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Introduction. À 40 ans du coup d’État chilien : rémanences et enjeux mémoriels

p. 11-37


Texte intégral

1Cette entrée en matière invite le lecteur à plonger dans l’ouvrage qu’il a entre les mains, sensibilisé d’avance aux fils conducteurs qui le traversent et muni de certains repères. Bien qu’il ne saurait s’agir d’exhaustivité quant à des problématiques aussi complexes et polémiques que celles abordées (a fortiori sur une période aussi longue), introduire une vision d’ensemble, tout en apportant du liant, s’avéraient essentiel. Sans prétendre remplir les lacunes à maints égards inévitables, il s’agira aussi de faire état de ce qui aurait mérité d’être abordé et n’a pu l’être pleinement.

2Les auteurs ayant apporté leur contribution à ce projet collectif avaient été invités à réfléchir sur une période longue de plusieurs décennies qui débordait jusqu’à leur présent même. Issus d’horizons disciplinaires très divers, ils mobilisent des cadres théoriques et méthodologiques hétérogènes et multiples : la matière abordée rendait nécessaire une approche pluridisciplinaire, afin d’embrasser les enjeux dans leurs transformations et continuités. L’éventail générationnel est très large, des jeunes chercheurs en début de carrière côtoient des chercheurs confirmés, voire des seniors. Leurs nationalités et affiliations institutionnelles sont également plurielles, même si les « Chiliens de France » prédominent. Tous partagent cependant un intérêt prononcé pour le Chili, dépassant dans certains cas l’attachement habituel que suscite tout terrain d’étude. Les contributeurs sont majoritairement, mais non-exclusivement, des universitaires. Nous tenions fortement à inclure dans cette publication la parole des témoins, comme cela avait été le cas dans le colloque dont il est issu1. Chaque fois que possible, les chapitres comportent donc une rubrique « retour d’expérience » sous forme d’entretiens ou de transcriptions d’allocutions orales. Par conséquent, tout au long de l’ouvrage alternent les voix pénétrantes des témoins et des travaux universitaires à teneur scientifique. En tant qu’éditeurs notre dessein étant que cet équilibre délicat apporte un supplément de force et de complexité à l’ensemble de l’ouvrage.

Affiche du colloque Chili 1973-2013, Rennes-Brest.

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« À quarante ans... », un positionnement toujours incontournable

4« À quarante ans du coup d’État... » a été l’une des amorces de phrase les plus répétées dans la presse chilienne au cours de l’année 20132. Certains s’en réjouissent, d’autres le déplorent, ce qui reflète bien les lignes de partage qui traversent la société chilienne. Sans même caractériser ou qualifier l’événement ayant eu lieu le 11 septembre 1973, rien que d’y faire référence suscite d’emblée la controverse. Nous voudrions penser le rôle de matrice immanente joué par cette date à l’aune de laquelle, de manière pas toujours explicite, s’organise une partie de la vie politique nationale3.

5Jusqu’à aujourd’hui deux camps bien tranchés perdurent, même si le poids relatif de l’un et de l’autre a fortement varié au cours des quarante années évoquées ; leur position sur l’échiquier politique s’est également modifiée, parfois du tout au tout. Appréhender la fracture qui traverse l’histoire chilienne depuis plus de quarante ans, requiert d’écarter tout essentialisme ou déterminisme étroit. La ligne de partage n’est pas immuable, elle se déplace et se restructure sans cesse. La brèche précède même le coup d’État, elle est déjà présente lorsque, pendant l’Unité populaire (UP), la polarisation politique s’intensifie. L’itinéraire de la Démocratie chrétienne est l’une des preuves des forts déplacements des lignes de démarcation et des alliances politiques. Initialement en très vive opposition au gouvernement d’Allende, ce parti s’est trouvé partagé face au coup d’État entre des instigateurs convaincus, des attentistes et des opposants. Il a ensuite progressivement basculé dans l’opposition à la dictature, finissant par faire alliance avec une partie de ses anciens adversaires de l’UP au sein de la Concertación de Partidos por la Democracia, coalition de centre-gauche qui a succédé à Pinochet à la tête de l’exécutif en 19904.

6Face aux violences infligées par la dictature, on observe d’un côté, ce que l’on qualifierait d’« oublieux volontaires5 », qui ne recoupent pas exclusivement les instigateurs et partisans du coup d’État. Les correspondances entre une position politique et l’exigence de mémoire n’est que partielle et relative. Le prix qu’un secteur important des opposants à la dictature a consenti à payer pour un retour « en douceur » à la démocratie a été, sinon l’oubli, du moins le silence. Une « amnésie volontaire » maniée avec conviction et parfois bonne conscience par la classe politique de la post-dictature6. A. Pinochet a pu ainsi rester chef des armées jusqu’en 1998 puis sénateur à vie jusqu’en 2002. De plus, la loi d’amnistie de 1978 a continué – jusqu’à aujourd’hui – à couvrir d’impunité les années les plus forcenées de la répression et la Constitution en vigueur est toujours celle instaurée par la dictature en 1980, nous y reviendrons.

7Tout aussi volontaires et volontaristes que les « oublieux », de l’autre côté se trouvent les « mémorialistes » dont nous faisons sans nul doute partie, ne serait-ce que pour avoir pris l’initiative de mener à bien ce travail collectif et par la place laissée aux témoins dans cet ouvrage. Il ne saurait donc être question ici d’une quelconque neutralité. Nous faisons absolument partie de l’histoire étudiée. Nos propres itinéraires de vie et ceux de nos familles ont forcément partie liée avec l’histoire de ce bout de terre où nous sommes nés : même sans nous trouver en première ligne durant les années de violence aiguë, compte tenu de notre âge, par le simple fait d’y être nés. Il ne s’agit pas d’atténuer cette implication ni de s’y dérober en adoptant des positions surplombantes, faussement scientifiques, irrémédiablement truquées7.

8Nous œuvrons plutôt en sens contraire, faisant de l’attachement vital à notre objet de recherche, une force à aiguiser. La forte attraction que le Chili suscite en nous, se mêle à des élans de répulsion tout aussi intenses. Ce tiraillement ne s’amenuise pas au bout de tant d’années vécues au loin, il fait partie des puissants moteurs qui nous animent, des questions que nous cherchons à davantage comprendre et à mieux interpréter. Aussi, nous ne pourrions nous contenter d’analyses aseptisées – qu’elles se revendiquent ou non scientifiques –, ni de langues de bois idéologiques enrobant le politiquement correct. La bonne distance au regard des objets étudiés n’est pas une équidistance artificielle vis-à-vis des différents acteurs en jeu, elle n’est pas non plus donnée d’emblée, toujours chancelante elle se construit en débroussaillant le chemin8.

9Avancer implique aussi de susciter l’interlocution et l’échange. Les débats engagés à l’occasion du colloque se sont poursuivis durant la mise au point des articles par de nombreux va-et-vient entre les éditeurs et les contributeurs. La publication sera accompagnée et prolongée par un carnet de recherche en ligne9, outil qui permet d’approfondir les questions en suspens et d’informer sur de nouvelles archives10, autre aspect incontournable dans cette quête d’intelligibilité d’une matière réfractaire, saturée de contradictions qui ne s’émoussent pas avec le temps qui passe et qui, nous le verrons, s’exacerbent parfois.

« Pour 1 000 jours de printemps social, nous avons vécu un enfer et un hiver de 40 ans11... »

10La métaphore climatique ci-dessus revient à l’écrivaine Diamela Eltit, elle renvoie aux mille jours du gouvernement d’Unité populaire, bref printemps rempli d’espoir pour ses partisans, soulevant simultanément de lourdes craintes chez les anciens détenteurs du pouvoir. « Ce petit pays » avec sa « naïve révolution pacifique12 », était aussi fortement redouté par le gouvernement des États-Unis qui y perçoit une lancinante menace de contagion régionale. Dans cette partie du monde sous son influence durant la guerre froide, l’hégémonie étasunienne aurait risqué d’être mise en question, ce que le coup d’État militaire de 1973 prétendait éviter. Comme le soulignait alors Alain Joxe, un des enseignements de l’expérience chilienne a été que : « La formule de transition pacifique au socialisme n’est nullement devenue acceptable pour les États-Unis dans le cadre de la coexistence pacifique13. »

11L’hiver prolongé qui s’ensuit, est ressenti comme le prix à payer pour avoir osé ce printemps social : un contrecoup de quarante ans fait suite à trois ans d’Unité populaire. L’idée de déséquilibre condensée par la métaphore, souligne un coût d’une pesante lourdeur qui se perpétue interminablement. Notons que pour l’écrivaine l’hiver ne se limite pas à la dictature qui, à strictement parler, a duré dix-sept ans et non pas quarante14. Ainsi les rigueurs de l’hiver se prolongent jusqu’à son présent d’énonciation, qui est également le nôtre, le 40e anniversaire du coup d’État. Dans son esprit, la post-dictature fait aussi partie de la punition infligée au pays. Très minoritaire au Chili jusqu’en 2011, ce sentiment de continuité est exprimé sous d’autres formes par les mobilisations étudiantes qui voient alors subitement le jour15 et bouleversent intensément le pays.

12Peu nombreux sont ceux qui avaient vu venir ce mouvement social de grande ampleur, pas plus dans la classe politique que chez les intellectuels16. Ni son retentissement ni sa radicalité n’étaient envisageables dans un pays s’étant résolu à une démocratie « dans la mesure du possible », dans le prolongement de la « justice dans la mesure du possible » dont le premier président de la post-dictature, Patricio Aylwin, avait pris acte lorsque les violations des droits humains étaient devenues bien trop « encombrantes » à assumer pour le parangon de transition politique qu’il tenait à promouvoir. Quarante ans plus tard, des femmes arpentent le désert toujours en quête ne serait-ce que d’une trace infime de la dépouille de leurs proches. Elles ont le sentiment d’avoir été mises au ban de la société, elles estiment crûment être devenues « la lèpre du Chili17 ». Comment en est-on arrivé-là ?

