Avant-propos
p. 9-16
Texte intégral
1Dans Les Noyers de l’Altenburg, Malraux écrit : « avoir découvert le temps, c’est la caractéristique de l’homme moderne ! Non seulement par rapport à l’homme de l’Euphrate et du Nil, au Grec, mais même à l’homme médiéval ! Le Moyen Âge n’a pas de temps […]. Le Moyen Âge est un présent éternel ! » La conscience du Temps est, somme toute, assez récente et ne date que de l’époque de la Renaissance. Elle s’est particulièrement imposée avec une évidence encore plus forte à l’homme qui a accompagné, vers le milieu et la fin du xix e siècle, les premières révolutions techniques et pressenti l’accélération, voire les bouleversements, que les nouveaux moyens de transport surtout allaient introduire sur le rythme de la vie quotidienne. Qu’on songe à la fascination de Turner peignant dans Pluie, vapeur et vitesse les premiers trains circulant en Angleterre à la vitesse fantastique de… 30 à 45 km/h. ! Quelques décennies plus tard, l’enthousiasme d’Antoine de Saint-Exupéry est aussi grand à piloter la machine volante qui réalise les premiers exploits de l’aérospatiale rapportés avec admiration dans Vol de nuit et Courrier Sud. C’est aussi le moment, au début du xx e siècle, où apparaît le roman-fleuve inauguré par les écrivains contemporains des changements rapides introduits dans le cycle jusque-là quasi immuable des jours et des saisons. Jean-Christophe et ses multiples succédanés ont été conçus alors que Romain Rolland et ses épigones assistaient à la transformation de la nuit en jour grâce à la « Fée électricité » ainsi qu’à la brutale contraction de l’espace-temps entraînée par le développement de la machine à vapeur et l’apparition de l’automobile. Dans ce type de récit au long cours, qui connaîtra une grande vogue dans l’entre-deux-guerres avec la Chronique des Pasquier de Georges Duhamel ou encore Les Thibault et L’Été 14 de Roger Martin du Gard, la réussite dépend du temps, ou, plus exactement, de son traitement et de sa maîtrise. La temporalité est, en effet, ici, la clé de voûte de l’édifice et sert de structure ou de principe organisateur à toute l’entreprise. Avec À la Recherche du temps perdu, Proust rompt avec la linéarité du récit du xx e siècle, privilégie les reprises incessantes, les multiples variations sur les mêmes thèmes, la circularité de l’œuvre et donne naissance à ce qui deviendra l’esthétique de la discontinuité. Le rythme du temps pourra par la suite s’accélérer et même devenir effréné avec La Condition humaine et L’Espoir ou Voyage au bout de la nuit. Il pourra se ralentir pour épouser le lent écoulement des jours ou, au contraire, suivre les méandres de l’Histoire et, afin d’imiter ses soubresauts, se briser comme un puzzle en mille morceaux.
2Ce sont, précisément, ces multiples aspects du roman de notre époque qui feront l’objet d’une enquête qui nous mènera d’Aragon et Alain-Fournier à Michel Tournier et Marguerite Yourcenar, de Barjavel et Beckett à Claude Mauriac et Sembene Ousmane, de Proust et Perec à Camus, Giono et Tahar Djaout.
3Il s’avère à l’examen des œuvres de ces différents auteurs que fable du temps ou fable sur le temps1, la fiction contemporaine d’une manière générale, utilise la temporalité comme un tremplin pour une méditation sur les rapports que l’homme entretient douloureusement avec le passé, pour une interrogation angoissée sur le présent et pour une exploration inquiète de l’avenir. L’être humain, la seule créature à se savoir mortelle, simple passager sur terre ne jouissant que d’une durée limitée, est, en effet, hanté par le temps. Il ne peut qu’en ressentir chaque jour la finitude alors qu’intrigué il le conçoit, ou le constate, comme infini, n’en voyant jamais, ni en amont ni en aval, les rives invisibles. Ainsi se rend-on compte que l’intérêt accordé à la chronologie manifeste et remplit toujours une fonction nettement herméneutique dans le roman contemporain. La dimension réflexive du récit garde toute son importance, que la temporalité soit déclinée d’une manière linéaire et explicite ou qu’elle le soit, au contraire, implicitement et sujette à des ellipses, dérèglements et autres télescopages ; qu’elle soit seule prise en considération ou associée à des données spatiales comme en témoignent, dans la diversité de leur corpus, les contributions recueillies dans cet ouvrage.
