Formes d’engagement en conditions de répression et de clandestinité : les militants du parti socialiste chilien (1973-1988)
p. 281-300
Texte intégral
1L’histoire contemporaine du Chili est marquée par des bouleversements politiques et sociaux qui façonnent encore aujourd’hui la société. Le 11 septembre 1973 représente un de ces tournants : un coup d’État militaire brutal mené depuis Valparaíso met fin à l’expérience de gouvernement démocratique de l’Unité populaire1, en place depuis trois ans, et plonge les acteurs politiques et sociaux dans la clandestinité et la terreur de la répression. Le thème du militantisme des membres du Parti socialiste chilien durant le régime dictatorial d’Augusto Pinochet renvoie à une problématique politique et sociale encore d’actualité au Chili, où une partie de la société reste polarisée autour des mêmes thèmes hérités de « l’ère Pinochet ». Une des dernières manifestations de ce lourd héritage s’est donnée à voir au travers des étudiants chiliens qui ont pris la rue en 2011 et 2012 pour y faire résonner, comme un écho aux grandes manifestations populaires des années 1980, les mêmes casseroles et les mêmes chants2.
2Nous proposons ici l’étude de deux réseaux socialistes à des époques et lieux différents : les réseaux « Santiago » et « Valparaíso ». Le « réseau Santiago » appartient au Parti socialiste « adulte » et a principalement opéré à Santiago entre 1973 et 1975. Il compose la première direction clandestine du Parti et a pour dirigeant Exequiel Ponce, aujourd’hui détenu-disparu. La majorité des acteurs de ce réseau étaient des jeunes militants dont la moyenne d’âge se situait entre vingt et trente ans. Le « réseau Valparaíso » appartient, quant à lui, aux « Jeunesses Socialistes » du Parti. Ce dernier a commencé à s’organiser et à opérer vers la fin des années soixante-dix et jusqu’à la fin de la dictature. Il convient de préciser qu’en 1979, le Parti socialiste se divise en deux « lignes » distinctes : le PS-Almeyda, très « allendista3 », qui cherche à créer une ingouvernabilité au Chili dans une perspective insurrectionnelle, et le PS-Altamirano, plus modéré. Le réseau de Valparaíso se réclamait du parti d’Almeyda, il était composé de militants dont la moyenne d’âge était inférieure à quinze ans le jour du coup d’État.
3Beaucoup de choses ont été écrites sur le thème de l’engagement ; l’intérêt est ici de l’étudier dans des contextes de clandestinité et de répression. Quelles logiques d’engagement et quelles formes de militantisme peut-on observer au sein du Parti socialiste chilien durant la dictature d’Augusto Pinochet ? Quelles peuvent être les conséquences militantes et biographiques d’un tel engagement sur les acteurs concernés ? Quelle place et quel rôle la convivialité a-t-elle dans « l’ordre » politique ? Il s’agit d’interroger le caractère pluriel de cette résistance du Parti socialiste chilien, qu’il faut décrire comme « des résistances » pour le réseau de Santiago et d’« opposition » pour celui de Valparaíso. Cette distinction prend appui sur les séquences temporelles dans lesquelles vont évoluer les deux réseaux étudiés et la manière dont ces contextes vont façonner leurs modes opératoires et les relations entre les militants. La détermination de ces contextes est largement éclairée par les travaux de l’historien et sociologue Manuel Antonio Garretón sur le régime dictatorial chilien. Il y distingue, en effet, plusieurs séquences.
4Une première se borne aux premières années du régime militaire, l’époque violente et meurtrière d’une « guerre sale » sans intelligence, et ce jusqu’à la création d’une cellule d’intelligence proprement dit en 1978, la CNI4, qui vient remplacer l’ancienne police politique, la DINA5. Avec le coup d’État, l’organisation est sévèrement désarticulée et réprimée, et seule une résistance limitée est possible. Le risque est alors extrême et cette résistance tient dans le simple fait de survivre, de chercher à se rencontrer, s’organiser, discuter, réaliser quelques documents et actions militantes, dans la plus profonde clandestinité : c’est le cas du « réseau Ponce » à Santiago. Une seconde phase du régime, dite d’institutionnalisation, s’ouvre à la fin des années 1970, début des années 1980, consacrée par la nouvelle Constitution, et portée par de grands succès économiques. Bien que les exécutions se poursuivent, elles sont moins nombreuses et plus sélectives. Quant à la pratique de la disparition forcée, elle devient de plus en plus ponctuelle. En revanche, l’intimidation par la torture et les traitements dégradants se poursuit. Une dernière phase démarre en 1982-1983 avec la crise économique et la montée en puissance progressive du mouvement social. Elle est celle de la crise du régime. Les années 1980 offrent ainsi au « réseau Valparaíso » un espace de plus en plus « ouvert » à une activité militante de réelle opposition. L’idée d’opposition fait référence à des activités militantes plus nombreuses, plus déstabilisantes pour le régime et plus visibles.
5L’appréhension des logiques militantes de membres d’un parti tel que le Parti socialiste chilien se situe à deux niveaux d’analyse : celui du contexte historique et macro-sociologique de l’action, structurel, et celui des individus eux-mêmes, relationnel. Les réseaux politiques et sociaux dans lesquels sont imbriqués nos cas d’étude sont traversés par des relations diverses que nous caractérisons entre autres par leur « convivialité ». En utilisant ce terme, nous tentons de dépasser le principe de simples dépendances pour insister sur le caractère relationnel de l’engagement, y compris dans un contexte dictatorial.
6Le parti pris est de se pencher sur les affects et sociabilités des militants, les logiques psychosociales de leur attachement au groupe et à la cause. Selon nous, celles-ci prennent pleinement part au processus dynamique de l’engagement. L’engagement est perçu comme un militantisme politique pour une cause, contre un régime, et doit être compris comme une « activité sociale individuelle et dynamique », ce qui exige l’intégration de la dimension temporelle à l’analyse6. Il faut pouvoir appréhender l’attachement au groupe, la fidélité à une cause au prix de la répression. Avec l’attachement sont étudiés les liens affectifs entre militants, qui permettent d’assurer une certaine cohésion. Ces liens reposent sur la renonciation à toute relation sociale en dehors du groupe et la communion unanime et exclusive avec celui-ci. Plus les organisations sont exclusives, plus les mécanismes de l’attachement vont pouvoir peser sur les individus7. Or, la répression pousse les organisations à se couper du monde et se replier sur elles-mêmes, situation propice à la construction de groupes émotionnellement soudés8.
7Le cas chilien en offre un exemple empirique éclairant. Ces réseaux présentent des temporalités distinctes qui donnent à voir des contrastes et des convergences intéressants dans la mise en perspective de leurs activités militantes et de leurs formes d’engagement au regard du contexte dans lequel elles se développent. Les territoires considérés se bornent aux villes, voire aux régions de Valparaíso et Santiago. Puisqu’il s’agit d’illustrer différentes logiques d’engagement, depuis ses prémices jusqu’à la défection, le cadre temporel s’en trouve finalement plus large que la période même du régime de Pinochet, bien que celle-ci en soit le centre et l’essence, puisqu’il s’étend aux parcours de vie de nos sujets dans leur ensemble.
