Chapitre III. La « clé » de l’École documentaire de Santa Fe
p. 83-110
Texte intégral
1L’Institut de cinématographie de l’Université nationale du Littoral, mieux connue comme École documentaire de Santa Fe, fondée par Fernando Birri en 1956, apparaît à un moment où la société et le cinéma argentins abordent une nouvelle étape historique. La chute de Juan Domingo Perón, en 1955, entraîne une profonde rupture de la cohésion nationale, due à la proscription du péronisme, ainsi qu’à la recherche de nouveaux modèles de développement à même de le remplacer efficacement.
2Dans ce cadre d’instabilité politique, l’École documentaire de Santa Fe propose une nouvelle manière de comprendre le cinéma, caractérisée par son inscription dans une institution universitaire, sa conception du cinéma comme œuvre collective et son engagement explicite envers la réalité sociale argentine. Malgré sa condition périphérique par rapport à Buenos Aires et malgré la censure, l’Institut de cinématographie de l’Université nationale du Littoral réussit à introduire de profonds changements dans le champ cinématographique argentin, tant au niveau de la manière de faire du cinéma, qu’à celui des finalités ultimes attribuées à celui-ci. C’est pour cela que le travail de Birri au sein de l’école est fondamental pour comprendre l’émergence, dans la seconde moitié des années soixante, des collectifs de cinéastes révolutionnaires tels que Cine Liberación. Birri sera aussi l’un des premiers réalisateurs à revendiquer publiquement la nécessité de suivre un modèle de développement cinématographique commun aux divers pays d’Amérique latine.
3Dans ce chapitre, nous essaierons d’analyser le contenu de ses propositions et leur portée au cours des années soixante. Pour cela, nous allons analyser le processus d’institutionnalisation de l’enseignement du cinéma qu’il entreprit à Santa Fe, ainsi que sa mise en question de la figure d’« auteur cinématographique » et sa vision de la « mission sociale » du cinéma. Mais tout d’abord, il nous semble important de décrire brièvement le contexte dans lequel se trouvait le cinéma argentin lorsque Birri commença son travail à l’École documentaire de Santa Fe.
Le cinéma argentin pendant le « développementalisme »
4Le renversement et l’exil de Perón entraînèrent une réorganisation des forces qui rivalisaient pour imposer leurs programmes politiques et leurs idées de ce que devait être la nation argentine. Pendant les vingt années suivantes, le péronisme restera le mouvement politique avec le plus grand soutien populaire et avec une présence importante dans les syndicats, particulièrement dans la Confédération générale du travail (CGT) – qui sera mise sous contrôle pour cela. Il fut officiellement proscrit tant au niveau représentatif qu’à celui symbolique – interdiction de tout emblème du mouvement et de l’image de ses leaders. Le devenir politique du pays fut marqué par l’incapacité des forces démocratiques à rassembler en leur sein les masses péronistes, ainsi que par l’opposition de l’armée et des élites conservatrices, liées à l’Église, à tout acte pouvant être considéré come une concession envers le péronisme1.
5Les diverses grèves et occupations menées par le syndicalisme péroniste furent violemment réprimées par les régimes de facto et même par les gouvernements élus démocratiquement. Dans les faits, l’armée argentine, imprégnée par la doctrine de la « sécurité nationale », ne permit l’établissement de gouvernements démocratiques que lorsqu’elle considérait que le péronisme ne menaçait pas la stabilité du pays2. En 1958 le radical Arturo Frondizi fut élu président au cours d’élections desquelles le péronisme avait été exclu. Néanmoins, suite à un pacte avec les radicaux, le général Perón ordonna à ses sympathisants, depuis son exil à Madrid, de voter pour Frondizi3. Avec l’appui caché du péronisme, le nouveau gouvernement entreprit un programme « développementaliste » basé sur la substitution des importations, l’attraction des capitaux étrangers et l’industrialisation accélérée, avec une forte planification de l’État4.
6Le cinéma ne resta pas en marge du projet développementaliste, bien qu’aucune importance particulière ne lui fut accordée. Malgré tout, les nouvelles politiques permirent de remettre à flot – même si de manière précaire – l’industrie cinématographique qui, après le renversement de Perón, avait subi une forte baisse de sa production annuelle de longs-métrages, accompagnée d’une hausse des importations de films nord-américains et européens. Ainsi, alors qu’en 1956 seuls 12 longs-métrages avaient été tournés, en 1958 il y en eut 39. Cependant, cette hausse de production ne fit pas augmenter le nombre de spectateurs. Bien au contraire, l’apparition de la télévision entraîna une diminution de la fréquentation des salles de cinéma5.
7L’un des faits marquants de cette période est la création, en 1957, de l’Institut national de cinématographie et d’un Fonds de développement de la cinématographie. Ce dernier reçut 10 % du prix des entrées en salles de cinéma, destinés à financer des projets cinématographiques6. L’obligation de projeter des films argentins fut également établie ; cependant, dans la pratique, les mesures destinées à assurer ce point restèrent souvent sans effet7. L’institut et le fonds – du moins en théorie – essayèrent de favoriser un cinéma d’« intérêt culturel » par un système de crédits officiels et, surtout, par la remise de quinze prix (subventions ou primes) à des films déjà réalisés. Ces prix étaient attribués en fonction des « valeurs culturelles des films8 », ce qui, en pratique, en raison d’une conception restreinte du concept de « culture », finit par favoriser l’essor d’adaptations d’œuvres littéraires d’auteurs argentins, latino-américains et européens consacrés tels Borges, Cortázar, Roa Bastos et Jean-Paul Sartre.
8Le système de fonds, crédits et prix favorisa la prolifération de films réalisés en dehors du système des studios argentins. Ceci permit l’émergence d’une nouvelle génération de cinéastes indépendants, centralisée à Buenos Aires9. La plupart d’entre eux étaient liés à deux autres phénomènes en plein essor à ce moment-là : la création de ciné-clubs et de revues de cinéma spécialisées, deux espaces qui favorisaient l’analyse et le débat centrés sur les nouveaux cinémas européens et des transmutations nationales de la « politique des auteurs ». C’est pourquoi les nouveaux cinéastes qui commençaient à filmer grâce aux primes de l’Institut national de cinématographie ont eu parmi d’autres références la Nouvelle Vague et des cinéastes tels Resnais, Antonioni ou Bergman. Dans ce groupe hétérogène de cinéastes argentins on peut citer Rodolfo Kuhn, David José Kohon, Manuel Antín, Lautaro Murúa et Simón Feldman. Le réalisateur argentin le plus réputé de cette période tant en Argentine qu’à l’étranger fut Leopoldo Torre Nilsson. Issu du cinéma de studio et un peu plus âgé que les autres cinéastes mentionnés, il fut, néanmoins, un des principaux promoteurs de cette nouvelle génération10. Cet ensemble de cinéastes n’élabora jamais de manifeste ni n’adopta explicitement un positionnement commun dans le champ cinématographique ; de plus, ses choix esthétiques sont nettement hétérogènes. Malgré tout, la critique spécialisée les baptisa, de manière assez imprécise, le « nouveau cinéma argentin » ou la « Génération du soixante », nom par lequel les historiens du cinéma continuent à les identifier.
9Les cinéastes de cette nouvelle génération obtenaient habituellement les derniers prix de l’Institut – c’est-à-dire qu’ils recevaient des sommes d’argent moindres – ; les financements obtenus par ce système les aidèrent néanmoins à atteindre une certaine visibilité. Le gouvernement de Frondizi octroya également des fonds pour la production de courts-métrages indépendants, ce qui permit à quelques-uns des réalisateurs de la Génération du soixante de terminer leurs premières œuvres. Malgré cela, le gouvernement ne réussit pas à faire programmer la plupart d’entre eux dans le circuit commercial, principalement à cause du refus des exploitants de salles11.
10Bien que les crédits et prix de l’Institut national de cinématographie permirent l’apparition de réalisateurs qui conservèrent une position critique envers le « cinéma industriel », les principaux bénéficiaires de ce type de financements restèrent les films provenant du système des studios. Les grandes maisons de production nationales, particulièrement Argentina Sono Film et Aries, obtenaient généralement les premiers prix. Derrière le succès de leurs films semble se profiler la corruption : les revues spécialisées multipliaient les accusations d’achat de votes et, à plusieurs reprises, le système des prix fut sur le point de disparaître12.
11Un autre facteur qui influa de manière négative sur le développement du cinéma argentin du début des années soixante fut la censure. En 1957, la liberté d’expression au cinéma était devenue constitutionnelle, et il fut prohibé de couper ou d’interdire les films, au point que des peines de prison en cas d’infraction à la loi furent établies. Cependant, en 1960, 1961 et 1963, trois nouveaux décrets révoquèrent cela. Le pouvoir de la sous-commission de « qualification cinématographique » augmenta : son rôle s’étendit à la censure et à la coupure de scènes de films. Il faut signaler qu’à cette période le comité passa de neuf à dix-neuf représentants avec voix délibérative, sept des nouveaux membres appartenant à des institutions catholiques privées13. En 1963, trois représentants du ministère de la Défense et un du ministère de l’Intérieur vinrent s’ajouter à la sous-commission de qualification14. De plus, un certificat d’exploitation délivré par les autorités cinématographiques devint obligatoire pour tout film projeté dans le circuit commercial15. Dans les faits, cela impliqua la censure de films à forte charge érotique, des films péronistes ou abordant de manière trop critique les problèmes sociaux et politiques traversés par l’Argentine – c’est, par exemple, le cas de Los 40 cuartos de Juan Oliva, que nous analyserons plus loin.
12La mise en place de ces limitations à la liberté d’expression porta tant les réalisateurs que les producteurs à modérer les contenus de leurs films. Ces facteurs, ajoutés à la forte croissance du cinéma industriel, firent perdre de sa vigueur initiale à la Génération du soixante, déjà avant le coup d’État du général Onganía de 1966. De plus, contrairement à d’autres expériences latino-américaines contemporaines, comme les films de l’ICAIC ou ceux du Cinema Novo, les réalisateurs argentins de cette génération n’obtinrent pas de soutien ferme en Europe, à l’exception de Torre Nilsson. À un moment où la critique et les festivals européens vivaient une polarisation idéologique croissante, le manque de positionnement politique explicite de la Génération du soixante a été mal vu. D’après Paranaguá : « De manière simpliste, les cinéastes argentins furent considérés comme apolitiques, psychologisants, littéraires et introspectifs, suivant une ligne “européanisante” inadmissible au sud de l’Équateur, face aux défis imposés par l’accélération de l’Histoire16. » Cependant, il n’en reste pas moins que les films de la Génération du soixante sont fortement attachés aux références européennes à la mode, et ne sont pas aussi novateurs que ceux des réalisateurs cubains ou brésiliens de la même période. La question du succès à l’étranger n’est pas qu’une frivolité. Le prestige d’un réalisateur pouvait, parfois, lui octroyer une plus grande liberté de création : les gouvernements latino-américains étaient particulièrement sensibles à la notoriété de leurs artistes à l’étranger, car cela impliquait une plus grande présence internationale de leur pays.
