Le diable dans les bibliothèques communistes : répression et censure dans le Brésil des années 1930
p. 103-118
Texte intégral
1Le titre de ce texte est évidemment inspiré par l’essai publié par Eduardo Frieiro en 1945, O diabo na livraria do cônego1 (Le diable dans la librairie du chanoine), qui présente un inventaire minutieux de la bibliothèque du chanoine Luís Vieira da Silva, l’un des participants de la ConjurationMineira2 de 1789. Dans cet essai, l’une des œuvres pionnières du genre au Brésil, le bibliophile Eduardo Frieiro analyse avec une érudition, émaillée de quelques touches d’ironie, ce qui devait être une des plus grandes bibliothèques de la région du Minas Gerais. Il s’amuse de la sensibilité conservatrice – et c’est intéressant dans la mesure où Frieiro avait une réputation de conservateur ou, tout au moins, d’adversaire des intellectuels avant-gardistes et gauchisants de son époque3 – en affirmant que l’esprit de Satan, en se dissimulant sournoisement parmi les lettres imprimées dans les livres, avait pénétré subrepticement dans la tête du père Luís Vieira, en y implantant les idées « dangereuses » et « révolutionnaires » des Lumières.
2Cette brève référence sert d’introduction à notre propre travail qui, dans un autre contexte historique, traite de questions semblables : la diabolisation des idées révolutionnaires et la censure et la répression sur les livres. S’il existe des passerelles reliant les projets révolutionnaires du xviiie siècle à ceux du xxe, il en va de même à propos de la contre-révolution, ce qui a été peu relevé et exploré par les sciences sociales et historiographiques. Au cours des deux périodes historiques, assez différentes sous plusieurs aspects, les défenseurs de l’ordre montrèrent un zèle semblable dans le combat contre les idées dangereuses et dans la vigilance envers leur support privilégié : le livre.
3Nous analyserons ici la vague anti-communiste qui déferla sur le Brésil dans la décennie 1930 sous un angle peu connu. Parmi les victimes de l’appareil répressif figuraient les livres, et naturellement les œuvres considérées comme subversives. L’arrestation de personnes accusées de liens avec le Parti communiste impliquait parfois la saisie de leurs livres, soit pour les utiliser comme preuves du crime présumé, soit pour retirer de la circulation des textes responsables de la divulgation de ce que l’on appelait les doctrines exotiques4. D’autre part, au cours de l’offensive conservatrice qui suivit le soulèvement révolutionnaire de novembre 1935, la radicalisation anti-communiste mena au ramassage des livres aussi bien dans les maisons d’édition que dans les librairies et, aussi, à l’épuration de bibliothèques publiques.
4Avant, toutefois, d’entrer dans le thème de la répression et de la censure, nous souhaiterions aborder une autre dimension de la participation des livres en tant qu’acteurs dans les batailles politiques des années 1930. Les livres constituaient un élément important dans la propagande du projet communiste et, également, dans la contre-propagande déclenchée par les forces de défense de l’ordre. Au milieu de l’ébullition idéologique consécutive à l’ascension de Getúlio Vargas en 1930, moment où les propositions radicales de gauche et de droite gagnèrent une plus grande visibilité publique, les littératures communiste et anti-communiste proliférèrent en même temps. Pour être plus précis, depuis les années 1920 des affrontements se produisaient déjà autour du projet bolcheviste et commencèrent à apparaître des œuvres destinées à entraver le prosélytisme politique encore timide du jeune Parti communiste. Dans les premières années, la plupart de ces livres circulaient en langue étrangère, généralement le français dans le cas de la littérature anti- communiste5 et l’espagnol et le français dans le cas des textes communistes. Mais c’est à partir de 1930 que la circulation des idées et des textes devient plus importante avec l’augmentation de la quantité d’œuvres et aussi du nombre de livres publiés en portugais, aussi bien des traductions que des ouvrages d’auteurs nationaux, ce qui fut possible grâce à la prolifération de petites maisons d’édition.
5Dans cette guerre de propagande, l’un des thèmes principaux, sinon le plus important, fut la bataille autour des descriptions de l’URSS. Pour la gauche, en plus d’être une conviction, un atout de propagande était l’argument selon lequel, sur les terres du vieil empire tsariste se construisait une société socialiste, un pays libre de l’exploitation et de la propriété privée, la véritable patrie des ouvriers. Du point de vue de la droite, bien sûr, il était indispensable de détruire les représentations positives de l’Union soviétique. Pour le ministre de la Justice de l’Estado Novo6, Francisco Campos – personnage-clé dans l’organisation du coup d’État de 1937 – ce devait être le thème le plus important. Dans une interview donnée à la presse près d’un mois après le coup d’État, faisant référence aux axes de la « Campagne Nationale contre le communisme » que la dictature voulait organiser, Campos affirma : « Il suffira de montrer que le soi-disant “paradis soviétique” est en réalité un enfer où personne ne peut exister, où il n’y a pas de garanties, ni de liberté, ni de conditions matérielles ou morales de vie7. »
6La bataille qui se livra, visant à dominer l’imaginaire relatif à l’Union soviétique, qui fut pendant des années l’une des principales lignes d’affrontement entre gauche et droite, trouva dans les livres ses armes les plus efficaces. Quelques œuvres favorables à l’expérience socialiste causèrent de l’émoi, plaçant leurs auteurs au milieu de conflits idéologiques acharnés. L’une d’elles fut écrite par le médecin et professeur Maurício de Medeiros, enseignant à la faculté de médecine de Rio de Janeiro qui, en 1931, publia des impressions recueillies lors d’un voyage en Union soviétique. Le livre de Medeiros, Rússia8, inaugura peut-être au Brésil un genre littéraire qui allait prospérer pendant plusieurs décennies : les récits de voyages dans les pays socialistes. Plusieurs œuvres de même nature virent le jour dans la première moitié des années 1930, dont celle, de la plume de l’historien marxiste, alors peu connu, Caio Prado Jr. (URSS, um novo mundo)9.
7La polémique que souleva Rússia, notamment la colère qu’il souleva auprès des groupes conservateurs, était due au fait que c’était l’un des premiers récits sur l’URSS qui ne contenait pas de condamnation péremptoire de l’expérience bolchevique. D’ailleurs, cela dut aiguiser la curiosité de beaucoup de lecteurs, compte tenu de la prédominance dans la presse et dans la littérature de versions nettement anti-communistes. Le ton du récit est à la modération dans la mesure où il y a des éloges et des critiques sur l’expérience soviétique. Le climat d’absence de liberté déplut à l’auteur (« cela me donna une impression d’asphyxie mentale ! »), ainsi que le taux d’alcoolisme élevé qu’il observa chez les Russes. Toutefois, Maurício Medeiros apprécia assez certaines attitudes et positions adoptées par les autorités soviétiques, et qui découlaient, à son avis, du respect qu’ils vouaient aux préceptes de la science (« La suprématie acquise par les techniciens m’émerveilla aussi, en donnant au travail de gouvernance un caractère rigoureusement scientifique »). Son enthousiasme fut éveillé notamment par les réformes réalisées dans le domaine de la moralité et des mœurs, par exemple, l’autorisation de l’avortement, l’éducation sexuelle à l’école et les procédures simplifiées pour l’obtention du divorce. D’une manière générale, en dépit des positions modérées de l’auteur, le ton dominant du livre est la sympathie, car, bien qu’il critique le manque de liberté en URSS, Medeiros croyait en la possibilité pour le régime soviétique d’évoluer vers une société démocratique.