Une transition dans la continuité : héritages de la dictature

13L’ambivalence du premier gouvernement issu des urnes (1990-1994), face aux violations des droits humains pratiqués sous la dictature, façonne puissamment la formation d’un nœud encore inextricable, d’une question jusqu’à aujourd’hui irrésolue. La brutalité des exactions n’explique pas à elle seule sa rémanence ni la dissension persistante avec ses effets de tranchées antagoniques. La Commission Vérité et Réconciliation, constituée par le président Aylwin avait été chargée d’enquêter. Malgré ses limites, la Commission appelée couramment Rettig18 a eu le mérite de reconnaître officiellement le problème et aurait pu constituer un premier pas pour que justice soit faite. Mais dès que le couvercle venait d’être soulevé, le gouvernement n’a eu de cesse de vouloir le refermer, prétendant tourner au plus vite la page et mettre fin à la transition19. Il va sans dire que la situation était complexe, vu la menace constante d’un nouveau coup de force de l’armée. Le climat s’était encore considérablement détérioré avec la mort de l’un des mentors de la dictature dans un attentat dont il était la cible20. La disparition de Jaime Guzmán Errázuriz, devenu une personnalité très en vue dans le repositionnement politique de la droite post-dictature, survient en 1991, seulement quelques semaines après la publication du rapport sur les disparus21. Il a fallu attendre plus de dix ans22 pour qu’une nouvelle commission d’enquête prolonge l’éclaircissement des faits de violence et de sang23 infligés pendant la dictature et reconnaisse notamment le recours systématique à la torture (Commission Valech24).

14Pour que l’issue fût autre, il aurait fallu non seulement du courage politique mais la conviction inébranlable que la violation des droits fondamentaux ne pouvait pas être traitée en demi-teinte, qu’il ne saurait y avoir « dans la mesure du possible » qui vaille. Les priorités des premiers gouvernements de la Concertación étaient ailleurs : se détourner du passé pour aller de l’avant était devenu le credo majoritaire des années quatre-vingt-dix. Dans la recherche effrénée du succès (exitismo) qui s’installe au premier plan, la prospérité économique devient le critère de réussite absolu25 dans une société à la répartition extrêmement inégale des richesses, profondément pénétrée par la logique marchande26.

15La confiance dans ce qui était appelé « El Modelo » était largement partagée. Le pinochetisme pouvait être critiqué, avec plus ou moins de force, quant aux droits humains, aux choix de politique internationale, etc., mais ce n’était pas le cas du modèle économique néolibéral, appliqué au Chili dans une version ultra, fruit de la collaboration des militaires avec les Chicago boys27. Le néolibéralisme avait été amplement assumé par les partis de la Concertación, même si, au cours des quatre gouvernements qui se sont succédé, il y a eu des inflexions pour le rendre plus social ou en limiter les excès. Nonobstant, sur plusieurs questions centrales, les orientations initiales impulsées durant la dictature ont été accentuées par les gouvernements de la Concertación. Deux exemples significatifs – mais non les seuls – d’un approfondissement du « modèle » économique hérité de la dictature sont la part grandissante du secteur privé dans l’exploitation du cuivre et le transfert aux banques des crédits qui, depuis la privatisation généralisée de l’enseignement supérieur, étaient offerts par l’État aux étudiants (crédito fiscal)28.

Pinochet, un mort qui ne finit pas de mourir : The Clinic

16L’étude des journaux parus au lendemain de la mort de Pinochet montre que l’héritage de la dictature en matière économique n’était encore nullement remis en cause en 2006, ni par la presse écrite ni par le personnel politique qui s’exprime dans ses pages29. Le dictateur, cible d’âpres critiques sur d’autres domaines, restait intouchable en la matière et sa figure était encore l’objet de beaucoup d’égards. Le seul titre en franc décalage était The Clinic, bi-mensuel humoristique à forte charge satirique faisant preuve d’une grande liberté de ton. Le journal a été créé lors de la mise en état d’arrestation de Pinochet à Londres, à la demande du juge espagnol B. Garzón. Son nom renvoie à la clinique où, persuadé de son immunité, il était allé se faire soigner et où il a été assigné à résidence. Avant même son numéro post-mortem, The Clinic avait consacré de nombreuses unes à Pinochet. À la mort du dictateur, il semble avoir mis un point d’honneur à se surpasser, il excelle comme jamais dans l’impertinence30. Ses photomontages en pleine page couleur dégagent une ingéniosité on ne peut plus percutante. Sur la couverture et la quatrième de couverture, s’imposent deux images quasi identiques : le visage bouffi, Pinochet gît dans son cercueil.

The Clinic : couverture à la une du numéro spécial sur la mort de Pinochet, 20 décembre 2006.

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The Clinic : quatrième de couverture du numéro spécial sur la mort de Pinochet, 20 décembre 2006.

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19En couverture ses yeux sont fermés ; la légende reprend une formule argotique typiquement chilienne pour dire : « Je suis prêt31 » (« Liz Taylor »). En première lecture l’ex-dictateur fait donc ses adieux et s’apprête à quitter ce bas monde. Cela n’avait pas été le cas en 1986, lorsqu’il avait échappé à un attentat, mortel pour ses gardes du corps. Pas davantage en 1990 lorsqu’il avait lâché l’exécutif mais non pas le commandement de l’armée. Il n’était pas non plus définitivement parti en 1998, puisque son arrestation à Londres s’était conclue par un retour au Chili, qui plus est sans avoir été jugé et sous la protection de la classe politique chilienne quasi-unanime32. Cette fois-ci décédé, son départ devrait être définitif, c’est du moins ce que laisse entendre la formule : « Je suis prêt. »

20Il n’en est rien. En quatrième de couverture, toujours dans son cercueil, Pinochet ouvre un œil, d’un bleu puissant. La légende prévient « Cuidaíííto... » : « Attention, gare à vous... » (autres traductions possibles : « Je vous ai à l’œil » ou « Je vous garde à l’œil »). On n’aurait pas pu mieux résumer, du moins pour un lectorat chilien, la présence inéluctable et persistante du dictateur. Quoi qu’il arrive, y compris d’outre-tombe, il continue à surveiller la vie de tout un chacun. Au faîte de son implacable pouvoir, Pinochet avait pu déclarer publiquement : « Pas une seule feuille ne bouge dans ce pays sans que je la fasse moi-même bouger, que ce soit bien clair33. » En 2006, au lendemain de sa mort, The Clinic laisse entendre qu’il continuera à en être de même à l’avenir. À l’opinion selon laquelle, avant sa mort, Pinochet était déjà un cadavre politique34, s’ajoute cet autre sentiment qui fait de Pinochet un cadavre encore agissant35. Jusqu’à aujourd’hui, la revue continue à placer l’image de Pinochet sur nombre de ses couvertures : en 2013, pour le 500e numéro, sa photo trône au milieu d’une galerie de personnages et la couverture du jour de sa mort a été reprise telle quelle en 2009, en changeant juste la légende36.

21La phrase de Diamela Eltit précédemment citée, rejoint The Clinic dans la référence à l’enfer, récurrente dans les pages de la revue. Le dictateur était fréquemment assimilé au diable grâce à des mots d’esprit teintés d’humour noir ou à des blagues distillant des formules lapidaires : « Changement de commandement en enfer » ou « Les dictateurs célèbrent en enfer une fête pro-Pinochet37. » Mais aussi au moyen de dessins et de diverses caricatures. Dans un registre bien plus grave, une victime devenue complice de ses tortionnaires avait justement assez tôt eu recours à la notion d’« enfer38 » dans un ouvrage sur les exactions pratiquées dans les centres clandestins de détention, comme si dans ce contexte la terminologie chrétienne demeurait l’outil le plus approprié à mettre des mots sur des vécus extrêmes. À signaler également, l’arrière-fond chrétien de la « réconciliation », terminologie extrêmement répandue pendant la transition politique chilienne39.

22De notre point de vue la question centrale serait cependant : comment expliquer cette configuration symbolique autour de la figure de l’ancien dictateur qui l’accrédite de pouvoirs post-mortem ? Le Chili n’est pas le seul pays latino-américain à n’avoir pas épuré ses institutions des cadres de la dictature, à n’avoir pas fait justice, à n’avoir pas demandé des comptes aux responsables de la rupture de l’ordre démocratique. Mais il s’est soucié plus que d’autres de mener à bien une transition sans vagues, faisant le pari de la continuité à tout prix, au sens fort du terme40.

23La transition chilienne se distingue d’autres, issues de dictatures analogues, pour avoir conservé un texte constitutionnel produit par la dictature elle-même, objet d’amendements et de réformes, mais encore en vigueur vingt-cinq ans après que, de nouveau, des élections libres aient eu droit de cité. Le maintien de la Constitution de 1980 demeure la clé de voûte de tout le système41. S’il est pertinent de parler d’une « démocratie sous tutelle42 », c’est que la Constitution avait justement été pensée et prévue pour brider d’éventuels changements. Sur ce point, tout comme sur bien d’autres, l’idéologue Jaime Guzmán Errázuriz avait une longueur d’avance sur l’ensemble de l’opposition démocratique, sur le reste de la droite et sur Pinochet lui-même43.

