Chapitre I. La nouveauté et la latino-américanité dans le projet du Nouveau cinéma latino-américain
p. 19-48
Texte intégral
1Si nous voulons faire une analyse pertinente du concept de NCL, il est nécessaire de ne pas se limiter à la description de ses traits externes et de ses thématiques – pauvreté, enfance, inégalité sociale, grèves, manifestations, etc. Il s’agit, certes, de caractéristiques qui lui sont propres, mais elles ne sont pas le patrimoine exclusif de ce projet en Amérique latine. Il ne faut pas non plus confondre le NCL avec tout le cinéma de gauche, militant ou politique des pays latino-américains réalisé à l’époque1.
2Nous proposons de réaliser une analyse du concept à partir des enjeux esthétiques et idéologiques des groupes de cinéastes qui se réclament du NCL durant les années soixante et soixante-dix. Autrement dit, pour bien comprendre le NCL il faut prendre en compte la position adoptée par ces groupes par rapport à des sociétés historiquement déterminées et, aussi, à la situation du cinéma dans leurs sociétés. Il s’agit d’un point de départ qui renferme une certaine complexité, car les cinéastes du NCL appartiennent à plusieurs sociétés différentes, mais qui sont en contact. Nous reviendrons sur cet aspect par la suite ; pour l’instant, gardons à l’esprit l’idée du NCL comme le résultat d’une position des cinéastes dans les sociétés latino-américaines et dans le champ interne du cinéma.
3Pour commencer l’analyse, il nous a paru nécessaire de questionner les termes qui composent le concept de NCL. Premièrement, pourquoi ce cinéma est-il « nouveau » ? Deuxièmement, pourquoi le terme latino-américain est au singulier malgré les diverses cinématographies existantes dans le sous-continent ? De ces questions se dégagent le problème de la « nouveauté » et celui de l’« unité » dans le NCL. Dans ce chapitre, nous ferons d’abord une description du contexte historique et, ensuite, une analyse des principales propositions théorico-pratiques des réalisateurs latino-américains des années soixante et soixante-dix qui ont défendu le caractère « nouveau » d’un certain type de production cinématographique du sous-continent. Enfin, nous analyserons le problème de l’unité comprise comme l’appartenance à une identité culturelle toujours revendiquée, bien que peu définie.
L’Amérique latine à l’heure des brasiers
4Les années cinquante en Amérique latine se caractérisent par l’imposition de la logique de la guerre froide. Depuis sa création en 1948, les États-Unis ont utilisé l’Organisation des États américains (OEA) pour répandre leur hégémonie politique sur le sous-continent. Le gouvernement états-unien fit adopter aux pays qui appartenaient à l’Organisation des résolutions établissant que le communisme était incompatible avec le système démocratique, dont la Déclaration de solidarité pour le maintien de l’intégrité politique des États américains contre l’intervention du communisme international (Caracas, 1954). Quelques semaines après, les États-Unis intervinrent au Guatemala, au nom de la lutte antimarxiste. À cela il faut ajouter l’interdiction du Parti communiste au Brésil (1947), au Chili (1948)2, au Costa Rica (1949), et son exclusion du système politique en Colombie (1958) et au Venezuela (1959)3. Dans certains pays, la possible avancée du communisme – ou simplement le développement de politiques réformistes – fut empêché par des coups d’État : c’est le cas du Venezuela (1948), du Pérou (1948), d’Haïti (1950), de la Colombie (1953) et de l’Argentine (1955)4.
5Le triomphe de la Révolution cubaine en 1959 impliqua un changement radical dans la réalité politique et sociale latino-américaine. La victoire de Fidel Castro montra qu’il était possible de faire une révolution sans suivre la voie préconisée par le communisme orthodoxe. Même s’ils avaient été interdits dans plusieurs pays, les partis communistes traditionnels considéraient que pour faire une révolution socialiste il était nécessaire de parcourir des étapes successives, parmi lesquelles, premièrement, la révolution démocratique bourgeoise et, ultérieurement, un mouvement de masse national et de base éminemment urbaine. Le triomphe de Castro contredit ce schéma et montra qu’un modèle alternatif était possible : la guerre de guérillas5.
6Les mouvements de gauche qui surgirent en Amérique latine inspirés par la Révolution cubaine opposèrent au modèle communiste traditionnel – qui préconisait une révolution nationale – le projet d’une révolution latino-américaine et même « tricontinentale », basée sur la solidarité tiers-mondiste. Cela ne veut pas dire que la sphère nationale fut négligée, mais qu’elle devait s’intégrer dans une logique internationnelle. Malgré l’énorme quantité de groupes révolutionnaires et les multiples différences d’ordre idéologique6, de façon générale, les guérillas latino-américaines des années soixante s’inspirèrent de la théorie des « foyers » révolutionnaires développée par Ernesto Guevara dans le livre La guerre de guérillas (1960) et le manifeste Créer deux, trois... de nombreux Viêt Nam (1967), et par Régis Debray dans Révolution dans la révolution ? (1967). Selon Guevara la création des bastions – foyers – révolutionnaires à l’échelle mondiale réussirait à répandre la révolution et à vaincre l’« impérialisme », car les États-Unis seraient obligés de disperser leurs forces militaires7. En accord avec cette théorie, le foyer insurrectionnel était la première phase active de la révolution et, en même temps, il servirait à promouvoir celle-ci dans le monde entier.
7Les guérillas latino-américaines suscitèrent la méfiance de l’URSS, engagée à l’époque dans la logique de la coexistence pacifique. Pourtant, Cuba défendit activement la lutte « anti-impérialiste » comme l’un des axes de sa politique internationale. En 1966, a eu lieu à La Havane la Conférence tricontinentale qui établit les bases de l’Organisation de solidarité avec les peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine (OSPAAAL). L’année suivante, le congrès de l’Organisation latino-américaine de solidarité (OLAS), à La Havane aussi, chercha à coordonner à l’échelle sous-continentale le processus révolutionnaire, avec la guérilla « comme méthode de lutte la plus efficace dans la plupart des pays du continent8 ». L’une des caractéristiques les plus intéressantes du phénomène latino-américaniste, c’est l’adoption d’un discours qui fait de constantes références à l’utopie du grand État latino-américain, la Patria Grande, qu’avait proposée Simón Bolívar au début du xixe siècle. L’autre référent majeur est l’appel à l’unité latino-américaine lancé par José Martí à la fin du même siècle9.
8Pour les groupes de « libération » latino-américains, l’hégémonie politique et économique qu’exerçaient les États-Unis sur le sous-continent était une évolution du colonialisme. Ce néocolonialisme cautionné par les bourgeoisies nationales représentait une nouvelle forme de dépendance. Dans le champ de la sociologie et de l’économie se créa la théorie de la dépendance, selon laquelle les raisons du retard latino-américain se trouvaient dans l’exploitation systématique à laquelle les États-Unis et l’Europe soumettaient le sous-continent. Bien que pour certains « dépendantistes » il était possible de réussir à sortir du sous-développement tout en utilisant un modèle capitaliste, pour la plupart d’entre eux la seule manière de rompre le cercle vicieux de la dépendance était la révolution, et la mise en place d’un État socialiste10. Selon F. Chevalier :
« Suivant les adeptes de cette théorie, le capitalisme moderne des grandes puissances qui pénètre les économies traditionnelles y a un effet destructeur, facteur et cause du sous-développement de ces pays. Ceux-ci seraient maintenus dans leur situation inférieure de fournisseurs de matières et de main-d’œuvre11. »
9La réaction du gouvernement états-unien à la Révolution cubaine ne se fit pas attendre. À l’embargo économique (1960) et la rupture de relations diplomatiques (janvier 1961), s’ajoute la tentative d’invasion entreprise par des exilés cubains soutenus par les États-Unis (baie des Cochons, avril 1961). En janvier 1962 les États-Unis forcèrent le vote majoritaire des pays latino-américains pour exclure Cuba de l’OEA. En octobre 1962 la tentative soviétique d’installation de missiles nucléaires sur l’île mit le monde au bord d’une guerre nucléaire12.
10Le gouvernement de J. F. Kennedy, à partir de 1961, chercha à promouvoir en Amérique latine l’Alliance pour le progrès, un plan de réformes structurales afin d’accélérer la croissance, moderniser les institutions politiques et améliorer les conditions de vie. Le pari de Kennedy était que ces réformes serviraient à consolider la démocratie et affaibliraient le référent cubain. Cependant, la réforme agraire rencontra la ferme opposition des oligarchies latino-américaines. La gauche, de son côté, jugea ces mesures insuffisantes ou même comme étant une nouvelle forme de dépendance. Le plan envisageait de mettre en place de nouveaux investissements nord-américains dans le sous-continent mais, après la mort de Kennedy, il fut abandonné progressivement13.
11Parallèlement à l’Alliance pour le progrès, les États-Unis mirent en place un programme d’assistance militaire aux armées et forces policières latino-américaines14. À Fort Gulick, dans le canal de Panama, l’armée états-unienne installa, en 1963, l’École des Amériques. Des milliers de soldats latino-américains ont été entraînés dans ses salles. D’après Vayssière l’armée des États-Unis leur a appris « les techniques sophistiquées et amorales de la guerre contre-révolutionnaire prolongée, apprises au Viêt Nam : tortures physiques et psychologiques, terreur aveugle pour dissuader les populations d’aider la guérilla15 ».
12La démocratie recula en Amérique latine pendant les années soixante, au profit des régimes militaires. Entre 1962 et 1969 il y eut onze coups d’État dans le sous-continent. Le principe qui guida ces interventions est plus ou moins le même : le renversement de gouvernements que les militaires ne considéraient pas assez décidés dans la lutte contre les groupes révolutionnaires16. Bien que les gouvernements des États-Unis aient encouragé officiellement l’affermissement de la démocratie à travers l’Alliance pour le progrès, dans la pratique ils soutinrent ou, du moins, tolérèrent ces dictatures, car celles-ci éloignaient le risque d’une deuxième Cuba.
13Le contexte politique de la région change à nouveau avec le triomphe de Salvador Allende aux élections présidentielles de 1970. La tentative chilienne pour créer un état socialiste à travers des moyens démocratiques suscita un débat intense au sein de la gauche au niveau international, car elle se présenta comme une alternative face au modèle de révolution armée. À la même époque en Uruguay, le mouvement guérillero tupamaro prit de plus en plus d’importance dans la société. Les tupamaros n’optèrent pas seulement pour la voie armée, ils fondèrent en 1971 le Mouvement des indépendants du 26 mars qui intégra le Front large, une alliance de partis de gauche qui chercha à atteindre le pouvoir par la voie démocratique.
14En Argentine les violents soulèvements de la fin des années soixante (notamment à Córdoba, 1969) affaiblirent la dictature de Juan Carlos Onganía. Au début des années soixante-dix, les militaires finirent par permettre la légalisation du péronisme – interdit à la suite du coup d’État de 1955 – ainsi que le retour de Juan Domingo Perón au pays. Quoique Perón ait difficilement pu être considéré comme un révolutionnaire, de larges secteurs de la jeunesse révolutionnaire argentine avaient fait une réinterprétation à gauche, pendant les années soixante, des politiques nationalistes des deux premiers gouvernements de Perón (1946-1955). Pourtant, le retour du leader au pouvoir en 1973 et sa mort en 1974 déclenchèrent des luttes très violentes à l’intérieur de différentes factions du mouvement, ainsi qu’entre celles-ci et d’autres groupes politiques17.
15L’avancée de la gauche au sud du continent suscita une réaction militaire : une nouvelle vague de dictatures s’instaura au Chili, en Uruguay, en Bolivie et en Argentine avec le soutien des États-Unis. Les nouveaux régimes pratiquèrent un véritable terrorisme d’État, à une échelle inconnue auparavant en Amérique latine et au nom de la doctrine de la « sécurité nationale ».
16La chute de Salvador Allende fut interprétée par plusieurs groupes révolutionnaires comme une démonstration de l’impossibilité d’instaurer un système socialiste par la voie pacifique. À partir de la moitié des années soixante-dix le phénomène de la guérilla resurgit avec force, notamment en Amérique centrale. Les nouveaux mouvements armés n’adoptèrent plus la stratégie des « foyers ». Au Salvador et au Nicaragua ils se caractérisèrent par une plus large perméabilité idéologique, ce qui leur permit d’englober une grande diversité de groupes (dont une partie de l’Église catholique) et d’avoir un soutien populaire substantiel18. La Révolution sandiniste (1979) disposa du soutien militaire et financier de Cuba et de l’appui d’une bonne partie de la gauche latino-américaine, dont des exilés chiliens et argentins qui s’engagèrent dans la lutte. Cependant, à la différence de la Révolution cubaine, le cas nicaraguayen n’eut pas d’effets appréciables dans les stratégies des gauches nationales au-delà de l’Amérique centrale.
