1 Castells M., L’ère de l’information (vol. 1 La société en réseaux), Paris, Fayard, 1998.
2 La définition du concept de « société civile » est moins complexe que tendancielle, idéologiquement parlant. Bien qu’elle soit passée largement dans le langage commun, c’est aussi par ce fait qu’elle a du mal à se livrer sans a priori partisan. Aussi, nous avons estimé que l’approche donnée par Antonio Gramsci pouvait correspondre le mieux aux besoins d’argumentation de cet article, en ce sens qu’elle permet d’expliquer en quoi l’existence d’aspirations équivoques entre la société politique et la société civile est susceptible d’être envisagée comme subversive par la première et d’autant plus explicitement s’agissant d’un État-dictature (comme ce fut le cas pour le Chili entre septembre 1973 et mars 1990). L’État est cet instrument, formé de l’addition de la société politique et la société civile, qui permet de mettre en juste rapport la société civile et la structure économique, nous dit l’auteur. Ainsi, chez Gramsci la société civile n’est pas une sphère qui précède l’État, elle est sa « base », son « contenu éthique », le lieu d’exercice de la fonction d’hégémonie culturelle et politique de l’État. Voir notamment p. 147, 270, 469 et 576-577 dans : Gramsci A., Gramsci dans le texte, Ricci F. & Bramant J. (éd.), Paris, Éditions Sociales, 1975.
3 Acquaviva A., Fournial G., Gilhodes P. et Marcelin J., Chili de l’Unité populaire, Paris, Éditions Sociales, 1971.
4 Orlando Letelier, ancien ministre de Salvador Allende, fut assassiné à Washington le 21 septembre 1976 dans un attentat à la voiture piégée sur ordre de Manuel Contreras, directeur de la DINA et répondant directement au général Auguste Pinochet. La collaboratrice de Letelier, une citoyenne étasunienne nommée Ronni Moffitt, fut également tuée dans l’attentat.
5 Les références au reportage original sont restées, malheureusement, enfouies dans nos mémoires. Mais nous pouvons retrouver ces paroles dans une chronique sur ce personnage réalisée bien plus tard et intitulée « El hombre que implantó la democracia protegida », Periódico El Mundo, Madrid, 18 octobre 1998.
6 Les élections présidentielles et parlementaires se dérouleront en décembre 1989. Non seulement le candidat de la Concertación de Partidos por la Democracia (Concertation des partis pour la démocratie), Patricio Aylwin (démocrate-chrétien) est élu dès le premier tour, mais cette coalition démocratique obtient aussi la majorité au parlement.
7 Jusqu’à aujourd’hui, et cela depuis 1980, le Chili a une Constitution à l’image de la politique menée par la dictature, dont l’un des principaux artisans fut le juriste civil Jaime Guzmán, considéré comme l’un des « idéologues de la junte militaire ». Voir : Sarget M.-N., Histoire du Chili de la conquête à nos jours, Paris, L’Harmattan, coll. « Horizons Amériques latines », 1996, p. 270.
8 Nous trouvons cette désignation dès l’époque coloniale au Chili et, selon l’historien Gabriel Salazar, c’est dans ces lieux que germera l’identité populaire chilienne. Voir : Salazar G., Labradores, peones y proletarios : formación y crisis de la sociedad popular chilena del siglo xix, Santiago, Ediciones Sur, 1986.
9 Selon le dictionnaire de la Real Academia Española, ce mot désigne un groupe de personnes qui participent conjointement à des fêtes populaires, à des activités diverses de loisirs ou culturelles. Par extension, au Chili, ce mot désigne l’endroit où se tiennent ces activités.
10 Le ministère de l’Éducation chilien instituera par décret en 2007 une « journée nationale du folklore ». Décret n° 207 du 7 juin 2007. Cet acte, sous la présidence de Michelle Bachelet, démontre la nécessité d’une politique volontariste pour renverser cette image du folklore qui persiste, impacte et clive toujours la société chilienne.
11 La Nouvelle Chanson chilienne avec des artistes emblématiques comme Victor Jara, Patricio Manns, Angel Parra, Isabel Parra, Violeta Parra, Osvaldo Rodríguez ; et des groupes tels qu’Illapu, Intillimani, Quilapayún. Voir : Clouzet J., La nouvelle chanson chilienne, Paris, Éditions Seghers, 1975.
