La culture du livre en Hongrie et en Europe centrale à l’Époque moderne (XIVe-XIXe siècle)
p. 143-168
Texte intégral
« L’expérience m’a
prouvé que la sagesse se vend et
s’achète, comme les autres choses. En
Europe, plus vous dépensez, plus vous
apprenez [...]. Il faut, mon ami, des
livres ; il faut des professeurs
particuliers, qu’on doit payer ; il faut
la société des hommes savants, plus
nécessaire, peut–être, que la lecture
même, et, pour en jouir, il est
nécessaire de la cultiver et de
l’arroser par quelques menus cadeaux. Et
que ne faut-il pas encore... ? »
Coray, Lettres [...] au protopsalte
de Smyrne, 25 décembre 1783.
1Le sujet que je me propose d’aborder ici est évidemment beaucoup trop vaste pour pouvoir être traité autrement que sous la forme d’une introduction très rapide : je ne ferai donc qu’insister sur quelques points qui me paraissent plus particulièrement significatifs d’une histoire par bien des égards proches de la nôtre, en Europe de l’Ouest, et pourtant fondamentalement différente. L’Europe occidentale redécouvre en ce moment même ce que l’on pourrait appeler « l’autre Europe1 », cette Europe longtemps enfermée derrière le rideau de fer et dont nous commençons seulement à nous demander aujourd’hui où sont ses frontières « naturelles ». L’historien, et l’historien du livre, ont sans doute ici leur mot à dire, pour aider à une meilleure connaissance de logiques et de phénomènes trop longtemps complètement occultés, au point d’avoir pratiquement disparu de la mémoire collective2.
Espaces
Une géographie complexe et peu favorable au livre
2Mais, tout d’abord, de quoi parlons-nous ? Le concept même d’Europe centrale et orientale apparaît comme tout particulièrement flou et difficile à cerner – au point d’avoir suscité, dans le langage technocratique bruxellois, l’appellation générique de « Peco » comme abréviation de ces « pays d’Europe centrale et orientale » sans plus de précisions. Je préfère faire référence ici à la formule d’Élias Canetti se souvenant de son enfance à Routchouk (Ruse), sur le Danube, avant 1914 :
« Comme ville portuaire sur le Danube, Routschouk avait une certaine importance dans le passé. Le port avait attiré des gens de partout, et il était constamment question du Danube [...]. Quand quelqu’un remontait le Danube vers Vienne, on disait : il va en Europe ; l’Europe commençait là où finissait autrefois l’empire ottoman3... »
3Canetti n’avait évidemment aucun moyen de percer l’avenir et d’imaginer l’Europe à nouveau coupée en deux, plus à l’Ouest cette fois, par le rideau de fer.
4La première remarque est qu’il s’agit d’un espace très complexe, prenant le continent en écharpe entre les côtes de la Baltique, celles de l’Adriatique et celles de la mer Égée. Cet espace constitue dans le même temps un double isthme : de la côte baltique (Danzig) à l’Adriatique (Venise), on compte quelque mille kilomètres, et à peine plus de la Baltique (ancienne Prusse orientale) à l’embouchure du Dniepr dans la mer d’Azov et la mer Noire. La carte par laquelle s’ouvre un atlas historique hongrois récent4 met en évidence la cohérence d’un ensemble géographique encore quelque peu déroutant pour l’historien « occidental », en soulignant un point essentiel : il s’agit d’une ensemble de pays, dans le cas de cette carte décrivant la situation vers 1750, qui sont comme bloqués entre les principaux États occidentaux (surtout les pays allemands, mais l’Italie également) et les deux blocs orientaux des Slaves (l’Empire russe) et des Turcs (l’Empire ottoman).
5Cet espace est d’abord un espace continental5, traversé par de grandes routes de passage, mais aussi un espace à la géographie physique extrêmement composite. La déclinaison en latitude fait passer de quelque 70° de latitude nord (côte nord de la Finlande) à 35° environ à hauteur de la Crète. Les conditions climatiques sont d’autant plus celles d’un pays continental que, vers le Nord, la Baltique est une mer fermée et froide, et, vers le Sud, elles sont encore renforcées par la disposition du relief, notamment autour de la Méditerranée et de l’Égée. Le système fluvial est orienté dans quatre directions opposées.
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Vers l’Ouest et par la mer du Nord, c’est le bassin de l’Elbe et de ses affluents, notamment la Moldau (Vltava). Toute la géographie de la Bohême fait, de facto, partie de la géographie occidentale et, au demeurant, le royaume constitue le principal électorat laïque du Saint-Empire.
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Vers le Nord, c’est le système de la Baltique, avec principalement l’Oder, la Vistule (à Varsovie et Cracovie) et le Niémen. Nous sommes ici dans l’arrière-pays des villes hanséatiques de la côte balte (avec Danzig) ou, plus à l’intérieur, des grandes routes commerciales par terre depuis Francfort et Nuremberg vers Leipzig, Cracovie, Lemberg (Lvov) et la plaine russo-ukrainienne (Kiev).
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Le système principal d’Europe centrale est évidemment celui de la mer Noire : le Dniepr draine les immenses plaines d’Ukraine et de Russie (Kiev, Smolensk), le gigantesque système du Danube désigne de fait un ensemble géographique en soi – l’Europe danubienne6.
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Enfin, un certain nombre de cours d’eau de bien moindre importance se jettent dans la Méditerranée ou la mer Égée.
Illustration 1. – Carte de situation.
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7Un bloc central, donc, et trois orientations majeures, selon que l’on regarde vers le Nord, vers l’Est ou vers la Méditerranée. Cette opposition est confirmée par la distribution des grandes masses du relief, qui fait ressortir trois ensemble principaux : au Nord, les grandes plaines, de la plaine d’Europe du Nord aux plaines russes et ukrainiennes jusqu’à la mer Noire ; au centre, l’arc des Carparthes isole un bassin correspondant au cours du Danube moyen et de son principal affluent, la Tisza (Theiss) : le cœur est constitué par la grande plaine hongroise (la puszta), encadrée par des ensembles de collines à l’Ouest et surtout à l’Est (la Transylvanie) ; enfin, le relief des pays de l’Adriatique et de l’Égée se caractérise par son extrême complexité et par son caractère cloisonné. À quelques dizaines de kilomètres en arrière de Rijeka (Fiume), on n’est déjà plus dans le système hydrographique de l’Adriatique, mais dans celui du Danube. Le rôle des transports maritimes (le cabotage) en est accru d’autant.
8Dernier élément, et d’importance pour l’histoire du livre : nous sommes, et jusqu’à aujourd’hui, non seulement dans un ensemble de régions qui sont, en règle générale, assez peu peuplées, mais qui sont surtout caractérisées par la faiblesse des réseaux urbains. Quelques centres majeurs, comme les villes de la Baltique (Stettin/Szczecin, Danzig/Gdansk, Königsberg/Kaliningrad, Riga, Tallinn/Reval, Saint-Pétersbourg), les grands centres de l’intérieur, comme Breslau (Wroclaw), Cracovie, Lemberg, Prague (avec la Bohême et la Moravie sont plus urbanisées), Pest, enfin, les villes des grandes routes commerciales vers Constantinople et les côtes. Mais rien de comparable, sauf en Bohême, aux réseaux urbains d’Europe occidentale, et une faiblesse générale des villes de moyenne importance qui se combine avec un retard socio-politique certain : ces villes sont des villes d’étape, des marchés pour le plat pays environnant, les activités secondaires et tertiaires y restent minoritaires, les capitaux disponibles en général faibles. Enfin, elles sont souvent peuplées par des populations en majorité germanophones, et l’opposition par rapport au plat-pays en devient d’autant plus sensible. Peu de villes, peu de routes et de ponts. Les pistes sont des pistes de caravanes, les ponts inexistants (le Danube...), les déplacements longs et aventureux, parfois même dangereux, comme lorsque le comte de Choiseul rentre de Grèce en France dans les années 1780. La traversée de l’Asie mineure avait été bien difficile, et pourtant
« cette partie de mon voyage ne me paraît plus qu’une promenade agréable, quand je la compare à toutes les misères réunies que j’éprouvai quelques mois après dans la Haute Grèce, & dans la route de Salonique à Spalatro par la Servie, la Bosnie et la Moralcquie7 ».
