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Le monde de l’art au Chili, entre exil et « desexilio » à travers les récits de vie de Max Berrú et Vladimir Vega

p. 133-147


Texte intégral

1Présente dans les réflexions méthodologiques les plus innovantes des dernières décennies, l’histoire orale peut être un outil important de la dite « Public History1 », dans tous les cas où il y existe une distorsion de la mémoire par des acteurs tels que les institutions et les médias ou bien la nécessité de faire ressortir des voix subalternes2. Le contexte dans lequel se développe l’historiographie orale en Amérique latine répond ainsi à deux critères régionaux et culturels. Ce contexte est conditionné, beaucoup plus que dans d’autres lieux, tels que l’Europe et les États-Unis, par l’instabilité politique qui a régné sur la région tout au long de la deuxième moitié du xxe siècle. La méthodologie même de l’histoire orale au cours du dernier demi-siècle, a été partagée en deux grandes perspectives méthodologiques et culturelles3. La première, en particulier aux États-Unis, a mis l’accent sur la préservation des sources orales et la construction de véritables archives de la mémoire orale, comme l’Institut Mora au Mexique. La seconde, qui a bénéficié des réflexions méthodologiques principalement anglaises et italiennes (Ronald Fraser, EP Thompson, Raphael Samuel, Luisa Passerini, Sandro Portelli, Cesare Bermani4), pensait l’histoire orale comme un outil pour l’étude des classes populaires. Aussi cette instabilité politique devient elle-même l’objet principal de recherche. Ce n’est donc pas qu’une coïncidence si ce champ traditionnel d’étude – de filiation méthodologique anglo-italienne, étudiant les classes populaires selon un processus de « restitution de la voix » –, était surtout utilisé en Amérique Latine et qu’il s’est avéré essentiel pour l’étude des dictatures militaires et, tout particulièrement, celle de l’opposition démocratique.

2Ainsi fleurissent dans le Cône Sud de l’Amérique latine des études très importantes pour connaître la vie quotidienne, le militantisme antifasciste durant les dictatures et les violations des droits de l’homme. Rappelons ici brièvement celles d’Elizabeth Jelin en Argentine et de Mario Garcés au Chili5. Aussi, comme nous le verrons notamment dans l’entretien avec Vladimir Vega, les sources orales nous permettent d’étudier la même conflictualité cette fois-ci à l’intérieur du milieu populaire, entre les points de vue des cadres et ceux des militants. Ceci ressort très difficilement des sources traditionnelles comme les études de Sandro Portelli6 sur le conflit de travail dans la ville italienne de Terni, l’avaient déjà démontré à partir des années 1980.

3La proposition méthodologique que j’ai présentée lors du colloque et présentement dans cet écrit, constitue une forme particulière de travail sur les sources orales. J’ai choisi d’y traiter seulement deux « récits de vie » : l’histoire d’un exilé politique, Max Berrú, et celle d’un prisonnier politique, Vladimir Vega, qui devient à son tour un exilé, après cinq ans de prison. Les deux témoins ont uniquement en commun une carrière artistique construite autour de la participation à l’Unité Populaire et de l’histoire sociopolitique du Chili. Pour le reste, nous parlons de deux histoires différentes, mais il nous a semblé utile ici de les comparer. Les deux sources orales ont été élaborées et construites à travers des entretiens en profondeur pour recueillir leur « récit de vie7 ». Chaque entretien dure plus de cinq heures et fait partie d’un vaste projet de recherche comprenant plus de 250 entretiens menés entre l’Argentine, l’Uruguay et le Chili. Dans ce sens les deux sources orales utilisées sont exemplaires dans leurs grandes différences et permettent à l’historien une petite étude comparative sur l’art et la solidarité avec le Chili à travers la subjectivité des artistes.

4Max Berrú et Vladimir Vega sont deux personnes très différentes et ils ont une relation très distincte à leur passé et à leur présent. Max Berrú est le fondateur des Inti-Illimani, sans doute le groupe de musique andine le plus connu dans le monde et qui, avec Quilapayún et Víctor Jara8, avait un rôle clé dans la propagande allendiste et ensuite dans l’exil, pour les campagnes de solidarité avec le Chili. Après l’exil Max rentre au Chili où il reprend sa vie professionnelle et artistique (aujourd’hui restaurateur à succès, il tient un restaurant équatorien à Santiago) et il peut penser avoir suturé ses plaies.

5Moins connu, Vladimir Vega a vécu une vie beaucoup plus difficile. Il a appris à jouer de la guitare en prison, et durant son exil à Londres, il a fait de la musique une profession qu’il pratique encore aujourd’hui. Malgré son incontestable talent et la qualité de sa musique, son groupe, « Antara », est un groupe andin parmi d’autres. Il a débuté à la Royal Albert Hall de Londres avec la Grand Union Orquestra, mais il ne fait pas de la musique pour les grands théâtres. Il joue souvent dans des clubs et des pubs en Angleterre. C’est ensuite dans le cinéma qu’il atteint le point culminant de sa carrière. Il a travaillé pour la BBC et a dirigé pour BBC 4 la mise en scène du roman de l’écrivaine mexicaine Laura Esquivel, Como agua para chocolate9. Vega a travaillé dans plusieurs films avec le réalisateur britannique Ken Loach. En 1993, il a eu le rôle principal dans le film Ladybird, Ladybird, une histoire très sombre, pour laquelle il a remporté des prix aux festivals de Berlin et de Valladolid. Néanmoins, comme lui-même le rappelle, même le cinéma ne lui a pas permis de sortir d’une situation précaire.

Vladimir Vega dans le court-métrage de Ken Loach.

