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La restructuration de la société civile chilienne. Des Casas folclóricas à Democracia para Chile (1977-2013)

p. 251-263


Texte intégral

1À la veille des élections présidentielles et législatives de 2013, le Chili vit une effervescence sociale qui n’est pas sans rappeler celle qui précéda l’élection présidentielle de 1970. Bien que le contexte diffère pleinement, ne serait-ce que par les changements des rapports de forces et de domination entre un « nord global » et un « sud global » issus de la chute du mur de Berlin ou par l’avènement de l’ère de l’information au sens de Manuel Castells1, nous pouvons cependant comparer ces deux effervescences par le degré de mobilisation et d’implication d’une large frange de la société civile2. Hier contre une société capitaliste libérale, aujourd’hui dans le refus d’une autre, cette fois-ci néo-libérale, engendrée par et pour la dictature de Pinochet et dont les effets se prolongent toujours tant au plan économique, social qu’institutionnel.

2D’ailleurs, les références à l’Unité populaire sont devenues courantes dans les rhétoriques des hommes politiques de gauche, des dirigeants syndicaux ou des représentants associatifs. Mais, loin d’afficher une quelconque nostalgie ou de vouloir mythifier un temps et les personnages qui l’ont produit, les références en question s’attardent sur ce qui fut le projet politique mené par Salvador Allende de manière à montrer et à emblématiser la possibilité d’une construction sociale anticapitaliste3.

3Certes, le Chili des années soixante et du début des années soixante-dix était caractérisé par une forte structuration, présence territoriale et politisation de la société civile que le coup d’État du 11 septembre 1973 attaqua avec violence et barbarie, déstructurant, interdisant et annihilant toute émergence d’organisation de celle-ci, parce que politique et si politique forcément subversive. Il faudra attendre la fin de la décennie, et notamment à partir de 1977, pour voir un changement stratégique de la répression, passant de ce que nous pouvons considérer comme une répression systématique à une autre plus ciblée. C’est la pression internationale qui obligea le dictateur à modifier l’expression de sa politique intérieure, particulièrement après la tension créé aux États-Unis par la découverte de la totale implication de la direction nationale chilienne du renseignement (DINA) dans l’assassinat d’Orlando Letelier à Washington4.

4À la fin des années soixante-dix, une périphrase donnée par le dictateur à un journaliste étranger, étonné de constater l’existence au Chili de lieux d’expression pour une opposition, même encore timide, révèle bien la période et le changement de stratégie en matière de répression : « Je laisse les mauvaises herbes pousser pour mieux les arracher à la racine5. » En effet, l’herbe avait réellement poussé, profitant au mieux des espaces réduits qui se présentaient à elle. Ce fut l’époque de la démultiplication des peñas, des casas folclóricas, et par leur intermédiaire de la réorganisation sociale du pays, avec les associations des détenus disparus, des centres des mères de familles, des quartiers, des soupes populaires et tant d’autres groupements sociaux qui finiront par porter ensemble les grandes manifestations poussant à la chute du régime, avec la victoire du « Non » au référendum d’octobre 1988, puis celle du candidat de la Concertación de Partidos por la Democracia aux élections présidentielles qui ont suivi6.

5Cet article tente de montrer les liens de filiation socio-historiques qui existent entre cette période et l’actuelle où, des centres culturels aux associations de consommateurs, en passant par des clubs sportifs ou des groupements indigénistes, l’expression d’une large frange de la société civile va s’organiser tout au long du pays en collectifs inter-associatifs, mettant en deuxième plan leurs revendications particulières, pour argumenter une vision transcendantale de leur place et de leur action. De ce fait ils généraliseront un seul mot d’ordre : la promotion de la tenue d’une Assemblée Constituante afin de tourner définitivement la page de la dictature par l’avènement d’une nouvelle Constitution7. Pour ce faire, nous vous proposons d’examiner la production du secteur de la société civile qui résista à la junte militaire par l’intermédiaire des peñas et des casas folclóricas, puis de caractériser le devenir de cette production dans l’après régime militaire, pour finir par décrire l’artefact issu de la loi sur les associations et, notamment, du long travail qui précéda sa promulgation en 2011.

Peñas et casas folclóricas : une société civile résistante

6L’existence de lieux de socialisation populaire où l’on se rencontrait pour boire, manger, danser, jouer aux cartes et discuter est une longue tradition au Chili. L’esprit et l’ambiance de ces endroits, appelés chinganas8, ressemblaient fortement aux guinguettes que nous trouvions en Île-de-France au xixe siècle, conjuguant sans complexe la création et la diffusion d’une musique à caractère folklorique ou purement commerciale. Ces établissements vont connaître un déclin et persisteront seulement ceux qui sauront affirmer, après la deuxième moitié du xxe siècle, leur vocation marchande. Cependant dans les années soixante, l’espace culturel chilien verra l’apparition de nouveaux lieux reprenant les fonctions sociales et artistiques abandonnées par les chinganas, ce seront les peñas9. Le choix, porté par quelques folkloristes, d’ouvrir des établissements alternatifs pour lutter contre la réification de la culture populaire était éminemment politique parce qu’en opposition frontale avec la pensée dominante qui qualifiait le folklore, au mieux, de sous-culture10. Les protagonistes des peñas vont créer un mouvement musical appelé La Nueva Canción Chilena, dont la caractéristique sera de mélanger les thèmes et les harmonies du folklore latino-américains avec des textes aux contenus sociaux et politiques11. Ce mouvement ne sera pas seulement la caution artistique de l’Unité populaire, il assumera le rôle d’être son expression artistique en s’engageant pleinement auprès d’elle dans la campagne pour l’élection présidentielle de 1970 et en poursuivant cet engagement pendant toute la mandature du président Salvador Allende12.

