D’un puritanisme rigoureux à un érotisme des plus torrides : les relations amoureuses et la sexualité dans le western
p. 149-157
Texte intégral
1À l’image d’autres représentations, des Indiens ou de la wilderness notamment, celle des relations amoureuses et de la sexualité connaît une formidable évolution, voire une inversion à peu près complète, dans le western américain parlant. Envisagées principalement, jusqu’au milieu des années 1950, sous l’angle du mariage et de la procréation, celles-ci sont globalement absentes ou virtuelles dans un genre basé sur l’action et destiné à célébrer la supériorité du mâle américain. Du milieu des années 1940 à celui des années 1950, les mutations sociales et culturelles de l’après-guerre entraînent cependant un début d’évolution avec l’apparition d’une sexualité plus voyante et moins dépendante des liens matrimoniaux. La véritable rupture n’intervient toutefois qu’à partir des années 1960 : si, au moins pour les Blancs, l’idéal conjugal s’effondre et les relations amoureuses se fragilisent, la sexualité, à l’inverse, envahit l’écran.
Un western immaculé
L’idéal conjugal
2Le succès amoureux du héros est l’un des ingrédients essentiels du happy end, largement dominant jusqu’au milieu des années 1950 : dans 62,3 % des cas, entre 1930 et 1955, avec une pointe à 68 % dans les années 1930, contre seulement 39 % entre 1956 et 20051, le film s’achève par le mariage du héros ou la promesse de celui-ci. Tandis que Tom, le jeune premier d’Apache Trail, obtient de sa mère l’autorisation d’épouser Rosalia, Tex et Marjorie convolent en justes noces à la fin d’Arizona Days. À l’image de Santa Fe Trail, où les généraux Stuart et Custer trouvent chacun chaussure à leur pied, certains films célèbrent même deux unions.
3L’idéal conjugal domine donc, parfois au-delà de la mort de l’être aimé. Fen succombe dès le début de Red River à une attaque comanche et l’idée de trouver une autre compagne n’effleure même pas son fiancé. Brittles se rend à plusieurs reprises dans She Wore a Yellow Ribbon sur la tombe de son épouse et lui parle avec tendresse. Les femmes se montrent encore plus fidèles à leur mari. Abandonner celui-ci ne peut être le fait que d’une Métisse ou d’une Indienne : après avoir encouragé les vaqueros à s’enfuir, Yakima, l’épouse apache de Chris, le directeur de relais mexicain de Stagecoach, disparaît elle-même pendant la nuit avec le fusil et la jument de son mari.
4Aussi l’infidélité est-elle le plus souvent lourdement sanctionnée. Chihuahua, la Métisse de My Darling Clementine, trompe son amant, Doc Holliday, avec Billy Clanton, et tous les trois trouvent la mort. Duel in the Sun n’est pas moins rigoureux : la mère de Pearl fréquente ouvertement un amant ; son époux les élimine tous les deux avant d’être lui-même condamné à la pendaison.
5S’il n’y a point de salut hors du mariage, celui-ci n’est possible qu’à deux, et il s’agit à cette époque-là de deux personnes de sexe opposé. Or les femmes sont nettement moins nombreuses que les hommes dans l’Ouest au xixe siècle, comme le souligne Westward the Women, dans lequel on les y transporte par chariots entiers en vue de les marier. Et même lorsqu’elles sont présentes, les femmes sont réduites à la portion congrue dans le western, genre machiste par excellence où on les présente comme des pleurnicheuses, incapables d’affronter les mêmes épreuves que les hommes : « Je vous en prie, Tom, emmenez-moi. Je suis forte, je peux endurer autant que vous », implore vainement Fen au début de Red River ; « C’est trop dur pour une femme », répond Dunson, inflexible.
6Le western reste donc principalement une affaire d’hommes : l’avant-propos du film de Hawks ne le présente-t-il pas comme « l’histoire [...] d’un homme et d’un garçon » ? La plupart de ces personnages masculins respectent de surcroît jusqu’au milieu des années 1950 un code d’honneur qui les empêche, sous peine de perdre la face, d’affronter une femme ou de solliciter son soutien. Si celle-ci intervient en faveur de son époux, à l’image d’Amy à la fin de High Noon, c’est de sa propre initiative et reste tout à fait exceptionnel : les personnages de femmes viriles incarnés par Barbara Stanwyck dans The Moonlighter et Joan Crawford dans Johnny Guitar n’apparaissent que tardivement et en nombre limité.