8L’intérêt de cette recherche est de privilégier une analyse qui part des militants eux-mêmes. Cet objectif ne nous semble pouvoir être atteint qu’à travers une démarche qualitative et compréhensive portant une attention particulière aux sens des discours des cas étudiés. De 2011 à 2013, une cinquantaine d’entretiens ont été réalisés par les trois collaborateurs de cet article, au cours d’un processus de recherche qui les lie tous les trois, sur le Parti Socialiste chilien en clandestinité. Cependant, seuls quelques cas d’étude ont été sélectionnés. Deux entretiens semi-directifs ont été effectués à plusieurs mois d’écart, avec cinq militants appartenant au « réseau Santiago », et avec quatre militants du « réseau Valparaíso ». Les militants ont été choisis selon plusieurs critères : leur centralité au sein du réseau, le fait d’avoir eu une trajectoire suffisamment longue pour informer sur une période importante, et enfin, le fait qu’ils soient encore vivants et disposés à parler. Il est important de rappeler ici que les propos rapportés témoignent de la mémoire du vécu des acteurs durant le régime de Pinochet, et non de leur vécu lui-même. Il s’agit de leur donner sens comme tel. De nombreuses sources écrites, archives ou littéraires, viennent compléter ces recherches.
9Nous étudierons les causes de l’engagement des acteurs, les conditions de répression dans lesquelles se développent leurs activités militantes, le sens et la nature de cet engagement, mais également les dissonances vécues durant la période post-dictatoriale. Celle-ci correspond effectivement à un moment de nécessaire reconversion pour les militants ayant opéré en clandestinité et pose la question des conditions du maintien d’une identité spécifique.
L’engagement à l’épreuve de la répression et de la clandestinité
10Le contexte des années 1960 et 1970 a créé les conditions de développement d’un fort intérêt pour la vie politique. La participation a largement dépassé le cadre électoral grâce à une offre politique qui a séduit d’importants secteurs de la population, notamment les jeunes. Nous analyserons les causes de l’engagement des jeunes socialistes en interrogeant notamment les formes de socialisation des acteurs ainsi que la nature et la qualité de l’offre politique.
11En 1964, le démocrate-chrétien Eduardo Frei Montalva arrive au pouvoir. La société chilienne vit au rythme des politiques publiques mises en œuvre par la nouvelle administration : la loi de réforme agraire, la démocratisation de l’enseignement supérieur et, surtout, la possibilité légale de constituer des associations. Celles-ci ont doté les diverses mobilisations d’un cadre organisationnel qui leur a permis une meilleure visibilité, une représentation incontestée, et par conséquent, un renforcement de leur légitimité et de leur popularité, confortant de la sorte leur présence dans le champ politique. La plupart des acteurs interrogés ont grandi à cette période. Bien que trop jeunes pour adopter un engagement politique, ils n’ont pas été indifférents au devenir politique du moment.
12La « Révolution en liberté », promue par Eduardo Frei Montalva, a suscité d’énormes espoirs notamment dans les classes moyennes, dont étaient issus la plupart des jeunes militants socialistes, et les groupes subalternes. La lenteur des réformes annoncées et leur faible impact sur l’amélioration des conditions de vie, articulée parfois avec une répression disproportionnée de la contestation sociale, ont érodé progressivement le capital de sympathie de la population pour la Démocratie chrétienne chilienne, ouvrant ainsi une fenêtre d’opportunité au programme de l’Unité populaire.
13Les trois années du gouvernement Allende ont été le moment d’une participation croissante de la jeunesse chilienne dans la vie politique, dans des conditions où la neutralité politique était devenue quasiment impossible. Du côté de la gauche, les formes de participation ont été multiples : des travaux bénévoles et de coopération dans les campagnes reculées, mais également dans les bidonvilles entourant les grandes cités, des festivals de musique, des concerts, des manifestations, des campagnes de propagande, des réunions, etc. Le répertoire d’action convivial des organisations de gauche a su s’articuler avec la contre-culture et les nouveaux modes de vie des années 1960, séduisant une partie des jeunes appartenant aux classes moyennes. La campagne électorale du socialiste Salvador Allende en 1970 est un moment décisif dans l’engagement de certains des jeunes militants. Lors des entretiens, Ricardo9, âgé de treize ans à peine au moment des faits, parle d’une « effervescence au Chili ». Selon lui, « la campagne d’Allende fut renversante10 ». Pour sa part, Mireya11, militante des Jeunesses Socialistes âgée de 23 ans à l’époque, parle d’« une très belle époque ». Évoquant la nuit électorale du 4 septembre 1970, elle déclare : « Vers minuit nous sommes sortis dans la rue [...] on pleurait [...] c’était très beau12. »
14À ce moment-là, les jeunes socialistes, communistes, miristes13 et démocrates-chrétiens monopolisent une grande partie de l’offre politique dans les lycées et les universités. La période lycéenne (1973) constitue un moment fort dans le processus d’engagement pour le « réseau Santiago ». L’autre réseau, le « réseau Valparaíso », se structure au sein de l’espace universitaire, dans des conditions de semi-clandestinité, à partir de 1978. Malgré la différence de contextes dans lesquels se sont formés les deux réseaux, nous constatons des similitudes dans leur processus de socialisation. D’abord, tous deux se constituent dans des lieux de convivialité : les activités culturelles, notamment les cafés-concerts14, les festivals de musique, le cinéma d’art et essai, qui constituent des lieux de rencontre et d’échange pour ces jeunes, tout particulièrement pendant la période dictatoriale durant laquelle toute réunion publique à caractère politique est réprimée. Ces lieux de convivialité ont donné une forme particulière à l’univers politique de la période, facilitant les contacts et les rencontres entre individus appartenant à la même génération. Paula, membre du « réseau Santiago », se rappelle de ses premiers jours à l’Université Technique de l’État à Santiago en 1967 :
« Les étudiants militants s’intéressaient à ceux de première année, ils nous cherchaient, nous invitaient, [...] pourquoi je ne suis pas devenue communiste ? C’était plus attractif d’être socialiste, ils étaient plus beaux les camarades socialistes et un petit peu plus libéraux que les communistes [rires]15. »
15Ensuite, le déclenchement de l’engagement se produit pendant ces rencontres par l’action directe des agents que nous appelons « recruteurs ». Roberto, membre du « réseau Santiago », raconte comment un jeune militant socialiste universitaire est arrivé dans la Faculté des Beaux-Arts de Santiago pour les inviter à intégrer le PS en 1967, afin de lutter contre les « vieux » socialistes réformistes et faire ainsi du PS un Parti révolutionnaire. Une telle démarche politique, qui fait aujourd’hui rire la personne interrogée elle-même, ne peut s’expliquer que par un volontarisme nourri par l’image charismatique du Che Guevara et par la croyance que l’Histoire avait un sens, une direction, celle de la Révolution.
16Presque vingt ans plus tard, pour les jeunes socialistes de Valparaíso en clandestinité, les rencontres ont également joué un rôle déterminant. Héctor, membre du « réseau Valparaíso », se souvient qu’en 1978 son ami et colocataire Carlos, « un type très intellectuel, très cultivé16 », lui propose d’intégrer les Jeunesses socialistes. Malgré la peur, Héctor accepte et commence à participer au réseau socialiste de l’université catholique. Sur les 3 000 étudiants inscrits, les jeunes socialistes ne sont que quatre. Tout comme pour Roberto, le volontarisme chez Héctor paraît être un élément prépondérant. Ici, c’est moins le modèle du Che Guevara que le sentiment de révolte face au régime qui le nourrit.
17Tous les acteurs évoquent le rôle éminent joué par les agents recruteurs. Le charme et la séduction ne sont pas étrangers dans cette entreprise, mais ce qui semble l’emporter, ce sont la persuasion discursive, le capital culturel et une action militante variée et adaptée aux conditions et aux militants. La cohérence entre théorie et pratique apparaît comme le principal élément de persuasion politique, l’agent recruteur est alors une référence, un exemple à suivre, voire, pour certains, une sorte de réincarnation du Che.