7À l’instar de la genèse des peñas, la société civile chilienne suivra les clivages et la radicalisation de la société politique jusqu’au coup d’État militaire du 11 septembre 197313, date à compter de laquelle la dictature, se déclarant en guerre interne contre le communisme, limitera les libertés individuelles et interdira toutes les organisations existantes de la société civile et tous les partis politiques14. La répression sera barbare, systématique et visible contre tout ce qui pouvait être, directement ou indirectement, suspecté par le pouvoir comme ayant lien avec l’ennemi communiste, le folklore non encadré par les censeurs putschistes en faisait partie. Le seul fait de parler de politique, de mentionner ce mot en public, pouvait être interprété comme le fruit d’une volonté subversive faisant risquer à l’intrépide des conséquences aussi lourdes que la prison, la torture, la disparition, la relégation, l’exil ou la mort.

8Ainsi, la dictature réussira à bâillonner les Chiliens par la terreur, préalable nécessaire pour l’expérimentation grandeur nature des théories économiques apportés au pays par les Chicago boys15. Cette situation perdurera pendant trois ans, décapitant y compris les formations politiques qui s’étaient réorganisées dans la clandestinité pour résister, et il faudra attendre l’infléchissement de la stratégie répressive pour voir, dès 1977 et notamment en 1978, les prémisses d’une réorganisation de la société civile autour de l’ouverture des nouvelles peñas et des casas folclóricas16. La différence entre l’une et l’autre de ces deux entités est mince quand il s’agit de les étudier en tant qu’organes de promotion et de création d’une société politique en résistance à la dictature ; cette différence est plus conséquente si nous étudions leurs capacités à participer à la réorganisation de la société civile. En effet, aux fonctions sociales et artistiques (musicales et poétiques) assumées par les peñas, les casas folclóricas vont ajouter d’autres expressions artistiques comme la danse, le graffiti, la peinture, la photographie, l’écriture, le théâtre, les marionnettes, mais aussi la cuisine, le tissage et l’artisanat en général, en plus d’ateliers de lecture où se réalisait la lutte contre l’illettrisme, l’apprentissage des droits, etc. Les idées n’ont jamais manqué. En somme, dans une casa folclórica nous pouvions trouver tout ce qui pouvait être et représenter l’expression populaire, y compris les peñas, ce qui démultipliait d’autant leur capacité à organiser la société civile.

Casa folclórica Doña Javiera. concours de poésie 1979, parmi d’autres : Gregory Cohen, Barbara Delano et Gonzalo Figueroa.

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9Si, sous couvert d’être qualifiées d’établissements commerciaux, certaines peñas, devenues par la suite des casas folclóricas, vont réapparaître dès 197517, le phénomène ne prendra véritablement d’ampleur que dans le dernier quart de la décennie. Lycéens, étudiants, artistes, travailleurs et chômeurs, avec ou sans attache avec un militantisme politique, vont se rassembler bénévolement pour créer et démultiplier ces lieux d’expression où la culture était moins le prétexte que l’instrument de l’organisation d’une résistance publique à la junte et à sa répression. Il s’agira majoritairement de jeunes allant de 17 à 30 ans réunis par une même volonté de vaincre la peur qui, aux côtés de la violence quotidienne et arbitraire, insidieusement avait muselé toute vision d’alternative au modèle imposé par les putschistes. Véritables catalyseurs de la réorganisation de la société civile, les peñas et les casas folclóricas en se démultipliant vont participer directement à la création d’associations de pobladores18, de femmes, de centres culturels, sportifs, de jeunes mères ou indirectement et en appui à la création d’organisations syndicales19. Aussi, réussissant à mettre en réseau cette créativité organisationnelle effervescente, ces lieux seront les canaux privilégiés pour appeler aux manifestations dans les rues20 et aux actes de désobéissance civique21.

10L’implication de la société politique opposante au régime sera totale dans cet élan organisationnel, notamment par l’intermédiaire des jeunesses des partis, communistes et socialistes principalement. Ces militants politiques ne seront jamais majoritaires en nombre au sein de ces organisations, mais ils seront essentiels pour donner forme et cohérence à cet activisme volontaire qui ne fera que s’amplifier en même temps qu’il réussira à gagner la bataille de la peur, faisant que cette dernière change de côté22.