« La gauche latino-américaine, écrit Angell, était davantage consciente qu’auparavant du fait que chaque pays avait ses propres traditions, sa propre structure locale de pouvoir et ses propres problèmes spécifiques. On voyait désormais avec scepticisme l’idée qu’il pouvait y avoir une forme universellement applicable, qu’il s’agisse de celle du Kominterm ou de la Révolution cubaine19. »
17En 1979, après vingt ans de revendications populaires, de violentes luttes et de débats intenses sur la « libération », l’idéal révolutionnaire latino-américaniste commençait à montrer des signes d’affaiblissement. La répression militaire, l’intervention des États-Unis, le progressif isolement de Cuba et les erreurs des mouvements de gauche contribuèrent à ébranler le projet d’une révolution sous-continentale. Le surgissement comme la chute de l’idéal de libération eurent des conséquences profondes dans la réflexion intellectuelle, les champs de l’art et de la culture. Comme nous allons le voir par la suite, le NCL a été intrinsèquement associé aux projets révolutionnaires. Sans eux on ne pourrait pas comprendre le surgissement, le développement et le déclin du phénomène.
La « nouveauté » dans le NCL
18L’adjectif « nouveau » est, sans doute, l’un des aspects les plus ambigus du concept du NCL. Il convient de se demander pourquoi ce cinéma – ces cinémas – est nouveau, où réside la nouveauté, et par rapport à quelles autres expériences on le considère nouveau. Il y a différentes manières d’aborder la question de la « nouveauté » dans le NCL. Nous allons essayer de les étudier en allant des aspects les plus généraux aux plus particuliers.
Nouveau Cinéma – Nouveau Monde
19De manière peut-être un peu floue, mais pas sans intérêt pour autant, la nouveauté revendiquée par les cinéastes latino-américains est en rapport avec le mythe du Nouveau Monde, l’image du continent américain comme une terre « promise » par excellence, « exotique », « vierge », à « découvrir », « conquérir » et « cultiver ». Selon Miguel Littin : « Le latino-américain est l’hispano transfiguré par la vision et la lumière d’un nouveau monde, d’une possibilité distincte de vie, de l’éclat encore non éteint de l’utopie... » Et il poursuit :
« Héritier de ce courant historique, notre cinéma, depuis Sanjinés jusqu’à Patricio Guzmán, Gutiérrez Alea, Fernando Birri, Santiago Álvarez, Humberto Solás ou Pereira dos Santos, est une aventure constante et imprévisible, de la lumière andine jusqu’à l’éblouissant tropique de l’aventure qui consiste à filmer jour après jour, sans autre scénario que la vie20. »
20Vingt ans avant, en 1961, Glauber Rocha avait explicitement revendiqué le caractère « nouveau » de la société, de la culture et du cinéma brésilien : « Notre cinéma est nouveau car l’homme brésilien est nouveau et la problématique du Brésil est nouvelle et notre lumière est nouvelle, c’est pour cela que nos films sont différents des cinémas d’Europe21. » La pensée de Rocha sur le Nouveau Monde se manifeste clairement dans le projet du film América nuestra, qu’il ne put jamais réaliser – le titre semble s’inspirer de la lettre de José Martí Nuetra América dont nous parlerons plus loin. Il avait conçu l’idée d’un film sur l’Amérique latine à partir de la dernière scène du Dieu noir et le diable blond (1964) : « J’ai ressenti le besoin de poursuivre l’histoire de Manuel et Rosa [les protagonistes du film], qui courent vers une mer libératrice. Cette mer baignait une terre nouvelle ; cette terre était en crise, divisée, déchirée22... » On trouve cette image dans Terre en transe (1967). La première séquence du film reprend le motif du voyage vers un nouveau monde. La caméra survole la mer et les côtes d’un pays imaginaire au rythme des tambours africains ; des conquistadores débarquent sur une plage où ils sont reçus par un indigène. Le mythe du Nouveau Monde est renforcé par le nom du pays créé par Rocha : Eldorado.
21Fernando Birri reprend le mythe dans le poème Cinéma et identité régionale et continentale :
« L’identité régionale, super/L’identité nationale, super/Sans oublier l’utérus latino-américain/Liane et rosée de spermes généreux/Le Nouveau Projet/Jumeaux de la Grande Tribu des Filmographes/De la Vaste Patria Grande/Étendue :/L’Amérique nous fait souffrir, comme tout ce qui nous est cher23. »
22On s’aperçoit que les vers abondent en figures qui identifient l’Amérique latine aux idées de fertilité, de gestation et de floraison. Le passage consacré à l’exaltation de la fertilité finit par la réaffirmation de l’idée de nouveauté : « Le Nouveau Projet. » Le vers peut faire allusion au continent, au NCL, ou aux deux. L’auteur complète les idées de nouveauté et de fertilité avec des termes associés à l’exotisme, comme « liane » et « tribu ». Le poème présente les cinéastes du NCL comme des « Jumeaux de la Grande Tribu des Filmographes de la Vaste Patria Grande ». Ce qui nous semble le plus intéressant c’est que pour Birri les cinéastes ont un caractère tribal24. La dichotomie entre civilisé et sauvage est présente ici et Birri se place du côté du sauvage pour faire un « Cinéma de barbares25 ».
23Le mythe du Nouveau Monde a des racines eurocentriques : l’Amérique est neuve vis-à-vis de l’Europe vieille, sage, civilisée. L’Amérique est neuve car l’Europe la « découvre » en 1492. Ce discours servit à justifier la colonisation comme une « mission civilisatrice ». Il s’agissait de domestiquer des terres sauvages, exubérantes et vierges, prêtes à être conquises par l’homme (blanc) – Shohat et Stam soulignent la charge sexuelle évidente du discours, qui trouve dans le métissage forcé son corrélat humain26. Le mythe a été repris et son sens détourné par les cinéastes latino-américains pour revendiquer leur spécificité culturelle et leur indépendance vis-à-vis des métropoles occidentales. Il s’agit d’une prise de position héritière de la pensée de Martí, qui avait proclamé la nouveauté de l’Amérique comme un trait distinctif du continent. Selon lui, l’union continentale de l’« Amérique métisse » devait être conçue comme une union de travailleurs dont la « nouveauté » était tournée vers l’avenir – tout en restant reconnaissants envers les ancêtres. Ces idées sont exprimées dans la lettre Notre Amérique (1891) :
« Et déjà, en effet, retentit l’hymne de l’unanimité ; la génération actuelle porte sur ses épaules, sur le chemin ensemencé par ses sublimes aïeux, l’Amérique des travailleurs ; du Rio Bravo au détroit de Magellan, assis sur le dos du condor, le Grand Semi a répandu, par les nations romantiques du continent et par les îles douloureuses de l’océan, la semence de l’Amérique nouvelle 27 ! »
24En revendiquant la « nouveauté » de l’Amérique ainsi que son caractère aventureux et sauvage, Littin, Rocha et Birri cherchèrent à mettre en valeur les spécificités culturelles latino-américaines par rapport à l’Europe. Il peut sembler étonnant qu’ils se fassent l’écho des termes hérités du colonialisme. Cependant, il s’agit d’un geste provocateur, d’une forme subversive de renverser les modèles culturels ethnocentriques. L’adoption du point de vue de l’opprimé s’insère dans le discours de « libération » sous-continentale ; pourtant cette appropriation de l’utopie du Nouveau Monde reste ambiguë si sa volonté de subversion du discours dominant n’est pas assez explicite, car elle risque de susciter le désir d’exotisme de la part de la métropole.
Les nouveaux cinémas
25Le NCL est en rapport avec les courants de renouvellement cinématographiques qui se déploient dans différentes parties du monde, de manière pas forcément simultanée, à partir de la deuxième moitié des années cinquante et pendant les années soixante. Le phénomène des « nouveaux cinémas » se caractérise par une grande hétérogénéité de propositions, discours et pratiques cinématographiques. Le terme englobe de manière assez vague des mouvements aussi différents que le Free Cinema anglais, la Nouvelle Vague, les nouveaux cinémas tchèque, italien, japonais, polonais, espagnol, états-unien, etc. C’est pourquoi une tentative générale de catégorisation des nouveaux cinémas risquerait de donner des résultats plutôt insatisfaisants ; plus encore si l’on considère que le phénomène se produit aussi bien dans des pays où l’industrie cinématographique est consolidée que dans des pays considérés traditionnellement comme la « périphérie » du cinéma. En outre, il y a eu des transferts entre les « nouveaux cinémas ». Certaines de ces expériences, comme la Nouvelle Vague, le Free Cinema et ensuite le Cinema Novo, ont été sources d’inspiration pour d’autres mouvements de renouvellement.
26Néanmoins, comme nous abordons la question de la « nouveauté », il nous semble nécessaire de présenter quelques caractéristiques plus ou moins communes aux nouveaux cinémas, quelques aperçus généraux, pour ensuite nous pencher sur le cas latino-américain. Au-delà de leurs multiples particularités, ce qui caractérise ces expériences c’est, d’après l’expression de Francesco Casetti, un « sentiment de nouveauté » commun. Celui-ci se manifeste comme « une rupture avec les manières traditionnelles non seulement de faire, mais aussi de penser le cinéma28 ». Les nouveaux cinémas sont à la fois une réaction contre des industries cinématographiques nationales sclérosées et contre l’hégémonie d’Hollywood29. Une réaction menée par une génération de réalisateurs cinéphiles, qui arrivent à l’âge adulte au moment de l’éclosion du néoréalisme italien (qui leur ouvre une voie à suivre ou à rejeter). Ce sont des jeunes qui fréquentent les ciné-clubs et les circuits d’art et essai. Ils travaillent souvent pour des revues de cinéma spécialisées. Ils critiquent, dans leurs pays respectifs, la situation du cinéma national, alourdi par des structures de production trop rigides assez fermées aux nouveaux talents et qui n’ont pas su se moderniser à temps après la Seconde Guerre mondiale30. Face à cela, la nouvelle génération accorde une importance particulière à la mise en scène et manifeste une volonté d’expérimentation et de renouvellement formel, en opposition aux genres cinématographiques, ainsi qu’une plus grande liberté à l’heure de choisir et d’aborder les sujets et de structurer la narration. Enfin, ils défendent, au moins en théorie, le principe selon lequel les films à petit budget permettront de renouveler les cinémas nationaux, car ils sont libérés des grosses contraintes économiques des grandes productions, limitant la créativité31.
27En France, à la fin des années cinquante, les jeunes critiques des Cahiers du Cinéma, disciples d’André Bazin et lecteurs d’Alexandre Astruc, commencent à développer la « politique des auteurs » qui met en relief l’importance du réalisateur dans le processus d’élaboration d’un film. Si, en général, celui-ci avait été considéré jusque-là simplement comme le responsable de « mettre en scène » un scénario, cette politique fait du réalisateur l’« auteur » du film, au détriment du scénariste, des producteurs ou du star-system. Dans le célèbre article Une certaine tendance du cinéma français (1954), François Truffaut critique l’importance démesurée que le cinéma français de l’époque accordait au scénario et le rôle secondaire de la mise en scène : « Lorsqu’ils remettent leur scénario, le film est fait ; le metteur en scène, à leurs yeux, est le monsieur qui met des cadrages là-dessus... et c’est vrai, hélas ! » Il s’agit d’une réaction contre l’industrie cinématographique française qui était encline à produire des adaptations littéraires au cinéma, ayant comme résultat des films schématiques et prévisibles. Selon Truffaut ce cinéma était ouvertement réactionnaire. Il l’accuse de se prétendre « un cinéma anti-bourgeois » alors qu’il était fait « par des bourgeois, pour des bourgeois32 » : « Le cinéma de papa. »
28Même si le langage utilisé a des connotations sociales, les critiques de Truffaut ne doivent pas s’interpréter comme un engagement militant de la part des jeunes critiques des Cahiers du Cinéma. En effet, au moins pendant la première partie des années soixante, les cinéastes de la Nouvelle Vague – à l’exception de Jean-Luc Godard – ne s’intéressent que secondairement aux conflits sociaux et politiques liés à la guerre froide et à la décolonisation. Ces problématiques seront par contre reprises au tournant de la décennie par des collectifs de cinéastes militants ayant mis en question, à travers leurs films, les structures des sociétés occidentales, du système capitaliste et du champ cinématographique33.
29À la fin des années cinquante, les défenseurs de la « politique des auteurs », inspirés par la pensée d’Astruc, soutiennent que le réalisateur s’exprime avec les dispositifs propres au langage audiovisuel, tout comme le fait un écrivain avec son stylographe34. Selon cette « politique », le talent d’un auteur, son style, sa signature donnent un caractère particulier à ses films, même s’il a fait carrière dans le système des studios35 (selon les jeunes turques c’est le cas, par exemple, d’un Alfred Hitchcock). Bien que Bazin critique les excès de la « politique des auteurs » en soulignant le risque d’un « culte à la personnalité36 », cette théorie aura un grand impact dans l’histoire du cinéma. Pourtant, elle est remise en question, en Amérique latine, par un certain nombre de réalisateurs pour qui le cinéma doit être compris, avant tout, comme le résultat de la démarche d’un groupe37.
