler le Sud166. Au niveau de l’élection présidentielle, le réalignement partisan de cette région des États-Unis est donc acté. Cela constitue nécessairement un échec pour Clinton et son colistier Al Gore, tous deux issus de la région. Figure historique du Democratic Leader Council, un courant modéré au sein du parti, Clinton espérait élargir la coalition démocrate en modernisant son image. Sa campagne démontre bien plutôt le succès relatif de la révolution reaganienne. En effet, le 40e président est parvenu à faire du conservatisme la position par défaut dans le discours politique américain.
82S’appuyant sur l’héritage conservateur du Parti de l’âne dans le Sud, Clinton avait coopté la question de l’équilibre budgétaire tout en conservant une posture progressiste sur la plupart des questions sociales, notamment le droit des minorités et la protection des droits des femmes. Sa rhétorique post-idéologique prétendait dépasser les clivages du passé à la faveur d’une troisième voie (third way) mais malgré tous ses efforts pour se présenter comme un « néo-démocrate » (New Democrat), Clinton n’était pas réellement parvenu à convaincre de nouveaux électeurs de rejoindre son parti167. De fait, conformément à ce que ses conseillers prédisaient168, il parvint surtout à récupérer les voix de ceux qui se déclaraient mécontents de la conjoncture économique.
83La courte victoire de Clinton s’accompagne de pertes de sièges au Congrès pour le Parti démocrate. La majorité perd 10 voix à la Chambre des représentants tandis que l’équilibre se maintient au Sénat. Là encore, le contexte permet d’expliquer l’attrait de la rhétorique de Perot contre les hommes politiques. Apparemment condamnés au statut minoritaire169, certains membres républicains de la Chambre avaient décidé d’attaquer sans relâche les Démocrates non seulement sur leurs positions politiques mais aussi sur des questions d’écarts à l’éthique. À leur tête on retrouve Newt Gingrich, représentant de la sixième circonscription de la Géorgie, promu comme second (Minority whip) du leader de la minorité Bob Michel après la nomination de Dick Cheney, alors représentant du Wyoming, comme secrétaire à la défense.
84En 1987 et 1988, Gingrich et son petit groupe « d’artificiers » auto-proclamés accusent le Speaker Jim Wright de collusion. Leur acharnement leur permet de forcer la saisine de la Commission d’éthique de la Chambre qui conclut en avril 1989 que le Speaker a commis plusieurs dizaines d’entorses au règlement de la Chambre. Face à la controverse qui gronde, un haut-responsable de la majorité (Majority Whip) Tony Coelho avait déjà été forcé de démissionner. Le 31 mai 1991, c’est au tour du Speaker Jim Wright d’abandonner son poste170. Les investigations incessantes sur la probité des uns et des autres entretiennent un climat délétère au sein de l’institution. Peu après la démission de Wright, c’est au tour de cinq sénateurs d’être accusés de malversation. Ils auraient aidé Charles Keating à profiter du sauvetage de l’industrie des caisses d’épargne (Savings and Loans) alors que Keating était un contributeur régulier à leur fonds de campagne171. À peine le public avait-il pu digérer cette dernière affaire que les attaques républicaines trouvaient une nouvelle cible : 269 des 435 membres de la Chambre auraient fait des chèques sans provision et ils n’auraient même pas eu à payer de frais à la banque de la Chambre172. Les Républicains173 insistent pour que les noms des membres responsables soient rendus publiques. Les sommes en question avaient beau être relativement modestes et les découverts temporaires, le symbole de législateurs prodigues profitant de leur pouvoir pour se placer au-dessus des lois était dévastateur. Un nombre record de membres de la Chambre décide de ne pas se représenter pour ne pas subir la colère des électeurs de leurs circonscriptions. Sur les 269 membres de la Chambre ayant fait des chèques sans provision, 77 quittent le Congrès à l’issue des élections. Le renouvellement des membres de la Chambre est le plus important depuis quarante ans avec 110 nouveaux membres.
85Malgré un président minoritaire et une majorité au Congrès affaiblie, les Démocrates se retrouvent seuls en charge de l’État fédéral pour la première fois depuis l’Administration Carter. Leur retour au pouvoir va se révéler un excellent agent de remobilisation pour le mouvement conservateur soudainement exclu des sphères de décision. Pour honorer une de ses promesses de campagne, le président commence son mandat en ordonnant la fin de la discrimination contre les homosexuels dans les forces armées. Devant la polémique provoquée par ce que ses adversaires conservateurs dénoncent comme une attaque contre l’institution militaire, le président fait machine arrière. Il choisit d’interdire à la fois aux soldats homosexuels de révéler leur orientation sexuelle et à leurs supérieurs de leur poser la question (« Don’t Ask, Don’t Tell »). Ce compromis bancal parvient à déplaire à la fois aux défenseurs des droits des homosexuels et aux conservateurs.
86Après ce premier écueil, l’administration souhaite recentrer son action sur le champ économique, priorité de la campagne. Après avoir réévalué l’étendue des dégâts budgétaires, Clinton comprend qu’il doit abandonner ses promesses de baisses d’impôts pour les classes moyennes au profit d’un programme de rigueur budgétaire couplé de hausses d’impôts174. Sur cette thématique, le président espérait attirer certains conservateurs déterminés à combattre le déficit mais les Républicains du 103e Congrès (1993-1994) maintiennent pourtant un front uni. Les conservateurs continuent leur travail d’homogénéisation idéologique au sein du parti. Au Sénat, lors du précédent Congrès, les Républicains avaient déjà placé à la tête de leur groupe parlementaire (Republican Conference Chair) le conservateur Thad Cochran du Mississippi en remplacement du modéré John Chafee. À la Chambre, le modéré Bob Michel avait annoncé sa démission à l’issue de son mandat et son dauphin désigné n’était autre que Newt Gingrich, le chef de file des troupes conservatrices.
87Unis contre le programme démocrate, les élus du GOP utilisent tous les moyens procéduriers à leur disposition pour ralentir ou bloquer le processus législatif. En avril 1993, les sénateurs républicains décident d’user de la flibuste pour retoquer le projet de relance économique. Profitant du droit reconnu à chaque sénateur de prendre la parole indéfiniment, ils empêchent la mise au vote de la mesure. Une motion pour clore les débats (cloture motion), seul moyen de mettre un terme à cette manœuvre d’obstruction, nécessite l’aval de soixante sénateurs. Cela implique de parvenir à convaincre au moins trois sénateurs républicains. Le 21 avril, face à l’opposition unie de la minorité républicaine175, les Démocrates jettent l’éponge. Malgré quatre tentatives, ils ne parviennent pas à réunir la majorité qualifiée pour clore le débat sur la proposition de loi de relance.
88Ce vote reflète l’escalade dans l’obstructionnisme de la part de la minorité sénatoriale. Pour la première fois, le chef de file du groupe républicain au Sénat, le sénateur du Kansas Bob Dole, exécute ou menace d’exécuter cette manœuvre de manière systématique176. Il oblige ainsi les Démocrates à trouver une majorité qualifiée de 60 sénateurs pour faire fonctionner l’institution. Afin de contourner cette difficulté, la majorité choisit d’user de la procédure budgétaire de réconciliation pour empêcher une nouvelle flibuste sur le plan de réduction du déficit177. Les 5 et 6 août 1993, lors des votes cruciaux sur cette mesure, pas un seul Républicain à la Chambre ou au Sénat ne vote favorablement. Devant les défections de quatre Démocrates modérés178, le Vice-Président Gore Gore est contraint d’aller lui-même au Sénat pour faire adopter la mesure par la plus courte des majorités179. Pour justifier leur opposition, les Républicains et les Démocrates conservateurs dénoncent les hausses d’impôts sur les ménages les plus aisés. Selon eux, ces augmentations des prélèvements montrent combien, malgré ses discours de néo-démocrate soucieux de ne pas pénaliser le contribuable, Clinton est bien un Démocrate de l’ancienne école. Son projet de réforme du système de santé leur fournit de nouveaux arguments en ce sens.