11Les années quatre-vingt commenceront dans ce climat de voracité organisationnelle, créant des groupements et des regroupements de toutes les formes possibles pour s’engager dans tous les combats particuliers pensables, mais se retrouvant toujours dans une seule et unique expression : celle du besoin impérieux de la chute de la dictature. Aux manifestations commémoratives suivront les journées de protestas23 et l’opposition au régime dictatorial se cristallisera dans un « Non » lors du vote référendaire de 1988, société civile et société politique formant ensemble l’alternative espérée.

Sectorisation de l’association : une société civile éclatée

12La dictature laissa un héritage après sa chute, qui peut être approché sommairement suivant quatre aspects : institutionnel, économique, culturel et social. Pour le premier il s’agira de la Constitution politique du pays laquelle, après avoir été modifiée par le plébiscite de 1989, sera portée par un large consensus au sein de la société politique24. En matière d’économie, le pays continuera à être traversé par les idées néo-libérales engagées et avancées jusque-là, cette permanence idéologique est plus le résultat d’une conception univoque de la modernité, de la société en réseau, de la globalisation et de la mondialisation, que celui d’une pensée unique. Au niveau culturel, la résistance portée par les peñas et les casas folclóricas aura généré un mouvement musical et poétique appelé Canto Nuevo, mélangeant les sons urbains aux folkloriques avec des textes à caractères sociaux et politiques25. Quant à l’aspect social, nous trouverons le Plan Laboral dont le maître mot est flexibilité, en matière de législation du travail, et une société civile organisée de manière aussi plurielle que ses besoins l’exigeaient. Remarquons aussi, qu’en sortant d’une clandestinité devenue désuète, une partie des militants de la société civile va s’investir dans la société politique désormais gouvernante, au détriment de cette première. Nous parlons ici d’un grand nombre des dirigeants de la société civile et spécialement ceux qui s’étaient engagés dans les associations ou les groupements comme un dispositif de leur militantisme politique.

13Afin de sortir d’un rapport binaire entre pouvoir politique et pouvoir économique, l’État incite fortement à la création d’associations. Les préfectures régionales26 ainsi que diverses délégations ministérielles en région s’affairent à contacter sur leur territoire les représentants des juntas de vecinos27, des syndicalistes ainsi que des personnalités déjà issues du monde associatif afin de les encourager à créer des associations dans divers champs28. La tendance à l’isomorphisme institutionnel29 y est globalement assez forte, suscitée par la volonté politique de délégation des services publics à la société civile propre à l’idéologie néo-libérale.

14Cette vision utilitariste d’un mouvement associatif phagocyté par l’appareil d’État ne réprime néanmoins pas totalement les contestations qui l’animent. En effet, les années quatre-vingt-dix sont marquées par une recomposition de la société civile qui se manifeste explicitement par une sectorisation de ses luttes. Le mouvement associatif s’inscrit pleinement dans cette logique. Les associations, auparavant mues par la résistance à la junte militaire, retrouvent alors les espaces de mobilisations30 qui leur sont propres. Elles développent des répertoires d’action31 variés qui incluent entre autres les services à la personne, les réunions publiques, les manifestations, les sit-in, la participation à différentes instances de concertation, la mobilisation des médias de masse. Le déploiement de ces répertoires leur permet à la fois d’entrer en contact avec les personnes qu’elles ciblent mais aussi de faire entendre leurs voix dans l’arène publique32 qu’il s’agisse d’intégrer les processus décisionnels ou de contester les politiques menées.

15Toutefois, il nous faut établir le constat de la faiblesse du renouvellement des forces militantes associatives. Ceci est, selon nous, une des limites d’une structuration fondée, pour beaucoup d’associations, sur des personnalités charismatiques appelées par l’appareil d’État et formant les équipes dirigeantes. Elles puisent alors leurs ressources militantes au sein des réseaux établis par les membres du bureau des associations et ont une nette tendance à circuler en vase clos. Ainsi, les militants associatifs sont souvent des personnes qui militaient déjà avant 1973 ainsi que sous la dictature. En outre, la génération s’étant construite pendant la dictature et ayant profondément incorporé la « loi du silence » peine à se mobiliser dans des cadres collectifs non objectivés par la lutte contre la dictature. Ceci a pour conséquence notable le vieillissement des équipes dirigeantes associatives, qui parfois ne trouvent pas de relais lors du départ d’un des dirigeants. Parallèlement, on observe un fort phénomène de multi-adhésion, voire de multi-direction, associatives qui renforcent cette perception de monde fermé bien qu’éclaté et qui découle directement de ce manque de renouvellement de force militante.