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6Vladimir a été consultant pour le film Carla’s song du même Ken Loach, tourné en partie au Nicaragua, sur l’agression contre la Révolution sandiniste. En 1997, il a travaillé dans Elizabeth I, réalisé par Shekhar Kapur, avec Fanny Ardant et Richard Attenborough, nominé pour un Oscar en 1998. Mais il est devenu célèbre en tant que protagoniste du court-métrage 11 Septembre 2001. Dans ce projet, le producteur français Alain Brigand a réuni des réalisateurs du monde entier, afin d’avoir leur vision des attentats du 11 septembre 2001 à New York et Washington. Chaque court-métrage devant durer 11 minutes, 9 secondes, et 1 image (par allusion symbolique à la date du 11 septembre 2001). L’objectif visé était de proposer une vision alternative multiple à la vision unique des médias. Dans le court-métrage dirigé par Loach, Vladimir Vega joue son propre rôle, celui d’un Chilien vivant en Angleterre qui écrit une lettre aux familles des victimes des attentats de New York dans laquelle il se souvient d’un autre 11 septembre : le 11 septembre 1973. Sa vie et sa carrière professionnelle continuent donc à se rapporter à un événement central et décisif : le coup d’État chilien.

7Entre Max et Vladimir il y a 11 ans d’écart. Berrú est né en 1942, Vega en 1953. Tous les deux ont vécu des vies importantes, plus ou moins riches en réalisations personnelles, mais ils se racontent de manière très différente. Dans le cas de Berrú, malgré son exil de 15 ans en Europe, il a reconstruit sa vie au Chili comme artiste et entrepreneur, il se représente comme une personne épanouie, qui à son niveau personnel a réussi sa vie et sa bataille contre la dictature. Dans le cas de Vega, au contraire, malgré son jeune âge à l’époque, il se présente comme quelqu’un dont la vie a été détruite par le coup d’État et qui n’a pas encore trouvé une solution au traumatisme de sa vie divisée. Il n’arrive pas encore à décider si rester à Londres, où il a vécu beaucoup d’années et a eu en plus des enfants avec sa femme chilienne, ou bien si se rendre au Chili pour y vivre de façon permanente.

8Avant d’entrer dans le cœur de l’analyse de ces deux récits de vie certaines précisions méthodologiques s’avèrent nécessaires : le travail présenté ici combine l’analyse qualitative avec des éléments quantitatifs d’après l’idée de « densité du récit ». Cette idée provient de l’historien britannique Ronald Fraser, l’un des précurseurs de l’utilisation des sources orales, avec ses recherches sur la mémoire de la guerre civile espagnole menée dans les années 197010, lorsque le dictateur Francisco Franco était toujours vivant, et que j’ai eu comme professeur à l’université de Valence, en Espagne, dans les années 1990. Pour parler de « densité du récit » il faut que l’historien réalise un certain nombre d’entretiens, avec l’objectif de recueillir et de comparer les « récits de vie » de personnes qui ont eu une expérience en commun (l’exil, le militantisme, les violations des droits de l’homme, l’art) et de tracer un trait d’union dans les récits. C’est pourquoi, le fait d’utiliser ici seulement deux récits de vie efface les éléments quantitatifs qui sont méthodologiquement nécessaires à la « densité du récit ». Cependant ces deux témoignages ne perdent pas leur sens du point de vue scientifique, principalement parce qu’ils ont été extrapolés à partir d’une centaine d’interviews et pourtant nous pouvons toujours placer ces deux récits d’expérience vécue dans ce contexte plus large, qui, évidemment, n’est pas composé seulement de musiciens.

Les « récit de vie » de Max Berrú et Vladimir Vega

9Dans le contexte du « récit de vie » nous partons normalement de la présentation générale des interviewés pour caractériser les sujets et les connaître à partir de leur famille d’origine. Max Berrú est un Équatorien qui s’intègre complètement à Santiago du Chili. Il y est allé pour assister à la Coupe du Monde de football de 1962 et pour étudier l’ingénierie. Il vient d’une classe sociale élevée et il a été politisé pendant ses études dans le climat social des années 1960.

« Une famille sans problèmes d’argent, [qui lui a donné] une pension suffisante pour survivre sans aucune difficulté. Dans les premières années de mes études d’ingénieur je pensais aller aux États-Unis pour me perfectionner et revenir ensuite en Équateur et gagner beaucoup d’argent. Je me souviens même que j’ai acheté une voiture et j’étais donc un étudiant disposant d’une voiture. À ce moment-là il était rare de voir un étudiant avec une voiture, j’avais donc un assez bon niveau de vie11. »

10Vladimir Vega a une histoire complètement différente. Il est né dans une famille modeste mais très politisée. Comme pour de nombreux militants de la classe ouvrière sa légitimité vient du fait d’être capable de raconter son histoire dans une famille de militants. Eux-mêmes se racontent comme faisant partie de l’aristocratie du prolétariat. Cependant il vit à Molina, un village rural de la VIIe région du Chili :

« Molina est un petit village agricole. Il a toujours été un lieu d’origine de leaders paysans très combatifs. Mon père parlait toute la nuit, à moitié ivre il venait s’asseoir à table pour parler... des communistes, des nazis. Alors depuis que j’étais très petit j’ai entendu parler de politique. C’était plus une façon personnelle d’être de mon père qu’une réelle militance12. »

11La relation avec son père alcoolique et violent marque considérablement la première jeunesse de Vladimir. Max, qui a fondé en 1967 les Inti-Illimani avec Horacio Salinas parmi d’autres, vit pour sa part dans une réalité hautement passionnante :

« Les étudiants appartiennent à ce grand mouvement démocratique développé au Chili dans les années 1960. Nous avons tous été impliqués avec passion, avec joie et avec beaucoup d’enthousiasme. À ce moment-là nous étions tous militants à temps plein de la Jota, la Jeunesse Communiste du Chili et nous avons soutenu Salvador Allende, l’Unité populaire et donné un nombre énorme de concerts pendant sa campagne, je ne me souviens pas combien. Et bien sûr : nous avons gagné les élections et rêvé d’un monde meilleur13. »

12Vladimir, au contraire, vit une réalité beaucoup plus crue :

« Du côté de mon père nous étions sept frères, mais, à cause d’un viol, du côté de ma mère j’ai eu un autre frère. Ma mère était une femme très modeste mais bien courageuse. Mais, peut-être aussi à cause de tous ses enfants, elle a changé, elle a baissé la garde. J’ai grandi en ayant beaucoup de problèmes avec mon père qui était toujours ivre. À 19 ans j’ai quitté la maison14. »

13Dans ce contexte, l’engagement depuis l’enfance devient aussi une occasion de sortir d’un environnement détérioré. Ce sont des histoires typiques de classe populaires que j’ai pu recueillir des dizaines de fois au Chili et dans d’autres milieux populaires.