8Mais les attitudes « avancées » et « scientifiques » du médecin carioca ne furent pas bien acceptées par tout le monde, et il se vit projeté, à sa grande surprise, et avant même la publication du livre, au centre d’une polémique publique. Agacé par les accusations, publiées dans certains journaux, selon lesquelles il serait un communiste déguisé, il répondit à la critique avec ironie :
« Dans la société où nous vivons, le monde de légendes créées à propos du communisme est si grand que le simple fait d’être allé en Russie et de revenir, sans dire que les hommes marchent sur la tête et que les maisons ont les fondations sur le toit, est un signe de solidarité suspecte avec le régime... Quand je suis revenu de Russie, j’ai livré quelques impressions à des journalistes qui m’interviewaient. Je n’ai rien dit d’extraordinaire : je n’avais vu fusiller personne, ni assisté à aucune bacchanale... Cela a suffi pour que certains journaux me déclarent associé à la Troisième Internationale10. »
9La façon dont l’œuvre de Medeiros fut reçue dans les cercles conservateurs peut être évaluée, aussi, en analysant son impact sur la littérature anti-communiste. Il fut attaqué par un intellectuel de droite qui, au cours de l’année suivant la publication de Rússia, lança dans un livre un libelle contre le communisme. Dans l’opuscule A bandeira de sangue (combatendo o communismo), où il laisse transparaître son enthousiasme pour les idées fascistes, Alcibiades Delamare lance une violente attaque contre l’URSS, pays dominé, selon ses propres mots, par la « horde hurlante du léninisme corrompu et corrupteur11 », qui l’aurait amené au chaos et à la barbarie. L’intention de Delamare est d’exhorter le peuple brésilien à réagir contre « l’invasion barbare de la horde de vandales », qui voudrait détruire la « civilisation splendide, qui fleurit [...] dans cette partie du continent américain12 ». Bien que le nom de Medeiros n’ait pas été mentionné directement, ce ne peut être que lui, « un certain professeur de médecine » critiqué par Delamare qui accuse le médecin de faire « une propagande subreptice et pernicieuse [...] de l’excellence et des vertus du communisme, au travers des pages d’un livre mirobolant, dont il est fait la publicité depuis peu13 ». Pour utiliser un vocabulaire guerrier, nous pouvons dire qu’au milieu de la bataille autour du projet communiste, avait lieu un combat singulier entre deux écrivains, qui ferraillaient et mesuraient leurs forces avec leur plume et leurs livres, pendant qu’autour d’eux se déroulait un combat bien plus vaste, où l’on utilisa souvent des armes bien plus puissantes.
10L’incursion de Mauricio Medeiros dans la littérature de voyage et la réputation de communiste qu’elle lui procura lui causèrent des ennuis bien plus graves que les polémiques dans la presse et les attaques écrites. Il fut l’un de ceux qui furent atteints par la vague répressive déclenchée après le soulèvement communiste de 1935, et il fut écarté de sa chaire à la faculté de médecine de Rio de Janeiro14.
11Quelques années plus tard, pendant la Seconde Guerre mondiale, un autre livre devint un objet de polémique, cette fois la traduction d’une œuvre publiée à l’origine en Angleterre. Il s’agit de O poder soviético, écrit par le révérend Hewlett Johnson, doyen de Canterbury, un religieux paradoxalement sympathisant du communisme15. Le travail fut traduit et publié au Brésil (1943) à un moment favorable à la propagande communiste, alors que l’URSS gagnait la guerre contre les nazis et, par conséquent, arrivait à construire une image internationale assez positive. Dans son ouvrage, le doyen Johnson louait les réussites des Soviétiques, exaltant spécialement les réalisations économiques atteintes par la révolution, qui avaient transformé le pays en une puissance capable de battre sur le champ de bataille la puissante machine de guerre nazie.
12La publication de O poder soviético au Brésil eut un fort impact, avec un accueil enthousiaste à gauche et furieux à droite. Il ne faut pas s’étonner de l’agitation provoquée par le livre. Pour la première fois, après des années d’intense propagande anti-communiste et anti-soviétique, et de censure sévère de la presse et des publications depuis l’implantation de la dictature (1937), apparaissait sur la scène publique un livre présentant une version positive de l’expérience bolchevique. On peut imaginer la façon dont l’œuvre fut accueillie dans les milieux progressistes à l’exemple de Monteiro Lobato. L’une des figures de proue de l’intelligentsia brésilienne, Lobato, ainsi que de nombreux intellectuels dans cette conjoncture, gravita autour du Parti communiste. Dans une interview accordée à la revue Diretrizes, Monteiro Lobato affirma que le livre de Hewlett Johnson contribuait à dissiper les « fausses notions sur le peuple soviétique » qui prévalaient au Brésil et il conclut : « C’est le premier livre honnête que j’ai lu sur la Russie16. »
13La réponse des milieux anti-communistes ne se fit pas attendre et le livre subit, au début, des attaques publiées dans les journaux. L’un des affrontements les plus retentissants dans les pages des journaux impliqua Lúcio José dos Santos, éminent intellectuel catholique et professeur à l’université de Minas Gerais, qui publia un article dévastateur dans la grande presse. Celui qui se présenta pour défendre O poder soviético ne fut autre que l’éditeur brésilien de l’ouvrage, José Calvino Filho, connu pour héberger dans son catalogue des titres en accord avec les idées de gauche (y compris Rússia). Défendant le livre du doyen Johnson contre les attaques lancées par le professeur catholique, Calvino le fustigea dans un article paru dans un journal carioca, accusant Lúcio José dos Santos d’être intégraliste et affirmant que critiquer l’Union soviétique à ce moment-là c’était faire le jeu du nazisme et de la cinquième colonne17.