16L’année 2004 marque un tournant important pour la société civile et notamment pour sa composante associative. Le pouvoir exécutif présente les grandes lignes d’un projet de « loi sur les associations et la participation citoyenne à la gestion publique » tout en mobilisant les associations afin qu’elles participent au cadrage juridique de leur propre activité et à la délimitation de la place de la société civile dans les processus décisionnels par la définition de la participation citoyenne. Les associations s’engagent alors dans un mouvement de prise de conscience33 de leur identité politique. Aussi, par cette demande étatique, elles se rencontrent et s’interrogent sur leur construction, leurs principes communs, les espaces de mobilisation qu’elles investissent ainsi que sur leurs répertoires d’action dans le but de co-construire une loi qui leur soit favorable tant en termes de reconnaissance matérielle que politique. Cette loi nommée « Loi 20.500 sur les associations et la participation citoyenne à la gestion publique34 » ressemble peu ou prou à la Loi de 1901 qui cadre les associations en France. Elle a pour spécificité principale d’intégrer « la responsabilité de l’État dans le développement de la vie associative. Ce dernier se doit de promouvoir les initiatives associatives, garantir l’autonomie des associations et associer, en tant qu’organe consultatif, ces organisations au processus de décision ». Elle définit également le cadre de reconnaissance de l’intérêt public d’une association qui peut bénéficier de financements spécifiques35.

L’artefact associatif : une société civile réunifiée

17Les rencontres associatives ayant été provoquées par les gouvernants vont produire involontairement une dynamique inespérée dans le champ36 associatif, un artefact au sens étymologique du terme 37 comme l’expression d’une forme de résilience sociale38. À côté des particularismes revendiqués par chaque association, vont s’objectiver et se formuler, dans ces réunions, des voies alternatives à la vision univoque jusque-là proposée par la société politique, en somme à la permanence d’une prégnance néo-libérale dans les réponses apportées aux problèmes vitaux de la vie collective39. Ainsi, dans la société civile verra le jour un mouvement de désectorisation de l’action associative rassemblant ce qui est épars pour trouver une unité de sens dans le sens de l’action elle-même. Des associations de quartiers, de centres sportifs, de défense des droits à la différence, de centres culturels, d’ouvriers, d’intellectuels, d’indigénistes, de consommateurs accompagnées aussi par des syndicats de lycéens, d’étudiants et de salariés vont transcender leurs revendications et leurs actions pour questionner la fonction d’hégémonie culturelle et politique d’un État, désormais, perçu comme garant d’un modèle social non représentatif des aspirations de la société civile.

18Parallèlement à cet artefact associatif, le Chili sera traversé dès 2006 par des mouvements sociaux sectoriels ayant pour caractéristique des revendications qui sont en conflit direct avec le modèle de société proposé et construit40. C’est le cas du mouvement des lycéens, communément appelée la Revolución de los pingüinos41, lequel par ses revendications questionnera le rôle dévolu à l’État en matière d’éducation et demandera que ce dernier soit garant de l’égalité. Aussi, dès 2011 et au côté des manifestations organisées par les syndicats des salariés revendiquant le droit à une santé publique gratuite pour tous, va émerger un mouvement d’étudiants autour de la question sociétale n’ayant pas été satisfaite en 2006, mouvement qui sera sans précèdent par sa force mobilisatrice, par son impact dans le reste de la société civile et par sa durée. Au questionnement induit par les revendications lycéennes quatre années auparavant, il s’en suit désormais une proposition de changement de paradigme social avec la demande de nationalisation de l’éducation pour qu’elle soit un droit et non un bien de consommation42.

Banderole du mouvement Marca tu voto, 2011.

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19La désectorisation de l’action associative finira par interroger le fond de la loi sur les associations et la participation citoyenne dans la gestion publique, promulguée en 2011, pour s’en écarter en considérant qu’elles avaient un rôle non seulement dans les prises de décisions de l’action publique, mais aussi et surtout dans la définition des politiques publiques elles-mêmes. Cette convergence de la société civile sur le rôle à jouer en matière de participation citoyenne va œuvrer pour un changement des priorités de leurs bases revendicatives, s’accordant pour la plupart sur la nécessité d’un nouveau projet de société pour le Chili. De cette dynamique sociale émergeront des plates-formes associatives, comme Democracia para Chile, Plebiscito ahora ou Movimiento por la constituyente43, qui cristalliseront les aspirations en une seule et unique revendication : une nouvelle Constitution.

20Du nord au sud du pays vont être organisées pendant deux ans, par l’une ou l’autre de ces plates-formes, des assemblées citoyennes pour débattre tant sur le contenu de ce qui mériterait d’être porté dans la future Constitution, que sur la méthode à utiliser pour l’accomplir. Sur ce dernier point, une divergence de taille émergera entre les desseins de cette large partie de la société civile voulant ce changement radical et ceux de la société politique voulant agir plutôt par touches successives. De par leurs pratiques, les plates-formes associatives appelleront à la tenue d’une Assemblée constituante dont la composition se devait de représenter l’ensemble des acteurs civils et politiques du pays. Pour les partis politiques, hormis ceux n’envisageant aucune modification constitutionnelle, les changements demandés conjointement par les mouvements sociaux et par les plates-formes associatives pouvaient trouver réponse en apportant des modifications au texte fondateur, soit par les gouvernants, soit par le parlement ou encore d’après des propositions faites par un groupe de juristes ad hoc spécialisés. Cette divergence de vue va montrer, à plus au moins un an des élections présidentielles de 2013, l’existence d’aspirations équivoques entre la société civile et la société politique. Ce clivage sera d’autant plus féroce que les divergences constatées existent aussi avec les partis politiques héritiers de la résistance à la dictature ou, plus largement, ceux qui par leur alliance avaient rendu possible la défaite de Pinochet en 1989.

