Hollywood et la morale au cinéma : un pari rentable ?
p. 159-168
Texte intégral
1Les représentations de relations amoureuses et de sexualité ont toujours été présentes dans les arts, à l’exemple de certains films qui les mirent rapidement en scène dès le début du cinéma. Cependant, l’exploitation dans les salles américaines de ce type de films a vite poussé certains membres du public ou certaines autorités locales à demander l’instauration d’une censure à Hollywood. L’article va montrer que les studios hollywoodiens se régulèrent eux-mêmes afin de tenir à l’écart cette menace qui pouvait peser sur leur chiffre d’affaires. Cette attitude a ensuite perduré jusqu’à notre époque où les mœurs sont peut-être moins prudes, mais où la structure même du public américain n’encourage pas Hollywood à produire des œuvres licencieuses. Cependant, dans un contexte moral particulier (qui conduisit par exemple à l’élection de G. W. Bush à la Maison-Blanche), certains ont continué à trouver la production hollywoodienne moralement répréhensible. L’article va donc s’intéresser aux films de Walden Media, compagnie de production créée pour réagir à la violence et à la dissolution des mœurs que les fondateurs de cette compagnie estiment voir trop souvent sur les écrans.
Une préoccupation ancienne
2Aux États-Unis, la représentation d’images ou de scènes susceptibles de choquer les spectateurs en raison de leur contenu licencieux a très vite préoccupé les défenseurs d’une certaine morale. Sans vouloir retracer l’historique de la mise en place de la censure aux États-Unis, signalons quand même certains faits.
3Le faible coût des places dans les premiers cinémas appelés nickelodeons (un nickel = 5 cents) mettait le nouveau loisir à la portée de tous, enfants comme adultes et donc, aux yeux de certains, à la portée d’esprits pouvant être influencés par les images licencieuses qu’ils voyaient dans une atmosphère jugée trop propice à la promiscuité1.
4Ce faible coût permettait aussi aux nouveaux immigrants de voir des films (sans véritable difficulté de compréhension puisque le muet restera la norme jusqu’en 1927). Or ces nouveaux immigrants, souvent pauvres, illettrés et issus de l’Europe de l’Est et du Sud, n’étaient pas toujours les bienvenus pour certains citoyens américains WASPs (White Anglo-Saxon Protestant), qui essayaient de limiter leur nombre à travers différentes lois. Que dire alors si ces immigrants, parfois considérés comme « inférieurs », voyaient des films aux titres aussi « dangereux » que Le vol du grand rapide (Edwin S. Porter, 1903) ou Le Bigame (1907). Ils n’en seraient que plus enclins à tomber dans la criminalité ou la luxure ! À une époque où les esprits sortaient à peine du corset victorien qui avait pesé sur les mentalités, des comités de censure (laïcs et religieux) se mirent donc rapidement en place aux États-Unis pour lutter contre l’immoralité à l’écran2. Ces comités ayant chacun leurs propres critères, l’industrie cinématographique américaine naissante vit avec hantise se dessiner la perspective de devoir créer une copie différente pour chaque localité tandis que se profilait aussi l’éventuelle menace d’une censure fédérale. Ne voulant ni de l’une ni de l’autre, les producteurs américains mirent en place leur propre comité de censure, réaction qui deviendra habituelle à chaque menace de censure fédérale. Ce comité se réunit pour la première fois en mars 1909, mais n’empêcha pas certains États de créer leur propre organisme de censure (la Pennsylvanie en 1911, l’Ohio et le Kansas en 1913 par exemple3).