4Pour la commodité de l’analyse, celles-ci peuvent être réparties sur quatre grands axes. Ainsi, le traitement du temps sera examiné, d’abord, au niveau du système verbal et des possibilités d’expressivité qu’il offre au romancier. Un deuxième axe sera consacré au roman francophone du Maghreb et d’Afrique qui entretient un rapport plutôt conflictuel avec le temps et où se mêlent, d’une part, la nostalgie d’un passé que le colonisateur a longtemps confisqué et, d’autre part, le rejet d’un héritage jugé incompatible avec la modernité dans laquelle il faut s’engager sous peine d’une disparition inéluctable en tant que peuples et nations. La durée sera, ensuite, abordée dans sa dimension historique de passé qu’on ne cesse d’interroger pour expliquer le présent et se forger des instruments de travail pour l’avenir, mais avec le secret désir de l’emporter sur ce « Dieu sinistre », ce « Joueur avide » dont parle le poète, en raison de l’angoisse que suscite en nous la ronde imperturbable des jours. Engagé dans une lutte permanente contre l’écoulement irréversible du Temps, l’homme rêve d’en inverser le cours, de l’apprivoiser en quelque sorte, voire de l’immobiliser ou de l’abolir même. La durée sera même analysée du point de vue de la science-fiction où les frontières communément admises entre passé, présent, et futur disparaissent complètement. Bien qu’à travers le relais de la fiction, la configuration temporelle sera, enfin, considérée comme objet d’une méditation philosophique où l’espace et le temps se mettent réciproquement et respectivement en valeur car intimement et profondément imbriqués l’un dans l’autre dans la réalité. Proust, enfin, sera étudié à travers les ellipses qui émaillent Le Temps retrouvé. La dimension psychologique dont le passé est souvent revêtu dans À la Recherche du temps perdu amène l’auteur à énoncer que « l’amour, c’est l’espace et le temps rendus sensibles au cœur ».
Temps verbaux et expression de la durée
5Une manifeste prise de conscience de l’importance du temps dans le récit romanesque constitue en quelque sorte le point commun à toutes les contributions qu’on lira plus loin. Elle est nettement perceptible, déjà, au niveau de l’usage particulier que l’auteur fait des temps verbaux. Bourguiba Ben Rejeb, en linguiste, montre clairement, à partir de quelques passages pris comme échantillons et empruntés à L’Étranger de Camus et à L’Œuvre au noir de Marguerite Yourcenar, que « la créativité soumet le système de la langue aux contraintes recherchées de l’expressivité propre à un auteur » et qu’ainsi « la dimension créative de l’œuvre se joue à travers la maîtrise du temps qui passe ».
6Les marginaux et autres larves humaines que Samuel Beckett met en scène dans son œuvre narrative sont, eux, complètement dépourvus de toute prise sur leur passé, leurs souvenirs, bref sur le temps. La misère physique, morale et intellectuelle de ces personnages leur interdit de se dire, signe leur échec et les place hors de toute sensibilité à la durée. Mokthar Sahnoun, en stylisticien, nous montre d’une manière pertinente que l’énonciation du temps dans Malone meurt, Molloy et L’Innommable est aussi et en même temps, pour ceux qu’on ne peut qu’improprement désigner par héros, une difficile, voire une vaine entreprise d’énonciation de soi. Il y a là malgré tout, de la part de ces personnages marqués par le dénuement sous toutes ses formes, un investissement dans le langage que Beckett convertit, malgré son apparente discontinuité et fragmentation nous dit justement Sahnoun, en matière poétique.
7Mohamed Khélifi, en littéraire, enfin, insiste, de son côté, sur « l’éclipse » de certains temps verbaux chez Butor – éclipse à l’origine probablement du tempo propre aux textes de l’auteur, sa petite musique spécifique aurait dit Proust. Il s’agit chez l’auteur de L’Emploi du temps et, surtout, de La Modification qui hésite entre passé et présent, d’un temps discontinu que Khélifi compare à « un voyage au bout du désordre ». Un désordre, néanmoins, apte à nous délivrer d’ordres linéaires qui se prétendent naturels alors qu’ils ne sont qu’arbitraires.