7Lorsqu’elle est décrite, la cour faite par un homme à une femme est souvent présentée comme un simple marivaudage, une distraction réservée aux jeunes gens : O’Rourke réussira-t-il à séduire la fille du commandant de Fort Apache ? Auquel des lieutenants de She Wore a Yellow Ribbon la belle Olivia offrira-t-elle son cœur ? Le héros, lui, est appelé par des affaires plus sérieuses et plus urgentes. À peine marié, le shérif de High Noon n’hésite pas à mettre son couple en péril en revenant protéger les habitants de Hadleyville. À la fin de My Darling Clementine, Wyatt part en se contentant d’évoquer un possible retour auprès de la jeune institutrice, qui doit se contenter d’un baiser sur la joue et d’une poignée de main. Bonnell pousse dans Forty Guns l’indifférence un peu plus loin : au risque de la tuer, il tire sur sa bien-aimée afin d’arrêter le hors-la-loi qui l’a prise en otage ; celle-ci n’en court pas moins le rejoindre à la fin du film.
Des relations amoureuses virtuelles
8Les relations amoureuses restent virtuelles : elles ne sont la plupart du temps pas consommées, car la sexualité n’est pas envisageable à cette époque avant le mariage, qui n’intervient ou n’est évoqué qu’à la fin du film, avec le happy end. Il ne saurait l’être plus tôt dans un genre basé sur l’action. Ainsi l’union de Langdon et d’Elizabeth, évoquée dès le début de Northwest Passage, ne peut-elle se concrétiser qu’au retour du jeune homme de son expédition, à l’extrême fin du film.
9L’amour est donc évoqué avec la plus grande retenue. Seule la caresse du manteau d’Ethan par sa belle-sœur dans The Searchers fait comprendre au révérend Clayton le sentiment amoureux, évidemment réprimé, qu’ils ont éprouvé l’un pour l’autre. Divers artifices sont destinés à dissimuler ou à écourter les gestes amoureux. My Darling Clementine utilise un accessoire : le sombrero de Chihuahua masque entièrement son baiser à Doc Holliday. The Plainsman joue sur le cadrage : placée derrière Calamity Jane, dont la tête dissimule celle de Wild Bill Hickok, la caméra ne peut filmer les lèvres des deux amants. Le chef-opérateur de Duel in the Sun plonge les visages de Lewt et de Pearl dans l’obscurité.
10Le montage est aussi mis à contribution. Le fondu enchaîné de The Big Sky, au moment où Caudill approche son visage de celui de Teal Eye, escamote le premier baiser des deux jeunes gens. Across the Wide Missouri mise, lui, sur le comique : aux visages des deux époux en train de s’embrasser succède brutalement, sur le plan suivant, celui de leur bébé, qui ne tarde pas à gémir dans son berceau, comme s’il réclamait davantage d’attention de ses parents. Dans Angel and the Badman, c’est le déplacement des personnages qui provoque un effet de surprise : après s’être longuement embrassés, Quirt et Penny s’éloignent l’un de l’autre et découvrent, en même temps que le public, la présence de McClintock, jusque-là masqué par les deux amants.
11Le mode d’apparition des enfants renforce le caractère virtuel des relations amoureuses : ils surgissent souvent comme par miracle, ou par immaculée conception. Lucy Mallory, dont l’époux reste invisible, accouche dans Stagecoach d’une fille avec l’aide de parfaits inconnus. De nombreux autres enfants sont adoptés. Les Three Godfathers de Ford prennent ainsi en charge un nouveau-né dont le père a disparu et dont la mère, très affaiblie, meurt juste après l’accouchement. À l’image du bébé de The Last Hunt, certains de ces orphelins permettent au couple vedette de disposer d’un enfant avant même d’avoir partagé le moindre moment d’intimité.