14Quelques mois après l’édition de O poder soviético apparut un livre écrit spécialement pour le réfuter : A URSS do deão. Auteur de la réplique anti-communiste, Ildefonso Albano avait décidé de se manifester en comprenant le « dommage » causé par son mécontentement sympathique à l’égard des Russes. Il fut choqué par l’enthousiasme montré par de nombreuses personnes après avoir lu le livre :
« Ce ne fut pas seulement le jeune étudiant [...] que j’ai trouvé enthousiasmé par O poder soviético. J’ai entendu de la bouche d’hommes mûrs, cultivés et pleins d’expérience des paroles élogieuses sur le livre. L’effet psychologique de la lettre imprimée est curieux, même sur des hommes intelligents et expérimentés... La propagande a été faite avec une astuce diabolique : non seulement l’auteur du livre est un haut dignitaire d’une Église chrétienne, mais le préfacier se dit évêque catholique. On s’explique ainsi, d’une certaine manière, qu’une personne, même ayant l’esprit critique [...] se laisse contaminer18. »
15Préoccupé, donc, par le retentissement positif du livre du doyen anglais, Ildefonso Albano décida d’écrire un libelle montrant que la réalité soviétique ressemblait à un « sombre chaos », n’ayant rien de bon à offrir au Brésil. Contredisant point par point les arguments présentés dans l’œuvre de Johnson (« livre antipatriotique et de propagande communiste insidieuse, bien que mal faite et extrêmement exagérée19 »), Albano tentait de démontrer que le pays communiste était toujours « l’enfer soviétique ». Pour éliminer toute tentative de créer de la sympathie pour l’URSS chez les Brésiliens, il mit en doute les succès économiques attribués à ce pays en tentant de prouver le contraire, c’est-à-dire que l’économie soviétique était primitive et inefficace en comparaison des pays occidentaux. Il mit aussi l’accent sur la dénonciation du caractère répressif du pouvoir bolchevique, abordant en détail la persécution des religieux et la répression violente contre les adversaires du régime, démontrant en passant qu’il possédait une assez bonne connaissance de la situation.
16Regardons maintenant le montage et le fonctionnement de l’appareil répressif de l’État qui a permis de contrôler et d’expurger les livres. Au milieu de la radicalisation politique des années 1930, et avant même la dictature, le gouvernement Vargas mit en place une législation tournée vers le combat contre les « extrémistes », un euphémisme en réalité, car l’objectif réel était d’atteindre la gauche et, principalement, les communistes. Parmi les dispositifs de la « Lei Monstro20 » – surnom qui lui fut donné par les forces d’opposition – il y avait un article autorisant la saisie des publications considérées comme attentatoires à l’ordre politique et social21.
17Après les événements de fin novembre 1935, quand le Parti communiste ordonna un soulèvement armé contre le gouvernement (utilisant pour cela le nom de Aliança Nacional Libertadora, « Front Populaire » des gauches brésiliennes), la loi d’exception fut renforcée et utilisée à grande échelle. La Intentona comunista, ou conspiration communiste, terme forgé pour jeter l’opprobre sur la tentative révolutionnaire, fut à l’origine de la première grande vague anticommuniste déclenchée au Brésil, et qui mobilisa l’État et des secteurs de la société civile (presse, Église, chefs d’entreprises) dans une campagne comprenant des interventions dans le domaine de la (contre) propagande et l’intensification des activités répressives. Dans le climat de tumulte consécutif au soulèvement, Vargas reçut tout l’appui pour mettre en vigueur l’état de guerre, dispositif légal qui suspendait diverses garanties constitutionnelles et conférait au gouvernement des pouvoirs extraordinaires. La campagne anticommuniste lancée fin 1935 ouvrit la voie au coup d’État du 10 novembre 1937, qui fut, dans une large mesure, justifié par la nécessité de renforcer l’appareil de répression pour combattre le communisme22.
18Dans ce climat de « chasse aux sorcières », les livres devinrent la cible privilégiée de la rage purificatrice des défenseurs de l’ordre, qui affirmaient leur préoccupation de protéger la société de
« [l’]infiltration, du livre communiste. Il y a des années que nous le voyons dans les vitrines des libraires. Il y a des années qu’il a commencé sa tâche néfaste de conquérir des convictions pour les troupes rouges. Ici et là, ostensible ou déguisée, endoctrinant et mentant, la pensée marxiste opère peu à peu parmi nous une véritable invasion pacifique à travers le livre23 ».
19Les forces de l’ordre se préoccupaient de préserver du danger principalement la jeunesse,
« empoisonnée depuis plusieurs années par une littérature malsaine et d’orientation communiste. Cette littérature, comprenant quelques livres brésiliens qui, comme les livres étrangers, sont en train d’être retirés de la circulation, était le véhicule le plus sûr de la propagande. Pour cette raison, d’une certaine façon inexplicable, les éditions de telles œuvres se multipliaient et leur prix était plus accessible, sans que l’on sache exactement qui finançait de telles dépenses. Les livres sur la nouvelle Russie, œuvre passionnée, pleine d’escroqueries et de mensonges, devinrent pour cela courants et étaient vus dans toutes les mains, y compris celles des jeunes gens qui, dans leur enthousiasme ingénu, croyaient tout ce qu’ils lisaient24 ».
20Armées, donc, des instruments légaux exceptionnels que la vague anticommuniste leur avait octroyés, les autorités ont profité des nouvelles prérogatives pour saisir et retirer de la circulation des éditions entières, en plus d’empêcher la production de nouvelles œuvres suspectes. La radicalisation du sentiment anticommuniste atteignit des niveaux élevés et mena à ce que soient suggérées et mises en pratique des mesures visant à la destruction de la littérature « dangereuse », en recourant parfois à l’imaginaire médiéval. Un article publié dans l’un des principaux journaux du pays, après avoir fait l’éloge de l’action du gouvernement contre la littérature communiste, conclut sur un ton dramatique : « Contre cette force destructrice de l’unité et de l’harmonie entre frères, il n’existe que l’implacabilité médiévale des autodafés25. » Près d’un mois après la parution de cet article, les autorités de Bahia firent à Salvador un grand feu avec les livres saisis, pour la plupart des œuvres de Jorge Amado. Sur un bûcher monté devant l’Escola de Aprendizes Marinheiros, les flammes dévorèrent environ 800 exemplaires de Capitães da areia, entre autres titres brûlés ce jour-là26. La pratique était semblable à ce qui se passait dans l’Allemagne nazie, bien qu’ici la répression ait été de moins grande portée et le recours à la purification du « mal » par le feu moins fréquent.
21Les saisies de livres faites à l’époque ne produisirent pas seulement un obstacle à la libre circulation des idées et une perte pour les éditeurs. L’un des sous-produits de ces actions, peut-être le plus connu, fut son côté burlesque et souvent grotesque. Nous nous référons à la saisie d’ouvrages qui n’avaient, évidemment, rien à voir avec le communisme. Lors des opérations de ramassage de livres saisis par la police carioca, apparurent en vedette deux œuvres de Jorge Amado, Suor et Capitães de areia et aussi Lapa, de Luiz Martins et Tarzan l’invincible, de Edgard Burroughs27. Comme on le voit, la caractérisation de la littérature communiste obéissait à des critères assez vagues28. Si, dans le cas de l’auteur baiano, le caractère subversif des œuvres peut être pris en considération – finalement Jorge Amado était un écrivain connu comme un homme de gauche et le roman Suor baignait dans une atmosphère prolétarienne et portait un message communiste diffus, tandis que ses Capitães de areia, gamins marginaux et délinquants se transforment, à la fin de l’histoire, en brigade de choc du Parti communiste – la saisie du livre qui raconte les aventures de « l’homme de la jungle » frise le ridicule29. C’est certainement pour cette raison, c’est-à-dire la crainte d’être ridiculisée, que la police diffusa, quelques jours après la saisie des livres, une note officielle expliquant l’inclusion de Tarzan dans la liste des œuvres communistes. Les censeurs alléguèrent l’existence de passages du livre30 où les personnages critiquent le capitalisme.
