La Cour suprême chilienne et la répression des violations des Droits de l’homme commises pendant la dictature
p. 57-67
Texte intégral
1En 1991, le rapport de la Commission nationale de Vérité et Réconciliation consacrait un chapitre entier aux « agissements des tribunaux de justice face aux graves violations des droits de l’homme ayant eu lieu entre le 11 septembre 1973 et le 11 mars 1990 ». Selon le rapport, le pouvoir judiciaire n’aurait pas réagi au cours de cette période avec « l’énergie suffisante » face aux violations des droits de l’homme1. Ces accusations ont ensuite été réitérées et aggravées en 2004 par le rapport de la Commission nationale sur l’emprisonnement politique et la torture qui dénonce une connivence de la Cour suprême avec les autorités militaires pendant la dictature2. Les accusations sont dirigées principalement à l’encontre de la Cour suprême qui, au sommet de la hiérarchie judiciaire chilienne, dispose d’amples pouvoirs de supervision et de contrôle sur l’ensemble des tribunaux du pays. Face à ces accusations, la Cour réagit et répond par un communiqué dans lequel elle affirme son « engagement permanent envers les droits fondamentaux des individus3 ». Cet engagement impliquait de démontrer une volonté certaine de réprimer les auteurs des violations des droits de l’homme, à défaut d’avoir pu empêcher leur commission pendant la dictature.
2Depuis 1991, la position de la Cour suprême n’a cessé d’évoluer en la matière. La répression des auteurs des exactions s’avère être un processus lent et complexe qui se heurte au fil des années à plusieurs obstacles juridiques. Durant ce processus, la haute juridiction a eu la charge de défaire des nœuds juridiques portant aussi bien sur la procédure à suivre que sur l’application et l’interprétation des règles de droit pénal en vigueur.
3S’agissant des règles de forme, la Cour a fixé elle-même le cadre procédural des poursuites. Elle a dû par exemple déterminer le Code de procédure pénale applicable, désigner des magistrats en charge des enquêtes ou encore interpréter les règles de prescription et d’extinction de l’action publique. S’agissant du droit pénal de fond, l’intervention de la Cour a porté à la fois sur la qualification des faits et sur les sanctions applicables. Du côté de la qualification des faits, l’interprétation des éléments constitutifs des infractions a parfois traduit la préférence de la Cour pour les incriminations de droit commun au détriment des dispositions des Conventions internationales. Du côté des sanctions, le quantum des peines prononcées et validées par la Cour a fait l’objet de nombreuses critiques.
4Si certaines décisions prises par la Cour résultent de raisonnements juridiques neutres, d’autres reflètent au contraire des choix teintés de politique. Ces choix ont pu témoigner tantôt des réticences de la Cour à réprimer certains auteurs, tantôt au contraire d’une volonté certaine de répression. Les facteurs d’évolution sont à la fois internes et externes. Au niveau interne, le renouvellement des membres de la Cour a pu favoriser des revirements de jurisprudence. Au niveau externe, les hauts magistrats ont vu certaines de leurs décisions remises en question par les instances interaméricaines des droits de l’homme. La combinaison de ces éléments a permis, étape par étape, de défaire les nœuds juridiques qui faisaient obstacle à l’établissement de la responsabilité des auteurs de violations de droits de l’homme et à la sanction de ces derniers.
L’établissement de la responsabilité des auteurs des violations des Droits de l’homme
5L’établissement de la responsabilité des auteurs de violations de droits de l’homme commises pendant la dictature s’est heurté à deux obstacles. Tout d’abord, le décret d’amnistie promulgué en 1978 par la junte militaire paralysait les poursuites. Ensuite, les plaintes des victimes étant déposées de nombreuses années après les faits, le problème de la prescription de l’action publique s’est également posé.