18Après la victoire électorale de la gauche en septembre 1970, l’activité militante prend le dessus sur les études, l’engagement devient alors inexorablement « total17 » car la rhétorique qui fait l’apologie de l’engagement est omniprésente. L’engagement, associé à une supposée crise terminale du capitalisme, devient un devoir, comme l’illustre l’engagement des militants socialistes de la BEC18 ; ceux-ci écrivaient sur les murs la phrase d’inspiration guevariste : « le présent est fait de lutte, le futur nous appartient » ou encore une des dernières phrases de Salvador Allende prononcée le 11 septembre 1973 au palais présidentiel de La Moneda : « L’Histoire nous appartient et ce sont les peuples qui la font19. »
19Le processus enclenché à partir du coup d’État du 11 septembre 1973 va plus loin que le simple contrôle de l’opposition, l’appareil répressif du régime a recours à des méthodes telles que la torture, l’exécution ou la disparition forcée. Nous reprenons ici les trois grands moments20 distingués par M. A. Garretón21 dans l’évolution du régime et abordés en introduction. La répression évolue au gré des transformations des missions que l’État assigne aux acteurs répressifs. Dans quelle mesure ce contexte répressif agit-il sur les logiques militantes et, par extension, sur les formes de l’engagement ?
20Avec la mise en place du régime dictatorial, les militants socialistes qui s’engagent ou maintiennent leur engagement le font dans la clandestinité. C’est le cas des deux réseaux d’acteurs que nous étudions ici.
21Ces réseaux se distinguent avant tout par leur temporalité22. Ce critère est important pour appréhender certaines caractéristiques propres à chacun d’eux, à commencer par le degré de clandestinité des actions militantes. Pendant la première phase de la dictature, la répression oblige les militants socialistes à vivre et militer en totale clandestinité. Nous pouvons alors parler de pure « résistance ». Leur activité n’affecte d’ailleurs aucunement le régime qui s’impose largement face à eux. Javiera, membre du « réseau Santiago », relate les conditions dans lesquelles ils survivent : le manque constant d’argent, de nourriture et de lieux sûrs. À Valparaíso, à la même époque, la politique répressive de l’État réussit à démanteler le Parti de manière à ce qu’aucun mouvement structuré et identifiable ne puisse s’organiser. Vers la fin de cette phase, nous observons une évolution vers des actes de plus en plus dissidents23. Il n’existe pas encore de luttes structurées efficaces mais les acteurs s’organisent. C’est au cours de cette période que les acteurs du « réseau Valparaíso » commencent à se mobiliser.
22Au début de la deuxième phase, selon Rodrigo24, le « réseau Valparaíso » ne représentait qu’une quinzaine de personnes en 197825. Dans les années 1980, la mobilisation s’élargit progressivement, à tel point qu’en mai 1983, des mouvements sociaux renaissent26. Durant la dernière phase du régime, on parle ainsi d’un « espace semi-ouvert/semi-clandestin27 ». Alors que le « réseau Santiago », après le coup d’État, se trouve dans une dynamique de résistance pure, de luttes pour la survie, celui de Valparaíso présente à la fois des caractéristiques communes, et une ouverture qui permet de parler d’« opposition », au sens de luttes destinées à changer de régime.
23De fait, l’évolution du contexte répressif a une incidence directe sur le degré de clandestinité dans lequel agissent les acteurs. Le fait même de militer dans des conditions clandestines impose à tous les acteurs d’adopter un certain nombre de mesures de sécurité. Si tous les acteurs interrogés utilisent à l’époque des noms de code28, les acteurs du « réseau Santiago » témoignent d’une plus grande prudence. En effet, les dirigeants de ce réseau sont connus et tous activement recherchés par les forces de l’ordre. Ce n’est pas le cas des militants du « réseau Valparaíso » qui vivent légalement ; seule leur activité est clandestine et les place dès lors dans des situations risquées. D’après les différents témoignages, les temps de loisirs sont plus nombreux et variés dans le cas des militants du « réseau Valparaíso ». Viviana, membre de ce réseau, insiste sur le fait que si les loisirs ne sont pas très présents, c’est davantage une question de moyens économiques que d’obligations dues aux conditions de sécurité29. La vie publique et les liens avec le monde extérieur sont plus développés, il est ainsi plus facile pour ces militants de mener une vie professionnelle parallèlement à leur vie militante.
24Cela nous permet d’introduire une nouvelle donnée : celle des moyens économiques. Comme nous l’avons déjà vu, la situation des acteurs du « réseau Santiago » s’apparente davantage à une situation de survie. En fait, les ressources sont très difficiles à trouver, elles reposent principalement sur les quelques aides financières en provenance du Parti et de la solidarité de l’entourage. Pour les acteurs du réseau de Valparaíso, leurs divers emplois leur permettent de compléter ces aides. Rodrigo nous en donne une illustration : c’est le restaurant qu’il dirigeait qui lui permettait de se maintenir30. En revanche, il est tout simplement impensable que les acteurs du réseau Santiago puissent avoir eu une vie aussi exposée que celle-ci, du fait de leur position clandestine.
25Quant aux modes opératoires en eux-mêmes, ils évoluent eux aussi au gré des circonstances bien que certains soient communs aux deux réseaux. La résistance à Santiago semble se limiter, d’après les acteurs interrogés, à des rencontres, des réunions, la rédaction de documents, dont le plus connu est le Document de mars31. Les rencontres régulières sont très difficiles à établir entre les membres. Certains des acteurs sont chargés principalement de cette partie de l’activité résistante ; ce sont des « agents de liaisons32 », qui mettent en place le contact entre les membres. C’est le cas de Mireya et de Paula. Cette dernière nous explique qu’une simple rencontre entre deux personnes nécessitait au minimum une semaine d’organisation préalable33. Il est néanmoins important de nuancer tout cela car le manque total de moyens rend difficile la mise en application de toutes ces normes de sécurité. En témoigne la cohabitation de six membres du réseau Santiago –dont de nombreux dirigeants– dans une seule et même maison durant plusieurs mois34.
26Enfin, en termes d’activité militante, le « réseau Valparaíso » se distingue nettement de celui de Santiago du fait de la renaissance des mouvements sociaux. Le retour de l’exil de survivants du « réseau Santiago35 » à cette époque est révélateur d’une relative ouverture du régime. S’organise alors toute une palette d’actions supplémentaires, que la massification de la mobilisation ne fait qu’élargir. Les rassemblements sont dès lors bien plus nombreux, plus réguliers et plus suivis.
27Malgré le haut risque que cela présente, ces acteurs s’engagent. Comment expliquer ce maintien dans l’engagement militant ? Un premier élément permet d’expliquer cet engagement : la perception d’avoir vécu un « choc moral ». Un choc moral est, selon M. Jasper36, un type d’expérience sociale qui se caractérise par quatre traits complémentaires : a) elle résulte d’un événement inattendu ; b) elle implique une réaction très vive, viscérale ; c) elle conduit celui qui y est confronté à jauger et juger la manière dont l’ordre présent du monde semble s’écarter des valeurs auxquelles il adhère ; d) elle suscite un sentiment de colère, de nécessité d’une réaction immédiate qui commande un engagement dans l’action - et ce, même en l’absence des facteurs favorables généralement soulignés par les théories de l’action collective. Dès lors, les réactions de nature affective préexistent à leurs éventuelles rationalisations ultérieures37. Lorsque nous observons la réaction des militants du réseau de Santiago face au coup d’État, celui-ci peut être appréhendé comme un « choc moral », ce qui expliquerait en partie leur engagement. En revanche, cette notion ne semble pas pouvoir s’appliquer aux acteurs du second réseau ; la majorité nous rapporte que cet événement ne les a touchés que marginalement, voire pas du tout. Ricardo explique : « J’étais très jeune [...] le coup d’État m’a seulement décoiffé, mais ne m’a pas frappé personnellement38 ». Quant à Viviana, elle explique qu’elle comprenait ce qui se passait mais elle affirme : « Ça ne m’a pas bouleversée39. » Héctor nous dit même qu’il vivait « heureux au moment du coup d’État40 ».