21L’année 2012 sera marquée par l’élargissement constant des plates-formes associatives et par leurs actions devenant de plus en plus explicites. Elles se feront le relais de toute revendication sectorielle, à condition qu’elle soit fondamentalement en antagonisme avec le modèle dominant, démontrant par ce biais l’inadéquation du modèle avec les aspirations de la société civile. Plus au moins au début de l’année 2013 l’ensemble des plates-formes vont s’allier autour de l’une d’entre elles, le Movimiento por la constituyente, et annoncent leur intention de présenter un candidat pour l’élection présidentielle44. La campagne fut l’occasion d’utiliser l’espace médiatique pour développer les raisons et l’intérêt d’une Assemblée constituante, demandant aux citoyens de se prononcer en écrivant les initiales A.C.45 sur le bulletin de vote. Face à cela, la société politique va amorcer un lent déplacement, d’abord individuel puis des appareils et cela exclusivement dans les rangs des héritiers mentionnés au paragraphe précédent, pour finir par converger sur les mêmes considérations, de fond et forme, portées par cette large partie de la société civile œuvrant pour une nouvelle société. Par ce fait, avec la victoire aux élections des partis et coalitions s’étant finalement positionnés pour un changement de la Constitution et sans négliger la possibilité que celle-ci soit l’émanation d’une Assemblée constituante, la société civile pourra s’envisager comme la « base », le « contenu éthique », le lieu d’exercice de la fonction d’hégémonie culturelle et politique de l’État46.

Conclusion

22Les organisations de la société civile, après avoir été déstructurées, interdites et annihilées par le régime dictatorial de Pinochet, vont retrouver une nouvelle vie avec l’action politique et volontariste des peñas et casas folclóricas. En effet, c’est par l’intermédiaire du travail de résistance de ces dernières que vont se créer et se démultiplier des associations aux objets divers, mais ayant pour seul dessein commun : le retour de la démocratie. Cette réorganisation de la société civile sera le point d’orgue des grandes manifestations qui finiront par l’emporter sur la dictature.

23Dès l’avènement de la démocratie, la société civile vivra une dynamique de sectorisation de son action impulsée par la société politique toujours en prise avec une conception néo-libérale de l’État. Pour ce qui concerne les associations, elles se centreront sur leurs objets spécifiques finissant même par se spécialiser. Il faudra attendre la présentation du projet de la première Loi sur les associations pour qu’elles se réunissent et se mobilisent pour une co-construction de la Loi, dans l’idée qu’elle leur soit favorable.

24À travers ces réunions un artefact sous forme de résilience sociale verra le jour, questionnant le sens de l’action et l’action associative elle-même, faisant émerger la nécessité d’un changement de projet social pour le Chili et se cristallisant dans l’appel à la tenue d’une Assemblée constituante. Cependant, la société politique, à quelques mois de l’élection présidentielle, ne s’accordera pas pleinement avec cette proposition y compris au sein des appareils politiques de ce qui fut la Concertación de Partidos por la Democracia. Il faudra attendre un déplacement des appareils politiques, après les individuels, pour retrouver une convergence entre société civile et politique. Ainsi, cette volonté d’une partie de la société civile de s’unir et de s’engager pour un projet qui la transcende, cette capacité qui a été la sienne de forcer la société politique à l’entendre et à agir en conséquence, ne peut que rappeler la mobilisation ayant vaincu la dictature.

Bibliographie

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Notes de bas de page

1  Castells M., L’ère de l’information (vol. 1 La société en réseaux), Paris, Fayard, 1998.

2  La définition du concept de « société civile » est moins complexe que tendancielle, idéologiquement parlant. Bien qu’elle soit passée largement dans le langage commun, c’est aussi par ce fait qu’elle a du mal à se livrer sans a priori partisan. Aussi, nous avons estimé que l’approche donnée par Antonio Gramsci pouvait correspondre le mieux aux besoins d’argumentation de cet article, en ce sens qu’elle permet d’expliquer en quoi l’existence d’aspirations équivoques entre la société politique et la société civile est susceptible d’être envisagée comme subversive par la première et d’autant plus explicitement s’agissant d’un État-dictature (comme ce fut le cas pour le Chili entre septembre 1973 et mars 1990). L’État est cet instrument, formé de l’addition de la société politique et la société civile, qui permet de mettre en juste rapport la société civile et la structure économique, nous dit l’auteur. Ainsi, chez Gramsci la société civile n’est pas une sphère qui précède l’État, elle est sa « base », son « contenu éthique », le lieu d’exercice de la fonction d’hégémonie culturelle et politique de l’État. Voir notamment p. 147, 270, 469 et 576-577 dans : Gramsci A., Gramsci dans le texte, Ricci F. & Bramant J. (éd.), Paris, Éditions Sociales, 1975.