89Le candidat Clinton avait fait campagne en promettant une vaste réforme de l’assurance maladie. Dès son entrée en fonction, il confie à la première dame la mission de piloter un vaste groupe de travail au sein de l’administration pour préparer un projet de réforme. Le 22 septembre 1993, le président dévoile son projet par un discours officiel devant le Congrès. Les réactions, initialement positives, deviennent plus critiques à mesure que cette vaste réforme progresse puis s’enlise dans les commissions de la Chambre et du Sénat. Le projet visait pour l’essentiel à garantir un accès universel aux assureurs privés. Certains Républicains comme Bob Dole, se montrent initialement ouverts à la discussion. Il est rapidement débordé par son aile conservatrice qui attaque cette réforme comme une insoutenable invasion de l’État fédéral dans la sphère privée180. Avec l’aide des lobbies des compagnies d’assurances et de l’industrie pharmaceutique, les Républicains conservateurs décrivent un projet au coût pharaonique potentiellement dangereux pour les libertés des médecins et de leurs patients. Leurs efforts rendent la réforme si impopulaire qu’à l’été 1994, après des mois de travail, les Démocrates abandonnent finalement le projet.
90L’opposition républicaine est tout aussi stridente sur les tentatives de l’administration de réguler davantage le port d’armes. Le 30 novembre 1993, le président avait signé la loi Brady181 pour tenter d’en encadrer la vente en instaurant notamment des vérifications pour les acheteurs d’armes de poing. L’année suivante, les Démocrates parviennent à interdire une catégorie de fusils semi-automatiques, les « fusils d’assaut » (assault weapons) en intégrant la mesure au sein d’une vaste loi de lutte contre la criminalité182. La loi contre la criminalité devait conforter le positionnement modéré du président et protéger les Démocrates du Congrès des sempiternelles accusations républicaines de laxisme sur la question183. Elle se transforme pourtant rapidement en boulet électoral. En effet, devant les défections sur la gauche du parti et l’opposition unanime des Républicains, les cadres du Parti démocrate sont contraints de demander à leurs collègues modérés de voter en faveur de la loi et donc de cet amendement sur les armes d’assaut. Ce vote affaiblit fortement ces représentants dans leurs circonscriptions où une telle régulation est très mal perçue. Parmi les centaines de mesures de cette loi, les Républicains choisissent de créer la polémique en mettant l’accent sur les financements qui essayent de prévenir la criminalité en renforçant le lien social184.
91Le moindre faux pas de l’administration est monté en épingle pour en faire un scandale odieux dans la bouche des Républicains conservateurs185. Ils se saisissent du tragique incident de Waco au Texas pour attaquer le FBI dirigé par Janet Reno186. La politique environnementale de l’Administration Clinton est présentée par les Républicains comme une « guerre contre l’Ouest ». De fait, le président est utilisé comme un élément essentiel de mobilisation de l’opposition conservatrice à travers les États-Unis pour gagner des sièges lors de l’élection de mi-mandat de 1994.
92Les premières années du mandat de Clinton permettent donc aux conservateurs de tirer les leçons des élections de 1992. Les électeurs américains semblent s’être progressivement rapprochés des positions conservatrices. Les divisions révélées par la candidature de Buchanan dans les primaires républicaines et celle de Ross Perot pour l’élection générale doivent être surmontées pour permettre de reprendre le contrôle de l’État fédéral à un Parti démocrate superficiellement modernisé. La première des priorités doit donc consister à recomposer la famille conservatrice.
Notes de bas de page
1 Nash G., The Conservative Intellectual Movement in America Since 1945, Wilmington, ISI Books, 2006.
2 Huret R., Les conservateurs américains se mobilisent : l’autre culture contestataire, Paris, Autrement, 2008, p. 12.
3 Nash G., op. cit., p. xviii.
4 Ibid., p. xx.
5 Pour une critique du principe même d’une représentation spatiale du politique sur un axe gauche-droite voir notamment Stokes D., « Spatial Models of Party Competition », The American Political Science Review, vol. 57/2, juin 1963, p. 368-377.
6 Il s’agissait de l’Ohio, remporté de justesse, de l’Indiana et de l’Iowa.
7 BrewerM. et Stonecash J., Dynamics of American Political Parties, New York, Cambridge University Press, 2009, p. 16-17.
8 On pense bien sûr aux Radical Republicans qui dominent le Congrès après la guerre de Sécession et s’opposent au président Andrew Johnson. Ils parviennent presque à obtenir le départ de ce dernier par la procédure de mise en accusation (impeachment). Ces Républicains Radicaux voulaient imposer à l’administration Johnson une politique ambitieuse de reconstruction du Sud qui offrirait de véritables garanties pour les droits des anciens esclaves. Gould L., Grand Old Party: A History of the Republicans, New York, Random House, 2003, p. 52-53.
9 Clémenceau décrivait Thaddeus Stevens, un des leaders des Républicains radicaux au Congrès, comme le « Robespierre de la seconde Révolution Américaine », cité par Foner E., Reconstruction: America’s Unfinished Revolution, 1863-1877, New York, Perennial Classics, 2002, p. 229.
10 Entre 1860 et 1932, le Parti républicain dispose d’une majorité au Sénat de manière quasi ininterrompue. Les Démocrates ne contrôlent la Chambre haute que lors des 46e (1879-1881), 53e (1893-1895), 63e, 64e et 65e (1913-1919) Congrès. À la Chambre des représentants, la domination est un peu moins écrasante. La majorité est républicaine sur les deux tiers de la période mais les Démocrates dominent la chambre basse des 44e, 45e, 46e (1875-1881), 48e, 49e, 50e (1883-1889), 52e, 53e (1891-1895), 62e, 63e, 64e (1911-1917) Congrès. Pour une histoire du Congrès entre ces années, le lecteur peut se référer aux chapitres 13 à 21 dans l’ouvrage de référence Zelizer J., The American Congress: The Building of Democracy, Boston, Houghton Mifflin Harcourt, 2004.
11 De la Guerre de sécession aux années 1930, les Républicains trustent quinze élections présidentielles sur dix-huit. Avant Woodrow Wilson, seul Grover Cleveland était parvenu à se faire élire en 1884 et 1892. Il devint ainsi le seul président à exercer deux mandats non consécutifs.
12 Le débat historiographique autour de cette période a donné lieu à une somme de travaux considérable. Parmi les très nombreuses références sur le sujet, on peut citer Kennedy D., Freedom from Fear: The American People in Depression and War, 1929-1945, New York, Oxford University Press, 1999.
13 Rappelons qu’il fut triomphalement élu en 1928 après une carrière exceptionnelle. Ingénieur de formation, Hoover avait fait fortune dans les affaires avant de devenir célèbre en tant que brillant administrateur des efforts de soutien alimentaire aux populations civiles pendant la première guerre mondiale. Il joua ensuite les premiers rôles dans les administrations de ces prédécesseurs, les présidents Harding et Coolidge.