30Soit par adhésion, soit par rejet, la « politique des auteurs » marquera les tentatives de renouvellement cinématographique de l’époque. Par ailleurs, le rôle joué par Cahiers du Cinéma et d’autres revues comme Positif, ainsi que par de nombreux festivals (Cannes, Berlin, Vénice, Locarno, Porretta Terme, Sestri Levante, Karlovy Vary, Pesaro, Leipzig, Oberhausen, etc.), a été décisif dans la promotion et la légitimation de ces courants pendant les années soixante. Comme nous le verrons dans les prochains chapitres, cette légitimation a permis aux cinéastes « périphériques », dans certains cas, d’accéder à une reconnaissance et une visibilité nationales qu’il aurait été plus complexe d’obtenir sans ce succès préalable en Europe.
31D’autres facteurs contribuent au phénomène des nouveaux cinémas, dont l’arrivée de la télévision, le développement des caméras plus légères et du son direct avec le magnétophone Nagra. Ce qui est plus important encore, c’est l’évolution des goûts du public, comme le montrent bien Laurent Jullier et Jean-Marc Leveratto : « L’histoire de la construction du jugement cinématographique ne peut se réduire à la genèse d’un concept – le fameux “auteur” – ou au processus d’imposition symbolique d’exigences à respecter [...] cette histoire est inséparable de l’histoire du marché cinématographique38. » Dans le cas des nouveaux cinémas, il faut prendre en compte la cinéphilie d’un public large, de plus en plus habitué, comme les réalisateurs, aux circuits de l’art et essai, aux ciné-clubs, aux cinémathèques et aux festivals39, mais il faudra aussi considérer les nouvelles modes, tendances artistiques et biens de consommation avec lesquels ce public est confronté.
32Les nouveaux cinémas européens ont inspiré les réalisateurs latino-américains ; cependant, d’après Casetti, ces derniers ont partagé la « volonté de rupture » des Européens, mais non leurs objectifs40. Le concept de NCL, en effet, présente des particularités par rapport aux nouveaux cinémas. Il surgit de manière assez tardive, en 1967 ; en ce temps-là le renouvellement cinématographique en Europe dérive vers des expériences qui assument et manifestent un engagement politique de manière plus explicite qu’auparavant, surtout à partir de mai 1968. En accord avec ce phénomène, le NCL revendique dès ses débuts son soutien aux projets de libération latino-américains.
33Nous soulignons qu’en Amérique latine, le « sentiment de nouveauté » se présente aussi dans d’autres expériences de renouvellement artistique de dimension sous-continentale dont la « nouvelle chanson latino-américaine » et le boom littéraire. Nous pouvons expliquer cette coïncidence à partir de l’effervescence politique, sociale et culturelle qui secoue la région dans les années soixante et soixante-dix. En Amérique latine, le « sentiment de nouveauté » est fortement lié au projet révolutionnaire, l’aspiration de développer un art « nouveau » et associé aux idées de « libération » nationale et de construction d’une société nouvelle. L’« homme nouveau », décrit par Ernesto Guevara et Frantz Fanon41 comme l’homme libéré qui surgit lors de la révolution socialiste, devient un symbole utopique – un peu messianique – maintes fois mentionné par les artistes de l’époque.
34La « nouveauté » des nouveaux cinémas est resémantisée en Amérique latine. Elle ne s’exprime pas nécessairement comme un conflit générationnel ou comme une rupture entre une génération et une autre. En France, le concept de « nouvelle vague » était, au moins au début, un slogan développé par l’hebdomadaire L’Express en 1957, qui désignait les nouvelles pratiques morales, culturelles, et le mode de vie de la jeunesse française42. Même si, comme l’explique Marie, « l’origine générationnelle et sociale du terme est vite balayée au profit de son application plus strictement cinématographique43 », il restera associé à aux ruptures de la jeunesse de l’époque. Pour les cinéastes du NCL, au contraire, leur cinéma est une réaction d’abord politique. Il s’agit de réagir contre le « cinéma du système » ou contre le « cinéma impérialiste » et non nécessairement contre le cinéma de « papa ». Paulo César Saraceni le résume bien : le nouveau cinéma « n’est pas une question d’âge, mais de vérité44 ».
35Au-delà de ces questions, la principale particularité du terme NCL par rapport au reste des nouveaux cinémas c’est qu’il n’a pas un caractère exclusivement national. Leurs membres revendiquent la portée sous-continentale du projet, car pour eux il existe un cinéma latino-américain qui englobe toutes les expériences cinématographiques similaires. C’est pour cela qu’ils mettent en relief les points en commun de leurs pratiques nationales. Les particularités de chaque cinématographie nationale sont considérées comme l’expression de la diversité du projet cinématographique sous-continental. Cependant, il faut souligner que chaque pays a des caractéristiques spécifiques prononcées. On peut distinguer grosso modo quatre groupes de pays en Amérique latine en ce qui concerne la production cinématographique. D’abord il y a trois pays, le Mexique, le Brésil et l’Argentine, qui ont développé des industries de cinéma précaires, basées sur le système des studios. Dans un deuxième groupe se trouvent des pays tels que le Chili, la Colombie, le Venezuela et peut-être le Pérou où il y a des initiatives intermittentes pour développer une industrie du cinéma. Troisièmement, on trouve un groupe de pays où la production cinématographique est en état latent, brisé parfois par des initiatives isolées : c’est le cas de la Bolivie, de l’Équateur, du Paraguay et de l’Amérique centrale45. Pour finir, Cuba forme un groupe à elle seule : elle développe une petite industrie dans le cadre d’un régime socialiste.
36Le NCL doit être compris, avant tout, comme un projet cinématographique qui s’engage dans le processus révolutionnaire latino-américain et non comme une simple réaction contre les studios latino-américains. Ces industries nationales du cinéma sont considérées comme une pièce de plus dans le système néocolonial vu son caractère « bourgeois », et sont par conséquent qualifiées d’« antinationales » et accusées d’être des « marionnettes ». Le principal point de mire des réalisateurs n’est donc pas les industries, mais bien le néocolonialisme.
37Bien qu’extrêmement résumé, l’exercice de classer les cinémas latino-américains à partir du niveau de développement de leurs industries sert à montrer que les tentatives de renouvellement cinématographique de chaque pays ont dû faire face à des enjeux spécifiques, adaptés aux contextes nationaux. Le concept de NCL englobe alors des expériences radicalement différentes. Le concept d’« école artistique » que Michel Marie utilise dans son analyse sur la Nouvelle Vague s’avère très utile pour montrer la complexité du NCL. Pour Marie, la Nouvelle Vague est une « école artistique », « étroitement liée à un ensemble de concepts critiques communs à un groupe assez cohérent46 ». Pour expliquer son hypothèse, il développe quelques paramètres communs à la notion d’« école » : un corps doctrinal critique commun ; un programme et une stratégie esthétique ; la publication d’un manifeste qui condense la doctrine ; un ensemble d’œuvres ; un groupe d’artistes ; un support éditorial ; une stratégie promotionnelle ; un leader ; des adversaires47. D’après Marie : « Il va de soi que la réunion de tous ces paramètres est rarement mobilisé dans la pratique. Leur coprésence détermine la solidité et la cohérence de l’école en question48. »
38Dans le cas latino-américain la « coprésence » dont parle Marie est plus forte à l’intérieur des courants nationaux qu’à l’intérieur du NCL. On peut confronter ces paramètres au Cinema Novo brésilien – comme l’a fait, d’ailleurs, Bertrand Ficamos49 – et conclure que c’est une école plus ou moins solide. Par contre, si nous les confrontons au concept de NCL, nous ne pouvons que conclure qu’il s’agit d’un véritable kaléidoscope : plusieurs corps doctrinaux et programmes, plusieurs supports éditoriaux et stratégies promotionnelles ; plusieurs leaders (Alfredo Guevara, Glauber Rocha, Fernando Birri, etc.) ; plusieurs groupes et pas les mêmes adversaires pour tous.
39On s’aperçoit que le concept, plutôt qu’une école, est une manière de se présenter aux distributeurs et exploitants latino-américains et européens. Comme nous le verrons plus loin, l’origine du terme semble le confirmer. De ce point de vue, dans sa définition large le NCL ne serait alors qu’une « catégorie valise » – je reprends les mots de Marie – condamnée à la même imprécision et au même réductionnisme que celle de « cinéma politique latino-américain » à laquelle il se substitue souvent. N’y a-t-il pas d’autres manières d’envisager le concept ? Une analyse un peu plus approfondie montre un véritable travail de confédération derrière la notion en jeu. Dans les années soixante et soixante-dix, le NCL s’avère être un réseau d’expériences cinématographiques, une circulation d’œuvres, de théories et de projets à l’intérieur de l’Amérique latine – avec de forts liens avec l’Europe. Toute la nouveauté et toute la spécificité par rapport à d’autres expériences sont là. Le NCL n’est pas sans rapport avec le principe fédératif de l’OLAS (1967). En effet, il rappelle la stratégie des « foyers révolutionnaires » de Che Guevara à l’échelle cinématographique : un réseau de groupes et de pratiques cinématographiques orientés à promouvoir la révolution au cinéma et à travers le cinéma.
Congrès et festivals : de l’« indépendance » à la « nouveauté »
40Bien que le terme NCL commence à être employé en 1967, les premières tentatives d’intégration des cinéastes latino-américains ont commencé auparavant. En 1958 a eu lieu à Montevideo le Ier Congrès latino-américain de cinéastes indépendants, organisé par le département de ciné-art du Service officiel de diffusion radio électrique (SODRE). Le congrès, consacré principalement au cinéma documentaire, a eu comme invité d’honneur le Britannique John Grierson et a compté avec la participation de délégués d’Argentine, du Brésil, du Chili, de la Bolivie, du Pérou et de l’Uruguay ; c’est-à-dire qu’il s’est limité à une participation du Cône Sud latino-américain50. Les assistants ont décidé de créer l’Association latino-américaine de cinéastes indépendants (ALACI). De même, ils ont lancé un appel aux gouvernements latino-américains pour que leurs institutions encouragent le développement du cinéma, protègent les cinématographies nationales face à Hollywood, assurent la libre diffusion des films latino-américains dans le sous-continent et favorisent les échanges entre les professionnels du cinéma. Bien que ces mesures ne se matérialisent pas, le congrès du SODRE a été la première rencontre à envisager des échanges entre les réalisateurs latino-américains51.
41Les expositions du cinéma latino-américain réalisées à Santa Margherita Ligure, Sestri Levante et Gênes dans la région de Ligurie, entre 1960 et 1965 et ultérieurement le festival de Pesaro, ont eu une plus grande importance dans le développement d’un projet cinématographique continental. Les rencontres liguriennes ont été organisées par le Colombianum, une institution créée par les jésuites qui avait pour but la promotion des relations culturelles avec le Tiers-Monde. Il peut sembler curieux que ces rencontres aient eu lieu en Italie et non en Amérique latine ; pourtant, la situation politique du continent américain après la Révolution cubaine y rendait presque impossible une telle rencontre52.
42Ces initiatives italiennes ont permis une plus grande connaissance du cinéma latino-américain en Europe et elles ont facilité la rencontre des réalisateurs des deux continents. Parmi les personnalités européennes qui ont assisté à ces rencontres on peut citer Edgar Morin, Agnès Varda, Jacques Demy, Luis Berlanga, Joris Ivens, et le critique des Cahiers du Cinéma Louis Marcorelles53. Ces deux derniers vont assister ultérieurement au Festival de Viña del Mar de 1969.
43Si l’on compare ces rencontres avec le congrès organisé par le SODRE en 1958, on constate un nombre plus important de pays représentés dans les réunions italiennes54. C’est au cours de la IIIe Exposition qu’a été annoncée la création de la Conférence latino-américaine de cinéastes indépendants55. Comme dans le cas du congrès du SODRE, ces propositions et annonces n’ont pas entraîné de résultats concrets. Cependant, l’idée d’une intégration latino-américaine commençait à être invoquée par un nombre croissant de réalisateurs.
44Il est intéressant de souligner que pour désigner le type de cinéma qu’ils voulaient promouvoir en Amérique latine, les réalisateurs ont employé le terme « indépendant » aussi bien au congrès du SODRE qu’à la IIIe Exposition. Le mot « nouveau » n’avait jusqu’alors pas été utilisé. En ce qui concerne la rencontre de Montevideo il nous semble que la raison pour laquelle le terme « indépendant » a été privilégié est d’ordre chronologique. Le congrès a eu lieu en mai 1958 et à ce moment-là le concept de « nouveau cinéma » n’était pas encore devenu populaire, du moins en Amérique latine, pour désigner les expériences de renouvellement cinématographique.
45Dans le cas des rencontres du Colombianum, la chronologie n’est pas un argument valable, parce qu’à ce moment-là – le début des années soixante – le « nouveau cinéma » était un concept largement utilisé des deux côtés de l’Atlantique pour désigner les courants de renouvellement cinématographique autochtones et étrangers. Il est possible que le terme « indépendant » ait été employé encore à Sestri Levante afin d’établir une sorte de continuité entre l’Association latino-américaine de cinéastes indépendants (1958) et la Conférence latino-américaine de cinéastes indépendants (1962). Cependant, cet objectif n’est mentionné ni dans la Déclaration du cinéma latino-américain de Sestri Levante, ni dans les articles et interviews publiés à propos des rencontres par la presse spécialisée de l’époque.