Le décret d’amnistie comme obstacle aux poursuites
6Le 18 avril 1978 la junte militaire promulgue le décret n° 2191 qui accorde l’amnistie aux auteurs, complices ou receleurs des infractions commises pendant l’état de siège, c’est-à-dire entre le 11 septembre 1973 et le 10 mars 19784. Le décret prévoit toutefois des exceptions à cette amnistie générale afin qu’elle ne s’applique pas à des infractions sans lien avec la violence politique telles que le parricide, l’infanticide, la corruption de mineurs ou l’inceste5. Sont également exclues de l’amnistie les personnes « apparaissant comme responsables, en tant qu’auteurs ou complices6 » de l’assassinat à Washington de l’ancien chancelier Orlando Letelier et son secrétaire Ronnie Moffit. Cette exception se justifie par la volonté du gouvernement militaire d’entretenir des relations diplomatiques avec les États-Unis.
7Tout au long du régime militaire, la Cour suprême a interprété le décret d’amnistie comme un obstacle aux poursuites intervenant dès le stade des investigations. En effet, la haute juridiction considérait que le non-lieu devait être prononcé par le juge à partir du moment où l’infraction dénoncée était couverte par l’amnistie, sans que ne soient établies les circonstances de la commission de cette infraction ni même recherchée l’identité de son auteur. Cette interprétation, contraire à l’article 413 du Code de procédure pénale de 1906 qui exigeait que le non-lieu ne puisse être rendu qu’une fois l’instruction close, a été vigoureusement dénoncée par les rapports gouvernementaux comme faisant obstacle à l’établissement de la vérité et donc à la réconciliation nationale7.
8Le retour de la démocratie n’a pas eu d’incidence immédiate sur cette interprétation jurisprudentielle. Jusqu’en 1998, la Cour suprême maintient sa position selon laquelle le décret d’amnistie interdit aux tribunaux de mener des investigations avant de prononcer le non-lieu8. Cette continuité jurisprudentielle est due à une stratégie mise en place par le général Pinochet avant son départ du pouvoir. En effet, afin de garantir qu’aucun magistrat de la Cour ne soit remplacé pendant le premier gouvernement démocratique, le général proposa des conditions avantageuses aux conseillers proches de l’âge de la retraite en échange d’un départ anticipé9. Six des seize membres de la Cour ont accepté l’offre10. Le gouvernement de Patricio Alwin n’a donc pas compté parmi ses instruments de transition vers la démocratie la possibilité de nommer des nouveaux membres de la Cour suprême. Il essaya néanmoins en 1993 de destituer trois d’entre eux par le biais de la procédure d’accusation constitutionnelle prévue aux articles 42 et 52 de la Constitution. Une seule de ces accusations prospéra et un conseiller fut destitué, ce qui fut insuffisant pour modifier la position jurisprudentielle de la haute juridiction11. Ce n’est que sous le gouvernement d’Eduardo Frei Ruiz-Tagle que le décret d’amnistie va être appréhendé différemment par la Cour. Le revirement de jurisprudence va être impulsé par trois événements intervenus successivement en 1996, 1997 et 1998.
9En 1996, la Commission interaméricaine des Droits de l’homme rend deux rapports dans lesquels elle conclut à l’incompatibilité du décret d’amnistie avec les dispositions de la Convention interaméricaine relative aux droits de l’homme. La Commission ajoute que les non-lieux rendus en application de ce décret « non seulement aggravent la situation d’impunité mais violent le droit à obtenir justice des proches des victimes12 ». La Commission met également en cause des décisions de la Cour suprême chilienne qui affirment la conventionnalité du décret. L’instance interaméricaine recommande alors au gouvernement chilien d’abroger le décret afin d’adapter sa législation aux dispositions de la Convention en vertu de l’article 2 de cette dernière. Néanmoins les recommandations de la Commission ne sont pas juridiquement contraignantes. Les rapports ne jouissent que d’une force politique et la seule sanction dont dispose la Commission est la publication du rapport définitif13. Les deux rapports de la Commission sont ensuite transmis au gouvernement et à la Cour suprême. En 1997, le gouvernement d’Eduardo Frei entreprend une grande réforme judiciaire dont certaines dispositions concernent le fonctionnement de la Cour suprême. La Constitution est modifiée afin d’augmenter le nombre de conseillers de seize à vingt-et-un et d’inclure un quota de magistrats nommés parmi des candidats extérieurs au pouvoir judiciaire. Cette réforme permet au gouvernement démocrate-chrétien de nommer cinq nouveaux conseillers à la Cour14. Enfin, en 1998, l’arrestation d’Auguste Pinochet à Londres place le Chili sous les projecteurs de la communauté internationale. Le gouvernement chilien affirme qu’il n’y a nul besoin d’extrader l’ancien dictateur vers l’Espagne car le pouvoir judiciaire a la capacité et la détermination de le juger. Les tribunaux chiliens sont alors pris d’assaut par les plaintes déposées à l’encontre du militaire devenu sénateur à vie15.