24L’onde historique longue démarrée avec le renversement du gouvernement d’Unité populaire le 11 septembre 1973 n’est donc pas arrivé à son terme avec le changement de régime amorcé en 1990. Comme déjà signalé, la continuité a été de mise, aussi bien au niveau institutionnel (fortement verrouillé par la Constitution de 1980) qu’au niveau économique, avec la toute-puissance du marché et la persistance de très fortes inégalités44. Ce n’est qu’à partir du mouvement étudiant de 2011 que des questionnements de fond prennent du poids et que sont mises à l’agenda des revendications touchant des piliers du système politico-économique, jusqu’alors perçus comme inamovibles. S’amorce aussi une reconnexion plus large avec des valeurs considérées comme inhérentes au Chili d’avant 1973. L’énorme succès éditorial et médiatique du sociologue Mayol incarne la conviction que la fin d’un cycle serait proche ; celui-ci décèle les prémisses d’un écroulement du système (le fameux Modelo) et reprend en tant qu’objet d’analyse sociologique (souvent à grand renfort de schémas et tableaux) le noyau des doléances et revendications étudiantes, notamment la recherche effrénée du profit dans l’éducation45. Les symptômes du malaise sont bien présents, toutefois nul ne saurait dire avec certitude à l’avance quelle sera l’étendue de la crise ni si elle conduira vers un effondrement du système.

L’impact des chiffres ronds : le pouvoir des dates anniversaires

25Les chiffres ronds, a fortiori lorsqu’ils renvoient à des dates anniversaires, ont des effets performatifs puissants. Rien d’inévitable ni d’absolument systématique, mais certainement une opportunité à saisir. Leur récurrence favorise la cristallisation des attentes ou revendications, elle facilite une mise à l’agenda qui aurait eu plus de mal à percer à d’autres moments ; les acteurs sociaux bien conscients du rendement potentiel de certaines dates, s’en emparent pour célébrer ou protester. Les décennies sont des jalons particulièrement marquants, elles suscitent des bilans de toutes sortes, y compris dans le monde de la recherche : le colloque organisé en Bretagne n’était d’ailleurs pas le seul ayant eu lieu en France46, pays spécialement réceptif à l’histoire récente du Chili.

26Le 30e anniversaire du coup d’État avait déjà été l’occasion d’un retour en force de la mémoire, véritable « irruption47 », bien amorcé néanmoins par l’assignation à résidence de Pinochet à Londres quelques années plus tôt. Le 40e anniversaire franchit encore un pas irradiant plus largement le souvenir des exactions de la dictature au sein d’une société plus réceptive aux remises en question depuis le mouvement étudiant de 2011. Au Chili, septembre est le mois de tous les dangers : il concentre de nombreuses dates anniversaires à forte intensité et sources de déchirements. Le 4 septembre marque l’anniversaire de l’élection d’Allende ; le 11 septembre (jour du coup d’État), est l’objet de vives controverses et continue à être considéré par certains secteurs comme le jour vénérable où la patrie a été sauvée du communisme. Pendant longtemps jour férié, il est régulièrement le théâtre de manifestations et contre-manifestations qui en général finissent par des affrontements avec les forces de l’ordre. La tentative de créer un jour de l’unité nationale le 6 septembre 1999 s’est soldée par un échec complet48 et les désaccords violents qui entourent les célébrations de la première quinzaine de septembre se rejouent d’année en année sans que la conflictualité s’amenuise.

27À peine quelques jours plus tard le panorama se transforme nettement avec la fête nationale, objet non seulement de cérémonies officielles et de deux jours fériés (18-19 septembre) mais de réjouissances festives qui enthousiasment très largement les Chiliens49. Les festivités peuvent s’étaler sur plusieurs jours et se déroulent en partie sur l’espace public : des lieux éphémères sont construits tout exprès pour la fête, décorés avec les emblématiques couleurs du pays – bleu, blanc, rouge – et parsemés de nombreux drapeaux de toutes les tailles. Les agapes de spécialités chiliennes et le boire ensemble, s’accompagnent de musiques et de danses aussi « typiquement chiliennes ». Le Dieciocho, n’est pas une coquille vide, l’exaltation du patriotisme et l’appartenance commune à la nation qu’il véhicule emportent une forte adhésion et l’allégresse générale contraste avec les commémorations controversées et déchirantes de la quinzaine précédente.

28La fête nationale est également une fête familiale et nombreux sont ceux qui se déplacent pour profiter de la fête en compagnie de leurs proches, néanmoins, beaucoup de familles sont redoutablement divisées quant à la dictature civilo-militaire de 1973-1990. Pour préserver à tout prix l’unité familiale, elles évitent sciemment les questions qui fâchent : le non-dit s’impose, prenant parfois la force d’un véritable tabou. Le film intitulé justement Fiestapatria50, investit ce nœud de contradictions en explorant l’éclatement dramatique du refoulé lors d’une belle journée champêtre réunissant une famille pour le Dieciocho. La famille en tant que microcosme de la nation est un grand classique du cinéma, en l’occurrence le réalisateur utilise le procédé pour faire sentir à travers ses déchirements, les tiraillements et discordes que la fête nationale, pour puissante qu’elle soit, ne réussit à purger. Le rendement dramatique du procédé est indéniable, son intensité bouleversante dévoile la fragilité d’une « communauté imaginée » mise à mal par l’absence d’un récit crédible et partagée sur l’histoire commune. En quittant la fiction cinématographique, ce qui prévaut n’est en général pas la querelle de famille faisant irruption en pleine fête, mais plutôt un commun accord sur le non-dit évitant mésentente et disputes : de eso no se habla ou mejor no hablar de eso. Cela peut paraître paradoxal mais tout se passe comme si une fois la première quinzaine de septembre et ses âpres luttes commémoratives passées, tout un chacun trouvait du répit dans les rituels festifs de la fête nationale51, qui au final remplirait ainsi bien le rôle lui ayant été dévolu par les élites post-indépendance : « faire patrie » (« hacer patria »).

Les batailles de la mémoire, la douleur en héritage

29De même que les blessures provoquées par les années de dictature, les « batailles de la mémoire52 » semblent se transmettre d’une génération à l’autre. Parler des séquelles vécues par une société victime d’exactions a toujours quelque chose d’abstrait qui contraste avec le poids émotionnel des vécus traumatiques : mises à mort, tortures, camps de concentration auxquels s’ajoutent les disparitions forcées, forme de répression inédite au Chili, dans un premier temps presque inconcevable. Les violations de droits humains restées impunies constituent dans le Chili d’aujourd’hui des abcès qui, sans justice, s’enkystent toujours davantage dans une société souffrant d’anciennes blessures encore à vif. Les proches des victimes demeurent inconsolables et, 40 ans plus tard, beaucoup cherchent encore à connaître leur sort et à en faire juger les responsables. L’impossible reconstruction va de pair avec ce que Ricœur qualifiait de « mémoire empêchée », sorte de refoulement collectif faisant obstacle parce qu’inévitablement se pose la question des responsabilités et que : « Ce qui fut gloire pour les uns, fut humiliation pour les autres. À la célébration d’un côté correspond de l’autre l’exécration53. »

30Pour certaines familles des victimes privées de justice, la douleur devient héréditaire, elle ne tarit pas avec le temps qui passe. Ce n’est donc pas une question que l’on puisse vouloir écarter après l’extinction par mort naturelle des personnes directement concernées, bien au contraire. Dans ce recueil l’ex-juge Alejandro Solís sonne l’alerte face aux risques d’impunité biologique : faire traîner les instructions judiciaires jusqu’à ce que mort s’en suive comporte un réel danger de rendre les blessures inguérissables à jamais. Comme le dit le cinéaste Patricio Guzmán, autre grand témoin dont nous publions aussi un entretien dans cet ouvrage, il se pourrait qu’un siècle après, le pays reste encore marqué par le trauma de 1973. Dans notre propre lecture du moment présent, la mémorialisation en cours serait un palliatif à une justice absente ou imparfaite : comment tourner la page tant que le sentiment d’injustice, source puissante d’indignation, restera si à vif ? Sans l’émergence de cadres institutionnels qui réussissent à canaliser une mémoire collective54 dotée d’un minimum de consensus, le terreau commun auquel se raccrocher demeurera bien fragile et les commémorations resteront des temps de souffrance et d’affrontement, faisant périodiquement suppurer les plaies restées ouvertes.

31Non seulement l’affliction se perpétue mais elle irradie au-delà des cercles initialement affectés et touche parfois des jeunes, à peine nés à l’époque des faits, ayant grandi à l’ombre d’une présence/absence. Dans Mi vida con Carlos55, le réalisateur Carlos Berger-Hertz revient sur son histoire familiale : très jeune il a perdu son père, l’une des 75 victimes de la « Caravana de la muerte », opération conduite par le général Arellano Stark. Sa mère avocate mène les premiers combats pour connaître la vérité et dénoncer les coupables, tandis que sa grand-mère désespérée se suicide. La journaliste Patricia Verdugo, également fille orpheline d’une victime de la junte militaire, a effectué et publié encore sous la dictature, la première enquête sur cette funeste répression56. La famille Berger est un concentré dramatique des dégâts d’une violence qui se répercute bien au-delà des premières victimes. À la fin de son ouvrage, la journaliste P. Verdugo souligne un phénomène hautement paradoxal, l’entourage des victimaires peut à son tour souffrir de la violence infligée. C’est du moins ainsi qu’elle interprète les efforts désespérés du fils du général Arellano Stark pour défendre son père ; elle y voit une victime quoique d’un autre genre, acculé en tant que fils à défendre l’indéfendable57.

Affiche commémorant le centenaire de la naissance du président Salvador Allende en 2008.