46Même si l’on accepte ces hypothèses, on se heurte à un problème concernant le signifié des termes « indépendant » et « nouveau ». Le concept de « cinéma indépendant » ne contient pas nécessairement le « sentiment de nouveauté » que nous avons essayé d’appliquer au NCL. L’indépendance au cinéma est aussi un « état d’esprit », mais il n’a pas les mêmes connotations que le terme « nouveau » car il souligne, avant tout, l’importance de la liberté comme une condition nécessaire à la création56. Cette liberté peut être envisagée selon des perspectives multiples – économiques, politiques, institutionnelles –, ce qui accroît la complexité du terme.
47Dans le congrès du SODRE l’indépendance a été définie par rapport à l’industrie cinématographique traditionnelle, le cinéaste indépendant est celui qui n’appartient pas à l’industrie et qui, par conséquent, ne se soumet pas à ses contraintes thématiques :
« Par cinéastes indépendants, nous entendons tous les professionnels qui travaillent sans être liés par une relation de dépendance à des entreprises de production ou de distribution et qui peuvent décider librement et personnellement de l’orientation thématique ou esthétique de leurs films57. »
48Cela ne veut pas dire que ces cinéastes ne doivent pas se heurter à d’autres contraintes d’ordre économique ou social, provenant de leur indépendance par rapport à l’industrie. En effet, pour la plupart des cinéastes « indépendants » de l’époque, la défense de leur liberté créatrice, entendue comme leur indépendance vis-à-vis des studios, entraîne leur éloignement des circuits de distributions traditionnels et, en conséquence, l’éloignement du public.
49Cette première définition de l’« indépendance » est loin de l’appel à l’engagement révolutionnaire que les cinéastes du NCL promouvront dix ans plus tard. Pour ce qui est du festival de Sestri Levante de 1962 et 1963, ce que les délégations latino-américaines voulaient dire par « cinéma indépendant » n’a pas été défini explicitement. Cependant, nous remarquons un changement par rapport au congrès du SODRE en ce qui concerne ce concept. La notion du « cinéma indépendant » latino-américain évolue, à cette époque, de la revendication de la liberté créatrice à la défense d’un cinéma qui représente la « culture nationale ». Pour les cinéastes, l’objectif à atteindre est principalement de représenter de manière efficace la situation sociale et politique du sous-continent. En effet, on parle de « travailler à un plus grand perfectionnement artistique et technique qui permette de traduire fidèlement la problématique latino-américaine58 ». Dans la déclaration finale de la rencontre de l’année 1963, le terme « indépendant » n’est pas mentionné, mais les cinéastes affirment qu’il faut encourager une production cinématographique qui ne soit pas un « objet exclusif d’exploitation commerciale », faute de quoi le cinéma « conduirait à l’aliénation culturelle59 ». Le refus du cinéma « commercial » semble en rapport avec la théorie de la dépendance et la recherche d’une « libération » sous-continentale.
50Le terme NCL se popularise au cours du Ier Festival du cinéma latino-américain de Viña del Mar de 196760. Curieusement, à l’origine, le créateur du festival, Aldo Francia, avait conçu cette manifestation artistique comme le Ier Festival de jeune cinéma latino-américain. Dans ses écrits il emploie indistinctement les termes « nouveau » et « jeune » ce qui dénote une certaine souplesse conceptuelle. En tout cas, l’épithète « nouveau » finit rapidement par s’imposer. Il est employé à plusieurs reprises dans les actes de la Ire Rencontre de cinéastes latino-américains qui a eu lieu durant le festival. On remarque qu’ils n’ont pas eu recours à d’autres concepts comme « jeune » ou « indépendant » pour désigner le même phénomène, à l’exception du premier paragraphe de la déclaration finale où les cinéastes ont utilisé un concept hybride : « Nouveau cinéma indépendant61. »
51Le choix du terme NCL s’explique par le phénomène des « nouveaux cinémas », ainsi que par l’idée de « nouveauté » présente dans le discours de la gauche révolutionnaire. À la différence de « cinéma indépendant latino-américain », il désigne avec plus de justesse la volonté de « renouvellement » et de « révolution » revendiquée par les cinéastes qui ont adhéré au projet cinématographique.
52L’importance de la Ire Rencontre de cinéastes latino-américains de 1967 a souvent fait oublier que, malgré son nom, ce n’est pas la première rencontre de ce type à avoir été réalisée sur le continent. En effet, SODRE l’avait précédée de neuf ans. Cependant, le festival de Viña del Mar a bénéficié d’une plus grande notoriété que le congrès uruguayen, avec un plus grand nombre de pays représentés et de délégués62. De même, les rencontres initiées à Viña del Mar ont réussi à assurer une continuité dans le temps que n’ont pas connue les réunions précédentes, même si leur périodicité a été irrégulière : Viña del Mar (1967), Mérida (1968), Viña del Mar (1969), Caracas (1974), Mérida (1977). C’est seulement à partir de 1979 qu’elles se font annuellement à La Havane. Cette année-là, a été créé le festival du NCL de La Havane, déclaré officiellement par les autorités cubaines l’héritier des festivals de Viña del Mar et de Mérida. Cependant, dans les années quatre-vingt le nombre de cinéastes qui continuent à défendre un projet cinématographique sous-continental s’est réduit progressivement et l’utilisation du concept de NCL s’est restreint de plus en plus aux cercles cinématographiques cubains. On perçoit déjà un certain affaiblissement du NCL dans les premiers festivals de La Havane. Même ses principaux défenseurs, comme Fernando Birri, Miguel Littin ou Julio García-Espinosa, ont exprimé des doutes sur la pertinence de l’idée de « nouveauté » qu’entraîne ce concept. En fin de compte, un mouvement qui a environ vingt ans peut-il rester toujours nouveau ?
53Miguel Littin a remarqué à l’époque une stagnation dans les films dits du NCL : « La nécessité de rénovation du langage et des formes expressives est urgente [...]. La nostalgie ne doit pas nous freiner. Le conformisme ne doit pas nous paralyser63. » Déjà en 1981 Birri reconnaissait une « crise de fatigue » et de « réitération » dans le NCL64. Pour le réalisateur argentin la seule manière de maintenir vivant le projet était d’entreprendre un renouvellement constant des formes cinématographiques et du discours idéologique. Il exprime cette idée à plusieurs reprises dans ses écrits et poèmes des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix : « Une révolution/Qui ne révolutionne pas/(de façon permanente)/Ses langages/Alphabets/Gestes/Regards/Régresse ou meurt65. » Afin de souligner l’impératif d’une rénovation constante, Birri mettra l’accent sur le terme « nouveau » qu’il s’amuse à répéter. Ainsi la question n’est plus de créer un Nouveau Cinéma latino-américain, mais le « Nouveau Nouveau Nouveau Cinéma latino-américain66 ».
54L’analyse de García-Espinosa va dans le sens contraire. En 1995, le réalisateur cubain écrit qu’il n’est plus pertinent de parler d’un « nouveau » cinéma :
« Le Nouveau Cinéma latino-américain est-il mort ? Quoi qu’il en soit, disons qu’“il ne disparaît pas dans le néant, il disparaît dans le tout”. Il a contribué à créer et développer le seul Mouvement cinématographique auquel on reconnaît un caractère continental. Il est arrivé, à travers le monde, à faire parler de cinéma latino-américain comme d’un concept global. Bien. Parlons donc simplement de Cinéma latino-américain. Celui d’hier. Celui d’aujourd’hui, celui de demain, celui qui nous unit tous dans notre diversité67. »
55Pour García-Espinosa, il n’est plus possible de soutenir le caractère « nouveau » du projet cinématographique. Cependant, à son avis, l’unité des cinéastes latino-américains est toujours présente et elle reste encore nécessaire. L’unité est, en effet, le deuxième principe sur lequel s’appuie le NCL.
L’unité dans le NCL
La recherche de la spécificité sous-continentale
56L’idée d’une unité des cinématographies latino-américaines est invoquée par un nombre croissant de réalisateurs à partir des années soixante. Les appels à la convergence des différentes impulsions créatives latino-américaines sont parallèles au surgissement des idées de « libération nationale » qui se sont répandues en Amérique latine lors du triomphe de la Révolution cubaine.
57Nous pouvons trouver les premières ébauches d’un projet cinématographique latino-américaniste dans le Ier Congrès latino-américain de cinéastes indépendants organisé pendant le festival SODRE. Dans la déclaration finale les délégués ont proclamé : « Qu’il constitue une obligation indéniable la diffusion des valeurs de la cinématographie latino-américaine dans le reste du monde. » Le terme est au singulier « cinématographie latino-américaine », ce qui donne l’impression d’une unité ; cependant, les délégués des différents pays n’ont pas encore manifesté explicitement l’intérêt de créer un projet commun avec l’ensemble des expériences de rénovation cinématographique (fussent-elles engagées ou pas dans la lutte pour la « libération » nationale et continentale). Le domaine latino-américain a été principalement mis en avant sous l’angle de l’échange commercial. Il a été surtout question des problèmes de production et de distribution rencontrés par les participants dans leurs pays68.
58En 1962, lors des expositions du cinéma latino-américain réalisées en Italie, s’organise la table ronde Le cinéma comme expression de l’identité latino-américaine, où les participants « ont souligné la nécessité d’établir la base commune pour une nécessaire et intense collaboration entre les différentes cultures latino-américaines69 ». Un an après, Alfredo Guevara, directeur de l’Institut cubain de l’art et l’industrie cinématographiques (ICAIC), déclarait que l’apport principal de la IVe Exposition avait été précisément de réunir différents cinéastes latino-américains qui jusqu’alors n’avaient pas pu échanger sur leurs expériences : « Les relations culturelles entre les pays latino-américains sont nulles ou chaotiques, et cette situation démontre paradoxalement la force, l’authenticité des liens, des énergies vitales souterraines qui nous unissent dans la diversité70. »
59Il est intéressant de constater comment pour Alfredo Guevara le fait d’être latino-américain implique l’existence d’une union latente et impérissable entre les cinéastes. Dans son discours il voit cette union comme une réalité intrinsèque qui se justifie de manière ontologique, même sans connaître auparavant les détails de chacune des cinématographies latino-américaines. Ces propos nettement utopiques trouveront un écho dans les années suivantes, surtout à partir de 1967, une fois que le projet du NCL aura été pleinement configuré.
60Presque à la même époque où Guevara écrivait ces lignes, Fernando Birri commençait en Argentine l’élaboration d’une série de postulats théoriques sur le cinéma documentaire, à partir de son expérience comme fondateur et directeur de l’Institut de cinématographie de l’Université nationale du Littoral71. À l’inverse de ses écrits précédents qui se limitaient au domaine cinématographique argentin, le texte Brevísima teoría del documental social en Latinoamérica (1962) a commencé à développer une série d’idées qui s’intéressaient au cinéma de la région. Selon le cinéaste argentin, le sous-développement était une réalité empirique dans le sous-continent, mais le cinéma latino-américain persistait à ne pas affronter ce fait et donnait une image déformée de la société, trop pointée sur la bourgeoisie. Face à cela, le cinéaste appelait à témoigner et dénoncer les injustices sociales et à mettre en relief les « valeurs positives » du peuple :
« Le sous-développement est une donnée incontestable de l’Amérique latine, y compris de l’Argentine. [...] Ses causes sont bien connues : le colonialisme externe et interne. Le cinéma des pays latino-américains reprend à son tour les caractéristiques générales de cette superstructure, de cette société, il la représente avec toutes ces déformations. Il donne une image fausse de la société, du peuple, il escamote le peuple : il ne donne pas une image du peuple. En donner une, alors, sera un premier pas positif : c’est la fonction du documentaire. Comment c’est l’image de la société donnée par le cinéma documentaire ? Il ne peut que donner l’image réelle. (Voilà la fonction révolutionnaire du documentaire social en Amérique latine). [...] Conclusion : il faut faire face à la réalité avec une caméra et la documenter, documenter le sous-développement. Le cinéma qui se rend complice du sous-développement est un sous-cinéma72. »
61Ces postulats sont l’une des premières manifestations claires du discours latino-américaniste qui caractérise le NCL – et ils seront développés ultérieurement par Birri dans d’autres textes au long des années soixante. Pour les cinéastes du NCL, le cinéma devait contribuer à la « libération » au niveau local sans perdre de vue un horizon plus large : la « libération » de la Patria Grande. C’est pourquoi dans beaucoup de films qui s’inscrivent dans le projet du NCL on trouve souvent des analogies entre les situations nationale et continentale73. Tout en suivant une stratégie un peu différente, les actualités cubaines, le Noticiero ICAIC Latinoamericano, dirigées par Santiago Álvarez, sont consacrées à rendre compte des mouvements sociaux, des actions des guérillas, ainsi que des opérations de guerre à l’échelle latino-américaine et mondiale. Des films tels que Now ! (1965), Hanoi, mardi 13 (1967) et 79 printemps (1969) témoignent bien de ce souci pour une révolution tiers-mondiste, soutenue par la Conférence Tricontinentale de La Havane74.