10En 1999 la Cour suprême rend une décision qui constitue un double revirement de jurisprudence. Dans l’affaire « Pedro Poblete Córdoba », alors que la justice militaire avait prononcé un non-lieu en application du décret d’amnistie, la Cour annule la décision et ordonne de reprendre les investigations. D’une part, le décret d’amnistie n’éteint l’action publique qu’une fois l’instruction close, c’est-à-dire après avoir établi les circonstances de l’infraction et identifié les auteurs. D’autre part, la Cour reconnaît que le respect de la Convention de Genève empêche l’application du décret d’amnistie en matière de crimes contre l’humanité16. Le débat suivant a donc en toute logique porté sur la qualification des infractions afin de fixer les règles en matière de prescription de l’action publique.
La prescription de l’action publique
11Les disparitions forcées constituent une grande part des violations de droits de l’homme commise pendant la dictature17. Elle sont définies comme des enlèvements ou toute autre forme de privation de liberté pour des motifs politiques suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi. Les auteurs de ces disparitions agissent pour le compte ou avec l’aval de l’État18. L’incrimination est toutefois inconnue de la législation chilienne. Deux infractions contenues dans le Code pénal chilien peuvent néanmoins s’en rapprocher : celle de séquestration et celle d’arrestation et détention illégales.
12L’infraction de séquestration, prévue à l’article 141 du Code pénal, est constituée lorsqu’un particulier prive une personne de liberté d’aller et venir sans que la loi ne le lui permette. Il s’agit d’un délit puni de trois à cinq ans d’emprisonnement. Lorsque la victime est privée de liberté pendant plus de quinze jours l’infraction devient un crime et son auteur encourt une peine de dix à vingt ans de réclusion. L’échelle des peines contenue dans le Code pénal chilien fixe le minimum et le maximum de la peine qui peut être prononcée par le juge. L’infraction d’arrestation et de détention illégale, quant à elle, est prévue à l’article 148 du Code pénal. Elle est constituée lorsqu’un fonctionnaire public arrête et détient une personne de manière arbitraire ou illégale. Il s’agit d’un délit puni d’une peine d’emprisonnement dont la durée peut s’étendre d’un jour à trois ans. Si la durée de la détention illégale se poursuit au-delà de trente jours, la peine encourue est aggravée et s’élève entre trois et cinq ans d’emprisonnement.
13L’incrimination dont les éléments constitutifs correspondraient à ceux des disparitions forcées est donc celle d’arrestation et de détention illégale, puisque commise par un fonctionnaire public. Néanmoins, les tribunaux chiliens vont lui préférer celle de séquestration, punie plus sévèrement.