9Le cliché est récurrent, de même que la référence à la boue omniprésente, dans tous les récits relatifs à l’Europe centrale et orientale, à la Russie et à la Turquie. Un autre voyageur en Grèce, Bartholdy, au début du xixe siècle, le souligne avec humour :
« En général, les voyages dans le Levant ne peuvent manquer de devenir de plus en plus commodes, et il est à prévoir que l’idée viendra bientôt à quelque spéculateur étranger ou indigène d’y établir de bonnes auberges. Mais ce qui n’arrivera pas de sitôt [...], c’est qu’on y ait des routes de voiture8... »
10Pas ou peu de villes, des populations relativement lâches, une prédominance écrasante du secteur agricole : en règle générale, les conditions sont médiocres, voire mauvaises, pour ce qui regarde l’économie du livre manuscrit ou imprimé. À l’époque moderne, peu d’imprimeries, encore moins de librairies : le commerce des livres se fait par le biais des foires (Senigallia, sur la côte de l’Adriatique, contrôle une partie du commerce de la péninsule balkanique) et des commerçants « généralistes » (Gemischwarenhändler) ou des colporteurs, tandis que le rôle des voyageurs et des étudiants venus « en Europe » est absolument considérable. En 1788, Adamantos Coraÿs vient de Smyrne à Montpellier et à Paris pour poursuivre ses études de médecine, puis de philologie. Arrivé à Paris en 1788, il écrit, le 15 septembre :
« Représentez-vous à l’esprit une ville plus grande que Constantinople, renfermant 800 000 habitants, une multitude d’académies diverses, une foule de bibliothèques publiques, toutes les sciences et tous les arts dans la perfection, une foule d’hommes savants répandus par toute la ville, sur les places publiques, dans les marchés, dans les cafés où l’on trouve toutes les nouvelles politiques et littéraires, des journaux en allemand, en anglais, en français, en un mot, dans toutes les langues [...]. Ajoutez à cela une foule de piétons, une autre foule portée dans des voitures et courant de tous côtés [...], telle est la ville de Paris !... »
11Et, le 1er juillet 1790 :
« Avez-vous jamais vu un ouvrier travailler sans outils ? Et croyez–vous que les quatre ou cinq cents volumes que vous avez à peine à Smyrne (et encore tous grecs seulement) suffiraient à me fournir la matière qui est nécessaire à mon livre ? Ici, outre la bibliothèque du juge [Clavier] chez lequel je demeure, j’ai encore Villoisson et deux autres savants, dont les bibliothèques renferment huit ou dix mille volumes chacune. Et si je ne trouve pas, dans ce nombre, le livre qu’il me faut, j’ai la permission d’aller le demander à la Bibliothèque royale, qui possède 350 000 volumes9... »
12Pour notre médecin et philologue comme pour nombre de membres de la diaspora hellénique du second xviiie siècle, s’intégrer à la modernité occidentale, c’est d’abord s’approprier un certain champ conceptuel (les « Lumières »), mais aussi se rallier à un projet « politique » en voie de redéfinition et, en définitive, s’intégrer aux réseaux du livre et de l’imprimé dominés précisément par l’Occident10. On connaît ainsi l’exemple du marchand Ioannis Pringos, qui, en 1762, fait expédier d’Amsterdam huit cents volumes à destination de Zagora, son « pays », non loin de Volos (Thessalie orientale), avec le commentaire :
« L’imprimerie est une belle chose. Elle a rendu les livres moins chers, de sorte que l’homme ordinaire peut également en acheter [...]. La lecture ouvre les yeux du lecteur, et fait de lui un homme conscient11... »
Aux marges de la romanité
13Abordons maintenant la problématique plus proprement historique. De ce point de vue également, deux ensembles radicalement différents s’opposent dans notre géographie, qui recoupent pour une assez large part l’opposition précédemment dégagée : d’un côté, nous trouvons les territoires où se sont développées les grandes civilisations de l’Antiquité gréco-romaine. L’espace grec est celui de la Grèce elle-même, au sens géographique du terme (Grèce continentale, îles de l’Égée, cités grecques d’Asie mineure), mais aussi de toute une pléiade de comptoirs et de colonies à travers la Méditerranée et en mer Noire : soit une géographie à la fois négociante, linguistique et culturelle, dont les logiques seront, dans une certaine mesure, reprises par Venise et par ses « échelles ». Cette géographie grecque ancienne, qui recouvre pour partie celle de l’Empire byzantin, recouvre également pour partie celle de la chrétienté primitive12. La domination romaine élargit et structure cet ensemble, en l’orientant plus vers l’intérieur des terres. Une des grandes voies de l’Empire romain est ainsi la via Egnatia, qui, rejoignant Durrazzo/Durrës (Dyrrachium) à Salonique, constitue un segment du grand itinéraire par terre entre l’Italie et Constantinople : de manière logique, cette route voit se créer certaines des communautés chrétiennes les plus anciennes, comme par exemple autour d’Ohrid (Ochrida)13.
14L’autre bloc spatial se situe au-delà du limes, donc aux marges ou en dehors de la romanité – de la romania. Dans sa période de plus grande extension, l’Empire s’est fixé sur le Rhin et sur le Danube, avec les villes de Vindobona (Vienne), Aquincum (Obuda), Sirmium, etc. – seule la province de Dacie étant un temps occupée durablement en bloc. Au-delà, nous entrons donc dans le monde des peuples nomades, successivement venus de l’Est, et qui sont à la fois des peuples non christianisés et des peuples sans écriture, autrement dit des peuples de la préhistoire. Il s’agit d’abord des différentes tribus germaniques (notamment les Goths, mais aussi, plus à l’Ouest, les Burgondes, les Marcomans, etc.), puis des Slaves, des tribus finno-ougriennes, des Huns et des Mongols, sans oublier les Turcs.
Peuples, langues, religions
15La diversité ethno-linguistique reste en effet une caractéristique majeure d’un espace qui n’a pas entièrement été restructuré par l’occupation romaine – à l’inverse de ce qui s’est passé plus à l’Ouest. Du coup, le rattachement à telle ou telle ethnie devient un enjeu majeur, et les cartes spécialisées peuplent les atlas depuis le xixe siècle : dans l’ancien royaume de Hongrie, on s’attachera à identifier et à localiser précisément les Hongrois eux-mêmes, mais aussi les Allemands, les Roumains, les Croates, les Serbes, les Vendes, les Slovaques, les Ruthènes et les Tziganes, sans oublier les Juifs... Là encore, la description de Routschouk par Canetti à la veille de la Guerre de 1914 est des plus éclairantes – rappelons que Canetti fait partie d’une famille de Juifs anciennement émigrés d’Espagne après la Reconquista (1492) :
« Des gens d’origines diverses vivaient là, et l’on pouvait entendre parler sept ou huit langues différentes dans la journée. Hormis les Bulgares, le plus souvent venus de la campagne, il y avait beaucoup de Turcs, qui vivaient dans un quartier bien à eux, et, juste à côté, le quartier des sépharades espagnols, le nôtre. On rencontrait des Grecs, des Albanais, des Arméniens, des Tziganes. Les Roumains venaient de l’autre côté du Danube [...]. Il y avait aussi des Russes, peu nombreux il est vrai14... »
16La définition ethnique s’appuie d’abord sur la langue parlée, même si, à un certain niveau social, on maîtrise très généralement plusieurs langues et si certaines langues occidentales font souvent office de lingua franca dans tel ou tel ensemble de territoires – l’allemand au Nord et à l’Est, l’italien au Sud.
17Mais l’identification se fait aussi à un second degré, par le biais de la confession – comme le texte de Canetti le met également en évidence. À l’origine, deux mondes s’opposent : l’Antiquité païenne et la chrétienté primitive proche-orientale (Palestine, Égypte, Asie mineure, Grèce). Avec la disparition de l’Empire romain d’Occident, la chrétienté est pratiquement assimilée au nouvel Empire d’Orient, l’empire de Byzance. En 324, Constantin choisit de faire de Byzance sa capitale, la plupart des empereurs sont désormais chrétiens tandis que la chute de Rome (476) place Constantinople dans la continuité directe de l’Antiquité. Au ve siècle, sous Justinien et Théodora, Constantinople est la capitale du monde civilisé. Pourtant, la montée en puissance en Occident d’une dynastie impériale nouvelle, celle des Carolingiens s’appuie précisément sur la reconnaissance de l’évêque de Rome comme chef de l’Église chrétienne.
18La rupture entre Rome et Constantinople sera consommée avec le schisme de 1054, et ce sera donc l’Église grecque orthodoxe qui christianisera une partie des peuples d’Europe centrale et orientale : Serbes, Macédoniens, Bulgares, Ukrainiens et Russes. L’Église romaine avance par la Germanie, christianisée aux viiie-ixe siècles, vers le monde slave : fondation des évêchés de mission, à Passau et à Magdebourg, puis développement des Églises nationales autour des nouvelles métropoles de Prague, Gniezno/Gnesen (Pologne) en l’an 1000, d’Esztergom/Strigonie (Hongrie) en 1001 et de Zagreb/Agram (Croatie) en 109315. La création des Églises nationales sera logiquement interprétée, aux xviie et xviiie siècles, comme un élément de la démonstration de l’indépendance par rapport à l’ancienne géographie du christianisme : ainsi du jésuite Melchior Inchofer (vers 1585-1648), qui rédige une histoire de l’Église hongroise plaçant celle-ci dans la filiation propre de saint Étienne. La publication de l’ouvrage est longtemps retardée par l’Autriche16, tandis que la volonté de créer une Provincia hungarica indépendante de la Provincia austriaca ne peut non plus aboutir.
19Dans l’immédiat, avec le christianisme, c’est tout un complexe politico-culturel qui se met en place, selon le modèle des royaumes ou principautés d’Europe occidentale : les princes sont couronnés par le primat, ils créent une administration, plus tard ils fonderont une université, etc. Enfin, l’historien du livre doit souligner le fait que les différents choix religieux s’accompagnent de choix également différents du côté de l’écriture : les latins développent des écritures issues de l’alphabet romain, tandis que les orthodoxes adoptent des alphabets dérivés de l’alphabet grec et du premier alphabet cyrillique. La frontière passe, notamment, entre la Croatie catholique et la Serbie orthodoxe.
20La poussée séculaire des Turcs musulmans bouleverse ces premiers rapports. Le sultan écrase l’empereur de Byzance à Manzikert, près du lac de Van (1071) et s’empare de la plus grande partie de l’Asie mineure. Progressivement, les Ottomans passent en Europe où ils établissent leur capitale à Andrinople (Édirne), puis ils s’emparent de Constantinople (1453), conquièrent la Roumélie (Grèce) et la Bulgarie, soumettent la Moldavie et la Valachie comme principautés vassales, avancent dans les Balkans, en Serbie et en Bosnie, ainsi qu’en Méditerranée. Après les Bulgares, les Hongrois sont écrasés à Mohács (1526), Buda devient siège d’un pacha turc et l’armée turque mettra encore le siège devant Vienne en 1683... Les premières institutions culturelles autonomes sont détruites, en Hongrie et en Transylvanie, soit par suite de l’occupation ottomane, soit plus tard par suite des progrès de la Réforme17.