22Des épisodes comme ceux-là, qui portent facilement et volontiers à rire, ne devraient cependant pas nous empêcher de percevoir le sérieux de l’offensive répressive. En définitive, une censure effective et pesante était en train d’être mise en place et les idées dissonantes par rapport au projet dominant furent réprimées de fait, sans parler de la répression physique sur ceux qui produisaient ou reproduisaient de telles idées. En laissant de côté les situations limites qui pourraient nous donner une vision caricaturale et dérisoire de la répression, beaucoup de livres contenant des idées révolutionnaires, y compris de propagande communiste, furent retirés de la circulation par des policiers et des censeurs et souvent détruits, encore que nous n’ayons pas un tableau précis de la situation car une évaluation plus large de la censure sur les publications dans cette conjoncture reste encore à faire.
23Mais l’impulsion « curative » des autorités ne se limita pas à empêcher la circulation des publications suspectes. Dans certains cas, elle se retourna aussi contre les collections des bibliothèques. En Minas Gerais la campagne anticommuniste rencontra un bon accueil grâce, entre autres facteurs, à l’influence locale des groupes de droite, notamment les catholiques conservateurs. À la suite de la « découverte », en octobre 1937, du plan Cohen, grotesque conspiration attribuée aux communistes et qui fut manipulée pour justifier l’intensification de l’autoritarisme, les autorités fédérales annoncèrent de nouvelles mesures répressives, dont la saisie de livres suspects de « propager des idées communistes ou contraires à la formation d’une mentalité nationale forte31 ».
24Attentif aux orientations provenant de la capitale fédérale, le gouverneur Benedito Valadares créa deux commissions dont la tâche était de fournir des subventions à l’État pour la mise en place de politiques anticommunistes, toutes deux constituées d’intellectuels réputés. La première avait pour mission d’orienter la propagande anticommuniste et de censurer les livres (didactiques, scientifiques, romans) suspects de faire la propagande directe ou indirecte des idées de l’« ennemi ». Et l’autre devrait « formuler des suggestions dans le sens d’une plus grande efficacité de l’enseignement civique et du combat contre le communisme dans toutes les écoles de l’État du Minas Gerais32 ».
25La Mairie de Belo Horizonte ne voulait pas être à la traîne en matière de zèle anticommuniste et elle annonça aussi ses propres mesures. D’ailleurs, le maire Otacílio Negrão de Lima semble avoir subi des pressions dans ce sens car la purge qu’il vint à ordonner fut discutée et recommandée par des conseillers municipaux33. Le 21 octobre 1937, alléguant la gravité de la menace révolutionnaire sur les institutions et soulignant le rôle de la bibliothèque municipale en tant qu’instrument d’éducation du peuple – une de ses missions étant de « renforcer dans l’esprit public la foi et la confiance dans les institutions en place » – Negrão de Lima décréta l’élimination des livres « qui par leur idéologie communiste ou de quelque façon contraires au régime, seraient devenus préjudiciables à l’éducation populaire34 ». Pour permettre l’exécution du décret une commission chargée de faire le tri dans la bibliothèque et d’identifier les livres dangereux fut nommée. Les membres en étaient Oscar Mendes, Mario Mendes Campos e Francisco Magalhães Gomes, noms connus de l’élite intellectuelle catholique mineira.
26Il est important de noter que la Bibliothèque publique municipale était la plus grande institution du genre de l’État, position qu’elle ne perdra qu’à la fin des années 1950 quand fut créée la véritable Bibliothèque de l’État. La Bibliothèque municipale avait été créée à l’époque de la construction de la capitale, c’est-à-dire dans la dernière décennie du xixe siècle ; elle était le fruit du républicanisme qui avait animé les planificateurs de la ville de Belo Horizonte. À partir de 1914, la bibliothèque fonctionna dans le même immeuble que celui du Conselho Deliberativo (Chambre des conseillers municipaux), édifice monumental de style manuélin – bien que d’un goût douteux – situé au centre de la ville35. L’offensive de la censure a donc atteint l’une des institutions culturelles les plus importantes de la ville et du Minas Gerais.
27Quelques mois après la sortie du décret, le travail de la commission fut prêt et ses conclusions divulguées dans la presse. Un des journaux de la capitale annonçait en gros titre, sur un ton à la fois confiant et soulagé : « Élimination des mauvais livres de la Bibliothèque Publique. » Le travail a pris beaucoup de temps, justifiait le texte de l’article, car la commission s’est consacrée « scrupuleusement à la tâche » et s’est arrêtée sur chaque ouvrage pour appliquer un « jugement consciencieux » dans une « stricte fidélité à l’esprit moralisateur qui a inspiré le décret » du maire36. Les livres indésirables furent classés en trois catégories : communistes ou communisants, inconvenants et à consultation limitée. Sur recommandation de la commission, les 21 livres considérés comme communistes et les 37 jugés inconvenants furent enfermés dans une caisse, leur lecture étant totalement interdite. Quant aux 16 œuvres classées comme étant à consultation limitée, elles devaient être retirées des rayons et délivrées uniquement aux personnes expressément autorisées par le bibliothécaire.
28Au total, 74 livres furent récupérés à la suite de l’épuration anticommuniste ; ils étaient considérés comme inadaptés aux yeux sans défense des citoyens mineiros, dont les autorités voulaient, à tout prix, protéger la pureté des tentations contenues dans la littérature « dangereuse ». Dans l’esprit des dirigeants de la ville, la Bibliothèque publique devait servir à instruire et à éduquer les citoyens, mais ce travail de construction culturelle devait mener au renforcement de l’édifice du pouvoir et de l’ordre et ne jamais contribuer à un questionnement sur ses fondements. Toute ironie mise à part, l’inquiétude démontrée par notre élite culturelle et politique dans ces épisodes de la campagne contre le communisme est révélatrice d’un embarras déconcertant qui, au-delà de la peur de la subversion de l’ordre, pourrait être un indice du manque de confiance dans leur capacité à agir comme force dirigeante.
29Comme la commission ne qualifia de communistes que 21 livres sur 74, il est clair qu’elle interpréta librement les instructions du maire – dont le décret, rappelons-le, ordonnait l’élimination des œuvres communistes et opposées au régime – et profita de l’occasion pour débarrasser la bibliothèque d’autres genres de « littérature dangereuse ». Malheureusement, mais de façon significative, dans les articles sur l’épuration parus dans la presse, n’apparut que la liste des livres communistes ou communisants, ce qui rend impossible de connaître les autres lectures considérées comme inadéquates dans l’optique des censeurs, celles qui furent classées comme inconvenantes et de lecture limitée. Nous pourrions dire, en faveur du comité de censure, qu’au moins il n’a pas demandé de brûler les livres, ce qui n’aurait pas été du tout surprenant compte tenu du contexte, leur évitant ainsi une gêne encore plus grande.