12Cette occultation des relations amoureuses et de la sexualité reflète le retour au puritanisme dans les années 1930, avec la Grande Dépression, après la période plus libérale du Jazz Age. Elle traduit également la forte popularité du western dans les petites villes du Middle West et de la Bible Belt. À l’inverse, le genre plaît si peu aux femmes que lorsque les studios assurent la promotion de leur dernier film, dans l’espoir de les séduire, ils le qualifient non de western, mais de « mélodrame de l’Ouest2 ».
13Afin d’attirer les jeunes garçons, auprès desquels il est très populaire, le western leur accorde une large place. En leur présence, les femmes sont souvent amenées à jouer un rôle de mère, plus que d’amante. Naturich, l’épouse de The Squaw Man, finit par se suicider sur le lit de son fils, avec dans les mains le cheval de bois qu’elle lui a fabriqué pour son anniversaire. Susan, l’immigrante de The Indian Fighter, aimerait bien séduire Johnny Hawks, mais elle doit d’abord s’occuper de son fils Tommy. Sans doute ce dernier exemple illustre-t-il la valorisation du rôle maternel des femmes, mais aussi la difficulté, voire l’impossibilité de se remarier lorsque, comme Susan, on est veuve avec un enfant à charge.
Une sexualité dangereuse
14Si le western déploie tant d’effort pour masquer la sexualité, c’est parce que sa représentation est jugée dangereuse : moralement réprouvée entre Blancs, elle choque encore davantage entre Blancs et Indiens. Ce dernier type de relation transgresse en effet le tabou de la miscegenation, ou « mélange des races ». Depuis la fin du xixe siècle, de nombreux États américains interdisent les mariages entre Blancs et Noirs, et quelques-uns ceux entre Blancs et Indiens. À partir de 1934, le Code Hays interdit la représentation à l’écran des relations amoureuses entre Noirs et Blancs ; bien qu’ils ne soient pas explicitement visés, les Indiens sont en général traités de manière similaire. Les couples mixtes ne sont donc présents ou évoqués que dans 8,3 % des westerns réalisés entre 1930 et 1945 et, dans 70 % des cas entre 1930 et 1955, ils s’achèvent par un échec. Celui-ci se traduit le plus souvent par la mort d’un ou des deux partenaires : l’élimination du couple vedette de Duel in the Sun et de Martin et de son épouse Hannah, dans Unconquered, met définitivement les Blancs à l’abri de la miscegenation.
15Reste néanmoins le danger du viol des Blanches par les Indiens. Celui-ci reste évoqué de manière très allusive. L’un des passagers de Stagecoach recouvre de sa cape le corps d’une jeune femme au dos en partie dénudé. Le capitaine Saint-Jacques agit de même dans Rio Grande où la victime reste invisible. Bien que librement consenties, les relations sexuelles de l’homme blanc avec une Indienne ou une Métisse sont presque aussi dangereuses, car elles mettent en cause la sécurité des Blancs. Louvette, la Métisse de North West Mounted Police, livre son amant aux Indiens, et Nita, son homologue d’Arrowhead, tente d’éliminer Bannon.
16Si ce que nous venons de décrire reste globalement valable jusqu’au milieu des années 1950, on observe cependant un début d’évolution entre le milieu des années 1940 et celui de la décennie suivante.