21La sensibilité religieuse renforce encore la complexité extrême de notre géographie : à côté des Catholiques18 et des Orthodoxes, voici les Hussites en Bohême, mais aussi les Luthériens et les Calvinistes en Hongrie, ainsi que les Unitaristes (Antitrinitaires), sans oublier des communautés juives quantitativement très importantes – la plus grande synagogue d’Europe est celle de Budapest, à la fin du xixe siècle. À partir surtout de la fin du xvie et du xviie siècle, nous sommes également dans une géographie systématiquement labourée par la Contre-Réforme organisée notamment à partir de Prague et de la forteresse jésuite du Klementinum19.
Illustration 2. – Cicero.
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Villes, royaumes et empires
23Les identités collectives s’appuient donc d’abord sur le double paradigme de la langue et de la confession. Plusieurs constructions plus ambitieuses tendent cependant, d’une période à l’autre, à s’imposer comme des éléments dominants. Je me borne ici à mentionner le royaume de Hongrie, qui domine l’Europe danubienne au xve siècle, en concurrence, sur les marges occidentales, avec la Bohême. Mathias Hunyadyi s’est emparé de Vienne, il gouverne un ensemble regroupant la Hongrie actuelle, la Slovaquie, la Croatie, la Bosnie et la Transylvanie. Cette construction s’écroule au tout début du xvie siècle, sous la poussée ottomane et, dès lors, la Hongrie est divisée en trois blocs : au centre, la Hongrie ottomane, gouvernée depuis Buda ; à l’Ouest, la Hongrie dite « royale », autour de sa capitale de Pozsony/Presburg (Bratislava), et qui reste aux mains des Habsbourg ; vers l’Est, la province de Transylvanie, placée sous l’autorité d’un prince pratiquement indépendant résidant à Kronstadt (BraÒov)20. Bien entendu, chacun sait que la tendance de plus en plus sensible sera, avec le repli des Ottomans, celle de la montée en puissance des Habsbourg de Vienne, qui avancent progressivement sur l’axe du Danube et dans les Balkans – jusqu’à ce que le Congrès de Berlin, en 1878, leur confie l’« administration provisoire » de la Bosnie-Herzégovine21.
24Vers le Nord, deux autres concurrents montent en puissance à partir de la seconde moitié du xviie siècle, après l’échec de la Suède : d’une part, le Brandebourg-Prusse, d’autre part l’Empire russe, symboliquement ouvert sur l’Occident par la fondation de Saint-Pétersbourg par Pierre le Grand. On notera que la Prusse est surtout assimilée aux intérêts protestants, Vienne au catholicisme de la Contre-Réforme et Saint-Pétersbourg, bien évidemment, à l’orthodoxie. Au xviiie siècle, la Pologne disparaît, et le jeu se développe désormais par la concurrence entre ces trois puissances majeures, qui chacune pousse ses pions et ses intérêts – un jeu dont l’apogée est atteint au xixe siècle, avec le Congrès de Berlin (1878) et avec les différents traités liquidant la situation des empires multinationaux après la Première Guerre mondiale (l’Empire d’Autriche et l’Empire ottoman).
25Une histoire aussi complexe se traduit notamment, pour l’historien, par la complexité d’une toponymie qui suppose que l’on dispose d’outils spéciaux22 : la plupart des localités ont au moins deux noms usuels, et parfois plus : hongrois, allemand et slovaque, à l’image de Pozsony/Pressburg/Bratislava, allemand et hongrois à l’image de Ofen/Pest, allemand, hongrois et roumain à l’image de Temeschburg/Temesvár/Timişoara, turc et bulgare à l’image de Üsküb/Skopje, etc.
L’écrit et le livre sous l’Ancien Régime
26La confession, la langue, la structure politique, l’identité collective : on comprend que l’écrit, puis l’imprimé, se trouve investi d’une charge symbolique absolument considérable dans la géographie qui nous intéresse ici. Les conditions générales présentées sommairement dans la première partie déterminent jusqu’au xixe siècle l’évolution du « petit monde du livre » en Europe centrale et orientale. Je me propose de passer en revue les trois grandes étapes caractérisant ce processus sous l’Ancien Régime (entendons, avant l’industrialisation), pour passer ensuite à la période contemporaine (xixe siècle) et, au total, aboutir à une manière de typologie des phénomènes que l’historien peut observer.
Un modèle : la Hongrie de Mathias Corvin
27Laissons de côté l’histoire byzantine, qui constitue un tout en soi. La christianisation des viiie-xie siècles voit l’entrée progressive des populations germaniques, puis slaves, hongroises et scandinaves dans l’histoire. Un phénomène marquant réside dans la montée en puissance d’un royaume moderne sur le cours moyen du Danube : avec la dynastie d’Anjou, la Hongrie s’ouvre en effet profondément aux influences occidentales (surtout françaises et italiennes), ouverture tout particulièrement sensible dans les domaines de l’architecture (l’art gothique), mais aussi du manuscrit, de l’enluminure, etc.23. La domination de Louis Ier d’Anjou s’étend bien au-delà de la Hongrie stricto sensu, le roi est également roi de Pologne, il tient le pays entre la Moldavie et la Valachie, la Serbie, la Croatie et la Slavonie, sans oublier le royaume de Naples. La bibliothèque royale se signale alors déjà par sa grande richesse.
28Après la chute des Anjou, la lutte avec les Ottomans s’intensifie sur le flanc sud du royaume, lutte conduite par un chef de guerre originaire de l’actuelle Roumanie, János Hunyadi. Celui-ci remporte à Nándorfehérvár (Belgrade) en 1456 une victoire qui assure pour cinquante ans la tranquillité de la frontière. Après la mort de Hunyadi, le roi fait exécuter son fils aîné et s’enfuit à Vienne et à Prague avec le cadet, Mátyás (Mathias), avant de mourir lui-même de la peste. Mais Mátyás (1458-1490) est élu roi par la noblesse à Pest, et il va faire de son château de Buda l’un des centres de la Renaissance européenne en y réunissant la célèbre Bibliotheca Corviniana, tout en assurant la position de la Hongrie non seulement face aux Turcs, mais aussi face à l’Empire – il s’empare un temps de Vienne et porte les titres de roi de Bohême et de duc d’Autriche. On connaît le roi sous son surnom de Mathias Corvin, surnom inspiré de l’oiseau emblématique des Hunyadi24.
29On ne sait que peu de chose sur les origines de la Bibliotheca Corviniana25 : le premier volume a été offert au roi par le podestat de Cesena, Sigismondo Malatesta, en 146526, l’année même où Janus Pannonius, évêque de Pécs27, vient à Rome, d’où il rapporte également des manuscrits. Soit par le biais de tel ou tel intermédiaire, soit directement, le roi fait désormais réaliser des manuscrits à Florence, sans doute auprès du grand libraire Vespasiano da Bisticci. D’autres spécialistes travaillent pour lui, notamment les Attavanti, mais aussi les frères Gherardo et Monte di Giovanni. Progressivement, un, voire plusieurs ateliers spécialisés sont organisés à Buda, au service de la cour. La Bibliothèque comprend des manuscrits de textes classiques et des textes scientifiques, mais peu de textes religieux28. La caractéristique première des volumes réside dans leur somptuosité : beauté de la calligraphie et de la mise en page, perfection de la décoration et de l’illustration. Le parchemin est teinté en bleu, vert ou pourpre, l’écriture est portée en lettres d’or ou d’argent, les encadrements enluminés font de la page un tapis dans un style absolument caractéristique de la Renaissance, les lettres ornées et les miniatures sont d’une précision extrême. En revanche, la forme même des volumes montre que la bibliothèque sert plus d’instrument ou de symbole de pouvoir que de bibliothèque de travail – elle ne compte d’ailleurs que deux livres imprimés...
30Après la mort de Mathias, son seul héritier est son fils bâtard, János, et le pays entre bientôt dans une période de crise politique intense, couplée d’une crise sociale opposant les serfs à leurs seigneurs : les révoltés conduits par György Dózsa sont écrasés en 1514 par l’armée de János Zápolya, voïvode de Transylvanie. Dans le même temps, les Turcs ont repris leur progression, Nándorfehérvár tombe en 1521, tandis que Soliman rassemble ses troupes pour l’assaut décisif. En 1526, la petite armée de Lajos II est détruite à Mohács, le roi est tué, de même que les archevêques d’Esztergom et de Kalocsa, cinq évêques et un très grand nombre de représentants de la noblesse... Dès 1529, les Turcs sont devant Vienne, en 1532 devant Graz. Buda tombe en 1541, et restera occupée jusqu’en 1686. La Bibliothèque de Mathias avait déjà commencé à être dispersée au cours des troubles, elle disparaît complètement lors de la chute du château royal29.
31Il est important de souligner combien la Bibliotheca Corviniana acquiert très tôt un statut symbolique exceptionnel. Alors que les Turcs ont occupé la plus grande partie de l’ancien royaume, le prince de Transylvanie s’efforce de se poser en successeur des Hunyadi face aux Habsbourg, et cherche à retrouver quelques-uns des manuscrits prestigieux pour les faire entrer dans son trésor. Beaucoup plus tard, en 1877, le sultan Habdul Hammid II remet trente-sept manuscrits à la Hongrie, rapportés de Constantinople et aujourd’hui conservés à la Bibliothèque de l’université de Budapest. La Bibliotheca Corviniana est comme le symbole de la Hongrie elle-même, et sa dislocation marque l’échec de la brillante tentative de Mathias de construire autour de Budapest un État moderne sur le modèle occidental. Ajoutons que le phénomène n’est pas limité aux périodes les plus anciennes : depuis 180230, plus encore après 186731 et jusqu’à aujourd’hui, la réappropriation d’une histoire et d’une culture nationales très spécifiques s’appuie encore sur l’activité d’édition et de recherche développée notamment dans le cadre de la Bibliothèque nationale de Hongrie.