28Un deuxième élément qui explique l’engagement est l’âge des militants. En effet, ils sont tous jeunes – entre 18 et 25 ans – au moment où ils décident de s’engager ou de maintenir leur engagement. Ils font tous partie, initialement, de la Jeunesse socialiste. Il semble qu’un effet de génération soit en œuvre. Les événements sont vécus plus intensément par cette classe d’âge aux représentations communes et aux attitudes convergentes. Comme nous parlons de la génération 1968 en France, n’y aurait-il pas une génération 1970 au Chili ? L’engagement s’explique en tout cas par une très forte croyance dans leur cause, dont témoignent tous les acteurs de notre échantillon. Enfin, du fait de leur âge, ces acteurs n’ont pas encore de contraintes professionnelles ou familiales pouvant infléchir leurs décisions. Par ailleurs, l’engagement ne confère presque aucune rétribution matérielle41.
29Un troisième élément explicatif de leur engagement réside dans les liens noués entre les militants au sein des deux réseaux. La convivialité, l’amitié et la fraternité sont des thèmes qui reviennent dans la majorité de nos entretiens. Les relations sont parfois si intenses que des liens affectifs et sentimentaux se créent, Rodrigo devient rapidement le compagnon de Viviana, dont il est le chef politique ; ils sont toujours mariés aujourd’hui. Lorsque Javiera parle de ses compagnons, l’émotion qu’elle exprime montre à quel point leurs liens étaient profonds. Les émotions qui s’expriment dans ce type de relations sont dès lors au cœur des relations militantes entre les acteurs. Dans notre cas d’étude, le contexte, les conditions, l’environnement, façonnés par le régime dictatorial, semblent créer des affects, des passions et des sentiments qui permettent de comprendre, en partie, les choix des acteurs. Doug McAdam42 a montré que la dimension affective était très importante à prendre en compte dans les causes de mobilisation d’un individu. L’approche émotionnelle pourrait dès lors permettre d’articuler deux moments de l’action collective : celui de l’engagement initial et celui de sa pérennité. L’engagement de ces acteurs constitue un pilier central de leur vie. Il est tellement poussé qu’il façonne toutes les autres sphères de leur existence. Cela s’apparente à ce que Jacques Ion conceptualise comme l’« engagement total », c’est-à-dire que l’ensemble de l’identité et de la vie personnelle du militant est au service d’une cause ou d’une idéologie43. L’approche émotionnelle semble ainsi pertinente pour aborder la nature de l’engagement. Peut-on penser l’engagement total sans l’engagement affectif ? Ne serait-ce pas un élément essentiel ?
30Nous l’avons évoqué, la sphère militante est une sphère au sein de laquelle les acteurs entretiennent des relations profondes. Mais surtout, ces relations apparaissent, à travers ces témoignages, très exclusives. Le parti, plus qu’un espace politique, confère aux militants des repères identitaires qui structurent la vie affective de ces acteurs.
31Cela s’illustre avant tout par leurs liens amicaux ; comme l’explique Viviana, les amitiés en dehors du Parti sont presque impossibles à imaginer44. Tous confirment cela. Et même si Emilio nuance cette vision du Parti s’apparentant à une famille, c’est plus pour nous parler des divisions politiques au sein du parti que pour affirmer un détachement affectif. Quant aux relations plus intimes, si le couple constitué par Viviana et Rodrigo prend naissance à l’intérieur même de l’organisation socialiste, les autres acteurs interrogés semblent, eux aussi, toujours se lier d’affection pour des personnes de la même identité politique. Viviana raconte même que, dans les années 1980, elle se retrouve obligée de quitter son ami en raison de sa proximité avec la Démocratie chrétienne.
32Nous observons ainsi toujours une prédominance du « nous » sur le « je ». Mireya termine l’entretien en affirmant : « Nous nous consacrions tous au parti45. » Quant à Rodrigo, l’engagement est pour lui « total, complet et absolu46 ». Ainsi, l’entrée dans la clandestinité « était quelque chose de naturel47 » d’après les termes de Viviana, comme si cela faisait partie de sa vie. L’activité militante est un élément si ancré en eux qu’elle commande toutes les actions de ces acteurs. Comme le dit Emilio, du « réseau Santiago » : « Il n’y avait pas d’autres options ; il fallait continuer la lutte48. »
33Nos cas d’étude laissent à penser que l’engagement est total au sein du Parti socialiste et face au régime militaire. Il est clair, à ce stade de la démonstration, que l’engagement des membres de nos deux réseaux concerne l’ensemble de leurs identités. Cependant, l’engagement politique n’est jamais un processus linéaire, et il convient d’aborder ici à partir de nos deux réseaux les variantes et invariants de ces engagements.
Perspectives sur les parcours militants et trajectoires biographiques de ces acteurs
34Nous dépassons ici la période restreinte du régime militaire chilien pour restituer les trajectoires de nos cas d’étude jusqu’à aujourd’hui. Durant le régime militaire de Pinochet, la nature de l’engagement de nos militants est, comme explicité plus haut, exigeante : elle demande une grande disponibilité, de forts aménagements dans l’ensemble des sphères de vie, qui deviennent plus ou moins soumis à une priorité morale, politique. Il est légitime de se demander quelles dynamiques ou événements sont capables de provoquer le retrait de militants aussi intensément engagés et de se pencher sur les conséquences de cette expérience sur leurs vies après la chute du régime. Quelles tensions ont parcouru les sphères de vie de nos militants durant leur clandestinité ? Quelles sont les conséquences de cette période sur leurs biographies, leurs parcours professionnels, leurs carrières politiques, et leurs identités propres ? Nous étudierons, dans cette partie, les phases de retrait ou les éventuelles défections de nos cas d’étude, ainsi que les conséquences biographiques de leur engagement, leurs diverses reconversions et la persistance des valeurs attachées à leur engagement premier, constitutives d’une identité spécifique qui semble se maintenir aujourd’hui encore. Dans la mesure où les logiques de maintien dans l’activité militante ont été analysées plus haut, il convient de s’interroger sur le désengagement. Dans un premier temps, nous nous pencherons sur la séquence du régime militaire, puis sur l’épreuve vécue lors du retour à une compétition politique démocratique.
35L’activité militante, à haut risque dans les contextes de clandestinité que nous nous sommes attachés à décrire, soumet nos cas d’étude à de fortes tensions dans l’arbitrage entre leurs différentes sphères de vie : professionnelle, personnelle, politique. Durant la phase réactive du régime, ils sacrifient globalement toute ambition d’étude, de carrière, renoncent à une vie affective « normale », remplacent les liens familiaux par des réseaux de compagnons qui deviennent des familles de substitution, pour consacrer tout leur temps et leurs existences à la survie et l’accomplissement de la cause. Pourtant, les militants sont confrontés à certains événements et/ou à une fatigue physique et morale qui peuvent, dans la durée, entraîner le retrait temporaire ou la défection définitive de l’organisation.