Une amorce d’effeuillage
Des relations amoureuses à sens unique
17À partir du début des années 1950, on assiste à une certaine féminisation du western, chez les Blancs comme chez les Indiennes, avec un personnage principal qui est une femme dans 17,2 % des cas, contre 6,3 % au cours des deux décennies précédentes. Celle-ci favorise l’émergence d’une sexualité plus voyante. L’allusion de Red River est encore bien timide : « Il va falloir déchirer votre robe », déclare Garth ; « Il ne faut pas que ça vous ennuie », ironise Tess, blessée d’une flèche à l’épaule ; « Ça ne m’ennuie pas. », répond le jeune homme. Across the Wide Missouri est un peu plus audacieux. À la demande de Lyon, Pierre traduit les propos d’une jeune Snake à laquelle il vient d’offrir une jarretière : « Oh ! L’amour ! Quand les sept étoiles seront alignées avec le sommet de la montagne, elle sera dans le bosquet de saules. »
18Les scènes de bain, qui permettent de dévoiler un peu le corps féminin et possèdent une forte charge érotique, deviennent plus fréquentes. Le plus souvent solitaire, comme dans The Last Hunt, la baignade réunit parfois un couple mixte : celui de The Indian Fighter en profite pour échanger de fougueux baisers. La plupart du temps, ces séances mettent en scène des Indiennes ou des Métisses, toujours plus affriolantes que les Blanches, comme le souligne la comparaison entre Onida, la jeune Mohawk dont la courte tunique, trempée, laisse voir le bas des fesses, et Ann, la jeune première d’Along the Great Divide, qui relève sa jupe afin d’éviter de la mouiller et dévoile ainsi un épais panty à volants !
19L’insistance sur le corps des Indiennes et sur les relations de celles-ci avec le héros blanc ne se limite pas à la baignade. Elle concerne l’ensemble des films dans lesquels une Indienne est présente, y compris ceux, nombreux, où le héros finit par lui préférer une femme blanche. Dawn Starlight est davantage mise en valeur que Louisa, l’épouse de Buffalo Bill, et Avis, la Séminole de War Arrow, est plus sensuelle qu’Elaine. Le western profite, à l’évidence, de la réputation des Indiens en matière d’habillement réduit et de sexualité aiguisée. Il bénéficie également de l’assouplissement, après 1945, de la Production Code Administration, organisme d’autocensure traditionnellement plus tolérant avec les genres cinématographiques éloignés dans l’espace et dans le temps.
20Mais l’insistance sur les Indiennes et leur relation avec le héros blanc ne résulte pas seulement de la libéralisation des mœurs. D’un côté, en effet, l’infidélité se répand parmi les Blancs. Principal personnage féminin de The Violent Men, Martha trompe son époux infirme avec Cole, le frère de celui-ci ; mais Cole trompe lui-même Martha avec une jeune Mexicaine. Chez les Indiens, on continue au contraire à respecter le mariage. Longuement décrit dans Broken Arrow et Mohawk, il conduit à la joyeuse fête et à la mémorable nuit de noces d’Across the Wide Missouri. À plusieurs reprises, la formation d’un couple débouche même sur l’annonce d’une grossesse (The Indian Fighter) ou une naissance au sein d’un couple mixte (Across the Wide Missouri) ou indien (Apache).
Facteurs et limites de ce rapprochement
21Unir un Blanc à une Indienne est, pour le western, une manière de célébrer la conquête, au sens figuré, de l’Amérique indienne par les colons européens, et la virilité de ces derniers ; cela permet en outre de leur conférer cette part d’américanité qui en fait des hommes nouveaux, différents de leurs ancêtres européens. Afin de bien montrer que ce sont les colons qui ont conquis l’Amérique et non l’inverse, les Blancs refusent de nombreuses propositions de Métisses et d’Indiennes, et il faut attendre 1956 pour voir apparaître dans The Searchers la première union d’un Indien et d’une Blanche : encore Ford prend-il soin de ne jamais montrer Debbie et le chef Scar ensemble à l’écran.
22Évoquer ces couples mixtes et la paix dont ils sont porteurs est aussi le moyen déguisé choisi par certains réalisateurs pour exprimer leur opposition à la guerre froide. Cela dit, la grande majorité de ces couples s’achèvent, nous l’avons vu, par la mort d’un ou des deux partenaires. La violence entre Indiens et Blancs se traduit également par une hausse du nombre d’agressions sexuelles. Lewt et Max arrachent respectivement un baiser aux Métisses de Duel in the Sun et de The Wild North, et les Indiennes de Wagon Master et de Last Train from Gun Hill sont même violées par des Blancs.