5Le comité de censure des producteurs ne survécut pas à la vague de scandales qui toucha ensuite le monde du cinéma américain au début des années 1920. Le titre et le contenu de certains films posaient toujours problème. À cela s’ajoutaient les scandales liés à la vie de stars de cinéma maintenant devenues des personnalités de la vie publique américaine. Le public fut ainsi choqué par la mort d’une starlette en septembre 1921 à San Francisco lors d’une fête très agitée organisée par la star du comique de l’époque, Roscoe « Fatty » Arbuckle (cette mort tragique valut plusieurs procès à ce dernier et lui coûta sa carrière). Par ailleurs, la censure locale existait toujours et la menace d’une enquête puis d’une censure fédérale se profilait à nouveau4. Les principaux producteurs hollywoodiens créèrent alors la MPPDA (Motion Picture Producers and Distributors of America) à qui les studios soumettraient leurs scripts de façon volontaire. La MPPDA renforça ensuite son action en 1927 en publiant une série de sujets à ne pas montrer ou à traiter avec le plus grand discernement. Néanmoins, cela n’apaisa pas certaines organisations protestantes et catholiques qui continuèrent à surveiller les studios (souvent contrôlés par de nombreux producteurs de confession juive). De plus, l’arrivée du son (avec le succès du Chanteur de Jazz, A. Crosland, 1927) laissait entrevoir de nouvelles sources de menace pour l’ordre moral, notamment à travers les sous-entendus de certains dialogues, or toute censure locale exigeant une coupe aurait induit des problèmes de synchronisation de la copie. Hollywood ne pouvait donc s’exposer à de nouveaux risques de censure à une époque où les investissements nécessités par le passage au son étaient très importants (au point de rendre les studios plus ou moins dépendants des banques). Voulant à tout prix éviter que l’on se mêlât de leurs affaires, les patrons des studios tombèrent d’accord sur la nécessité d’un nouveau code. Publié en 1930, mais plus ou moins contourné pendant quelques années par les producteurs, ce code fut réellement appliqué à partir de 1934 (Hollywood ressentait alors pleinement les effets de la crise de 1929 et ne pouvait plus se permettre d’ignorer les nouvelles menaces de censure). Ce code, parfois appelé « code Hays5 » et géré par la PCA (Production Code Administration), était plus contraignant : les producteurs devaient le respecter pour avoir le sceau de la PCA et ne pouvaient exploiter un film sans ce sceau sous peine d’amende.
6Le « code Hays » resta en place jusqu’au milieu des années soixante, lorsque son obsolescence fut soulignée par les différentes contestations agitant la société américaine. Jack Valenti, alors à la tête de la MPAA (Motion Picture Association of America), décida en accord avec les studios de produire un nouveau code plus adapté (toujours afin de prévenir d’éventuelles attaques de parents ou de fidèles indignés). Ce code vit le jour en 1968, fut légèrement remanié dans les années 1980 et se compose actuellement de 5 lettres : G (tout public), PG (accord parental), PG-13 (déconseillé aux moins de 13 ans), R (interdit aux moins de 17 ans non accompagnés) et NC-17 (interdits aux moins de 18 ans).
Montrer des scènes licencieuses n’est actuellement pas rentable
7De nos jours, les mœurs se sont libérées, mais depuis les années 1970 les studios (qui ont été absorbés par de grands conglomérats industriels cotés en bourse) savent qu’ils n’ont financièrement pas intérêt à produire des films représentant relations amoureuses et sexualité de façon trop explicite, et ce pour deux raisons.
8• Ces films auront de toute façon une lettre plus élevée que d’autres, et les studios et distributeurs auront alors plus de mal à leur trouver des salles et de la publicité. Le réalisateurPaul Verhoeven dut ainsi couper quarante-deux secondes de Basic Instinct (1992) devant la menace, en cas de classement NC-17, de perdre environ neuf cents écrans sur près des mille deux cents prévus pour la sortie du film (le film fut finalement classé R).
9Seuls les films classés R ayant éventuellement une chance aux Oscars pourront peut-être intéresser les studios et trouver un nombre de salles assez élevé. Ainsi Black Swan (Darren Aranosfsky, 2010), classé R notamment pour sa violence et ses scènes de sexe, fut distribué par Fox Searchlight aux États-Unis le 3 décembre 2010 d’abord dans 18 salles, puis dans 959 salles lorsque les nominations aux Oscars apparurent avant de passer à 2407 écrans vers la fin janvier (période se situant entre les nominations et la cérémonie des Oscars6).