« Je me souviens de la campagne de 1964, j’avais 11 ans. Je sortais peindre15, avec mes amis toute la journée. À 12 ans, j’avais dessiné le visage d’Allende sur tous mes cahiers. [...] Trois ans plus tard [en 1967] je me suis retrouvé à mettre sur pied l’organisation de Jeunes Socialistes de Molina, car il n’y en avait pas16. »

14Pour Max l’université est l’occasion d’acquérir une conscience politique et de changer totalement sa façon de voir le monde.

« Mes idées changeaient à mesure que j’apprenais à connaître mes camarades, je devenais plus sensible aux problèmes réels de la population et en particulier des travailleurs. J’ai pu connaître la vie d’un mineur qui est assez terrible. Je ne sais pas si vous avez entendu parler des lits chauds ? [Je dis : non] Les mineurs se relaient à la mine et aussi dans les lits. Donc, vous apprenez..., et vous êtes sensibilisés. Puis, après trois ans vécus au Chili, j’ai réalisé que la vie ce n’est pas seulement faire de l’argent, mais que vous devez changer les choses. Et ces choses m’ont enthousiasmé, j’y prenais plaisir17. »

15C’est dans ce contexte que s’inscrit l’art, la musique, les Inti-Illimani : « J’ai obtenu mon diplôme en ingénierie mécanique l’année 69. Dans le même temps la musique a été mon passe-temps et j’ai formé le groupe Inti Illimani en 1967. En 1971 j’ai laissé l’ingénierie et je me suis consacré exclusivement à la musique18. » Totalement différente est l’expérience de Vladimir, qui fait de l’activisme à plein-temps au sein du Parti socialiste, et qui a appris à jouer seulement en prison, après le coup d’État. « Un prisonnier de droit commun nous a prêté une guitare. Et j’ai commencé à jouer et à aimer... et à jouer “Carabina33” de la révolution mexicaine... “La muralla” [des Quilapayún]. J’ai chanté “Bella ciao”. » Vladimir commence à chanter pendant l’entretien la chanson la plus connue de la Résistance italienne :

« Una matina... Après, nous avons formé un groupe, obtenu un charango19... et nous voulions faire un concert. Certains prisonniers nous maudissaient parce que nous faisions toute la nuit turururuuuu. Le concert a eu lieu en 74, avec le groupe folklorique du palais de justice. Tous les prisonniers détenus étaient dans la cour. Nous nous appelions “PPP”, “Prisonniers Politiques Perpétuels”. Et ce fut une petite victoire que nous avons obtenue parce que la direction de la prison était aux mains de gauchistes20. »

Pochette de l’album de Inti-Illimani : Hacia la libertad, Milan octobre 1975.

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16Même le passage d’une démocratie à une dictature prévoit des transitions. Dans ce cas, la direction de la prison où Vladimir Vega est détenu est composée de démocrates échappés des mailles de la répression : loin des anecdotes c’est une contribution à la complexité de l’histoire. Il s’agit de ces récits que seules les sources orales peuvent offrir comme contribution à l’historiographie traditionnelle (ou encore à la littérature). Nous pouvons les faire émerger ici dans un contexte qui, forcément, est plus qualitatif que quantitatif.

17Le jour du coup d’État Vladimir Vega, avec un groupe de militants de Molina, avaient pensé être capables de résister, sans armes, sans aucune organisation. Ce sera une tragédie terminée en moins de 24 heures et le 28 septembre le maire de Talca, Germán Castro, sera exécuté. Notre jeune militant socialiste sera blessé et condamné à la prison à vie. Il restera en prison cinq années. Dans nos entrevues Vladimir passe beaucoup de temps à raconter cette expérience cruciale. Dans le récit commence à émerger une profonde amertume et désillusion. Cette amertume se présente beaucoup plus fortement au moment d’analyser son exil. Face à la cohérence d’un Germán Castro ou de Salvador Allende ou même de Vladimir, il y a tout à la fois un autre militant qui, sans arriver à la trahison, ne se montre pas à la hauteur de la situation ou, dans une interprétation alternative, se montrerait plus réaliste :

« Le jour du golpe, nous nous sommes tous rassemblés dans un moulin à Talca et nous avons décidé de rejoindre la montagne pour faire un foyer de guérilla. Un autre membre du comité central du Parti socialiste est resté à Talca en charge d’organiser les travailleurs et le peuple de Talca pour défendre le gouvernement contre le coup d’État. [...] Mais tandis que nous étions dans la montagne presque sans armes, je portais un revolver comme la police américaine, un Colt, le camarade chargé d’organiser la défense de Talca contre le coup d’État [il dit avec rage même aujourd’hui] el huevon21 rentre chez lui, ne le dit à personne, ouf, disparu ! Il est apparu beaucoup plus tard en Allemagne. »