Les débuts de l’imprimerie en Europe centrale et orientale
32Après Gutenberg, à Mayence vers 1454-1455, et surtout après la prise de cette ville par Adolphe de Nassau (1462), les premiers imprimeurs qui s’établissent à travers l’Europe sont le plus souvent des Allemands émigrés32. Grâce à eux, l’imprimerie gagne assez rapidement aux xve et xvie siècles la géographie de l’Europe centrale, orientale et sud-orientale, même si c’est de manière encore assez ponctuelle33. L’imprimé fait son apparition en Bohême (Pilsen) sous le règne du roi utraquiste Georges de PodÂbrady (1458-1471)34 : la ville allemande de Bamberg, où l’imprimerie apparaît de manière très précoce, semble avoir servi d’intermédiaire pour la transmission de la technologie. Trente-neuf des quarante-quatre incunables actuellement répertoriés pour la Bohême sont en langue tchèque : ce rapport étroit, certes caractéristique d’un marché relativement limité, met cependant aussi en évidence l’expansion plus grande de l’alphabétisation en pays tchèque en même temps que le rôle du livre en langue vulgaire comme un facteur important de l’identité collective35.
33Nous avons vu Mathias Corvin organiser en Hongrie un royaume moderne, tandis qu’un milieu d’humanistes actifs parvenait parallèlement aux affaires. L’archevêque János Vitéz appuie la fondation de la première université du pays à Pozsony36, et l’on sait que Johannes Regiomontanus y enseigne durant trois années (1465-1468). Dans le même temps, Lázló Karai, vice-chancelier du royaume, est envoyé comme ambassadeur à Rome (1470) : il y est entre relations avec les humanistes gravitant autour de l’imprimerie de Georg Lauer, de Ratisbonne, dans laquelle travaille Andreas Hess. Karai attire celui-ci à Buda et l’aide à ouvrir le premier atelier typographique hongrois37, en 1473. La technique nouvelle ne s’implantera à Vienne qu’en 1482, avec l’atelier de Stefan Koblinger38. La position de Vienne semble se dégrader, dans une certaine mesure, autour de 1500, tandis que l’écrasement de la Hongrie fait de la capitale des Habsbourg presque une ville frontière.
34En Méditerranée, l’Italie fait office d’intermédiaire, tandis que l’avance ottomane, marquée par la chute de Constantinople (1453), introduit pour plusieurs siècles une barrière à travers toute l’Europe. Sur la côte de l’Adriatique, l’imprimerie n’apparaît d’abord que de manière très sporadique, avec des ateliers liés à telle ou telle maison religieuse : le premier atelier est établi à Kosinje en 1471, le plus important fonctionne à Zengg (Senj) en 149439, mais il ne s’agit que de tentatives très ponctuelles, considérablement gênées par la difficulté de se procurer les fontes typographiques nécessaires à l’impression du slave : ce sont des fontes glagolithiques qui sont utilisées, sans doute après avoir été dessinées et gravées à Venise même (le premier Bréviaire de Zagreb, en caractères cyrilliques, est imprimé par Ratdolt à Venise en 1484, sur l’ordre de l’évêque Osvát40).
Illustration 3. – Buda en 1493.
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36Lorsque le prince Stefan Crnojevi, ancien allié de Skanderberg contre Venise, s’établit à Cetinje, non loin du lac de Scutari, une première principauté de Monténégro (Crna Gora) commence à être organisée. La tradition veut que Crnojevi ait envoyé le moine Makarius à Venise pour y apprendre l’imprimerie et s’y procurer des fontes. Georg, fils d’Ivan, s’est marié dans une famille du patriciat vénitien, et il fait imprimer en 1494 un missel glagolithique, peut-être un second missel la même année et un psautier en 1495. Cependant, en 1496, le prince doit abandonner définitivement le Monténégro pour se réfugier à Venise. Au début du xvie siècle, Makarius a gagné la Valachie (1508-1510), où il travaille sous la protection du voïvode Barraba et d’où les livres slavons, plus tard également grecs, seront diffusés à travers les Balkans. Les presses sont très progressivement installées dans les milieux liés à l’Église à GoraÂde (1531), Granica (1539), Belgrade (1552), puis à Nedelioe/Drávavásárhely (1574) et VaraÂdin (1586)41... Mais, globalement, l’hégémonie vénitienne est favorisée par la difficulté, pour les typographes, de se maintenir, dans un espace très cloisonné, où le public reste extrêmement limité et la circulation très difficile.
Illustration 4. – Debrecen.
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38La diffusion de la technique typographique reste très faible dans toute la géographie de l’Empire ottoman : le livre par excellence est le Coran et sa langue, l’arabe, est donc langue sacrée, ce qui interdit tout mode de reproduction mécanique, tandis que les puissantes corporations de copistes et d’enlumineurs s’opposent à la diffusion d’une technique qui les concurrencerait directement. Du coup, ce sont des minorités non musulmanes qui sont, le plus souvent, à l’origine de l’implantation de la typographie en caractères mobiles en Méditerranée orientale : ainsi en Grèce actuelle, où le premier typographe connu est Judah Gedaliah, un Juif de Lisbonne installé à Salonique dans la seconde moitié du xvie siècle et qui imprime en hébreu42. Pratiquement jusqu’à la fin du xviiie siècle, toute la production imprimée en grec sort des presses occidentales pour la production « savante », de celles de Venise et, plus tard, de Russie43, de Vienne, voire de Budapest (pour la piété et une certaine forme d’édition « populaire »)44. Au total, si nous laissons de côté le cas de la Bohême et celui des différentes communautés juives, le livre imprimé est d’abord, dans notre géographie, chose de l’Église et du pouvoir : un schéma qui correspond bien à une géographie quelque peu périphérique par rapport au pôle de l’invention, et à une géographie globalement peu ouverte à la civilisation livresque. Le rôle du pouvoir est toujours central lorsque Pierre le Grand entreprend d’ouvrir l’empire russe à l’Occident, fonde sa capitale de Saint-Pétersbourg et organise, autour de l’Académie impériale, la diffusion, puis la production de l’imprimé en Russie.
La période moderne, ou le temps des réseaux privés
39Le maître mot, pour la librairie d’Europe centrale et orientale aux xvie-xviiie, voire parfois au cours du « long xixe siècle », est celui de compensation. La conjoncture est d’abord dominée par la crise politico-religieuse, qui culmine avec la « défenestration de Prague » et le déclenchement de la guerre de Trente Ans en 1617-1618. Tandis que la plus grande partie de l’Allemagne est mise à feu et à sang, la Contre-Réforme est systématiquement conduite par les Jésuites dans les « possessions héréditaires » de la monarchie des Habsbourg (Erblande), et notamment en Bohême. La guerre de religion se transforme bientôt en guerre des livres, la surveillance se renforce de tous côtés, de même que la censure. Des collections très importantes changent de mains au fil des événements, et de riches bibliothèques privées se constituent.
40Les réseaux professionnels du livre restent le plus souvent insuffisants, la production locale très faible, de sorte que les livres sont dans leur immense majorité importés d’Europe occidentale, par le biais de représentants spécialisés (pensons plus tard à Grimm, l’agent de Catherine II à Paris), plus souvent grâce aux étudiants pérégrins, aux voyageurs, aux nobles et, dans le cas de la Grèce, aux membres d’une diaspora négociante de plus en plus active. Les fonds aujourd’hui conservés, par exemple, à Târgu MureÒ (Marosvásárhely/Neumark a/Mieresch), témoignent de ce qu’une très grande partie des titres est parvenue en Europe orientale par le biais notamment des étudiants transylvains ayant séjourné dans des universités étrangères45. Jusque dans la seconde moitié du xviiie siècle, les réseaux de la librairie internationale spécialisée n’occupent en définitive qu’une position marginale, qu’il s’agisse des grandes foires du livre à Francfort-s/Main et de plus en plus à Leipzig, ou des maisons spécialisées, comme celle des Strasbourgeois Treuttel et Würtz46.
41Bornons-nous, à nouveau, à deux séries d’exemples, qui illustrent les deux pôles majeurs puisqu’ils se rapportent l’un à l’Église, l’autre à la noblesse. En Hongrie orientale, aux portes de la Transylvanie, voici Debrecen, ville importante faisant office de grand marché rural, mais aussi centre culturel passé au protestantisme dès la décennie 1530. L’école de la ville (schola nostra) devient bientôt le principal collège réformé de toute la région, elle s’adjoint dès 1561 une imprimerie à la production très spécifique : alors que la proportion de livres en langue hongroise est de l’ordre du tiers aux xvie et xviie siècles, elle atteint environ 70 % à Debrecen, qui s’impose non seulement comme la « Genève hongroise », mais aussi comme un centre d’études moderne, décalqué du modèle pédagogique saxon de Melanchton : l’enseignement donné y est particulièrement novateur dans des domaines comme ceux de la philologie et des sciences naturelles, plus tard aussi des mathématiques, tandis que les relations avec l’université de Wittenberg sont régulièrement poursuivies. Le cœur du collège est constitué par une bibliothèque extrêmement riche, qui est aujourd’hui, avec plus de cinq cent mille livres anciens, la plus importante collection confessionnelle de Hongrie.