14Cette solution est affirmée dès 1993 sans que les tribunaux ne justifient toutefois ce choix19. Ce n’est qu’en 2004 que la Cour suprême va étayer son analyse des cas de disparitions forcées. Dans l’affaire « Sandoval Rodríguez », les demandeurs au pourvoi alléguaient notamment que leur qualité de membres des forces armées au moment des faits impliquait que leur soient imposées les peines de l’article 148 et non celles du 14120. La Cour répond que la qualité de fonctionnaire public au moment des faits n’est pas l’unique critère d’application de l’article 148. En effet, l’incrimination d’arrestation et de détention illégales implique un mobile spécifique du fonctionnaire : ce dernier doit agir, bien qu’illégalement, « avec un mobile concordant avec la fonction qu’il exerce21 ». Ainsi selon la Cour, lorsqu’il est possible de relier l’acte du fonctionnaire avec le système légal de privation de liberté de la personne, l’acte doit être qualifié d’arrestation et détention illégales. Lorsqu’en revanche ce lien n’existe pas, c’est l’incrimination de séquestration qui doit être retenue, le fonctionnaire devant être considéré comme un simple particulier. Cette interprétation a été saluée par la doctrine car permettant d’appliquer des peines plus élevées aux auteurs des disparitions forcées22.
15Une fois éclairci le doute quant à la qualification de l’infraction, la Cour a été confrontée à la question de la prescription de l’action publique soulevée par les avocats de la défense. Les magistrats de la haute juridiction ont alors réaffirmé la distinction essentielle entre les infractions selon leur durée d’exécution. Ainsi, contrairement aux infractions instantanées qui s’exécutent en un trait de temps, l’infraction de séquestration est une infraction continue dans laquelle le comportement répréhensible se prolonge dans le temps du fait de la volonté du délinquant. La Cour a donc considéré que le délai de prescription de l’action publique ne commençait à courir qu’à partir du jour où la victime était libérée ou que sa mort était attestée23.
16Certains mis en cause, afin de bénéficier de la prescription de l’action publique, ont alors reconnu avoir tué les personnes séquestrées. La Cour a néanmoins rappelé que les règles du Code de procédure pénale instauraient un régime légal de preuve24. Ainsi, les modes de preuves et leur valeur probante sont strictement déterminés par la loi. En matière d’homicide, une personne ne peut être condamnée sur le seul fondement de son aveu : le corps de la victime ou ses restes doivent être retrouvés25. Dans le cas où l’homicide était avéré, la question de la prescription de l’action publique s’est de nouveau posée. Après plusieurs rebondissements jurisprudentiels, la Cour a qualifié ces homicides de crimes contre l’humanité relevant de la Convention de Genève, et donc imprescriptibles26.
17Une fois établie la responsabilité des auteurs des violations de droits de l’homme, l’ultime nœud juridique qui demeure est celui de la sanction prononcée à leur encontre.
Salon plénier de la Cour suprême du Chili.
La sanction des auteurs de violations des Droits de l’homme
18Le droit pénal chilien laisse peu de marge de manœuvre au juge dans l’application de la peine : à chaque infraction correspond une durée minimale et maximale de peine. Cependant, la Cour suprême a appliqué dans de nombreuses affaires une circonstance atténuante controversée : la prescription partielle.
19L’article 103 du Code pénal chilien prévoit que lorsqu’une personne est appréhendée alors que plus de la moitié du délai de prescription de l’action publique s’est écoulée, aucune circonstance aggravante ne pourra être appliquée à l’auteur qui bénéficiera au contraire d’une circonstance atténuante diminuant sa peine d’un ou de deux degrés. Ainsi, dans l’exemple d’un crime pour lequel la prescription de l’action publique est de dix ans, l’auteur de l’infraction bénéficie de la circonstance atténuante de prescription partielle s’il est appréhendé plus de cinq ans après les faits.
20La circonstance atténuante de prescription partielle a été appliquée par la Cour suprême dès 1993, dans l’affaire de l’homicide du chancelier Orlando Letelier qui avait été exclue par le législateur du champ d’application du décret d’amnistie27. Si dans cette affaire le juge avait pu réaliser l’opération mathématique justifiant l’application de cette circonstance atténuante, il n’en est pas de même pour certaines affaires jugées à partir de 2007.