12 Sur ce mouvement voir l’article de A. Muñoz de Arenillas dans ce même ouvrage (N.D.E.).
13 Il n’est pas dans l’intention de cet article de revenir sur les motifs ou sur les commanditaires du coup d’État, cependant nous pouvons préciser dans cette note qu’il fut la cristallisation des intérêts économiques et géostratégiques étasuniens, relayés par ceux d’une partie de la société politique et civile en opposition au gouvernement socialiste du président Allende. Voir : Cavallo A., Salazar M. et Sepúlveda O., La historia oculta del régimen militar, Santiago, Ediciones La Epoca, 1988.
14 Même les partis politiques des opposants à l’Unité populaire, ceux qui ont pris part et parti pour le coup d’État. Ils pensaient à l’évidence que le pouvoir allait leur être servi sur un plateau quelques mois plus tard. L’Histoire leur donna tort et, bien que ces centristes et conservateurs ne souffriront pas de répression, ils virent leur ascendance politique diminuée par le choix idéologique néo-libéral de la dictature.
15 Nom donné à un groupe de jeunes économistes chiliens formés à l’université de Chicago et inspirés par les apports de Milton Friedman et Arnold Harberger. Voir : Ihl O., « Objetividad de estado. Sur la science de gouvernement des Chicago Boys dans le Chili de Pinochet », « Les sciences du gouvernement en France et au Chili : pratiques, usages, dispositifs », Revue internationale de politique comparée, vol. 19, 2012/3, p. 67-88.
16 Ceci sans ignorer le travail du comité de Coopération pour la paix qui réunissait autour du cardinal Raúl Silva Henríquez des représentants des diverses églises chrétiennes et de la communauté juive pour assister socialement et légalement les victimes du régime dès septembre 1973 et jusqu’à sa dissolution en 1975, suite aux pressions de la dictature. Mais, le cardinal et archevêque de Santiago continua son œuvre et, avec l’accord du pape Paul VI, il fonda la Vicaría de la Solidaridad en 1976 donnant à cet organisme les mêmes missions assumées jusque là par le Comité et en ajoutant d’autres qui seront en rapport avec l’organisation sociale du pays. Ce fut le cas pour l’organisation des soupes populaires, des centrales d’achats populaires ou des stages de formation ouvrière. En 1978, la Vicaría obtint le prix des Nations Unies pour son travail de défense des droits de l’homme. Voir : Gutiérrez Fuentes J. I., Chile, la vicaría de la solidaridad, Madrid, Alianza Editorial, 1986.
17 Ce qui fut le cas par exemple avec la peña de la casa folclórica Doña Javiera à Santiago, fondée par le musicien auteur et interprète Nano Acevedo qui fut finaliste dès 1977 et pendant six ans du Grand Prix de la Chanson produit par l’Organisation de la Télévision Ibéro-Américaine. Voir : Bravo Chiappe G. et González Farfán C., Ecos del tiempo subterráneo. Las peñas en Santiago durante el régimen militar (1973-1983), Santiago, Lom Ediciones, 2009.
18 Une traduction très approximative mais respectueuse du contexte pourrait être « de banlieu ».
19 Particulièrement à compter de 1979 avec l’introduction du Plan Laboral produit par, l’un des Chicago boys, José Piñera (ministre du Travail entre 1978 et 1980). Cette réforme du marché du travail et de la réglementation syndicale sera accueillie négativement par les organisations représentatives des salariés.
20 La première manifestation de rue contre la dictature, organisée conjointement dans toutes les grandes villes du Chili, aura lieu le 8 mars 1979 avec une poignée de participants dont beaucoup se feront arrêter. Après quoi, toutes les dates de commémoration (1er mai, 11 et 21 septembre, etc.) seront des moments de manifestation qui iront en s’amplifiant.
21 La coupure volontaire de son électricité à une heure fixe, rester arrêté au feu vert à une heure donnée ou encore faire du bruit avec ses casseroles à un moment précis de la journée, etc. Aussi, des actions plus fortes comme celle de couper la circulation d’axes importants d’une ville ou encore faire des sit-in à l’intérieur des églises...