13Ce « nouveau cinéma » contribua à moderniser les techniques de tournage et de montage en Argentine – en y introduisant la caméra à la main, le tournage en extérieur, le faux raccord, le regard caméra, etc. – et à renouveler les sujets, en mettant l’accent sur la jeunesse et en abordant les thématiques liées à la sexualité, à la place de la femme, aux carences psychologiques ou à la discrimination sociale. Néanmoins, il ne réussit pas à dépasser le système des studios comme principal modèle de production :
« L’industrie traditionnelle, écrit Claudio España, commença à fortement concurrencer les nouveaux, qui jamais ne se regroupèrent. Le vieux système des studios était déjà entré en crise vers 1950, mais ses méthodes, ses modèles narratifs et sa meilleure technologie restaient en vigueur. Le dénommé “nouveau cinéma argentin” et, plus tard, la “Génération du soixante” dut s’établir dans cette dialectique. La Génération du soixante ne tarda pas à perdre ses forces, de deux manières : la disparition de ses intégrants (pour les appeler ainsi) ou l’inscription volontaire dans l’industrie. Ainsi, les réalisateurs industriels réussirent à imiter, même si seulement du point de vue technique, [...] la conception innovante des jeunes17. »
14La création d’organismes officiels visant à développer le cinéma et à exercer un certain contrôle sur celui-ci montre un phénomène d’institutionnalisation du champ cinématographique argentin dans la seconde moitié des années cinquante et au début des années soixante. Ce processus se nourrit aussi de l’émergence d’autres institutions non officielles qui auront une forte ingérence dans le développement de ce champ, tels les ciné-clubs, la presse spécialisée et le Festival international de Mar del Plata. Cependant, il existe un autre processus d’institutionnalisation que nous voudrions souligner : la création des premières écoles universitaires de cinéma. La toute première d’entre elles (1956) dépendait du département des Beaux-Arts de l’université de la Plata. La deuxième, l’Institut de cinématographie de l’Université nationale du Littoral (Santa Fe), inaugurée quelques mois plus tard, était rattachée à l’Institut de sociologie de cette même université. Le travail entrepris par son créateur Fernando Birri et ses élèves s’inscrit en opposition aux modèles de production dominants dans le cinéma argentin du moment, tant ceux « indépendants » que ceux « industriels », et ce sera un des antécédents directs à partir desquels germera le projet du NCL.
La « clé » néoréaliste à Santa Fe
15Fernando Birri, tout comme les autres initiateurs du NCL, voulait que ses premières œuvres servent de rupture par rapport à la tradition cinématographique de son pays. Au milieu des années cinquante, il assuma une posture critique envers les pratiques professionnelles, les formes de production et les thématiques du cinéma argentin – seules se sauvaient quelques figures telles que Mario Soffici ou Hugo del Carril. Il détracta aussi les tentatives de rénovation des formes cinématographiques de la Génération du soixante, dont il n’hésita pas à taxer les films de copies de la Nouvelle Vague pour l’élite18. À ce propos, il faut souligner que le positionnement en rupture de Birri au milieu des années cinquante – lorsqu’il fonda l’Institut de cinématographie – ne s’accompagnait pas d’une œuvre filmographique. Il n’était pas encore inséré dans le milieu cinématographique argentin et il ne vivait dans son pays natal que depuis peu, après avoir passé six ans en Italie (1950-1955). Sa vision était donc celle d’un nouvel arrivant au champ cinématographique argentin, ce qui peut expliquer son radicalisme face à ceux qui détenaient des positions de pouvoir. Son positionnement critique paraît surtout sous-tendu par sa connaissance de l’industrie cinématographique italienne et par son passage par le Centre expérimental de cinématographie de Rome (1950-1953). Comme pour Tomás Gutiérrez Alea et Julio García-Espinosa, les études dans ce centre lui servirent de référence pour évaluer la situation de son pays.
16Le projet de Birri pour contribuer au développement du cinéma en Argentine se base sur le principe de l’institutionnalisation de l’enseignement de celui-ci. Cela suppose une rupture avec la tradition argentine. En effet, si jusque-là en Argentine les métiers de réalisateur et de technicien cinématographiques étaient réputés pour s’apprendre sur les plateaux, Birri commença à considérer qu’ils requéraient un apprentissage qui, certes, incluait le travail pratique, mais ne se limitait pas à celui-ci : ils demandaient aussi une réflexion et un débat théorique propres à l’université. Par ailleurs, l’élévation du cinéma au rang d’objet d’étude et de réflexion favorisa le débat théorique autour de ses caractéristiques spécifiques et autour de ses finalités sociales. Comme l’explique Mônica Araujo Lima : « Le groupe [l’École de Santa Fe] a proposé une méthode de formation intégrant la théorie et la pratique cinématographique et qui arrivait à surmonter aussi bien l’empirisme de l’industrie cinématographique que l’isolement du cinéma expérimental19. »
17Un autre aspect intéressant du projet entrepris par Birri est celui géographique. Bien qu’il ne s’agisse pas de la première tentative pour développer le cinéma dans les provinces argentines, c’est celle qui réussit à atteindre le plus d’indépendance par rapport à la capitale. Comme le note Héctor Kohen, les studios Film Andes de la ville de Mendoza réalisèrent quelques films dans la première moitié des années cinquante ; cependant, ils « reproduis[èrent], tant au niveau de la thématique qu’à celui de la production, le modèle de ceux de Buenos Aires20 ». Au contraire, le choix de Birri de créer une école de cinéma à Santa Fe doit s’entendre comme un déplacement géographique qui accentue sa rupture avec la métropole. Il s’agit d’ériger un nouveau lieu d’énonciation : Santa Fe s’établit comme un modèle alternatif par rapport au milieu de Buenos Aires, à partir duquel développer des stratégies de positionnement tendant à modifier les équilibres dans le champ cinématographique national.
18Selon Birri, le Centre expérimental de cinématographie de Rome n’a pas déterminé sa manière de concevoir le cinéma : « Mon cinéma et celui de certains de mes collègues latino-américains subit plus l’influence de l’ambiance qu’on respirait à Rome que de celle qu’il y avait dans les salles de cours21. » Cependant, le rôle central qu’il donna à l’institution éducative dans le cinéma a pour modèle le Centre expérimental. Birri met en pratique un programme d’études inspiré de la structure formelle des cours créée par Luigi Chiarini à Rome. De même il fait lire à ses élèves le livre Il film nei problemi dell’arte, de Chiarini22. L’auteur italien est l’une des principales références théoriques de Birri à cette période – comme il l’a été probablement pour les fondateurs de l’ICAIC. Il s’en souvient avec une affection particulière :
« [Le Centre expérimental] était une école qui naquit sous l’égide de grands théoriciens tels Luigi Chiarini, Humberto Barbaro ; il y eut aussi de prestigieux réalisateurs tels De Santis, Puchinni et de nombreux autres. Cela fut ensuite réabsorbé par le système ; quand j’arrivai j’eus la grande joie d’y trouver, comme directeur, Luigi Chiarini, le dernier grand théoricien23. »
19Par ailleurs, la vision de Chiarini du film comme « œuvre collaborative » où l’« artiste » n’est pas une « individualité physique » mais un groupe24 est semblable à celle de Birri qui, comme nous le verrons plus loin, concevait le cinéma comme un art collectif et s’opposait aux théories défendant l’existence d’un « auteur » cinématographique.
20Au cours de son premier séjour en Italie, Birri fut en contact avec le néoréalisme : il travailla en tant qu’assistant de Carlo Lizzani pour le film Dans les faubourgs de la ville (1953) et de Vittorio De Sica pour Le toit (1956)25. De même, il rencontra à plusieurs reprises Cesare Zavattini. Outre Chiarini, le scénariste italien est le principal référent de Birri, à l’époque. Selon Émilie Poirier, Birri invita Zavattini à l’école de Santa Fe en janvier 1961, lors du voyage en Argentine de ce dernier, en tant que président du jury du Festival international de Mar del Plata26. Quatre ans auparavant il lui avait adressé une lettre où il se déclarait héritier du néoréalisme :
« Je voudrais vous dire, vous faire comprendre à vous et à De Sica, à quel point vos films, vos mots et vos écrits, touchent en plein le cœur et la conscience des jeunes argentins. Je veux que vous sachiez clairement que chacune de vos paroles sont pour moi comme un fort héritage spirituel auquel, ici, je reste totalement fidèle jusqu’au bout, jusqu’à la fin27. »
21De même que dans les cas de Cuba, du Cinema Novo et du Nouveau Cinéma chilien, la proposition néoréaliste paraissait attrayante à Santa Fe, tant en raison des faibles moyens qu’elle nécessitait – du moins en principe – que par sa vision en rupture, innovante, centrée sur le populaire. Pour Birri, l’esthétique réaliste était la manière la plus efficace de satisfaire la mission sociale qu’il attribuait au cinéma28. Cependant, il affirmait que son but n’était pas de copier les codes néoréalistes, mais plutôt d’adopter, lui et ses étudiants de Santa Fe, ce que l’on pourrait appeler une « attitude néoréaliste » consistant à réinterpréter la référence italienne et à la transformer à partir des conditions de la réalité culturelle argentine29. Cette idée, exprimée en 1956, a été réitérée par Birri tout au long de sa carrière. Elle est clairement établie dans un texte de 1997 – un hommage à Zavattini – dans lequel, en constatant l’importance qu’eut le néoréalisme en Amérique latine pour les réalisateurs de sa génération, Birri affirmait que le néoréalisme n’était pas un « modèle », mais une « clé pour accéder à la réalité » : « Un “modèle” sert à être copié. Une “clé” sert à ouvrir. Le néoréalisme n’a jamais été un modèle, mais bien une clé, un outil pour comprendre, interpréter, nous ouvrir à une nouvelle réalité30. »
22Le néoréalisme est l’une des « clés » essentielles à la genèse du projet du NCL, cependant il faudrait accorder de l’importance à d’autres « clés » du projet sous-continental : la tradition cinématographique autochtone, le mélodrame latino-américain – avec ses versants littéraire et cinématographique –, le cinéma de Buñuel – inspiration manifeste de cinéastes tels Glauber Rocha, Tomás Gutiérrez Alea et Julio García-Espinosa, entre autres –, la Nouvelle Vague et les nouveaux cinémas européens, ainsi que, bien entendu, les avant-gardes historiques et le cinéma soviétique des années vingt. Par exemple, bien que Santiago Álvarez est l’un des cinéastes les plus représentatifs du NCL, son œuvre est très éloignée du néoréalisme.