Les romans maghrébin et africain entre nostalgie du passé et espoir dans l’avenir
8On peut se contenter d’avancer, d’une manière lapidaire et sans aller plus avant pour le moment, que c’est contre le désordre que la colonisation a fait subir à l’Histoire et contre aussi l’oubli imposé à des pans entiers du passé des peuples anciennement colonisés que se sont constitués et le roman africain francophone et la littérature maghrébine d’expression française depuis Nedjma, qui en est, si l’on peut dire, le récit fondateur. Il y a là un type de fiction qui oscille entre la fidélité due à la mémoire des ancêtres que le colonisateur a tenté d’effacer et la construction d’un avenir qui cherche à se libérer des liens d’un passé lourd, à divers titres, à porter. Nadia Lajri et Chaâbane Harbaoui développent ici cette question des rapports ambigus que l’ancien colonisé entretient avec le temps. La plongée d’abord dans un passé antécolonial « édulcoré », selon Mme Lajri, et la tendance du romancier à souvent magnifier, dans un premier temps du moins, ce retour aux sources, sont suivies ensuite de la volonté de dépasser le stade de la nostalgie inhibitrice. Dans un acte militant, le romancier africain, plein d’espoir, cherche, à l’ère de l’indépendance, à ouvrir la page de l’avenir, à faire entrer sa communauté dans l’Histoire afin d’être de plain-pied dans le présent. Le retour sur le passé peut, néanmoins, se solder par « une réelle impasse historique » comme le montre Harbaoui dans son étude de l’espace-temps dans L’Invention du désert de Tahar Djaout.
La tentation de maîtriser le Temps
9La recherche d’une certaine vérité qu’implique le retour sur le passé fait que le Temps n’investit pas seulement le récit de fiction mais aussi la biographie comme l’autobiographie – qui peuvent être totalement imaginaires d’ailleurs ou bien habilement et intentionnellement mêler et confondre réalité et invention romanesque. L’Œuvre au noir de Marguerite Yourcenar, Blanche ou l’oubli d’Aragon tout comme Vendredi ou les limbes du Pacifique de Michel Tournier constituent, tous, à un titre ou à un autre, une interrogation sur l’expérience que nous avons du passé, de la mémoire et des souvenirs. On peut encore invoquer toute l’œuvre d’un Claude Simon, le grand absent, malheureusement, de ce colloque, qui de La Route des Flandres à Histoires et de L’Acacia au Jardin des Plantes ou, encore, Tramway, n’est que remémoration et continuel ressassement d’images, souvent traumatisantes, hantant à jamais la mémoire du narrateur ou, plutôt, fixation, arrêt pour la vie sur une image obsédante, un événement majeur qui ont définitivement orienté toute une destinée. Dans ce genre de récit entre fiction et réalité, entre souvenirs réels et d’autres relevant de la simple imagination, l’auteur, ou le narrateur, cherche à ordonner sa vie et à lui trouver un sens en remontant le temps ou, mieux encore, en suspendant en quelque sorte l’intarissable flux de la durée. Blanche ou l’oubli, par les divers niveaux de réalité et de souvenirs dans lesquels se débat dramatiquement le héros, est révélateur de la complexité de la structure temporelle de ce genre de récit dont la lecture, selon Hend Gaha, est propre à donner « le vertige ».
10 Le Temps immobile de Claude Mauriac s’apparente aussi, malgré une évidente mise en scène ou montage auquel est soumis le vécu, à l’écriture du moi et, évidemment, du temps. Hélène Boblet fait ici l’inventaire des procédés techniques utilisés par l’auteur du Dialogue intérieur pour décaper les souvenirs de leurs artifices plus ou moins conscients et, plus profondément et secrètement peut-être, pour « annuler la puissance dysphorique du temps en l’immobilisant ».
11Chez Georges Perec, dont l’œuvre fait une large place au monde des souvenirs et à l’activité mémorielle, ces procédés, qui tiennent des trouvailles techniques, ont pour nom dissémination et énumération et visent, d’après Kamel Ben Ouanès, des buts similaires à ceux de Mauriac, à savoir masquer l’Histoire et s’inscrire dans un temps anhistorique, bref abolir la durée.