Du coup d’État à l’exil

18Vladimir tient à préciser que, dans ce cas et dans d’autres, il ne s’agit pas de remettre en cause la possibilité de se défendre ou non face au coup d’État, ou d’un problème politique ou idéologique, mais d’une question personnelle de militants dont il est profondément blessé. Il parle ouvertement de trahison de la part de son Parti socialiste. Ce parti, avec un discours très extrémiste et violent, n’était pas capable de faire face aux conséquences politiques et militaires, et a donné à la droite une arme puissante contre le gouvernement populaire. Max, au contraire, le 11 Septembre, vient d’arriver en Italie pour un festival de solidarité avec le Vietnam. La nouvelle du coup d’État arrive aux Inti-Illimani lorsqu’ils sont en train de visiter Saint-Pierre à Rome. Ils sont sains et saufs, mais ils sont traumatisés : « On nous invite à Botteghe Oscure (la maison historique du Parti communiste italien) écouter les nouvelles... il était très difficile de communiquer22. » Ils reçoivent également des fausses nouvelles. Les Quilapayún, qui étaient en France, les informent d’une armée de libération conduite par le général Carlos Prats. C’est une invention connue de Radio Moscou et qui a fait beaucoup de dégâts. « Quand on apprend le bombardement [à la Moneda] j’ai dit... Là, c’est grave, c’est brutal et criminel23... »

19C’est le même jour, cependant, que les Inti-Illimani deviennent l’icône de la solidarité mondiale avec le Chili :

« Les communistes italiens nous ont laissé libres de maintenir ou non le concert du jour. Entre nous personne ne pouvait se décider, jusqu’à ce que je leur dise que si nous ne commençions pas dès maintenant notre activité de solidarité par le chant... pour quelle raison nous allons attendre ? Je pense [Max dit] que si nous chantons pour la solidarité, ça peut soulager notre vie... et nous avons donné le concert. Eh bien, depuis ce jour, notre vie consistait à chanter quelque part en Italie ou en Europe. Il y avait des périodes durant lesquelles nous nous sommes séparés en deux groupes pour assister à divers événements. Après nos épouses sont arrivées du Chili et ont aussi rapidement intégré le travail de solidarité24. »

20La réflexion de Max n’est pas anodine et ne se limite pas seulement à renforcer la solidarité de l’Europe et de l’Italie envers le Chili. C’est une expérience comparable à celle vécue par les Quilapayún, l’autre groupe emblématique de la musique andine et du Chili de l’Unité populaire, en France. Il ne s’arrête pas sur les réflexions qu’ont amené le Parti Communiste Italien25 a élaborer la stratégie du « compromis historique » avec les chrétiens-démocrates, mais estime que la solidarité avec le Chili et la présence des Inti-Illimani en Italie a servi consciemment à alimenter la propagande et la mobilisation après le Vietnam.

« Nous avons été dans plusieurs réunions avec Enrico Berlinguer [le secrétaire général du Parti communiste], même dans les réunions plus intimes. Même en Sardaigne nous l’avons rencontré dans son propre environnement. L’Italie a été très solidaire [...] Je dois dire que pour le PCI Inti-Illimani [et le Chili] tombait parfaitement parce qu’il y avait un vide dans la jeunesse. [Dans le domaine de la solidarité internationale] le Vietnam semblait avoir épuisé les possibilités de participation. Inti-Illimani a rempli ce vide26. »

21Celle de Vladimir est une expérience beaucoup plus difficile. En 1979, par l’intercession de la Croix-Rouge internationale, sa peine de prison à vie est commuée en expulsion du pays. Entre la Norvège, le Canada et la Grande-Bretagne il choisit Londres. Dans son récit on peut trouver non seulement les difficultés de la vie, mais aussi la représentation d’un dur choc culturel.

« Je suis venu [à Londres] seul et sans contacts. Je suis allé dans un hôtel pour réfugiés qui est plus comme un ghetto qu’autre chose. Et le choc est grand. D’un côté, il y a la joie de pouvoir marcher dans les rues [après cinq ans de prison] et personne ne te dit rien. Mais dans l’autre sens, vous trouvez toute une communauté chilienne, qui était d’une façon au Chili, et qui insérée ici est différente. Ici c’est la liberté, po’ huevon ! Les femmes pouvaient se séparer des hommes et les hommes aussi. Je couche avec un tel et après je couche avec un autre. Nous couchons à trois et nous fumons de la marijuana. Et dans l’hôtel les cabros27 qui pleurent, la musique très forte. Un monde... une FO-LIE28 ! »

22Simultanément à l’insertion difficile de Vladimir à Londres, les Inti-Illimani comprennent que la dictature sera longue. L’histoire de Max Berrú est aussi l’histoire d’un professionnel réussissant une ascension sociale avec une belle maison à Rome et des vacances en Sardaigne.

« Nous avons vécu les cinq premières années avec les valises à moitié faites. Ce n’est qu’à la fin des années 1970 que nous avons assumé le fait que nous sommes en exil et que nous ne reviendrons pas [au Chili] pendant de nombreuses années. Je suis allé vivre dans le Trastevere [un quartier pittoresque du centre de Rome] dans une belle maison. J’ai acheté ma machine à laver, mon stéréo... Je m’installe bien. Alors vous commencez à avoir une vie normale... ma femme a fait des coussins très mignons, acheté un tapis... et on a commencé à vivre, à être heureux au moins dans l’exil. [Vous] commencez à vivre dans un autre pays qui n’est pas le vôtre, mais d’une façon naturelle et aussi consciente29. »

23Le projet de vie de Vladimir à Londres c’est la solidarité, l’art et la musique. Dans son récit émerge un écho de la controverse envers les exilés, qui sont vus parfois comme des lâches ou comme des privilégiés. Une fois encore, tout est difficile :

« Je viens ici et je rentre en contact avec mon parti, le Parti socialiste. C’est-à-dire : avec les gens qui sont venus ici d’abord et se sont installés en tant que parti socialiste. Le problème est de savoir s’ils ont confiance en vous ou pas. Putain, j’ai joué ma vie le jour du coup d’État, bien ou mal fait, mais j’ai risqué ma vie. Et les idiots ici, qui s’étaient entassés dans les ambassades, viennent vérifier si moi je suis ou pas un vrai ? Et vous sentez qu’ils n’avaient pas confiance en vous ! J’avais fait beaucoup de projets pour construire une chaîne de solidarité, mais dans ce contexte, vous ne comptez pas avec beaucoup de choses, vous ne comptez pas avec le changement que vous-même éprouverez comme personne à l’extérieur du pays. Eh bien, les quatre premières années ici ont été [il crie] une MERDE ! Fondamentalement, pas de vie, mais de la survie30. »