23Il convient de garder à l’esprit que, le temps passant, Birri introduira dans son cinéma des éléments de sa fantaisie personnelle, de l’imaginaire collectif et du réalisme magique (par exemple dans le film Un señor muy viejo con unas alas enormes, 1988 – adapté de la nouvelle homonyme de García Márquez : Un monsieur très vieux avec des ailes immenses). Le cinéaste élargit ainsi son concept du réel, qui ne se limite alors plus, selon lui, au matériel ou au tangible, mais inclut l’imagination et même le délire en tant qu’élément constitutif de la réalité. C’est pour cela que Birri propose de faire la distinction « entre un réalisme mal compris, souvent interprété comme du naturalisme, et un délire qui fait aussi partie de la réalité, ou le délire qui est aussi la réalité31 ».
24Il est possible de trouver des points communs entre la tentative de Birri de rénover le champ cinématographique argentin et ce qu’entreprendrait l’ICAIC. Le néoréalisme comme premier modèle d’inspiration est le trait extérieur le plus apparent, mais il n’est pas le seul. Dans les deux cas, il y a une relecture négative du passé immédiat et une volonté de changer non seulement les thématiques dominantes, mais aussi les formes de production cinématographique. De plus, tant Birri que les cinéastes cubains entreprennent la rénovation du cinéma à partir d’une institution créée expressément pour cela. Cependant, les divergences entre les deux expériences sont aussi évidentes : Birri ne compte pas sur le soutien d’un régime révolutionnaire – au contraire, il s’oppose au régime en place – son travail se limite à la production et à la réalisation et il ne s’aventure quasiment pas dans la distribution et l’exploitation. De plus, il est loin d’exercer un rôle hégémonique sur l’horizon cinématographique argentin. Ajoutons à cela que l’expérience de l’École documentaire est mieux délimitée en termes chronologiques (elle se développe entre 1956 et 1976). Elle est aussi plus restreinte en termes géographiques – elle se concentre dans une région du pays et a des répercussions dans d’autres – que celle de l’ICAIC. Enfin, Birri n’est pas aussi strictement attaché à un mouvement politique ou à un régime que les cinéastes cubains, même si, d’un point de vue idéologique, il est révolutionnaire. En ce sens, l’École de Santa Fe ne prétendit pas, à partir du cinéma, promouvoir l’action concrète et la pensée théorique d’un mouvement politique donné ; elle visa plutôt une prise de conscience des problèmes sociaux traversés par l’Argentine. Comme nous le verrons dans la partie suivante, ce sera aussi l’une des principales différences entre l’école dirigée par Birri et d’autres groupes argentins qui reprendront l’expérience de Santa Fe, tout particulièrement les groupes Cine Liberación et Cine de la Base.
Les premières œuvres de l’École documentaire de Santa Fe : dépassement du concept d’auteur et prise de conscience du spectateur
25L’appartenance de l’École de Santa Fe à la faculté de sociologie de l’Université nationale du Littoral est en accord avec une conception du cinéma en tant que moyen de connaissance de la communauté. Birri, en effet, soulignait le rôle du cinéma comme outil de connaissance de la réalité ou de rapprochement à celle-ci en utilisant le concept d’« enquête sociale » pour parler de certains de ses films, comme Tire dié (1956-1958, 1960). Cependant, il convient d’ajouter qu’il ne s’opposait pas au cinéma industriel lui-même : il souhaitait, à long terme, le développement d’une industrie du cinéma à Santa Fe. Comme l’explique Cohen, pour Birri, « sans une production à grande échelle et sans un système de distribution bien huilé – préoccupation partagée avec Glauber Rocha, son imão solar – la transformation de la passivité du grand public en attitude critique n’est qu’illusion32 ».
26Le travail entrepris par Birri et ses étudiants à partir de 1956 eut à affronter le manque de moyens économiques. L’institut ne disposait ni de salles spécialisées ni de matériel ; malgré cela, environ cent trente étudiants participèrent au premier séminaire proposé par Birri. Le manque de moyens et le nombre élevé de personnes intéressées par les ateliers de l’institut obligèrent son créateur à inventer des solutions pour l’enseignement du cinéma. La première d’entre elles fut ce que Birri nomma les fotodocumentales (les « photo-documentaires ») et qui consistait en la prise de photographies relatives aux aspects quotidiens de Santa Fe, accompagnés d’une petite enquête sur le sujet photographié incluant des notes et une esquisse de scénario33. Ce type d’exercice cherchait à capter la valeur testimoniale de l’image (fixe, dans ce cas) et à entraîner et sensibiliser le regard des étudiants. L’idée des fotodocumentales est inspirée par les reportages photographiques Un paese de Paul Strand avec des textes de Zavattini (1955) et I bambini di Napoli avec les photographies de Chiara Samugheo et les textes de Domenico Rea (1955). Birri projeta les deux œuvres à ses étudiants pendant la première session pratique de son cours34.
27Les fotodocumentales furent conçus comme une œuvre collective, l’auteur étant le groupe d’étudiants. Par ailleurs, déjà dans les premiers exercices, réalisés en 1956, se remarque une forte préoccupation sociale qui anticipe les réflexions théoriques de Birri sur la « mission » sociale du cinéma. Dans le carnet édité contenant les premiers fotodocumentales, Birri justifia la prédominance des représentations des groupes défavorisés de Santa Fe par l’« immédiateté » de ces problématiques ; ce qui souligne non seulement leur proximité, mais aussi un certain sentiment d’« urgence » dans l’action des étudiants de l’école :
« Certains se demanderont, nous demanderont pourquoi nous n’avons pas filmé, par exemple, le couvent de San Francisco au sud de la ville ou les jacarandas au nord, qui sont aussi Santa Fe [...]. Nous n’ignorons pas qu’à côté de ceux que nous présentons, à côté des gamins qui mendient au passage du train, à côté de l’entassement dans les logements, du manque de lumière et d’hygiène, de l’insuffisance de l’eau dans les bidonvilles, de la détresse de la vieillesse, de la détresse de l’enfance, des difficultés quotidiennes dans la lutte pour la vie – la vie ? – de nos hommes et femmes, il existe de nombreux autres sujets – plus agréables ou pittoresques – que, nous rappelleront-ils, nous aurions aussi pu aborder, car ils sont aussi Santa Fe. Nous ne pouvons que leur répondre la même chose : que ceux que nous présentons ici, c’est aussi Santa Fe35. »
28Nous pouvons voir, dans l’extrait ci-dessus, que Birri établit une dichotomie stricte entre les éléments touristiques de Santa Fe et les classes défavorisées qui n’apparaissent pas dans les autoreprésentations de la ville. L’esprit de provocation du texte est augmenté par le langage légèrement ironique utilisé et qui veut montrer que la misère sociale fait partie intégrante de la réalité urbaine. De même, l’école annonce explicitement qu’elle privilégiera, dans ses travaux, le traitement de cette partie de la réalité. Le texte acquiert une valeur programmatique renforcée par le lieu où il apparaît : le carnet de fotodocumentales est la première création que l’école rend publique. Cet acharnement à provoquer et, en même temps, à établir une sorte de feuille de route rapproche cet écrit des manifestes qui accompagneront les présentations des principaux films réalisés par l’école et par Birri36.
29Parmi les premiers fotodocumentales se trouve celui qui sera à l’origine du premier film réalisé par l’école : Tire dié. Le film décrit les conditions de vie difficiles des bidonvilles sur les bords du Salado, à Santa Fe. Plusieurs de ses habitants y sont interviewés : mères, pères, vieux, artisans, vendeuses de légumes, enfants, etc. Une attention particulière est portée sur les enfants du bidonville qui vont au « tire dié » (« jetez dix centimes »), une pratique dangereuse qui consiste à courir sur les bords d’un pont ferroviaire de six mètres de haut, en demandant des pièces aux passagers des trains qui traversent le viaduc à faible vitesse. Comme l’explique Birri, l’objectif du film était d’aborder : « Comme effet de causes sociales le problème des gamins qui demandent des pièces sur le pont, en avertissant que, si ces causes ne sont pas éliminées, d’autres gamins tomberont dans cela37. »
30Les conditions de réalisation de Tire dié sont atypiques dans le cinéma argentin : il s’agit du premier film produit par une université du pays et il fut réalisé par cent vingt étudiants n’ayant jamais, auparavant, participé à un projet de cinéma et qui furent dirigés par Birri. Son élaboration dura environ deux ans (1956-1958). La première version du film, réalisée en 16 mm et d’une durée d’environ une heure, fut modifiée par Birri et ses étudiants en 1960 : elle fut réduite à un peu plus d’une demi-heure et agrandie à 35 mm. Au son original défectueux fut superposée la voix d’acteurs professionnels doublant les personnes interviewées, et le montage du son fut refait dans les studios d’Argentina Sono Films. Les changements furent en grande partie adoptés suite à des enquêtes, réalisées lors de certaines des projections du film, qui cherchaient à définir les aspects considérés améliorables par le public38. La technique des enquêtes ne fut donc pas uniquement utilisée dans la construction du film, mais aussi lors de sa réception, ce qui, à son tour, amena à une nouvelle construction. Cette logique dialectique servit pour stimuler le rôle actif du spectateur prôné par Birri.
31Dans le générique de début de Tire dié apparaît la liste des étudiants qui participèrent à sa réalisation, précédée par le texte suivant : « L’œuvre originale en 16 mm qui servit de base pour cette nouvelle version en 35 mm fut réalisée par les étudiants... » Après une longue énumération de noms, vient : « Dirigés par FERNANDO BIRRI, Directeur de l’Institut de cinématographie. » Le terme « directeur » qui, en espagnol, renvoie aussi bien à un « directeur » qu’à un « réalisateur » est ici employé deux fois, avec ces deux significations différentes. D’une part, il désigne Birri comme « directeur » des étudiants qui réalisèrent le film, ce qui suggère qu’il est aussi le réalisateur du film ; d’autre part, il le désigne comme directeur de l’école, mettant ainsi en exergue son rôle d’enseignant. En tenant compte du fait que Tire dié est pour Birri un film-école, il faudrait peut-être considérer que son rôle dans le film fut à la jonction de ces deux fonctions : la figure de « réalisateur » et celle de directeur d’école s’unissent. Cette juxtaposition des deux rôles est en accord avec la conception du cinéma comme entreprise collective défendue par Birri tout au long de sa carrière de réalisateur et d’enseignant, ce qui implique une différence marquée par rapport à la « politique des auteurs » soutenue par d’autres cinéastes latino-américains de cette époque, tel Glauber Rocha, comme nous le verrons au chapitre suivant.