10• Les studios sont moins intéressés par les films classés R ou NC-17 car ils ne sont pas les plus rentables. La liste établie par la MPAA depuis quelques années concernant les 20 (maintenant 25) premiers films au box-office américain montre nettement une majorité de films classés PG et PG-13 comme le montre le graphique suivant :
11
Source : [http://www.mpaa.org].
12Les films visibles par un jeune public sont donc les plus rentables. De plus, si la sortie au cinéma devient familiale, les films classés PG et PG-13 sont aussi intéressants, car ils sont souvent le spectacle choisi face à des films R visant un public plus adulte. Le discours d’un roi (Tom Hooper, 2010), grand vainqueur des Oscars 2011 et d’abord distribué aux États-Unis en « version R » en raison d’une séquence comportant de nombreux jurons, fut ainsi remonté afin de sortir en « PG-13 » et être visible par un public familial7.
13Les films classés R sont financièrement moins intéressants et, de plus, ne peuvent être vus par les jeunes de 2 à 17 ans. Or, depuis les années 1970, ces derniers représentent une importante partie du public américain : 26 % de ce public en 2010 contre 12 % pour les 18-24 ans et 23 % pour les 25-39 ans. Par ailleurs, ces jeunes de 2 à 17 ans représentent depuis longtemps le plus fort pourcentage (27 % en 2010) parmi ceux allant au moins une fois par mois au cinéma8.
14Les productions montrant des scènes licencieuses étant moins rentables, l’intérêt financier a donc conduit les studios à se concentrer sur des productions surtout visibles par un jeune public, mais la façon dont Hollywood s’y est pris n’a pas satisfait tout le monde aux États-Unis, et c’est dans ce contexte que l’on peut placer la création de Walden Media.
Walden Media et la moralité au cinéma
Les créateurs et leur but
15La société Walden Media a été créée par Michael Flaherty et Cary Granat. Les deux hommes s’étaient connus à l’université, puis avaient mené des carrières séparées jusqu’à ce qu’ils aient à nouveau l’occasion de discuter lors du mariage de M. Flaherty en 1999. C. Granat était président de Dimension Films, filiale des studios Miramax aujourd’hui disparus ; M. Flaherty travaillait pour le système éducatif public de la région de Boston, et avait remarqué qu’un divertissement populaire, tel Titanic (J. Cameron, 1997), pouvait développer une envie de connaissance, ce film ayant poussé des jeunes à fréquenter les bibliothèques afin d’en savoir plus sur la catastrophe9. De leur conversation émergea l’idée de créer quelque chose pouvant faire le lien entre éducation et divertissement, tout en étant différent de ce qui existait alors : ils souhaitaient raconter des histoires extraordinaires, enthousiasmantes, voire provocatrices pour la famille, mais sans jurons ni violence, sans sexe ni drogues10. Ces propos reflètent aussi un attachement à une certaine morale de la part de M. Flaherty qui ne cache pas ses convictions depuis sa renaissance à la foi chrétienne en 199911.
16Ce fut aussi M. Flaherty qui proposa le nom de Walden inspiré par Henry David Thoreau et Walden Pond, concept transformé en image sous la forme d’un caillou ricochant sur une surface liquide pour le logo apparaissant au début des productions Walden. Y fut ensuite associé le terme Media puisque les deux hommes voulaient que les médias servent à éduquer et divertir les enfants (le côté éducatif de leur projet les a d’ailleurs conduits à rester en étroit contact avec la communauté éducative12). Walden Media fut donc créée en 2001 afin de produire des films (et publier des livres) mélangeant adroitement éducation et divertissement.
17Cependant, les deux associés se rendirent rapidement compte qu’il leur faudrait beaucoup d’argent pour monter un studio de production. Ils trouvèrent alors un appui financier important auprès de Philip Anschutz. Classé 34e plus grande fortune américaine avec 7 milliards de dollars (et 123e milliardaire mondial) par Forbes en 201113, cet entrepreneur américain ne cache pas ses convictions politiques et religieuses. Membre de l’église presbytérienne évangélique, c’est un chrétien conservateur qui est un donateur du parti républicain, a financièrement aidé B. Dole, son ami de longue date, et a soutenu l’administration républicaine de G. W. Bush. Lors d’un discours en février 2004, P. Anschutz fit clairement connaître son point de vue sur les films hollywoodiens et la raison pour laquelle il s’était lancé dans la production de longs-métrages : il expliqua qu’il se plaignait des films et de leur contenu depuis des années, et qu’il avait donc décidé de faire quelque chose à ce sujet en se lançant dans l’industrie cinématographique14.