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33Au cours de ces années, le poids respectif de la mémoire et de l’oubli s’est nettement modifié. Aux premières irruptions de la mémoire a succédé une irruption de plus en plus massive, déclenchée en 1998 par l’épisode de Pinochet à Londres58. L’émergence du souvenir est allée crescendo avec une forte accentuation lors du 30e anniversaire en 2003, qui marque entre autres une très forte résurgence sur le devant de la scène de la figure d’Allende. Le pic de septembre 2013 produit pour sa part un effet de bascule entre l’amnésie initiale de la post-dictature et une tardive hypermnèsie, une saturation de la mémoire envahissant pour un temps la quasi-totalité de l’espace social59. Il est encore tôt pour bien évaluer les effets du 40e anniversaire, certains semblent néanmoins cruciaux et durables. On peut d’ores et déjà signaler la forte auto-critique effectuée par l’institution judiciaire – l’association professionnelle de la magistrature, puis la Cour suprême elle-même – sur ses propres défaillances durant la dictature et son affirmation du caractère inviolable des droits humains. À souligner également le changement lexical qui s’est opéré en peu de temps, la dictature étant de plus en plus fréquemment qualifiée de civilo-militaire et non plus seulement de militaire, ce qui suppose un déplacement dans l’analyse des responsabilités des uns et des autres.

34Il est impossible aussi de savoir à l’avance comment se passera la décennie en cours ni comment sera vécu le 50e anniversaire en 2023, si ce n’est que les principaux témoins directs ne seront majoritairement plus là. Quoi qu’il en soit, la portée et la prégnance de l’onde de choc longue, laissée derrière elle par le trauma, étonnent et rapprochent le Chili de sociétés ayant vécu des violences plus intenses et durables ou des meurtres de masse autrement plus systématiques. Preuve s’il en faut que les logiques comptables ne donnent pas la mesure du vécu des peuples et que, tout comme pour les sorties de guerres, les conditions dans lesquelles prennent fin les dictatures sont pour beaucoup dans la guérison des plaies.

Poursuivre en rebattant les cartes

35Durant ces années de post-dictature la divergence persistante sur le passé récent du pays et les insuffisances d’une narration commune à même d’en rendre compte, semblaient dans une certaine mesure « compensées » par la quasi-unanimité autour d’un modèle économique néolibéral, certes éminemment inégalitaire, mais réussissant à faire passer l’insertion du Chili dans l’économie monde pour un destin partagé, enviable et envié par ses voisins latino-américains. D’où l’injonction assenée avec insistance à se détourner du passé pour se projeter entièrement dans l’avenir. Le récit commun du passé proche n’étant pas viable, le futur était alors promis en partage : un avenir assurant l’imminente entrée du Chili dans le « premier monde », avec en prime l’illusion que, bon an mal an, tout un chacun prendrait part aux bénéfices. Avec la rupture du consensus autour des politiques économiques et la mise en question du Modèle, ce discours volontariste il n’y a guère dominant, perd beaucoup de sa force et l’édifice dans son ensemble paraît fortement fragilisé. À moins qu’il ne s’agisse de craquelures de surface vouées à se régénérer, ce qui au demeurant est tout à fait dans l’ordre des possibles. Il n’empêche que les signaux d’alerte sont là : abstention électorale, perte de confiance dans les institutions et dans la classe politique dans son ensemble, lassitude face à la corruption, parallèlement à une protestation sociale toujours croissante.

36Au quotidien, une matrice d’interprétation issue des années de répression sert sans cesse de grille de lecture à la vie politique du pays, comme dans un échiquier les positions se déploient et se reforment de façon quasi prévisible. Y compris parmi les candidats à la dernière élection présidentielle, en 2013 encore nombreux sont ceux qui n’emploient jamais le mot dictateur, qui prennent Pinochet pour un sauveur ou qui s’y réfèrent au moyen d’un « mi general » marquant à la fois respect et soumission. Le Chili reste lourdement ancré dans un temps et un esprit de guerre froide à l’ancienne où le communisme serait la principale menace : un monde bipolaire qui n’existe plus sous cette forme, nonobstant toujours présent dans les imaginaires et dans les discours. La prévalence tardive de cet esprit de guerre froide qui se nourrit du 11 septembre 1973, s’exprime sans retenue dans le documentaire I love Pinochet60. Lorsque le phénomène se joue en mode mineur il passerait presque inaperçu, si ce n’est qu’en prêtant l’oreille l’on remarque des appellations doubles quand par exemple les rues portent des noms polémiques ou l’on constate que les mots préférés des uns, sont des imprononçables pour les autres. En mode majeur le récurrent revival du coup d’État peut prendre des dimensions considérables, comme lors de la dernière campagne présidentielle qui a pris des allures de roman-feuilleton : les deux principales rivales étaient filles de généraux, enfants elles auraient partagé les mêmes terrains de jeu, avant que le 11 septembre 1973 ne fasse basculer leurs familles dans des camps opposés61. Certes, en l’occurrence, il y avait matière à sensationnalisme. En y regardant de plus près, on ne peut que reconnaître que bien des familles chiliennes sont traversées par des histoires semblables.

37En remontant plus loin dans le temps, l’accord sur un glorieux passé commun s’avère solide : les mythes fondateurs de la nation avec leurs exploits héroïques étant justement ceux qui cimentent les célébrations du Dieciocho et leur accordent une force de communion qui ne fléchit pas malgré les fêlures du temps présent. Dans ce socle de convictions et croyances un des piliers fondamentaux s’est écroulé avec fracas le 11 septembre 1973. L’image d’un pays stable, « civilisé », aux institutions solides, qui aurait compté avec des forces armées au constitutionnalisme exemplaire, a été mise à bas par les militaires eux-mêmes : à la fois par la violence de leur intervention et par les 17 années de pouvoir confisqué. Dès 1970, Alain Joxe avait magistralement montré à quel point l’apolitisme de l’armée chilienne était illusoire. Son analyse politique, nourrie d’histoire mais aussi d’un certain regard anthropologique sur la violence latente du pays62, lui permettait d’affirmer qu’un coup d’État était plausible, ce que bien d’autres se refusaient à concevoir comme une réelle possibilité. Au Chili l’armée était constamment intervenue en politique, à une cadence différente de celle des pays voisins parce que la besogne était efficace (« parfaite » selon l’auteur cité) et par conséquent le besoin de remettre de l’ordre ne pointait que tous les 30 ou 40 ans. Par son efficacité et ses effets durables, une intervention de l’armée chilienne – soutenait A. Joxe – équivaudrait à une dizaine de coups d’États dans d’autres pays63.

38La relecture toujours instructive d’Alain Joxe permet aussi de renverser une perspective bien installée dans la recherche qui met l’accent sur la fracture qu’introduit le coup d’État64. Cette rupture est indéniable et le choc provoqué a largement dépassé les frontières d’un pays qui, jusque dans les années soixante-dix, se pensait majoritairement lui-même comme un pays du « bout du monde », éloigné des grandes affaires du premier monde65. Ces dernières décennies, la majorité des travaux, y compris dans cet ouvrage, se placent d’une manière ou d’une autre dans une perspective qui privilégie la rupture du 11 septembre. Un beau programme de recherche pour les années à venir consisterait à s’atteler collectivement à creuser les toutes aussi indéniables lignes de continuité entre la dictature et les temps qui l’ont précédée. Bien que face à la commotion et au bouleversement du 11 septembre chilien, ceci puisse paraître contre-intuitif et que la démarche implique pour beaucoup d’entre nous un effort de décentrement et une distanciation probablement extrêmes, cette approche serait sans doute à même de produire un savoir novateur. Ce qui de surcroît aurait l’avantage de couper court à toute idéalisation du temps d’avant (que ce soit avant l’Unité populaire, le 11 septembre, Pinochet ou le néolibéralisme). Quant à la matrice coloniale que Joxe détecte dans le comportement des classes dominantes chiliennes, il en sera très prochainement question dans un ouvrage complémentaire à celui-ci, consacré aux territoires indiens du Chili66.

39Avant de présenter les principales articulations et les contenus de l’ouvrage, signalons brièvement les thématiques qui ne s’y trouvent pas. Aucun article n’est spécifiquement consacré à l’Église catholique, ni à l’armée, ni au rôle joué par les États-Unis, même s’il en est question dans cette introduction et dans plusieurs contributions. Le mouvement étudiant en tant que tel n’est pas non plus l’objet d’une recherche spécifique, bien que très présent dans la réflexion d’une grande majorité d’entre nous car il a représenté un point d’inflexion notable, contrecoup du retour de la droite au pouvoir (2010-2013) : l’expectative est forte quant à ce qu’il deviendra, avec le retour au pouvoir d’une coalition de centre-gauche en 2014.

Vue d’ensemble des contributions de l’ouvrage

40Afin de rendre compte des effets multiformes du coup d’État l’ouvrage comporte trois parties indépendantes, mais complémentaires, divisées en plusieurs chapitres thématiques qui comprennent chacun deux ou trois contributions. Tout au long du livre des articles de recherche croisent la parole de témoins ; la postface est consacrée aux retours d’expérience, qu’ils soient directement rapportés ou repris par un tiers, lui-même impliqué dans l’histoire qu’il retrace.