24Il y a trois problèmes interprétatifs qui émergent de l’entretien avec Vladimir et que nous pouvons seulement mentionner ici. Le premier est le choc culturel. La médiation du coup d’État et la prison politique sont un filtre trop faible pour notre jeune militant socialiste catapulté de l’intérieur du Chili à Londres. Ici les codes sont très différents en termes de libertés individuelles et de contrôle social. Le second est que Vladimir, comme exilé, nous offre un regard de première main sur le conflit de légitimité entre l’exil et la résistance interne que l’on peut trouver dans d’innombrables témoignages mais qui est passé sous silence dans les études générales. Pour la résistance interne, c’est une interprétation répandue, l’exilé s’est souvent échappé pour mener la belle vie à l’étranger. Pour beaucoup d’exilés la rupture des liens implique un drame intérieur31 difficile à surmonter et à expliquer.

25Le troisième point est de lire l’expérience de Vega en termes de reconnaissance sociale, ce qui peut nous conduire à utiliser des outils classiques comme les études de Axel Honneth sur la lutte pour la reconnaissance. Vladimir est confronté à un dur combat pour être reconnu32 socialement d’abord pour son militantisme nié par d’autres exilés et ensuite pour son art, ce qui sera finalement reconnu dans le cinéma par un réalisateur militant comme Ken Loach. Sa reconnaissance lui a été niée au Chili aussi, tandis que Max, comme personnage emblématique, n’a jamais dû lutter pour l’avoir. Ce dernier est inséré dans un réseau social qui agit comme un parachute dans l’exil et aussi au moment du retour. Les liens des réseaux sociaux, forts ou faibles, étudiés parmi d’autres par le sociologue Mark Granovetter à partir des années 1970, nous aident à imaginer des situations humaines très différentes entre Max et Vladimir33.

26En dernier lieu, et tout aussi important, une différence majeure dans l’interprétation de l’histoire de la gauche chilienne joue aussi entre les deux témoins. L’histoire de Max, avec sa fin heureuse, semble raconter le chemin du Chili vers le retour à la démocratie représentative. L’histoire de Vladimir est plus amère et décrit le conflit entre ceux qui considèrent le processus politique après le retour de la démocratie en 1989 et le fort réformisme du centre-gauche actuel comme une trahison envers Salvador Allende. De cette manière les événements sont contestés par les sources orales et interprétés par la rencontre entre deux subjectivités, celle de la source et celle de l’historien. Il y a là bien sûr une surexposition des capacités d’analyse de la source, analyse qui devrait normalement être laissée à l’historien.

27Pour revenir au témoignage, avec la musique Vladimir ne gagne pas suffisamment pour vivre. C’est le succès du film qui peut l’aider à trouver des contrats pour certains concerts.

« Je... à l’exception des films, je n’ai jamais pu planifier économiquement ma vie et la vie de ma famille, je n’ai jamais eu de revenus fixes. Je suis allé au Chili d’abord en 1995, et ça a été grâce à l’argent du film [Ladybird, Ladybird] c’était beaucoup. J’ai travaillé quatre semaines et gagné 8 000 £ ce qui, par rapport à l’argent que gagnent d’autres artistes, n’est rien. Mais le film avait un budget d’un million de livres seulement34. »

28Pendant ce temps, la vie de Max Berrú et des Inti-Illimani a pris le chemin de la maison. Ils rentrent au Chili en 1988, un an avant les premières élections libres :

« Pinochet annonce que l’exil est terminée le 31 Août 1988. En septembre [à partir de 1973 jusqu’en 1988 inclus] il y avait toujours beaucoup d’activité dans la solidarité avec le Chili, mais nous avons parlé avec tout le monde et tout le monde a compris [le désir de revenir au Chili]. Alors nous avons fait des concerts jusqu’au 15 du mois, nous avons gagné de l’argent, nous avons acheté les billets et nous sommes partis. Le 15 nous avons donné le dernier concert et le 16 nous sommes rentrés [au Chili]... En Argentine ils nous ont empêché de continuer jusqu’au Chili, jusqu’au 18. Nous avons voyagé, ce sont les choses de la vie, a bord de [la compagnie aérienne] United des États-Unis. Et les gens d’ici qui nous attendaient à l’aéroport. Du monde, les habitants des quartiers populaires... une gigantesque manifestation... parce que nous avons été comme le symbole du retour de l’exil de tous les chiliens. Ensuite, c’était incroyable, les gens chantaient... Horacio Salinas [le leader historique du groupe] récitait un poème de [Pablo] Neruda “ay lorsque Chili, je serai avec vous”, il y avait une vieille dame, qui le prenait par le pantalon en pleurant... Cette photo-là publiée ensuite dans la presse était très réussie c’était très très émouvant et nous avons rendu aussi le premier hommage aux morts35. »

29Le récit de Max sur le retour au Chili prend près d’une heure et souligne les émotions d’un retour et d’une rencontre qui signifient également fermer une plaie et recommencer à vivre. Tout à fait différent est le bilan de Vladimir :

« Nous tous ici à Londres [dans l’exil où il vit toujours de sorte que l’intervieweur et le lecteur peuvent penser que vivre encore à Londres n’est pas un choix mais une conséquence et une poursuite de l’exil politique] nous allons à la dérive, personne ne marche avec la barre fixée dans une direction. Chacun de nous est un navire à la dérive. Tout le monde essaie d’éviter le naufrage. Et c’est ma vie et la vie de tous les réfugiés. Faire une centaine de travaux divers... ça ne fonctionne pas... en faire un autre. Aussi nous [les Chiliens toujours à Londres] ne sommes pas unis. Nous sommes toujours divisés comme avant lorsque nous avions eu des problèmes avec l’UP. Les communistes, ici, les socialistes, là. Et comme au Chili, plein de petits caudillos qui veulent exceller. Et des révolutionnaires ici au loin... mais qui au Chili n’ont eu aucun rôle. Peut-être que je suis trop pessimiste, mais je ne peux pas être optimiste après toutes ces erreurs, cette inefficacité, tant de malheurs, la déloyauté, l’irresponsabilité. Ces choses que j’ai vécues36. »