18Auparavant, il avait également racheté plusieurs circuits de salles de cinéma, si bien qu’en 2002, sa société appelée Regal Entertainment Group contrôlait 5885 écrans, soit environ 17 % du parc américain15. Cette situation a attiré l’attention de certains spécialistes des lois antitrust, mais pour les créateurs de Walden Media, l’appui de cette société devint un atout dans un milieu où domine la sortie dite « en saturation », c’est-à-dire sortir un film en même temps à travers tout le pays et sur le plus grand nombre d’écrans possible.
Un contexte favorable
19Le contexte de 2001 se prêtait aussi à la création d’une société de production aux visées morales.
20Les fondamentalistes de la droite chrétienne américaine faisaient leur retour sur la scène publique après une absence de près de cinquante ans appelée le Grand Renversement16. Ils avaient déjà été sensibles à la rhétorique du républicain R. Reagan qu’ils avaient soutenu lors de ses deux élections à la Maison-Blanche en 1980 puis 1984. Leur détestation du démocrate B. Clinton les fit ensuite voter massivement pour G. W. Bush en novembre 2000 (« 80 % des électeurs évangéliques votèrent pour [lui17] »). La société américaine voyait aussi monter en puissance depuis quelques années une vague conservatrice hostile à l’avortement et favorable à la moralisation de la société. Les buts déclarés des fondateurs de Walden faisaient donc écho aux préoccupations de la droite conservatrice chrétienne.
21Les chrétiens sont très nombreux aux États-Unis et représentaient en 2000 près de 76 % de la population18. Beaucoup vont tous les dimanches à l’église, où certains films aux thèmes ouvertement chrétiens, comme ceux tirés de la série de romans Les survivants de l’Apocalypse, avaient commencé à connaître un très grand succès en étant simplement distribués dans les « méga-églises19 ». Si l’on proposait à ce public des productions leur convenant, certains reviendraient alors dans les salles de cinéma qu’ils avaient désertées pour cause de films à la moralité douteuse. De plus, s’ils allaient au cinéma en famille presque aussi fréquemment qu’ils allaient à l’église, cela serait aussi très intéressant. Ces spectateurs s’ajouteraient alors aux familles avec enfants qui, en 2001, représentaient 25 % du public allant au moins une fois par mois au cinéma tandis que celles avec adolescents en représentaient 3020 %. Il existait donc un potentiel de spectateurs susceptibles d’être intéressés par des films mettant en avant une morale correspondant à leurs attentes. Or, c’était le souhait des fondateurs de Walden Media.
22Ils furent aussi confirmés dans leur projet par le succès très inattendu21 de La Passion du Christ (Mel Gibson, 2004), film à la fin violente et tourné en araméen, latin et hébreu, langues qui ne sont pas familières aux oreilles des Américains contemporains (qui répugnent déjà à voir des films en version originale sous-titrée !).
23Néanmoins, M. Flaherty et C. Granat savaient que dans un monde hollywoodien dominé par les blockbusters, il leur faudrait des moyens importants pour se faire remarquer ; en 2001 le coût moyen d’un film était de 47,7 millions de dollars pour les studios et de 31,5 millions pour leurs filières tandis que celui du marketing était respectivement de 31,01 millions et de 9,5 millions22. De plus, les films Walden étaient destinés à présenter des mondes extraordinaires exigeant des trucages assez coûteux. Voilà pourquoi, même avec l’apport financier de P. Anschutz, Walden Media allait travailler en coproduction avec d’autres compagnies (souvent de gros studios comme Disney, Paramount, Twentieth Century Fox ou Warner Bros23).