14 Aux États-Unis, l’action étatique prend des formes différentes de celles qui dominent en Europe. Or, c’est à partir de l’exemple européen qu’ont été fondés les concepts de la science politique, notamment le modèle Weberien. De ce fait, l’importance de l’état a longtemps été sous-estimée dans le politique américain. Structure fédérale oblige, une part essentielle de la gouvernance américaine s’opère par la définition de standards fédéraux déclinés au niveau des États. Par ailleurs, le recours fréquent à des politiques d’incitation fiscale permet de masquer l’interventionnisme étatique. Pour une discussion plus avancée de ces questions, voir Novak W., « The Myth of the « Weak » American State », The American Historical Review, vol. 113/3, 2008, p. 752-772 ; Howard C., « The Hidden Side of the American Welfare State », Political Science Quarterly, vol. 108/3, octobre 1993, p. 403-436 ; King D. et Stears M., « How the U.S. State Works: A Theory of Standardization », Perspectives on Politics, vol. 9/03, 2011, p. 505-518 ; S., « Reconstituting the Submerged State: The Challenges of Social Policy Reform in the Obama Era », Perspectives on Politics, vol. 8/03, 2010, p. 803-824 ; Sheingate A., « Why Can’t Americans See the State? », The Forum, vol. 7/4, 2009, p. 1-14.
15 Ce programme modifie en profondeur la relation entre la population, la présidence et le Congrès. cf. Milkis S., Political Parties and Constitutional Government: Remaking American Democracy, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1999, p. 96.
16 La tradition instaurée par George Washington, premier président des États-Unis, voulait que le locataire de la Maison-Blanche se limite à un bail de huit ans. Franklin Roosevelt décide de s’en affranchir en 1940 arguant du contexte international exceptionnellement dangereux pour justifier son désir de briguer un nouveau mandat. En réponse posthume à Roosevelt, le 80e Congrès et ses majorités républicaines adoptent le 22e amendement qui inscrit dans le texte constitutionnel la tradition des deux mandats.
17 Hamby A. « World War II: Conservatism and Constituency Politics » in Zelizer J., op. cit., p. 475-476.
18 Les Républicains retrouvent brièvement la majorité à la Chambre et au Sénat pour le 80e Congrès (1947-1948) suite aux élections de mi-mandat de 1946. Il s’en fallut de quelques voix pour que leur candidat, le gouverneur de l’État de New York, Thomas Dewey, remporte également l’élection présidentielle de 1948. Une célèbre photographie montre d’ailleurs un Harry Truman goguenard brandissant la une du Chicago Daily Tribune qui déclarait de manière anticipée et finalement erronée la victoire de Dewey.
19 La défiance des Démocrates conservateurs du Sud envers leur président se construit graduellement pour atteindre le point de rupture en 1936 lorsque Roosevelt tente, sans succès, de « purger » les éléments hostiles au New Deal au sein de son parti. Leur opposition aux projets de Roosevelt de réformer la Cour suprême (court-packing plan) achève d’en faire des opposants du président. Farrell J., « Divided We Stand », National Journal, février 2012. Les Démocrates sudistes se déclarent en théorie hostile à l’intervention de l’État fédéral dans l’économie mais de manière moins absolue que celle qui prévaut dans les rangs républicains. La plupart des Démocrates conservateurs du Sud savent apprécier la manne fédérale en matière de subventions agricoles ou lorsqu’il s’agit de raccorder les zones rurales au réseau électrique.
20 À ce titre, la loi Taft-Hartley de 1947 qui limite fortement les droits syndicaux est vue comme une victoire essentielle de la majorité républicaine du 80e Congrès. Dans l’immédiat après-guerre, les syndicats américains disposaient d’une influence considérable. En 1936, la loi Wagner avait reconnu l’importance des droits des travailleurs et institutionnalisé la conciliation avec leurs employeurs. Les effets de cette loi historique et les efforts d’organisation des syndicalistes comme John Lewis s’étaient conjugués à une certaine dépendance de l’état fédéral dans le contexte d’une économie de guerre. (Vinel J.C., « Reconstructing The Wagner Act », Transatlantica. Revue d’études américaines. American Studies Journal, 2006 1 | 2003, mis en ligne le 30 mars 2006, consulté le 16 juillet 2012, [http://transatlantica.revues.org/628] ; Geoghegan T., Which Side Are You On?: Trying to be for labor when it’s flat on its back, New York, New Press, 2004) Forts de cette influence, les syndicats multipliaient les mouvements de grève ce qui ne les rendait pas nécessairement très populaires auprès de l’opinion publique (cf. Brogan H., The Penguin History of the USA, London, Penguin, 2001, p. 595). En pleine Guerre de Corée, les travailleurs de l’aciérie organisent des grèves suffisamment débilitantes pour que le Président Truman tente de nationaliser cette industrie avant que la Cour suprême ne s’interpose (Youngstown Sheet and Tube c. Sawyer, 1952) cf. Michelot V., L’Empereur de la Maison-Blanche, Paris, Armand Colin, 2004, p. 90.
21 Tanenhaus S., The Death of Conservatism: A Movement and Its Consequences, New York, Random House, 2010, p. 29.
22 Le terme anglais libertarian est souvent traduit par le néologisme « libertarien » plutôt que « libertaire » dont les connotations politiques peuvent sembler plus marquées à gauche dans le contexte français. Le brouillage idéologique que peut provoquer la traduction de libertarian par « libertaire » paraît toutefois utile pour caractériser une idéologie réticente à se placer sur l’axe gauche-droite. À l’inverse, dans l’ouvrage qu’il a consacré à étudier leurs idées, Sébastien Caré préfère utiliser le terme de libertarien. cf. Caré S., Les Libertariens aux États-Unis, Rennes, PUR, 2010.
23 Hayek F., The Road to Serfdom, Chicago, University of Chicago Press, 2007.
24 Nash G., The Conservative Intellectual Movement in America Since 1945, op. cit., p. 7.
25 Hayek lui-même refusait de se définir comme tel. Selon lui, l’étiquette de « Old Whig » était plus conforme à ses idées. cf. « Why I’m Not A Conservative » in Hayek F., The Constitution of Liberty, Chicago, University of Chicago Press, 1960.
26 Cité par Nash G., op. cit., p. 5.
27 Les succès de librairie des romans-fleuves d’Ayn Rand viennent contredire cette perception. Émigrée de la Russie soviétique, Ayn Rand popularise les idées libertaires à travers des récits moralisateurs qui prônent un individualisme forcené dans le cadre d’une doctrine aux ambitions philosophiques qu’elle dénomme Objectivisme. Rand A., The Fountainhead, Indianapolis, The Bobbs-Merrill Company, 1943 ; Rand A., Atlas Shrugged, New York, Random House, 1957.
28 Alger Hiss était un diplomate qui occupa des fonctions importantes au cours d’une carrière brillante au Département d’État. En 1948, ce New Dealer apparemment modèle est accusé par un de ses anciens collègues, un communiste repenti dénommé Whittaker Chambers, d’avoir été membre du Parti communiste et d’avoir espionné pour les Soviétiques. Alger Hiss récuse en bloc ces accusations devant la commission HUAC où siège un certain Richard Nixon, alors Représentant républicain de la 12e circonscription de Californie. Au cours d’audiences publiques extrêmement médiatisées, le contraste entre l’élégant et éloquent Hiss et le torturé Chambers est frappant. Pourtant, après que Chambers ait produit des preuves accablantes sous la forme de microfilms cachés dans une citrouille évidée, Hiss fut condamné en janvier 1950 à cinq ans de prison pour parjure. Les faits d’avoir transmis des documents confidentiels à l’ennemi soviétique étaient en effet trop anciens pour permettre son accusation pour espionnage. Patterson J., Grand Expectations: The United States, 1945-1974, New York, Oxford University Press, 1996, p. 194-195.