36Une première source de désengagement est liée à des « accidents biographiques », tels que la naissance d’un enfant ; c’est le cas de Mireya et de Viviana. La détention et/ou la torture peuvent, elles aussi, provoquer un désengagement, sachant que l’un des objectifs affichés de la répression est de terroriser les détenus jusqu’à les briser physiquement et psychologiquement. Viviana fait l’expérience de cette sensation après être détenue et torturée par la CNI à Valparaíso en 1983 :
« On reste apeuré, tu es nerveuse, bien plus que... On reste terrifié, tu te sens comme persécutée, tu penses qu’on te suit. Parfois ce n’est absolument pas le cas mais on reste comme craintive. Et c’est ce qu’ils essayaient d’obtenir pour que tu t’éloignes. Et tu te dis : désormais je ne m’engagerai plus jamais49. »
37Une autre explication de la mise en retrait de certains militants vis-à-vis de l’organisation est la perte du réseau. C’est un facteur particulièrement éclairant pour l’étude des membres du « réseau Santiago » puisque l’ensemble de la Direction Clandestine tombe en 1975. L’ex-militante du « réseau Santiago » Javiera exprime très bien cette perte de sens consécutive à la chute de ses camarades50, qui est d’abord un choc, et qui provoque également un impératif sécuritaire. Un dernier grand facteur, plus pragmatique, reste en effet lié à l’impératif politique, c’est celui de la sécurité. Le Parti ordonne parfois le retrait, l’exil, à des militants repérés51 qui pourraient, en poursuivant leur activité militante, mettre en péril l’organisation toute entière.
38En appréhendant les deux réseaux comme deux ensembles distincts, on observe une différence entre les expériences vécues au sein de chacun : les militants de Santiago restent plus profondément enfermés dans une rationalité politique stricte et dans un engagement totalement soumis à la cause que ceux de Valparaíso. Les risques liés à leur situation étant plus élevés, les militants du « réseau Santiago » s’engagent d’autant plus exclusivement dans la lutte pour la survie du Parti. Au sein de notre échantillon, les quelques-uns qui s’exilent y sont contraints par le Parti, par sécurité. Ils n’arrêtent pas pour autant de militer pour la cause, même depuis l’extérieur. Paula prend la tête d’un important mouvement étudiant de solidarité pour le Chili, depuis l’Espagne. Emilio intègre, quant à lui, la direction extérieure du parti à Berlin. Les expériences racontées par les membres du réseau des jeunesses socialistes de Valparaíso montrent une liberté plus grande par rapport à l’impératif politique. Ils font des choix plus personnels, plus portés par leurs émotions. Dans tous les cas, la famille joue un rôle important et les décisions prises sont rarement individualistes, certains refusent entre autres de partir. Les décisions de retrait sont donc souvent affectives -la perte de ses camarades, la famille- mais rarement professionnelles.
39Tous ces retraits n’ont pas pour autant été définitifs, l’impératif politique semblant se rappeler à nos cas d’étude au-delà de tout autre aspect de leurs vies. Reprendre le cas de Viviana est intéressant car même son traumatisme que nous évoquions plus haut se solde par un retour à l’activité militante, comme une part indestructible de son être : « Le temps passe et tu te dis ok, et tu recommences à penser que, bon, c’est arrivé à beaucoup de gens, et tu le vois d’une autre manière, et tu te dis, bon, il faut continuer à se battre, c’est tout52. »
40Finalement, un grand nombre des militants interrogés s’engagent dans le mouvement plus massif du « No » au maintien au pouvoir du général Pinochet. Les engagements ont varié mais se sont maintenus : jamais l’abandon de la lutte contre le régime n’a été réellement envisagée et elle reste dans le cadre du Parti socialiste. Le retour, dans les faits, à un fonctionnement démocratique provoque, lui, un réel bouleversement qui met à l’épreuve leur engagement au sein de l’organisation du PS. La Constitution élaborée par la junte et votée en 1980 prévoyait un référendum en 1988 censé entériner le passage à un gouvernement civil au sein duquel le général Pinochet se maintiendrait au pouvoir. Cependant, les pressions internationales et internes subies par le gouvernement au cours des années 1980 le contraignent à accepter la campagne d’opposition en faveur du « No », lors de ce référendum. Il en résulte la victoire du « No » et par conséquent le retrait des forces dictatoriales. La menace que font peser ces dernières reste néanmoins très présente dans les esprits et leur permet de négocier en leur faveur cette passation de pouvoir, qui se fait au prix de l’impunité pour les militaires, du maintien de la Constitution, de l’octroi au général Pinochet du statut de Sénateur à vie.
41Bien que l’annonce du retour à la démocratie soit évidemment vécue comme une grande joie pour la majorité des militants, les conditions de ce retour et le nouveau fonctionnement démocratique provoquent des dissonances à la fois affectives et cognitives. Ces décalages entre la structure du Parti et les militants sont affectifs car le noyau militant, le réseau clandestin, perd son sens et se dilue dans la nouvelle configuration. Ils sont également cognitifs car les idées et valeurs du Parti socialiste retrouvé semblent profondément s’éloigner de celles des militants de la Résistance. En effet, le Parti devient une terre de luttes pour le pouvoir, pour des positions, bien loin des idéaux et des solidarités d’hier. Par ailleurs, les premières années de la Concertation sont celles du silence, du manque de reconnaissance, de l’hypocrisie. Il y a un décalage immense entre l’intensité de leur vécu, des sacrifices concédés de façon désintéressée pour la chute du régime dictatorial, et la réalité, notamment mémorielle, du début des années 1990. Il subsiste à cette période l’idée qu’il faut « filer doux », car les forces armées pourraient revenir à tout moment53. Pour ceux qui ont cru en la voie insurrectionnelle, à un effondrement brutal et radical du régime, on peut comprendre qu’il est difficile d’imaginer que cette victoire par les urnes soit solide, que ce rapport de force électoral soit suffisant.
42La majorité des militants, indépendamment de leur appartenance à tel réseau ou telle génération, vit donc très mal cette période. Le retour à la démocratie est un choc car les sacrifices ont été grands et qu’après une période aussi trouble, le « No » a fait exploser l’espérance dans le changement. Pour ceux qui ont connu et participé au gouvernement d’Allende au sein du PS, le coup est encore plus rude, car ils sont aptes à participer techniquement, mais ne se reconnaissent plus dans cette nouvelle démocratie, si différente de celle qu’ils ont vécue et rêvée de retrouver, au prix d’immenses sacrifices. Pour les plus jeunes, le discours est autre : ils n’ont jamais été formés aux règles du jeu démocratique et se sentent à la fois incompétents et évincés par certains militants qui reviennent de l’exil, formés à l’administration et la gestion. Ricardo raconte qu’avec la démocratie il se retrouve face à une « chose inconnue » : « Qu’est-ce qu’on fait ? Il nous faut un candidat54. » Alors que reviennent au pays « des gens de peu de légitimité en termes de lutte pour la démocratie mais qui, eux, s’étaient préparés à cela. Le reste d’entre nous sommes restés isolés et nous les avons laissés faire55 ».
43Plus que les quelques régularités dans les logiques de désengagement entre ces deux réseaux, nous notons des différences entre les individus au cas par cas. Ils sont chacun soumis à leurs propres tensions face auxquelles ils réagissent en fonction de contraintes externes mais surtout de leur personnalité et de leurs émotions. Les paramètres de la décision individuelle semblent aussi volatiles que déterminants.