Le contenu des films est « moral » et éducatif
24Les films coproduits par Walden Media témoignent du but recherché par les fondateurs de la compagnie. Les trois adaptations des Chroniques de Narnia relèvent notamment d’une thématique chrétienne, avec les thèmes de la résurrection dans le 1er, la nécessité de croire face à l’adversité, au doute et à la persécution dans le 2e, le péché et la rédemption dans le 3e.
25Presque tous les films coproduits par Walden Media ont des enfants pour personnages principaux, enfants qui doivent surmonter certaines épreuves destinées à les rendre plus mûrs selon des codes ou un contexte liés à une tradition plutôt conservatrice où la dimension familiale24 a son importance. La quête de ces enfants va les élever vers une plus grande noblesse d’âme tandis qu’elle transformera aussi celles et ceux qu’ils côtoient.
26Enfin, les films Walden sont parfois des adaptations de classiques de la littérature enfantine (comme Voyage au centre de la terre de Jules Verne, Les Chroniques de Narnia de C. S. Lewis ou Le petit monde de Charlotte d’E. B. White) ou de livres primés et destinés à un jeune lectorat (comme Chouette de C. Hiaasen ou Mon nom est David d’A. Holm). Cela représente à la fois un gage de sérieux et un argument commercial auprès de parents soucieux de bien éduquer leurs enfants. Cela souligne aussi la volonté éducatrice des fondateurs dans un monde où la lecture perd de son importance face aux nouveaux médias que sont les jeux vidéo et Internet.
Un pari rentable ?
27Tous les films Walden peuvent être vus par un public familial puisque les productions sont classées G pour quelques-unes et le plus souvent PG, l’objectif des créateurs de Walden n’étant pas de produire des films susceptibles d’être classés R (PG-13 est le rating le plus « osé » que P. Anschutz puisse admettre25).
28Les films Walden reflètent donc l’éthique et les intentions des créateurs de cette compagnie. Nous avons affaire à une démarche suivie de bout en bout, démarche qui est originale dans un contexte cinématographique où l’on voit plus souvent des films flirtant avec le scandale, thème souvent mis en avant comme l’a par exemple montré tout le battage médiatique fait autour de Basic Instinct. Néanmoins, dans le monde impitoyable hollywoodien, les productions Walden Media sont-elles rentables ?
29Cet aspect-là semble pour l’instant assez satisfaisant lorsque l’on regarde le box-office des films coproduits par Walden. Comme tout pari « industriel », l’ensemble de ces films ne peut être rentable. Ainsi La cité de l’ombre (G. Kenan, 2008) et Le tour du monde en 80 jours (F. Coraci, 2004) furent jugés comme de lourds échecs26. Mais sur l’ensemble des films sortis entre 2003 (date du premier long-métrage coproduit par Walden) et 2010, ces derniers obtiennent d’assez bons résultats, notamment avec le « porte-drapeau » de la société que représente l’adaptation des Chroniques de Narnia. Certes, l’échec du 2e opus (Prince Caspian) aux États-Unis et ses résultats décevants à l’étranger27 amenèrent Disney à quitter l’aventure après les deux premières coproductions. Mais certains attribuèrent cet échec à une mauvaise date de sortie (en mai 2008 alors que le précédent était sorti en décembre 2005, période jugée plus propice pour son thème) et à une campagne de marketing courtisant trop les fans masculins de la trilogie du Seigneur des anneaux. Cela rebuta parfois certains spectateurs, notamment le public familial avec jeunes enfants qui avait aimé le 1er opus des Chroniques (Le lion, la sorcière blanche et l’armoire magique). Le 3e opus (L’odyssée du passeur d’aurore, Michael Apted, 2010) eut un budget de 155 millions de dollars (en coproduction, notamment avec 20th Century Fox) et réintégra le mois de Noël pour sa date de sortie (le 10 décembre 2010). Son exploitation aux États-Unis rapporta environ 104,4 millions de dollars, ce qui fut à nouveau décevant, mais 310,30 millions de dollars à l’étranger28, soit mieux que Prince Caspian, ce qui permettait alors d’envisager Le neveu du magicien comme prochaine adaptation des Chroniques. Par ailleurs, l’ensemble des sorties prévues pour 2011 et 2012 incluait des films susceptibles d’être des succès comme Voyage 2 : l’île mystérieuse (Brad Peyton).