42D’autres institutions jouent un rôle comparable du côté catholique : citons la bibliothèque bénédictine de Pannonhalma, la bibliothèque de la cathédrale d’Esztergom ou encore celle de l’évêché d’Eger (Erlau). Eger est occupée par les Turcs de 1596 à 1687, de sorte que la « renaissance » ne peut se développer qu’au xviiie siècle, en particulier sous le règne des évêques comtes Ferenc Barkóczy (1710-1765) et Károly Eszterházy (1725-1799) : l’évêque crée en 1754 l’imprimerie épiscopale et entreprend de développer à Eger des institutions d’enseignement modernes. Esterházy, aidé par le chanoine Ignáz Batthyáni, va chercher à faire de la ville une ville d’université, sans y parvenir par suite de l’opposition de Joseph II : il fait construire un bâtiment pour accueillir sa fondation, et crée une bibliothèque qui compte, aujourd’hui, quelque cent cinquante mille volumes dans un extraordinaire cadre baroque magnifiant la Contre-Réforme47.
43Du côté des nobles et des grands personnages, magnats, etc., l’imitation de la figure du souverain conduit à la constitution de bibliothèques particulièrement importantes, sur le modèle de la Hofbibliothek de Vienne. En Hongrie, après la chute de la monarchie, une série de cours seigneuriales reprennent le rôle de la cour royale de Buda, tandis que, dès le xvie siècle, les plus grandes familles nobles sont alphabétisées, à l’image des Apaffi, Teleki, Bethlen, Nádaszdy, Thurzó, etc. Nombreux sont, parmi les jeunes aristocrates, ceux qui partent « en Europe », soit pour un « grand tour », soit comme étudiants dans telle ou telle université. Progressivement, ce sont les représentants de la plus haute aristocratie qui prennent en charge la problématique des Lumières : chez les Batthyány, le comte Adam Batthyány (1697-1782) a une grande collection de livres en français ou traduits en français. Le prince Károly József Batthyány (1698-1772) a lui aussi plusieurs bibliothèques, notamment dans sa résidence de Vienne (belles lettres en allemand et en français, livres d’histoire et titres jansénistes, au total près de trois mille volumes à Vienne). Ignáz Batthyány, chanoine d’Eger, est à l’origine de l’institution du Batthyaneum de Gyulafehérvár (Alba Julia) : bibliothécaire à Rome, il a d’excellentes relations avec l’Italie et avec Vienne, et reprend la bibliothèque ancienne de la ville de Löcse, tout comme la collection privée de Anton Christoph Migazzi, évêque de Vác puis archevêque de Vienne...
44On pourrait également penser aux Bethlen (Gábor Bethlen, prince de Transylvanie [1613-1629], à Gyulafehérvár), aux Rákóczi (György Ier Rákóczi [1631-1648], en Transylvanie et à Sárospatak), aux Nádasdy ou encore aux Esterházy : la grande bibliothèque des Esterházy, à Kismarton, comptera plus de soixante-douze mille volumes, mais elle sera en partie détruite au cours et à la suite de la Seconde Guerre mondiale. À Keszthely, les Festetich fondent une école d’économie, le Georgikon, et possèdent une bibliothèque de vingt-cinq mille volumes... On montrera, avec des personnalités comme celle de Miklós Jankovich (1772-1846)48 et surtout du comte Ferenc Széchényi (1754-1820), comment le glissement s’opère, de la collection « éclairée » à la collection de Hungarica, puis au projet patriotico-politique proprement dit.
Illustration 5. – Bologne.
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Nationalités et modernité
46La volonté d’intégrer la géographie de la « nouvelle Europe » du xviiie siècle dans le processus de modernisation qui est engagé par les puissances occidentales s’appuiera de manière privilégiée sur la médiation par l’imprimé.
Réseaux du livre et bibliothèques
47À partir de la fin du xviie siècle, le réseau des presses typographiques suit le recul ottoman et ponctue l’intégration des nouveaux territoires dans le royaume de Hongrie : les presses sont à Agram (Zagreb) dès 1697, et le réseau s’étend aux centres secondaires au cours des xviiie et xixe siècles : Maribor (Marburg a./d. Drau), Osijek (Esseg), Pécs (Fünfkirchen), Karlovac (Karlstadt), VaraÂdin (Warasdin), etc.49. D’une manière générale, diffuser les « Lumières », c’est ouvrir la voie à la réforme sociale et, peut-être, politique, permettre l’amélioration du marché du travail (des travailleurs mieux formés et plus qualifiés...), et favoriser l’innovation et l’essor économiques. Le glissement qui s’opère, dans les décennies 1780-1820, va donner à un projet d’ensemble une dimension nationale nouvelle et, souvent, ouvrir une période de luttes politiques allant parfois jusqu’à la guerre ouverte – et d’abord entre Budapest et Vienne.
48Le comte Ferenc (Franz) Széchényi (1754-1820) est la principale figure emblématique de ce mouvement. Pour Széchényi, l’idée d’une bibliothèque nationale s’insère dans le projet d’une institution plus vaste, sous la forme d’un musée rappelant le modèle anglais du British Museum : il s’agit d’une collection « nationale », dans laquelle entrent certes des livres, mais le comte possédait aussi des collections de médailles et de minéralogie. Sa bibliothèque personnelle, dans le château de Nagycenk (Hongrie occidentale), comprend essentiellement des titres « modernes » (économie, politique, etc.) et de la littérature en hongrois, au total vingt mille documents, dont six mille cartes géographiques (1799)50. Le but poursuivi est double : réunir une collection de Hungarica selon une définition catalographique extensive (livres d’auteurs hongrois, livres concernant la Hongrie, livres en hongrois, livres publiés en hongrois), mais aussi mettre à la disposition des savants hongrois un outil de travail qui facilite leur appropriation des grands courants de la modernité occidentale. En 1802, Széchényi fait don de sa bibliothèque à l’Académie, en tant que future Bibliothèque nationale de Hongrie (Bibliotheca regnicolaris)51. D’autres dons analogues sont faits, avec les mêmes perspectives de modernisation et de construction de la nation, par d’autres magnats, comme le comte István Illésházy (1762-1838) en 183552, etc.
49Après Ferenc, Istvan Széchényi sera le principal représentant de la modernité en Hongrie. Ancien élève du Theresianum de Vienne, éleveur de chevaux, organisateurs de compétitions hippiques (1822), il est l’auteur de plusieurs ouvrages qui marquent le renouveau de la nation hongroise : Sur les chevaux (1828), Hitel (« Le Crédit », 1832), Világ (« Le Monde », 1831) et Stadium (1833)... Le projet d’économie politique est central dans sa pensée : Széchényi participe à la fondation de la Compagnie à navigation à vapeur sur le Danube (1831), lance la régulation de ce fleuve en Hongrie centrale (1833), projette le premier pont entre Buda et Pest (avec la société du Lanchid, 1836), crée la Compagnie des moulins à cylindres de Pest (1837), la Banque commerciale de Hongrie (1841), etc. Membre de l’Assemblée nationale en 1825-1827, il est le ministre des transports du comte Batthyány dans le Gouvernement de 1848: les révolutionnaires le décrivent alors comme « le plus grand des Hongrois ». Mais, après l’écrasement de la Révolution, Széchényi devra se retirer à Döbling, dans un asile psychiatrique, où il se suicidera en 1860 – sept années avant le compromis qui fonde l’autonomie de la Hongrie dans le cadre de la double monarchie.
La langue nationale
50Deux autres éléments jouent un rôle central dans la construction des identités collectives et des nationalités : la langue et la « librairie nationale ».
51Le xviiie et plus encore le xixe siècle voient en effet la montée en puissance de la problématique linguistique, sous l’influence des travaux des philologues allemands et des réflexions sur le rôle de la langue articulé avec la définition de l’identité collective53. En Bohême, si la tradition littéraire est très ancienne54, si la Bible est traduite et imprimée en tchèque dès la période incunable (Pilsen/Plzen, 1476), la période moderne est marquée par un certain ressac, sous la double poussée de la Contre Réforme catholique et de la reprise en main politique par les Habsbourg. Le renouveau d’emploi du tchèque comme langue d’édition date du dernier tiers du xviiie siècle, et le mouvement s’accentue au xix55. Dans le royaume multinational de Hongrie, la langue officielle est jusqu’au milieu du xixe siècle le latin, à l’exception du grand-duché de Transylvanie, où elle est le hongrois. On sait comment la volonté de Joseph II d’imposer l’allemand comme langue de l’administration se heurte à l’opposition de toute la « nation », où les travaux de philologues et d’écrivains comme Ferenc Kazinczy (1759-1831) visent à fixer la langue hongroise et à la développer comme langue littéraire. Le même phénomène s’observe jusque dans une Nation sans État, voire encore sans géographie nationale reconnue, comme l’est alors la Grèce : c’est en 1805 qu’Adamantos Coray (1748-1833) fait l’éloge d’une histoire naturellement « nationale », en souligne l’urgente nécessité pour la Grèce, et entreprend, à Paris, la publication d’une Bibliothèque hellénique, tandis que, l’année suivante, est donnée la première édition de Thucydide en grec moderne56... La publication des collections de bibliographie rétrospective, de bibliographie courante et de « monuments » sur le modèle des Monumenta Germaniae historica s’inscrit dans la même logique57.