23Les Blanches continuent cependant à être agressées, par des Indiens, comme dans The Searchers, ou – ce qui est là aussi tout à fait nouveau et reflète le rééquilibrage du début des années 1950 – par des Blancs. Kinch viole et tue Beth au début de Rancho Notorious, et Mae subit le même sort à la fin de Jubal. En règle générale, l’acte lui-même est seulement suggéré afin d’éviter de choquer le public. Aucun viol de Blanche par un Indien, en particulier, n’est représenté : le seul indice visible de celui de Martha dans The Searchers est son chemisier, retrouvé par Ethan devant le ranch fumant.
Le western sous l’emprise du sexe
L’effondrement du mariage
24À partir des années 1960, le succès amoureux du principal personnage masculin décline fortement, passant de 39 % des films de cette décennie à 10 % de ceux des années 1980. Le film s’achève donc nettement moins souvent par un mariage ou une installation commune : Will Penny quitte Catherine et son fils, pour lesquels il éprouve pourtant beaucoup de tendresse, et les deux amants de The Missouri Breaks partent chacun de leur côté.
25Le mariage est en effet largement remis en cause. Ride the High Country présente celui d’Elsa et de Billy comme une farce et un traquenard : il est célébré dans une maison close par un juge ivre-mort dans le seul but de permettre à Billy et à ses frères d’abuser de la mariée. Il faut désormais littéralement passer la corde au cou d’un Blanc pour qu’il se marie, à l’image de Henry Moon, le héros de Goin’ South, qui accepte d’épouser Julia dans le seul but d’échapper à la pendaison.
26Le mariage n’est de toute façon plus le passage obligé vers la sexualité. Amanda, épouse de Johnnie, se refuse à lui dans The Way West ; du coup, il la trompe avec la très jeune Mercy. Justifiée ou non, l’infidélité conjugale se répand dans tous les milieux : Mme Pendrake, l’épouse du pasteur de Little Big Man, fréquente l’épicier Kane, et Kitty trompe son mari avec un autre officier de A Distant Trumpet. Certaines femmes vont plus loin : l’héroïne de The Man Who Loved Cat Dancing abandonne définitivement son mari et finit par le tuer.
27D’autres couples sont, dès le début du film, séparés d’un commun accord. Le héros de McLintock! finit par se réconcilier avec Katherine, mais rien ne rapproche Martha du héros de Big Jake, qui réussit pourtant à récupérer leur petit-fils kidnappé. De nombreux amants n’éprouvent plus, dans ces conditions, le besoin de se marier : à l’instar de Cooper et d’Elizabeth dans Tell Them Willie Boy Is Here, ils se fréquentent en cachette et se disputent ouvertement. On voit aussi apparaître des ménages à trois : virtuel dans Butch Cassidy and the Sundance Kid, où Etta n’entretient avec Butch qu’une relation platonique, celui-ci est tout à fait concret et assumé dans Paint Your Wagon.
Une sexualité débordante
28Tandis que le mariage recule, la sexualité envahit l’écran, sous la forme d’allusions de plus en plus crues. Chadwell, l’un des hors-la-loi de The Long Riders, affirme : « Je suis allé une fois à Fetterman. Chasser le bison » ; « Qu’est-ce que ça a donné ? », demande Pitts ; « Le prix des peaux s’est effondré et j’ai attrapé la chaude-pisse avec une Squaw », répond son ami. Shanghai Noon privilégie l’humour : découvrir, au réveil, le dessin d’un cheval en train de saillir une jument sur la paroi de son tipi, permet à Chon de se rappeler ce qu’il a fait pendant la nuit.
29L’exhibition du corps féminin se poursuit, avec la toujours fameuse scène du bain, dans laquelle les Blanches s’illustrent désormais davantage. Hildy prend une pose lascive sous l’œil du héros de The Ballad of Cable Hogue, et Phoebe s’expose dans Texas Across the River au regard lubrique de Yellow Knife. Les Indiennes gardent toutefois une longueur d’avance : celle de Cry for Me, Billy se promène à cheval, entièrement nue, en compagnie de son amant. On ne s’étonne donc guère que 22 ans avant Sharon Stone dans Basic Instinct, et beaucoup plus longuement, Candice Bergen, Indienne d’adoption, ne porte pas de culotte dans Soldier Blue.