30« Ce sont des choses que j’ai vécues », c’est le renforcement typique de la source orale. Comme mentionné dans l’introduction, les deux entretiens choisis pour cette étude ne peuvent être beaucoup plus qu’une exposition du potentiel de ce type de sources de l’histoire orale que nous avons utilisé ici dans le contexte du monde de l’art et de la musique populaire chilienne. Le travail avec seulement deux entretiens efface les éléments quantitatifs nécessaires méthodologiquement pour parler de « densité du récit ». Cependant, il est important de réfléchir sur certaines de ces mêmes caractéristiques en termes généraux en tant que représentatives des auto-représentations.

Auto-représentations et histoire officielle

31Max Berrú se présente comme un homme pacifié, qui a réussi dans la vie et à qui la vie a permis de suturer les blessures du golpe et de l’exil qui apparaissent comme une période de la vie dans laquelle les comptes sont fermés. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas d’émotions ni de peine, par exemple lors de la remémoration des morts, en particulier de l’ami Víctor Jara. Mais l’homme public Berrú se présente comme un homme qui a résolu les conflits intérieurs et les conflits politiques au sein du champ démocratique (autre chose est l’opinion négative sur le quotidien du Chili). Il y a certainement une représentation de lui-même avec une dignité classique de la classe moyenne aisée à laquelle il appartient par naissance, culture et statut social, même s’il vit dans une adhésion sincère à la cause populaire.

32À l’autre extrême se trouve Vladimir Vega qui offre un récit de soi dans lequel chaque conflit et chaque plaie reste ouverte et continue à saigner après tant d’années. Vladimir (comme beaucoup d’autres) se présente toujours comme s’il incarnait lui-même le milieu populaire avec lequel sa vie s’identifie pleinement. À bien des égards, il se représente comme le milieu populaire qui se souvient du temps d’Allende comme d’un âge d’or et qui a connu depuis le 11 septembre 1973 une séquence sans fin et sans rédemption de défaites, de divisions et de trahisons. Vladimir reste un musicien et un excellent acteur et sa représentation de la contradiction entre les deux 11 de septembre (1973 et 2001) dans le court-métrage de Ken Loach a été une contribution fondamentale, mais même l’art est pour lui un moyen de faire et de recevoir de la solidarité. L’incapacité et l’impossibilité (également matérielle) de retourner vivre au Chili, ne signifie pas que Vladimir a choisi de vivre en Grande-Bretagne plus de la moitié de sa vie, ceci apparaît comme la meilleure représentation de cette blessure qui continue à saigner. En ce qui concerne le processus de « desexilio » il existe une autre différence entre les deux sources utilisées. Le Max Berrú, symbole avec les Inti-Illimani d’une part importante de histoire du Chili, a une voie tracée de retour. Vladimir, avec son histoire personnelle et son très jeune âge à l’époque du coup d’État, qui l’emprisonne entre 20 et 26 ans, n’avait pas eu le temps de construire quelque chose au Chili. Il est donc vraisemblable que la première décennie de l’exil, jusqu’en 1989, a joué un rôle dans la construction d’une vie en Grande-Bretagne.

33Il y a un dernier aspect que nous capturons également par fragments dans les interviews proposées. Max, qui est conscient de la publicité et même du fait d’être un symbole de lui-même et des Inti-Illimani, est linéaire en adhérant à un récit de son histoire personnelle comme une histoire privée. Vladimir a besoin de socialiser et de représenter son récit, qui aujourd’hui semble politiquement minoritaire37, mais qu’il veut représenter pour sa dignité, au-delà de la distorsion de la mémoire provoquée par les représentations officielles et hégémoniques. Et l’histoire de Vladimir, comme l’histoire des GAP38, est proposée comme un conflit sur deux niveaux en ce qui concerne les représentations officielles. Tout d’abord, il se considère en conflit avec l’histoire officielle de la classe dirigeante et des médias. Mais il est en conflit aussi avec des segments de la réécriture de l’histoire (que, bien évidemment, il ne reconnaît pas) faite par son propre parti politique39 duquel il se sent exclu. L’histoire de Vladimir est dans une minorité, mais il n’est pas isolé et il exprime un conflit que les sources traditionnelles sont peu capable d’enregistrer. La représentation de Vladimir est antagoniste aussi face à l’histoire de son parti, qu’il considère édulcorée et sélective. En ce sens, son récit est un excellent exemple de la contribution que l’histoire orale peut apporter à l’étude de l’histoire du conflit social (y compris épistémologique) au cours du xxe siècle.

Bibliographie

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Notes de bas de page

1  Noiret S., « “Public History” e “storia pubblica” nella Rete », Ricerche Storiche, n° 2-3, A. XXXIX, 2009, p. 275-326.

2  L’objectif de ce test est d’utiliser des entretiens pour produire des sources historiques. L’historiographie est probablement la dernière dans les Sciences humaines à partager l’utilisation de ces sources avec d’autres disciplines, la sociologie, l’anthropologie, la psychologie. Il est en dehors de la portée de ce travail l’exploitation possible des sources utilisées avec d’autres outils qui permettent des approches différentes (ex : psychosocial).

3  Schwarzstein D., « La Historia Oral en América latina », Historia y fuente oral, n° 15, 1995, p. 39-50 ; Meyer E., « América Latina, ¿ una realidad virtual ? À propósito del artículo de Dora Schwarzstein », Historia, Antropología y Fuentes Orales n° 16, 1996, p. 141-149.