Acculturation, appropriation : la librairie nationale
52La « nationalisation » culturelle s’appuie sur un dernier élément, qui est, bien évidemment, celui de la « librairie » elle-même. Le processus de construction des différentes « librairies nationales » est ambigu, qui passe par les deux phases classiques de l’acculturation et de l’appropriation, mais qui se heurte souvent à la méfiance d’autorités inquiètes d’éventuelles dérives révolutionnaires. Acculturation : la librairie d’Europe centrale et orientale est depuis les origines dominée par l’Occident, d’où viennent les textes et les éditions, mais d’où viennent aussi les professionnels du livre. Les premières importations de livres en Russie se font à partir de la Hollande visitée par Pierre le Grand, et c’est également de Hollande que vient le matériel d’imprimerie – presses et fontes typographiques. Après que les typographes allemands aient peuplé les centres d’imprimerie du xve au xviiie siècle58, ce sont les grandes foires du livre, à Francfort et à Leipzig, qui dominent l’ensemble du marché en Europe centrale et orientale, voire en Scandinavie. La littérature bibliographique et les usuels de travail (catalogues d’édition, annuaires des professionnels, et surtout catalogues de foires59) sont également un élément très important de l’organisation du marché international autour de quelques pôles majeurs, au premier rang desquels toujours Leipzig60. La théorie même de la « librairie nationale » est allemande, avec la publication par le libraire Friedrich Perthes de sa plaquette Der Deutsche Buchhandel als Bedingung des Daseins einer deutschenLiteratur (« la Librairie allemande comme condition d’existence d’une littérature allemande ») à Hambourg en 1816. Et lorsque la maison Deubner, installée à Moscou depuis 1842, étend le réseau de ses filiales, Odessa figure parmi les villes susceptibles d’accueillir avec profit un commerce de librairie internationale (1859) :
« Le besoin de plus en plus pressant, en Russie méridionale, d’une librairie allemande, française et russe, solidement établie, qui livre rapidement et à des prix favorables leurs commandes [...] aux savants, aux personnes privées et aux artisans de ces provinces, me pousse à fonder ici un commerce indépendant sous la raison sociale de “J. Deubner à Odessa”61... »
53Mais, face à Leipzig, la montée en puissance de Vienne apparaît comme le premier phénomène majeur : les frais d’expédition, etc., deviennent trop élevés pour les Viennois, et ils se justifient d’autant moins que, à la même époque, les deux tiers des populations dominées par la capitale impériale ne sont pas germanophones. La politique à la fois mercantiliste et éclairée de Marie-Thérèse (1740-1780) et de Joseph II (1780-1790) favorise les développements d’une « librairie autrichienne » : dès les années 1765, et avec l’appui des autorités, le libraire Thomas Trattner, qui sera plus tard anobli, entreprend de contrefaire systématiquement ses collègues allemands. En 1772 est fondé à Vienne le Deutsche Schulanstalt, auquel est octroyé le monopole de l’édition des livres d’écoles : des créations analogues se font bientôt à travers les provinces, à Laibach (Ljubljana), Brünn (Brno) et Prague, Innsbruck, Graz et Linz, en Galicie, etc. Vienne, quarante-troisième ville allemande d’édition au milieu du xviiie siècle (pour le nombre de titres annoncés dans les Catalogues de foires), est passée au troisième rang en 1800, derrière Leipzig et Berlin.
54Extension, donc, des réseaux autrichiens du livre vers l’Europe centrale et orientale, de manière de plus en plus dense selon que l’on avance dans la chronologie : la première librairie d’importance ouverte à Agram (Zagreb) est celle d’Emil Hirschfeld, qui, en 1835, rachète pour 2 000 florins la librairie Rudolph, et dont le succès est assuré par ses relations régulières avec Leipzig et par son intégration dans les réseaux professionnels allemands. Plus tard, Emil Carow, propriétaire de Voss & C° à Vienne, développe progressivement ses affaires dans certaines autres capitales de l’Empire austro-hongrois : il fonde en 1870 une « librairie de colportage » à Budapest, puis, après sa revente, reprend en 1875 la librairie de Friedrich Bolt dans cette même ville. Dès 1871, il s’était établi à Gran (Esztergom), sur le Danube, ancienne capitale et siège de la primatiale de Hongrie, tandis qu’une dernière filiale est ouverte à Agram. D’autres exemples pourraient être donnés dès la fin du xviiie siècle, de semblables réseaux de librairies dont le centre, à Vienne, contrôle une ou plusieurs filiales dans telle ou telle capitale provinciale (Klagenfurt, Laibach, etc.).
55La commission se développe, sur le modèle allemand, à Vienne, Prague et Budapest, villes autour desquelles des librairies « nationales » tendent à s’organiser en réseau. À Vienne, une maison comme celle de Hartleben travaille ainsi, en 1913, avec soixante-huit commettants établis dans les grandes villes d’Autriche (Salzburg, Klagenfurt, Graz, Linz, etc.), mais aussi à Prague et Presburg (Bratislava), en Bohême, Moravie, Slovaquie, Galicie (Lemberg, Tarnow) et à travers les territoires hongrois : Hermannstadt (Sibiu), Laibach, Agram, Zara (Zadar), Raguse (Dubrovnik), etc. Les logiques de la géographie, l’efficacité d’une librairie allemande très active et travaillant selon des pratiques professionnelles parfaitement réglées, le modèle aussi constitué par une Allemagne alors en plein développement économique et culturel (songeons aux étudiants étrangers attirés par le renom des grandes universités allemandes), constituent autant d’éléments pour expliquer le fait que les grandes librairies des nouvelles « capitales » sont souvent membres du Börsenverein de Leipzig, et pratiquement toujours en relations d’affaires avec les commissionnaires allemands. Ainsi, par exemple, de Kohn, établi à Belgrade depuis 1901...
Illustration 6. – Tissot.
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57La logique de l’acculturation s’efface pourtant progressivement devant celle de l’appropriation : c’est l’affirmation d’une identité culturelle spécifique, construite sur la base d’une langue et dans le cadre privilégié d’un territoire commandé par une capitale devenant à terme elle-même nationale. C’est aussi le temps de la reconnaissance d’une langue et d’une littérature pour lesquelles sont créées des chaires universitaires de philologie et d’histoire littéraire et sur lesquelles travaillent académies et sociétés savantes. Claudio Magris souligne l’importance du phénomène à propos de la Bulgarie :
« Au xixe siècle, les Bulgares, avant même de pouvoir essayer de renaître, durent reprendre conscience de leur existence, redécouvrir et retrouver leur propre identité, comme Aprilov, qui se considérait comme grec – sous l’influence dénationalisante de la culture et de l’Église grecques, cette dernière alliée des Ottomans – et se reconnut bulgare en lisant Les Bulgares d’autrefois et d’aujourd’hui, ouvrage publié en 1829 par le savant ukrainien Venelin. Le livre a joué un rôle de premier plan dans la constitution de l’identité bulgare : c’est un livre écrit et recopié d’innombrables fois à la main, l’Histoire des Slaves bulgares de Paisii de Hilendar, qui marque, en 1762, sa réémergence après des siècles de silence62... »
58Le détour par une langue véhiculaire reste parfois indispensable, y compris pour des motifs économiques : lorsque, en 1792, l’abbé Josef Dobrovsky (1753-1829) publie à Prague le manuel fondateur des travaux de linguistique et de littérature tchèque, il le fait en langue allemande63. Parallèlement, les bibliothèques seront créées ou réorganisées en profondeur, pour conserver ce qui deviendra les « monuments culturels » de la nation. L’attention portée aux faits culturels sera d’autant plus grande, dans les provinces, que les décisions politiques leur échappent très largement pour être prises à Vienne ou à Budapest, et, plus à l’Est, à Saint-Pétersbourg (à l’égard notamment de la Pologne et de la Finlande), voire à Constantinople.
59La mise en place de « librairies » spécifiques, suppose que soient réunies des conditions difficiles : il faut non seulement que les conditions matérielles se prêtent au commerce du livre, mais aussi que les professionnels puissent compter sur un public suffisant susceptible de rentabiliser leurs investissements – un point que la prégnance de langues vectrices étrangères, l’allemand, voire le français ou l’italien, auprès des couches les plus alphabétisées rend longtemps hypothétique. L’exemple de Budapest, étudiée de manière détaillée par Dorottya Lipptak64, montre que le transfert passe, de manière en apparence paradoxale, par le biais de libraires allemands d’origine, mais qui décident, à un moment donné, de privilégier systématiquement la « librairie hongroise » face à la librairie importée. Le rôle des maisons juives est également à souligner – comme, par exemple, la grande librairie de Sámuel et de Leó Revai. Pour tous, le Compromis de 1867 marque le départ d’un nouvel essor, tandis que les « Fêtes du millénaire » (1896) ponctuent en manière de triomphe une génération d’extraordinaire réussite : le livre y occupe une place privilégiée65. Le nationalisme n’est évidemment en rien absent de ces perspectives, comme le souligne de fait Claudio Magris à propos de Temesvár (Timişoara) :
« À Temesvár, la capitale du Banat, on comptait, en 1902, douze journaux allemands, douze hongrois et un roumain ; la magyarisation sapait par ailleurs en profondeur la présence allemande. Adam Müller-Guttenbrunn décrit cette dénationalisation croissante, la raréfaction des écoles allemandes, la magyarisation des noms et des prénoms, la disparition progressive, sur les murs des maisons souabes, des portraits de François-Joseph. Alors que les Saxons de Transylvanie défendaient avec pugnacité leur identité nationale, les Souabes du Banat se laissaient volontiers assimiler, donnaient des noms hongrois à leurs enfants ou magyarisaient le leur66... »
60Est-il possible de dépasser ces analyses quelque peu subjectives, et de tenter une approche plus générale éclairant les modalités des rapports entre réseaux du livre et organisation de l’espace culturel, économique et politique en Europe centrale et orientale depuis le xve siècle ? Soulignons d’entrée la difficulté méthodologique : le fait de prendre en compte des entités démographiques longtemps moins importantes qu’à l’Ouest rend difficile une modélisation sur une base statistique. Non seulement les seuils de population concernés sont très différents, mais les concepts mêmes relatifs à la « culture » peuvent, dans cette logique, mettre en œuvre comme acteurs principaux des micro-milieux très minoritaires.