30Pour leur box-office, les films Walden peuvent aussi bénéficier du relais publicitaire de certaines communautés chrétiennes. Ainsi, pour le 1er opus des Chroniques, de nombreux pasteurs furent invités à des avant-premières, afin qu’ils puissent ensuite répandre la « bonne parole » lors de leurs sermons, voire utiliser certains passages du film dans un but prosélyte (ce marketing fut à nouveau utilisé pour le 3e opus). Des sites internet proposèrent aussi toutes sortes d’activités religieuses liées au film tandis que la compagnie de publicité Motive Marketing29, qui s’était déjà chargée du marketing de La Passion du Christ, fit la promotion du film auprès du public susceptible d’être favorable au message de Walden et de ses Chroniques30. Pour le 3e opus, l’organisation humanitaire évangélique du pasteur Franklin Graham lança l’Opération Narnia de juillet à décembre 2010, opération destinée à sensibiliser les jeunes chrétiens américains au film en les invitant à faire des dons au bénéfice d’enfants défavorisés dans le monde.
31Le pari de Walden n’est donc pas un échec patenté et ressemble au bilan d’autres studios (avec d’ailleurs plus de succès que d’échecs). Cela peut s’expliquer par le fait qu’une partie du public américain fasse maintenant confiance au logo Walden, notamment le public familial avec jeunes enfants et cette frange de chrétiens qui avaient déserté les salles de cinéma. Dans le paysage cinématographique, Walden Media peut donc devenir un second Disney, symbole de films sans problème pour les parents qui emmènent leurs enfants au cinéma.
32À l’heure de la mondialisation de l’économie où les succès sur le territoire américain ne sont plus les seuls à compter aux yeux des studios, le pari Walden est aussi gagnant en raison du public ciblé. Il y a des enfants sur toute la planète qui sont donc susceptibles d’aller voir ces films avec leurs parents comme ils iraient voir le dernier Disney. Cela explique le succès de la plupart des sorties Walden à l’étranger. Cependant, la publicité faite autour des coproductions Walden met rarement en avant l’aspect chrétien lors de leur exploitation à l’étranger. Ainsi, hormis quelques messages destinés à des communautés ciblées (par exemple en Grande-Bretagne) la sortie des Chroniques de Narnia en Europe, et notamment en France, promettait un spectacle de fantaisie, de féerie, mais rien de plus. Walden, mais aussi Disney et les autres studios associés à Walden, savent qu’en dehors des États-Unis, une publicité insistant ouvertement sur un caractère prosélyte risquerait de détourner les spectateurs, ce qui représenterait alors une menace pour le box-office étranger de leurs films.
33Représentations de scènes licencieuses et demande de censure ont toujours existé aux États-Unis depuis que le cinéma est né. En s’autorégulant et en ne produisant pas vraiment de films sexuellement explicites, les studios ont su écarter le spectre de cette censure, car elle aurait représenté une intervention dans leurs affaires et une menace pour leurs intérêts financiers. De nos jours, la compagnie Walden Media est venue s’inscrire dans ce débat en proposant une solution alternative « façon Disney », mais avec des films produits par une société dont les buts « moralisateurs » et religieux sont clairement exprimés. Dans le monde des sociétés de production indépendantes, où l’on a plus souvent vu la mise en avant de l’aspect créatif et artistique face aux « grosses machines » hollywoodiennes, Walden Media se singularise par sa démarche originale. Ses films ne brillent pas par leur démarche artistique (ils n’ont rien de cinématographiquement novateur, et sont surtout des réalisations « solides »), mais se démarquent par le message qu’ils transmettent tout en étant souvent assez rentables. Néanmoins, le pari des créateurs de Walden ne peut ignorer la réalité du marché (ce dernier rendant nécessaire un coproducteur) et la prise en compte d’une mondialisation où le public n’a pas forcément envie d’être édifié, mais juste amusé, et ce sont ces données qui assureront la pérennité du projet.