41La première partie envisage les répercussions internationales du coup d’État, l’importante question de la justice ainsi que ses effets sur la presse et l’édition : les incidences au-delà des frontières nationales y sont plus présentes que dans le reste de l’ouvrage. Les chapitres consacrés à la justice examinent comment l’institution judiciaire fait face aux violations des droits humains ; ils soulignent les ambivalences auxquelles ont été confrontées les juges et les familles des victimes, montrant par-là la spécificité de la « transition chilienne ». Face à un bilan humain dramatique et incontestable, Charlotte Girard (chap. i-1) interroge les voies empruntées par la justice chilienne. Ayant dû composer avec l’armature juridique de la dictature, son action en interne a été timide et limitée. Toutefois, si la justice dépend des institutions gouvernementales d’un pays, elle relève également du contexte international et la justice chilienne s’est appuyée sur cet environnement propice pour reconnaître juridiquement les crimes perpétrés durant la dictature. En considérant concrètement les processus à l’œuvre, l’article analyse dans quelle mesure le cadre international a pu peser sur la justice chilienne et la façon dont, malgré de nombreux blocages, un certain nombre de procédures ont été mises en route. De façon complémentaire, Zunilda Carvajal del Mar (chap. i-2) examine de manière ciblée le fonctionnement de la Cour suprême chilienne depuis 1991. Il en ressort que le nœud tissé autour des violations des droits humains n’a commencé à être défait qu’à l’aide de deux mécanismes. Le premier résulte des efforts menés par l’exécutif et l’institution elle-même pour mettre en place des juges spécialisés, des procédures et un cadre juridique adéquat. Le second mécanisme est exogène : certaines décisions de la Cour suprême ayant été l’objet de sanctions par des instances internationales, l’institution s’est vue poussée à davantage de cohérence. Le bilan de ces évolutions apparaît plutôt positif avec néanmoins une réserve de taille : le nombre de cas concernés est limité. Ces remaniements et changements s’incarnent dans le témoignage du juge Alejandro Solís Muñoz qui, entre 2001 et 2012, a occupé la fonction de juge commissionné aux droits de l’homme (chap. i-3). À travers sa contribution, prolongée par un entretien, prennent forme les stratégies mises en place dans la rédaction des attendus, notamment la référence croissante au droit international dans l’argumentation des verdicts. Simultanément à la description des différentes facettes qui, dans un contexte de post-dictature, contribuent à l’élaboration minutieuse d’un jugement, percent d’autres questions cruciales parmi lesquelles le véritable angle mort que constitue à ce jour la responsabilité des civils dans la répression et le poids des stratégies dilatoires conduisant bien des procès dans l’impasse d’une « impunité biologique », par la mort naturelle des principaux inculpés. Ainsi, au regard du droit international, différentes réponses judiciaires apportées aux violations des droits humains permettent de dégager les discontinuités qui se sont opérées graduellement depuis la fin de la dictature mais également de mesurer les angles morts dans des processus toujours en cours.

42Le chapitre deux prolonge la réflexion sur les effets dans le temps du coup d’État chilien en partant de la presse européenne et du travail d’édition des exilés. Ne se limitant pas à saisir une logique de l’écho ou de la sympathie, ces recherches s’interrogent sur ce qui est en jeu lorsque, à distance, il est rendu compte du 11 septembre 1973. En prenant appui sur trois titres de la presse espagnole anti-franquiste, emblématiques des années soixante-dix, Martin Siloret (chap. ii-1) explore le traitement médiatique du coup d’État chilien et souligne à quel point cet épisode a travaillé de l’intérieur la gauche et le centre-gauche en Espagne. Si le choc produit est puissamment rendu dans la presse espagnole étudiée, son traitement diffère selon les lignes éditoriales et politiques. Les divergences pointent les dilemmes auxquels étaient confrontés les militants espagnols à la fin du franquisme. La charge symbolique de l’expérience chilienne, notamment son échec, cristallise en retour des débats sur le passé espagnol (Seconde République, guerre civile) et interroge son présent : l’échec cuisant de l’Unité populaire, l’immense horizon d’espoir brisé pouvant à son tour devenir une mémoire encombrante. Marie-Claude Chaput (chap. ii-2) prolonge ces analyses par un comparatif binational entre deux quotidiens qui sont des véritables figures de proue dans leurs pays respectifs : le français Le Monde et l’espagnol El País. En focalisant le regard sur le traitement des dates anniversaires du coup d’État chilien, l’auteur étudie trois moments distincts : le post 11 septembre 1973 fortement marqué par la dénonciation de la violence militaire ; la fin de la dictature de Pinochet, période durant laquelle en France et en Espagne les socialistes avaient accédé au pouvoir ; et les années deux mille qui voient la question de la justice passer au premier plan. L’auteur procède ainsi à une véritable triangulation, savamment mise en contexte, entre les trois pays concernés. La transcription d’une allocution orale et d’une série de questions réponses, charpentent le témoignage d’Osvaldo Fernández sur la revue Araucaria de Chile qui clôt cette première partie (chap. ii-3). Cette expérience d’édition est emblématique de l’intense activisme de l’exil chilien ; Araucaria permet de poursuivre un combat et réunit dans ses pages de nombreux intellectuels, des figures artistiques et littéraires. La force du travail d’édition, enraciné dans la lutte anti-dictatoriale, a rendu possible une cohérence éditoriale et l’unité d’une équipe qui a réussi à maintenir son activité jusqu’à la fin de la dictature. Avec le retour au pays des exilés, amorcé par le plébiscite de 1988, les convergences se fissurent et la fin de l’exil marque aussi la fin d’Araucaria. Sa raison d’être ayant disparu, la revue met fin à son activité, non sans laisser derrière elle un beau patrimoine. En traçant des lignes de rupture et de continuité, cette première partie atteste combien celles-ci se déclinent différemment et se transforment avec le temps, sans cesse traversées par de nouvelles relectures et de vifs questionnements issus du 11 septembre 1973.

43La deuxième partie s’attache à comprendre comment les pratiques artistiques travaillent à leur façon les faits traumatiques, pour en faire des instruments de résistance et de renouveau. L’énorme succès rencontré par la chanson chilienne et les phénomènes d’aller-retour entre le Chili et l’Europe, constituent le point de mire des deux contributions sur la musique et la chanson du troisième chapitre. En s’intéressant à la nueva canción dans un comparatif entre le Chili et l’Espagne, A. Muñoz de Arenillas Valdés (chap. iii-1) établit clairement le lien étroit qui relie une pensée politique cherchant à diffuser ses idées et un ensemble de cantautores jouant le rôle de médiateurs. L’analyse du phénomène revêt toute sa pertinence dans la compréhension des forces sociales à l’œuvre. Les offres d’interprétation critique de la réalité sociale, portées par les cantautores, supposent un public réceptif, partageant a minima des valeurs communes ou un même vécu ; leur activité artistique s’avère intimement liée au milieu social dont ils sont issus. Le monde des artistes engagés est aussi traversé par d’autres phénomènes, observés cette fois-ci au sein de l’exil. Les récits de vie des artistes exilés vont permettre à G. Carotenuto (chap. iii-2) de mettre à jour tout l’impact et le poids des conditions socio-économiques d’origine dans la perception sociale d’une carrière artistique, notamment à travers les itinéraires de Max Berrú et de Vladimir Vega. Leur expérience du coup d’État chilien ainsi que leurs trajectoires postérieures ont été décisives dans la manière d’appréhender subjectivement, non seulement leur vie artistique, sinon leur vie tout court. Se dévoile ainsi un monde artistique en exil clivé par les stratifications sociales d’origine. La production et l’analyse de tels récits de vie permettent de souligner la prégnance du conflit social au cours du temps.

44Le conflit mémoriel apparaît pour sa part clairement dans les pratiques audiovisuelles, objets du quatrième chapitre. Deux articles envisagent un phénomène récent consistant à intégrer des références de plus en plus précises à la dictature dans des séries TV de grande audience, ce qui a brisé l’engagement tacite et généralisé à garder le silence sur le passé de la discorde dans les antennes grand public. D. Durán Cid (chap. iv-1) analyse la série Los 80, qui a été la première du genre, diffusée durant plusieurs saisons par une chaîne qui avait longtemps appartenu à l’église catholique chilienne (Canal 13). La série recourt à la fiction en mettant en scène une famille de classe moyenne urbaine pour aborder des atteintes bien réelles aux droits humains et souligne l’ambivalence qui règne encore au Chili à propos de la dictature. L’acceptation d’une telle série par son public passe par un attachement progressif, fruit des échos nostalgiques et du processus d’identification aux personnages. Un tel dispositif provoque une réaction émotionnelle atténuant polémique et débats, et rendant parfois paradoxalement plus regardables les exactions dont il est question. Tel n’est pas le cas d’une autre série, postérieure dans le temps, Los Archivos del Cardenal, analysée par Nathalie Jammet-Arias (chap. iv-2), où d’entrée de jeu la répression est abordée de front, dans toute sa brutalité et qui s’inspire de l’action menée par la Vicaría de la solidaridad durant la dictature. Les nombreuses protestations soulevées par la diffusion de cette série viennent de son caractère nettement plus frontal mais aussi d’une production financée par une chaîne d’État. Avec des niveaux de virulence distincts les deux séries produisent une multitude de controverses sur la lecture du passé et les deux articles qui en rendent compte convergent sur l’idée qu’au Chili les débats sur la dictature et ses effets demeurent extrêmement clivants. Ces deux séries TV caractéristiques des années deux mille, contrastent avec la position, le parcours et la carrière cinématographique de Patricio Guzmán (chap. iv-3) qui, depuis plus de quarante ans, n’a cessé de mettre sa maîtrise audiovisuelle au service de la mémoire d’un pays déchiré, qu’il recueille et assemble tenacement, à la fois avec tendresse et sans concessions. Malgré une énorme reconnaissance internationale, P. Guzmán est un banni de la TV chilienne, surtout de celle accessible à tous, qui l’intéresse en premier lieu. Au sein de cet ouvrage son témoignage – qui comprend un entretien et la transcription du débat ayant suivi la projection de l’un de ses films –, nous semble tout particulièrement précieux car à un autre niveau et par d’autres moyens, son œuvre incarne puissamment le projet qui nous anime. Depuis La batalla de Chile (trilogie en caméra directe sur les années d’Unité populaire), jusqu’à la trilogie poétique en cours d’accomplissement (démarrée par Nostalgia de la luz et suivie par Le bouton de nacre67), en passant par de nombreuses autres productions, son œuvre dessine un arc du temps traversé par l’interminable secousse du coup d’État.