62La recherche d’une unité sous-continentale révèle une quête d’identité au sens qu’Amanda Rueda donne à cette expression : « L’identification/affirmation d’un lieu d’énonciation – lieu de référence, qu’il soit territorial, national, local, continental ou communautaire75. » L’importance du « lieu de référence » sert à expliquer le rôle fondamental qu’ont joué les festivals de Viña del Mar de 1967 et 1969 et le festival du cinéma documentaire d’Amérique latine de Mérida de 1968 dans le développement du NCL. Si ces festivals ont eu plus d’impact sur le cinéma révolutionnaire latino-américain que les rencontres réalisées en Italie c’est, peut-être, parce qu’il s’agit d’événements culturels organisés par des Latino-Américains et pour des Latino-Américains en Amérique latine. L’importance de ce fait au niveau symbolique ne peut nous échapper, surtout si l’on considère qu’à l’époque l’Europe était souvent associée à l’idée de métropole coloniale. Par ailleurs, la réalisation de ces rencontres sur le territoire latino-américain a facilité l’affluence de cinéastes autochtones.
Les rencontres de cinéastes et le concept d’unité latino-américaine
63« Nous aimerions qu’en ce jour joie et allégresse célèbrent la naissance de la nouvelle cinématographie de notre Amérique basanée76. » Le discours d’ouverture du festival de Viña del Mar de 1967, prononcé par Aldo Francia est un appel à l’unité du cinéma latino-américain. Nous constatons une volonté claire de faire du festival un événement marquant la naissance du projet cinématographique latino-américaniste, c’est-à-dire de créer une sorte de récit constitutif. Nous soulignons cet aspect, car au moment d’organiser le festival Aldo Francia et son équipe n’avaient pas une connaissance profonde des expériences de renouvellement cinématographique qui prenaient alors forme en Amérique latine. Son projet d’unité se fondait davantage sur la volonté que sur la connaissance pratique. Le 7 mars 1967, six jours après avoir proclamé la « naissance » du NCL Francia déclarait à la revue péruvienne Hablemos de cine : « Nous, les Chiliens, n’avons pas d’avis [sur le cinéma latino-américain] pour la simple raison qu’on ne voit pas ici le cinéma d’Amérique latine, il me semble que c’est pareil pour les autres pays77. »
64Cette méconnaissance généralisée fut soulignée à plusieurs reprises par la presse spécialisée et par les délégués invités à la Ire Rencontre de cinéastes latino-américains78. Quelque chose de similaire s’était produit lors des rencontres en Europe. Cela s’explique d’une part, parce que les circuits de distribution étaient dans les mains des entreprises étatsuniennes qui ne privilégiaient pas les productions latino-américaines, encore moins s’il s’agissait de films au discours progressiste ou antiaméricain, et d’autre part, dans une bonne partie des pays du sous-continent – à l’exception du Chili, de Cuba et de l’Uruguay – la censure interdisait maintes fois les films communistes. C’est pourquoi l’accès à ces films était difficile et se produisait de façon irrégulière, limité souvent à quelques ciné-clubs et à des projections clandestines.
65Le festival de Viña del Mar de 1967 qui s’annonçait comme le lieu de naissance d’une nouvelle cinématographie sous-continentale est consacré exclusivement au court-métrage. Le seul long-métrage latino-américain qui a participé à l’événement – hors compétition – était Le dieu noir et le diable blond (Glauber Rocha, 1964)79. Parmi les films en compétition on trouve, en tout cas, quelques-uns des plus représentatifs de la période comme Tire dié (Fernando Birri, Argentine, 1960), Now ! (Santiago Álvarez, Cuba, 1965), Revolución (Jorge Sanjinés, Bolivie, 1963) et Maioria absoluta (Leon Hirszman, Brésil, 1964). Cependant, l’absence de longs-métrages implique qu’au festival de Viña del Mar de 1967 l’accès aux productions cinématographiques latino-américaines était limité.
66Dans le cas du festival de Viña del Mar, la revendication d’un mouvement cinématographique sous-continental est antérieure à la connaissance d’une partie essentielle des films qui sont censés l’intégrer. Elle se fonde sur des positionnements idéologiques plus ou moins partagés. Cette méconnaissance est, à notre sens, la principale faiblesse de l’origine du NCL. Il a fallu attendre d’autres événements pour que lors de leurs rencontres en Amérique latine les cinéastes puissent voir les longs-métrages que réalisaient leurs voisins – notamment le Ier Festival de cinéma documentaire d’Amérique latine de Mérida, (1968), le IIe Festival de Viña del Mar (1969), les festivals du journal Marcha en Uruguay à partir de 1967 et, ensuite, les projections de la cinémathèque du Tiers-Monde, inaugurée en 1969 à Montevideo80. Néanmoins, il faut dire qu’il y avait déjà à ce moment-là des similitudes dans le travail pratique de certains cinéastes. De même les essais théoriques et les manifestes cinématographiques latino-américains – qui se répandaient plus vite que les films – se nourrissaient de l’expérience acquise au préalable sur les tournages.
67Au festival de Viña del Mar de 1967, Brésil, Argentine, Cuba et Chili sont les pays qui présentent le plus grand nombre de films en compétition81. Deux ans après, à l’édition suivante du festival, Cuba, le Brésil et le Chili sont encore les pays avec le plus de films sélectionnés82. Au-delà des pays de l’Amérique centrale, où la production cinématographique était presque inexistante, le grand absent est le Mexique. Les cinéastes mexicains restent plus ou moins à l’écart du réseau du NCL jusqu’à la fin des années soixante-dix. À Viña del Mar en 1967 et 1969, le pays ne présente que deux films, un à chaque édition, à Mérida le nombre monte à quatre, mais c’est moins que le Venezuela, le Pérou, la Colombie, Cuba, le Brésil et l’Argentine83.
68La Ire Rencontre de cinéastes latino-américains à Viña del Mar, à laquelle ont participé environ cinquante réalisateurs, s’avère un moment crucial pour discuter de l’union des cinémas du sous-continent. C’est pendant cette rencontre que fut proposée la création d’un organisme à caractère fédératif, le Centre latino-américain du nouveau cinéma et l’ouverture d’un Centre national du nouveau cinéma dans chacun des pays qui intègrent le Centre latino-américain. Les centres nationaux s’occuperaient de recueillir dans un catalogue tous les films du « nouveau cinéma », ainsi que de rédiger un rapport sur le marché cinématographique de leur pays. Ces centres seraient responsables d’encourager le travail des cinémathèques, des ciné-clubs et des circuits d’art et d’essai afin de promouvoir la diffusion et l’exploitation des films du NCL. En outre, la déclaration finale de la rencontre recommanda aux réalisateurs et producteurs des différents pays d’étudier avec leurs « voisins » des formes d’échange de films. À ces mesures s’ajoute l’organisation d’une Semaine du cinéma latino-américain qui serait proposée à un grand nombre de festivals internationaux (Acapulco, Berlin, Cannes, Columbianum, Montréal, Moscou, Pesaro, San Francisco, San Sebastián et Venise)84. Cependant, aucun des organismes cités précédemment ne fut créé, du moins à court terme. Pourquoi ces mesures ne furent-elles pas adoptées par les réalisateurs ? Les cinéastes manquèrent-ils de la coordination nécessaire pour mettre en marche le projet ? Y eut-il d’autres facteurs d’ordre politique qui ont empêché sa réalisation ? Peut-être que tous ces éléments ont joué un rôle dans l’échec de ces initiatives. Nous pouvons dire, tout au moins, qu’il n’y a plus eu d’allusions à ces projets dans les documents postérieurs au festival auxquels nous avons pu avoir accès.
69La plupart des films présentés à Viña del Mar en 1967 font preuve d’une préoccupation sociale. Cependant, parmi les caractéristiques de l’alliance naissante, on ne distingue pas un positionnement explicitement révolutionnaire. Par ailleurs, on oublie souvent que des cinéastes de la dite Génération du soixante argentine, dont Simón Feldman et Rodolfo Kuhn, sont allés au festival. Pourtant, ils n’ont pas participé par la suite au projet sous-continental85. En mars 1967, Alfredo Guevara mettait en relief le manque d’engagement révolutionnaire du festival : « On ne peut pas dire que le Ve Festival de Cinéma latino-américain était conçu comme l’expression d’un cinéma révolutionnaire, ou pour rassembler des révolutionnaires qui s’expriment au moyen du cinéma. » Il reconnaissait, pourtant, sa contribution à faire germer la « semence86 » révolutionnaire. La radicalisation du processus se manifestera lors des rencontres suivantes.
70En septembre 1968 a eu lieu à Mérida le Ier Festival de cinéma documentaire d’Amérique latine, une nouvelle rencontre des cinéastes qui défendaient l’idée selon laquelle le cinéma devait jouer un rôle important dans la « décolonisation culturelle » du sous-continent87. Bien que l’accent fût mis sur le film documentaire, le public a découvert des films de fiction de dénonciation sociale ou de conscientisation politique, notamment Sécheresse (Nelson Pereira dos Santos, 1963), La Morte (Leon Hirszman, Brésil, 1965) et Ukamau (Jorge Sanjinés, groupe Ukamau, Bolivie, 1966). Il s’agit du premier festival d’Amérique latine où fut projetée la première partie de L’Heure des brasiers (Octavio Getino, Fernando Solanas, Cine Liberación, 1968), l’un des films les plus représentatifs et polémiques de la période. Le film, interdit en Argentine son pays d’origine, remporta l’un des trois prix du festival. Les autres ont été décernés à Jorge Sanjinés et Santiago Álvarez.
71En termes quantitatifs les rencontres de cinéastes latino-américains des années soixante ont atteint leur point culminant au festival de Viña del Mar de novembre 1969. Un total de cent dix films fut projeté (longs et courts-métrages compris), soit à peu près le double de ce qui avait été présenté à Viña del Mar en 1967 et à Mérida en 1968. Le nombre de personnes du milieu cinématographique, ou proches de celui-ci, qui arrivent à Viña del Mar en provenance d’autres pays avoisine les cent cinquante. Si nous ajoutons les Chiliens, nous arrivons à deux cent cinquante personnes. Il faut souligner qu’une partie importante du public était constituée d’étudiants en cinéma d’Uruguay et d’Argentine qui arrivèrent au Chili en faisant de l’auto-stop. L’anecdote montre bien l’enthousiasme qu’éveillait le projet du NCL à la fin des années soixante. Ajoutons que l’invité d’honneur du festival fut Joris Ivens88.
72Nous constatons une radicalisation du discours latino-américaniste notamment de la part de la délégation cubaine et du groupe argentin Cine Liberación. Pour eux la « mission » du cinéma latino-américain n’était pas seulement de dénoncer le sous-développement, comme l’avait proposé Birri au début des années soixante. À leur avis, il fallait dépasser ces limites ; c’est pourquoi leur discours était beaucoup plus belligérant. Selon cette vision, résumé dans les pages de Cine Cubano consacrées au festival, le NCL devait être un « cinéma selon la plus stricte image latino-américaine, une image qui sera toujours d’opposition, de confrontation violente, et non plus défensive mais d’attaque désaliénant, de poussée verticale et définitive89 ». Ce discours situe l’origine du NCL dans le « combat » contre l’impérialisme. La lutte pour la « libération continentale » devient un devoir du cinéaste.
73Cette prise de position provoqua quelques polémiques entre les cinéastes partisans de la radicalisation du projet du NCL et ceux qui préféraient suivre une voie plus large, moins catégorique et pas forcement engagée dans la lutte armée. Bien qu’il serait erroné de croire qu’il y eut deux « groupes » opposés à l’intérieur du festival, on peut dire que la deuxième position fut soutenue notamment par la délégation chilienne. D’après Miguel Littin, à cause de l’absence d’un message explicitement révolutionnaire son film Le chacal de Nahueltoro (1969) fut accusé par les étudiants argentins et par Alfredo Guevara de « ne mener à rien90 ». Les cinéastes chiliens, pour leur part, furent très critiques à l’égard de Solanas et Getino et de leur film L’Heure des brasiers, en raison du ton grandiloquent de l’œuvre et de sa défense du péronisme91.