32La conception du cinéma comme art collectif est semblable à celle d’autres cinéastes latino-américains qui travaillèrent avec des groupes stables de collaborateurs – c’est le cas, par exemple, des groupes Cine Liberación et Cine de la Base en Argentine ou le groupe Ukamau en Bolivie. Le cinéma considéré comme œuvre collective cohabite, dans le projet du NCL, avec des visions plus attachées à la « politique des auteurs », ce qui montre la diversité tant des propositions latino-américaines que des stratégies productives mises en œuvre pour développer un cinéma « de libération ».
33Dans le cas de Tire dié, les étudiants furent divisés en petites équipes chargées de réaliser l’enquête de terrain : il s’agit d’une première approche des personnes vivant dans les bidonvilles du Salado. Par la suite, chacune des équipes, accompagnée de deux photographes et des preneurs de son, réalisa des entretiens avec les divers personnages choisis pour le film. Ces deux phases demandèrent une année de travail. Si le rôle joué par Birri alliait celui de réalisateur à celui de directeur d’école, celui des étudiants conjugua l’apprentissage académique avec la créativité artistique ; c’est pourquoi Birri les définit comme « étudiants-auteurs39 ».
34La structure de Tire dié tend à montrer le problème de la mendicité infantile, à expliquer que ce sont les conditions de vie précaires dans le bidonville du Salado qui poussent les enfants à mendier et à « alerter » le spectateur de la persistance du problème. Le film commence par des vues aériennes de Santa Fe, un narrateur énumérant quelques-unes des caractéristiques de la ville. Le registre ne s’éloigne pas des documentaires institutionnels, centrés sur la promotion de villes ou régions par l’exaltation de leurs richesses naturelles ou patrimoniales et l’énumération de données sur leur développement économique : « Important centre agricole d’élevage, avec un port de 3 200 mètres en pierre ayant une capacité d’accueil de quarante navires de haute mer... » Cependant, le discours du narrateur prend rapidement un autre ton ; celui-ci commence à mélanger ces données « sérieuses » avec d’autres complètement superflues, montrant ainsi le caractère parodique de cette introduction40 : « Trois millions de pains mangés par mois, 32 800 000 verres de bière bus par an. »
35Au moment où le narrateur commence l’énumération ci-dessus, la vue aérienne de la ville s’amplifie. Vient alors un autre plan d’ensemble qui embrasse un espace plus large, la distance par rapport à la ville est plus élevée et les bâtiments semblent plus petits. La caméra renforce, visuellement, l’effet de distanciation mis en place par la longue énumération du narrateur – le prologue dure presque quatre minutes – ; la futilité et l’abondance des données empêche l’accès immédiat à la ville et l’utilisation excessive des statistiques finit par confondre et rend le résultat banal.
36C’est tout le contraire qui arrive quand passent les vues aériennes des bidonvilles du Salado. Le plan est moins large, les baraques sont un peu plus proches, comme si l’avion d’où est prise la vue était sur le point d’atterrir. Le narrateur souligne que nous verrons ce dont les statistiques officielles, trop occupées à dépeindre le progrès, ne se préoccupent pas : « Il y a beaucoup – combien ? – de cahutes dans lesquelles vivent des centaines de familles de Santa Fe. » L’imprécision et même l’absence de données statistiques s’accompagnent du rapprochement du problème qui va être abordé et qui inclut, depuis le début, un positionnement discursif explicite cherchant à générer la prise de conscience du spectateur. La logique du prologue est semblable à celle du texte sur les fotodocumentales : la marginalité sociale est une réalité crue, trop longtemps ignorée par le discours officiel et c’est pour cela qu’elle doit être mise en avant.
37L’explication de ce que Birri nomme les « causes sociales » conduisant au phénomène de la mendicité sur le pont est surtout donnée au travers des interviews avec les habitants du bidonville. Une fois de plus, dans cette première « enquête sociale filmée » – titre sous lequel est présenté Tire dié – l’approche quantitative est abandonnée au profit des témoignages directs des personnages choisis pour le film. Ceux-ci parlent de leurs difficultés à trouver du travail, des salaires de misère qu’ils reçoivent et ils se plaignent de la hausse des prix des biens. Ils parlent aussi des maladies dont ils souffrent, du manque d’hygiène dans le bidonville, des crues du fleuve qui transforment le terrain en bourbier, de la surpopulation, et l’accent est porté sur l’absentéisme et l’abandon scolaires. Le film juxtapose les interviews filmées – les personnes interviewées regardant souvent l’objectif de manière frontale – et d’autres images où elles apparaissent dans leurs activités quotidiennes, pendant que leur témoignage continue en voix off (et, rappelons-le, doublé par un acteur).
38Comme l’a bien montré Émilie Poirier, ces séquences ne sont pas sans rappeler Un paese où les photographies de Paul Strand étaient accompagnées des récits autobiographiques des habitants du village de Luzzara sur leur difficile quotidien :
« Tire dié entretient en effet des rapports intertextuels transparents avec le Paese zavattinien, du moins dans un premier volet, puisqu’il adopte également la forme d’une succession de témoignages d’hommes et de femmes cohabitant dans un même espace géographique [...]. Fernando Birri respecte également l’esthétique des photographies de Paul Strand et filme en conséquence ses protagonistes en plans fixes, regard caméra, souvent devant leurs humbles domiciles, au cœur d’un bidonville de Santa Fe41. »
39Le point culminant de l’attention et de la tension dramatique se trouve dans la séquence qui montre la course des enfants sur le pont, et qui occupe quasiment tout le dernier tiers du film. Celle-ci commence par un plan large de deux enfants qui courent vers le pont et grimpent sur une tour du chemin de fer pour attendre le train. Vient ensuite un gros plan de chacun des enfants regardant l’horizon depuis là-haut, puis la course des enfants près des wagons, accompagnée de leurs cris « Tire dié, oiga ». La scène se reconstruit en alternant différents points de vue : depuis l’intérieur du train, depuis ses fenêtres, en plongée, et depuis le pont, ce qui accélère le rythme du film et accentue la distance entre ceux qui font l’aumône et ceux qui la reçoivent. Les panoramiques et les travellings sont fréquents – le train étant utilisé pour cela. L’élément principal de la séquence est le visage des filles et garçons qui mendient, mais y sont aussi insérées des images de passagers, comme celle d’une fillette se penchant par la fenêtre du train et faisant une bulle de chewing-gum, ou celle de femmes et hommes à l’intérieur des wagons.
Illustration 6. – Tire dié (1960).
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41Cette divergence peut se retrouver dans le témoignage du garde-voie, qui parle des risques de ce type de mendicité. Il y a aussi quelques commentaires en voix off des passagers qui s’apitoient sur les enfants ou les critiquent. La séquence se termine avec d’autres images d’enfants qui courent, filmés en plongée depuis le train, puis une fenêtre se ferme et le train s’éloigne définitivement. Pour finir, viennent s’ajouter quelques images des disputes entre les enfants pour les pièces, des conversations sur ce qu’ils ont gagné et de quelques témoignages sur ce qu’ils feront de l’argent : certains vont acheter à manger ou le donneront à leurs parents, d’autres le joueront entre eux.
Illustration 7. – Tire dié (1960).
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Illustration 8. – Tire dié (1960).
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Illustration 9. – Tire dié (1960).
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45L’avertissement sur les risques du maintien de cette coutume, que Birri établit comme l’un des objectifs de Tire dié, est donné dans la dernière scène lorsqu’une mère dit, se référant à son enfant d’environ trois ans : « Celui-là est encore trop petit pour aller au tire dié. » Le film termine par un zoom avant sur le visage sale de l’enfant jusqu’à le cadrer en gros plan, ses grands yeux sombres interrogeant et interpellant le spectateur, comme si de lui dépendait la réalisation de la prédiction de sa mère. Comme l’ont montré Aimaretti, Bordigoni et Campo, la durée du plan, de 29 secondes – le maximum permis par la caméra Bolex à ressort contribue à intensifier la critique sociale du film42.
46Tire dié a le mérite d’avoir approfondi les thématiques sociales à un moment où la majeure partie de l’industrie cinématographique argentine s’orientait vers le cinéma de genre – particulièrement la comédie et le mélodrame. Dans ce sens, il joue un rôle déterminant dans le « combat » pour ouvrir de nouveaux espaces dans les représentations de l’identité argentine. Il s’avère être un antécédent particulièrement important pour le cinéma militant du pays de la seconde moitié des années soixante. Tire dié est, selon Héctor Kohen, le premier film argentin qui « modifie radicalement le répertoire réduit de types, personnages et comportements avec lesquels le cinéma classique reproduisit, construisit et multiplia une proposition d’identité nationale43 ».
47L’expérience de Tire dié s’avéra très importante pour l’autre grand projet cinématographique rattaché à l’institut : Les inondés (1961). Les deux films sont étroitement liés, ils ont en commun certaines localisations – le bidonville, les voies du chemin de fer –, leur thématique est similaire – la pénurie et l’oubli dans lesquels vivent les habitants du bord du Salado – et tous deux utilisent le train comme métaphore de la mobilité sociale. Ainsi, les personnages des Inondés furent construits en prenant pour modèle certaines des personnes interviewées par l’équipe de Tire dié 44.
48Bien que le concept de film-école de Tire dié a été gardé, les conditions de réalisation de ce long-métrage diffèrent en grande mesure de celles du premier film. En effet, pour avoir accès aux financements publics, Birri dut accepter certaines conditions du syndicat de l’Industrie cinématographique argentine, telles qu’engager des techniciens professionnels. Néanmoins, le film étant envisagé comme un exercice pédagogique, le réalisateur fit en sorte que chaque technicien soit accompagné de deux étudiants, ce qui impliqua que soixante-quinze personnes travaillèrent à la production, sans compter les acteurs45. Ainsi, une grande partie des responsables de l’équipe exerçaient aussi des fonctions académiques dans l’école : le directeur de la photographie, Adelqui Camusso (coordinateur enseignant du centre), le producteur exécutif, Edgardo Pallero (chef de l’atelier expérimental) et l’assistant-réalisateur, Juan Oliva (chargé du département de grammaire)46.
49Contrairement à Tire dié, et bien qu’intégré dans le programme de l’Institut de cinématographie, Les inondés ne fut pas produit par l’Université nationale du Littoral. Birri créa sa propre maison de production pour mener le projet. Les financements provinrent principalement d’un petit crédit de l’Institut national de cinématographie, mais aussi de la vente de « bons » d’un peso dans les boutiques, magasins et hôpitaux de Santa Fe. L’insuffisance des moyens et la grande taille de l’équipe entraînèrent d’importants problèmes de logistique qui firent que le tournage dura trois mois et qu’il fut difficile de terminer le film47.