44En outre, s’ils se désengagent, cela montre que l’impératif politique ne soumet pas complètement ces individus, même s’il semble parvenir, en revanche, à transformer de façon significative leur identité. Au retour à la démocratie, les idéaux subsistent, mais la structure qui les portait n’existe plus réellement, laissant ceux-ci « flotter » en quelque sorte. Il s’agit alors de recomposer son rôle, à la faveur ou non de ses idéaux. Au jeu de la reconversion qui s’impose à ces militants dans les années 1990, plusieurs chemins ont été pris. Certains parviennent à rattacher le sens de leur engagement à une autre « structure », d’autres non. Il y a ceux qui décident tant bien que mal de perdurer dans le Parti. Ils sont psychologiquement et émotionnellement tellement liés à ce dernier qu’ils en deviennent incapables de recomposer le sens de leur engagement ailleurs. Puis il y a ceux qui reconvertissent les capitaux accumulés dans de nouvelles sphères, notamment professionnelles. Quelle que soit l’option prise, elle reste pensée en accord avec les mêmes valeurs qui ont structuré leur engagement passé, celles du Parti héritier de l’Unité populaire et engagé dans la Résistance. Ces valeurs maintiennent une identité socialiste spécifique, celle d’un supposé « socialisme historique », directement lié à Allende.
45Tout d’abord, l’intensité et l’exceptionnalité du vécu, et particulièrement certaines expériences traumatiques comme la détention, la torture et l’exil, ne sont pas sans conséquences pour les vies des militants concernés. Bien sûr, physiquement, il peut y avoir de graves répercussions sur la santé. Sur le plan personnel également, une telle expérience peut impliquer une véritable rupture biographique, que le choc soit in fine absorbé ou non. L’un d’eux raconte par exemple avoir été, durant deux ans environ, dépendant à l’alcool et à différentes drogues, victime de troubles, après sa détention.
46La participation à la lutte anti-dictatoriale est un vécu dont l’intensité est telle, qu’elle pousse ces militants à considérer qu’il y a réellement un avant et un après le retour à la démocratie. Cet après, dans lequel ils doivent se réinventer, nous intéresse ici. La première conclusion, que nous avons déjà évoquée, est celle de la difficulté de ce processus, qui rompt les liens affectifs et moraux entre eux et le PS, et qui tente d’effacer les sacrifices concédés à la cause. L’ex-militant Ricardo raconte que nombre d’entre eux n’ont d’ailleurs pas su se réadapter à la vie démocratique : « certains ne se sont pas recyclés, ils n’ont pas pu faire autre chose. [...] La moitié de mes amis de l’époque, les années suivantes, étaient devenus alcooliques, drogués, d’autres délinquants56 ». Beaucoup de ces militants ont vécu la défection ou au moins une période de retrait profond et prolongé du Parti et même de la politique en général, qui dégoûte, désenchante. Ils sont quasiment tous toujours encartés au Parti Socialiste, mais seules Mireya, Paula et Viviana y restent actives. Un seul de ces militants, Roberto, a été jusqu’au bout du processus de désengagement de l’organisation, pour se reporter sur une structure dont le sens de l’action entre en cohérence avec ses idées et valeurs : une brigade d’anciens combattants appelée « Salvador Allende57 ».
47La majorité reste donc symboliquement engagée dans le Parti Socialiste, mais de manière distanciée, car il existe un décalage entre les valeurs qui continuent de structurer leurs identités et leurs actions, et celles du monde politique actuel, dans lequel le PS entre en jeu. L’ex-militant Rodrigo exprime cette distance et ce désenchantement face à un engagement qui n’a plus la même « urgence » : « Aujourd’hui je peux travailler pour virer le fils de pute de Piñera, mais pour quoi faire ? Pour qu’un autre le remplace58 ? » Cette distance permet un engagement multiple dans des champs divers et variés, loin de l’exigence d’exclusivité d’une organisation totale59 telle que l’a été le Parti en clandestinité. Rodrigo choisit par exemple de se reporter sur la religion, qui répond d’après lui au vide laissé par la fin du militantisme clandestin dans sa quête de sens et de spiritualité60.
48Au niveau professionnel, certains ont excellé dans la reconversion du capital social accumulé pendant la période militante, comme Ricardo ou Roberto. D’une part, l’éducation politique reçue, toutes les lectures et conversations mentionnées dans chaque entretien, participent fortement à la construction d’une capacité discursive et argumentative. D’autre part, cette compétence, tout comme le nombre de contacts accumulés au fil du temps, leur permettent de disposer d’un réseau extrêmement important. Ricardo est devenu un brillant avocat, Roberto vend des téléphones portables, deux domaines extrêmement différents mais qu’ils racontent dans la continuité de leurs compétences acquises en tant que militants. Ricardo exprime en ces termes cette cohérence qu’il estime complète entre son nouveau rôle d’avocat pénal et les idéaux socialistes qui ont structuré son engagement passé :
« De mon point de vue, le droit pénal, c’est quand tu affrontes l’État dans son expression la plus brutale. L’État persécuteur montre son visage le moins aimable. Les droits de l’homme sont pour faire de la politique en temps normal. Mais les voleurs sont pauvres, les trafiquants aussi, j’ai moi-même été inadapté, délinquant61. »
49Nous comprenons que l’engagement a eu pour chacun des répercussions sur le cours de leur vie, les a conduit à un certain nombre de sacrifices qui rendent la page difficile à tourner. Vingt ans après, il faut souligner la cohérence de l’ensemble de leurs parcours de vie avec leur identité socialiste. Bien que plus ou moins tous à distance du Parti, ils continuent de donner sens à leurs rôles et leur engagement à l’aune des mêmes valeurs qui sont celles du « socialisme historique ». Ces valeurs se sont en grande partie perpétuées au travers des liens affectifs préservés entre les militants du réseau de l’époque.
50De leur engagement, certains retirent un sentiment de fierté, un apprentissage, mais surtout des liens affectifs profonds et durables avec la plupart des compagnons de l’époque. Beaucoup forment avec leurs anciens camarades de lutte des cercles dans lesquels ils perpétuent le sens de leur action et leur « identité socialiste », qui s’oppose au socialisme et au monde politique actuels. Alberto, ancien militant du Parti socialiste « adulte » à Valparaíso durant les premières années de la dictature, aujourd’hui dirigeant syndical très critique à l’égard du Parti socialiste, exprimait clairement l’idée d’une « identité socialiste historique » spécifique :
« Nous, nous nous appelions “militants purs et sincères”. Et si cela résonne comme une critique aujourd’hui, c’est parce que c’était ainsi. On n’attendait rien de plus, aucun poste public, aucune rémunération, aucun privilège. Cela impliquait juste le risque, le danger, une vie turbulente, d’angoisse, et c’était cela faire partie des socialistes purs et sincères62. »
51L’existence d’une cohésion intense entre membres du même réseau, et ce jusqu’à former une réelle communauté émotionnelle, est mise en valeur par la renonciation de toute relation sociale extérieure au groupe, par le sentiment d’appartenance à un « nous » que nous avons déjà mis en évidence. Bien qu’anciennement liés au Parti, aujourd’hui les anciens résistants étudiés semblent opérer un repli de la mémoire sur le noyau militant, sur les liens affectifs, hors de toute organisation. Ceci est probablement accentué par le fait que le Parti a pour beaucoup « trahi63 » les principes de la lutte clandestine, contrairement aux membres du réseau. Ils représentent ce qui reste de l’époque qui les a façonnés. L’intensité et l’exceptionnalité du vécu maintiennent une réelle « connexion » entre les militants de la période. Il est très probable que cette « connexion » perdure jusqu’à leur mort : « Nous sommes une génération qui est restée connectée avec cela, avec le thème de la dictature. Jusqu’à ce que nous mourions, nous serons des petits vieux qui diront : tu te rappelles64 ? »
52Étrangement, cette connexion semble même parfois faire perdurer les liens de manière plus ou moins anachronique. Lors du récit de sa seconde détention, qui est également le récit de la trahison d’un de leurs compagnons qui l’a dénoncé, Rodrigo hésite, puis déclare : « Ricardo m’a autorisé à le raconter65. » Il montre ici une sorte de résurgence de la hiérarchie d’hier, au sein de laquelle Ricardo était son chef politique et avait l’autorité de lui dicter ce qu’il pouvait dire ou ne pas dire.