3  Acquaviva A., Fournial G., Gilhodes P. et Marcelin J., Chili de l’Unité populaire, Paris, Éditions Sociales, 1971.

4  Orlando Letelier, ancien ministre de Salvador Allende, fut assassiné à Washington le 21 septembre 1976 dans un attentat à la voiture piégée sur ordre de Manuel Contreras, directeur de la DINA et répondant directement au général Auguste Pinochet. La collaboratrice de Letelier, une citoyenne étasunienne nommée Ronni Moffitt, fut également tuée dans l’attentat.

5  Les références au reportage original sont restées, malheureusement, enfouies dans nos mémoires. Mais nous pouvons retrouver ces paroles dans une chronique sur ce personnage réalisée bien plus tard et intitulée « El hombre que implantó la democracia protegida », Periódico El Mundo, Madrid, 18 octobre 1998.

6  Les élections présidentielles et parlementaires se dérouleront en décembre 1989. Non seulement le candidat de la Concertación de Partidos por la Democracia (Concertation des partis pour la démocratie), Patricio Aylwin (démocrate-chrétien) est élu dès le premier tour, mais cette coalition démocratique obtient aussi la majorité au parlement.

7  Jusqu’à aujourd’hui, et cela depuis 1980, le Chili a une Constitution à l’image de la politique menée par la dictature, dont l’un des principaux artisans fut le juriste civil Jaime Guzmán, considéré comme l’un des « idéologues de la junte militaire ». Voir : Sarget M.-N., Histoire du Chili de la conquête à nos jours, Paris, L’Harmattan, coll. « Horizons Amériques latines », 1996, p. 270.

8  Nous trouvons cette désignation dès l’époque coloniale au Chili et, selon l’historien Gabriel Salazar, c’est dans ces lieux que germera l’identité populaire chilienne. Voir : Salazar G., Labradores, peones y proletarios : formación y crisis de la sociedad popular chilena del siglo xix, Santiago, Ediciones Sur, 1986.

9  Selon le dictionnaire de la Real Academia Española, ce mot désigne un groupe de personnes qui participent conjointement à des fêtes populaires, à des activités diverses de loisirs ou culturelles. Par extension, au Chili, ce mot désigne l’endroit où se tiennent ces activités.

10  Le ministère de l’Éducation chilien instituera par décret en 2007 une « journée nationale du folklore ». Décret n° 207 du 7 juin 2007. Cet acte, sous la présidence de Michelle Bachelet, démontre la nécessité d’une politique volontariste pour renverser cette image du folklore qui persiste, impacte et clive toujours la société chilienne.

11  La Nouvelle Chanson chilienne avec des artistes emblématiques comme Victor Jara, Patricio Manns, Angel Parra, Isabel Parra, Violeta Parra, Osvaldo Rodríguez ; et des groupes tels qu’Illapu, Intillimani, Quilapayún. Voir : Clouzet J., La nouvelle chanson chilienne, Paris, Éditions Seghers, 1975.

12  Sur ce mouvement voir l’article de A. Muñoz de Arenillas dans ce même ouvrage (N.D.E.).

13  Il n’est pas dans l’intention de cet article de revenir sur les motifs ou sur les commanditaires du coup d’État, cependant nous pouvons préciser dans cette note qu’il fut la cristallisation des intérêts économiques et géostratégiques étasuniens, relayés par ceux d’une partie de la société politique et civile en opposition au gouvernement socialiste du président Allende. Voir : Cavallo A., Salazar M. et Sepúlveda O., La historia oculta del régimen militar, Santiago, Ediciones La Epoca, 1988.

14  Même les partis politiques des opposants à l’Unité populaire, ceux qui ont pris part et parti pour le coup d’État. Ils pensaient à l’évidence que le pouvoir allait leur être servi sur un plateau quelques mois plus tard. L’Histoire leur donna tort et, bien que ces centristes et conservateurs ne souffriront pas de répression, ils virent leur ascendance politique diminuée par le choix idéologique néo-libéral de la dictature.

15  Nom donné à un groupe de jeunes économistes chiliens formés à l’université de Chicago et inspirés par les apports de Milton Friedman et Arnold Harberger. Voir : Ihl O., « Objetividad de estado. Sur la science de gouvernement des Chicago Boys dans le Chili de Pinochet », « Les sciences du gouvernement en France et au Chili : pratiques, usages, dispositifs », Revue internationale de politique comparée, vol. 19, 2012/3, p. 67-88.

16  Ceci sans ignorer le travail du comité de Coopération pour la paix qui réunissait autour du cardinal Raúl Silva Henríquez des représentants des diverses églises chrétiennes et de la communauté juive pour assister socialement et légalement les victimes du régime dès septembre 1973 et jusqu’à sa dissolution en 1975, suite aux pressions de la dictature. Mais, le cardinal et archevêque de Santiago continua son œuvre et, avec l’accord du pape Paul VI, il fonda la Vicaría de la Solidaridad en 1976 donnant à cet organisme les mêmes missions assumées jusque là par le Comité et en ajoutant d’autres qui seront en rapport avec l’organisation sociale du pays. Ce fut le cas pour l’organisation des soupes populaires, des centrales d’achats populaires ou des stages de formation ouvrière. En 1978, la Vicaría obtint le prix des Nations Unies pour son travail de défense des droits de l’homme. Voir : Gutiérrez Fuentes J. I., Chile, la vicaría de la solidaridad, Madrid, Alianza Editorial, 1986.