50Le nom de la maison de production de Birri est intéressant : il s’agit de Producciones América Nuestra, également connue sous son acronyme PAN (pain), dans lequel on peut voir un indice de la préoccupation latino-américaniste qui caractérisera les suivants écrits théoriques de Birri48. Il serait néanmoins tendancieux d’y voir les prémices d’un projet cinématographique commun : Les inondés, de même que les autres films produits à la fin des années cinquante et au début des années soixante à Santa Fe, mettent en relief des thématiques éminemment régionales et nationales. En ce sens, le nom de la maison de production ne doit pas nous tromper : les problématiques latino-américaines sont encore loin d’être abordées dans l’œuvre théorique de Birri, bien qu’il soit possible de trouver des points communs entre l’Argentine et les autres pays d’Amérique latine, tant au niveau du cinéma qu’à celui des défis sociaux. Par ailleurs, Birri semblait particulièrement intéressé par d’autres significations que pouvait prendre l’acronyme PAN (pain) :
« En principe, le sigle PAN signifiait Producciones América Nuestra. Ensuite, PAN est l’abréviation de “panoramique”, un type de prise de vue cinématographique, mais elle se réfère aussi au pain [« pan » en espagnol] qui se mange, c’est-à-dire, au cinéma considéré comme du pain. J’ai dit, une fois, que notre génération voulait faire du cinéma qui serait comme un peu de pain ; nous voulions alimenter les spectateurs de pain et d’eau, deux éléments très primaires mais très sains et, par ailleurs, très économiques49. »
51Cette dernière définition synthétise bien les propos de l’École de Santa Fe : un cinéma bon marché et simple, proche des classes populaires et qui sert « d’aliment » pour la conscience du spectateur.
52Le sujet choisi pour Les inondés est basé sur le récit homonyme tiré du livre Santa Fe, mi país de Mateo Booz. Avant de fonder l’École documentaire de Santa Fe, lorsqu’il vivait à Rome, Birri voulait déjà porter à l’écran le récit de Booz ; la réalisation du projet ne fut néanmoins possible qu’après la constitution de l’institut. Les inondés raconte, de manière satirique, l’histoire d’une famille d’un bidonville près du Salado – tout comme les personnages de Tire dié. Le terrain a été inondé suite à une crue du fleuve. Les voisins du bidonville déménagent dans un terrain en friche, au centre-ville, près des rails du train. Les membres de la famille s’approprient un wagon d’un train de marchandises, où ils s’installent avec leurs biens, en attendant le secours des autorités. L’histoire a lieu en pleine campagne électorale et les candidats ont promis aux sinistrés une solution rapide, mais ils ne tiennent pas parole. Un jour, contre toute attente, les habitants sont tous expulsés par la police sauf la famille qui résiste dans le wagon. Le lendemain le train se met en route et la famille, à l’intérieur du wagon, entreprend un long voyage à travers la région jusqu’à revenir, finalement, à son point de départ : le bidonville inondé.
53On peut constater des rapports entre la première moitié du film et Miracle à Milan (1951) de Vittorio De Sica avec un scénario de Zavattini : l’arrivée au campement des clochards, la proximité du train, les mensonges des puissants, l’expulsion, l’accent mis sur la collectivité, la nulle idéologisation des sans-abri. Il y a même des citations : les bûchers que les gamins allument, à la fin de la séquence de la fête au bidonville, rappellent les bûchers dans le bidonville milanais, lors de la découverte du pétrole. Dans une autre scène le père de la famille Gaitán lance, sans le vouloir, un seau d’eau sur des inconnus comme l’avait fait le personnage d’Edvige sur Totò dans le film de De Sica.
54Cependant, à la différence du film italien, où la plupart des actions ont lieu à l’intérieur du bidonville qui devient une petite communauté fermée et irréductible, dans le cas argentin il y a un constant passage entre le dedans et le dehors. Des allers-retours conflictuels entre le bidonville et la ville « moderne » pour laquelle il est un outrage, un attentat visuel, l’évidence incommode de son sous-développement. Le voyage inattendu de la famille sert à élargir à l’échelle régionale cette relation conflictuelle entre les « inondés » et le reste de la société. C’est le problème de la visibilité qui se pose : pour les autorités, la population du bidonville du Salado devient seulement visible quand elle s’installe au centre-ville ; pour les cheminots le wagon des « inondés » n’existe pas officiellement, pourtant il est là. Tout comme les fotodocumentales et Tire dié, la morale du film consiste à rendre visible l’invisible. Montrer ce qui reste caché. Ces sujets « que nous présentons ici, c’est aussi Santa Fe ».
55On s’aperçoit que Birri a choisi comme référence le film dans lequel De Sica et Zavattini s’éloignent le plus du néoréalisme. Miracle à Milan est une fable où il y a recours au fantastique. Même si le voyage des « inondés » dans le wagon est un récit allégorique qui n’a rien de réaliste, le film ne s’aventure pas dans le domaine du merveilleux. Birri s’éloigne du modèle néoréaliste par d’autres moyens. Une des caractéristiques du film, qui contribue à le différencier du néoréalisme, est son aspect éminemment satyrique. En ce sens, certains traits typiques de l’idiosyncrasie des provinces de l’intérieur sont adoptés, ainsi que l’humour populaire et, surtout, la « picardía » (« malice ») argentine – proche, selon Birri, de la tradition picaresque espagnole du Siècle d’or50 – et les personnages joyeux, ironiques, vaguement rusés et filous, qui essaient toujours de tirer profit des diverses situations. Le film se sert de ces outils pour représenter de façon burlesque le populisme des partis politiques argentins – leurs slogans clamés par les haut-parleurs s’entrecroisent dans les rues, se réduisant à d’inutiles bruits, leurs promesses ne sont pas tenues, leur probité est douteuse ; mais la « malice » des sinistrés est montrée aussi, malice qui parfois les porte à essayer de tirer profit de leur situation pour recevoir un quelconque bénéfice. Cependant, Birri différencie clairement dans le film la gravité « morale » des tromperies des autorités et les coups des sinistrés, nécessaires à la survie.
56En 1962, la même année de la sortie des Inondés à Buenos Aires, l’École documentaire de Santa Fe produisit le moyen-métrage Los 40 cuartos de Juan Oliva. Plus proche du premier film de l’école que Les inondés, le film décrivait les conditions de vie difficiles des locataires d’un conventillo – une cour entourée de chambres à louer – à Santa Fe, en utilisant la méthode de l’« enquête sociale ». Comme Tire dié, le film est construit à partir d’une série de témoignages des locataires : des retraités, un immigré espagnol, une prostituée, etc. Ils sont soulignés des problèmes associés à la précarité du conventillo. Le film dénonce les conditions d’hygiène, la vétusté de l’immeuble, l’insécurité des installations, l’alcoolisme de certains locataires et la violence de genre. L’un des membres de l’équipe lit à l’un des voisins un passage de la Déclaration des droits de l’enfant (proclamée par l’ONU en 1959, deux ans avant le tournage du film), en voix off, tandis que dans l’image on voit les enfants du conventillo mal habillés et nourris, claire référence au manquement à l’obligation de protéger l’enfant de la part des autorités.
57La plupart des séquences de Los 40 cuartos ont été jouées. Ainsi, par exemple, les files devant les trois toilettes du conventillo et les bagarres des voisins sont des mises en scène. Bien qu’elles aient été conçues à partir d’entretiens réalisés au préalable, une bonne partie des interviews des voisins sont des reconstructions. Il est intéressant de souligner que souvent les personnages restent hors-champ lorsqu’ils parlent ou bien ils sont filmés en plan d’ensemble d’un façon telle qu’on n’arrive pas à voir leurs bouches – probablement une manière de contourner la précarité de la prise de son.
58Une petite histoire se détache du reste : un jeune couple cherche un logement économique, sans y parvenir, et arrive chez les parents du jeune homme, dans le conventillo. À travers le couple la narration amène le public du monde extérieur à l’intérieur de la cour. Mais, pour le couple, faire le chemin inverse – quitter le conventillo – s’avère presque impossible. Sa quête de logement devient une longue errance dans les rues et les espaces publics de Santa Fe. Tout comme dans les cas de Tire dié et Les inondés, et à l’image du néoréalisme, le mouvement des personnages – la course des gamins, le voyage en train des « inondés », l’errance du couple – est une métaphore d’un élan ou d’un désir de s’en sortir qui n’amène à rien. Ils finissent par être repoussés aux marges de la ville.
Problèmes de distribution et censure
59Le projet de développer à Santa Fe une industrie de cinéma « nationale, réaliste, critique et populaire » s’accompagne du désir d’atteindre un public à la fois de masse et actif. Cependant, selon Birri, la tâche était difficile, car dans la concurrence au sein des circuits commerciaux, les films argentins n’étaient pas en position d’égalité face aux productions hollywoodiennes :
« Exploitants et distributeurs, pour faire obstacle de façon permanente à l’exploitation de ces films nationaux, se basent sur l’idée que le spectateur a le droit de choisir les films qu’il préfère, même si ce sophisme “libre-échangiste” omet un petit détail : que, pour qu’un public puisse choisir ou rejeter un film, celui-ci doit commencer par être projeté dans un cinéma, ce qui, pour les films nationaux, ne se passe généralement pas ou se passe dans de très mauvaises conditions51. »
60Tire dié subit les problèmes de distribution et d’exploitation propres aux courts-métrages dans l’Argentine des années soixante, telle l’absence de salles disposées à les projeter, alors même que la loi le rendait obligatoire. Face à cela, Birri privilégia les canaux de distribution indépendants (écoles, ciné-clubs, syndicats, etc.). Malgré tout, la présentation de Tire dié dans l’amphithéâtre de l’Université nationale du Littoral, en octobre 1958, en entrée libre, réussit à attirer plus de quatre mille personnes – parmi lesquelles une grande partie ne put pas entrer – et, à la demande des spectateurs, le film fut projeté trois fois52. Il est probable qu’une telle affluence ait été due à la curiosité et à l’orgueil qu’a pu susciter chez les habitants de Santa Fe le premier film réalisé par l’université locale.