61Pourtant, l’enquête n’en ouvre pas moins un certain nombre de perspectives, dont nous retiendrons ici quatre :
621) D’abord, elle met en évidence les tendances à très long terme, celle des rythmes les plus amples. Non seulement, à plusieurs siècles de distance, l’Europe des peco reste, encore en 2015, celle des « nouveaux venus », mais la question est toujours posée, à certains égards, de savoir comment réduire les distances entre les différents ensembles constituant notre sous-continent.
632) Ensuite, elle permet d’insister sur la prégnance d’indicateurs comme l’appartenance religieuse ou la pratique linguistique, et de préciser certaines filiations intellectuelles : au cours du premier xixe siècle, la nationalité n’apparaît pas comme une donnée a priori, mais bien plutôt comme une construction intellectuelle articulant une expérience quotidienne selon des catégories et des schémas qu’éclairent puissamment la problématique des transferts culturels et le rapport des forces politiques.
643) La faiblesse des réseaux relationnels développés rend longtemps plus difficile la pénétration de l’imprimé au sein d’espaces géographiques très étendus, mais des substituts sont presque immédiatement mis en œuvre : ce sont les réseaux de marchands « généralistes » qui quadrillent l’Europe sud-orientale, ce sont aussi les voyageurs, les étudiants, etc., ce sont enfin les pratiques de copie et de circulation sous forme de correspondances et de copies manuscrites.
654) Pour autant, le travail reste très largement à engager, qui permettrait de dépasser le tableau quelque peu impressionniste ici présenté : l’approche sérielle s’appuierait notamment sur la prosopographie des imprimeurs, des libraires et des autres professionnels de la « librairie », mais aussi sur les statistiques de la production imprimée et sur l’étude des réseaux et des systèmes de la diffusion. D’autres perspectives, sans doute plus lointaines, s’ouvrent aussi du côté des auteurs et des auteurs secondaires (traducteurs, adaptateurs, etc.), ainsi que de la circulation et de la réception des livres et des textes, la perspective comparatiste devant, toujours et partout, être systématiquement privilégiée. En nos débuts du IIIe millénaire, la construction de l’Europe passe aussi, et d’autant plus, par le travail des historiens, et des historiens du livre, que les problématiques d’ordre culturel sont de plus en plus reconnues comme devant être reprises par un projet politique qui les a trop longtemps négligées.
Notes de bas de page
1 L’année 2002 était, par exemple, l’« Année hongroise » en Italie et l’« Année tchèque » en France, mais elle était aussi celle du bicentenaire de la fondation du Musée national de Hongrie, avec sa bibliothèque.
2 La stupéfaction devant la dislocation de la Tchécoslovaquie, voire devant le déclenchement de la guerre en Yougoslavie, a donné un témoignage tragique de ces méconnaissances.
3 Canetti E., Histoire d’une jeunesse, trad. fr., nouvelle édition, Paris, Le Livre de poche, 1980, p. 9-10.
4 Köztes-Európa, 1763-1993, Budapest, Osiris Kiadó, nelle éd., 1997, carte n° 1.
5 Atlas of Central Europe, Balatonfüred, Budapest, Society of St-Steven Püski, 1945, reprint 1993, p. 15.
6 Dans des titres d’ouvrages comme, par exemple : Béranger J., Lexique historique de l’Europe danubienne, Paris, Armand Colin, 1976 ; Magris C., Danube, trad. fr., Paris, L’Arpenteur, 1988.
7 Sur ce voyage, voir Barbier F., « Le Voyage pittoresque de la Grèce, par le comte de Choiseul-Gouffier », dans Hellénisme et hippocratisme dans l’Europe méditerranéenne : autour de D. Coraÿ, Montpellier, université Paul Valéry, 2000, p. 222-264. La Morlacquie est « un petit pays d’Europe [...] entre la Dalmatie et la Croatie, de 155 km environ sur 39 [...]. Carlopago et Zengg en sont les lieux principaux » (Dict. univ. d’histoire et de géogr., II, 1228).
8 Bartholdy J. L. S., Voyage en Grèce fait dans les années 1803 et 1804..., trad. de l’allemand, Paris, Dentu, 1807, 2 vol., I, p. 35.
9 Lettres de Coray au protopsalte de Smyrne Dimitrios Lotos..., éd. Mis de Queux de Saint-Hilaire, Paris, Firmin-Didot, 1880.
10 Barbier F., « L’impérialisme communicationnel : le commerce culturel des nations autour de la Méditerranée aux époques moderne et contemporaine », postface à Andréani R., Michel H. et Pélaquier É. (dir.), Des moulins à papier aux bibliothèques, Montpellier, Presses de l’université Paul Valéry, 2003, p. 675-704.
11 La bibliothèque existerait encore, et conserverait notamment une Iliade de 1542.
12 Dont les grands conciles se tiennent à Constantinople même ou à proximité immédiate, Chalcédoine (Kadiköi) et Nicée (Iznik).
13 Barbier F., « Encore les réseaux ? La péninsule balkanique revisitée », Les Entreprises et leurs réseaux : hommes, capitaux, techniques et pouvoirs, xixe-xxe siècles [Mélanges François Caron], Paris, Presses de l’université de Paris-Sorbonne, 1998, p. 297-310.
14 Canetti E., op. cit., p. 9.
15 Europas Mitte um 1100, éd. Alfred Wieczorek, Hans Martin Hinz, Stuttgart, Konrad Theiss Verlag, 2000, 2 vol.
16 Inchofer M., S. J., Annales ecclesiastici regni Hungariae, I, Roma, 1644.
17 Les Chemins de l’exil : bouleversements de l’Est européen et migrations vers l’ouest à la fin du Moyen Âge, Paris, Armand Colin, 1992.
18 Cevins M.-M., L’Église dans les villes hongroises à la fin du Moyen Âge (vers 1320-vers 1490), Budapest, Paris, Szeged, Institut Hongrois de Paris, 2003 (« Dissertationes »).
19 La Cartographie et l’histoire socio-religieuse de l’Europe jusqu’à la fin du xviie siècle, Actes du colloque de Varsovie (1971), Louvain, Revue d’histoire écclésiastique, 1974 (« Bibliothèque de la R.H. E. », V).
20 Rother C., Siebenbürgen und der Buchdruck im 16. Jahrhundert. Mit einer Bibliographie « Siebenbürgen und der Buchdruck », Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 2002 (« Buchwissenschaftliche Beiträge aus dem Deutschen Bucharchiv München », 71). Une introduction historique d’ensemble est également donnée par Kurze Geschcihte Siebenbürgens, dir. Béla Köpcczi, Budapest, Akadémiai Kiadó, 1990.
21 Ancel J., Peuples et nations des Balkans, nelle éd., Paris, C.T.H.S., 1992.
22 Notamment Bencsik P., Helységnévváltozások köztes-Európában 1763-1995, Budapest, Teleki László Alapitvány, 1997. L’équivalent pour le monde ottoman est donné par Akbayar N., Osmanli yer admari sözlügü, Istanbul, Aralik, 2001.
23 L’Europe des Anjou. Aventure des princes angevins du xiiie au xve siècle, Paris, Somogy, 2001, p. 150 (et suivantes, avec une vaste bibliographie complémentaire).
24 Hoensch J. K., Mathias Corvinus, Diplomat, Feldherr und Mäzen, Graz, Wien, Köln, Böhlau, 1998.
25 Article de présentation par Mikó A., « La nascita della biblioteca di Mattia Corvino e il suo ruolo nella rappresentazione del sovrano », Nel segno del corvo : libri e miniature della biblioteca di Mattia Corvino, Modena, Il Bulino, 2002, p. 23-31 (donne dans les notes une bibliographie complémentaire récente).
26 Mikó A., ibid., p. 26 et 30. Sur les Malatesta et leur rapport au livre, une très bonne synthèse a récemment été donnée : Malatesta Novello, magnifico signore : arte e cultura di un principe del Rinascimento, éd. Pier Giorgio Pasini, Bologna, Minerva Edizioni, 2002 (notamment p. 211 et suiv., « La Biblioteca Malatestiana », et la bibliographie).
27 Maillard J.-F., Kecskeméti J. et Portalier M., L’Europe des humanistes (xive-xviie siècles), Paris, C.N.R.S. Éditions, 2003, p. 246-247.
28 Un Missale et un Breviario romano, copiés à Florence dans les années 1480-1490, les Œuvres de saint Thomas d’Aquin, une Bible, etc.
29 On connaît aujourd’hui deux cent seize manuscrits de l’ancienne collection dispersés dans le monde, dont trente-neuf en Hongrie (Budapest), un nombre important en Italie (quinze à Modène, d’autres à Parme, Rome, Volterra, Vérone, Milan, Naples, et surtout à Venise et Florence), mais aussi à Vienne et en Allemagne (Munich et Göttingen, Erlangen et surtout Wolfenbüttel), en Pologne (Torun), quelques-uns encore en France et aux États-Unis.
30 Date de fondation de la Bibliothèque nationale de Hongrie. Pour une introduction générale, voir l’ouvrage commémoratif : Schätze der ungarischen National-Bibliothek, Budapest, Magyar Könivklub, 2002.