21L’application critiquable de cette circonstance atténuante débute avec l’affaire de la séquestration suivie de l’homicide de Juan Luis Rivera Matus. Dans cette affaire, la Cour d’appel écarte la prescription et l’application du décret d’amnistie au profit de la Convention de Genève et conclut donc au caractère imprescriptible de l’infraction. Les mis en cause sont ainsi condamnés en appel à dix ans de réclusion criminelle. Néanmoins, la décision de la Cour contient l’opinion dissidente de l’un des conseillers qui « pour des raisons élémentaires d’humanité28 » aurait souhaité que les auteurs bénéficient de la circonstance atténuante de prescription partielle. La Cour suprême casse l’arrêt pour défaut de motivation et rend une décision de remplacement qui marque le début d’une application controversée de la prescription partielle. Tout en confirmant la condamnation des auteurs, la Cour suprême abaisse leur peine à trois ans d’emprisonnement, ce qui permet à ceux d’entre eux n’ayant pas été condamnés auparavant de bénéficier d’un sursis. L’application de cette circonstance atténuante s’opère à partir d’un calcul fondé sur les délais de prescription de l’action publique prévu par le Code. Cependant, cette solution est en contradiction avec une autre partie du dispositif de la décision qui reconnaît la qualité de crime contre l’humanité de l’infraction ainsi que son caractère imprescriptible. La Cour justifie sa solution en affirmant que le caractère imprescriptible de l’infraction et la circonstance atténuante reposent sur deux éléments distincts d’application du droit pénal : alors que le caractère imprescriptible relève de la responsabilité de l’auteur, la circonstance atténuante n’affecte que la peine. Ces deux éléments étant indépendants, la circonstance atténuante de prescription partielle peut donc, selon la Cour, s’appliquer à des crimes imprescriptibles. En réalité, la justification de l’application de cette circonstance atténuante se fonde sur une appréciation subjective retranscrite dans la décision et selon laquelle il serait « insensé d’appliquer une peine aussi haute à des faits qui ont eu lieu il y a si longtemps29 ». Cette décision n’a pas été rendue à l’unanimité comme le montre l’opinion dissidente du conseiller Nibaldo Segura qui soutient la thèse de l’incompatibilité entre la qualification de crime contre l’humanité et l’application de la circonstance atténuante de prescription partielle30. L’application de cette circonstance atténuante à des faits revêtant la qualification de crimes contre l’humanité va être maintenue jusqu’en 201231.
22En 2012, le conseiller Monsieur Ruben Ballesteros Cárcamo est élu à la présidence pour remplacer Monsieur Milton Juica. Monsieur Ruben Ballesteros, qui a siégé aux conseils de guerre à Valdivia pendant la dictature, est connu pour avoir défendu avec ferveur le décret d’amnistie et s’être opposé à de nombreuses reprises à l’application de la Convention de Genève. Son élection à la présidence de la Cour a cependant eu un effet positif sur la répression des violations de droits de l’homme puisque c’est maintenant Monsieur Milton Juica, dont l’engagement contre l’impunité est notoire, qui siège à la chambre criminelle de la Cour.
23La première décision rendue par la chambre criminelle dans sa nouvelle composition est rendue le 24 mai 201232 et opère le revirement de jurisprudence tant attendu. Après avoir qualifié la séquestration comme crime contre l’humanité en application de la Convention de Genève, elle affirme que la circonstance atténuante de prescription partielle ne peut s’appliquer à une telle infraction. Cette nouvelle solution est immédiatement confirmée par des décisions postérieures33. Néanmoins aucune de ces décisions n’est rendue à l’unanimité et la Cour revient rapidement sur sa position. En effet toutes les décisions rendues par la Cour depuis le 23 novembre 2012 appliquent de nouveau la circonstance atténuante de prescription partielle34. Toutefois, l’existence ici encore d’opinions dissidentes laisse espérer un nouveau revirement.