12Arlette Bouloumié, dans le texte au titre si explicite qu’elle nous offre ici, De l’angoisse à la maîtrise du temps dans l’œuvre de Michel Tournier, met parfaitement en lumière la tentation, voire les tentatives, de son auteur de prédilection d’apprivoiser le temps sinon de le nier. Ainsi s’explique chez l’auteur du Roi des aulnes le recours au temps anhistorique du mythe qui se déploie dans le roman mythologique précisément où l’auteur, selon Mme Bouloumié, « tente d’annuler le temps et de retrouver l’éternité ».
13Issam Marzouki consacre sa contribution à la richesse narrative qu’engendre le vertigineux brassage temporel, ingrédient de base de la science-fiction où, dans une confusion, sinon confrontation continuelle, passé, présent et futur finissent par se neutraliser et aboutir à une sortie de l’Histoire et, donc, du Temps.
L’Espace-Temps
14Si les personnages de Beckett se signalent, comme il a été noté déjà, par un total défaut de sensibilité à la durée et une perception anormalement déficiente du temps qui coule, ceux de Yourcenar donnent plutôt l’impression d’être, au contraire, marqués par une attention excessive au temps et emportés par son flux incessant. Robert Pickering distingue ainsi trois niveaux de temporalité dans L’Œuvre au noir puisqu’à côté des références historiques, d’abord, qui apparentent ce récit au roman historique, il dégage un axe alchimique, ensuite, suggéré déjà par le titre qui renvoie à une des étapes de l’initiation que raconte cette biographie fictive et donc récit de formation et, enfin, une temporalité propre à l’écriture de la diégèse. Davantage encore, l’importance que joue ici la structure temporelle, présente aussi chez Giono, se double d’une constante recherche de localisation dans l’espace, d’une structure spatiale donc. Ainsi Robert Pickering et Jean Arrouye, conjuguant Temps et Espace dans L’Œuvre au noir et dans L’Iris de Suse, établissent d’une façon convaincante que les pérégrinations des personnages auxquels les soumettent, respectivement, Yourcenar et Giono, entrent constamment en résonance avec les souvenirs d’autres errances et voyages et participent pleinement à la construction de l’identité des héros que sont Zénon et Tringlot.
15L’inscription du temps dans le récit romanesque apparaît ainsi un moyen d’interroger la place que l’homme occupe non seulement dans l’incessant et éternel écoulement des jours mais aussi dans l’espace. La configuration de la temporalité permet, en effet, au romancier de se situer sur un plan en quelque sorte psychologique, davantage encore, existentiel ou métaphysique et de mesurer ainsi l’intervalle qui sépare un présent insatisfaisant d’un passé dont on ne possède qu’une connaissance lacunaire et d’un futur hypothétique et en grande partie incertain. Le traitement du temps dans l’œuvre de fiction s’avère souvent donc une quête de soi souvent inséparable, cependant, d’une mise en perspective de l’espace et des lieux que le personnage a occupés dans le passé.
Aspects du traitement du temps dans À La Recherche du temps perdu
16Dans cette interrogation sur le temps, l’œuvre de Marcel Proust trouve, bien évidemment, toute sa place. Le volet qui lui est consacré ici aborde plus particulièrement les analepses ainsi que les ellipses, silences et autres « blancs » du texte. Mireille Naturel soumet Le Temps retrouvé à une analyse génétique, en partant des omissions ou événements inscrits en creux dans le récit, et confirme le caractère à la fois subjectif et discontinu de la chronologie proustienne.
17Ce sont encore ces blancs ainsi que les nombreux retours en arrière qui structurent le récit qui intéressent Jamila Ben Mustapha dans une approche comparatiste qui confronte les conceptions du temps à l’œuvre dans Le Grand Meaulnes et dans La Recherche. Mais si le roman d’Alain-Fournier est moderne par la forme et, principalement, par son traitement novateur de la chronologie, il n’en demeure pas moins romantique dans son contenu en raison principalement de l’amère nostalgie qui attache le héros au Domaine mystérieux, en grande partie abattu par les nouveaux propriétaires mais dont seul Meaulnes conserve encore le souvenir. Par là, l’auteur diffère de Proust qui accède au temps retrouvé, selon Mme Ben Mustapha, alors qu’Alain-Fournier « en reste à la prise de conscience du temps perdu ».