22 Álvarez Vallejos R., Desde las sombras. Una historia de la clandestinidad comunista (1973-1980), Santiago, Lom Ediciones, 2003, p. 244-248.
23 La première manifestation nationale de ce type fut celle du 11 mai 1983. Elles se sont répétées ensuite à intervalles réguliers jusqu’en 1986. La participation des organisations des quartiers populaires, comme celles de La Victoria ou Yungay de Santiago ou encore des collines de Valparaíso, fut aussi remarquable que la barbarie de la répression qu’elles ont dû subir à la suite. Mais rien n’a pu les arrêter.
24 À l’exception du Parti communiste et d’autres partis d’extrême gauche.
25 D’abord très métaphoriques pour devenir par suite plus explicites, la métaphore ayant joué de rempart à la répression.
26 Intendencias regionales.
27 Un mélange entre conseils de quartiers et centres socioculturels.
28 À l’instar des associations de défense des consommateurs, le Sernac (Service national du consommateur) a impulsé la création d’associations en faisant appel à ces personnalités locales reconnues pour leur charisme dès 1990. Voir : Morales La Mura Q., Contre-pouvoir, technicité et action associative. Fonctionnements et engagements associatifs au sein d’organisations de défense des consommateurs en France et au Chili, thèse pour le doctorat de sociologie, université de Lorraine, 2012. Voir aussi : Zamorano Varea P., « Movimientos de consumidores en Chile. Entre la novedad y el reciclaje », Revista de Estudios Históricos, vol. 5, n° 1, 2006.
29 Di Maggio P. et Powell W.-W., « The Iron Cage Revisited: Institutional Isomorphism and Collective Rationality in Organizational Fields », American Sociological Review, 48(2), 1983, p.147-160.
30 Mathieu L., L’espace des mouvements sociaux, Paris, Éditions du Croquant, coll. « sociopo », 2012.
31 Tilly C., La France conteste. De 1600 à nos jours, Paris, Fayard, coll. « Espace du politique », 1986.
32 L’arène publique selon Daniel Cefaï et Dominique Pasquier se définit comme « un lieu de débat, de polémique ou de controverse, de témoignage, d’expertise et de délibération où petit à petit émergent des problèmes publics ». Cefaï D. et Pasquier D., « Les sens du public. Introduction », in D. Cefaï et D. Pasquier (éd.), Les sens du public. Publics politiques, publics médiatiques, Paris, PUF, 2003, p.13-59.
33 « Le mythe de la prise de conscience comme fondement du rassemblement volontaire d’un groupe autour d’intérêts communs consciemment appréhendés [...] masque le travail de construction du groupe et la vision collective du monde qui s’accomplit dans la construction d’institutions communes et d’une bureaucratie de plénipotentiaires chargés de représenter le groupe potentiel des agents unis par des affinités d’habitus et d’intérêts, et de le faire exister comme force politique dans et par cette représentation », Bourdieu P., Homo accademicus, Paris, Les Éditions de Minuit, 1984, p. 247.
34 Ley 20.500 sobre asociaciones y participación ciudadana en la gestión pública.
35 Morales La Mura Q., op. cit., p. 113.
36 « Dans un champ, les agents et les institutions luttent, suivant les régularités et les règles constitutives de cet espace de jeu [...], pour s’approprier les profits spécifiques qui sont en jeu dans le jeu », Bourdieu P., Réponses. Pour une anthropologie réflexive, Le Seuil, 1992, p. 78.