29 Accusés d’avoir transmis des documents secrets qui auraient permis aux Soviétiques de construire leur bombe atomique, Ethel et Julius Rosenberg furent arrêtés en 1950, inculpés puis condamnés à la peine capitale et exécutés en juin 1953. Malgré de fortes suspicions, la « déclassification » récente des archives du Projet Venona n’a pas définitivement permis d’établir la culpabilité des époux Rosenberg. Le Voguer G., « Transparence et secret aux États-Unis », Sources, n° 10, printemps 2001.
30 Dans un discours prononcé à Wheeling en Virginie Occidentale le 9 février 1950, le Sénateur McCarthy prétend détenir une liste de plus de 200 traîtres à la solde des Soviétiques au sein du Département d’État dirigé par Dean Acheson. (Intitulé « Enemies from Within », le discours de McCarthy est consultable sur [http://historymatters.gmu.edu/d/6456].) Par un télégramme adressé au Président Truman le 11 février, McCarthy renouvelle ses accusations mais le nombre de traîtres est retombé à 57. Les chiffres varient au fil des semaines sans que jamais le sénateur n’accepte de donner de noms. Les historiens le décrivent comme un être instable, un menteur pathologique et un alcoolique qui termine sa carrière et sa vie dans le même discrédit que ses accusations. Patterson J., op. cit., p. 196-197.
31 Diffusés pour la première fois en 1926, les sermons de ce prêtre de la région de Detroit connaissent un succès grandissant. Plusieurs millions d’auditeurs prêtent chaque semaine l’oreille pour entendre ses tirades contre les élites ou le président Hoover et l’éloge du bon peuple pris dans la Grande Dépression. Initialement favorable au Président Roosevelt et à son New Deal, le père Coughlin rentre dans l’opposition en 1936 pour créer son propre parti. Il connaît un échec cuisant qui, cumulé à son opposition tenace à l’entrée en guerre des États-Unis auprès des alliés, son admiration déclarée pour Hitler et Mussolini et son antisémitisme grandissant finissent par le discréditer. En 1941, son supérieur hiérarchique dans le diocèse lui ordonne d’arrêter ses émissions. Kazin M., The Populist Persuasion: An American History, Ithaca, Cornell University Press, 1998, p. 115-130.
32 « This is glaringly true in the State Department. There the bright young men who are born with silver spoons in their mouths are the ones who have been most traitorous. » Sen. McCarthy J., « Enemies from Within », [http://historymatters.gmu.edu/d/6456], consulté le 27 février 2012.
33 L’historien Michael Kazin, spécialiste du mouvement et de la pensée populiste, définit le populisme comme « un langage dont les locuteurs perçoivent les gens ordinaires comme une noble assemblée qui va au-delà des classes sociales et décrivent leurs opposants comme une élite intéressée et antidémocratique afin de mobiliser ce peuple contre ces élites », Kazin M., op. cit., p. 1.
34 Ibid., p. 185-186.
35 Sen. McCarthy J., « Enemies from Within », [http://historymatters.gmu.edu/d/6456], consulté le 27 février 2012.
36 Hodgson G., The World Turned Right Side Up: A History of the Conservative Ascendancy in America, Boston, Houghton Mifflin, 1996, p. 59.
37 Hofstadter R., « The Paranoid Style in American Politics », Harper’s Magazine, vol. 229/1374, novembre 1964, p. 77-86.
38 Les estimations du nombre de membres de cette société secrète varient largement mais il semble qu’en 1967, au plus haut de sa popularité, la John Birch Society rassemblait pas moins de 80 000 membres répartis en 4 000 sections. Hodgson G., op. cit., p. 60.
39 McGirr L., Suburban Warriors: The Origins of the New American Right, Princeton, Princeton University Press, 2002, p. 7-8.
40 On peut penser à la popularité grandissante du rock’n’roll au fil de la décennie, et aux images de rébellion offertes par Hollywood avec Marlon Brando dans L’Équipée sauvage en 1953 ou James Dean dans La Fureur de vivre en 1955.
41 Weaver R., Ideas Have Consequences, Chicago, University of Chicago Press, 1948.
42 Strauss L., Natural Right and History, Chicago, University of Chicago, 1953.
43 Kirk R., The Conservative Mind, from Burke to Santayana, Chicago, Regnery, 1953.
44 Nash G., op. cit., p. 6.
45 Figure centrale du mouvement conservateur de la seconde moitié du xxe siècle, le jeune William Buckley se rend célèbre aux débuts des années 1950 avec deux ouvrages. Le premier attaque le corps enseignant de la faculté de Yale (Buckley W., God and Man at Yale; the Superstitions of Academic Freedom, Chicago, Regnery, 1951), le second défend avec virulence la croisade du Sénateur McCarthy contre les espions communistes (Buckley W., McCarthy and His Enemies: The Record and Its Meaning, Chicago, Regnery, 1954).
46 Tanenhaus S., op. cit., p. 38.
47 Rendu célèbre pour son acharnement contre Alger Hiss, Nixon avait rejoint le Sénat après sa victoire contre Helen Gahagan Douglas en 1950. Les insinuations du candidat Nixon sur le manque de vigueur de l’anticommunisme de la candidate Démocrate (il la décrit comme « Pink right down to her underwear » et distribue des tracts accusateurs sur du papier rose) contribuent à parfaire la réputation peu flatteuse de « Tricky Dick » ou « Richard le Roublard ». Perlstein R., Nixonland: The Rise of a President and the Fracturing of America, New York, Scribner, 2008, p. 34 ; Gould L., op. cit., p. 330 ; Caro R., The Years of Lyndon Johnson, Vol. 3: Master Of The Senate, Vintage, 2003, p. 145.
48 Dixie est le surnom de l’ancienne Confédération qu’avaient formée les États ayant clamé leur indépendance au moment la guerre de Sécession.
49 La fin de la ségrégation des forces armées avait été ordonnée par décret présidentiel (executive order 9981) le 26 juillet 1948.
50 Victorieux uniquement en Caroline du sud, Alabama, Mississippi, Louisiane, et Arizona, Strom Thurmond et son colistier Fielding Wright récoltent 39 voix dans le collège électoral.
51 Avec plus de 60 % des suffrages au niveau national, Lyndon Johnson et Hubert Humphrey l’emportent dans 44 États de l’union.
52 Outre son Arizona natal, Goldwater ne parvient à s’imposer que dans les cinq États du Sud profond (définis comme tels par Black E. et Black M., The Rise of Southern Republicans, Cambridge, Harvard University Press, 2002, 442 p., p. 114) : la Caroline du Sud de son nouveau collègue Strom Thurmond, la Géorgie, l’Alabama, le Mississippi et la Louisiane.
53 Valeo F., Mike Mansfield, Majority Leader: a different kind of Senate, 1961-1976, Armonk, M.E. Sharpe, 1999, p. 139-164.
54 On a tendance à réduire l’opposition des blancs conservateurs du Sud à l’expression d’un racisme primitif. La réalité de la violence du racisme institutionnalisé dans la société sudiste rend très difficile une analyse mesurée. Malheureusement une telle attitude « réduit l’histoire à une fable morale, ignore la perpétuation des combats pour la justice raciale et offre une vision trop simpliste des réactions des blancs face à la lutte pour les droits civiques dans le Sud et au-delà. De manière encore plus fondamentale, elle masque les liens importants entre la réaction des conservateurs sudistes et celle des autres américains blancs et conservateurs devant la révolution des droits civiques. [...] de nombreux blancs du Mississippi ne se voyaient pas comme des parias de la société américaine mais comme des acteurs centraux dans une contre-révolution conservatrice qui transforma la vie politique américaine dans les dernières décennies du xxe siècle » cf. Crespino J., In Search of Another Country: Mississippi and the Conservative Counterrevolution, Princeton, Princeton University Press, 2009, p. 4.