18Mais si Proust, grâce la magie de l’écriture, ressuscite les jours évanouis, ne pourrait-on pas interpréter l’acte même d’écrire comme une revanche, précisément, sur la fluidité de la durée et l’immanquable oubli, tant redouté par Marcel au début d’Albertine disparue ? L’oubli qui finit par l’emporter, pourtant, sur la passion jalouse du narrateur, devient ainsi une manifestation du temps écoulé et en révèle, surtout, selon Mohamed Ridha Bouguerra, la valeur sentimentale sur laquelle insiste la dernière contribution, La dimension psychologique du Temps ou le Temps rendu sensible au cœur. Mais, sur le plan moral, l’oubli n’est pas pure négativité puisque sa fonction réparatrice permet au héros narrateur de La Recherche de transcender les affres de la jalousie, de recouvrer sa liberté d’esprit et de faire œuvre d’écrivain. Il y a là un oubli qui favorise donc le travail créateur, seul gage d’immortalité, mais qu’il faut distinguer de cet autre oubli qui, dans les siècles à venir, menace la mémoire future de l’artiste. Proust, qui a transmué sa vie en littérature, oppose ainsi la mémoire oublieuse et la pérennité de la vie de l’esprit quand il énonce la rassurante leçon du Temps retrouvé et sa promesse de salut par l’art dont il édicte la loi en ces termes : « la loi cruelle de l’art est que les êtres meurent et que nous-mêmes mourions en épuisant toutes les souffrances, pour que pousse l’herbe non de l’oubli mais de la vie éternelle, l’herbe drue des œuvres fécondes2 ». La leçon finale de À la Recherche du temps perdu célèbre donc la victoire sur le temps perdu au sens où le passé sera pour toujours fixé dans un livre. L’art apparaît, finalement, comme le plus sûr moyen de conjurer la mort et la finitude, de transcender le temporel pour accéder à une forme d’intemporalité. N’est-ce pas là encore la leçon de La Voie royale et de l’immortalité de l’art qui amènera Malraux à la conception des Voix du silence et de La Métamorphose des dieux et que sous-tend l’infini « dialogue des métamorphoses et des résurrections » des formes et des œuvres à travers les siècles ?
19Mais la foi humaniste qui animait Proust et Malraux, l’optimisme dont leur conception de l’œuvre d’art est révélatrice demeurent-ils de mise de nos jours ? Sont-ils envisageables par les temps fort agités qui sont les nôtres pour un Volodine par exemple dont la plupart des personnages sont amnésiques ou atteints de troubles de la mémoire et n’ont de cesse qu’ils n’aient réussi, pensent-ils, à recoller les débris d’une mémoire brisée. Ballottés entre de lointaines vies antérieures dont ils n’ont plus qu’une vague idée, ils ont perdu tout ancrage, tant temporel que spatial, et se trouvent de ce fait les victimes inconscientes de souvenirs lacunaires mais rêvent tous, pourtant, d’une chimérique conquête de leur passé. Ils s’épuisent ainsi et d’une manière pathétique dans un vain et infini combat contre le temps et l’oubli. Ils sont une image de l’homme continuellement aux prises avec le temps et passant sa vie, selon Sartre, « à lutter contre le temps et le temps ronge l’homme comme un acide, l’arrache à lui-même et l’empêche de réaliser l’humain »3. L’important investissement du romancier contemporain dans la bien complexe problématique de la temporalité est, tout compte fait, révélateur, sans doute, de l’acuité avec laquelle, à notre époque, l’homme ressent les effets du temps, mais également de sa protestation contre ce « temps injurieux ».
Notes de bas de page
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Comparer l’étranger
Enjeux du comparatisme en littérature
Émilienne Baneth-Nouailhetas et Claire Joubert (dir.)
2007
Lignes et lignages dans la littérature arthurienne
Christine Ferlampin-Acher et Denis Hüe (dir.)
2007