17  Ce qui fut le cas par exemple avec la peña de la casa folclórica Doña Javiera à Santiago, fondée par le musicien auteur et interprète Nano Acevedo qui fut finaliste dès 1977 et pendant six ans du Grand Prix de la Chanson produit par l’Organisation de la Télévision Ibéro-Américaine. Voir : Bravo Chiappe G. et González Farfán C., Ecos del tiempo subterráneo. Las peñas en Santiago durante el régimen militar (1973-1983), Santiago, Lom Ediciones, 2009.

18  Une traduction très approximative mais respectueuse du contexte pourrait être « de banlieu ».

19  Particulièrement à compter de 1979 avec l’introduction du Plan Laboral produit par, l’un des Chicago boys, José Piñera (ministre du Travail entre 1978 et 1980). Cette réforme du marché du travail et de la réglementation syndicale sera accueillie négativement par les organisations représentatives des salariés.

20  La première manifestation de rue contre la dictature, organisée conjointement dans toutes les grandes villes du Chili, aura lieu le 8 mars 1979 avec une poignée de participants dont beaucoup se feront arrêter. Après quoi, toutes les dates de commémoration (1er mai, 11 et 21 septembre, etc.) seront des moments de manifestation qui iront en s’amplifiant.

21  La coupure volontaire de son électricité à une heure fixe, rester arrêté au feu vert à une heure donnée ou encore faire du bruit avec ses casseroles à un moment précis de la journée, etc. Aussi, des actions plus fortes comme celle de couper la circulation d’axes importants d’une ville ou encore faire des sit-in à l’intérieur des églises...

22  Álvarez Vallejos R., Desde las sombras. Una historia de la clandestinidad comunista (1973-1980), Santiago, Lom Ediciones, 2003, p. 244-248.

23  La première manifestation nationale de ce type fut celle du 11 mai 1983. Elles se sont répétées ensuite à intervalles réguliers jusqu’en 1986. La participation des organisations des quartiers populaires, comme celles de La Victoria ou Yungay de Santiago ou encore des collines de Valparaíso, fut aussi remarquable que la barbarie de la répression qu’elles ont dû subir à la suite. Mais rien n’a pu les arrêter.

24  À l’exception du Parti communiste et d’autres partis d’extrême gauche.

25  D’abord très métaphoriques pour devenir par suite plus explicites, la métaphore ayant joué de rempart à la répression.

26  Intendencias regionales.

27  Un mélange entre conseils de quartiers et centres socioculturels.

28  À l’instar des associations de défense des consommateurs, le Sernac (Service national du consommateur) a impulsé la création d’associations en faisant appel à ces personnalités locales reconnues pour leur charisme dès 1990. Voir : Morales La Mura Q., Contre-pouvoir, technicité et action associative. Fonctionnements et engagements associatifs au sein d’organisations de défense des consommateurs en France et au Chili, thèse pour le doctorat de sociologie, université de Lorraine, 2012. Voir aussi : Zamorano Varea P., « Movimientos de consumidores en Chile. Entre la novedad y el reciclaje », Revista de Estudios Históricos, vol. 5, n° 1, 2006.

29  Di Maggio P. et Powell W.-W., « The Iron Cage Revisited: Institutional Isomorphism and Collective Rationality in Organizational Fields », American Sociological Review, 48(2), 1983, p.147-160.

30  Mathieu L., L’espace des mouvements sociaux, Paris, Éditions du Croquant, coll. « sociopo », 2012.

31  Tilly C., La France conteste. De 1600 à nos jours, Paris, Fayard, coll. « Espace du politique », 1986.

32  L’arène publique selon Daniel Cefaï et Dominique Pasquier se définit comme « un lieu de débat, de polémique ou de controverse, de témoignage, d’expertise et de délibération où petit à petit émergent des problèmes publics ». Cefaï D. et Pasquier D., « Les sens du public. Introduction », in D. Cefaï et D. Pasquier (éd.), Les sens du public. Publics politiques, publics médiatiques, Paris, PUF, 2003, p.13-59.

33  « Le mythe de la prise de conscience comme fondement du rassemblement volontaire d’un groupe autour d’intérêts communs consciemment appréhendés [...] masque le travail de construction du groupe et la vision collective du monde qui s’accomplit dans la construction d’institutions communes et d’une bureaucratie de plénipotentiaires chargés de représenter le groupe potentiel des agents unis par des affinités d’habitus et d’intérêts, et de le faire exister comme force politique dans et par cette représentation », Bourdieu P., Homo accademicus, Paris, Les Éditions de Minuit, 1984, p. 247.