30La divulgation de la liste était accompagnée d’une note explicative, probablement destinée à protéger le bibliothécaire (et par extension, le maire) contre d’éventuelles accusations de complicité ou d’indulgence vis-à-vis de la propagande communiste : la plus grande partie des ouvrages subversifs était arrivée à l’institution par donation et, de plus, avant même l’épuration, la bibliothèque en limitait déjà l’accès au public37. La liste imprimée dans les journaux ne contenait que les titres et les auteurs des ouvrages et, malgré cela, avec des imprécisions et des fautes d’orthographe. Aucune information ne fut fournie sur les maisons d’édition responsables ni sur les dates et les lieux de publication38. Comme les efforts entrepris jusqu’à présent pour localiser les documents officiels de la mairie ou de la Bibliothèque disparue n’ont pas donné de résultats positifs et que, d’autre part, nous n’avons pas eu accès à tous les livres interdits, la tentative de les analyser dans leur ensemble sera, nécessairement, fragmentaire et incomplète39.
31Dans la liste des 21 « mauvais livres » se trouvent neuf œuvres étrangères – sept traduites et deux dans la langue d’origine –, dont les auteurs sont soviétiques, français et un argentin, et 12 livres d’auteurs nationaux. Comme on pouvait s’y attendre, les livres dédiés à la thématique politique prédominent, mais il y a aussi des romans et des ouvrages au contenu scientifique. En premier lieu, les titres dédiés à l’analyse de la société soviétique attirent l’attention, œuvres sympathiques vis-à-vis de l’URSS qui, parfois, ne sont que des textes de propagande. Ce groupe de sept livres a dû, certainement, attirer immédiatement l’attention des censeurs de la bibliothèque, notamment Staline, un monde nouveau vu à travers un homme40, qui est une espèce de biographie hagiographique de Staline, écrite par l’un des intellectuels communistes européens les plus connus des années 1920 et 1930, Henri Barbusse. Deux des livres saisis nous sont déjà connus, récits de voyage au pays des Soviets qui provoquèrent des polémiques dans les milieux conservateurs brésiliens : Russia, de Mauricio de Medeiros, et URSS, um novo mundo, de Caio Prado Jr.
32Les quatre cas restants sont des œuvres qui traitent d’aspects particuliers de la vie soviétique comme la sexualité (A vida sexual na Rússia Soviética, de H. Fouillet) – thème qui, d’ailleurs, excitait pas mal les humeurs des anticommunistes –, l’éducation (A Educação na Russia Soviética, de Seman Fridman), l’économie (O Plano Qüinqüenal, de Grigor Grinko) et la médecine (A medicina na Rússia, Lelio O. Zeno). Les livres dédiés à l’éducation et au plan quinquennal soviétique ont été publiés par deux petites maisons d’édition communistes, et il ne fait aucun doute qu’ils tressaient des lauriers aux réalisations de la « patrie du socialisme41 ». Quant aux deux autres, le livre de Fouillet avait pour but de démystifier la propagande anticommuniste, qui accusait les Soviétiques de détruire la famille et d’instaurer la « communauté des femmes [...] et autres bêtises42 », alors que l’ouvrage du médecin argentin Lelio Zeno ne peut pas être classé comme une œuvre de propagande, bien que l’auteur se montre séduit par les avancées scientifiques de l’Union soviétique, tout comme Maurício de Medeiros43.
33Nous pouvons classer trois livres de plus comme des textes directement liés au projet communiste, deux écrits par rien moins que les leaders suprêmes du bolchevisme, Lénine (Communismo) et Staline (Em marcha para o socialismo). Ces textes, probablement des brochures contenant des discours ou des rapports politiques produits par les deux dirigeants communistes – matériel adapté au prosélytisme rapide des idées révolutionnaires – ont été publiés aux frais du Parti communiste44. Le troisième est un ouvrage en français écrit par Victor Serge, intellectuel et militant au parcours riche et complexe, qui est passé de l’anarchisme au bolchevisme puis à la dissidence anti-stalinienne, échappant de peu à la mort au goulag. Paradoxalement, le livre en question (Destin d’une Révolution45) fut écrit pendant la période anti-stalinienne de Victor Serge et il critiquait la « dégénérescence bureaucratique » et le « thermidorianisme » qui auraient attaqué l’expérience soviétique après l’ascension de Staline au pouvoir. Mais, comme l’auteur maintenait sa foi dans le projet socialiste, en dépit des critiques contre le stalinisme, l’œuvre avait dû être lue comme favorable au communisme, ce qui avait suffi à sceller son destin.
34Les censeurs de la Bibliothèque publique de Belo Horizonte interdirent aussi deux livres de leaders modérés de gauche actifs dans le Brésil du début du xxe siècle : Cristianismo, Catolicismo e Democracia, de Antonio Piccarolo, et Anarchismo, Communismo, Socialismo, de Nicanor Nascimento46. Antonio Piccarolo appartenait à un groupe qui, au début du siècle passé, comptait de nombreux adeptes : les Italo-Brésiliens militants de gauche. Il est curieux de trouver Piccarolo sur une liste d’auteurs communistes puisqu’au début de la décennie 1920 il s’était employé à attaquer, par presse interposée, les actions du gouvernement bolchevique. Le socialisme qu’il envisageait était assez éloigné du modèle soviétique. Nicanor Nascimento appartenait à un autre type social qui prospéra dans les premières décennies du xxe siècle : l’intellectuel qui se rapproche du mouvement ouvrier naissant dans le but d’offrir ses services. Agissant auprès des organisations de travailleurs, Nascimento parvint à être élu député grâce au vote ouvrier. Toutefois, son profil correspond difficilement à l’image d’un leader communiste. Comme on le voit, la commission de censure ne plaisantait pas et ne faisait pas dans la nuance...
35Nous avons trouvé des exemples intéressants du type de littérature qui était considérée comme dangereuse par les censeurs de la bibliothèque avec les livres As bases do separatismo47, de Wanderley,et O problema feminino e o divórcio, de Augusto César. Le livre de Wanderley consistait en une critique féroce de l’organisation nationale brésilienne, considérée par l’auteur comme une construction totalement artificielle et impraticable en tant qu’État. Sa conclusion est également radicale : la solution aux problèmes du pays serait sa séparation en unités plus petites et plus viables. Dans la marée montante du nationalisme de droite de ces années-là, il n’est pas étonnant que le traité séparatiste ait été considéré comme subversif. D’ailleurs, certains caciques de la pensée de droite trouvaient qu’une des tactiques du communisme pour atteindre ses objectifs révolutionnaires était de semer la division dans la nation. Il est possible que le comité de censure de la Bibliothèque publique de Belo Horizonte ait considéré ce Wanderley (cela ressemble à un pseudonyme) comme cryptocommuniste.