74Cette tension entre les deux manières de concevoir le NCL s’approfondit lors de la IIe Rencontre de cinéastes latino-américains. La délégation chilienne avait préparé pour l’occasion un programme qui avait pour objectif d’analyser la situation du « nouveau cinéma » et dont les points principaux étaient l’orientation thématique, la production et la distribution. On peut imaginer qu’ils voulaient donner une continuité aux débats qui avaient eu lieu lors de la rencontre de 1967. Cependant, le programme fut repoussé à la première session. On le remplaça, apparemment à l’initiative de la délégation cubaine, par quatre points : impérialisme et culture, cinéma et révolution, rapports nationaux, et enseignement au cinéma92. De même, Ernesto Guevara – mort deux ans plus tôt – fut nommé président honoraire de la rencontre, à la demande des étudiants argentins. Face à toute cette situation, une partie des cinéastes chiliennes se retira de la salle. Ils y revinrent peu après avec Raúl Ruiz comme porte-parole. Celui-ci invita, ironiquement, ceux qui voulaient parler de cinéma à le suivre dans la salle d’à côté, car : « On répète ici des lieux communs sur l’impérialisme et la culture que l’on peut lire dans n’importe quelle revue ; et ensuite Fernando Solanas vient nous raconter L’Heure des brasiers, qu’on a déjà vu hier soir93. »
75Malgré l’opposition d’une partie des cinéastes chiliens, la radicalisation du discours révolutionnaire semble avoir été l’une des principales caractéristiques du festival. D’après Octavio Getino : « La nécessité de radicaliser encore davantage cette ligne est parvenue à s’affirmer dans la mentalité des cinéastes latino-américains, étant donné que la situation historique du continent, ses luttes politiques, ses luttes de libération se sont également radicalisées94. »
76Au cours des mois précédant le festival, ainsi que dans les mois qui suivirent, sont apparus certains des plus importants manifestes du NCL : Revolución en la revolución del Nuevo Cine Latinoamericano (Fernando Birri, 1968) ; Vers un troisième cinéma (Octavio Getino et Fernando Solanas, 1969) ; Por un cine imperfecto (Julio García-Espinosa, 1969) ; O Cinema Novo e a aventura da criação (Glauber Rocha, 1968). Il s’agit de travaux de théorisation qui ont dépassé le cadre national en proposant des analyses continentales. Nous allons étudier certains de ces textes dans les prochains chapitres ; pour le moment nous nous limitons à souligner la proximité temporelle entre leur apparition et les rencontres des réalisateurs. La réflexion théorique se fonde essentiellement sur le travail pratique, mais elle va avoir des conséquences sur la manière de concevoir, de produire, de tourner, de distribuer et de projeter les films. De même les rencontres de cinéastes entretiennent des liens avec ces manifestes, soit parce que leurs postulats ont été discutés dans ces réunions, soit parce que ces réunions ont inspiré les postulats. Les deux phénomènes témoignent de l’éclosion du projet d’intégration cinématographique latino-américain.
77Le IIIe Festival de cinéma latino-américain de Viña del Mar qui devait avoir lieu en 1971 fut annulé à cause de conflits au sein des institutions organisatrices95. Au début des années soixante-dix, des colloques internationaux à Alger (1973), Buenos Aires (1974), Montréal (1974) continuent à être organisés. Ce sont de nouvelles occasions pour discuter sur le NCL, mais elles s’insèrent dans un cadre plus large : le projet tricontinental. En 1974, il se tient à Caracas une rencontre qui se veut explicitement l’héritière des expériences de Viña del Mar et de Mérida. Trois ans plus tard, en 1977, les organisateurs de la rencontre de Caracas planifièrent une nouvelle réunion à Mérida.
78Dans les déclarations finales des deux rencontres vénézuéliennes les cinéastes manifestent à plusieurs reprises que le NCL est un « cinéma latino-américain engagé dans la lutte pour la décolonisation culturelle et la libération nationale96 », mais en même temps ils mettent l’accent sur le fait que ce cinéma serait différent suivant les circonstances particulières de chaque pays et de chaque cinématographie. Seul ce type de cinéma fut considéré comme « authentiquement latino-américain97 » par les cinéastes réunis à Caracas et à Mérida. À la division entre « vieux » cinéma et « nouveau cinéma » qui avait marqué les débats des années soixante s’ajouta une autre divergence. Cette séparation drastique entre l’« authentique » cinéma latino-américain et un théoriquement « faux » cinéma latino-américain trouve son origine dans une interprétation péremptoire de l’utopie bolivarienne et a pour conséquence que seuls les films qui s’inscrivent dans le NCL seront considérés comme latino-américains : le reste des productions ne seront pas « vraiment » latino-américaines, car elles seront jugées utiles aux intérêts de l’« ennemi principal98 » (les États-Unis).
79Il faut prendre en compte, en tout cas, le contexte historique dans lequel ont été faites ces déclarations. Après l’échec des guérillas latino-américaines et le progressif isolement international de Cuba, la libération sous-continentale ne semblait pas si proche qu’on le considérait pendant les années soixante. L’attitude des cinéastes qui se sont rendus à Caracas et à Mérida a été influencée par la montée des dictatures au Chili, en Uruguay, en Bolivie et, depuis 1976, en Argentine. En effet, ils ont manifesté, lors des rencontres, leur solidarité avec les réalisateurs qui vivaient en dictature ou qui s’étaient exilés99. Cette dimension solidaire a été de plus en plus présente dans le discours des cinéastes du NCL à partir de cette époque. Ainsi, par exemple, la réunion de Caracas s’est achevée le 11 septembre 1974, le jour du premier anniversaire du coup d’État au Chili. Elle avait pour titre officiel : « Rencontre des cinéastes d’Amérique latine en solidarité avec le peuple et les cinéastes du Chili ».
80Sans doute, l’aspect le plus important de la rencontre de Caracas fut la création du Comité de cinéastes de l’Amérique latine. À la différence des précédentes tentatives de fédération, cette nouvelle initiative réussit à se maintenir dans le temps100. Le Comité de cinéastes fut, effectivement, l’organisateur de la rencontre de Mérida de 1977. Il participa dès lors à toutes les initiatives d’une certaine importance concernant le NCL qui furent réalisées à Cuba : la création du Festival international du Nouveau Cinéma latino-américain (1979), la création de la Fondation du Nouveau Cinéma latino-américain, FNCL (1985), la formation de l’École internationale de cinéma et de télévision de San Antonio de los Baños, EICTV (1986). Le comité s’avère fondamental pour la création d’une structure institutionnelle autour du NCL. Cependant, les fruits de ce processus sont très tardifs : ils arrivent à un moment où le projet d’unité latino-américaine est durement réprimé par les dictatures du continent.
81La FNCL et l’EICTV furent conçues comme des organisations non gouvernementales. Elles furent créées avec le soutien explicite de deux personnalités qui ne participèrent pas activement à l’origine du projet du NCL : Fidel Castro et Gabriel García Márquez. Le rôle joué par ces deux institutions a été important, respectivement pour la connaissance du patrimoine filmique et théorique des cinémas latino-américains et pour l’enseignement universitaire ; néanmoins, leur constitution impliqua un changement des stratégies de développement cinématographique défendues à la fin des années soixante par les promoteurs du NCL. Le positionnement subversif envers le cinéma dominant céda la place à des postures bien plus inclusives, ce qui fit qu’il devint de plus en plus difficile d’établir les limites entre le NCL et le reste des films latino-américains de l’époque. Comme l’explique Paranaguá : « Le Nouveau Cinéma latino-américain, bureaucratiquement institutionnalisé ou cristallisé par le festival et une Fondation au même nom, découvrit bien vite l’impossibilité de différencier qui est dedans de qui reste dehors, qui est de qui n’est pas101... » Il s’agit, par ailleurs, d’organisations prêtes à recevoir la coopération d’agents avec lesquels elles n’auraient pas eu envie de s’associer dans les années soixante, même si cela avait été possible. À ce sujet, il faut signaler que la Fondation du NCL a reçu le soutien de l’Agence espagnole de coopération internationale pour le développement (AECID) et du département de Culture de la junte andalouse.
82Dans les années quatre-vingt et au début de la décennie suivante, le NCL a continué à être défendu, mais sans la force qu’il avait connue auparavant. Les nouvelles générations de cinéastes latino-américains ont de moins en moins invoqué la pertinence d’une unité cinématographique sous-continentale. Nous remarquons une certaine méfiance et même un rejet face aux discours artistiques qui s’arrogent le droit de parler au nom d’une collectivité (la nation, les peuples latino-américains). Les expériences cinématographiques sont de plus en plus fragmentaires. Comme l’explique Richard : « L’histoire et la société se sont brisées en une multidirectionnalité de signifiés partiels et transitoires qui n’admettent plus de constructions globalisantes102. »
83La crise du NCL est en rapport avec l’amoindrissement des guérillas latino-américaines et avec le déclin des projets révolutionnaires. Les dictatures des années soixante-dix et quatre-vingt ont eu une responsabilité directe dans l’échec des projets artistiques d’inspiration latino-américaniste, dont le NCL. Cependant, d’après Néstor García Clanclini, ce n’est pas la seule raison du naufrage de ces phénomènes. Il y a eu de la part des acteurs culturels engagés dans ces projets une « surestimation des mouvements transformateurs, sans considérer la logique du développement des champs culturels103 ». Les intellectuels latino-américains avaient accordé trop d’importance au phénomène de la dépendance, sans prendre assez en compte les processus de stratification des produits culturels ainsi que la segmentation des publics qui était en train de se développer. Selon l’analyse de Canclini, l’appel à la socialisation de l’art, ainsi que la volonté de créer des œuvres destinées à un public populaire, mais qui soient aussi expérimentales dans la forme, entrent en contradiction avec l’expansion et la spécialisation du marché culturel :
« Ceux qui travaillaient à la rationalité expansive et rénovatrice du système socio-culturel étaient ceux-là même qui voulaient démocratiser la production artistique. En même temps qu’ils renforçaient les pratiques de différenciation symbolique – l’expérimentation formelle, la rupture avec les savoirs communs – ils cherchaient à fusionner avec les masses104. »
84Il faut remarquer que Canclini pense plutôt à la littérature et aux arts visuels qu’au cinéma. Dans le cinéma la dépendance est beaucoup plus marquée que dans le reste des champs artistiques, à cause de la subordination technologique, de la dépendance vis-à-vis de la pellicule vierge étrangère et du contrôle des circuits de distribution et de promotion de la part des entreprises nord-américaines. Il faut ajouter à cela l’exil d’un grand nombre de réalisateurs et la censure des régimes militaires. Il est nécessaire de prendre aussi en compte ces raisons pour expliquer pourquoi les films du NCL n’ont pas connu les « faveurs » d’un public populaire et massif.
85Il est certain que les projections clandestines n’ont pas résolu le problème de la censure, car elles se sont limitées à un public restreint qui était proche des idées défendues dans les films. À ce sujet, certains cinéastes du NCL ont montré plus de volontarisme que de stratégie à l’heure de rompre le cercle de l’exclusion. Une manière plus efficace d’atteindre le public a été d’entrer sur le marché en faisant des films en apparence anodins pour la dictature. La métaphore et l’allégorie ont été une bonne manière d’introduire des réflexions critiques. En effet, les cinéastes brésiliens de la fin du Cinema Novo ont beaucoup utilisé l’allégorie, notamment Glauber Rocha avec Terre en transe (1967) et Antonio das Mortes (1969) et Joaquim Pedro de Andrade avec Macunaïma (1969) et Os inconfidentes (1972). Cependant, dans le reste de l’Amérique latine, les allusions indirectes ou codées aux dictatures – pas forcément sous la forme d’allégories – ont davantage été mises en avant par des réalisateurs qui ne se sont pas identifiés avec le projet sous-continental ; par exemple, en Argentine, Adolfo Aristaraín (Le temps de la revanche, 1981 ; Les derniers jours de la victime, 1982), Alejandro Doria (La isla, 1978 ; Los miedos, 1980), Mario Sábato (El poder de las tinieblas, 1979), et, au Chili, Silvio Caiozzi (Julio commence en juillet, 1977) et Cristián Sánchez (El zapato chino, 1979, et Los deseos concebidos, 1982)105.
86À partir des années quatre-vingt, parallèlement à la crise du projet continental, le NCL a fait l’objet d’une série d’analyses rétrospectives plutôt laudatives, réalisées par ses propres protagonistes. Comme l’expliquent Alberto Elena et María Díaz López, le NCL « a généré ses propres mythes, son propre panthéon d’illustres cinéastes106 ». Fernando Birri, par exemple, parle des « maîtres fondateurs du Nouveau Cinéma latino-américain » en référence à Rocha, Pereira dos Santos, Littin, Gutiérrez Alea et Solanas107. Birri lui-même est souvent appelé le « père du Nouveau Cinéma latino-américain ». Au-delà de cette vision assez mythifiée, ce qui attire notre attention c’est que ce sont précisément les protagonistes du NCL qui ont fait reculer l’origine du phénomène de quelques années, en le faisant concorder avec d’autres moments de l’histoire du cinéma latino-américain dont la création de l’ICAIC en 1959108 ou la création de l’École documentaire de Santa Fe en 1956. D’après ces points de vue, le NCL surgit dès le moment où se manifestent les premières tentatives de renouvellement cinématographique en Amérique latine. Octavio Getino énonce une idée similaire à propos du festival de Viña del Mar de 1967 :
« Le Nouveau Cinéma latino-américain s’est affirmé au cours de cette rencontre mais il n’y est pas né et cela mérite d’être rappelé pour éviter toute équivoque. Il est né au moment précis où les premiers cinéastes de divers pays latino-américains ont choisi de se confronter au risque [...] de porter sur les écrans nationaux les images, idées et rêves de nos cultures, en allant bien au-delà de ce qui semblait possible109. »
87Il s’avère difficile de situer l’origine du NCL en suivant les critères avancés par Getino. En fin de compte, le cinéma en tant qu’expression artistique n’a-t-il pas toujours exprimé en images des idées et des rêves ? Il semblerait que Getino fasse référence aux premières expériences de renouvellement cinématographique engagées dans un projet révolutionnaire, au sens politique. Le problème de cet argument est qu’au moment où commencent à paraître ces manifestations les réalisateurs s’intéressaient éminemment aux problèmes nationaux. La préoccupation pour le cas latino-américain n’était pas encore patente ou, du moins, était loin d’être évoquée par les cinéastes.