55 Le réalignement partisan des électeurs conservateurs du Sud s’opère d’abord au niveau présidentiel. Il faudra de nombreuses décennies, d’importants mouvements démographiques et des efforts considérables d’organisation pour que des élus Républicains remplacent les Démocrates conservateurs au Sénat, à la Chambre, et dans la vie politique des États.
56 L’opposition aux droits civiques des Afro-américains et la haine raciale n’est certainement pas l’apanage exclusif des États du Sud. Voir par exemple, Andrew Diamond « Jeunes blancs en colère dans les quartiers populaires: résistance à l’intégration raciale et naissance du conservatisme moderne » in Les conservateurs américains se mobilisent: l’autre culture contestataire, op. cit., p. 23-36.
57 Brown c. Board of Education of Topeka, KS, 17 mai 1954, 347 U.S. 483.
58 Engel c. Vitale, 25 juin 1962, 370 U.S. 421.
59 Il s’en faut de très peu pour que Goldwater ne recueille une majorité des suffrages dans l’Idaho alors qu’il ne parvient à remporter son État de l’Arizona que d’une courte tête. Lyndon Johnson sera d’ailleurs le dernier candidat Démocrate à connaître le succès dans l’Ouest. Au fil des élections, on assiste à une consolidation conservatrice dans cette région en pleine croissance démographique, économique et donc politique.
60 L’histoire de la transformation du jeune héritier en icône conservatrice est relatée avec brio par Rick Perlstein dans sa biographie politique de Barry Goldwater. Perlstein R., op. cit.
61 Le rôle de l’obscur Frederick Clifton, dit « Clif », White, devenu un spécialiste hors pair des règles les plus obscures qui déterminent la répartition des délégués à la convention républicaine, est mis en lumière par Perlstein. Ibid., p. 178-188.
62 « I will remind you that extremism in the defense of liberty is not a vice [...] ». Goldwater B., « Acceptance Speech », [http://www.washingtonpost.com/wp-srv/politics/daily/may98/goldwaterspeech.htm], consulté le 15 février 2012.
63 « You and I have a rendez-vous with destiny. We’ll preserve for our children this, the last best hope of man on earth, or we’ll sentence them to take the last step into a thousand years of darkness. » Reagan R., « A Time For Choosing », 1964.
64 Phillips K., The Emerging Republican Majority, New Rochelle, Arlington House, 1969, 482 p.
65 En juillet 1965, avec l’adoption du Social Security Act of 1965 l’État fédéral crée un programme d’assurance maladie des personnes âgés (Medicare) et des populations les plus démunies (Medicaid) ; en août le Voting Rights Act vient renforcer le Civil Rights Act en interdisant toute entrave à l’exercice du droit de vote des Afro-américains.
66 L’historien Kevin Kruse offre une analyse sans concession de la ségrégation résidentielle et les violences qui l’accompagnent à Atlanta. Kruse K., White Flight: Atlanta and the Making of Modern Conservatism, Princeton, Princeton University Press, 2005.
67 Fair Housing Act de 1968.
68 Pour tenter de développer la mixité raciale dans les écoles, on met en place des programmes de transport scolaire des élèves des quartiers majoritairement Afro-Américains vers les écoles des quartiers majoritairement Blancs et vice-versa. La légalité de cette politique extrêmement impopulaire de busing est confirmée par la Cour suprême dans son arrêt Swann c. Charlotte-Mecklenburd Board of Education (402 U.S. 1), en 1971.
69 On voit bien ici la dimension nationale des questions raciales. Il ne faut donc pas voir chaque région des États-Unis de manière monolithique. Les mouvements de population entre les diverses régions modifient en profondeur les équilibres sociaux. Les historiens ont ainsi montré l’importance de la « Grande migration » des Afro-américains vers le Nord comme véritable élément déclencheur de la réaction des populations blanches. Lassiter M., The Silent Majority: Suburban Politics in the Sunbelt South, Princeton, Princeton University Press, 2007, p. 7. De la même manière, la montée de l’influence républicaine dans le Sud ne s’explique pas que par le changement d’affiliation des Démocrates conservateurs. Le rattrapage du retard économique de la région grâce à la manne fédérale entraîne l’afflux de nouveaux résidents qui arrivent des autres régions. Ces nouvelles populations qui amènent avec elles leurs affiliations partisanes contribuent fortement au phénomène. Polsby N., How Congress Evolves: Social Bases of Institutional Change, New York, Oxford University Press, 2005, p. 84-85.
70 Le « républicanisme moderne » que voulait incarner Eisenhower est décrié comme une abjecte et vaine concession aux lubies démocrates (« Me-too Républicanism »). Malgré l’échec de la campagne de Goldwater, les militants conservateurs continuent de penser que face au populaire mais ruineux programme des Démocrates il faut clairement marquer sa différence pour proposer « un choix et pas un écho ». cf. Schlafly P., A Choice Not an Echo, Alton, Pere Marquette Press, 1964.
71 Pour une analyse approfondie des problématiques spécifiques au mouvement conservateur dans cette région voir Lassiter M., op. cit. et Kruse K., op. cit.
72 « In the name of the greatest people that ever trod this earth, I draw the line in the dust and toss the gauntlet before the feet fo tyranny. And, I say, segregation now, segregation tomorrow, segregation forever. », cité par Kazin M., op. cit., p. 231.
73 Il obtient 45 % des suffrages dans le Maryland, 34 % dans le Wisconsin, 30 % dans l’Indiana. Ibid., p. 233.
74 Ibid., p. 237.
75 L’épithète est d’abord utilisée par les intellectuels de gauche critiques du mouvement comme Daniel Bell et ses collaborateurs dans son ouvrage sur la « nouvelle droite américaine ». Bell D. (éd.), The New American Right, New York, Criterion Books, 1955. Dans les éditions suivantes, ils choisissent ensuite d’utiliser le terme plus connoté de « droite radicale ». Bell D. (éd.), The Radical Right. The New American Right Expanded and Updated, Garden City, Doubleday, 1963. L’expression « nouvelle droite » en tant que telle serait une autre création de Kevin Phillips en 1975 ; Kazin M., op. cit., p. 260.
76 Kazin M., op. cit., p. 246.
77 Clean Air Act en 1970 puis Clean Water Act en 1972 et création de l’Agence de Protection de l’Environnement (Environmental Protection Agency).
78 Roe c. Wade (410 U.S. 113)
79 Crespino J., « Civil Rights and the Religious Right » in Schulman B. et Zelizer J. (éd.), Rightward Bound: Making America Conservative in the 1970s, Cambridge, Harvard University Press, 2008, p. 90-105.
80 On pense à des groupes tels que Focus on the Family, fondé par James Dobson en 1977, ou bien encore Moral Majority, fondé par le Révérend Jerry Falwell en 1979,
81 Boyer P., « The Evangelical Resurgence in 1970s American Protestantism » in Rightward Bound: Making America Conservative in the 1970s, op. cit., p. 29.
82 The Future of Conservatism: Conflict and Consensus in the Post-reagan Era, Dunn C. (éd.), Wilmington, ISI Books, 2007, p. vii.