36Quant à l’ouvrage consacré au divorce et à la question féminine, il abordait des thèmes qui touchaient un des points les plus sensibles de la mentalité conservatrice. Pour ces domaines, le défi révolutionnaire impliquait beaucoup plus que des menaces sur la propriété et sur des privilèges sociaux. Par défense de l’ordre, ils entendaient aussi la protection de la morale chrétienne et de la structure familiale traditionnelle, ainsi que le maintien de la femme dans son rôle conventionnel. Et comme les bolcheviques installèrent en Union soviétique un code moral opposé aux valeurs chrétiennes, les conservateurs avaient tendance à sentir l’odeur du communisme dans toute posture moderne dans le domaine des comportements. Dans le livre en question, l’auteur défend le divorce comme étant plus adapté à la nature et aux demandes du temps que le mariage indissoluble. Il vaut mieux organiser le divorce plutôt que d’affronter le manque de contrôle des pulsions, pensait Augusto César48.
37En poursuivant cette brève analyse des livres censurés, nous trouvons un manuel d’introduction au droit (Introducção á Sciência do Direito, de Hermes Lima), un ouvrage qui semble avoir bien marché compte tenu de ses nombreuses rééditions49. Le livre était loin d’être un ouvrage politique et encore moins de propagande communiste. Il n’entra pas cependant dans l’index des « mauvais livres » sans motif. Hermes Lima, professeur de droit à l’université du District fédéral, était un homme de gauche, connu pour collaborer au journal A Manhã, édité par l’Aliança Nacional Libertadora50. Il fut l’un des professeurs de la faculté de droit de Rio de Janeiro emprisonné pour avoir été soupçonné de participation au soulèvement communiste, ce qui lui coûta, en plus de sa chaire, quelques mois de prison. Hermes Lima n’était pas communiste, mais matérialiste et socialiste modéré. Dans le manuel de droit en question, il citait Engels en appui de ses thèses matérialistes et cela, plus sa réputation d’intellectuel de gauche, dans un moment de radicalisation notable de la droite51, constitua, aux yeux des censeurs, des preuves suffisantes pour que son manuel soit classé parmi les œuvres communisantes. Un autre de ses livres, qui figurait dans la liste des interdits, Problemas do nosso tempo52, était une sélection d’essais et d’articles sur la politique et la philosophie. Hermes Lima y défendait des opinions chères à la gauche, et critiquait notamment les leaders de l’Église qui exploitaient le sentiment religieux du peuple au profit de campagnes anticommunistes. Dans ce cas, il n’y a pas de doute, il touchait à un point sensible...
38Pour compléter la liste des livres censurés, on trouve cinq ouvrages que nous pourrions classer, génériquement, comme littérature de fiction ou romans : Cimento, du russe Fedor (Fiódor) Gladkov ; Ponta de Rua, de Frão (en réalité Fran) Martins et trois livres de Abguar Bastos : Terra de Icamiaba, Safra et Certos caminhos do Mundo. Dans le premier cas, il s’agit de l’un des principaux exemples littéraires du réalisme socialiste, norme esthétique qui domina la production artistique et culturelle en Union soviétique à partir des années 1930. À la rigueur, Cimento est un roman pré-réaliste socialiste, car il fut déjà publié dans les années 1920. Gladkov était proche de Maxime Gorki et d’autres écrivains qui, dès les premières années de la révolution, luttèrent pour l’affirmation d’une « esthétique prolétarienne ». Quand le réalisme socialiste devint l’esthétique officielle et la norme à suivre de force par les artistes soviétiques, Cimento devint l’un des principaux modèles de roman prolétarien, bien que son langage cru et ses descriptions naturalistes aient probablement paru excessifs dans le contexte plus conservateur de l’URSS des années 1930.
39Comme le livre fut traduit en portugais dès 193353, il serait intéressant de vérifier son influence sur les auteurs qui ont tenté de composer des romans prolétariens situés au Brésil. Serait-ce le cas des quatre derniers livres de notre liste ? En ce qui concerne Abguar Bastos, ses livres auraient pu entrer dans l’index indépendamment de leur contenu étant donné que leur auteur fut emprisonné sur l’accusation d’implication dans le soulèvement communiste. Bastos était député fédéral en 1935 et fut détenu et révoqué en même temps que quatre autres parlementaires, tous liés à l’Aliança Nacional Libertadora. Comme il s’agissait de personnages connus sur le plan national, leur œuvre littéraire devenait automatiquement suspecte. Nous avons réussi à localiser Terra de Icamiaba et Safra54. Dans le premier cas, il s’agit d’un livre consacré à certaines légendes amazoniennes où il est difficile de trouver un quelconque contenu politique, même indirect. Safra, pour sa part, peut s’inscrire dans le genre du roman prolétarien, bien qu’il ne répande aucun message explicitement révolutionnaire : c’est une histoire sur des cueilleurs de noix de la région d’Amazonie, qui dénonce l’exploitation des travailleurs par les grands propriétaires terriens.
40Le livre Ponta de rua55 a aussi comme protagonistes des personnages de prolétaires, sauf qu’ils habitent une grande ville. Cet ouvrage doit avoir réellement blessé la sensibilité des censeurs, car l’auteur a exploré de façon particulièrement précise des thèmes liés aux mœurs et à la sexualité. Les prolétaires qui habitent ces pages combattent la police et protestent contre les patrons et les propriétaires, mais en même temps ils exposent au lecteur des comportements sexuels assez osés, surtout si l’on tient compte du contexte, par exemple, adultère, bigamie, lesbianisme et inceste. Le livre semble vouloir provoquer choc et scandale, mais, sur le plan littéraire, il est assez médiocre. Dans Ponta de rua les lecteurs conservateurs trouvent un condensé de tout ce qu’ils exècrent le plus car le roman était un mélange de dénonciation sociale et d’exposition crue d’habitudes sexuelles contraires à la moralité dominante.
41En somme, une grande partie des livres interdits avaient un certain rapport avec le communisme. Certains étaient des œuvres de divulgation de la pensée marxiste et autres textes de propagande révolutionnaire et des réalisations de l’Union soviétique. Cependant, une partie substantielle des livres éliminés de la Bibliothèque de Belo Horizonte ne pourrait être classée comme communiste, et ce doit être pour cela que les censeurs se saisirent du néologisme « communisant ». Le mot servait probablement à désigner les œuvres qui n’étaient pas communistes mais se situaient dans l’univers culturel de la gauche et, donc, dans l’optique des conservateurs, elles pouvaient ouvrir la voie à la progression des révolutionnaires. Une des obsessions des chasseurs de « rouges », actifs dans cette conjoncture, et bien d’autres, a toujours été de surveiller aussi les « roses », c’est-à-dire, les alliés et les sympathisants du communisme. Pour utiliser une expression populaire, dans une période sombre « tous les chats sont gris », ou, pour parler comme un militaire qui s’était distingué pendant la campagne de répression des années 1930 : « En ce moment les ennemis de la patrie ne sont pas seulement les adeptes ou les sympathisants du communisme, mais aussi les indifférents56. » S’il y avait des généraux influents au gouvernement de la République disposés à traiter comme des ennemis, non seulement les sympathisants des « rouges », mais aussi les indifférents à la campagne d’épuration du pays, il ne faut pas s’étonner de la persécution contre les livres. Dans le projet de nation que les forces gouvernementales mirent en pratique ces années-là, le communisme représentait le négatif, ce que la nation ne devait pas être, l’ennemi contre lequel les Brésiliens devraient se mobiliser : l’étranger, l’autre et, à la limite, le mal. Pour les plus exagérés ou les croyants, le mal absolu : le démon. De là à la diabolisation, par extension, des livres communistes, il n’y eut qu’un pas. Il est possible de comprendre la motivation de ces actions, toutefois, nous ne sommes pas obligés de les admettre ou de les accepter.