45Le cinquième et dernier chapitre de cette partie sur les arts est consacré aux arts visuels dans deux sphères généralement mais pas toujours distinctes : la rue avec les arts graphiques urbains et les musées avec l’art contemporain. L’intense créativité déployée par les artistes plasticiens, peintres, sculpteurs et autres, n’a pas été totalement mise en fuite ni entièrement étouffée par la dictature. Les peintures murales jouissent notamment d’une longue tradition et se sont à plusieurs reprises réinventées au cours des années envisagées. Dans les années 1970, les peintures murales (murales) avaient atteint une certaine reconnaissance sociale et politique ; après le 11 septembre elles rentrent en résistance même si elles accusent le coup. Clément Bégot (chap. v-2) apporte un éclairage original sur le moment de bascule entre la prééminence des murales dotés d’une assez longue histoire et l’émergence toute nouvelle du graffiti, dans un contexte de transition institutionnelle démarré à la fin des années 1980. Il n’est pas question pour les graffeurs de perpétuer une mémoire mais de s’approprier des espaces urbains et de revendiquer une liberté qu’il va falloir « inventer » après dix-sept ans de dictature. Les graffitis témoignent aussi d’une forme de désengagement politique au détriment des sphères traditionnelles du militantisme. La jeunesse chilienne mobilisée autour des graff-muraux ne cesse de critiquer les manières orthodoxes de peindre sur les murs par l’invention contestataire de nouvelles formes. Grâce à son fort ancrage sur le terrain, l’auteur perçoit la manière dont la jeunesse chilienne se saisit et dessaisit des bribes d’un passé et à quel point elle réinvente de nouvelles formes d’expression graphique qui requièrent la sauvegarde d’espaces de liberté dans un contexte devenu en principe, mais pas toujours, propice à ses aspirations créatrices. Fréquemment hors-la-loi, cet art juvénile urbain partage avec certaines expressions artistiques plus institutionnelles un penchant non-conventionnel, souvent osé ou provocateur aux yeux du public. Caterina Preda (chap. v-3) examine des initiatives de « mémorialisation », issues de l’art contemporain, qui se placent fortement à contre-courant vis-à-vis des consensus ayant façonné la transition politique. L’auteur étudie deux artistes clef – Carlos Altamirano et Voluspa Jarpa – qui placent à-brûle-pourpoint, au centre de leurs dispositifs, des questions extrêmement gênantes comme l’interventionnisme et responsabilité des États-Unis dans le coup d’État ainsi que des questions à la fois délicates et douloureuses comme les disparus. Le public concerné s’avère limité, mais il existe bel et bien, et les musées chiliens accordent toute sa place à l’art contemporain de mémorialisation, en contraste avec ce qui prédomine dans d’autres sphères sociales et artistiques.

46Enfin, en troisième partie, le lecteur pénètre au cœur des mouvements sociaux et des partis politiques, structures collectives a priori ouvertes à l’évocation du passé et de son héritage. Dans le chapitre six, deux cas de militantisme sectoriel sont envisagés, celui des femmes sur un éventail temporel très étendu et le syndicalisme sur une période davantage resserrée à la post-dictature. Prendre en tant qu’objet d’analyse le militantisme féminin sur une longue période (1970-2010), offre à Nicole Forstenzer (chap. vi-1) une autre manière d’approcher les enjeux auxquels est confronté le Chili, à savoir les politiques de genre. Ainsi les centros de madres occupent une place centrale dans la compréhension de la place des femmes dans les politiques publiques, initialement destinées avant tout aux femmes dans « leur rôle de mère ». Pendant l’Unité populaire, davantage préoccupée par la lutte de classes que par la question féminine, les femmes participent surtout dans les programmes sociaux et dès cette époque on observe une caractéristique quant à l’origine sociale des militantes, pour l’essentiel des femmes ayant eu accès aux études supérieures. Sous la dictature, les femmes continuent à faire l’objet de politiques tout à fait traditionnelles, parallèlement une lutte pour la démocratie s’instaure au sein des organisations populaires et des groupes dans la clandestinité. Plonger dans le mouvement féministe chilien éclaire aussi le caractère réfractaire de l’actuelle situation politique chilienne qui tend à l’autonomisation des mouvements vis-à-vis des organisations institutionnalisées (partis politiques, etc.). Dans cette perspective, l’exemple du syndicalisme introduit un contraste et offre un autre angle d’attaque. Francisca Gutiérrez Crocco (chap. vi-2) critique les lectures, notamment sociologiques, du syndicalisme chilien pour lesquelles tout se passe comme si le mouvement syndical avait une place marginale dans le Chili contemporain et avait perdu toute capacité d’influence. En dépassant un questionnement en termes de ruptures ou de pertes, l’auteur décrypte plutôt ce que les syndicats chiliens ont réussi à préserver, conserver et perpétuer mais aussi à renouveller dans un contexte qui leur était défavorable. Le syndicalisme s’est adapté et transformé sans perdre sa capacité critique ni son habilité à agir. Ainsi, la forte émergence des mouvements sociaux ces dernières années ne résulte pas d’une nouveauté sui generis mais d’une capacité de riposte, les acteurs sociaux n’étant pas restés impassibles devant les transformations sociales.

47Le chapitre sept envisage les organisations de base et les mobilisations sociales. Ces dernières décennies la société civile chilienne a manifesté à maintes reprises sa robustesse, les mouvements sociaux témoignent de la vitalité d’un tel processus. L’énorme élan du tissu social, y compris sous la dictature, analysé par Raúl Morales La Mura et par Quidora Morales La Mura (chap. vii-1), indique la possibilité pour certaines franges de la société civile d’exprimer une critique même dans les espaces les plus restreints. En étudiant le processus à partir des casas folclóricas jusqu’au mouvement Democracia para Chile, les auteurs soulignent la continuité d’un discours critique et la capacité d’organisation d’une partie de la population chilienne. Malgré la forte répression de la dictature, ceci illustre avec acuité la résilience de la société civile, elle questionne l’institutionnalisation des partis politiques et renoue avec force avec l’idée d’un engagement transcendant les appartenances sociales. Les travaux précédents mettent tous en exergue la faculté des mouvements sociaux à porter la critique, à rompre avec un consensus mou autour de la transition à la démocratie. L’entretien mené par le jeune historien chilien Matías Sánchez Barberán avec le chercheur français Franck Gaudichaud (chap. vii-2) parachève cette question par une réflexion sur l’option à privilégier une analyse des mouvements sociaux « par le bas ». Ce point de vue fait apparaître les tensions internes aux mouvements de gauche mais également le vécu des « subalternes » de la société chilienne. Les conclusions du chercheur interviewé favorisent la compréhension des tensions entre d’une part, un mouvement social et de l’autre, le champ politique. Ce regard fait apparaître le Chili des années 1970 en situation révolutionnaire, mais sans résultat révolutionnaire. Pour comprendre une telle situation, Franck Gaudichaud rappelle la logique de compromis réglant les rapports entre les partis politiques, y compris le Parti communiste chilien. Un tel éclairage permet de s’interroger sur les répercussions des différents mouvements sociaux et sur leurs capacités à transformer un système politique relativement stable, à proposer et à construire d’autres alternatives.

48Plusieurs contributions précédentes amorcent des questions clé quant au rôle des partis politiques et à leur fonction durant la dictature, celles-ci sont abordées plus directement dans ce huitième et dernier chapitre, grâce à deux études de cas renvoyant à deux univers idéologiques opposés. D’abord le Parti socialiste en clandestinité pendant les années de répression les plus forcenées. Ensuite, la reconversion de secteurs civils qui, ayant appuyé la dictature de tout leur poids, misent sur une structuration en parti politique dans la démocratie renaissante. La délicate question du militantisme clandestin est traitée par Margaux Cosnier, Delphine Griveaud et Vladimir Sierpe (chap. viii-1) à partir de deux réseaux clandestins du parti socialiste chilien entre 1973-1988. Il est non seulement question d’engagement en réponse à une répression, mais également des dimensions affectives d’une telle action, rendues perceptibles grâce à des très riches entretiens. Les réseaux en question apparaissent comme des lieux de sociabilité et d’apprentissage mis à rude épreuve par la dictature et ayant développé des stratégies légèrement différentes pour se maintenir en résistance. Le retour à la démocratie a fait apparaître des dissonances cognitives au sein de ces militants avec la réapparition d’un parti socialiste en décalage avec les expériences clandestines de deux réseaux. Pour ces militants, le parti socialiste devient un espace de lutte pour le contrôle des administrations publiques où une rhétorique déconnectée des réalités sociales, ce qui a accentué la distance entre leur parti et leurs propres idéaux, et fait écho à l’écart entre les militants de base et leurs dirigeants, toujours très présent dans le Chili contemporain. Le rôle des élites politiques, notamment civiles, est développé par Pablo Rubio Apiolaza (chap. viii-2). L’étude consacrée à l’UDI (Union démocrate indépendante), révèle comment le régime militaire a partagé son pouvoir avec des civils très influents et a favorisé la création d’un parti qui participe pleinement à la vie politique chilienne encore aujourd’hui. Créée sous la dictature, l’UDI résulte, en partie, d’un processus de dissolution des partis politiques auquel tous les partis, y compris à droite, ont été soumis, bien que non pas de la même façon ni avec les mêmes effets que leurs homologues de gauche. Parmi les mouvements de droite ayant lutté contre l’Unité populaire, le gremialismo qui deviendra l’UDI en 1983, exerce un fort soutien civil à la dictature militaire. Ses domaines d’influence ont été multiples : législatif, économique ou encore les collectivités locales. Une telle mécanique a largement favorisé la constitution progressive d’une base sociale d’appui au régime de Pinochet. L’UDI a pu ainsi acquérir une expérience organisationnelle, mobilisée lors du retour à des élections démocratiques, pour se présenter comme l’un des partis dominants de la droite chilienne. Revenir sur la trajectoire et l’histoire de civils dans la dictature de Pinochet met l’accent sur le rôle indiscutable qu’ils y ont joué ; ceci a commencé à faire ouvertement débat seulement quarante ans après le coup d’État.