Notes de bas de page
1 Anna Shaw, féministe réformatrice, qualifiait les nickelodeons de « centre de recrutement pour le vice » (Bowser E., The Transformation of Cinema, Berkeley, University of California Press, 1990, p. 38).
2 Certaines autorités locales avaient déjà ordonné la fermeture temporaire de nickelodeons comme le fit le maire de New York la veille de Noël en 1908 (Bowser E., op. cit., p. 48).
3 Koszarski R., An Evening’s Entertainment, Berkeley, University of California Press, 1990, p. 198.
4 Ibid., p. 202-204.
5 Du nom de Will Hays, directeur de la MPPDA.
6 [http://www.boxofficemojo.com], consulté le 11 mars 2010.
7 Kay J., « TWC to release PG-13 version of The King’s Speech », [http://www.screendaily.com], 24 mars 2011, consulté le 14 mai 2011.
8 MPAA, 2010 Theatrical Market Statistics, p. 9.
9 [http://www.boston.com], consulté le 25 mars 2011.
10 [http://www.tufts.edu], consulté le 25 mars 2011.
11 [http://sixseeds.tv], consulté le 25 mars 2011.
12 [http://old.nationalreview.com], consulté le 25 mars 2011.
13 [http://www.forbes.com], consulté le 7 mars 2011.
14 Moring M., « Hollywood Hellfighter », [http://www.christianitytoday.com], 13 mai 2008, p. 3, consulté le 12 novembre 2010, et Jewell J., « #44. Philip Anschutz. Media Mogul », [http://therooftopblog.wordpress.com], 10 juin 2010, consulté le 26 novembre 2010.
15 Dorio C., « Anschutz adds more of Regal », [http://www.variety.com], 29 mai 2001, consulté le 7 janvier 2011, et « Exhib King rolls out Regal IPO », [http://www.variety.com], 11 mars 2002, consulté le 7 janvier 2011.
16 Ben Barka M., La droite chrétienne américaine, Courtry, Éditions Privat, 2006, p. 48.
17 Ibid., p. 59.
19 Fath S., Dieu XXL : la révolution des megachurches, Paris, Éditions Autrement, 2008, p. 95.
20 MPAA, 2002 Movie Attendance Study, [http://www.mpaa.org], p. 10, consulté en mai 2003.
21 Le film, classé R, coûta 30 millions de dollars, mais en rapporta 370,78 millions aux États-Unis, [http://www.boxofficemojo.com], consulté le 14 mai 2011.
22 2002 MPA Market Statistics, p. 19-20, [http://www.mpaa.org], consulté le 11 juin 2003.
23 [http://www.boxofficemojo.com], consulté le 17 mars 2011.
24 Du moins telle qu’elle est recherchée, car les familles Walden sont souvent « à problèmes » ou « amputées » d’un membre – père ou mère –, au début des films.
25 Weinkopf C., « Movie Messiah », [http://web.archive.org], 12 décembre 2005, consulté le 26 novembre 2010.
26 La cité de l’ombre coûta 55 millions de dollars, mais ne rapporta que 7,9 millions aux États-Unis et 10,06 millions à l’étranger. Le tour du monde en 80 jours coûta 110 millions de dollars, mais ne rapporta que 24,01 millions aux États-Unis et 48,17 millions à l’étranger. Sources : [http://www.imdb.com] et [http://www.boxofficemojo.com], consultés en mars 2011.
27 Prince Caspian fut produit pour 225 millions de dollars, mais ne rapporta que 141,62 millions aux États-Unis et 278,04 millions à l’étranger. Source : [http://www.boxofficemojo.com], consulté le 18 mars 2011.
28 [http://www.boxofficemojo.com], consulté le 13 avril 2001.
29 [http://moviemarketing.biz].
30 Néanmoins, le budget alloué au marketing destiné aux congrégations chrétiennes représenta seulement 5 % des 120 millions de dollars destinés au marketing visant un plus large public, car il ne fallait pas irriter la grande majorité des spectateurs se rendant au cinéma non pour être édifiés, mais pour y passer un bon moment de détente entre amis ou en famille.
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