88À mon avis le concept de NCL surgit au moment où les réflexions des cinéastes intègrent la dimension sous-continentale. Comme l’explique Zuzana M. Pick : « Cet idéal supranational constitue le fondement idéologique du mouvement. Cet idéal a également été à la base du processus d’auto-définition qui a caractérisé le Nouveau Cinéma latino-américain110. » L’appel à l’unité latino-américaine est un principe essentiel du NCL. Sans cet élément on ne pourrait pas différencier le NCL d’autres phénomènes de rénovation cinématographique latino-américains. Si le NCL est un projet sous-continental, alors il ne peut surgir que quand l’appel à l’unité se manifeste dans les films, les réunions et les textes des réalisateurs latino-américains. Il s’agit d’un processus qui commence, comme nous l’avons vu, au début des années soixante et qui trouve son éclosion pendant les festivals de Viña del Mar et de Mérida.
Notes de bas de page
1 Selon Manuel Pérez Estremera « le concept se confond avec l’excessivement simple [concept] de cinéma latino-américain produit récemment ». Pérez Estremera M., « Una visión europea pero latina », Universidad Nacional Autónoma de México, El Nuevo Cine Latinoamericano en el mundo de hoy, Mexico, Universidad Autónoma de México, 1988, p. 116 (nous traduisons).
2 Angell A., « La izquierda en América Latina desde c. 1920 », L. Bethell (ed.), Historia de América Latina. Política y sociedad desde 1930, vol. XII, Barcelone, Cambridge University Press, 1997, p. 97.
3 Dans les deux pays les principaux partis ont conclu un pacte pour se partager le pouvoir.
4 Dabène O., L’Amérique latine à l’époque contemporaine, Paris, Armand Colin, 2006, p. 102-106.
5 Angell A., op. cit., p. 101.
6 Ces groupes se fondent sur des bases idéologiques différentes et parfois opposées : trotskisme, maoïsme, castrisme, etc. Dans ce chapitre, nous tentons d’offrir une explication générale du phénomène, l’analyse des guérillas du sous-continent latino-américain excédant les limites de notre recherche.
7 Guevara E., « Lettre à la Tricontinentale », M. Löwy (dir.), Le marxisme en Amérique latine, de 1909 à nos jours (anthologie), Paris, François Maspero, 1980, p. 286.
8 Löwy M., op. cit., p. 58.
9 « C’est l’heure de l’appel, et de la marche à l’unisson, et il nous faut avancer en formation serrée, comme les filons d’argent au cœur des Andes », Martí J., La Guerre de Cuba et le destin de l’Amérique latine, Paris, Aubier Montaigne, 1973, p. 57, 59.
10 Angell A., op. cit., p. 102 ; Del Pozo J., Histoire de l’Amérique latine et des Caraïbes, de 1825 à nos jours, Paris, Nouveau Monde, 2006, p. 348.
11 Chevalier F., L’Amérique Latine de l’Indépendance à nos jours, Paris, Presses universitaires de France, 1993, p. 252.
12 Dabène O., op. cit., p. 119-120.
13 Lancha C., Histoire d’Amérique hispanique de Bolivar à nos jours, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 449-450.
14 Dabène O., op. cit., p. 131.
15 Vayssière P., Les Révolutions d’Amérique latine, Paris, Le Seuil, 2001, p. 185.
16 Dabène O., op. cit., p. 120-121.
17 Roxborough I., « La clase trabajadora urbana y el movimiento obrero en América latina desde 1930 », L. Bethell (ed.), op. cit., p. 180.
18 Del Pozo J., op. cit., p. 332-333.
19 Angell A., op. cit., p. 115 (nous traduisons).
20 Littin M., « Lo desmesurado, el espacio real del sueño americano », Fundación Mexicana de Cineastas, Hojas de cine, Testimonios y documentos del Nuevo Cine latinoamericano, vol. I., Mexico, Dirección General de Publicaciones y Medios, Secretaría de Educación Pública, Fundación Mexicana de Cineastas, UNAM, 1988, p. 367, 371.
21 Cité par Getino O. et Velleggia S., El cine de « las historias de la revolución ». Aproximación a las teorías y prácticas del cine de « intervención política » en América Latina (1967-1977), Buenos Aires, Altamira, 2002, p. 18 (nous traduisons).
22 Lettre adressée à Alfredo Guevara, Rome, le 3 novembre 1967. Cité par Avellar J. C., A ponte clandestina, op. cit., p. 9 (notre traduction, nous soulignons).
23 Birri F., « Cine e identidad regional y continental », F. Birri, Fernando Birri, por un nuevo nuevo nuevo cine latinoamericano (1956-1991), Madrid, Cátedra, Filmoteca Española, ICAA, Ministerio de Cultura, 1996, p. 200-201 (nous traduisons).
24 D’autre part, en marge de l’idée de nouveauté, on souligne que Birri emploie le terme « Mellizo » (jumeau dizygote ou faux jumeau) pour désigner les cinéastes. Le terme sert à renforcer l’idée d’« unité dans la diversité » – les cinéastes sont comme des faux jumeaux : similaires, mais différents –, l’une des bases sur lesquelles repose le projet d’unité latino-américaine du NCL ; nous y reviendrons.
25 Ibidem (nous traduisons).
26 Shohat E. et Stam R., Multiculturalismo, cine y medios de comunicación, Barcelone, Paidós, 2002, p. 155-157.
27 Martí J., op. cit., p. 73-75 (nous soulignons).
28 Casetti F., Les Théories du cinéma depuis 1945, Paris, Nathan, 1999, p. 87.
29 Dans une bonne partie des pays d’Amérique latine les jeunes cinéastes réagissent contre la faible qualité des films et l’engourdissement de studios assez précaires, ou pratiquement inexistants.
30 Dans le cas français voir l’analyse du marché cinématographique faite par Marie M., La nouvelle vague, une école artistique, Paris, Nathan, 1997, p. 17-24.
31 Comme l’a montré Marie, il s’agit d’un parti pris esthétique. Une analyse financière du marché français montre que ce sont les films à petit budget les plus susceptibles de perdre de l’argent. Ibidem, p. 47.
32 Truffaut F., « Une certaine tendance du cinéma français », Cahiers du Cinéma, n° 31, janvier 1954, p. 15 et suiv.
33 Dans le cas français nous pouvons citer les groupes Dziga Vertov, Cinéthique, Cinélutte, SLON, etc. Ces collectifs ont de très différentes manières d’envisager le rôle du cinéma dans la remise en question de la société capitaliste, qui mènent à une série de méthodes, structures et discours hétérogènes : de la quête des nouvelles formes autonomes du cinéma à la mise en valeur des techniques traditionnelles ; du traitement des conflits à l’échelle internationale à l’intérêt pour les conflits régionaux ; du financement des chaînes de télévision au soutien des petits groupes syndicaux ; de la projection en salles commerciales à la projection dans le siège d’une association paysanne. Faroult D. et Leblanc G., Mai 68 ou le cinéma en suspens, Paris, Éditions Syllepse, 1998, p. 10-25.
34 Astruc A., « Naissance d’une nouvelle avant-garde : la caméra-stylo », L’Écran français, n° 144, 30 mars 1948, p. 5.
35 Stam R., Teorías del cine, Barcelone, Paídos, 2001, p. 107 (nous traduisons).
36 Cité par Stam R., ibidem, p. 110.
37 Nous remarquons, à ce sujet, l’importance des travaux théoriques et pratiques de L’École documentaire de Santa Fe et du groupe Cine Liberación en Argentine ainsi que du cinéaste Julio García-Espinosa à Cuba. Dans les deux premiers cas, leurs films – et le cinéma – ont été pensés comme l’œuvre d’un collectif qui représente les inquiétudes du peuple. Pour sa part, García-Espinosa a voulu le dépassement de la séparation entre auteur et peuple et l’émergence d’un peuple-auteur. Casetti F., op. cit., p. 94.
38 Jullier L. et Leveratto J. M., Cinéphiles et cinéphilies : une histoire de la qualité cinématographique, Paris, Armand Colin, 2014.
39 Amengual B., « Les nouvelles vagues », cité par Marie M., ibidem, p. 109.
40 Casetti F., op. cit., p. 89.
41 Le concept a été développé par Ernesto Guevara dans le texte L’homme Nouveau, 1965. Frantz Fanon l’évoque lui aussi : « Il faut faire peau neuve, développer une pensée neuve, tenter de mettre sur pied un homme neuf », Fanon F., Les damnés de la terre, Paris, La Découverte, 2002, p. 305.
42 Marie M., op. cit., p. 10.
43 Ibidem.
44 Cité par Viany J., « Brasil, Cine brasileño/El viejo y el nuevo », R. Garcés et A. Guevara (org.), Los años de la ira : Viña del Mar 67, La Havane, Editorial Nuevo Cine Latinoamericano, 2007, p. 40. Il faut rappeler, en tout cas, que lorsque les réalisateurs latino-américains ont fait ces déclarations, en Europe un bon nombre de cinéastes des « nouveaux cinémas » avaient commencé à utiliser un langage plus ouvertement politisé.
45 Nous suivons, avec quelques modifications, le classement proposé par Paranaguá P. A., Tradición y modernidad en el cine de América Latina, Madrid, Fondo de Cultura Económica, 2003, p. 23-26.
46 Marie M., op. cit., p. 25.
47 Ibidem, p. 27.
48 Ibidem, p. 27.
49 Ficamos B., Cinema Novo : avant-garde et révolution, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2013.
50 Au congrès ont assisté principalement des représentants argentins (13) et uruguayens (5). La Bolivie, le Brésil, le Chili et le Pérou n’ont eu qu’un seul délégué chacun. « Primer Congreso Latinoamericano de Cineístas Independientes », Fundación, Mexicana de Cineastas, op. cit., p. 539.
51 Il y a eu au moins trois rencontres de cinéastes avant celle de Montevideo : le congrès hispano-américain de cinéastes (Madrid, 1931), et les Ier et IIe Festival cinématographique hispano-américain (Madrid, 1948 et 1950), mais il s’agit de rencontres de type ibéro-américains, c’est-à-dire qu’elles comprennent la péninsule Ibérique. Getino O., « La integración como idea y como posibilidad », Fundación del nuevo cine latinoamericano, Un lugar en la memoria : Fundación del Nuevo Cine Latinoamericano 1985-2005, La Havane, Diputación Provincial de Córdoba et Fundación del Nuevo Cine Latinoamericano, 2005, p. 184.
52 Les expositions du cinéma latino-américain n’ont pas été exemptes de problèmes politiques. Lors de la deuxième édition (1961) les films de la délégation cubaine ont été bloqués à la douane italienne, ce qui a suscité des protestations de la critique spécialisée accréditée au festival. Deux ans plus tard les autorités italiennes ont essayé d’interdire la projection des documentaires cubains Primer Carnaval Socialista (Alberto Roldán, 1962) et Y me hice maestro (Jorge Fraga, 1961). Les organisateurs du festival ont réussi à l’empêcher, mais ils ne sont pas parvenus à éviter le blocage en douane du long-métrage de l’ICAIC Cuba 58 (Jorge Fraga, José Miguel García Ascot, 1962). Guevara A., « Sestri Levante, IV reseña del Cine Latinoamericano », Fundación del nuevo cine latinoamericano, op. cit., p. 20-21 (publié à l’origine dans Cine Cubano, 1963, n° 3).
53 Guevara A., « III Exposición de cine Latinoamericano », Cine Cubano, n° 7, 1962, p. 5-6.
54 D’après Alfredo Guevara à la IIIe Exposition ont assisté des délégués de l’Argentine, du Brésil, du Mexique, de Cuba, de la Bolivie, du Chili, de la Colombie, du Paraguay, de l’Uruguay et du Venezuela. Cependant, la déclaration final de la rencontre (Declaración del cine latinoamericano independiente) a été signée par les représentants de l’Argentine, du Brésil, du Mexique, de Cuba, de la Colombie, du Pérou de l’Uruguay et du Venezuela. Guevara A., « III Exposición de cine Latinoamericano », Cine Cubano, n° 7, 1962, p. 5-60 ; « Declaración del cine latinoamericano independiente », Fundación del nuevo cine latinoamericano, op. cit., p. 16.
55 « Declaración del cine latinoamericano independiente », Fundación del nuevo cine latinoamericano, op. cit., p. 15 (nous traduisons).
56 Chatelet C., Des mythes et des réalités de l’avant-garde à Dogme 95, entre tradition et invention, thèse sous la direction de G. Chapouillié, université de Toulouse 2-Le Mirail, École supérieure d’audiovisuel, 2004, p. 240-241.