61Dans le cas des Inondés, par contre, les circuits traditionnels furent privilégiés. Le film sortit en salle en novembre 1961 à Santa Fe et, d’après Birri, il réussit à dépasser, au cours de la première semaine, le nombre d’entrées des Dix Commandements de Cecil B. DeMille53. En avril 1962, peu après la chute du président Frondizi, le film arriva à Buenos Aires, où il fut affecté par ce changement politique. Dans le climat de censure et de répression croissantes vécu par le pays, les autorités boycottèrent la seule salle où était projeté le film, qui dut l’enlever de l’affiche, malgré les bons résultats qu’il avait obtenus auprès du public de la capitale. Il fut également exclu des remises de prix de l’Institut national de cinématographie et il ne put pas, dans un premier temps, participer aux festivals internationaux en raison de problèmes administratifs. Quant aux principaux journaux argentins, ils ne publièrent ni la nouvelle du prix qu’il obtint au festival de Karlovy Vary, ni celle du prix du meilleur premier film à Venise54. Cette expérience mena Birri à poser publiquement la nécessité de développer des circuits de distribution et d’exploitation alternatifs (comme il l’avait fait avec Tire dié), pour ceux des films qui « rencontr[ai]ent de plus grandes résistances dans les circuits de distribution et exploitation commerciaux55 ». Cela ne signifiait pas l’abandon de l’objectif qui était d’atteindre le grand public. La nouvelle stratégie qu’il proposait faisait face au boycott imposé depuis les sphères du pouvoir.
62Le 30 janvier 1963, le président José María Guido ordonna l’interdiction et le séquestre des négatifs de Los 40 cuartos, considéré d’après Birri par le gouvernement comme une « insulte56 ». Les heurts croissants entre l’école et les institutions gouvernementales inquiétèrent les autorités de l’Université nationale du Littoral. Pour éviter la possible fermeture de l’Institut de cinématographie, Birri renonça à son poste de directeur cette même année. Peu après, il abandonna le pays et s’exila en Italie, après un bref passage par le Brésil. Quelques jours avant de partir, Birri finit la rédaction du livre La escuela de Santa Fe, dans lequel il résumait le travail des six premières années de l’institut et expliquait ses objectifs et ses méthodes de travail57.
63Après le départ de Birri et d’une partie du corps enseignant, l’École de Santa Fe entra dans une étape marquée par les conflits internes. Le nombre d’étudiants augmenta, ainsi que celui des productions – certaines participèrent aux éditions du festival de Viña del Mar de 1967 et 1969. Cependant, à côté de cela, deux groupes commencèrent à se disputer l’hégémonie à l’intérieur de l’institution, tant au niveau des étudiants qu’à celui des enseignants : d’une part ceux qui restaient plus ou moins proches des idées de Birri au sujet d’un cinéma « national, réaliste et critique » et attribuaient un rôle social au cinéma et, d’autre part, ceux qui voulaient ouvrir la voie à de nouvelles références éloignées du néoréalisme et des films réalisés jusqu’alors par l’école. La polarisation croissante de la société argentine pendant les années soixante se transféra à l’intérieur de l’école, en générant des débats enflammés sur certains travaux pratiques58.
64Avec le début de la dictature de Juan Carlos Onganía, les financements de l’école se réduisirent, ce qui entraîna un retard dans l’exécution des projets des étudiants. En 1970 fut imposé à l’école un administrateur externe qui censura les scénarios de quelques étudiants, engendrant une grève qui dura dix mois. Suite à celle-ci, l’école ferma jusqu’en 1973. Au cours du dernier mandat de Perón et particulièrement tout au long du gouvernement de sa veuve María Estela Martínez, la polarisation s’intensifia et certains des membres de l’école subirent les menaces et les attaques de groupes d’extrême droite, qui firent cinq victimes parmi les étudiants. Après avoir été mise sous contrôle une fois de plus, elle fut définitivement fermée après le coup d’État de 197659.
De cinéma de prise de conscience à la guerre de guérillas cinématographique
65Tire dié et Les inondés s’accompagnèrent de deux courts manifestes théoriques, distribués au public lors des premières des films, recherchant ainsi les plus grandes publicité et diffusion possibles parmi la population de Santa Fe. Ces deux textes – ainsi que celui qui prolongeait l’édition des fotodocumentales – jouèrent un rôle programmatique non seulement en établissant les objectifs de l’École documentaire de Santa Fe, mais aussi en soulignant sa singularité dans le champ cinématographique et la rupture entre ce projet et le reste de l’industrie du cinéma argentin60.
66Manifiesto de Tire dié : por un cine nacional, realista y crítico de 1958 présente une série de réflexions théoriques sur le cinéma, qui guidèrent l’élaboration du film ou qui émergèrent à partir de celui-ci. Le titre résume les objectifs de l’école, qui sont ensuite énumérés dans le texte :
« 1) Collaborer, dans la mesure de ses jeunes forces, au véritable changement du cinéma argentin, en y apportant une problématique nationale, réaliste et critique jusqu’à présent inédite ; 2) Consolider les bases pour une industrie cinématographique locale, de Santa Fe, de répercussion nationale, à mesure que les étudiants se perfectionnent au niveau technique par l’apprentissage quotidien. [...] ; 3) Mettre le cinéma au service de l’Université et l’Université au service de l’éducation populaire. Dans son acception la plus urgente, cette éducation populaire doit être comprise comme la prise de conscience de plus en plus responsable face aux grandes thématiques et problèmes nationaux, maintenant et ici61. »
67Un tel positionnement critique et réaliste se veut « inédit » en Argentine. Il s’agit d’une affirmation qui a été contestée à maintes reprises par plusieurs chercheurs, vu que le cinéma portant sur les thématiques sociales ne commence pas avec Birri62 ; cependant, ses paroles n’intéressent pas tant par leur exactitude, que par leur volonté de « faire du nouveau » en niant la validité du passé, attitude typiquement avant-gardiste qu’assumeront la plupart des cinéastes qui, par la suite, intégreront le projet du NCL.
68La création d’une industrie de cinéma à Santa Fe vise précisément le développement de ce type de cinéma « national, réaliste, critique et populaire63 ». Il convient de souligner que Birri reconnaît les imperfections formelles de Tire dié, mais souligne la nécessité de développer un cinéma de conscientisation sociale même si les meilleures conditions techniques ne sont pas réunies. L’urgence des problèmes sociaux dénoncés dans le film « ont fait que la préférence ait été donnée à un contenu plutôt qu’à une technique64 ». Birri exprime ainsi un problème auquel fut confrontée l’immense majorité des cinéastes indépendants latino-américains qui voulaient développer un cinéma de conscientisation sociale. L’impossibilité de compter sur des moyens suffisants et sur une technologie appropriée faisait que leurs films n’avaient pas les standards de qualité technique de ceux des circuits commerciaux ; mais ne pas tourner tant que ces standards n’auraient pas été atteints les aurait condamnés au silence. La solution proposée par Birri est la même qui sera adoptée par ses pairs : entre filmer sans qualité et ne pas filmer, mieux vaut choisir la première option. Ceci n’implique pas de renoncer à la recherche de la qualité technique mais, souvent, de la reporter.
69Le troisième point du manifeste – le cinéma au service de l’université et l’université au service de l’éducation populaire – ne signifie pas que Birri ait limité son projet au strictement académique. L’éducation populaire peut se comprendre de deux façons différentes, complémentaires entre elles. En premier lieu, l’École documentaire de Santa Fe se conçut elle-même comme un centre d’éducation populaire : les ateliers de l’institut n’étaient ni structurés comme des études universitaires ni limités aux étudiants inscrits à l’université, mais ils acceptaient des personnes de tous métiers et de toutes origines sociales – pour favoriser cela, ils avaient lieu en soirée. En second lieu, l’« éducation populaire » fait aussi référence à l’éducation du public, où le concept d’éducation s’entend comme la prise de conscience du public des problèmes sociaux. Cependant, la relation entre le public et l’école est bien moins verticale que ce qu’elle pourrait sembler. Tire dié, le film à l’origine du manifeste, fut modifié à partir des suggestions du public. La relation peut, en cela même, réussir à être réciproque, à se rétro-alimenter : le groupe de Santa Fe essaie d’éclairer le public, mais aussi d’être éclairé par lui. Par ailleurs, le film ne donne pas de solutions univoques aux problèmes sociaux abordés, bien au contraire, il veut pousser à la réflexion et à l’action du public.
70La question du cinéma populaire, réaliste et critique réapparaît dans le dernier texte que Birri écrivit avant d’être obligé de quitter l’Institut de cinématographie. Dans l’introduction de La Escuela documental de Santa Fe, il s’attarde plus encore sur la différence entre la proposition populaire et critique de l’école et ce qui, d’après son analyse, se passe pour le reste de la production cinématographique nationale. Selon lui, tant les films des grands studios de Buenos Aires, destinés au public de masse, que le Nouveau cinéma argentin offrent une image faussée du pays :
« Si irréelle et étrangère à l’image de notre pays était l’image cinématographique montrée au public par les nombreux films à succès – de par son opportunisme – ainsi que celle montrée par les rares films intellectualisés – de par son caractère évasif. Cinéma populaire et cinéma cultivé étaient, ainsi, présentés à tort par cette industrie comme deux termes irréconciliables d’un problème, alors qu’en vérité, ce qu’on voulait dire, en disant cinéma populaire, c’était cinéma commercial, et en disant cinéma cultivé, c’était cinéma élitiste65. »
71L’affirmation cherche à positionner l’École documentaire de Santa Fe comme alternative subversive dans le champ cinématographique argentin qui se « bat » « pour un cinéma qui soit cultivé et populaire à la fois66 ». Il est possible de trouver des rapports entre les idées de Birri et la pensée de Gramsci. La recherche d’un cinéma « cultivé et populaire à la fois » est proche de la revendication de l’Italien d’une « littérature populaire artistique ». Lorsque le directeur de l’École de Santa Fe affirme qu’il y a une déconnection entre le cinéma argentin (dans ses deux « versants » commercial et élitiste, qu’il établit de manière schématique) et le peuple argentin, il semble reprendre l’analyse de Gramsci sur la littérature en Italie :
« Il manque une identité de conception du monde entre “écrivains” et “peuple”, autrement dit les sentiments populaires ne sont pas vécus intimement par les écrivains, et les écrivains n’ont pas une fonction “éducatrice-nationale”, car ils ne se sont pas posé et ne se posent pas le problème d’élaborer les sentiments populaires après les avoir fait leurs et les avoir revécus67. »
72De même, la proposition d’un cinéma national, réaliste, critique et populaire semble proche de l’idée de culture nationale-populaire défendue par l’auteur italien dans les années trente, où il y aurait une identification entre les intellectuels et l’évolution des sentiments nationaux du peuple-nation68. L’École documentaire de Santa Fe a pour mission la formation de « troupes » de cinéastes capables de construire ce cinéma national-populaire. D’une part, le rôle de l’école pour Birri coïncide avec – et, sûrement, s’inspire de – la mission que Gramsci avait donné à cette institution comme « l’instrument destiné à élaborer les intellectuels de différents degrés ». D’autre part, les intellectuels (ici, les cinéastes) formés par l’école sont appelés à remplir le rôle de ce que Gramsci appelle les « intellectuels organiques » qui ne se considèrent pas comme autonomes ou indépendants d’un groupe social mais, au contraire, comme liés à un groupe social – qui leur a donné naissance – et qui sont destinés à lui donner « homogénéité et conscience de sa fonction, non seulement dans le domaine économique, mais également dans le domaine social et politique69 ».