49Enfin comme annoncé, en postface le dernier mot est laissé à des témoignages sur le 11 septembre 1973 et les jours qui ont suivi le déchaînement de violence. D’abord le récit d’une expérience individuelle. Ramón Espinel, jeune étudiant équatorien avait été attiré au Chili par les forces de changement incarnées par l’Unité populaire ainsi que par toute la richesse qu’apportait alors l’expérience chilienne à son domaine professionnel, l’économie agricole. Sa vie académique, également ponctuée de responsabilités politiques, se révèle marquée à jamais par l’empreinte des quelques années passées au Chili. Son histoire de vie renvoie à celle de beaucoup de sympathisants étrangers qui s’étant rendus au Chili se sont vus attrapés dans le déchaînement de violence, devenant soudainement l’une des principales cibles des persécutions : son cas pointe tout un pan de cette histoire encore insuffisamment documenté. Pour sa part Luis Pradenas Chuecas, artiste chilien exilé en France, ne rend pas compte ici de son propre parcours mais reprend avec une reconnaissance émue les témoignages de plusieurs hauts fonctionnaires de l’ambassade de France dont les initiatives ont sauvé de nombreuses vies dans les moments les plus dramatiques. En retransmettant leur parole et leur vécu, il leur rend un hommage, à titre désormais majoritairement posthume.

50À la lecture des pages de cette œuvre collective, subsiste un sentiment étrange fait d’un mélange de constats concernant des ruptures plus ou moins radicales, des continuités plus ou moins graduelles et surtout des questions encore ouvertes ou à peine effleurées : il s’avère in fine que cette histoire longue et complexe nous réserve autant de surprises que l’avenir même du Chili. Les témoins qui s’expriment en postface comme au cours des trois parties de cet ouvrage, représentent magistralement la complexité de l’histoire chilienne à 40 ans du 11 septembre 1973. Ils font part de leur surprise, de leurs interrogations et des stratégies mises en œuvre pour sauvegarder leur part de dignité et d’humanité dans le contexte d’un déchaînement de violence mortifère que les éditeurs et contributeurs de ce livre cherchent toujours et encore à appréhender, déchiffrer, interpréter. Cet ouvrage qui a été conçu comme un jalon dans ce parcours, espère avoir apporté sa petite pierre à l’édifice.

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10.1017/S0022216X99005349 :

Filmographie

Amnesia, Gonzalo Justiniano, 1994, 90 min., Chili.

Batalla de Chile (La), Patricio Guzmán, 3 parties, 1975-1976/1979, Chili-France-Cuba.

Entusiasmo (El), Ricardo Larraín, 1998, Chili-Espagne-France.

Fiestapatria, Luis R. Vera, 2007, 100 min., Chili-Pérou.

Hija del general (La). Michelle Bachelet, María Helena Wood, 2006, 59 min., Chili-Espagne.

I love Pinochet, Marcela Said, 2001, 52 min., Chili-France.

Nostalgia de la Luz, Patricio Guzmán, 90 min., 2010, France-Allemagne-Chili.

Mi vida con Carlos, Germán Berger-Hertz, 2009, 83 min., Chili-Espagne.

Notes de bas de page

1  Chili 1973-2013, à l’épreuve du temps. Impacts et réinterprétations du 11 septembre chilien, Rennes 19-20 septembre 2013, Brest 23-24 septembre 2013. Ce colloque international organisé en Bretagne, avait également été l’occasion d’activités culturelles riches et variées à Brest et à Rennes : programme disponible en ligne sur : [http://calenda.org/257546] et [http://franchise.hypotheses.org/projet/colloque-chili-en-bretagne/] programme (en ligne en septembre 2014 : la disponibilité en ligne de l’ensemble des références citées a été vérifiée à cette date, elle ne sera donc pas réitérée à chaque fois).

2  Le phénomène n’est pas exclusif à la presse, il s’est manifesté aussi dans les échanges quotidiens et dans les travaux universitaires.

3  L’analyse qui suit est majoritairement centrée sur les répercussions en interne du 11 septembre chilien, elle diffère du point de vue adopté par Olivier Compagnon qui considère la dimension « événement-monde », voir « Chili, 11 septembre 1973. Un tournant du xxe siècle latino-américain, un événement-monde », Revue internationale et stratégique, automne 2013, vol. 91, n° 3, p. 97-105.

4  Pour une vision d’ensemble des premiers vingt ans de règne ininterrompu de cette coalition voir, Bascuñán C., Correa G., Maldonado J. et Sánchez V. (éd.), Más acá de los sueños, más allá de lo posible. La Concertación en Chile, vol. 1 et vol. 2, Santiago, LOM, 2009. Impulsée par la coalition elle-même, cette recherche produit des analyses très documentées, dont néanmoins nous ne partageons pas les interprétations ni les conclusions.

5  Gonzalo Justinano aborde ces problématiques de façon percutante dans son film Amnesia (1994). Dans cette fiction le sergent Zuñiga donne le conseil suivant à un de ses anciens subordonnés : « Preocúpate de tu futuro... a mí me presentaron a una persona que me ayudó a olvidar todo lo negativo y que sólo recordara lo positivo, como una especie de amnesia controlada por ti mismo. Lo que te sirve bien, lo que no te sirve fuera. » Voir aussi Obregón Iturra J. P., « Entre désir d’amnésie et tentation de vengeance. Imaginaires cinématographiques du traumatisme dans le Chili post-dictatorial : Amnesia (1994), de Gonzalo Justiniano », in Yves Hamant (dir.), Après un régime d’oppression : entre amnésie et catharsis, Presses universitaires de Paris Ouest, 2011, p. 181-190.

6  Pour un portrait des principales figures politiques de ces années, voir : Cavallo Ascanio, Los hombres de la transición, Editorial Andrés Bello, 1992.

7  Pour une critique de la position surplombante d’une certaine sociologie et la volonté de redonner aux acteurs étudiés la place qui leur revient, voir Boltanski Luc, De la critique. Précis de la sociologie de l’émancipation, Paris, Gallimard, 2009, notamment chap. ii, p. 39-82.

8  À ce titre on consultera avec grand profit Jablonka Ivan, L’histoire est une littérature contemporaine. Manifeste pour les sciences sociales, Paris, Le Seuil, 2014. Auteur de sa propre biographie familiale, l’auteur conduit notamment une réflexion sur l’engagement du chercheur, le recul épistémologique, le mode objectif et maintes autres questions permettant de réévaluer le « je » du chercheur sans céder en rien à « l’honnêteté » de son entreprise.

9  [http://franchise.hypotheses.org/projet/colloque-chili-en-bretagne/enregistrements]. Parmi d’autres données, on y trouve l’enregistrement complet des interventions et débats du colloque Chili 1973-2013, organisé en Bretagne.

10  Dans le prolongement du projet ARCHIB, financé par la MSH-B : [http://www.mshb.fr/accueil/la_recherche/pole_mondes_armoricains_et_atlantiques/archib_archives_cooperations_et_reseau_de_recherche_sur_le_chili_en_bretagne].

11  « Por una primavera social tuvimos 40 años de infierno e invierno », [http://www.elciudadano.cl/2013/11/04/97482/por-mil-dias-40-anos/].

12  Selon les termes utilisés par Patricio Guzmán, voir chap. iv dans cet ouvrage.

13  Joxe Alain, « Où vont les militaires chiliens ? », in Politique étrangère, n° 1, 1974, p. 70.

14  Tout au long de son parcours Damiela Eltit affirme des positions critiques. Son questionnement ne se limite pas aux pouvoirs établis, au discours officiels, ni à la violence exercée par le modèle économique, il se caractérise également par des choix d’écriture remettant en question les cadres établis, voir Pélage Catherine, « Caminos estéticos y nuevas resistencias de Damiela Eltit », in L. Boussard et B. Santini (éd.), Chile en el silgo XXI : ¿ Nuevos recorridos artísticos, nuevos caminos históricos ? », Santiago, Piso Diez Ediciones, 2013, p. 109-122.

15  Qu’elles aient été perçues ainsi n’implique pas qu’elle n’aient pas eu des antécédents, le plus marquant ayant été le mouvement lycéen en 2006 (pingüinos).

16  Un des contre-exemples à signaler étant : Torres Pablo et Valenzuela Juan, « El triunfo de la derecha y el fin de un ciclo político », Estrategia internacional, n° 26, mars 2010.

17  Voir témoignages dans Nostalgia de la Luz, P. Guzmán, 2011.

18  [http://www.derechoshumanos.net/lesahumanidad/informes/informe-rettig.htm].

19  Cavallo Ascanio, La historia oculta de la transición. Memoria de una época 1990-1998, Santiago Uqbar editores, 1998.

20  Attentat exécuté par le FPMR : Frente Patriótico Manuel Rodríguez.

21  En février 1991 la Commission Retting remet son rapport au président Aylwin, qui le rend public début mars. Jaime Guzmán succombe le 1er avril à l’attentat mortel dont il était la cible.

22  Entre-temps des initiatives d’un autre genre avaient néanmoins eu lieu, voir Loveman Brian et Lira Elizabeth, El espejismo de la reconciliación política. Chile 1990-2002, LOM/DIBAM, « Mesa de diálogo », 2002, p. 277-286.

23  Toutes deux sont des commissions dites de « mémoire et vérité » et n’ont pas de conséquences judiciaires directes.

24  [http://www.derechoshumanos.net/paises/America/derechos-humanos-Chile/informes-comisiones/comision-nacional-prision-politica-y-tortura.htm].

25  Le cinéma brosse encore une fois un portrait implacable des années en question, voir Larraín Ricardo, El Entusiasmo, 1998.

26  Tomás Moulián en faisait déjà un diagnostic sans concessions dans Chile Actual. Anatomía de un mito, LOM ediciones – ARCIS, 1997, qui demeure un ouvrage de référence.