42Il existe des preuves que les livres expurgés, après le déclin de la dictature de Vargas, retournèrent sur les rayons de la Bibliothèque publique de Belo Horizonte, ce qui pourrait donner un souffle positif pour atténuer un peu cet épisode obscurantiste. Toutefois, après avoir affronté et survécu à la vague anticommuniste, ils furent les victimes d’un autre fléau courant dans ces parages, le désintérêt officiel pour la culture. Mais c’est là un thème pour de futures recherches.
Notes de bas de page
1 Frieiro E., O diabo na livraria do cônego, Belo Horizonte, Livraria Cultura Brasileira, 1945.
2 Révolte avortée contre la domination portugaise et l’exploitation des richesses locales par la Métropole (N.D.T.).
3 Cf. Werneck H., O desatino da rapaziada : jornalistas e escritores em Minas Gerais, São Paulo, Companhia das Letras, 1992, p. 48-61. Frieiro en arriva à qualifier les avant-gardes artistiques d’« armes de propagande des bolchevisants des Amériques ».
4 Dans les archives du Departamento de Ordem Política e Social de Minas Gerais (DOPS/MG), service de la police de l’État dédié à la surveillance et à la répression des révolutionnaires, se trouvent des dossiers de quelques saisies (aussi bien des listes de livres que des copies de certains ouvrages). Ce matériel pourra être utilisé pour de futures recherches, quand les archives seront organisées et ouvertes à la consultation. Le travail d’organisation est en cours grâce à un partenariat entre le Departamento de História da UFMG et l’Arquivo Público Mineiro, avec un financement du CNPq et de Fapemig.
5 Cf. Motta R. P. S., Em guarda contra o « perigo vermelho » : o anticomunismo no Brasil (1917-1964), São Paulo, Perspectiva/Fapesp, 2002.
6 Régime dictatorial instauré au Brésil par Getúlio Vargas à la fin des années 1930 (N.D.T.).
7 A Noite, 10 décembre 1937 (édition finale), p. 1 et 2. L’autre point de la propagande anti-communiste assénée par Campos était d’exalter les réalisations et les qualités de l’Estado Novo de façon à démobiliser les esprits radicaux.
8 Medeiros M., Russia : notas de viagem – impressões – entrevistas – observações sobre o regimen sovietico, Rio de Janeiro, Calvino Filho, 1931.
9 Une liste des récits de voyages des années 1930 peut être trouvée chez Konder L., A derrota da dialética : a recepção das idéias de Marx no Brasil até o começo dos anos trinta, Rio de Janeiro, Campus, 1988, p. 185-186. Dans les décennies suivantes, notamment après 1964, les livres à caractère anti- communiste tendront à prédominer. À titre d’exemple nous pouvons citer Sued I., 000 contra Moscou : viagem ao pais do mêdo, Rio de Janeiro, Bloch, 1965 ; Tonussi A., Fui estudante em Moscou, 2e ed., Rio de Janeiro, Laudes/MEC, 1971.
10 Medeiros M., op. cit., p. 209.
11 Delamare A., A bandeira de sangue (combatendo o communismo), Rio de Janeiro, Typografia do Jornal do Commercio, 1932, p. 65.
12 Ibid., p. 16.
13 Ibid., p. 41.
14 Cf. Lima B., « Discípulos de Zola », Jornal do Brasil, 27 mai 1938, p. 5.
15 Des livres de Hewlett Johnson arrivèrent aussi en Colombie, influençant la formation de communistes locaux ; cf. Hobsbawm E., Tempos interessantes : uma vida no século XX, São Paulo, Companhia das Letras, 2002, p. 408.
16 Apud Bandeira M., Melo C., Andrade A. T., O ano vermelho : a Revolução Russa e seus reflexos no Brasil, Rio de Janeiro, Civilização Brasileira, 1967, p. 250. Il est possible de mesurer l’impact du livre du doyen par le chiffre des ventes significatif. La maison d’édition responsable, Calvino Filho, sortit sept éditions de O poder soviético en deux ans.
17 Le texte de Calvino sortit dans le Diário da Noite (Rio de Janeiro) de 5 novembre 1943.
18 Albano I., A URSS do deão, Rio de Janeiro, Francisco Alves, 1944, p. 296.
19 Ibid., p. 295.
20 Il s’agit de la loi de Sécurité nationale mise en place par le gouvernement Vargas en avril 1935 pour combattre les crimes contre « l’ordre politique et social » (N.D.T.).
21 Loi n. 38, 4 avril 1935, article 26 : « Il est interdit d’imprimer, de mettre en vente, de vendre ou, de quelque manière, de mettre en circulation des gravures, livres, pamphlets, bulletins ou toute publication non périodique, nationale ou étrangère, dans lesquels se manifeste la pratique d’acte défini comme crime dans cette loi, les exemplaires devant être saisis... »
22 Pour une analyse plus détaillée de l’épisode cf. Motta R. P. S., op. cit.
23 Dantas M., « Auto de fé », Jornal do Brasil, 28 octobre 1937, p. 5.
24 Article rejetant des déclaration du ministre de la Justice, A Noite, 10 décembre 1937 (Edição Final), p. 1.
25 Dantas M., op. cit., p. 5. L’attaque de l’auteure ne se limitait pas à la littérature communiste ; elle visait aussi les livres qui stimulaient le régionalisme.
26 Estado da Bahia, 17 décembre 1937, p. 3. Citation reprise sur la quatrième de couverture de la 110e édition de Capitães da areia (rééd., Rio de Janeiro, Record, 2003).
27 Acção (jornal integralista), 10 décembre 1937, p. 1.
28 Un autre cas de saisie curieuse se produisit avec quelques livres pour enfants de Monteiro Lobato, accusés d’inculquer aux enfants des idées matérialistes. Cf. Carneiro M. L. T., Livros proibidos, idéias malditas : o Deops e as minorias silenciadas, São Paulo, Estação Liberdade, 1997, p. 73-77. Même après la dictature et la mort de l’auteur son œuvre continua à avoir des problèmes avec le mécontentement des conservateurs, encore préoccupés de protéger les enfants. Voir le libelle du père Sales B., Literatura infantil de Monteiro Lobato ou communismo para crianças, Salvador, Aguiar & Souza Ltda, Livraria Progresso Editora, 1957.