57 « Primer Congreso Latinoamericano de Cineístas Independientes... », op. cit., p. 541 (nous traduisons).
58 « Declaración del cine latinoamericano independiente », loc. cit. (nous traduisons).
59 « Decisión final de la mesa redonda sobre los problemas y las perspectivas del cine latinoamericano », Fundación del nuevo cine latinoamericano, op. cit., p. 17.
60 Le Ier Festival de cinéma latino-américain est aussi connu comme le Ve Festival de cinéma de Viña del Mar. Il était organisé par le ciné-club de cette ville, créé par le pédiatre Aldo Francia. Le festival existait depuis 1962 et il était consacré exclusivement au court-métrage pendant ses cinq premières éditions. Au début, Viña del Mar avait été conçu comme un festival de cinéma amateur national (1962) et ensuite comme un festival amateur international (1963 et 1964) avec une grande présence de films européens. Par contre, le IVe Festival a été exclusivement national et les organisateurs ont laissé de côté le caractère « amateur » afin d’inclure les productions des écoles du cinéma chiliennes. Les films vainqueurs de cette édition ont représenté le Chili au festival de 1967. Francia A., Nuevo Cine Latinoamericano en Viña del Mar, Santiago, CESOC, Chile-América, 1990, p. 61, 110.
61 « Resoluciones aprobadas por el Primer Encuentro de Cineastas Latinoamericanos en Viña del Mar », R. Garcés et A. Guevara, op. cit., p. 66.
62 Francia A., op. cit., p. 122-125.
63 Littin M., « Discurso inaugural de Miguel Littin : Viña del Mar 1967 », A. Francia, op. cit., p. 35-36 (nous traduisons).
64 Birri. F., « La Metáfora Viva », F. Birri, Fernando Birri... op. cit., p. 107, 110.
65 Birri. F., « Poema en forma de ficha filmográfica », F. Birri, Fernando Birri... op. cit., p. 159, 161 (nous traduisons).
66 Voir le sous-titre du texte : Birri F., « Manifiesto de los treinta años del Nuevo Cine Latinoamericano. El alquimista democrático. Por un Nuevo Nuevo Nuevo Cine Latinoamericano », F. Birri, Fernando Birri... op. cit., p. 20.
67 García-Espinosa J., « Por un cine imperfecto (veinticinco años después) », M. Naito (org.), A cuarenta años de Por un cine imperfecto, La Havane, Cinemateca de Cuba, ICAIC, 2009, p. 29.
68 Les principales mesures qui ont été invoquées le montrent bien : libérer les douanes pour l’entrée de pellicule vierge et d’équipements ; promouvoir l’échange réciproque et équilibré de films ; intégrer le cinéma des pays latino-américains dans le projet un Marché commun latino-américain. « Primer Congreso Latinoamericano de Cineístas Independientes... », op. cit., p. 537-543.
69 Guevara A., « III Exposición de cine latinoamericano », op. cit., p. 3 (nous traduisons).
70 Guevara A., « Sestri Levante, IV reseña del Cine Latinoamericano », op. cit., p. 20 (nous traduisons).
71 Il développe ces idées dans le livre La Escuela de Santa Fe (1963). Birri a dû s’exiler en Brésil et Italie peu après avoir fini le livre. Birri F., « La Escuela documental de Santa Fe. Saldo de una experiencia », F. Birri, Fernando Birri..., op. cit., p. 229.
72 Birri F., « Brevísima teoría del documental social », F. Birri, Fernando Birri... op. cit., p. 234-235.
73 Un exemple est L’Heure des brasiers (Getino, Solanas, 1968) : si le film se livre à une analyse critique de la situation politique et sociale de l’Argentine, les références au contexte latino-américain sont constantes.
74 Sur les rapports entre le cinéma et le Mouvement tricontinental voir : Hadouchi O., Le Cinéma dans les luttes de libération : genèses, initiatives pratiques et inventions formelles autour de la Tricontinentale (1966-1975), thèse sous la direction de N. Brenez, université Paris III, 2012.
75 Rueda A., Médiation et construction des territoires imaginaires des « Cinémas latino-américains ». Le cas des Rencontres Cinémas d’Amérique latine de Toulouse, thèse sous la direction de R. Boure et de P. Molinier, université Toulouse 2-Le Mirail, École supérieure d’audiovisuel, 2006, p. 120.
76 Francia A., op. cit., p. 120 (nous traduisons).
77 Frías I. L., Cárdenas F. « Entrevista con Aldo Francia », R. Garcés et A. Guevara, op. cit., p. 88 (nous traduisons).
78 Francia A., op. cit., p. 141.
79 Étant donné l’absence d’une production stable de longs-métrages au Chili, l’organisation du festival de Viña del Mar a décidé de ne pas faire une sélection officielle de longs-métrages, car ceci aurait signifié l’exclusion des films nationaux de la compétition principale.
80 Les cinéastes qui étaient allés aux festivals du Colombianum, Pesaro, Karlovy Vary, Cannes, Venise, etc., avaient pu avoir accès à un certain nombre de films latino-américains. Cependant, la quantité de réalisateurs du sous-continent qui avaient eu l’occasion d’aller à ces évènements était plutôt réduite. Sur les rencontres uruguayens voir : Tal T., « Cine y revolución en la Suiza de América, la Cinemateca del Tercer Mundo en Montevideo », Araucaria Rev. Iberoamericana de Filosofía, Política y Humanidades, n° 9, janvier-juin 2003, disponible sur : [http://alojoptico.us.es/Araucaria/nro9/ideas9_3.pdf] (consulté le 21 décembre 2014).
81 Un total de 54 courts-métrages fut projeté, en provenance d’Argentine (17), de Bolivie (1), du Brésil (18), de Cuba (3), du Chili (9), du Mexique (1), du Pérou (1), de l’Uruguay (2) et du Venezuela (2). Francia A., op. cit., p. 122-125.
82 Respectivement vingt, quinze et quatorze sur un total de cent dix longs et courts-métrages. Aux pays qui ont participé au festival de Viña del Mar en 1967 s’ajoute la Colombie en 1969. Ibidem, p. 157-159.
83 En 1969, le Mexique présente à Viña del Mar Fando et Lis d’Alejandro Jodorowsky (1968), dont les préoccupations spirituelles et mystiques étaient opposées au discours politique assez explicite des cinéastes présents au festival. Le film a été durement critiqué à Viña del Mar, accusé d’européanisant, d’aliéné et de contre-exemple du cinéma latino-américain. Nuñez F., O qué é nuevo cine latinoamericano ? O cinema moderno na América Latina segundo as revistas cinematográficas especializadas latinoamericanas, thèse sous la direction de A. C. Amancio Da Silva, université fédérale Fluminense, Nitéroi, 2009, p. 356.
84 « Resoluciones aprobadas por el Primer Encuentro de Cineastas Latinoamericanos en Viña del Mar », Garcés R. et Guevara A., op. cit., p. 66.
85 Le jury était composé des Chiliens Aldo Francia, Patricio Kaulen et Hans Ehrmann ; du Brésilien Alex Viany ; du Cubain Alfredo Guevara ; de l’Uruguayen José Wainer et de l’Argentin Agustín Mahieu. Wainer et Mahieu étaient des critiques de cinéma et ils ont participé au jury du festival de Mérida. Le critique et cinéaste Alex Viany a remplacé Nelson Pereira dos Santos. Garcés R. et Guevara A., op. cit., p. 35.
86 Ibidem, p. 145.
87 Dix pays et 61 films participent à la compétition officielle : Argentine (12), Brésil (13), Bolivie (3), Chili (2), Colombie (6), Cuba (7), Mexique (4), Pérou (5), Uruguay (3) et Venezuela (6). Nuñez F., op. cit., p. 513.
88 Francia A., op. cit., p. 154-156.
89 Vega P., « Segundo encuentro de cineastas latinoamericanos y segundo festival del nuevo cine latino americano », Cine Cubano, n° 60-62, 1970, p. 14.
90 Selon Littin, Guevara lui a conseillé de ne pas projeter le film à nouveau : « Alfredo Guevara – une personne très importante dans la formation du mouvement de cinéma latino-américain – qui m’a dit : “Garde-le, ne le montre pas. Ce film ne conduit à rien”. » José Román, l’un des organisateurs du festival, confirme ce fait : « Littin voulait parler avec Guevara, et il m’a demandé que je lui serve d’intermédiaire pour arriver à lui [...]. J’ai donc commenté à Guevara que Littin voulait s’entretenir avec lui. Il m’a dit : “D’accord, il m’intéresse en tant que personne, mais son film ne m’intéresse pas beaucoup” » (interviews de Miguel Littin et José Román avec l’auteur).
91 Francia A., op. cit., p. 161.
92 Ibidem, p. 167.
93 Ehrmann H., « Incidente fronterizo », Revista Ercilla, n° 1788, 1969. Reproduit par Francia A., op. cit., p. 168 (nous traduisons). Il faut prendre en compte que Ruiz s’est toujours montré très peu intéressé par le projet du NCL, à la différence de bien d’autres réalisateurs chiliens dont Francia et Littin.
94 « Octavio Getino habla de los festivales de Viña del Mar y Mérida », Cine Cubano, n° 60-62, 1970, p. 104 (nous traduisons).
95 L’organisation du festival est devenue la responsabilité de l’École de cinéma de l’université du Chili. Selon Aldo Francia la direction de l’école – aux mains de militants du Parti communiste – s’opposait aux idées favorables à la voie armée qui s’étaient implantées dans le festival et qu’une bonne partie des étudiants défendaient. Ce conflit, typique des tensions à l’intérieur de la gauche pendant le gouvernement d’Allende, a été à l’origine des blocages universitaires qui se sont soldés par l’annulation du festival. Francia A., op. cit., p. 172-173.
96 Comité de Cineastas de América Latina, Por un cine en América Latina : Encuentro de Cineastas latinoamericanos en solidaridad con el pueblo y los cineastas de Chile, op. cit., p. 10 (nous traduisons).
97 Comité de Cineastas de América Latina, Por un cine en América Latina : V Encuentro de Cineastas latinoamericanos, op. cit., p. 9, 15 (nous traduisons).
98 Ibidem, p. 7.
99 Quelques réalisateurs, techniciens et acteurs ont été assassinés par le terrorisme d’État : Jorge Cedrón, Raymundo Gleyzer, Enrique Juárez, Pablo Szir, Jorge Troxler (Argentine) ; Jorge Müller (Chili). Pendant les années soixante-dix, le nombre de cinéastes latino-américains qui s’exilent est très élevé : Octavio Getino, Rodolfo Kuhn, Lautaro Murúa, Humberto Ríos, Fernando Solanas, Gerardo Vallejo (Argentine), Alfonso Gumucio-Dragón, Jorge Sanjinés (Bolivie), Sebastián Alarcón, Sergio Castilla, Pedro Chaskel, Patricio Guzmán, Miguel Littin, Raúl Ruiz, Carlos Sapiain, Valeria Sarmiento, Helvio Soto (Chili), Walter Achugar, Mario Handler, Walter Tournier (Uruguay), parmi d’autres.
100 Selon Edmundo Aray, l’un de ses créateurs, la source d’inspiration du Comité se trouve dans le Centre latino-américain du nouveau cinéma qui avait été envisagé à Viña del Mar. Aray E., « La memoria sigue viva », Fundación del nuevo cine latinoamericano, op. cit., p. 7.
101 Paranaguá P. A., op. cit., p. 214 (nous traduisons).
102 Richard N., « Neovanguardia y posvanguardia : el filo de la sospecha », A. M. de Moraes Belluzzo (ed.), Modernidade : Vanguardas artísticas na América Latina, São Paulo, Memorial Unesp, 1990, p. 198 (nous traduisons).
103 García Clanclini N., « La modernidad después de la posmodernidad », A. M. de Moraes Belluzzo (ed.), ibidem, p. 223-224 (nous traduisons).
104 Ibidem (nous traduisons).
105 Millán F. J., La memoria agitada, cine y represión en Chile y Argentina, Huelva, Fundación Cultural de Cine Iberoamericano de Huelva, 2001, p. 85, 109-112.
106 Elena A. et Díaz López M., The cinema of Latin America, Royaume-Uni, Anthony Rowe, Chippenham, Wiltshire, 2003, p. 11 (nous traduisons).
107 Birri F., Soñar con los ojos abiertos : las treintas lecciones de Stanford, Buenos Aires, Aguilar, Alfaguara, 2007, p. 151.
108 Guevara A., « Discurso inaugural del I Festival Internacional del Nuevo Cine Latinoamericano », Cine Cubano, n° 97, 1980, p. 2.
109 Getino O., « A veinte años de Viña del Mar : Romper las comillas al Realismo », Universidad Nacional Autónoma de México, El Nuevo Cine Latinoamericano en el mundo de hoy, Mexico, Universidad Nacional Atónoma de México, 1988, p. 64 (nous traduisons).
110 Pick Z., op. cit., p. 3 (nous traduisons).
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