30À la nudité féminine s’ajoute désormais celle des hommes. Swan ne fait manifestement pas que soigner le torse de Jeremiah Johnson après son attaque par des loups, et la scène du bain est inversée dans The Wrath of God où les ablutions d’Emmet sont observées à son insu par Chela, avec laquelle il passe ensuite l’après-midi. De nombreux couples sont surpris dans leur intimité, comme Dolworth et sa maîtresse, au début de The Professionals. D’autres sont tout simplement filmés en pleins ébats, et le sommet de l’érotisme westernien est, sans surprise, atteint dès 1969 par Sarita et Lyedecker dans 100 Rifles.
31Expertes en la matière, les prostituées se multiplient. Simples figurantes, dans Nevada Smith et The Wild Bunch, elles sont en tête d’affiche de Two Mules for Sister Sara et de Heaven’s Gate. À ces femmes encore en activité s’ajoutent celles qui ont réussi à se reconvertir : Rosie ne demande dans Bite the Bullet qu’à reprendre miss Jones sous son aile. Son bordel est l’un des nombreux qui jalonnent le genre. Quand ce n’est pas lui qui se déplace, comme dans A Distant Trumpet et The Cowboys, ce type d’établissement devient un lieu de passage obligé (Ride the High Country, One More Train to Rob) et parfois même le centre du film (The Cheyenne Social Club, McCabe and Mrs. Miller). En dépit, ou à cause de cette offre pléthorique, les viols et tentatives de viol se multiplient, en particulier dans l’œuvre de Clint Eastwood.
32Un malaise subsiste donc, qu’une poignée de westerns tente de surmonter en suggérant d’autres voies. L’homosexualité de Morgan, dans Warlock, reste latente ; celle de deux soldats mexicains d’El Condor et de Little Horse, l’ami cheyenne de Jack Crabb, dans Little Big Man, ne fait en revanche aucun doute. Toutes ces évolutions reflètent bien sûr la libération des mœurs et la mode du nudisme, illustrée au cinéma dès le début des années 1960, mais elles coïncident également avec l’essor du cinéma érotique et pornographique. On peut en outre y voir l’influence de la guerre du Vietnam, avec la frustration des conscrits, la fréquentation des prostituées et les viols de femmes vietnamiennes, mais aussi l’illustration de l’orientation de ces films, que l’on peut qualifier de pro-indiens et plus largement favorables aux minorités.
Une sexualité orientée
33Présents dans 30,4 % des westerns entre 1960 et 2005, les couples mixtes restent les plus valorisés. Toujours plus nombreux, ils sont également plus diversifiés, avec l’apparition de couples unissant un Indien (The Undefeated) ou un Noir (El Condor) à une Blanche et d’unions entre un Noir et une Indienne (100 Rifles, Unforgiven). Leur sort est plus positif, mais reste souvent tragique.
34À l’évidence, le mariage est mieux préservé chez les Indiens où il continue à être célébré, notamment dans Jeremiah Johnson et Dances with Wolves. Il y est aussi plus fidèle, et aboutit à davantage de grossesses et de naissances. Running Deer tombe enceinte de Morgan, dans A Man Called Horse, et les deux principaux couples apaches du Geronimo de Laven accueillent chacun un nouveau-né.
35À plusieurs reprises, à partir de 1970, le héros blanc est confronté aux ébats d’un couple indien dont la sexualité est présentée comme plus naturelle et plus épanouie que celle des siens. La réaction pleine d’humour de Lone Watie à l’intrusion de The Outlaw Josey Wales oblige celui-ci à faire marche arrière et confirme la capacité des Indiens à se passer des Blancs en la matière.
36Le penchant indien supposé pour la sexualité aboutit dans Dirty Dingus Magee et Little Big Man à trois relations sexuelles successives à l’intérieur d’un même tipi, mais avec un Blanc, ce qui montre à quel point il s’agit surtout d’un fantasme de sa part. Dans certains films, le choix amoureux du héros illustre une autre limite de cet état d’esprit pro-indien : celui de Last of the Dogmen s’unit à la seule Blanche du camp, comme si les Indiennes visibles à l’arrière-plan étaient exclues d’avance. Michael Mann centre sa version de The Last of the Mohicans sur le couple blanc Hawkeye-Cora, en contradiction avec le roman de Cooper, dont le couple vedette est formé d’un Indien et d’une Métisse.