24Le bilan de l’évolution jurisprudentielle de la Cour suprême chilienne depuis 1991 laisse clairement apparaître un mouvement favorable à l’établissement de la vérité sur les crimes commis pendant la dictature et la répression de leurs auteurs. Alors qu’en 1991 les décisions de la haute juridiction s’inscrivaient dans la même lignée que celles rendues pendant les dix-sept années de régime militaire et trahissaient les réticences de la Cour à réprimer les abus des forces de l’ordre, la Cour a su au fil des années défaire un à un les nœuds juridiques qui paralysaient l’action pénale. Aujourd’hui, l’établissement de la responsabilité des auteurs des violations de droits de l’homme ne rencontre plus d’obstacle majeur. Néanmoins, seul un faible échantillon des crimes répertoriés par les rapports Rettig et Valech a été jusqu’à ce jour jugé et, en juillet 2013, près de 1 350 affaires étaient encore en cours devant les tribunaux chiliens, mettant en cause plus de 800 ex-agents étatiques ayant participé à la répression politique35. Les expectatives concernant ces affaires portent désormais sur l’effectivité des sanctions. Ainsi, s’agissant du prononcé de la peine, le prochain défi de la Cour suprême sera d’obtenir un consensus au sein de sa chambre criminelle afin que soit écartée définitivement l’application absurde de la circonstance atténuante de prescription partielle à des crimes imprescriptibles. S’agissant de l’exécution des sanctions, de nombreuses voix commencent désormais à s’élever pour dénoncer les conditions de détention privilégiées des auteurs de violations de droits de l’homme et l’absence de transparence de l’administration pénitentiaire36. La lutte contre l’impunité est loin d’être terminée.
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Notes de bas de page
1 Rapport de la Commission nationale Vérité et Réconciliation (rapport Rettig), 8 février 1991, t. 1, p 85. Disponible sur [http://www.ddhh.gov.cl/ddhh_rettig.html].
2 Rapport de la Commission nationale sur l’emprisonnement et la torture (rapport Valech), 10 novembre 2004, 2e édition remise 17 août 2011, p. 183 et suiv., disponible sur [http://www.indh.cl/informacion-comision-valech].
3 Declaration de la Cour suprême du 9 décembre 2004, Centro de Estudios Públicos, « Informe de la Comisión Nacional Sobre Prisión Política y Tortura, y respuestas institucionales », Estudios Públicos, n° 97, 2005, p. 528.
4 Décret-loi n° 2191, publié au Journal officiel n° 30.042 le 19 avril 1978.
5 Article 2 du décret-loi n° 2191.
6 Article 3 du décret-loi n° 2191.
7 Rapport Rettig, op. cit., p. 93.
8 Voir par exemple les décisions de la Cour suprême, du 24 août et 28 septembre 1990, Rol 27.640, du 28 novembre 1991, Rol 65-80 et du 30 juin 1993, Rol 77. 497-7.
9 Le professeur Huneeus affirme à ce sujet que les magistrats ayant accepté de prendre leur retraite de manière anticipée ont reçu l’équivalente de vingt-huit salaires mensuels, Huneeus C., Las consecuencias del caso Pinochet en la política chilena, disponible sur [http://www.archivochile.com/Dictadura_militar/pinochet/sobre/DMsobrepino80004.pdf], consulté le 13 novembre 2013.
10 On retrouve les traces de ces renonciations précipitées dans les instructions générales de la Cour suprême et notamment celle du 8 septembre 1989, publiée le 17 novembre 1989, disponible sur [http://www.leychile.cl/Navegar?idNorma=160736&idParte=&idVersion=1989-11-17], consulté le 13 novembre 2013.
11 L’accusation constitutionnelle était dirigée à l’encontre des conseillers Lionel Beraud Poblete, Germán Valenzuela Erazo et Hernán Cereceda Bravo. Seul ce dernier fut destitué. Sur la procédure d’accusation constitutionnelle permettant de destituer les hauts mandataires chiliens voir García Barzelatto A.-M., « El notable abandono de deberes como causal de acusación constitucional de los jueces », Revista de derecho (Concepción), vol. 65, n° 202, 1997, p. 175-186.