53L’ex-militante Javiera est un bon exemple de ce maintien à tout prix des liens qui ont fait le réseau et le sens de leurs vies passées. Dans son témoignage, les liens politiques sont largement secondaires face aux liens amicaux, c’est la perte de ceux-ci qui la fait souffrir aujourd’hui : « J’ai toujours cherché la silhouette d’Ariel marchant dans la rue66. » À tel point qu’elle accorde énormément d’importance à ce que sa propre fille tisse des amitiés fortes avec les enfants des détenus disparus qui furent ses compagnons au sein de la première direction clandestine du Parti socialiste, Ricardo Lagos Salinas et Ariel Mancilla, comme si les liens affectifs attachés au réseau revivaient à travers eux.
54Aussi, les réseaux sociaux permettent aux individus de consolider des identités déterminantes pour leur engagement, mais également de façonner une structure de sens67. Il semble subsister une sorte d’enjeu en termes de cohérence cognitive dans le fait de maintenir les liens entre militants. Il en résulte qu’ils se sentent tout particulièrement bien entre eux et se réunissent donc régulièrement. Certains propos recueillis témoignent de leurs réunions et expriment une nostalgie partagée, celle du vécu et des valeurs d’autrefois.
Conclusion
55La période de l’Unité populaire a été un moment clef dans l’engagement des acteurs ; ceux de Santiago adoptent des formes de militantisme proches de l’engagement total, toute leur vie est structurée autour de l’action militante, les acteurs du réseau Valparaíso, vu leur jeunesse, n’ont pas une activité politique constante à cette période mais celle-ci a joué un rôle important dans leur socialisation politique.
56Le rôle des recruteurs est central pour les militants des deux réseaux. Nous avons identifié des caractéristiques communes indépendamment des périodes. Une de ces caractéristiques est leur cohérence cognitive, qui semble avoir été plus persuasive qu’une rhétorique politique détachée de toute action politique. De plus, les « lieux de convivialité » ont facilité les rencontres politiques constituant un cadre propice à l’engagement des acteurs. Bien que les formes de convivialité aient varié selon les périodes, elles portent des similitudes, telle que l’importance des activités culturelles.
57Le militantisme se dessine dans un contexte politique et face aux actions répressives. Ces formes d’action militante ont été déterminées par les conditions politiques des différentes périodes. Nous avons constaté que pendant la « phase réactive », celle qui succède au coup d’État, les activités du réseau Santiago n’affectent nullement le régime dictatorial. Les activités du réseau se limitent aux contacts, à la production et diffusion de propagande et à une quête permanente de moyens de subsistance. En juin 1975, le réseau a été complètement démantelé. Quant à Valparaíso, le coup d’État et la répression qui s’en suit furent tellement dévastateurs que le Parti socialiste a été démantelé. C’est à partir de 1978, lors du début de la deuxième phase répressive, que le réseau Valparaíso se constitue et commence à opérer. Les actions sont plus nombreuses et diversifiées, certains militants se manifestent dans l’espace public, nous pouvons parler de semi-clandestinité.
58Le coup d’État n’explique pas à lui tout seul le maintien de l’activité militante, le choc moral a affecté directement les membres du réseau Santiago tandis que les membres du réseau Valparaíso n’ont pas souffert directement de la répression en 1973. De plus, les aspects affectifs et émotionnels apportent des réponses pertinentes pour appréhender leurs activités et leurs décisions car tous les acteurs sont animés par une « culture socialiste » commune, qui façonne l’ensemble de leurs sphères de vie. Cependant, cette « culture » varie selon les moments, les circonstances et les acteurs, son sens est polysémique. Par ailleurs, la fraternité, le souvenir des morts et la fierté d’avoir participé à la lutte antidictatoriale demeurent jusqu’à nos jours. Ceci explique des formes d’engagement marquées par des cycles où le désengagement est présent et causé le plus souvent par des « accidents biographiques » en périodes de clandestinité ou de semi-clandestinité. La naissance d’un enfant, l’arrestation, l’exil ou la perte du réseau, constituent les cas le plus courants de désengagement. En revanche le retour de la démocratie a provoqué des dissonances à la fois affectives et cognitives. Le Parti Socialiste tel qu’il émerge en post-dictature est en décalage total avec les pratiques du réseau clandestin parce qu’il devient l’espace par essence de luttes pour le pouvoir, pour des positions au sein de l’administration et doté d’une rhétorique trop éloignée des idéaux et des fraternités portées pendant la clandestinité. Néanmoins, la majorité des militants rencontrés restent encartés, tous se disent socialistes, l’abandon de cette identité signifierait nier une partie fondamentale de leur vie.
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10.3917/scpo.train.2009.01.0011 :Notes de bas de page
1 « Unidad Popular », alliance entre divers partis de gauche.
2 El « cacerolazo » (frapper des casseroles avec des ustensiles de cuisine) a été mobilisé pour la première fois lors des manifestations de secteurs de droite contre le gouvernement Allende. Néanmoins, il a été largement utilisé dans les protestations contre le régime militaire dans les années 1980.
3 Partisan de Salvador Allende. Cela fait en réalité allusion à une vieille tradition socialiste anticapitaliste.
4 Central Nacional de Informaciones (Services de renseignement et de répression chiliens).
5 Dirección de Inteligencia Nacional (Police politique chilienne).
6 Filleule O., « Propositions pour une analyse processuelle de l’engagement individuel », Revue française de science politique, vol. 51, n° 1, 1er mars 2001, p. 199-215.
7 Combes H. et Fillieule O., « De la répression considérée dans ses rapports à l’activité protestataire », Revue Francaise de Science Politique, vol. 61, n° 6, décembre 2011, p. 1071.
8 Combes H. et Fillieule O., op. cit., p. 1072.
9 Étant donné la sensibilité des thèmes abordés dans cet article, tous les noms des acteurs étudiés ont été modifiés afin de préserver leur anonymat. Ricardo a animé le réseau qui a opéré à Valparaíso entre 1978 et 1989.
10 « La campaña de Allende fue muy avasalladora », entretien avec Ricardo, Valparaíso (Chili), août 2013.
11 Mireya a fait partie du réseau qui a opéré à Santiago entre 1973 et 1975.
12 « Fue una época muy linda [...] nosotros salíamos en las noches a rayar », « como a las doce salimos todos a la calle » « nosotros llorábamos [...] fue lindo », entretien avec Mireya, ancienne militante socialiste à Santiago (Chili), août 2013.
13 Militants du MIR, Mouvement de la Gauche révolutionnaire (organisation d’inspiration guevariste).
14 Peña : café-concert où se produisaient des jeunes artistes issus pour la plupart du milieu universitaire.
15 « Los estudiantes que militaban se preocupaban de los mechones, nos buscaban, nos invitaban [...] ¿ por qué no fui comunista ? Porque me era más atractivo ser socialista, eran más buenos mozos los compañeros socialistas... », entretien avec Paula, ancienne militante socialiste à Santiago (Chili), août 2013.