29 L’épisode de la saisie de Lapa, qui fut suivi de son arrestation, fut commenté, des années après, par l’auteur du livre dans l’introduction d’une autre œuvre. Selon Luiz Martins, qui n’a jamais compris les véritables raisons de la saisie, le livre contenait des passages piquants et scandaleux traitant de la bohème de la région de Lapa, à Rio de Janeiro. La sensualité présente dans le livre a dû suffire pour le faire classer comme dangereux par les groupes conservateurs. Cf. Martins L., O noturno da Lapa, Rio de Janeiro, Civilização Brasileira, 1964, p. 1-11.
30 Cf. Acção, 14 décembre 1937, p. 16.
31 La répression sur les livres était l’item n° 8 des normes établies par la Commission exécutive de l’État de Guerre. Cf. Jornal do Brasil, 17 octobre 1937, p. 7. L’état de guerre, déclaré dans le contexte post-Soulèvement, resta en vigueur jusqu’en juin 1937, quand le gouvernement comprit qu’il n’y avait plus de « climat » pour demander sa prolongation au Congrès. Il fut institué de nouveau en octobre 1937, justifié par le choc provoqué par la divulgation du plan Cohen.
32 Estado de Minas, 23 octobre 1937, p. 3.
33 Estado de Minas, 22 octobre 1937, p. 4.
34 Prefeitura de Belo Horizonte, Decretos e Resoluções de 1937, Belo Horizonte, Imprensa Oficial, 1938. Il semble qu’il y ait eu une certaine compétition entre les autorités (conseillers municipaux, maire et gouverneur), dans le désir de se montrer zélés dans la lutte contre le communisme. Dans ce contexte, marqué par des manifestations spectaculaires de dégoût pour les idées révolutionnaires, montrer de l’engagement dans l’adoption de mesures anticommunistes pouvait avoir une valeur politique.
35 La date du déménagement pour le nouveau bâtiment est approximative. Je remercie Ivana Parrela, directrice de l’Arquivo Público da Cidade de Belo Horizonte, qui m’a fourni le peu de données disponibles sur l’ancienne bibliothèque municipale, ainsi que l’étudiante Aline Brettas.
36 Extraits tirés de l’article « Élimination des mauvais livres de la Bibliothèque Publique », O Diário, 13 avril 1938, p. 3.
37 « Afastadas da Bibliotheca Publica as obras communistas », Estado de Minas, 14 avril 1938, p. 5. Il est probable qu’un organisme public ait rédigé une note officielle et l’ait distribuée aux journaux, car les articles publiés avaient une rédaction pratiquement identique. La seule différence marquante est que l’Estado de Minas a omis de citer les noms des membres de la commission.
38 Voici la liste complète des livres, dans l’ordre et l’orthographe originaux : « A Educação na Russia Sovietica, Fridman ; Em marcha para o socialismo, Staline ; Destin d’uma [sic] Revolution, Victor Serge ; Anarchismo, Communismo, Socialismo, Nicanor Nascimento ; A vida sexual na Russia Sovietica, H. Fouillé ; Staline, Barbusse ; A medicina na Russia, dr. Lelio O. Zeno ; U.R.S.S. um novo mundo, Caio Prado Junior ; Introducção á Sciência do Direito, Hermes Lima ; Ponta de Rua, Frão Martins ; Safra, Abguar Bastos ; Certos caminhos do Mundo, Abguar Bastos ; Problemas do nosso tempo, Hermes Lima ; As bases do separatismo, Vanderlei ; O problema feminino e o divorcio, Augusto Cesar ; Cristianismo, Catolicismo e Democracia, A. Piccarolo ; Cimento, Fedor Gladkov ; Russia, Mauricio de Medeiros ; O Plano quinquenal, G. Grinko ; Communismo, Lenine ; Terra de Icamiaba, Abguar Bastos ; O Diário, 13 avril 1938, p. 3.
39 La bibliothèque municipale ferma en 1963 et sa collection fut répartie entre deux institutions publiques. Dans les années 1990, à ce que l’on constate, l’une d’elles céda la part qui lui était revenue à une entité privée. En raison de ce parcours chaotique nous n’avons pas pu trouver les livres de la collection originelle, mais nous avons localisé la plupart des 21 titres de la liste dans d’autres bibliothèques, et principalement la Bibliothèque nationale.
40 Barbusse H., Staline, un monde nouveau vu à travers un homme, Paris, Flammarion, 1935.
41 Respectivement, Grinko G., O plano quinquenal, Rio de Janeiro, Adersen, s. d., et Zeno L. O., A medicina na Rússia, São Paulo, Lux, 1931.
42 Des mots de Osório César, préfacier du livre, Fouillet H., A vida sexual na Russia Sovietica, Rio de Janeiro, Conkson, 1934.
43 Le livre de Lelio Zeno fut édité par la Companhia Editora Nacional, en 1935.
44 Selon Konder L., op. cit., p. 177, le texte Em marcha par o socialismo correspondait à un rapport présenté par Staline lors du 16e Congrès du PCUS, qui fut publié au Brésil en 1931 pour un timbre (Marenglen) créé par les communistes. Nous n’avons pas réussi à identifier le texte de Lénine, mais il est fort probable que ce soit le même genre de publication.
45 Nous avons eu accès à un exemplaire de la sixième édition (Paris, Grasset, 1937).
46 Nous n’avons pas réussi à trouver d’exemplaires de ces titres.
47 Wanderley A. M., As bases do separatismo, São Paulo, A. Meira, 1935.
48 Le nom complet est Veiga A. C., O problema feminino e o divórcio, Rio de Janeiro, Freitas Bastos, 1937.
49 La dernière édition que nous avons repérée sortit en 1986 et fut la 28e.
50 L’ANL était une organisation politique composée de divers courants idéologiques et créée en mars 1935 dans le but de lutter contre l’influence fasciste au Brésil (N.D.T.).
51 Dans ses mémoires Lima raconte que l’épidémie anticommuniste post-novembre 1935 fut si intense que, après son emprisonnement, des amis et des connaissances faisaient semblant de ne pas reconnaître son épouse dans la rue. Cf. Lima H., Travessia : memórias, Rio de Janeiro, José Olympio, 1974, p. 83-85.
52 Lima H., Problemas do nosso tempo, São Paulo, Companhia Editora Nacional, 1935.
53 Gladkov F., Cimento, São Paulo, Unitas, 1933.
54 Respectivement, Bastos A., Terra de Icamiaba, 2e ed., Rio de Janeiro, Adersen, 1934, et Bastos A., Safra, Rio de Janeiro, José Olympio, 1937.
55 Martins F., Ponta de rua, Rio de Janeiro, Irmãos Pongetti, 1937.
56 Interview du Gal Newton Cavalcanti, membre de la commission nommée pour superviser l’exécution de l’état de guerre. Cf. Jornal do Brasil, 9 octobre 1937, p. 7.
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