27  Dans la perspective d’une sociologie historique des sciences de gouvernement Olivier Ihl interroge et analyse « les processus par lesquels une prétendue science économique d’inspiration monétariste a pu se constituer en sciences de gouvernement », « Objetividad de Estado. Sur les sciences de gouvernement des Chicago boys dans le Chili de Pinochet », Revue Internationale de Politique Comparée, vol. 19, n° 3, 2012, p. 67-88.

28  L’éducation est un exemple emblématique du système mis en place sous la dictature et continué par la suite. Depuis l’entrée du Chili dans l’OCDE les rapports sont assez explicites en la matière. En 2011, le Chili était le pays de l’OCDE où l’apport des familles à l’éducation était le plus important et où le système d’éducation privée, en coût relatif, était le plus élevé. Voir les données toujours d’actualité citées par Brunner José, Gestión escolar : su especial importancia en Chile, Santiago de Chile, Centro de Políticas Comparadas en Educación, 2010, p. 5. Voir aussi OCDE, « Quelle part des dépenses publiques et privées sont consacrées à l’éducation ? », in Regards sur l’éducation 2014 : Panorama, Éditions OCDE, 2014. Le Chili est toujours « le pays où la dépense des ménages est la plus élevée ».

29  Voir Bourguignat Charlotte, « La dictature de Pinochet vue par la presse écrite au lendemain de sa mort », mémoire IEP – SciencesPo – Rennes, 2008.

30  The Clinic, n° 195, 20 décembre 2006.

31  Expression issue du rapprochement phonique entre certains mots et des personnages célèbres, ici « Liz Taylor » pour « listo/a ». Ce gros titre du journal The Clinic est devenu très populaire, on trouve aussi un site nommé : [http://www.listeilor.com].

32  Pour une interprétation des tenants et aboutissants de ces épisodes voir, Obregón Iturra J. P., « Le sexe au cinéma dans le Chili de la post-dictature : vers une révolution des mœurs ? El Chacotero sentimental (Galaz, 1999) et autres sexy-comédies », in J. P. Obregón Iturra et A. Pineda Franco (éd.), Cinéma et turbulences politiques en Amérique Latine, Rennes, PUR, 2012.

33  Augusto Pinochet : « No se mueve ninguna hoja en este país si no la estoy moviendo yo, que quede claro (Revista Ercilla, 13 de octubre de 1981). »

34  Opinion émise par d’anciens partisans pour lesquels il était devenu encombrant, surtout depuis que ses comptes secrets à l’étranger avaient été dévoilés (Riggs notamment).

35  Dans le corps de la revue d’autres éléments renforcent cette idée, voir par exemple : Los Bunkers, « No ha muerto, sólo su corazón se detuvo », op. cit., p. 64.

36  N° 500 du 27 juin 2013 et n° 312, 24 septembre 2019.

37  « Lucifer de vacaciones, Cambio de mando en el infierno “desde Franco que no descansaba” declaró visiblemente agotado », op. cit. p. 2 ; « Los dictadores celebran en el infierno una fiesta pro-Pinochet », op. cit., p. 25.

38  Arce Luz, El infierno, Santiago, Editorial Planeta, 1993.

39  Loveman Brian et Lira Elizabeth, El espejismo de la reconciliación política. Chile 1990-2002, LOM/DIBAM, 2002.

40  Toutefois, il ne faudrait pas trop accentuer l’exception chilienne : par certains aspects au niveau régional le cas du Brésil n’est pas très éloigné.

41  La réforme de la Constitution, promesse de campagne de Bachelet en 2013, est mise à l’agenda. Reste à savoir quelle sera la profondeur des changements.

42  Portales Felipe, Una democracia tutelada, Santiago, Editorial Sudamericana, 2000.

43  Sur la forte réactivité à la conjoncture politique et l’anticipation dans la création du parti UDI, Jaime Guzmán Errázuriz et son équipe ont coiffé sur le fil tout le reste de la droite, voir ici Rubio (chap. viii). Quant au rôle joué par Guzmán pour faire de la Constitution un verrou à tout changement voir Cristi Renato, El pensamiento político de Jaime Guzmán : autoridad y libertad, Santiago, LOM, 2000 ; ainsi que Huneeus Carlos, El régimen de Pinochet, Santiago, Editorial Sudamericana, 2000, notamment chap. v et xi.

44  Parmi les pays de l’OCDE, le Chili est le plus inégalitaire en termes de revenus selon l’indice de Gini : [https://data.oecd.org/fr/inequality/inegalite-de-revenu.htm].

45  Mayol Alberto, El derrumbe del modelo. La crisis de la economía de mercado en el Chile contemporáneo, Santiago, LOM Ediciones, 2012.

46  Rien qu’en septembre 2013, outre à Rennes et à Brest, des colloques ont été organisés à Grenoble et à Paris, ainsi qu’une table ronde à Biarritz.

47  Voir notamment, Wilde Alexander, « Irrupciones de la memoria : la política expresiva en la transición a la democracia en Chile », in Anne Pérotin-Dumont (dir.), Historizar el pasado vivo en América Latina, 2007, [http://etica.uahurtado.cl/historizarelpasadovivo/es_contenido.php].

48  Loveman Brian et Lira Elizabeth, El espejismo de la reconciliación política. Chile 1990-2002, LOM/DIBAM, 2002, p. 273-276.

49  Paulina C. Peralta analyse très précisément l’émergence de cette fête nationale au début du xixe siècle. Elle décèle les tensions et continuités entre les célébrations coloniales et républicaines, le passage progressif de trois dates festives a une seule, puis la délicate intégration – efficacement réussie – d’éléments de sociabilité populaire dans une fête instaurée par les élites, ¡ Chile tiene fiesta ! El origen del 18 de septiembre (1810-1837), LOM Ediciones, 2007.

50  Fiestapatria, Luis R. Vera, 2007, 100 min., Chili-Pérou.

51  Ceci dit, la partie officielle de la fête nationale, notamment les interventions des autorités et le défilé militaire, peuvent aussi être source de dissension et conflit.

52  L’expression s’inspire du titre de l’ouvrage de Illanes María Angélica, La batalla de la memoria. Ensayos Históricos de Nuestro Siglo. Chile, 1900-2000, Santiago, Planeta/Ariel, 2002.

53  Ricœur Paul, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Le Seuil, 2000, p. 96.

54  Tels que les décrivait Halbwachs Maurice, Les cadres sociaux de la mémoire, Paris, Albin Michel, 1994 (1925).

55  Mi vida con Carlos, Germán Berger-Hertz, 2009, 83 min., Chili-Espagne.

56  Verdugo Patricia, Los Zarpazos del Puma, 1989, CESOC.

57  « Y, finalmente, es imposible olvidar el conmovedor esfuerzo del abogado Sergio Arellano Iturriaga por limpiar las manos de su padre de tanta sangre derramada, [...] Cuando lo vi, no tuve dudas. Estaba frente a otro tipo de víctima de esta tragedia : su único hijo hombre, el que lleva su mismo nombre, el que creció sintiéndose orgulloso de su progenitor, el que necesita vitalmente creer en su inocencia, el que necesita urgentemente vocear su inocencia. Ahí estaba, sentado frente a mí, hurgando papeles y esgrimiendo argumentos con la desesperación en cada gesto, para defender lo indefendible », op. cit., p. 181.

58  Sur les différents moments de résurgence de la mémoire après la passation de pouvoir de 1990, voir Wilde Alexander, « Irruptions of Memory: Expressive Politics in Chile’s Transition to Democracy », in Journal of Latin American Studies 31, 1999, p. 473-500. Version en espagnol in Pérotin-Dumon (dir.), Historizar el pasado vivo en América Latina, 2007, [http://etica.uahurtado.cl/historizarelpasadovivo/es_contenido.php].

59  En septembre 2013, les médias ont été littéralement envahis par des émissions spéciales, des bilans, récapitulatifs et autres remémorations.

60  I love Pinochet, Marcela Said, 2001, 52 min., Chili-France.

61  Evelyn Matthei, fille d’un des anciens généraux de la junte militaire, était la candidate de la Alianza (coalition des deux partis de droite). L’actuelle présidente Michèle Bachelet, fille d’un général mort des suites de la répression, briguait en 2013 un deuxième mandat présidentiel au nom de la Nueva Mayoría (ex-Concertation rejointe par le PC). Sur son itinéraire on verra encore avec profit un documentaire un peu ancien : La hija del general. Michelle Bachelet, María Helena Wood, 2006, 59 min., Chili-Espagne ; voir également : Baeza Duffy Patricia, « La reconstrucción de la Memoria en La Hija del General », in Revista Austral de Ciencias Sociales, n° 21, 2011, p. 41-68.

62  Il met notamment l’accent sur ces aspects dans Joxe Alain, « Le Chili et la violence, une anthropologie stratégique de la patrie sociale », in Chili, 11 septembre 1973. La démocratie assassinée, Paris, Le Serpent à Plumes – Arte Éditions, 2003, p. 121-149.

63  Voir p. 43, Joxe Alain, Las fuerzas armadas en el sistema político chileno, Santiago Editorial universitaria, 1970. Il n’est certainement pas le seul à avoir conduit une telle analyse mais il a sans nul doute été un pionnier.

64  Citons en tant que modèle du genre, ayant eu beaucoup d’audience en son temps et qui reste un ouvrage de référence : Valenzuela Arturo, El quiebre de la democracia en Chile, Santiago, Flacso, 1989 (1978).

65  Cette répercussion internationale est traitée par Compagnon Olivier, « Chili, 11 septembre 1973. Un tournant du xxe siècle latino-américain, un événement-monde », Revue internationale et stratégique, vol. 91, n° 3, automne 2013, p. 97-105.

66  Le colloque de départ comportait plusieurs communications concernant le monde Mapuche qui dans un avenir proche feront l’objet d’une publication autonome.

67  Ces films ont bénéficié de nombreuses récompenses, le dernier vient d’être primé à la 65e Berlinade par l’ours d’argent du meilleur scénario, 2015.

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