83 L’expression est utilisée par le nouveau président dans son discours d’investiture le 9 août 1974. Ford G., « Remarks on Taking the Oath of Office as President », 1974.
84 Suite aux élections de mi-mandat de 1974, le Parti de l’âne dispose d’une majorité de 291 membres à la Chambre des représentants soit plus des deux tiers de la Chambre. Cela leur permet de surmonter 12 des 66 veto présidentiels de Gérald Ford.
85 Wilentz S., op. cit., p. 133.
86 Le Miller Center de l’Université de Virginie a mis en ligne le discours ainsi que sa vidéo à cette adresse : [http://millercenter.org/scripps/archive/speeches/detail/3406], consulté le 19 février 2012.
87 « Never before in our history have Americans been called upon to face three grave threats to our very existence, any one of which could destroy us. We face a disintegrating economy, a weakened defense and an energy policy based on the sharing of scarcity. », ibid.
88 Quelques mois plus tard, lors de son discours d’investiture, il résume cette idée dans une formule restée célèbre : « Face à la crise actuelle, l’état ne peut offrir de solution ; le problème vient de l’état lui-même » (« In this present crisis, government is not the solution to our problem; government is the problem. »), cf. [http://millercenter.org/president/speeches/detail/3407], consulté le 20 février 2012.
89 Ibid.
90 Ce Républicain progressiste de l’Illinois avait décidé de faire campagne en tant qu’indépendant sous la bannière d’un très éphémère Parti de l’Union Nationale (« National Union Party ») après son échec dans les primaires républicaines. Son score non négligeable se révèle insuffisant pour influencer le résultat final. Une analyse des sondages à la sortie des urnes montre que, dans un hypothétique duel, Anderson aurait subi une plus lourde défaite face à Reagan que face à Carter. cf. Abramson P., Aldrich J., Paolino P. et al., « Third-Party and Independent Candidates in American Politics: Wallace, Anderson, and Perot », Political Science Quarterly, vol. 110/3, octobre 1995, p. 349-367, p. 357.
91 Outre leurs États respectifs de la Géorgie et du Minnesota, Jimmy Carter et Walter Mondale recueillent les suffrages des grands électeurs de Hawaï, de la Virginie occidentale, du Maryland, du Rhode Island et de Washington D.C.
92 Caroline du Nord, Géorgie, Alabama et Floride.
93 Il s’agissait du fils de Harry F. Byrd Sr., figure légendaire du Parti démocrate dans le Sud pour son opposition tenace aux droits civiques et longtemps président de la Commission des Règles (Rules Committee) de la Chambre des représentants.
94 Black E. et Black M., op. cit., p. 218.
95 Patterson J., op. cit., p. 131.
96 Kazin M., op. cit., p. 257.
97 L’amélioration de l’économie américaine doit beaucoup aux actions de la Réserve Fédérale sous la direction de Paul Volcker. En juillet 1982, les responsables de la masse monétaire décident de mettre un terme à la sévère cure anti-inflationniste qu’ils administraient par des taux d’intérêt extrêmement élevés. En desserrant l’étau monétaire, ils ouvrent la voie à un retour de la croissance. Greider W., Secrets of the Temple: How the Federal Reserve Runs the Country, New York, Simon and Schuster, 1987, p. 506-507.
98 Black E. et Black M., op. cit., p. 14-15.
99 Kristol W. « The Enduring Reagan » in The Future of Conservatism: Conflict and Consensus in the Post-reagan Era, op. cit., p. 4.
100 « They called it the Reagan revolution. Well, I’ll accept that, but for me it always seemed more like the great rediscovery, a rediscovery of our values and our common sense. » Ronald Reagan, « Ronald Reagan: Farewell Address to the Nation », [http://www.presidency.ucsb.edu/ws/index.php?pid=29650#axzz1oJtd2gkS], consulté le 4 mars 2012.
101 Savage J., Balanced Budgets and American Politics, Ithaca, Cornell University Press, 1990, p. 209-222.
102 Kaspi A., op. cit., p. 591.
103 Lors de la primaire républicaine de 1980, George H. W. Bush en parle comme une forme de science économique occulte (« voodoo economics »).
104 La somme des prélèvements obligatoires perçus par l’État fédéral est passée de 14,4 % du PIB en 1950 à 19 % en 1980. « Historical Tables » in Office of Management and Budget, « The Budget for Fiscal Year 1999 », U.S. Government Printing Office, 1998, p. 31. En incluant les prélèvements perçus par les États et les collectivités locales, on obtient un taux de 24,3 % en 1964 et 26,8 % en 1980. Citizens for Tax Justice, « U.S. Is One of the Least Taxed Developed Countries », 2011, p. 4.
105 Pour une histoire plus complète de cet événement voir Sears D. et Citrin J., Tax Revolt: Something for Nothing in California, Cambridge, Harvard University Press, 1982, chap. 8.
106 Lo C., Small property versus big government, University of California Press, 1990, p. 5.
107 Les journalistes de l’époque les dénomment « boll-weevils » du nom d’un parasite qui s’attaque au coton. cf. Barrett G., Hatchet Jobs and Hardball: The Oxford Dictionary of American Political Slang, New York, Oxford University Press, 2004, p. 62-63.
108 Reagan R., « Statement on Actions Taken Against Waste, Fraud, and Abuse in the Federal Government », April 16, 1981. Mis en ligne par Gerhard Peters et John T. Woolley, The American Presidency Project. [http://www.presidency.ucsb.edu/ws/?pid=43700], consulté le 24 février 2012.
109 Savage J., op. cit., p. 203.
110 Greider W., « The Education of David Stockman », The Atlantic Monthly, décembre 1981, p. 33 et « Historical Tables » Office of Management and Budget, op. cit., p. 47.
111 Zelizer J., op. cit., p. 714.
112 Au cours d’entretiens avec le journaliste William Greider, David Stockman ne fait aucun mystère quant aux hypothèses de croissance plus qu’optimistes de l’administration. Ces entretiens donnent lieu à la publication d’un article choc dans le magazine The Atlantic Monthly en décembre 1981. Greider W., op. cit., p. 32, 38. La candeur de Stockman crée une véritable controverse et diminue fortement son influence à la Maison-Blanche.
113 Economic Recovery Tax Act, Public Law 97-34 et Omnibus Reconciliation Act, Public Law 97-35.
114 Savage J., op. cit., p. 207.
115 Le déficit de l’État fédéral représentait 2,6 % du PIB lors de l’année fiscale 1981, la dernière de l’administration Carter. L’année suivante, il s’élève à 4 % pour la première année fiscale de l’administration Reagan puis à 6,1 % l’année suivante. Il s’agit alors des plus importants déficits enregistrés en temps de paix. À titre de comparaison, aux plus grandes heures du New Deal, le déficit n’a jamais dépassé 5,9 % du PIB. « Historical Tables » in Office of Management and Budget, op. cit., p. 21.
116 Zelizer J., op. cit., p. 715.
117 Savage J., op. cit., p. 210.
118 C’est à cette époque que Bob Dole fut ainsi accusé par Newt Gingrich d’agir comme le « collecteur d’impôts de l’État-Providence » (« tax collector for the welfare state ») Fritz S., « Dole, Gingrich: a Leadership Odd Couple », Los Angeles Times, 10 novembre 1994.
119 L’arrivée de 27 nouveaux représentants démocrates élus lors des élections de mi-mandat de 1982 leur permet de largement neutraliser la capacité de nuisance de la minorité conservatrice dans leurs rangs.
120 Les prélèvements obligatoires représentaient 19,7 % du PIB lors de sa prise de fonction. Après être descendus jusqu’à 17,5 % pour l’année fiscale 1984, ils remontent à 18,5 % l’année où il quitte la Maison-Blanche.