34  Ley 20.500 sobre asociaciones y participación ciudadana en la gestión pública.

35  Morales La Mura Q., op. cit., p. 113.

36  « Dans un champ, les agents et les institutions luttent, suivant les régularités et les règles constitutives de cet espace de jeu [...], pour s’approprier les profits spécifiques qui sont en jeu dans le jeu », Bourdieu P., Réponses. Pour une anthropologie réflexive, Le Seuil, 1992, p. 78.

37  Du latin : artis facta, le fait de l’art.

38  En empruntant le terme de résilience à la physique pour désigner le retour à l’état initial d’un élément déformé.

39  Guy Bajoit définit deux concepts pour rendre compte du changement social : les problèmes vitaux de la vie collective (au nombre de cinq) et le modèle culturel. Avec ces deux concepts l’auteur montre comment s’est opéré le passage de, ce qu’il appelle, la première à la deuxième modernité. Utilisant ce raisonnement, nous pouvons considérer la prégnance idéologique néo-libérale dans la société politique chilienne comme étant l’écho de la deuxième modernité, impliquant de ce fait sa perception inéluctable parce que touchant toutes les sociétés occidentales. La construction de cette deuxième modernité ou modernité subjectiviste, faisant suite à une autre rationaliste, est celle qui aurait fait passer nos sociétés d’un capitalisme industriel national à un autre néo-libéral mondialisé, d’une démocratie représentative à une autre d’experts, de l’État providence à l’État social actif, du devoir au droit et de l’État-nation à l’État-réseaux. Voir : Bajoit G., Le changement social. Approche sociologique des sociétés occidentales contemporaines, Paris, Armand Colin, coll. « Cursus », 2003.

40  « Les mouvements sociaux sont beaucoup plus que la « base » sociale de partis politiques quand ils opposent à un pouvoir un droit fondamental – liberté, égalité ou solidarité. [...] Ces questions sont indissociables d’une réflexion sur l’émergence de mouvements sociaux susceptibles de remplacer ou transformer les acteurs plus anciens des sociétés industrielles et de faire aboutir des revendications nouvelles fondées sur la défense des droits fondamentaux », Touraine A., La fin des sociétés, Paris, Le Seuil, coll. « La couleur des idées », 2013, p. 238.

41  La « révolte des pingouins » fait référence à l’uniforme caractéristique des lycéens chiliens. Deux réformes touchant l’éducation nationale avaient été opérées par la dictature et perduraient encore en l’état en 2006, la première de 1982 et la seconde de 1990, un jour avant la passation du pouvoir. La réforme de 1982 sonna le glas de l’éducation nationale, comme concept, et donna aux municipalités la responsabilité de la gestion des établissements d’enseignement, ce qui entraîna des inégalités dans la qualité de l’enseignement lui-même, dépendant structurellement de la richesse des communes. La réforme de 1990 appelée L.O.C.E. (Loi organique constitutionnelle d’enseignement) introduit une privatisation totale de l’enseignement, donnant à l’État un rôle purement secondaire de régulateur. Suite à la révolte de 2006, le gouvernement de Michèle Bachelet donnera satisfaction aux revendications sectorielles, mais réformera de manière périphérique seulement le contenu de la L.O.C.E. avec la promulgation de la L.G.E (Loi générale d’éducation). Le problème de fond posé à toute la société chilienne de l’époque resta en latence.

42  Le mouvement d’étudiants s’est prolongé tout au long du mandat du président Sebastián Piñera et cela bien qu’il fut réprimé par la force publique avec une violence qui rappelait celle d’autres temps. Pour comprendre l’esprit des gouvernants et le contexte du conflit, nous proposons au lecteur de tenter une lecture sémantique, par exemple, du changement d’intitulé, dès février 2011, du ministère de l’Intérieur par celui de ministère de l’Intérieur et de Sécurité publique. En effet, la réalité sociale est produite par le discours qui prétend la décrire, la réalité institutionnelle et politique aussi : dire c’est faire. Voir Bourdieu P., Langage et pouvoir symbolique, Paris, Le Seuil, coll. « Points essais », 2001.

43  Démocratie pour le Chili, Plébiscite maintenant ou Mouvement pour une constituante.

44  Ce sera Gustavo Ruz, sociologue, dirigeant des jeunesses socialistes avant 1973, exilé puis résistant dans la clandestinité à la junte militaire.

45  Disposition admise par la législation électorale chilienne, mais peu connue des citoyens.

46  Au sens d’Antonio Gramsci. Gramsci A., op. cit. Bien que les conditions de cette congruence entre société civile et politique existent, il nous faut laisser ouvertes les interrogations suscitées par trois constats : (1) Si la campagne du Marca tu voto n’a récolté que près de 9 % des suffrages, les candidats (aux élections législatives, sénatoriales et territoriales) ayant intégré cette campagne à la leur, ont tous été élus. (2) Si le taux d’abstentionnisme a été très élevé, les leçons qui peuvent en être tirées sont limitées s’agissant des premières élections non-obligatoires. (3) Si la société politique a fini par intégrer les aspirations d’une société civile agissante, l’issue dépendra néanmoins des rapports de force existant entre la société civile et politique.

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