12 Com. IDH, rapport n° 36/96, 15 octobre 1996, Héctor Marcial Garay Hermosilla y Otros c. Chile, n° 10.846, § 107. Voir également Com. IDH, rapport n° 34/96, 15 octobre 1996, Juan Meneses, Ricardo Lagos Salinas, Juan Alsina Hurtos, Pedro Vergara Inostrozo c. Chile, n° 11.228, 11.229, 11.231, 11.282.
13 Hennebel L., La Convention Américaine des Droits de l’Homme. Mécanismes de protection et étendue des droits et libertés, Bruxelles, Bruylant, 2007, p. 345.
14 Loi 19.541, Reforma constitucional relativa al poder judicial, publiée le 22 décembre 1997.
15 Fernández Neira K., « Breve análisis de la jurisprudencia chilena, en relación a las graves violaciones a los derechos humanos cometidos durante la dicta dura militar », Estudios constitucionales (Talca), vol. 8, n° 1, 2010, p. 475.
16 Cour suprême, 9 septembre 1998, Rol n° 469-98.
17 Les rapports Rettig et Valech ont recensé plus de 1 200 personnes disparues.
18 Cette définition est issue de l’article 2 de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées entrée en vigueur le 23 novembre 2010, ratifiée par le Chili le 8 décembre 2009.
19 Juzgado de letras de Lautaro, 20 septembre 1993, Rol 37.860. Décision confirmée par la Cour d’appel de Temuco le 29 mars 1994 et par la Cour suprême en décembre 1995.
20 Cour suprême, 17 novembre 2004, Rol. 517-2004 § 19.
21 Cour suprême, 17 novembre 2004, Rol. 517-2004 § 19.
22 Voir par exemple Mañalich J.-P., « El secuestro como delito permanente frente al decreto-ley de amnistía », Revista de Estudios de la Justicia, n° 5, 2004, p. 11-33.
23 Cour suprême, 17 novembre 2004, Rol 517-2004, voir également 27 décembre 2007, Rol 3.587-05.
24 En matière d’homicide, les règles de preuves sont établies par l’article 121 du Code de procédure pénale de 1906.
25 Cour suprême, 17 novembre 2004, Rol 517-2004.
26 Cour suprême, 13 décembre 2006, Rol 559-2004.
27 Cour suprême, 30 mai 1995, Rol 30.174-1994.
28 Cour d’appel de Santiago, 27 juin 2006, recours n° 14058/2004, résolution n° 74986.
29 Cour suprême, 30 juillet 2007, Rol 107.716 § 18.
30 Ibid., § 26.
31 Voir par exemple les décisions de la Cour suprême du 5 septembre 2007, 6525-2006 ; du 13 novembre 2007, Rol 6.188-06 ; du 27 décembre 2007, Rol 3587-05.
32 Rol 288-2012.
33 Cour suprême, 18 juin 2012, Rol 12566-11 ; 25 juin 2012, Rol 10665-11 ; 6 juillet 2012, Rol 2661-2012.
34 Cour suprême, 23 novembre 2012, Rol 3573-2012 ; 18 juillet 2013, Rol 519-13 ; 29 juillet 2013, Rol 1260-13.
35 Collins C. et al., « Verdad, justicia y memoria por violaciones de derechos humanos en tiempos de dictadura, a 40 años del golpe militar », Informe Anual sobre Derechos Humanos en Chile 2013, Santiago, Centro de Derechos Humanos de la Universidad Diego Portales, 2013, p. 25.
36 Observatorio de Derechos Humanos, Condenados por crímenes relacionados con Derechos Humanos excarcelados por concesión de beneficios, juillet 2012, 11 p.
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Le 11 septembre chilien
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