4  Fraser R., « La Historia Oral como historia desde abajo », Ayer, n° 12, 1993, p. 79-93 ; Id., « La formación de un entrevistador », Historia y Fuente Oral, n° 3, 1990, p. 129-150 ; Portelli A., « Un lavoro di relazioni : osservazioni sulla storia orale », [http://www.aisoitalia.it/2009/01/un-lavoro-di-relazione] ; Passerini L., Storia e soggettività. Le fonti orali, la memoria, Firenze, La Nuova Italia, 1985.

5  Garcés M., El « despertar » de la sociedad : los movimientos sociales en América Latina y Chile, Santiago, LOM, 2012.

6  Portelli A., « Historia y Memoria : La muerte de Luigi Trastulli », Historia y Fuente Oral, n° 1, 1989, p. 5-32.

7  Fraser R., « Historia Oral », Historia Social, n° 17, 1993, p. 131-139.

8  Comme on le sait, Jara a été assassiné par Pinochet cinq jours après le coup d’État.

9  En traduction française : Esquivel L., Chocolat amer, Paris, Gallimard, 1989.

10  Fraser R., Recuérdalo Tú y Recuérdalo a Otros. Historia Oral De La Guerra Civil Española, Barcelona, Crítica, 1979.

11  « Una familia con un pasar tranquilo, una pensión suficiente para sobrevivir sin ninguna dificultad. En los primeros años pensaba estudiar ingeniería para irme a los EEUU para perfeccionarme y volver al Ecuador y hacer harto dinero. Incluso me acuerdo que compré un auto y era un estudiante con auto, en ese tiempo era muy difícil, y entonces yo tenía un vivir bastante bueno. »

12  « Molina es un pueblo pequeño de campesinos. Ha sido siempre una fuente de dirigentes campesinos medios, muy luchadores. Mi padre hablaba toda la noche, llegaba medio borracho y se sentaba en la mesa a hablar, de los comunistas, los nazis. Así que desde muy pequeño escuché la cosa política. Era más una actitud personal que más de ser militantes de partido. »

13  « Los estudiantes pertenecemos a este gran movimiento democrático que se desarrolla en Chile en los años 60. Estábamos todos participando con mucha pasión, con mucha alegría y con harto entusiasmo. Éramos todos en ese tiempo militantes de la juventud comunista de Chile y apoyamos a Salvador Allende, la Unidad Popular, e hicimos una cantidad de conciertos que no recuerdo bien cuántos en su campaña y por supuesto ganamos las elecciones y soñamos con un mundo mejor. »

14  « De mi padre éramos siete hermanos, pero de mi madre había uno más, que fue por violación. Mi madre era una mujer muy humilde pero bien batalladora. Pero quizás también por la acumulación de niños, se transformó un poco, bajó la guardia. Crecía con muchos problemas con mi padre que estaba borracho todo el tiempo. À los 19 me fui de la casa. »

15  Dans la vie politique latino-américaine la peinture sur les murs, avec des slogans et des symboles politiques a été et reste très importante.

16  « Me acuerdo de la campaña de 1964, tenía 11 años, me llevaban a hacer pintadas los amigos, y yo era como una mascota, todo el día. À los 12 años tenía dibujada la cara de Allende en todos mis cuadernos. Tres años después estaba organizando la Juventud Socialista en Molina, que no había. »

17  « Mis ideas fueron cambiando en la medida en que yo fui conociendo a mis compañeros, sensibilizándome con los problemas reales del pueblo y sobretodo de los trabajadores. Conocí la vida del minero en Lota que es bastante terrible, no sé si has escuchado hablar tú de las camas calientes... [je dis no] Los mineros se turnan en la mina y también en esas camas. Entonces tú vas asimilando, y te sensibilizas, entonces después de tres años que yo viví en Chile realicé que la vida no es solamente ganar dinero, sino que hay que cambiar las cosas. Y esas cosas me fueron entusiasmando, me fue gustando. »

18  « Me recibí de ingeniero mecánico en el año 69. Paralelamente tenía como hobby la música y formé el grupo Inti-Illimani el año 67. El año 71 dejé la ingeniería y me dediqué exclusivamente a la música. »

19  Le « charango » est une sorte de petite guitare originaire du Pérou, au xviie siècle, répandu en Argentine, Chili, Pérou, Bolivie, Équateur.

20  « Un prisionero común nos prestó una guitarra. Y me puse a tocar y le gustó... y tocaba “Carabina33” de la revolución mexicana. Cantaba “la muralla”, cantaba “Bella ciao”... “una matina”... Después formamos un grupo, conseguimos charango... y queríamos hacer un concierto, algunos presos nos maldecían porque estábamos toda la noche haciendo turururuuuu... El concierto se hizo en 74, junto al grupo folclórico del juzgado. Nos llevaron a todo el mundo al patio. Nos llamábamos los PPP, Presos Políticos Perpetuos. Y esta fue una pequeña victoria que logramos porque la conducción de la cárcel estaba en manos de izquierdistas. »

21  Chilenisme : le mec.

22  « Nos invitan a la Botteghe Oscure a escuchar las noticias... era muy difícil comunicarse. »

23  « Cuando sabemos del bombardeo ya ahí yo personalmente dije... esto ya es en serio y esto es brutal y es criminal. »

24  « Los comunistas italianos nos dejaron libres de confirmar o no el concierto del día. Nadie podía decidirse hasta que yo dije que si no empezamos ahora mismo a hacer nuestra actividad de solidaridad con el canto... para qué vamos a esperar... yo creo que si vamos a salir a cantar más con la solidaridad, nos va a aliviar la vida... e hicimos el concierto. Bueno, desde ese día, nuestra vida se transforma en cantar en algún lugar de Italia o de Europa, incluso nos dividíamos en dos grupos para poder asistir a diferentes manifestaciones. Después nuestras esposas llegaron de Chile y también se incorporaron rápidamente al trabajo solidario. »

25  Nocera R. et Rolle C. (dir.), Settantatré. Cile e Italia, destini incrociati, Napoli, Think Thanks, 2010 ; Mulas A., Allende e Berlinguer : il Cile dell’Unidad Popular e il compromesso storico, Lecce, Manni, 2005 ; Galeazzi M., Il Pci e il movimento dei paesi non allineati, Milano, Franco Angeli, 2011, p. 235-248.