31 Date de signature du « Compromis » instituant la double monarchie d’Autriche-Hongrie.
32 Haebler K., Die Deutschen Buchdrucker des XV. Jahrhunderts im Auslande, München, Verlag Jacques Rosenthal, 1924. Une synthèse récente sur les débuts de la typographie en caractères mobiles est donnée par Gutenberg. Aventur und Kunst. Vom Geheimunternehmen zur ersten Medienrevolution, Mainz, Verlag Hermann Schmidt, 2000.
33 Niéto P., « Géographie des impressions européennes au xve siècle », Le Berceau du livre : autour des incunables, Revue française d’histoire du livre, Genève, Librairie Droz, 2003.
34 L’ouvrage de référence pour un panorama général de l’histoire du livre dans les Pays tchèques reste : Bohatcová Mirjam (dir.), ¢eská kniha [Le livre tchèque], Prague, 1990. Son auteur principal, spécialiste du xvie siècle, a publié en allemand, notamment dans le Gutenberg Jahrbuch, mais aussi en français : « Le livre et la Réforme en Bohême et en Moravie », J.-F. Gilmont (dir.), La Réforme et le livre, Paris, 1990, p. 393-416.
35 Notons que la situation est différente en Moravie où, sur vingt-trois incunables connus, deux sont en allemand et les autres en latin.
36 Csapodiné Gárdonyi K., Die Bibliothek des Johannes Vitéz, Budapest, 1984. Sur l’histoire de l’imprimerie en Hongrie sous l’Ancien Régime : Ecsedy Judit V., A Könyvnyomtatás Magyarországon a kézisajtó korában, 1473-1800, Budapest, Balassi Kiadó, 1999.
37 Chronica Hungarorum, préf. E. Soltész, Budapest, 1972 [fac-sim. de l’éd. Buda, Andreas Hess, 1473]. Kokay György, Geschichte des Buchhandels in Ungarn, Wiesbaden, Otto Harrassowitz, 1990 (donne la bibliographie complémentaire). Haebler Konrad, ouvr. cité, p. 280 et suiv.
38 Koblinger, qui semble originaire de Vienne, travaille à Vicence en 1479-1480, avant de revenir à Vienne (Haebler Konrad, ouvr. cité, p. 164 et 294-295). Un second imprimeur ne s’établira dans la ville qu’en 1510, avec Hieronymus Vietor, qui vient quant à lui de Cracovie. Son frère prend la succession en 1517, lorsque lui-même revient à Cracovie.
39 Le premier livre imprimé en Croatie actuelle est le Missale glagoliticum que donnent Bla Baromi© et ses associés à Zengg (Senj) en 1494 : voir Les 3 [trois] révolutions du livre [catalogue d’exposition], Paris, CNAM, Imprimerie nationale, 2002, p. 236. Baromi© avait collaboré à l’impression d’un bréviaire slave à Venise en 1493, et c’est sans doute lui qui est à l’origine de l’établissement de la typographie à Senj.
40 Schmitz W., Südslawischer Buchdruck in Venedig (16.-18. Jt.) : Untersuchungen und Bibliographie, Gießen, Wilhelm Schmitz, 1977.
41 Badali J., Jugoslavica usque ad annum 1600: Bibliographie der südslawischen Frühdrucke, Baden Baden, Heitz, 1959. Plav_i L., Srpske ∑tamparije od kraja 15 do sredine 19 veka [L’imprimerie serbe, du xve au xixe siècle], Beograd, 1959. Deux exemplaires sont conservés aujourd’hui du Breviarium Zagrabense, le premier à Budapest (Bibliothèque nationale de Hongrie), le second à Rome (Bibliothèque vaticane).
42 Rhodes D. H., Incunabula in Greece (...) : a first census, München, Kraus, 1980. Droulia L. et al., To hellenisto biblio, 1476-1830, Athènes, Banque nationale de Grèce, 1986. Droulia Loukia, « L’Imprimerie grecque : naissance et retards », H.-J. M. Melanges, Le Livre et l’historien, Genève, 1997, p. 327-341 (donne une bibliographie complémentaire). Barbier F. (dir.), « Le Livre grec et l’Europe, du modèle à la diffusion des Lumières », Revue française d’histoire du livre, n° 98-99, 1998. Sur Venise et les Grecs, voir Le Edizioni di testi greci da Aldo Manuzio e le prime tipografie greche di Venezia, Athènes, 1993.
43 Vilnius et Leontopolis (Lvov/Lviv), dès la seconde moitié du xvie siècle.
44 Au Proche-Orient, si l’on excepte Constantinople, la première imprimerie tourne en 1563 à Safed (Zefat), en arrière de Saint-Jean d’Acre, un centre religieux sépharade tout particulièrement actif au xvie siècle (atelier des frères Ashkenazi).
45 Catalogus librorum sedecimo saeculo impressorum Bibliothecae Teleki-Bolyai..., Târgu MureÒ, Lyra, 2001, 2 vol.
46 Barbier F., « Une librairie « internationale » : Treuttel et Würtz à Strasbourg, Paris et Londres », Revue d’Alsace, t. 111, 1985, p. 111-123 ; Jeanblanc H., Des Allemands dans l’industrie et le commerce du livre à Paris 1811-1870, Paris, CNRS, 1994.
47 Le plafond en trompe-l’œil illustre des scènes du concile de Trente.
48 Bibliophile et collectionneur passionné, il ruine sa famille pour constituer une bibliothèque extraordinaire de hungarica et de documents exceptionnels : éditions rares, manuscrits intéressant l’histoire de la Hongrie, documents d’archives (le testament original de Martin Luther), etc. Jankovich est l’auteur d’une première bibliographie des livres hongrois parus avant 1830, travail resté sous forme de manuscrit.
49 Barbier F., « L’Europe centrale et les réseaux du livre, xviiie siècle-1914 » = «KniÂni trhy ve st®edni a vychodní Evropπ v XVIII. Století-1914 », Jitka Radimská (dir.), Pour une étude des bibliothèques aristocratiques, bourgeoises et conventuelles..., ¢eské Budπjovice, 2000, p. 9-42 (« Opera romanica », 1).
50 Catalogus Bibliothecae hungaricae Francisci com[itis] Szechenyi. Tomus I scriptores hungaros et rerum hungaricarum typis editos complexus, pars I [II], Sopron, Typis Siessianis, 1799, 2 vol.
51 Un catalogue des manuscrits en est publié en 1815 : Catalogus manuscriptorum Bibliothecae nationalis hungaricae Szécényiano-regnicolaris, Sopron, Typis Haeredum Sissianorum, 1815.
52 On notera que la Bibliothèque nationale est distinguée du musée seulement en 1949.
53 Herder et les Lumières. L’Europe de la pluralité culturelle et linguistique, éd. Pierre Pénisson, Norbert Waszek, Paris, 2003 (Revue germanique internationale, 20, 2003).
54 Le premier livre imprimé en tchèque est la Kronika trojanská (Chronique troyenne) à Pilsen en 1468.
55 Köllner A., Buchwesen in Prag, von Václav Matπj Kramerius bis Jan Otto, Wien, Edition Praesens, 2000 (« Beiträge zum Buchwesen in Österreich », 1).
56 C. Th. Dimaras, Ellinikos Romantismos, Athènes, Ermis, 1993, notamment p. 315 et suiv. Plus ancien, du même anteur, La Grèce au temps des Lumières, Genève, Droz, 1969. Voir aussi Hellénisme et hippocratisme dans l’Europe méditerranéenne : autour de D. Coray, éd. Roland Andréani, Henri Michel, Élie Pélaquier, Montpellier, université de Montpellier III, 2000.
57 Ducreux Marie-Élisabeth (dir.), Histoire et nation en Europe centrale et orientale, xixe-xxe siècles, Paris, INRP, 2000.
58 Outre les ouvrages déjà cités, voir notamment : Paisey D. L., Deutsche Buchdrucker, Buchhändler und Verleger, 1701-1750, Wiesbaden, Otto Harrassowitz, 1988 (« Beiträge zur Buch –und Bibliothekswesen »).
59 Ces « catalogues de foires » (Meßkataloge) sont, d’abord, publiés par certains libraires pour présenter à leurs collègues leur fonds ou leur assortiment, puis étendus, à compter de 1599, à l’ensemble des nouveautés proposées à la foire de Francfort (par le libraire Peter Schmidt). Rapidement, ils sont publiés sous le contrôle des Magistrats (pour des raisons qui relèvent aussi de la censure).
60 Barbier F., « Construction d’une capitale : Leipzig et la librairie allemande, 1750-1914 », C. Charle et D. Roche (dir.), Capitales culturelles, capitales symboliques : Paris et les expériences européennes, Paris, Publications de la Sorbonne, 2002, p. 335-357.
61 Leipzig, Deutsche Bücherei, Geschäftsrundbriefen des Börsenvereins.
62 Ouvr. cité, p. 416-417.
63 Geschichte der böhmischen Sprache und ältern Literatur.
64 Liptak D., « Au xixe siècle : Budapest et la modernité éditoriale », Le Siècle de Victor Hugo : la librairie romantique et industrielle en France et en Europe, Genève, Droz, 2003, p. 267-288 (Revue française d’histoire du livre, 116-117, 2002, 2e livraison).
65 Barbier F., « Le livre exposé : le livre et les bibliothèques dans les expositions industrielles, 1850-1914 », F. Barbier et I. Monok (dir.), Vernetztes Europa 3 : les bibliothèques centrales et la construction des identités collectives, Leipzig, Leipzig Universitätsverlag, 2005, p. 296-324.
66 Magris C., ouvr. cité, p. 377.
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