37En revanche l’attribution de la responsabilité des viols est clairement orientée : nombreuses sont les Blanches agressées par des Blancs. Mais les viols d’Indiennes par des Blancs sont plus fréquents, plus violents et plus longs : quatre d’entre eux (The McMasters, Chato’s Land, Cry for Me, Billy et Gone with the West) durent de deux à cinq minutes. À l’inverse, une seule Indienne est agressée par un Indien, et plus aucune Blanche ne subit ce sort après 1973. Le héros blanc ou métis intervient souvent, en outre, pour empêcher le viol d’une Indienne ou le venger. La proposition de l’épicier de High Plains Drifter d’une Indienne en guise d’« oreiller » est elle aussi dénoncée, et Jeremiah Johnson rejette l’idée, suggérée par Del Gue, de vendre sa Squaw.
38L’autre orientation à l’œuvre, inspirée du féminisme des années 1960-1970, est en effet le rééquilibrage des relations entre hommes et femmes. Celles-ci prennent de plus en plus d’initiatives : Rachel, l’héroïne de The Unforgiven, embrasse son prétendant ; Ellen, dans The Quick and the Dead, se déshabille d’elle-même face à Cort. Certaines d’entre elles utilisent leur sex-appeal contre les méchants : au péril de leur vie, les captives indiennes de The Return of a Man Called Horse détournent ainsi l’attention des Blancs avant l’attaque du fort.
39Si le charme féminin se révèle encore parfois bien utile, la femme n’est pourtant plus l’esclave sexuelle de l’homme. Les prostituées d’Unforgiven offrent une prime à celui qui vengera Delilah, dont le visage a été tailladé par un client mécontent, et l’une des Bad Girls élimine le colonel Clayborne, qui maltraite sa collègue Anita. Au cours de la dernière décennie, l’arrivée en tête d’affiche de femmes d’âge mûr dans Open Range et Appaloosa contribue également à déjouer le stéréotype de la jeune beauté affriolante.
40Après avoir été, en matière de sexualité et de relations amoureuses, plus frileux que les autres genres cinématographiques jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, puis en avance sur son temps, de l’après-guerre aux années 1970, le western s’est donc finalement retrouvé en phase avec son époque, alors qu’il était déjà moribond, à partir des années 1990. Cette évolution reflète en partie celle de son public : destiné principalement, à l’origine, aux enfants et aux hommes de milieu modeste, il a réussi à séduire, au fil des décennies, un public plus âgé, un peu plus féminisé et surtout plus favorisé et plus instruit.
41Au-delà, on retiendra que le passage du western classique au western crépusculaire ou révisionniste a été fatal au mâle américain blanc. Dépossédé, dans sa conquête et sa mise en valeur de la Frontière, du soutien d’une épouse fidèle et soumise, il se transforme au pire en être velléitaire, privé de plaisir et de descendance, et au mieux en instable et inquiétant satyre souvent victime de sa frénésie sexuelle. Dans les deux cas, femmes et membres des minorités ethniques, présentés comme des adeptes de relations amoureuses et sexuelles plus équilibrées, en sont les principaux bénéficiaires. Mais leur rôle marginal, dans un genre destiné d’abord à célébrer les responsables de la conquête, puis à dénoncer leurs exactions, ne permet pas au western d’aller au-delà de cette simple inversion. C’est sans doute l’une des raisons qui ont contribué à sa disparition depuis une trentaine d’années.
Notes de bas de page
1 Ces chiffres sont tirés de l’étude de 600 westerns réalisés entre 1930 et 2005. Cf. Lacoue-Labarthe M., La représentation des Indiens dans le western américain, des années 1930 à nos jours, thèse de doctorat d’histoire, université Paris 8, 2009. Sauf indication contraire, tous les chiffres suivants sont tirés de cette étude.
2 Cf. Stansfield P., Hollywood, Westerns and the 1930s: The Lost Trail, Exeter, University of Exeter Press, 2001, p. 133.
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