26  « En varias reuniones estuvimos con Enrico Berlinguer, y en las reuniones más íntimas también... incluso en Cerdeña me encontré con él en su propio ambiente. Italia fue muy solidaria [...] Ahora el Inti-Illimani cayó como anillo al dedo como se dice porque había un vacío en la juventud también... ya Vietnam como que había agotado esas posibilidades de participación y el Inti-Illimani llenó ese vacío. »

27  Chilenisme pour enfants.

28  « Llegué solo y sin contactos. Fue a un hotel de refugiados que es más como un gueto que otra cosa. Y el choque es grande. Por un lado está la alegría de poder caminar en las calles y nadie te dice nada pero en el otro sentido, te encuentras con toda una comunidad chilena, que fue de una manera en Chile, que se inserta acá y es diferente. Aquí hay libertad, po’ huevon. Las mujeres se separan del hombre, los hombres se separan de las mujeres. Yo me acuesto con este, después me acuesto con este otro. Nos acostamos de a tres y fumamos marihuana. Y en el hotel los cabros llorando, la música fuerte. Un mundo... una lo-cu-ra. »

29  « Nosotros los primeros cinco años vivimos con las maletas a medio hacer. Sólo a final de los 70 asumimos que estamos en el exilio y que no vamos a volver por muchos años. Yo me fui a vivir al Trastevere (un quartier pittoresque du centre de Rome) en una casa muy bonita, me compro mi lavadora, mi stereo... me instalo bien, entonces uno empieza a hacer una vida más normal... mi mujer hizo unos cojines muy lindos, compramos unas alfombras... y empezamos a vivir, ser felices por lo menos en el exilio. Empiezas a vivir en otro país que no es el tuyo pero en forma natural y además consciente. »

30  « Yo llego acá y me relaciono con mi partido, el partido socialista, o sea, con la gente que llegó acá primero y se instaló como partido socialista. El problema es si ellos confían en ti o no. Puta, me juego mi vida el día del golpe, bien o mal hecho, pero me jugué mi vida, y huevones acá, que se habían hacinado en las embajadas, me viene a chequear a mi si soy un exiliado verdadero o no ? Y tu sientes que no confían en ti. Había hecho muchos planes, de construir una cadena de solidaridad, pero tu en este contexto no cuentas [con] con muchas cosas, no cuentas con el cambio que vas a tener como persona afuera del país. Bueno, los primeros cuatro años aquí los pasé [il crie] MIERDA ! Básicamente, no vivís, sino sobrevivís. »

31  Un équivalent de ce conflit, en particulier en Argentine, est que d’avoir survécu aux camps d’extermination est souvent considéré pour de nombreuses familles de disparus, comme nécessairement synonyme d’avoir trahi.

32  Honneth A., La lutte pour la reconnaissance, Paris, Le Cerf, 2000.

33  Granovetter, M., Le marché autrement. Les réseaux dans l’économie, Paris, Desclée de Brouwer, 2000 ; « The Strength of Weak Ties: A Network Theory Revisited », Sociological Theory, n° 1, 1983, p. 201-233.

34  « Yo a parte las películas, nunca pude planear económicamente mi vida y la de mi familia, tener entradas fijas. Yo la primera vez que fue a Chile fue en el 95, y fue por la plata de la película – Ladybird, Ladybird – que fue harta. Trabajé cuatro semanas y me gané 8000 libras que, comparado con lo que ganan otros artistas, no es nada. Pero la película tenía un budget de apenas un millón de libras. »

35  « Pinochet anuncia que se acaba el exilio, el 31 de agosto de 1988. En septiembre hay mucha actividad de solidaridad con Chile pero hablamos con todo el mundo y todos entendieron... Entonces, hicimos los conciertos hasta el 15, juntamos esa plata, compramos los pasajes y nos vamos, entonces llegamos a Italia, el 15 dimos el último concierto y el 16 nos vinimos... En Argentina nos impidieron de seguir a Chile hasta el 18. Nos tocó viajar, cosas de la vida, nos trajo United de EEUU. Y la gente aquí nos esperaba en el aeropuerto, los pobladores... una manifestación gigantesca... porque hicieron como el símbolo del regreso del exilio de todos los chilenos. Entonces, fue algo increíble, habían coros... Horacio Salinas estaba recitando un poema de Neruda “ay cuando Chile, me encontraré contigo”, había una viejita que le tomaba el pantalón y le lloraba... esa foto salió lindísima en el diario después, era muy muy emotivo e hicimos el primer homenaje a los caídos. »

36  « Todos acá [dans l’exil] vamos a la deriva, nadie anda con el timón fijo en una dirección. Cada uno de nosotros es un barco a la deriva. Cada uno está tratando de evitar el naufragio. Y esta es la vida mía y de todo refugiado. Haciendo cien trabajos, no resulta, haces otro. Además no nos juntamos mucho. Seguimos divididos como antes cuando teníamos problemas con la UP. Los comunistas, acá, los socialistas allá. Y lo que siempre tuvimos en Chile, los pequeños caudillos que quieren sobresalir. Y gente revolucionaria aquí afuera... porque en el país no tuvo ningún papel. À lo mejor yo soy muy pesimista, pero no puedo ser optimista después de tantos errores, tanta inoperancia, tantas desgracias, deslealtad, irresponsabilidad. Cosas que yo viví. »

37  Un exemple similaire, mais pas si désespérément seul, est celui des GAP, l’escorte du président Allende : Carotenuto G., « Alla Moneda con Salvador Allende », Passato e Presente, n° 88, janvier-avril 2013, p. 131-152.

38  GAP : Groupe d’amis personnels, c’était le nom de l’équipe de gardes du corps qui assurait la sécurité du président Allende.

39  Portelli A., op. cit.

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