37 Du latin : artis facta, le fait de l’art.
38 En empruntant le terme de résilience à la physique pour désigner le retour à l’état initial d’un élément déformé.
39 Guy Bajoit définit deux concepts pour rendre compte du changement social : les problèmes vitaux de la vie collective (au nombre de cinq) et le modèle culturel. Avec ces deux concepts l’auteur montre comment s’est opéré le passage de, ce qu’il appelle, la première à la deuxième modernité. Utilisant ce raisonnement, nous pouvons considérer la prégnance idéologique néo-libérale dans la société politique chilienne comme étant l’écho de la deuxième modernité, impliquant de ce fait sa perception inéluctable parce que touchant toutes les sociétés occidentales. La construction de cette deuxième modernité ou modernité subjectiviste, faisant suite à une autre rationaliste, est celle qui aurait fait passer nos sociétés d’un capitalisme industriel national à un autre néo-libéral mondialisé, d’une démocratie représentative à une autre d’experts, de l’État providence à l’État social actif, du devoir au droit et de l’État-nation à l’État-réseaux. Voir : Bajoit G., Le changement social. Approche sociologique des sociétés occidentales contemporaines, Paris, Armand Colin, coll. « Cursus », 2003.
40 « Les mouvements sociaux sont beaucoup plus que la « base » sociale de partis politiques quand ils opposent à un pouvoir un droit fondamental – liberté, égalité ou solidarité. [...] Ces questions sont indissociables d’une réflexion sur l’émergence de mouvements sociaux susceptibles de remplacer ou transformer les acteurs plus anciens des sociétés industrielles et de faire aboutir des revendications nouvelles fondées sur la défense des droits fondamentaux », Touraine A., La fin des sociétés, Paris, Le Seuil, coll. « La couleur des idées », 2013, p. 238.
41 La « révolte des pingouins » fait référence à l’uniforme caractéristique des lycéens chiliens. Deux réformes touchant l’éducation nationale avaient été opérées par la dictature et perduraient encore en l’état en 2006, la première de 1982 et la seconde de 1990, un jour avant la passation du pouvoir. La réforme de 1982 sonna le glas de l’éducation nationale, comme concept, et donna aux municipalités la responsabilité de la gestion des établissements d’enseignement, ce qui entraîna des inégalités dans la qualité de l’enseignement lui-même, dépendant structurellement de la richesse des communes. La réforme de 1990 appelée L.O.C.E. (Loi organique constitutionnelle d’enseignement) introduit une privatisation totale de l’enseignement, donnant à l’État un rôle purement secondaire de régulateur. Suite à la révolte de 2006, le gouvernement de Michèle Bachelet donnera satisfaction aux revendications sectorielles, mais réformera de manière périphérique seulement le contenu de la L.O.C.E. avec la promulgation de la L.G.E (Loi générale d’éducation). Le problème de fond posé à toute la société chilienne de l’époque resta en latence.
42 Le mouvement d’étudiants s’est prolongé tout au long du mandat du président Sebastián Piñera et cela bien qu’il fut réprimé par la force publique avec une violence qui rappelait celle d’autres temps. Pour comprendre l’esprit des gouvernants et le contexte du conflit, nous proposons au lecteur de tenter une lecture sémantique, par exemple, du changement d’intitulé, dès février 2011, du ministère de l’Intérieur par celui de ministère de l’Intérieur et de Sécurité publique. En effet, la réalité sociale est produite par le discours qui prétend la décrire, la réalité institutionnelle et politique aussi : dire c’est faire. Voir Bourdieu P., Langage et pouvoir symbolique, Paris, Le Seuil, coll. « Points essais », 2001.
43 Démocratie pour le Chili, Plébiscite maintenant ou Mouvement pour une constituante.
44 Ce sera Gustavo Ruz, sociologue, dirigeant des jeunesses socialistes avant 1973, exilé puis résistant dans la clandestinité à la junte militaire.
45 Disposition admise par la législation électorale chilienne, mais peu connue des citoyens.
46 Au sens d’Antonio Gramsci. Gramsci A., op. cit. Bien que les conditions de cette congruence entre société civile et politique existent, il nous faut laisser ouvertes les interrogations suscitées par trois constats : (1) Si la campagne du Marca tu voto n’a récolté que près de 9 % des suffrages, les candidats (aux élections législatives, sénatoriales et territoriales) ayant intégré cette campagne à la leur, ont tous été élus. (2) Si le taux d’abstentionnisme a été très élevé, les leçons qui peuvent en être tirées sont limitées s’agissant des premières élections non-obligatoires. (3) Si la société politique a fini par intégrer les aspirations d’une société civile agissante, l’issue dépendra néanmoins des rapports de force existant entre la société civile et politique.