73Comme nous l’avons vu dans le premier chapitre, déjà dans le texte Brevísima teoría del documental social en Latinoamérica, Birri étend l’analyse de la situation du cinéma argentin au reste de l’Amérique latine, même s’il n’étudie pas les conjonctures particulières dans lesquelles se développaient les production, distribution et projection cinématographiques. Cette analyse est reprise dans El cine libre hoy en Argentina, lu au festival de Porretta Terme, en 1964, et dans Cine y subdesarrollo, publié par Cine Cubano en 1967. Tous ces textes proposent la même vision, à peine modifiée : la caractéristique commune des divers pays d’Amérique latine est le sous-développement, le cinéma populaire et cultivé postulé par Birri doit dénoncer ce sous-développement pour les aider à sortir de cette situation70.
74Par la suite, cette vision est réélaborée dans Revolución en la revolución del Nuevo Cine Latinoamericano, publié par Cine Cubano, en 1968 et dans Apuntes sobre la guerra de guerrillas del nuevo cine latinoamericano, publié par la revue Ulisse en Italie la même année. Dans ces textes, bien qu’il conserve sa position critique envers les films en provenance des studios traditionnels, il propose une vision bien plus élastique, et centrée sur la pluralité des expressions cinématographiques latino-américaines, au moment de revendiquer la nécessité d’un cinéma qui contribue au « développement » du sous-continent. Les trois premiers textes de 1962, 1964 et 1967 présentent une assimilation implicite entre la situation de l’Amérique latine et la conjoncture de l’Argentine. Au contraire, dans les nouveaux articles se manifeste une plus grande connaissance des productions cinématographiques latino-américaines, de ses auteurs et des particularités de chaque cinématographie – Birri consacre une bonne partie de son analyse au cinéma de Julio García-Espinosa, Nelson Pereira dos Santos et Glauber Rocha, entre autres. Dans ces deux derniers écrits, il utilise le terme NCL, en même temps qu’il adopte un point de vue général, où l’Argentine en tant que cadre de référence est remplacée par le « front latino-américain ». Dans ce front, chaque cinéaste, en accord avec les particularités de son pays, doit développer un cinéma de libération.
« Ce seront les circonstances politico-structurelles nationales et internationales qui détermineront les tactiques culturelles et économiques à suivre, en fonction des moments et des pays : du cinéma d’agression à la fable ésopique, de l’infiltration dans les formules industrielles au repli dans le cinéma clandestin. Tous les coups sont permis, tout au long du front latino-américain de cette guerre de guérillas cinématographique71. »
75Le langage utilisé se sert de multiples métaphores militaires guévariennes – dans la lignée des « foyers de subversion » – chose qui est habituelle dans les textes de divers réalisateurs faisant partie du projet du NCL. Il est intéressant de constater, par ailleurs, comment l’ambition de générer une industrie cinématographique a cédé la place au soutien de tout type de cinéma s’opposant aux structures dominantes en Amérique latine ; l’échec de la tentative pour se faire une place dans l’industrie nationale – en partie à cause de la censure, de la corruption et d’autres obstacles imposés depuis les gouvernements – paraît être à l’origine de cette radicalisation de la posture de Birri par rapport à sa pensée de dix ans plus tôt. La revendication pour un cinéma populaire et critique est toujours présente, mais la multiplication des diverses stratégies et « tactiques » de positionnement fait que le réalisme n’est plus un impératif et ne devient qu’une option supplémentaire parmi d’autres.
Le départ de Birri et le travail latino-américaniste de Pallero
76L’objectif initial de générer une industrie cinématographique à Santa Fe comme alternative critique à celle de Buenos Aires ne fut pas atteint. Parmi les principales raisons, se trouvent le boycott exercé par le pouvoir en matière de distribution et exploitation, la censure, l’exil de Birri et la nouvelle voie prise par l’école après son départ. Il faudrait se demander si une école de cinéma, du fait de son caractère éminemment académique, était indiquée pour soutenir cette industrialisation. L’école pouvait former une « troupe » professionnelle ayant une bonne préparation et un regard critique, mais elle n’était pas à même de s’ériger en tant que maison de production de longs-métrages, à cause des coûts élevés que cela supposait. L’exemple des Inondés rend bien compte de cette situation : le film ne fut pas produit par l’école.
77La thématique de Tire dié et des Inondés, ainsi que le projet qui les sous-tend sont nationaux ; il n’y a pas encore de projet latino-américaniste, même s’ils constituèrent un exemple important pour de nombreux réalisateurs du NCL. Cependant, l’analyse des films et des textes de Birri nous porte à conclure qu’il commença à manifester explicitement un intérêt pour les points communs avec d’autres cinémas latino-américains pendant ses derniers mois en tant que directeur de l’école. L’exil l’a empêché de développer plus cet intérêt à l’Institut de cinématographie.
78Les Brésiliens Maurice Capovilla et Vladimir Herzog et le Chilien Raúl Ruiz ont fait des séjours à Santa Fe72. Étant donné que l’école n’a pas développé de programmes d’ouverture à l’international, on peut les considérer comme des cas exceptionnels qui montrent, pourtant, que l’expérience de Birri a éveillé un certain intérêt dans les pays voisins. Les Argentins Enrique Urteaga et Diego Bonacina, d’anciens élèves de l’école, ont travaillé dans le milieu cinématographique chilien et Manuel Horacio Giménez a développé sa carrière au Brésil. La voie ouverte par l’École de Santa Fe au projet d’intégration cinématographique latino-américaine trouve son meilleur représentant dans le producteur Edgardo Pallero. D’un point de vue pratique, c’est l’ancien membre de l’école qui apporta la plus grande contribution au développement du NCL. Étudiant de Birri pendant la réalisation de la première version de Tire dié, il devint rapidement enseignant au sein de l’institut et fut le producteur exécutif tant de ce premier film que des Inondés. Par la suite, il quitta l’Argentine avec Birri, Manuel Horacio Giménez et Dolly Pussi. Au Brésil, Pallero et Giménez font partie du groupe de documentaristes de São Paulo dirigé par Thomaz Farkas, avec Sérgio Muniz, Maurice Capovilla, Vladimir Herzog, Geraldo Sarno et Paulo Gil Soares. Le groupe a réalisé une série de documentaires sur la situation sociale du Brésil qui ont été réunis dans le film Brasil Verdade (1968). Avec Farkas et Muniz, il a travaillé dans la production de la série de documentaires du projet A condição brasileira (1964-1971). De retour en Argentine, en 1966, il produisit des films indépendants des studios comme El romance de Aniceto y la Francisca (Leonardo Favio, 1966). Il collabora ensuite à l’organisation des éditions du festival de Viña del Mar de 1967 et 1969. Il fut également le producteur exécutif de L’Heure des brasiers (groupe Cine Liberación, 1968), Le courage du peuple (Jorge Sanjinés, 1971) et Les fils de Fierro (Fernando Solanas, 1975)73. Pallero joua aussi un rôle important dans l’institutionnalisation du NCL, en participant à la création du Comité de cinéastes de l’Amérique latine (1974) et, dix ans après, de la Fondation du Nouveau Cinéma latino-américain (1985). Avec son associé uruguayen Walter Achugar, il est le principal producteur du NCL – mis à part l’ICAIC – et l’un des hommes de cinéma qui développa un travail latino-américaniste.
79À la fin des années soixante, Pallero soutenait la nécessité de développer des circuits de distribution indépendants pour faire parvenir au public les productions latino-américaines qui suivaient le projet de libération continentale74. Pour cela, il créa sa propre entreprise de distribution ; cependant, l’expérience fut de courte durée, par manque de ressources économiques. L’idée, remarquons-le, est semblable à celle qu’avait commencé à défendre Birri à la même époque et sur fond de censure croissante des films de la part des divers régimes en place en Amérique latine.
80Si le travail de Pallero est surtout pratique et se centre sur la production et la distribution, au cours de ces mêmes années l’apport de Birri au projet du NCL est exclusivement théorique et consiste à la participation à des tables rondes en Italie et à l’écriture de textes publiés principalement en Italie et à Cuba, textes que nous avons mentionnés dans la section précédente. Aucun film de Birri ne sortit pendant l’apogée du projet latino-américaniste. Entre 1967 et 1978 il réalisa en Italie le film Org, présenté au festival de Venise en 1979. Celui-ci ne s’insère pas dans le processus de développement du NCL en raison de sa sortie tardive, de sa très faible circulation – il ne fut projeté officiellement qu’une seule fois – et du fait que Birri ne montra le projet à aucun réalisateur au cours du processus de montage, qui dura dix ans. Il s’agit d’un film dans lequel il abandonne les propositions de cinéma « national, réaliste et critique » pour s’aventurer dans l’expérimentation formelle, à partir de la déconstruction d’une histoire basée sur la nouvelle Les têtes interverties de Thomas Mann et sur des récits traditionnels de l’Inde. Birri fit particulièrement attention au rythme au montage, chaque plan ayant une durée infime (par exemple, dans certains fragments trois photogrammes s’alternent avec trois photogrammes noirs)75.
81La table rase opérée par Birri au milieu des années cinquante est avant tout conceptuelle et elle n’eut pas de résultats empiriques qui changèrent profondément les structures du cinéma argentin : le marché cinématographique resta entre les mains des grands studios. Néanmoins, l’école encouragea l’émergence de divers cinéastes – parmi lesquels il faudrait citer Gerardo Vallejo, étudiant de l’école et futur membre du groupe Cine Liberación – collectifs et, en général, courants de cinéma critique, centrés sur des problèmes sociaux et ayant pour ambition d’atteindre et de représenter les couches populaires. Il réalisait ainsi son objectif d’un cinéma « national, critique et populaire », même si ces nouvelles propositions n’étaient que partiellement réalistes d’un point de vue esthétique. Pour le dire en utilisant les mots de Birri lui-même, les films et les réflexions théoriques qu’il fit à Santa Fe furent une « clé » mais pas un « modèle » esthétique ou un « modèle » de production pour les cinéastes suivants.