121 Les dépenses de l’État fédéral passent de 22,2 % du PIB en 1981 à 21,4 % en 1989.
122 Public Law 98-21.
123 Executive Order 12335 du 16 décembre 1981.
124 Les dépenses pour la défense nationale représentaient 23,2 % des dépenses totales en 1982 et 26,5 % en 1989.
125 Public Law 99-514.
126 Vergniolle de Chantal F., « La fin du néo-fédéralisme ? L’Administration Bush et la “dévolution” du pouvoir », Politique étrangère, vol. 69/3, 2004, p. 569 ; Lassale J-P., « L’État providence et le gouvernement par subventions » in Deysine A., Les institutions des États-Unis, Edition 2006, Paris, la Documentation française, 2005, p. 28-29.
127 David C., Balthazar L. et Vaïsse J., La Politique Étrangère Des Etats-Unis : Fondements, Acteurs, Formulation, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, p. 90.
128 L’administration vendait des armes à l’Iran afin de récupérer des otages américains en dépit de l’embargo contre ce pays. Les profits de ces ventes d’armes étaient détournés vers le Nicaragua pour aider les contras, groupe paramilitaire qui cherchait à renverser le gouvernement Sandiniste. Le montage complexe visait à contourner l’amendement Boland adopté par le Congrès qui interdisait toute aide financière aux contras. Rudalevige A., The New Imperial Presidency: renewing presidential power after Watergate, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2005, p. 156-157 ; Fisher L., Constitutional conflicts between Congress and the President, Princeton, Princeton University Press, 1985, p. 70-71.
129 Frank T., The Wrecking Crew, New York, Metropolitan Books, 2008, p. 92-93.
130 Wilentz S., op. cit., p. 236-237.
131 Alors juge à la Cour d’appel fédéral du District de Colombie, cet ancien professeur à l’université de Yale était devenu célèbre pour avoir accepté l’ordre du Président Nixon de démettre de ses fonctions le procureur Archibald Cox durant l’affaire du Watergate. Il avait produit de nombreux écrits contre la législation fédérale sur les droits civiques et refusait de reconnaître un droit à la vie privée dans la Constitution américaine. C’est sur la base de ce droit que la Cour avait fédéralisé la protection du droit des femmes de recourir librement à la contraception et l’avortement. Goldman S., Picking Federal Judges: Lower Court Selection from Roosevelt through Reagan, New Haven, Yale University Press, 1999, p. 317.
132 Binder S. et Maltzman F., Advice & Dissent: The Struggle to Shape the Federal Judiciary, Washington, DC, Brookings Institution Press, 2009, p. 7-8 ; Epstein L. et Segal J., Advice and Consent: The Politics of Judicial Appointments, New York, Oxford University Press, 2005, p. 2.
133 Son père, Prescott Bush, représenta l’État au Sénat entre 1952 et 1963.
134 Le Président Nixon l’avait nommé ambassadeur à l’ONU. Le Président Ford en avait fait son directeur de la CIA.
135 « Read my lips : no new taxes. » Le texte et la vidéo du discours sont disponibles dans son intégralité sur le site du Miller Center de l’Université de Virginie, [http://millercenter.org/president/speeches/detail/5526], consulté le 25 février 2012.
136 « I want a kinder, gentler nation », ibid.
137 Fiorina M., Culture War? The Myth of a Polarized America, Boston, Longman, 2010, p. 20.
138 Mort S., « Talk-shows conservateurs : la contestation conservatrice sur les ondes » in Les conservateurs américains se mobilisent: l’autre culture contestataire, op. cit.
139 À titre d’exemple, il a l’habitude de décrire les féministes comme des « femi-nazis ». Au début du mois de mars 2012, il avait créé une nouvelle polémique en traitant Sarah Fluke de « prostituée ». Cette étudiante de la faculté de droit de l’université de Yale avait témoigné devant le Congrès sur la nécessité de la prise en charge des moyens de contraception par les polices d’assurance. Les insultes de Rush Limbaugh ont déclenché un mouvement de retrait de certains de ses sponsors qui l’ont amené à présenter des excuses à Mlle Fluke. Stelter B., « Limbaugh Advertisers Flee Show Amid Storm », The New York Times, 4 mars 2012, p. B1.
140 Edsall T., « America’s Sweetheart », The New York Review of Books, 6 octobre 1994.
141 Ils récoltent notamment 59,2 % des suffrages dans l’Alabama, 56,4 % dans l’Arkansas, 60,9 % en Floride, 59,8 % en Géorgie, 59,9 % dans le Mississippi, 58 % en Caroline du Nord, et 61,5 % en Caroline du Sud.
142 À l’exception des quatre années du mandat de Carter, c’est cette situation qui prévaut depuis l’élection de Nixon en 1968.
143 Thomas compare les accusations à son égard à un lynchage moderne (« high-tech lynching »). Patterson J., op. cit., p. 243.
144 Patterson J., op. cit., p. 246.
145 Civil Rights Act of 1991. Pub. L. 102-166. Cette loi révisait la grande loi de 1964 en réponse à des décisions de la Cour suprême qui limitaient fortement les protections prévues par la loi.
146 Americans with Disabilities Act. Pub. L. 101-336.
147 Gould L., op. cit., p. 452.
148 « Ce pays est en proie à une guerre de religion. C’est une guerre culturelle, aussi critique pour définir l’identité de notre nation que la guerre froide en son temps. C’est une guerre pour l’âme de l’Amérique. » La vidéo du discours et sa transcription sont disponibles à cette adresse [http://www.americanrhetoric.com/speeches/patrickbuchanan1992rnc.htm], consulté le 25 février 2012.
149 Ibid.
150 Selon le politologue Dean Burnham, une candidature indépendante des grands partis peut être considérée comme réussie si elle parvient à réunir au moins 5 % des suffrages au niveau national. Rapoport R. et Stone W., Three’s a Crowd: The Dynamic of Third Parties, Ross Perot, & Republican Resurgence, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2005, p. 4.
151 Deysine A., op. cit., p. 54.
152 John Jay Hooker, propriétaire du journal Nashville Tennesseean et Jack Gargan, un homme d’affaires de Floride, ancien candidat démocrate à la Chambre des représentants, incitent Ross Perot à se présenter. Rapoport R. et Stone W., op. cit., p. 53.
153 Chaque État fixe les conditions pour inscrire le nom d’un candidat sur les bulletins de vote. Il faut généralement réunir un nombre conséquent de signatures de citoyens de l’État qui doivent ensuite être authentifiées avant une date limite. Le coût organisationnel de cette procédure constitue la première des barrières qui rendent très difficile les candidatures indépendantes des deux principaux partis.
154 Larry King : « Pouvez-vous imaginer un scénario dans lequel vous vous dites : d’accord, je me lance ? » Ross Perot : « Premièrement, je ne veux pas être candidat. Ensuite, si vous, le peuple américain, souhaitez si sincèrement me voir candidat, alors faites inscrire mon nom sur les bulletins des cinquante États. Si vous n’êtes pas prêts à vous organiser pour faire ça, alors ce ne sont que des paroles en l’air. Je le dis à tous les Américains moyens, si vous êtes vraiment sincères alors je veux vous voir suer. » Un extrait vidéo de cet entretien est accessible à cette adresse [http://www.youtube.com/watch?v=PfMW3xYhitQ], consulté le 27 février 2012.