16 « Un tipo muy intelectual, muy ilustrado », entretien avec Héctor, ancien militant socialiste à Valparaíso (Chili), août 2013.
17 Ion J., « Interventions sociales, engagement bénévoles et mobilisations des expériences personnelles », J. Ion et M. Peroni, Engagement public et exposition de la personne, La tour d’Aigues, Éd. de L’Aube, 1997, p. 81.
18 BEC : Brigade Elmo Catalán, groupe de propagande des Jeunesses Socialistes chilienne.
19 Denier discours prononcé par Salvador Allende depuis La Moneda et transmis en direct par Radio Magallanes.
20 Il est néanmoins nécessaire de nuancer ces propos : ces trois phases ne sont ni ancrées, ni linéaires.
21 Garretón M. A., « Panorama del miedo en los regímenes militares : un esquema general », Santiago, Chile, Chili, FLACSO, coll. « Documento de trabajo/Programa FLACSO-Santiago de Chile », 1987, 28 p.
22 Le réseau Santiago opère entre septembre 1973 et juin 1975. Le réseau Valparaíso fonctionne de la fin des années 1970 à la fin de la dictature.
23 Garretón M. A, « Panorama del miedo en los regímenes militares : un esquema general », op. cit.
24 Rodrigo est également membre du « réseau Valparaíso », à ne pas confondre avec le chef de ce même réseau, Ricardo.
25 Entretien avec Rodrigo, ancien militant socialiste à Valparaíso (Chili), janvier 2013.
26 Le 11 mai 1983, la Confédération des travailleurs du cuivre appelle à manifester. C’est la première manifestation de masse contre le régime.
27 Garretón M. A., « Panorama del miedo en los regímenes militares : un esquema general », op. cit.
28 « chapas » en espagnol.
29 Entretien avec Viviana, ancienne militante socialiste à Santiago, décembre 2012.
30 Entretien avec Rodrigo, janvier 2013.
31 Écrit par les principaux dirigeants du réseau et imprimé en mars 1974, le document de mars devient dès lors la feuille de route d’une partie du Parti socialiste.
32 « Enlaces » en espagnol.
33 Entretien avec Paula, août 2013.
34 Carlos Lorca Tobar, Ricardo Lagos Salinas, Carolina Wiff, Mireya et Paula vivent tous ensemble dans une maison située dans le quartier de La Cisterna au cours de l’année 1974.
35 Paula et Mireya rentrent au Chili après quelques années d’exil en Europe.
36 Jasper J. M., « The art of moral protest. Culture, Biography and creativity in social movements », Chicago, University of Chicago Press, 1997.
37 Filleule O., Mathieu L. et Pechu C., « Dictionnaire des mouvements sociaux », Paris, Les Presses de Sciences Po, coll. « Références », vol. 1, Paris, 2009 (1981), 651 p.
38 « Yo era muy chico, por eso el golpe solo logró despeinarme, pero no me golpeó personalmente », entretien avec Ricardo, août 2013.
39 Entretien avec Viviana, décembre 2012.
40 « Cuando el golpe ocurrió, yo era feliz », entretien avec Héctor, août 2013.
41 Seule une aide au transport est parfois assurée par le Parti et une trentaine de militants permanents socialistes touchent à l’époque une subvention de l’ordre de 100 dollars par mois, ce qui équivaut, à l’époque, au montant d’un salaire minimum. Entretien avec Eduardo, ex-cadre dirigeant de la direction clandestine du PS Almeyda entre février 1976 et 1989, décembre 2012.
42 McAdam D., « The biographical consequences of activism », American Sociological Review, octobre 1981, vol. 54, n° 1.
43 Nous n’insistons pas davantage sur la définition, déjà abordée dans la partie précédente.
44 Entretien avec Viviana, décembre 2012.
45 « Nos dedicábamos todos al partido », entretien avec Mireya, décembre 2012.
46 « Compromiso total, completo y absoluto », entretien avec Rodrigo, avril 2012.
47 « Era algo natural », entretien avec Mireya, décembre 2012.
48 « No había otra opción para nosotros ; la lucha había que continuarla », entretien avec Emilio, novembre 2011.
49 « Bueno, no te digo que uno no queda con miedo, andas nerviosa, más de lo que... uno queda asustada, andas como perseguida, piensas que te van siguiendo, a veces no es ni así pero uno queda como con temerosa. Y eso es lo que trataban de hacer para que te alejaras. Y piensas “De aquí no me voy a meter nunca más” », entretien avec Viviana, décembre 2012.
50 Camarades qu’elle ne cesse d’appeler affectueusement « los chiquillos » – « les gars ».
51 « Quemados » (argot politique chilien).
52 « Pasa el tiempo y uno dice ya, y vuelve a decir cómo, ya, esto les ha pasado a mucha gente, y a verlo desde otro punto de vista, y uno dice bueno hay que seguir en la pelea no más », entretien avec Viviana, avril 2012.
53 Entretien avec Ricardo, Valparaíso, janvier 2013.
54 « ¿ Qué hacemos ? Hay que tener candidato », entretien avec Ricardo, janvier 2013.
55 « Gente de poca legitimidad en la lucha democrática pero si se habían preparado para eso, y el resto nos quedamos aislados, y nosotros facilitamos eso », entretien avec Ricardo, janvier 2013.
56 « Unos no se reciclaron, no pudieron hacer otra cosa. [...] La mitad de mis amigos de esa época, a los años siguiente eran todos curados, drogadictos, otros se hicieron delincuentes », entretien avec Ricardo, avril 2012.
57 D’après nos dernières informations, en août 2013, celui-ci semble s’être finalement éloigné de ce collectif.
58 « Hoy puedo trabajar para sacar el Piñera hijo de puta pero ¿ para qué ? ¿ para que llegara otro ? », entretien avec Rodrigo, avril 2012.
59 La répression pousse les organisations à se replier sur elles-mêmes, et donc à se « totaliser ». Une organisation totale impliquerait ici l’ensemble de l’identité de ses membres au service d’une cause, et leur coupure par rapport à tout autre monde social.
60 Entretien avec Rodrigo, Valparaíso, avril 2012.
61 « El derecho penal desde mi óptica es cuando tú enfrentas al Estado en su expresión más brutal. El estado persecutor muestra su cara menos amable. Los derechos humanos normalmente son para la política. Los ladrones son pobres, los traficantes también, yo también fui desadaptado, delincuente », entretien avec Ricardo, Valparaíso, janvier 2013.
62 « Nosotros nos denominábamos militantes puros y sinceros. Y suena como una crítica hoy, y si suena así es porque es así. No esperaban nada más, ningún cargo público, ninguna remuneración, ningún privilegio. Solo implicaba riesgo, peligro, vida inquieta, vida incómoda, y eso eran los socialistas puros y sinceros », entretien avec Alberto, Valparaíso, avril 2012.
63 « No se puede traicionar esos principios con tantos amigos desaparecidos », entretien avec Javiera, Santiago, novembre 2012.
64 « Es una generación que quedamos conectados con eso, con el tema de la dictadura, hasta que me muera, vamos a ser viejitos diciendo ¿te acuerdas ? », entretien avec Viviana, avril 2012.
65 « Ricardo me autorizó a contártelo », entretien avec Rodrigo, avril 2012.
66 « Siempre busqué el rostro de Ariel [Mancilla] caminando en la calle », entretien avec Javiera, Santiago, 2012.
67 Passy F., « Chapitre v : Interactions sociales et imbrications des sphères de vie », O. Fillieule (dir.), Le désengagement militant, Paris, Belin, coll. « Sociologiquement », 2005, vol. 1, p. 111-130.
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Le 11 septembre chilien
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