Notes de bas de page
1 Terán O., « Ideas e intelectuales en la Argentina, 1880-1980 », O. Terán (dir.), Ideas en el siglo XX, intelectuales y cultura en el siglo XX latinoamericano, Buenos Aires, Siglo XXI Editores, 2008, p. 70-71.
2 Ibidem, p. 76.
3 Maranghello C., Breve historia del cine argentino, Barcelone, Laertes, 2005, p. 149.
4 Terán O., op. cit., p. 79.
5 Getino O., Cine argentino, entre lo posible y lo deseable, Buenos Aires, CICCUS, 2005, p. 44.
6 Sur le Fonds de développement de la cinématographie voir l’analyse de Maranghello C., « El desarrollismo y el silencio peronista. La política del Instituto Nacional de Cinematografía en el período », C. España (dir.), Cine argentino, modernidad y vanguardias (1957-1983), Buenos Aires, Fondo Nacional de las Artes, 2005, p. 22-63.
7 Oubiña J., « Veinte años de censura inconstitucional en el cine argentino ». D. Oubiña et D. Paladino (coord.), La Censura en el Cine Hispanoamericano, Cuadernos de historia, crítica y teoría del cine, n° 1, 2004, p. 74.
8 España C., « Modernización y censura », C. España (dir.), op. cit., p. 20 (nous traduisons).
9 Tal T., op. cit., p. 60.
10 Maranghello C., Breve historia del cine argentino, op. cit., p. 166.
11 Getino O., Cine argentino, entre lo posible y lo deseable, op. cit., p. 44-45.
12 Maranghello C., Breve historia del cine argentino, op. cit., p. 164.
13 Oubiña J., op. cit., p. 74-76.
14 Ibidem.
15 Getino O., Cine argentino, entre lo posible y lo deseable, op. cit., p. 52.
16 Paranaguá P. A., « América Latina busca su imagen », C. F. Heredero et C. Torreiro (coord.), Historia General del Cine, Vol. X. Estados Unidos (1955-1975), América Latina, Madrid, Cátedra, Signo e Imagen, 1996, p. 335 (nous traduisons).
17 España C., op. cit., p. 20 (nous traduisons).
18 Birri F., « Za e l’America Latina », Neo-realismo na América Latina, op. cit., p. 125.
19 Lima M. A., « Cinema e transformação social : o Instituto de Cinematografia de Santa Fe », História, v. 25, n° 2, 2006, p. 163 (nous traduisons).
20 Kohen H., « El “film-manifiesto”, realidad y ficción », C. España (dir.), op. cit., p. 114 (nous traduisons).
21 Flores Velasco J., « Entrevista a Fernando Birri », disponible sur : [http://sergiotrabucco.wordpress.com/2007/06/22/fernando-birri-entrevista-corta/] (consulté le 23 janvier 2015, nous traduisons).
22 Birri F., « Nace una experiencia cinematográfica », F. Birri, Fernando Birri..., op. cit., p. 238-239.
23 Flores Velasco J., op. cit. (nous traduisons).
24 Chiarini L., « Il film è un’arte, il cinema è un’industria », Bianco e nero, an II, n° 7, 1937, p. 6.
25 Birri F., « La biografía », F. Birri, Fernando Birri, por un nuevo..., op. cit., p. 320.
26 Poirier E., Néoréalisme et cinéma cubain : une influence à l’épreuve de la Révolution (1951-1962), thèse sous la direction de G. Borras et P. Torres San Martín, sciences humaines et sociales, université Rennes 2, 2014, p. 189.
27 Ibidem, p. 39.
28 Une autre référence importante pour Birri a été le Britannique John Grierson, notamment en raison de l’importance accordée au documentaire et des objectifs éducatifs que l’École de Santa Fe avait conçus pour le cinéma. Lima M. A., op. cit., p. 167.
29 Birri F., « Nace una experiencia cinematográfica », op. cit., p. 239 (nous traduisons).
30 Dans le même texte, Birri va même plus loin en établissant que « tout le Nouveau cinéma latino-américain descend, procède, découle du néoréalisme », Birri F., « Za e l’America latina », op. cit., p. 113, 127 (nous traduisons).
31 Birri F., Soñar con los ojos abiertos, op. cit., p. 85 (nous traduisons).
32 Kohen H., op. cit., p. 175 (nous traduisons). La nécessité de développer une industrie cinématographique nationale est particulièrement évidente dans le livre de Rocha, Revisão critica do cinema brasileiro (1963), que nous analyserons au chapitre suivant.
33 Birri F., « Nace una experiencia cinematográfica », op. cit., p. 240-241.
34 Ibidem, p. 239, C’est au festival SODRE (1958) qu’il présenta, pour la première fois, les fotodocumentales de l’école à un public international. John Grierson qualifia cette initiative de « superbe exemple de méthode d’enseignement et le premier que j’aie vu qui contribue aussi simplement et aussi bien à l’apprentissage de comment faire un film », ibidem, p. 249 (nous traduisons).
35 Cet extrait provient du texte « El fotodocumental », originellement publié 1956 par l’Institut de cinématographie de l’Université nationale du Littoral. Ibidem, p. 241-242 (nous traduisons).
36 Il ne s’agit cependant pas d’un manifeste ; en effet Birri y inclut certains éléments qui l’éloignent de ce type de texte, comme par exemple une description détaillée du processus qui mena à la création de l’École documentaire de Santa Fe, ce qui le rapproche plutôt d’une sorte de chronique.
37 Birri F., Soñar con los ojos abiertos, op. cit., p. 26 (nous traduisons).
38 Birri F., « Nace una experiencia cinematográfica », op. cit., p. 265-271.
39 Birri F., Soñar con los ojos abiertos, op. cit., p. 31.
40 Aimaretti M. et al., « La Escuela Documental de Santa Fe : un ciempiés que camina », A. L. Lusnich et P. Piedras (ed.), Una historia del cine político y social en Argentina (1896-1969), Buenos Aires, Nueva Librería, 2009, p. 373.
41 Poirier E., op. cit., p. 40.
42 Aimaretti M. et al., op. cit., p. 375.
43 Kohen H., op. cit., p. 115 (nous traduisons).
44 Aimaretti M. et al., op. cit., p. 376-377.
45 Ibidem, p. 378.
46 Kohen H., op. cit., p. 116.
47 Birri F., Soñar con los ojos abiertos, op. cit., p. 38-40.
48 Il se peut que sa conception générale de l’Amérique latine comme lieu d’appartenance et cadre de référence plurinational trouve son origine dans le séjour de Birri en Italie, où il cohabita avec des réalisateurs et des intellectuels d’autres endroits du continent, particulièrement Gabriel García Márquez, Julio García-Espinosa et Tomás Gutiérrez Alea. Cependant, elle ne commence à se développer théoriquement et pratiquement qu’à la moitié des années soixante.
49 Birri F., Soñar con los ojos abiertos, op. cit., p. 40 (nous traduisons).
50 Ibidem, p. 47.
51 Birri F., « Cine y subdesarrollo », F. Birri, Fernando Birri... op. cit., 1967, p. 212 (nous traduisons).
52 Birri F., « Nace una experiencia cinematográfica », op. cit., p. 250.
53 Birri F., Soñar con los ojos abiertos, op. cit., p. 44 ; Aimaretti M. et al., op. cit., p. 378.
54 Birri F., Soñar con los ojos abiertos, op. cit., p. 43.
55 Birri F., « Cine y subdesarrollo », op. cit., p. 214 (nous traduisons).
56 Maranghello C., « El desarrollismo y el silencio peronista. La política del Instituto Nacional de Cinematografía en el período », op. cit., p. 39.
57 Parmi les 1 500 exemplaires du livre, 1 200 furent brûlés par la dictature argentine du général Videla. Trois cents furent sauvés de la destruction grâce au fait qu’Edgardo Pallero et Dolly Pussi les enterrèrent pendant le régime militaire. Une grande partie du livre est reproduite dans Birri F., Fernando Birri..., op. cit.
58 Aimaretti M. et al., op. cit., p. 371-372.
59 Ibidem, p. 390-391.
60 Lusnich A. L., « La resistencia al discurso hegemónico y la formulación de perspectivas contraculturales en el marco de los grupos y colectivos cinematográficos de los años cincuenta y sesenta », L. Lusnich et P. Piedras (ed.), op. cit., p. 109.
61 Birri F., « Manifiesto de Tire dié : por un cine nacional, realista y crítico », F. Birri, Fernando Birri..., op. cit., p. 16 (nous traduisons).
62 Voir sur ce sujet Lusnich A. L., « Introducción. Orígenes y desarrollo histórico del cine político y social en Argentina », A. L. Lusnich et P. Piedras (ed.), op. cit., p. 25-42.
63 Le terme « populaire » a été ajouté dans le manifeste du film Les inondés afin de souligner quel est son public cible.
64 Birri F., « Manifiesto de Tire dié : por un cine nacional, realista y crítico », op. cit., p. 16 (nous traduisons). Cet extrait du manifeste semble déjà annoncer le concept de cinéma imparfait de Julio García-Espinosa, que nous analyserons dans le chapitre vi.
65 Birri F., « La Escuela documental de Santa Fe. Saldo de una experiencia », op. cit., p. 230 (nous traduisons).
66 Birri F., « El cine libre hoy en Argentina », F. Birri, Fernando Birri..., op. cit., p. 225 (nous traduisons).
67 Gramsci A., « Cahier de prison 21 », A. Gramsci, Cahiers de prison (Cahiers 19-29), Paris, Gallimard, 1992, p. 153.
68 Gramsci A., La formación de los intelectuales, Mexico, Grijalbo, 1967, p. 120.
69 Gramsci A., « Cahier 12 », A. Gramsci, Cahiers de prison (Cahiers 10-13), Paris, Gallimard, 1978, p. 209.
70 Voir les textes en Birri F., Fernando Birri..., op. cit.
71 Birri F., « Revolución en la revolución del Nuevo Cine Latinoamericano », F. Birri, Fernando Birri..., op. cit., p. 198 (nous traduisons). Ce passage se trouve aussi dans « Apuntes sobre la guerra de guerrillas del nuevo cine latinoamericano », Birri F., Fernado Birri..., op. cit., p. 184.
72 Lima M. A., op. cit., p. 172. D’après José Román, Raúl Ruiz n’a pas aimé la manière d’envisager le cinéma de l’école et il est rentré au Chili peu de temps après (interview avec l’auteur).
73 Aimaretti M. et al., op. cit., p. 364-370.
74 Pallero E., « Edgardo Pallero », Cine Cubano, n° 42-43-44, 1967, p. 29 (nous traduisons).
75 Birri F., Soñar con los ojos abiertos, p. 90-94.
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