155 Rapoport R. et Stone W., op. cit., p. 55-56.
156 Kazin M, op. cit., p. 273.
157 Savage J., op. cit.
158 Alvarez R.M. et Nagler J., « Economics, Issues and the Perot Candidacy: Voter Choice in the 1992 Presidential Election », American Journal of Political Science, vol. 39/3, 1995, p. 714-744, p. 739.
159 Rapoport R. et Stone W., op. cit., p. 56.
160 Pour justifier sa décision, le Texan évoque des menaces sur sa famille mais aussi le fait que, nul doute grâce à lui, le Parti démocrate est désormais revitalisé. De ce fait, sa candidature risquerait de créer une crise politique en empêchant de faire émerger une majorité au sein du collège électoral. Une telle situation déboucherait sur une procédure d’élection du nouveau président par la Chambre des représentants. Le caractère hautement improbable d’un tel scénario au vu des sondages du moment et les explications torturées du candidat ont laissé ses partisans assez perplexes. Witcover J., op. cit., p. 661.
161 Rosenthal A., « Perot’s Withdrawal Leaves Major Parties With Ideological Fight », The New York Times, 17 juillet 1992.
162 Rapoport R. et Stone W., op. cit., p. 82.
163 Il réalise son meilleur score dans l’État du Maine avec 30,4 %.
164 Il atteint 23,8 % en Arizona, 27 % dans l’Idaho, 26,1 % dans le Montana, 26,2 % dans le Nevada ou encore 27,3 % dans l’Utah.
165 Black E. et Black M., op. cit., p. 150 ; Alvarez R.M. et Nagler J., op. cit., p. 739.
166 Clinton et Al Gore arrivent en tête dans leurs États respectifs de l’Arkansas et du Tennessee ainsi qu’en Louisiane et en Georgie.
167 Alvarez R.M. et Nagler J., op. cit., p. 721.
168 Dans le quartier général de campagne à Little Rock dans l’Arkansas, James Carville avait fait poser une affiche qui résumait les trois thèmes du candidat : « Le changement contre la poursuite du statu quo » ; « Ne pas oublier l’assurance-santé » et surtout cette formule lapidaire devenue depuis célèbre : « L’économie, crétin. » (« The economy, stupid »), Jules Witcover, op. cit., p. 663.
169 Connelly W. F. Jr. et Pitney J., Congress’ Permanent Minority?, Lanham, Rowman & Littlefield, 1994.
170 Zelizer J., On Capitol Hill: The Struggle to Reform Congress and its Consequences, 1948-2000, New York, Cambridge University Press, 2006, p. 242-243.
171 Les cinq sénateurs en question : le Républicain John McCain de l’Arizona, et les Démocrates John Glenn de l’Ohio, Dennis DeConcini de l’Arizona, Don Riegle du Michigan et surtout Alan Cranston de Californie. Durant la campagne de 2008, le camp Obama fait réapparaître cette affaire des « Keating Five » pour attaquer John McCain.
172 En fait de banque, la « House Bank » était une institution de dépôt mise à la disposition des membres de la Chambre pour leur convenance. Ils pouvaient y déposer leurs chèques de traitement de représentant. S’ils écrivaient un chèque sans provision la différence était prise en charge par un fond commun spécial sans frais de leur part. Julian E. Zelizer, op. cit., p. 243.
173 Notamment le « Gang des sept » parmi lesquels, John Boehner, représentant de l’Ohio et futur Speaker ainsi que Rick Santorum, représentant de Pennsylvanie, futur sénateur et candidat à l’élection présidentielle en 2012.
174 Woodward B., op. cit., p. 100.
175 Le dernier vote est de 56 sénateurs pour clore le débat, 44 contre. Tous les Républicains et Richard Shelby, le Démocrate conservateur de l’Alabama et futur transfuge républicain, ont voté contre. 103e Congrès, vote n° 105.
176 Loomis B. (éd.), The U.S. Senate: From Deliberation to Dysfunction, Washington, DC, CQ Press, 2012, p. 98.
177 La procédure budgétaire prévoit des limites sur le temps de débat au Sénat ce qui rend inopérante une éventuelle flibuste.
178 Les sénateurs démocrates en question : David Boren de l’Oklahoma, Richard Bryan du Nevada, Sam Nunn de Géorgie, et Richard Shelby de l’Alabama.
179 Woodward B., op. cit., p. 363. La Constitution (article 1, section 3, alinéa 4) fait du vice-président le président du Sénat et lui accorde le droit de voter pour décider le sort d’une mesure en cas d’égalité parfaite.
180 Weisberg H. et Patterson S., op. cit., p. 190.
181 Pub. L. 103-159.
182 Violent Crime Control and Law Enforcement Act of 1994. Pub. L. 103-322.
183 Witcover J., op. cit., p. 672.
184 Afin de lutter contre la criminalité, la loi contenait des crédits pour financer des activités de loisirs dans les quartiers en difficultés dont l’organisation de matchs de basketball la nuit. L’organe national du Parti républicain (Republican National Committee) finance alors des publicités qui dénoncent cette politique trop accommodante et trop coûteuse.
185 Il y a d’abord le « Nannygate » lorsque la candidature de Zoë Baird au poste d’Attorney General est retirée après la révélation du statut d’immigré clandestin de sa nounou. Puis l’éditorialiste conservateur William Safire commence à évoquer un « Travelgate » lorsque Clinton démet de ses fonctions l’ancien responsable des voyages présidentiels. Wilentz S., op. cit., p. 331-332. Après le suicide de Vincent Foster, proche collaborateur du président et de la première dame que les conservateurs avait accusé dans le cadre de l’affaire Whitewater on évoqua un « Fostergate », ibid., p. 341.
186 Une secte dirigée par David Koresh avait refusé de laisser pénétrer les agents fédéraux des fraudes (Bureau of Alcohol, Tobbaco and Firearms). Le FBI organise un siège de la propriété de la communauté. Après de longues semaines, le siège se termine lorsque les forces fédérales donnent l’assaut et déclenchent un incendie qui cause la mort de plus de soixante-dix membres de la secte, dont vingt-et-un enfants et le gourou Koresh. Wilentz S., op. cit., p. 330.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les Premiers Irlandais du Nouveau Monde
Une migration atlantique (1618-1705)
Élodie Peyrol-Kleiber
2016
Régimes nationaux d’altérité
États-nations et altérités autochtones en Amérique latine, 1810-1950
Paula López Caballero et Christophe Giudicelli (dir.)
2016
Des luttes indiennes au rêve américain
Migrations de jeunes zapatistes aux États-Unis
Alejandra Aquino Moreschi Joani Hocquenghem (trad.)
2014
Les États-Unis et Cuba au XIXe siècle
Esclavage, abolition et rivalités internationales
Rahma Jerad
2014
Entre jouissance et tabous
Les représentations des relations amoureuses et des sexualités dans les Amériques
Mariannick Guennec (dir.)
2015
Le 11 septembre chilien
Le coup d’État à l'épreuve du temps, 1973-2013
Jimena Paz Obregón Iturra et Jorge R. Muñoz (dir.)
2016
Des Indiens rebelles face à leurs juges
Espagnols et Araucans-Mapuches dans le Chili colonial, fin XVIIe siècle
Jimena Paz Obregón Iturra
2015
Capitales rêvées, capitales abandonnées
Considérations sur la mobilité des capitales dans les Amériques (XVIIe-XXe siècle)
Laurent Vidal (dir.)
2014
L’imprimé dans la construction de la vie politique
Brésil, Europe et Amériques (XVIIIe-XXe siècle)
Eleina de Freitas Dutra et Jean-Yves Mollier (dir.)
2016